Un témoignage de Jürgen Moltmann

 

Parce que nous croyons que le principe de la vie, c’est l’amour comme le cœur de ce que nous vivons et de ce à quoi nous sommes appelés, tel que Jésus l’exprime en une parole magistrale (Mat 22.37-40), nous entrons pleinement dans une conception d’un univers prédisposé à la relation, un univers où tout se tient, où tout se relie et interagit, un univers où nous sommes appelé à rejeter tout ce qui sépare : les exclusions, les égocentrismes, la dissolution des liens. Oui, la spiritualité est bien « une conscience relationnelle » (1). Nous croyons que cette relation ne s’arrête pas au monde présent, mais qu’en Dieu, communion d’amour,  les êtres humains ne « disparaissent » pas corps et bien. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, on peut évoquer « une communion des vivants et des morts » (2) qui s’inscrit dans le mouvement où Dieu prépare en Christ ressuscité une nouvelle création, un monde dans lequel Il sera « tout en tous » (1 Corinthiens 15.28) .

 

Dans une autobiographie qui relate les étapes de son oeuvre théologique (3), Jürgen Moltmann a écrit une page émouvante qui décrit la nouvelle forme de la relation avec son père après la mort de celui-ci. Cette expérience, vécue dans une profonde humanité, et éclairée par la foi, est, pour nous, une lumière qui peut nous éclairer dans des passages de deuil. C’est pourquoi, nous en partageons ici quelques extraits (4). En 1982, âgé de 85 ans, le père de Jürgen est mort brusquement d’une crise cardiaque. Jürgen Moltmann nous rapporte ce qu’il a écrit dans les semaines qui ont suivi ce départ :

« Père, où es-tu ? Jusqu’ici, cela allait de soi. Je savais que tu étais à Hambourg assis à ton bureau… Je savais que tu devenais plus âgé, plus faible. Mais tu étais toujours là, fiable et toujours attentif : mon père.  Maintenant, je ne peux plus te trouver, mais tu ne t’es pas évanoui. Tu n’as pas disparu. Tu es plus présent que jamais pour moi. Tu as échappé aux limitations de l’espace et du temps. Quand je pense à toi, je ne te vois pas seulement comme tu as été dans ta vieillesse, mais aussi comme tu étais au sommet de ta force, comme tu étais quand j’étais un petit enfant et que, juché sur tes épaules, je cachais mes yeux avec mes mains, et aussi, quand tu étais jeune homme et qu’à l’âge de 17 ans, tu es parti à la guerre en 1914… Je t’entends, je te vois, je sens ta proximité. Es-tu parti ainsi pour que tu puisses venir à moi de cette manière. Tu est mort corporellement pour être présent à nous dans l’esprit »…. « C’est le miracle de la transformation des morts que j’ai expérimenté après la mort de mon père avec toute cette intensité ». Moltmann poursuit ensuite sa méditation dans une réflexion théologique : « Les morts ne sont pas « morts », très loin de nous, dépourvus de sens pour nous si bien que nous puissions les oublier rapidement. Ils sont à côté de nous et en nous, et notre vie est en dialogue continuel avec eux. Nous vivons dans leur passé qui est maintenant présent et ils existent dans notre présent. Nous vivons avec ce que les morts nous doivent et ce que nous leur devons… ». Jürgen nous parle aussi de sa mère : « Dans le cas de ma mère, je n’ai pas eu de problème avec sa mort :  Comme si c’était une évidence, elle était et elle est présente à moi dans tout ce que fais et que j’expérimente dans le registre d’une confiance fondamentale ».

 

Bien sûr, les ressentis personnels sont différents selon chacun. C’est là une expérience intime et toute personnelle. Elle peut être interprétée dans le contexte de la pensée théologique de Moltmann. Ainsi a-t-il beaucoup écrit à ce sujet. On pourra accéder facilement à son approche à travers le livre : « De commencements en recommencements » (2). « Plus nous nous approchons du Christ, plus les morts nous sont proches. Dans les cultes qui se tiennent dans les communautés ecclésiales en Amérique latine, on appelle souvent le nom des « disparus », de ceux qui ont été assassinés par la dictature militaire, et la communauté répond : « Présent » Ils n’ont pas disparu. Ils ne sont pas morts. Ils sont présents en Christ et parmi nous ». (p 164).

 

Bien entendu, au moment de leur départ, les personnes décédées peuvent éveiller des sentiments divers. Jürgen Moltmann exprime là avec émotion, une affection paisible, qui, dans le contexte  de sa pensée théologique, permet d’aller au delà.

Voici une précieuse ressource pour ceux qui s’interrogent sur le sens de l’existence.

 

J H

 

(1)            « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/all-pages.html

(2)            Moltmann  (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012  (Chapitre : la communion des vivants et des morts : p 159-167). Sur ce blog : présentation de l’ouvrage : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

(3)            Moltmann (Jürgen). A broad place. An autobiography. SCM Press, 2007. Mise en perspective sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)            Les extraits concernant l’expérience de Jürgen Moltmann dans la poursuite de la relation avec son père, sont empruntés au chapitre : « My parents die » (p 321-323)

 

Sur ce blog, voir aussi :

« Sur la terre comme au ciel » : https://vivreetesperer.com/?p=338

« Une vie qui ne disparaît pas » :

https://vivreetesperer.com/?p=336

« Une théologie pour la vie » :

Une théologie pour la vie

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