Un monde en changement accéléré

 La réalité et les enjeux selon Thomas Friedman, journaliste au New York Times et analyste au long cours des technologies de la communication

9780374273538Nous pressentons la rapidité du changement. Nous percevons les peurs et les enfermements.  Les évènements récents nous montrent que c’est là une question prioritaire. Qui peut nous éclairer là dessus ?

En 2005, un journaliste américain publiait un livre : « The world is flat » (1) qui décrivait le processus à travers lequel le monde est devenu interconnecté. A partir d’une enquête internationale, ce livre faisait apparaître un paysage nouveau. Pendant des décennies, l’auteur, Thomas Friedman a couvert l’actualité internationale, et aujourd’hui chroniqueur au New York Times, il tient un blog qui apporte une information précieuse sur le déroulement de cette actualité (2). Et, en 2016, il publie à nouveau  un ouvrage qui va faire date en mettant en évidence l’accélération du changement et en nous interpellant sur les moyens d’y faire face. « Le titre : « Thank you for being late » peut nous intriguer (3). C’est un appel à faire une pause pour réfléchir comme l’attente engendrée par un retard peut nous laisser cette opportunité. Mais le sous-titre est plus explicite : « An optimist’s guide to thriving in the age of acceleration ».

Cet ouvrage nous apporte des informations originales dernier cri. Il induit une compréhension nouvelle de la conjoncture mondiale. Tout ceci est rapporté dans un style attractif, jalonné par le compte-rendu de rencontres avec des personnalités innovantes qui participent à l’expérience et à la réflexion de l’auteur.

 

Un changement accéléré

Dans son livre, « The world is flat », Thomas Friedman avait décrit les transformations des modes de communication qui, à la fin du XXè siècle, avait permis une unification du monde. Ainsi, au début du XXIè siècle, le monde était désormais interconnecté à un tel degré que, de plus en plus de gens, en de plus en plus d’endroits , avaient désormais une opportunité d’entrer en relation, de se concurrencer et de collaborer. Mais le changement ne s’est pas arrêté là. L’auteur a perçu une nouvelle inflexion dans le mouvement autour de l’année 2007. C’est alors que sont apparus de nouveaux processus encore inconnus lors de l’écriture du livre précédent : Facebook, Twitter, Linkedin, Skype entre autres (p 25). « Entre 2000 et 2007, en deux vagues successives, nous sommes entrés dans un monde où la connection est devenue rapide, libre, facile et omniprésente et où ensuite traiter la complexité est devenu rapide, libre, facile et invisible ». « Le monde n’est pas seulement devenu plat, sans frontières, mais rapide ». « Le prix de la production, du stockage et du traitement des données s’est effondré. La vitesse du chargement et du déchargement des données s’est envolée. Steve Jobs a donné au monde un appareil mobile avec une extraordinaire souplesse d’utilisation… Ces processus se sont croisés. Une immense énergie a été donnée aux êtres humains et aux machines, à un point qu’on a jamais vu et qu’on commence seulement à comprendre. Tel est le point d’inflexion qui est advenu autour de l’année 2007 » (p 93).

 

Aujourd’hui, tout s’est accéléré dans trois grands domaines que l’auteur appelle  « la Machine, le Marché, et Mère Nature ».

Nous sommes passé d’un premier âge de la machine, celui engagé par la Révolution industrielle où travail et machines sont complémentaires à un nouvel âge « où nous commençons à automatiser davantage de tâches cognitives et bien plus de tâches de contrôle ». Le « marché » est un raccourci pour désigner l’accélération de la globalisation. C’est le flux global du commerce, de la finance, du crédit, des réseaux sociaux et l’interconnection qui tisse les marchés, les médias, les banques, les entreprises, les écoles, les communautés et les individus… Les flux d’informations et de savoirs qui en résultent rendent le monde non seulement interconnecté et hyperconnecté, mais aussi interdépendant » (p 26).

« Mère Nature » est un raccourci pour désigner le changement climatique, la croissance de la population et le déclin de la biodiversité. Et, là aussi, tout s’accélère.

 

Quelques exemples de cette accélération. Un des plus emblématiques est la baisse du prix des microprocesseurs qui a suscité un accroissement vertigineux du pouvoir des ordinateurs. « La clé a été la croissance exponentielle dans la puissance de calcul telle qu’elle est représentée dans la loi de Moore. Cette théorie émise en 1965 par le cofondateur d’Intel, Gordon Moore, postule que la vitesse et la puissance des microprocesseurs, qui engendrent la puissance du calcul, doubleraient environ tous les deux ans…Cette loi, qui indique une croissance exponentielle, a été validée pendant cinquante ans » (p 25). Cet accroissement de puissance impressionnant a rendu possible de nouvelles innovations comme des voitures se conduisant toutes seules ou des programmes capables de gagner aux échecs.

Cette expansion accélérée a abouti à l’irruption du « cloud » qui, au delà des appareils que nous utilisons, emmagasine un immense ensemble de données résultant des multiples activités en cours et auquel nous pouvons avoir nous-mêmes accès. C’est une réalité nouvelle sans précédent dans l’histoire humaine. Sa puissance est telle que Thomas Friedman préfère parler du « cloud » en terme de « supernova » pour en marquer l’originalité incomparable.

 

Cette croissance accélérée des technologies de la communication en rejoint une autre, celle de la globalisation entendue ici sous le terme de « Marché ». La globalisation n’est plus seulement la circulation des biens physiques, des services et des transactions financières. C’est une réalité bien plus vaste et bien plus impressionnante. « C’est la capacité pour toute personne et pour toute entreprise de se connecter, d’échanger, de collaborer ou de se concurrencer ». Et, à cet égard, aujourd’hui, la globalisation est en train d’exploser… «  A travers les téléphones mobiles et la supernova, nous pouvons maintenant envoyer partout des flux digitaux et en recevoir de partout » (p 120). « Le monde est plus interdépendant qu’il ne l’a jamais été ». Et « ce monde ne peut pas être connecté en tant de domaines et dans une telle profondeur sans être lui-même en train d’être transformé et réorganisé (« reshape » ». Le besoin d’interconnexion est devenu aujourd’hui une aspiration majeure, un désir vital. L’auteur cite une enquête sur l’importance accordée au téléphone mobile. 50% des personnes interrogées préféreraient se passer de vacances pendant un an plutôt que de perdre l’accès au téléphone mobile (p 121). Et, dans les pays du sud, le téléphone mobile est maintenant un bien prioritaire et le support de multiples communications. Les pauvres migrants eux-mêmes en sont dotés. Thomas Friedman raconte comment il en a fait l’expérience dans une rencontre où, à l’aide du téléphone mobile, ils se sont pris en photos mutuellement (p 123). L’auteur nous donne des exemples  concrets des transformations de pratiques et de comportements induites par l’interconnexion.

 

Thomas Friedmann est également familier avec la question écologique à laquelle il a consacré un livre précédent : « Hot, flat and crowded ». Comme d’autres experts, il nous met en garde contre le réchauffement climatique et la réduction de la biodiversité. Là aussi, les évolutions sont rapides.

 

Les transformations actuelles convergent. Au cœur de cet ouvrage, il y a la thèse que « le Marché, Mère Nature et la loi de Moore envisagés ensemble, engendrent cet « âge de l’accélération dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Le même mouvement affecte les mécanismes centraux de la machine. Ces trois accélérations ont un impact l’une sur l’autre. Davantage de loi de Moore suscite davantage de globalisation et davantage de globalisation engendre davantage de changement climatique. Mais davantage de loi de Moore suscite également plus de solutions possibles par rapport au changement climatique et à beaucoup d’autres défis » (p 27).

 

Face aux déséquilibres et aux dangers.

Cette accélération du changement induit des déséquilibres parce qu’elle requiert une adaptation qui n’est pas acquise au même rythme. Dans le passé, on a pu observer des adaptations par rapport à certains changements, mais le temps nécessaire avait pu être trouvé parce que ces changements étaient moins rapides. L’auteur nous propose deux courbes : celle de l’adaptation humaine qui monte lentement et celle du progrès technologique qui s’élève de plus en plus rapidement ( p 32). Aujourd’hui, un décalage commence à apparaître. Si l’adaptabilité s’est accrue par rapport au passé en fonction d’une meilleure éducation et d’une diffusion plus efficace des savoirs, l’accélération actuelle du changement peut dépasser notre capacité d’adaptation et susciter aussi beaucoup d’angoisse et de résistance. Aujourd’hui, très concrètement, « si il est vrai qu’il faut maintenant dix à quinze ans pour comprendre une nouvelle technologie et créer en conséquence de nouvelles lois et régulations pour protéger  la société, comment régulons-nous quand une technologie vient et s’implante en une courte période de 5 à 7 ans ?» (p 33).

 

         La globalisation est ambivalente. Ses effets dépendent des valeurs et des outils que nous mettons en œuvre en regard. Aujourd’hui, on perçoit de vives réactions politiques face à une immigration mal contrôlée. Comment adapter de saines protections sans perdre les avantages décisifs de la circulation des flux ? « Si beaucoup d’américains se sont récemment sentis submergés par la globalisation, c’est parce que nous avons laissé les technologies physiques (immigration, commerce et flux digital) prendre le dessus et dépasser les technologies sociales : l’éducation et les outils d’adaptation nécessaires pour amortir l’impact et ancrer les gens dans de communautés saines qui puissent les aider à vivre et prospérer » (p 155) . Nous avons besoin d’un leadership qui prenne en compte et apprivoise l’anxiété. Dans un âge où des situations extrêmes apparaissent, des politiques particulièrement innovantes sont nécessaires. Elles peuvent combiner des idées traditionnelles et de nouveaux processus. « Je parle d’une politique qui renforce les filets de sécurité pour les travailleurs afin de sauvegarder ceux qui sont dépassés par la rapidité du changement. Je parle d’une politique capable de susciter davantage de technologies sociales pour faire face aux changements entrainés par les technologies physiques. Finalement, je parle d’une politique qui comprenne que dans le monde d’aujourd’hui la grande opposition politique n’est pas entre la gauche et la droite, mais entre une société ouverte et une société fermée » (p 336).

 

Ce changement technologique accéléré engendre un accroissement considérable du pouvoir. C’est le pouvoir des machines. C’est le pouvoir des flux, mais c’est aussi le pouvoir des hommes, le pouvoir d’un groupe, mais aussi le pouvoir d’un seul. Ce qu’une personne isolée peut faire en terme de construction ou de destruction a été porté aujourd’hui à un haut niveau. Jusqu’ici une personne pouvait en tuer une autre. Maintenant, il est possible d’imaginer un monde où, un jour, une personne puisse tuer toutes les autres. Qu’on se souvienne de l’attaque contre les tours jumelles de New York, il y a quinze ans. Mais l’inverse est vrai aussi. Une personne peut maintenant en aider beaucoup d’autres. Elle peut éduquer, inspirer, divertir des millions de gens. Une personne peut maintenant communiquer une nouvelle idée, un nouveau vaccin ou une nouvelle application au monde entier » (p 87). Cet accroissement de puissance appelle en regard une élévation de la conscience.

Et de même, on constate aujourd’hui que l’humanité a créé un nouveau royaume pour l’interaction humaine. « Mais il n’y a personne en charge du cyberespace où nous sommes tous connectés » (p 339). Cette situation requiert évidemment le développement d’une régulation, mais elle appelle aussi une conscientisation morale et éthique. Il est impératif d’équilibrer le progrès technologique par le sens de l’humain.

 

Pour une conscientisation morale et éthique.

C’est bien là le message de Thomas Friedman. Il y aura toujours du mal dans le monde, nous dit-il. Mais la question, c’est comment augmenter les chances pour réduire les mauvaises conduites.

« La première ligne de défense pour toute société, ce sont ces garde-fous : les lois, la police, la justice, la surveillance… des règles de décence pour les réseaux sociaux. Tout cela est nécessaire, mais n’est pas suffisant à l’âge de l’accélération. Clairement, ce dont on a besoin, et c’est à la portée de chacun, c’est de penser avec plus de sérieux et plus d’urgence à la manière dont nous pouvons nous inspirer davantage des valeurs qui portent : l’honnêteté, l’humilité, et le respect mutuel. Ces valeurs génèrent la confiance, le lien social et, par dessus tout, l’espoir » (p 347).

Pour faire face au grand défi auquel nous sommes confrontés, Thomas Friedman nous incite à appliquer la « règle d’or », quelle que soit la version qui nous a été transmise. La « règle d’or » (4), c’est de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on vous fit » (p 347).  C’est simple, mais cela produit beaucoup d’effets. Cela peut paraître naïf. Mais « je vais vous dire ce qui est vraiment naïf, c’est ignorer le défi : ce besoin d’innovation morale à une époque où abondent de gens en colère, maintenant superpuissants ». Pour moi, « cette naïveté, c’est le nouveau réalisme » (p 348).

Thomas Friedman cite le discours du président Obama lors de sa visite à Hiroshima le 27 mai 2016. Barack Obama évoque le pouvoir de la science en bien comme en mal. Il appelle à une coopération paisible entre les nations. « Et peut-être par dessus tout, nous devons réimaginer notre relation les uns avec les autres comme membres de notre unique humanité » (p 349).

« Oui, nous avons besoin d’une évolution sociale et morale très rapide ». Mais où commencer ? « Une manière pratique de commencer est d’ancrer le plus de gens possible dans des communautés saines. Au delà des lois, de la police, de la justice, il n’y a pas de meilleure source de mesure qu’une forte communauté. Les africains ont forgé cette phrase : « On a besoin de tout un village pour élever un enfant ». Les communautés créent un sens d’appartenance qui engendre la confiance sous-jacente à la règle d’or et aussi les contrôles invisibles qui s’imposent à ceux qui veulent franchir les lignes rouges » (p 349) . L’auteur cite le film « The Martian » (Le Martien) qui met en valeur un geste de solidarité internationale. Si dans ce monde, il y a une stratégie pour vivre et prospérer, « c’est de construire des interdépendances saines, profondes et durables ». Et il y a aussi un obstacle : c’est « notre caractère tribal ». « Là est le défi et le besoin pour une innovation morale. Dans un monde bien plus interdépendant, nous avons besoin de redéfinir la tribu, c’est à dire d’élargir la notion de communauté, précisément comme le président Obama l’a plaidé dans son discours d’Hiroshima. « Ce qui fait notre espèce unique, c’est que nous ne sommes pas liés à un  code génétique pour répéter les histoires du passé. Nous pouvons apprendre. Nous pouvons choisir. Nous pouvons raconter à nos enfants une histoire différente, une histoire qui décrit notre humanité commune » (p 392).

L’homme est un être social. Dans nos sociétés occidentales, l’isolement est bien trop répandu. L’auteur rapporte un entretien avec une autorité médicale américaine. « La plus grande maladie aux Etats-Unis aujourd’hui, ce n’est pas le cancer, ce n’est pas la maladie de cœur. C’est l’isolement. Le grand isolement, c’est la plus grande pathologie » (p 450).

 

Durant son enfance, Thomas Friedman a vécu dans une communauté saine à Saint-Louis dans le Minnesota. Son livre s’achève par le récit de ce qu’il a vécu en revisitant ce lieu où il a grandi. C’est à partir de cette expérience qu’il peut nous dire l’importance d’une relation humaine dans le respect, la réciprocité, la solidarité.

 

A un moment où des poussées d’agressivité apparaissent dans le monde occidental et sont exprimées dans des formes qui contredisent  des valeurs majeures comme le respect de l’autre, il est urgent de comprendre ce qui est en question.

Or, nous savons que notre monde traverse une période de grande mutation . Nous en percevons des aspects, mais qu’en est-il plus profondément? Pour cela sans doute, faut-il comprendre au plus près, l’évolution des technologies qui ont, manifestement, un rôle moteur pour le meilleur ou pour le pire.

En 2005,  Thomas Friedman, dans son livre : « The world is flat » nous informait sur les processus qui ont abouti à l’unification du monde. Aujourd’hui, il est toujours celui qui va puiser l’information aux meilleures sources pour la partager avec nous et nous apporter à la fois sa connaissance et son expérience.

Avec lui, nous comprenons mieux ce qui se passe aujourd’hui et ce qui est en jeu. Et nous recevons d’autant plus son appel à un renouveau moral, éthique et spirituel. Il rejoint là la recherche qui se poursuit sur ce blog depuis quelques années (5).

Ce livre se lit avec passion parce qu’en nous ouvrant les yeux sur les transformations du monde, il nous ouvre aussi un chemin.

 

J H

 

(1)            Thomas Friedman. The world is flat, 2005  Mise en perspective : « La grande mutation. Les incidences de la mondialisation ». : http://www.temoins.com/la-grande-mutation-les-incidences-de-la-mondialisation/

(2)            On pourra suivre les écrits de Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times pour les affaires étrangères sur un blog : http://www.thomaslfriedman.com    Une bonne ressource pour examiner la conjoncture internationale en ces temps troublés. On y ajoutera les interviews de Thomas Friedman sur You Tube

(3)            Thomas L. Friedman. Thank you for being late. An optimist’s guide to thriving in the age of accelerations. Allen, 2016 . On trouvera sur You Tube des interviews de Thomas Friedman en video, en particulier sur ce livre : https://www.youtube.com/watch?v=DlAJJxfm9bE                     https://www.youtube.com/watch?v=DVPPRVP3oIU

(4)            Histoire culturelle de la « règle d’or » (« Golden rule ») : une très bonne mise en perspective sur wikipedia anglophone : https://en.wikipedia.org/wiki/Golden_Rule

(5)             « Quel avenir pour le monde et pour la France ? (Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible) : https://vivreetesperer.com/?p=937                                 « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance. La guérison du monde selon Frédéric Lenoir » : https://vivreetesperer.com/?p=1048     « L’ère numérique. Gilles Babinet, un guide pour entrer dans ce nouveau monde » : https://vivreetesperer.com/?p=1812                                « Comprendre la mutation de notre société requiert une vision nouvelle du monde (Jean Staune. Les Clés du futur) » https://vivreetesperer.com/?p=2373                      «      « Une philosophie de l’histoire par Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=2479                              « Une belle vie se construit sur de belles relations » : https://vivreetesperer.com/?p=2491                             « Penser à l’avenir, selon Jean Viard » : https://vivreetesperer.com/?p=2524                                        « Une vision de la liberté (Jürgen Moltman. (L’Esprit qui donne la vie) » : https://vivreetesperer.com/?p=1343

Une école où on vit en relation, c’est possible !

 

A la demande de sa grand-mère (1), à dix ans, Manon Aurenche nous communique ses observations sur l’école anglaise dans laquelle elle vient d’entrer. Comment ne pas être admiratif devant ses qualités d’observation, de réflexion, d’expression !

 

Carlton

 

Et il y bien une impression qui ressort : cette école publique municipale d’un quartier populaire de Londres, avec une population en majorité originaire du Pakistan ou du Bangladesh, la « Carlton school », est une école où on vit en relation. On peut s’y exprimer librement. La convivialité est active et encouragée. La diversité est reconnue. La condition, c’est le respect de l’autre. La caractéristique, c’est un climat de confiance.

 

Manon note :

 

« L’ambiance anglaise est très différente, car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours ».

 

« La maîtresse est tout le temps positive, très attentive aux problèmes des enfants et elle explique très bien ».

 

« On a, de temps en temps, des réunions de classe pour parler d’un thème, en particulier comme l’amitié ou : c’est quoi une bonne relation ? ».

 

« « La Rainbow Room (la salle Arc en Ciel) sert à calmer les enfants et à les faire s’expliquer en racontant chacun (e) leur vision du problème. Puis ils demandent à des enfants témoins de donner leur avis… ».

 

« A l’école, il y a des assemblées (assembly », c’est à dire des moments où toute l’école est réunie. Elles sont différentes à chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante. Une autre fois, sur le thème du harcèlement… »

 

Quand un enfant peut ainsi être reconnu, s’exprimer, participer, vivre en bonne entente, il peut être heureux. « J’aime beaucoup mon école anglaise », écrit Manon. « Elle et géniale ».

 

Depuis des décennies, le courant de l’éducation nouvelle œuvre pour promouvoir une école où l’on puisse apprendre dans un climat de confiance, de partage et d’entraide (2). Cette éducation est fondée sur des valeurs. Celles-ci sont inégalement actives dans les différentes sociétés, et parfois on doit avancer à contre-courant.

L’école anglaise, fréquentée par Manon, n’est pas, en soi, une « école nouvelle » . C’est une école publique d’un quartier populaire de Londres, mais elle  participe à la même approche. Les cultures nationales sont différentes (3), mais, en France, de plus en plus de parents désirent que leurs enfants puissent apprendre dans une ambiance conviviale et créative. (4).

Bref, du bonheur à l’école. Ce témoignage tout simple de Manon nous dit : Oui, c’est possible !

 

J H

 

(1)            Merci à Blandine Aurenche. Bibliothécaire, Blandine Aurenche a publié un article sur ce blog : « Susciter un climat de convivialité et de partage » : https://vivreetesperer.com/?p=1542

(2)            « Et si nous éduquions nos enfants à la joie. Pour un printemps de l’éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872                                 « Pour une éducation nouvelle, vague après vague » : https://vivreetesperer.com/?p=2497

(3)            En France, « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306         Dans certains pays, l’enseignement public a muté vers  une approche conviviale et créative. C’est le cas en Finlande comme l’expose « le film : Demain » : https://vivreetesperer.com/?p=2422

(4)            Ce  désir des parents s’expriment par exemple dans le développement rapide des écoles Montessori en France.

 

Manon à l’école anglaise

Je m’appelle Manon, j’ai 10 ans. J’ai déménagé à Londres en septembre avec ma famille. Je suis à l’école Anglaise de mon quartier. L’école Anglaise est assez différente de l’école Française dans son organisation et pour plein d’autres choses encore…

 

L’ambiance en classe est très différente car on a le droit de se lever et de parler pour discuter du travail en cours. De plus, si on n’y arrive vraiment pas on peut aller au bureau de la maîtresse et elle vient à notre table, elle nous aide et nous écoute pour voir ce que l’on a compris et regarde sur quoi nous bloquons. En Angleterre, les enfants sont plus attentifs car ils décident de leurs propres règles de classe, tout en respectant celles de l’école qui sont les mêmes pour toutes les classes. Bon, on doit quand même souvent se mettre en ligne sans parler. Pour le silence, il y a un signal : la maîtresse lève la main en l’air et tape 3 tape trois fois dans les mains et tous les enfants répètent après elle. La politesse est aussi très importante.

 

Ma maîtresse s’appelle Tina, elle a les cheveux violet/rose. Ma prof de sport s’appelle Sharon, elle a plein de tatouages et de piercings. Tout ça pour vous dire qu’à Londres le style n’a pas d’importance ! Nous, par contre, nous sommes tous en uniformes. Contrairement à la France, certaines filles musulmanes portent le voile.

 

Mais revenons à ma maîtresse ! Je sais qu’elle est allemande car elle m’a dit qu’elle aussi était arrivée à 14 ans en Angleterre sans savoir parler anglais. Elle est tout le temps positive, très attentive aux problèmes des enfants et elle explique très bien. Les maîtresses ne sont PAS SEULES dans la classe, elles ont des aides (Teacher Assistants) pour certains élèves qui ont besoin d’une aide vraiment spéciale et d’autres pour le reste de la classe. Donc, dans ma classe, il y a parfois 5 personnes en plus de la maîtresse ! On a de temps en temps des réunions de classe pour parler d’un thème en particulier comme « l’amitié ou c’est quoi une bonne relation ? ». Et puis, on peut comme cela travailler souvent en petits groupes !

 

Pour régler les problèmes dans la cour, les Teacher Assistants envoient les enfants dans une salle qui s’appelle la Rainbow Room (la salle arc-en-ciel). C’est une salle qui sert à calmer les enfants et les faire s’expliquer en racontant chacun(e) leur version du problème. Puis ils demandent à des enfants témoins de donner leur avis. Le problème est vite réglé. Ceux qui se sont mal comportés comprennent pourquoi car on leur explique et les autres sont contents d’être écoutés.

 

A l’école, il y a des assemblées (Assembly) c’est à dire des moments où toute l’école est réunie dans une même salle. Elles sont différentes à chaque fois. Par exemple, il y en a sur le chant dans lesquelles on chante… Une autre fois sur le thème du harcèlement. Elles servent aussi à célébrer les Goldens Stars tous les vendredi. Les Goldens Stars sont les élèves de la semaine qui sont récompensés car ils ont bien travaillé ou qu’ils se sont bien comportés en classe. Les assemblées apprennent aux enfants à prendre la parole en public mais c’est très impressionnant quand on ne parle pas encore anglais !

 

On commence l’école à 8H45 et on fini à 15H30 tous les jours même le mercredi et on a moins de vacances MALHEUREUSEMENT ! Mais ce qui est super c’est qu’après l’école on peut rester pour faire des afterschools : coding club, musique (j’ai pu commencer la guitare et jouer devant toute l’école à la fête de Noël), football, netball, mandarin, science, cours de cuisine en famille, art, girl’s sport, piscine, etc…

 

Bref, même si mes copines de France me manquent beaucoup et que je suis pressée de parler Anglais, j’aime beaucoup mon école anglaise, elle est géniale !

 

Manon Aurenche

Janvier 2017