Une nouvelle manière de croire

Selon Diana Butler Bass dans son livre : « Grounded »

 

Beaucoup de gens s’éloignent des églises classiques et entrent en recherche. Est-ce à dire qu’on croit de moins en moins ou bien la foi change-t-elle de forme ? On peut observer ce mouvement dans la plupart des pays occidentaux. Et les Etats-Unis, longtemps caractérisés par une forte pratique religieuse, commencent à participer à cette évolution. C’est une question qui nous intéresse tous à titre collectif, mais aussi à titre personnel. Diana Butler Bass, historienne et théologienne américaine, nous apporte une réponse dans son livre : « Grounded. God in the world. A spiritual revolution » (1). Dans un précédent article, nous avons présenté cet ouvrage en terme de convergence entre la pensée de Diana Butler Bass et celle de Jürgen Moltmann, un grand théologien innovant (2). Nous envisageons ici plus particulièrement comment Diana Butler Bass perçoit un changement dans la manière de croire. Mais rappelons d’abord la démarche de cet ouvrage (3).

 

« Chaque année, davantage d’américains laissent derrière eux la religion organisée : les gens se désaffilient et comme la nation devient de plus en plus diverse religieusement (4). Diana Butler Bass, éminente commentatrice dans le champ de la religion et de la culture, poursuit son livre fort apprécié : « Christianity after religion » (5) en argumentant que ce qui apparaît comme un déclin indique en réalité une transformation majeure dans la manière où les gens se représentent Dieu et en font l’expérience. Du Dieu distant de la religion conventionnelle, on passe à un sens plus intime du sacré qui emplit le monde. Ce mouvement, d’un Dieu vertical à un Dieu qui s’inscrit dans la nature et dans la communauté humaine, est au cœur de la révolution spirituelle qui nous environne, et cela interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales. « Grounded » explore ce nouvel environnement culturel comme Diana Butler Bass nous révèle ici la manière dont les gens trouvent un nouvel environnement spirituel (« new spiritual ground ») dans un Dieu qui réside avec nous dans le monde : dans le sol, l’eau, le ciel, dans nos maisons et nos voisinages et dans nos espaces communs. Les gens se connectent avec Dieu dans l’environnement dans lequel nous vivons ». Avec Diana, entrons dans son livre à travers son introduction. « Ce dont nous avons besoin est là », nous propose-t-elle à travers une citation de Wendell Berry (p 1).

 

Où est Dieu ?

« Où est Dieu ? » est une des questions les plus importantes de tous les temps. Les gens croient, mais ils croient différemment de la manière dont ils ont cru. Le sol de la théologie est en mouvement. Une révolution spirituelle est en route ».

Diana Butler Bass évoque un univers religieux qui lui paraît appartenir au passé. « Il n’y a pas longtemps, les croyants affirmaient que Dieu résidait au Ciel, un endroit lointain où les fidèles trouveraient une récompense éternelle. Nous occupions un univers à trois étages avec au dessus le Ciel où Dieu vivait, le monde au dessous où nous vivions, et un monde des bas-fonds (« underworld ») où nous redoutions de pouvoir aller après la mort. L’Eglise intervenait comme médiatrice entre le ciel et la terre, agissant comme une espèce d’ascenseur céleste où Dieu envoyait des directives divines, et, si nous obéissions à ses directives, nous pouvions monter éventuellement vivre au Ciel pour toujours et éviter les terreurs d’en bas » (p 4). Cet ordre à trois étages a vacillé au siècle dernier. Et puis, il est apparu de plus en plus évident que nous ne pouvions plus revivre cette représentation de Dieu dans une société qui n’existait plus. « Le théisme conventionnel est au cœur du fondamentalisme et correspond à cet univers à trois étages » ( p 6).

Mais nous savons aujourd’hui que l’enfer existe sur terre. Et pourquoi pas le paradis ? Diana Butler Bass évoque une fusillade tragique dans une école américaine. Cet épisode tragique a suscité beaucoup de questions existentielles. « La réponse la plus répétée et apparemment la plus réconfortante était que Dieu était « avec les victimes ». Dieu « avec » les victimes ? « Avec nous ? ».

Aujourd’hui, nous vivons une époque tragique d’anxiété et de peur. Où est Dieu ? L’image ancienne de Dieu ne répond plus à nos questions. On observe une montée de l’incroyance. « Pourtant, tandis que certains ont conclu que les hommes sont seuls, d’autres regardent aux mêmes évènements et suggèrent une possibilité spirituelle bien différente : « Dieu est avec nous ». En regard de tous ces malheurs, Diana Butler Bass évoque la réponse de Bonhoeffer : « Seul un Dieu souffrant peut aider ». « Dieu est avec nous, dans et à travers ces terribles évènements » ( p 8). Un chercheur juif : Abraham Heschel voyait en Dieu : « Celui qui aime le monde profondément, ressent ce que vit sa création et participe à sa vie ». « Cela signifie naturellement que Dieu est avec nous non seulement dans les temps de misère et d’angoisse. Dieu est avec nous au milieu de notre joie et dans les expériences les plus séculières de la vie… Depuis les années où Heschel écrivait, un langage culturel de la proximité divine est venu nous entourer : on peut trouver Dieu au bord de la mer, dans un coucher de soleil, dans le jardin que nous plantons, dans les histoires qui nous réjouissent, dans la bonne nourriture, dans la convivialité… » (p 9). Ainsi, « si certains adorent Dieu dans une distante majesté et si d’autres rejettent l’existence divine, des millions de nos contemporains font l’expérience de Dieu d’une manière beaucoup plus personnelle et accessible que jamais auparavant » (p 9). Et ce changement intervient dans le monde entier, sur toute la planète. « Dieu est accessible sans médiation, local, animant le monde naturel et l’activité humaine dans des modes profondément intimes. De fait, cela a toujours été la voie des mystiques. Mais maintenant, ce mode personnel, mystique, immédiat et intime émerge comme une voie majeure pour notre relation avec le divin » (p 9).

Ce changement profond dans la manière de concevoir la relation avec Dieu interpelle les églises et les religions. « Les institutions religieuses servaient de structures médiatrices entre ce qui était saint et ce qui était séculier. Les questions recherchant des information sur le « qui ? » et le « quoi ? » avec demande d’une réponse d’autorité, sont remplacées par des questions relatives à des questions existentielles et ouvertes relatives au « où ? » et au « comment ? ». Non seulement les questions ont changé, mais la manière dont nous les posons a changé. Nous ne vivons plus isolés par des barrières d’ethnicité, de race et de religion. Nous sommes connectés dans une communauté globale.

Nous cherchons des réponses dans internet. Nous posons des questions à nos voisins bouddhistes ou hindous. Nous ouvrons nos textes saints et les textes des autres. Nous écoutons les prédicateurs des religions du monde… Ce mouvement dans la conscience religieuse est un phénomène mondial, une sorte de toile spirituelle dans laquelle nous nous inscrivons… » ( p 10). Quelque soient les résistances des incroyants, ce changement est un réenchantement du monde, une révolution spirituelle d’une étonnante ampleur. Et ce changement est en cours aujourd’hui dans de nombreuses cultures.

 

Dieu avec (dans) le monde

 Comme beaucoup d’autres, raconte Diana, j’ai été formée dans une théologie verticale : « Dieu existe loin du monde et fait une faveur à l’humanité en s’en rapprochant. Les prédications déclaraient que la sainteté de Dieu nous était étrangère et que le péché nous séparait de Dieu » (p 12). Cependant, Diana a vécu des expériences qui impliquaient une vision différente. Ainsi, raconte-t-elle une expérience vécue dans sa toute petite enfance. Et elle nous rapporte d’autres expériences très diverses. Plus jeune, elle n’osait pas en parler dans son église, mais maintenant, elle sait que ce ne sont pas des expériences rares ou extraordinaires. Il y a aujourd’hui toute une littérature relative à l’expérience spirituelle depuis les comptes rendus d’expériences proches de la mort jusqu’à de profondes rencontres en rapport avec la nature, le service aux autres ou une émotion artistique. « La moitié des américains adultes, dont même quelques uns qui se déclarent athées ou non croyants, rapportent avoir eu une telle expérience au moins une fois dans leur vie » ( p 13).

« Nous voilà conduits vers une théologie alternative mettant l’accent sur la connexion et sur l’intimité. Dans la tradition chrétienne, Jésus parle ce langage quand il proclame : «  Le Père et moi, nous sommes un » (Jean 16.30) et quand il souffle sur les disciples en leur envoyant le Saint Esprit ( Jean 20.22). C’est le témoignage de l’apôtre Paul au sujet de sa rencontre mystique avec Christ. Quand la Bible est lue dans la perspective de la proximité divine, il devient clair que la plupart des prophètes, des poètes et des prédicateurs sont particulièrement en porte à faux (« worried ») avec les institutions et les pratiques religieuses qui perpétuent le fossé entre Dieu et l’humanité. La narration biblique est celle d’un Dieu qui s’approche, poussé par un désir pressant d’amener le ciel sur la terre et de remplir les cœurs humains » (p 13). Cette expérience d’intimité spirituelle apparait également dans d’autres religions. Aujourd’hui, les institutions et les philosophies de haut en bas s’affaiblissent et cela concerne également les religions. « Les gens mènent leur propre révolution théologique et découvrent que l’Esprit est bien plus avec le monde que l’on nous l’avait précédemment enseigné » ( p 15). « Il y a une conscience de plus en plus répandue que Dieu est avec nous au sein de la création, de la culture et du cosmos… Ce changement de ton apparaît dans les prédications de personnalités bien connues comme Desmond Tutu, le Dalaï Lama et le pape  François.. ».

Diana Butler Bass est historienne. On peut donc l’entendre lorsqu’elle écrit : « Le fait le plus significatif dans l’histoire des religions  aujourd’hui n’est pas le déclin de la religion occidentale, le rejet des institutions religieuses ou ma montée de l’extrémisme religieux, c’est un changement dans la représentation de Dieu, une renaissance de la foi montant des profondeurs » (p 16).

 

Une révolution spirituelle

« Le Dieu conventionnel existait en dehors de l’espace et du temps, un être qui vivait aux cieux sans être affecté par les limites humaines. Ainsi la théologie occidentale a développé un langage que les théologiens appellent les « omnis » : Dieu est omnipotent, omniprésent, omniscient, tout puissant… Mais aujourd’hui, Dieu est de  plus en plus perçu comme un Dieu en relation avec l’espace et le temps, comme un Dieu qui connecte et crée toute chose… les « omnis » ne parviennent pas à décrire cela. A la place, nous pouvons penser à Dieu en terme d’ « inter », le fil spirituel entre l’espace et le temps, « intra «  à l’intérieur de l’espace et du temps et « infra » qui tient l’espace et le temps. Dieu n’est pas au dessus et au delà, mais intégralement dans l’ensemble de sa création, entrelacé avec l’écologie sacrée de l’univers » ( p 25).

La révolution spirituelle concerne à la fois Dieu et le monde. Elle concerne Dieu, mais elle ne l’aborde pas comme un extra-terrestre. Elle concerne le monde, mais elle n’engendre pas la sécularisation. C’est une révolution au milieu du terrain (« middle ground revolution ») dans laquelle des millions de gens naviguent dans un espace entre le théisme conventionnel et un monde sécularisé. Ils tracent un chemin qui enveloppe le séculier et le sacré en trouvant un Dieu qui est « un mystère  gracieux toujours plus grand, toujours plus près, à travers une conscience nouvelle de la terre et dans la vie de leurs prochains » (p 25-26). Cette révolution repose sur une vision. « Dieu est le sol sur lequel nous nous fondons et qui nous fonde (« God is the ground, the grounding which ground us »). Nous en faisons l’expérience lorsque nous comprenons que le sol est sacré, que l’eau donne la vie, que le ciel ouvre l’imagination, que nos racines importent, que notre foyer est un lieu divin et que nos vies sont liées à celles de nos voisins et avec celles de tous le humains autour du monde » ( p 26).

Ainsi, c’est à un changement de regard que nous invite Diane Butler Bass et que tout son livre illustre par la suite. « Grounded guide les lecteurs à travers notre habitat spirituel contemporain en portant attention aux manières selon lesquelles les gens font l’expérience d’un Dieu qui anime la création et la communauté ».

Elle nous présente également une analyse des changements en cours dans les pratiques religieuses et spirituelles. Sa description de l’univers traditionnel est percutante. On pourrait dire cependant qu’au XXè siècle, des formes nouvelles faisant place à l’expérience étaient déjà apparues. Elle ne s’attarde pas au déclin des églises classiques ou au progrès de l’agnosticisme, mais elle en recherche les causes et elle met en évidence la montée d’un spiritualité nouvelle. En d’autres lieux et selon d’autres problématiques, certains pourront contester l’amplitude et la durée de ce changement. Mais l’analyse de Diana Butler Bass s’appuie sur une culture historique et sur une collecte d’informations bien au delà des Etats-Unis. Et sur le plan théologique, sa vision d’un Dieu proche dont on peut reconnaître la présence, peut trouver appui dans l’œuvre de théologiens auprès desquels nous cherchons un éclairage, Richard Rohr (6) et tout particulièrement Jürgen Moltmann (7).

J H

 

 

Voir aussi :

Dieu vivant : rencontrer une présence. Selon Bertrand Vergely : prier, une philosophie : https://vivreetesperer.com/?p=2767

Dynamique culturelle dans un monde globalisé. (Raphaël Liogier. La guerre des civilisations n’aura pas lieu) : https://vivreetesperer.com/?p=2296

La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir : https://vivreetesperer.com/?p=1048

Etre en attention

Chrétienne, épouse, maman, fille, sœur, ami(e)s… en relation.

A  travers la vie, un réseau qui se construit.  Mes occasions de relation : fêtes de famille, fêtes chrétiennes, vie quotidienne, loisirs, réseaux sociaux…Des liens d’amitié, coups de cœur humains qui perdurent depuis la jeunesse jusqu’à maintenant.

Le lien humain, c’est comme une structure intérieure qui nous tient en éveil, en essence, à la vie. Le lien peut être fluctuant et changeant. Mais si le lien est tangible, il perdure avec une communication sous-jacente ou explicite. Un bonheur qui peut se traduire par la rencontre d’une personne qu’on n’a pas vu depuis des années. On en arrive à se dire que l’on est reconnue, que l’on reconnaît autrui dans un lien complice et aimant. Le lien a perduré. Quel bonheur !

Au quotidien, bon nombre de personnes que je porte en moi me donne le dynamisme pour aller toujours plus de l’avant. Dans ce dynamisme, je trouve la motivation pour être en partage et en soutien avec l’Ami auquel je souhaite une foule de sentiments positifs.

L’intuition que l’on peut avoir nous donne souvent les clefs pour être en lien, en partage à distance. Un exemple : recevoir un appel téléphonique alors que l’on pense justement à la personne en question.

Effectivement une sensibilité accrue confirme souvent ce genre de réalité. Mon entourage me l’exprime souvent avec amour

J’envisage l’existence essentiellement en étant en attention avec les gens, le monde et ce qui m’environne.

H L

Reconnaître et vivre la présence d’un Dieu relationnel

 

indexExtraits du livre de Richard Rohr : The divine dance

Dans un article précédent (1), nous avons présenté le livre de Richard Rohr : « The divine dance. The Trinity and your transformation ». (La danse divine. Dieu trinitaire et votre transformation). Il nous parle d’un Dieu qui est communion d’amour et présence relationnelle. De nombreux commentateurs convergent  pour voir dans ce livre, un ouvrage original qui ouvre un nouvel horizon.

En attendant une traduction de ce livre en français, en voici quelques extraits dans une traduction en français qui ne relève pas d’une compétence professionnelle, mais qui s’efforce de rapporter une pensée vive et profonde.

Ces extraits suscitent notre réflexion. Ils nous questionnent et ils nous interpellent. Ils éveillent notre méditation. Ils nous invitent à lire le livre de Richard Rohr pour poursuivre notre découverte et notre recherche.

 

La présence unifiante de Dieu est déjà là

Au cœur de l’expérience spirituelle, «  accepter que nous sommes acceptés et vivre en conséquence ».

Mais tant d’obstacles au sein même de l’univers religieux : «  Nous vivons dans l’autoaccusation…. nous sommes convaincus que nous sommes indignes… nous avons été tellement anesthésiés à la bonne nouvelle de l’Evangile que la question de notre union à Dieu a été résolue une fois pour toute »… Il y a aussi la résistance d’un ego et d’une autosuffisance.

Mais la grâce est là. « Vous ne pouvez pas créer votre union à Dieu. Elle vous est déjà donnée. La différence n’est pas entre ceux qui sont unis à Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis à Dieu, mais seulement certains d’entre nous le savent ».

(p 109)

Une vie bonne, c’est une vie en relation

Lorsqu’une personne est séparée, isolée, seule, la maladie menace.

« La voie de Jésus, c’est une invitation à une vision trinitaire de la vie, de l’amour, et de la relation sur la terre comme au sein de la Divinité. Comme la Trinité, notre nature, c’est de vivre en pleine relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour et, en dehors de cela, nous mourons très rapidement ».

« Dieu est entièrement relation », nous dit Richard Rohr. « Je décrirai le salut comme étant simplement le désir et la capacité d’être en relation »

(p 46-47)

 

Etre ensemble

Richard Rohr nous rapporte une affirmation qui est présente dans les quatre évangiles à la fois : « Quiconque vous accueille m’accueille, et quiconque m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé »  (1).

« Si vous avez grandi dans le christianisme, vous avez entendu souvent ce verset. Mais vous êtes vous arrêtè pour réfléchir à ce qui  vraiment arrivait là ? Jésus dit qu’il y a une équivalence morale entre vous, votre prochain, le Christ et Dieu. C’est une chaine étonnante entre les êtres qui n’est pas évidente pour un observateur occasionnel.

Cette nouvelle ontologie, cette nouvelle manière de parcourir la réalité, est le cœur et le fondement de toute la révélation, de toute la révolution chrétienne. Cela vient profondément remodeler notre compréhension de qui Dieu est et ou il se trouve. Et aussi de qui nous sommes et où nous sommes.

Est-ce que vous allez recevoir cette vision ? Dieu n’est pas là bas à l’extérieur, ce que la religion a envisagé depuis le début. On doit se demander : quelle est l’expérience nouvelle qui a permis à tous les quatre évangiles de parler d’une manière si peu conforme et cependant si assurée ? ».

(1) Matthieu 10.40 Marc 9.37 Luc 10.16 Jean 13.20

(p 164)

 

Reconnaître le champ de la force divine.

« Comme nous accordons nos cœurs à une vision plus vaste, nous commençons à faire l’expérience de Dieu presque comme un champ de force pour emprunter une métaphore à la physique…. Et nous sommes tous déjà dans ce champ de force, que nous le sachions ou pas, de la même façon que des hindous, des bouddhistes, des gens de toute race et de toute nationalité . Dieu ne commence pas et ne s’arrête pas à une frontière.

Quand vous vous ouvrez au flux de la réalité fondamentale à travers votre vie, vous êtes une personne universelle qui vit au delà de ces frontières que les êtres humains aiment créer. Paul l’exprime joliment : «  Notre citoyenneté est dans les cieux ».

En devenant plus âgé, je suis devenu prêt quotidiennement à accepter et à faire confiance au champ de force en sachant qu’il est bon, qu’il est totalement de notre côté et que je suis déjà à l’intérieur. Comment pourrions-nous être en paix autrement ?

C’est seulement dans cette acceptation et cette confiance de base que je puis cesser de me polariser sur telle ou telle chose dans mon mental ou même de me créer des problèmes mentaux.

( p 111)

 

A l’encontre d’un pouvoir dominateur, une puissance partagée

  « La Trinité nous dit que le pouvoir de Dieu n’est pas domination, menace, coercition. A la place, il est d’une nature totalement différente, ce à quoi les disciples de Jésus ne se sont pas encore ajustés. Si le Père ne domine pas le Fils,, si le Fils ne domine pas le Saint Esprit et si l’Esprit ne domine pas le Père et le Fils, alors, il n’y a pas de domination en Dieu. Toute puissance divine est une puissance partagée, ce qui devrait avoir complètement changé la politique et la relation chrétienne. Dans la Trinité, il n’y a pas de recherche de pouvoir sur,  mais seulement un pouvoir avec,  un don sans retenue, un partage, un lâcher prise et, ainsi, une confiance et une réciprocité infinie. Il y a là une puissance pour changer nos relations dans le mariage, la culture et même les relations internationales… »

(p 95-96)

 

Trois

« Il faut une personne pour être un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. Et il faut au moins trois personnes pour faire une communautéTrois (« trey ») crée la possibilité pour les gens d’aller au delà de leur intérêt personnel. C’est le commencement d’un sens du bien commun, d’un projet commun au delà de ce qui correspond aux intérêts personnels. Trois crée de la stabilité et de la sécurité qui est essentielle pour une communauté.

Parce que la réalité ultime de l’univers révélée dans la Trinité est une communauté de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est le seul moyen possible pour les gens de se relier les uns aux autres avec l’individualité de chacun, la réciprocité de deux, la stabilité, objectivité et subjectivité de trois »   (d’après Dave Andrews)

(p 101)

 

Une confiance naturelle à l’exemple de l’enfant

« Tournons-nous vers l’exemple de l’enfant pour réaliser la vertu naturelle de l’espérance. Les experts en marketing nous disent que les enfants (et les chiens) sont encore plus efficaces que le sexe dans la publicité. Pourquoi ? Parce que les enfants et les chiens sont encore remplis par une espérance naturelle et l’attente qu’on répondra à leur sourire. Ils tendent à établir un contact direct à travers leur regard… C’est l’être pur, c’est le flux sans inhibition.

C’est pourquoi Jésus nous a dit d’être comme des enfants. Il n’y a rien qui arrête le pur flux qui s’exprime dans un enfant ou dans un chien. Et c’est pourquoi quiconque a une once d’humanité et d’amour en lui est sans défense vis à vis d’une telle présence »

C’est une évocation de la présence de Dieu. « Nous voyons dans ce flux toute attirance pour la beauté, toute admiration, toute extase,  toute la solidarité avec la souffrance. Quiconque qui s’ouvre pleinement au flux verra l’image divine même dans des lieux qui sont devenus laids ou défaits. C’est la vision universelle de la Trinité »

( p 81-82)

 

Tous solidaires

« Nous ne pouvons séparer Jésus du Dieu trinitaire. Cependant, le pratiquant moyen n’a jamais eu la chance d’accéder à une économie de la grâce bien plus vaste »…

Nous pensons dans une perspective de rareté. Elargissons notre horizon. L’espérance elle-même s’applique en premier au collectif. Nous avons cherché à susciter de l’espérance chez un individu isolé dans un cosmos, une société et une humanité voués à la désespérance et à la punition. Il est très difficile pour des individus de jouir de la foi, de l’espérance et de l’amour, et même de prêcher la foi, l’espérance et l’amour, qui seuls élèvent, si la société elle-même ne jouit pas de cette foi, de cette espérance et de cet amour. C’est une bonne partie de notre problème aujourd’hui. Nous n’avons pas donné au monde un message à la dimension  cosmique

Dieu, en tant que Dieu trinitaire, donne de l’espérance à la société dans son ensemble parce que cela découle de la nature même de son existence et non sur les conduites fluctuantes et instables des individus ».

(p 81)

 

Louange de la création

 Dans une œuvre créatrice, L’Esprit Saint tend à multiplier continuellement des formes toujours nouvelles de créativité et de vie. On dit que 2/3 des formes de vie existent sous les mers. Et un tiers d’entre elles n’ont jamais été entrevues par un œil humain . « Qu’est-ce qu’une forme de vie en dehors de nous pour le voir ? » peuvent s’imaginer des humains autocentrés. Leur valeur ne dépend pas de notre reconnaissance à leur sujet. Comme les psaumes le disent de nombreuses manières, « les cieux proclament la gloire de Dieu » (Psaume 19.1).

De fait, la grande majorité des animaux et des fleurs qui ont existé, n’ont jamais été observés par l’œil humain. Ils forment le cercle universel de la louange. Simplement en existant, en ne faisant rien, toute chose rend grâce à Dieu. Toute chose. En existant, simplement en existant. C’est le fondement. Si vous désirez être un contemplatif, c’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Toute chose, en étant elle-même, donne pure gloire à Dieu…. »

Richard Rohr cite ensuite une écrivaine appréciée : Annie Dillard. « Nous sommes là pour témoigner de la création et pour l’encourager. Nous sommes là pour remarquer chaque chose de telle manière à ce que chaque chose se trouve remarquée. Ensemble nous remarquons chaque ombre d’une montagne,  chaque pierre sur la plage, mais tout particulièrement, les beaux visages et natures complexes des uns et des autres…Autrement, la création serait en train de jouer dans une maison vide ».

(p 187-188)

 

L’Ecriture en mouvement

« L’Ecriture est à la fois pleinement humaine et pleinement divine. Elle est toujours écrite par des humains dans une perspective humaine. Nous l’appelons « Parole de Dieu », mais la seule « Parole de Dieu » endossée sans équivoque dans les pages de la Bible, c’est Jésus, le Logos éternel.

Dans mon livre : « Des choses cachées. L’Ecriture comme spiritualité », j’ai décrit la Bible comme une progression graduelle allant de l’avant. Le narratif est en mouvement vers une théologie toujours plus développée de la grâce, jusqu’à ce que Jésus devienne la grâce personnifiée. Mais c’est un concept que le psychisme humain n’est jamais complètement prêt à accepter. Nous résistons et vous verrez aussi dans la majorité des textes bibliques ce que l’anthropologue René Girard appelle « un texte en travail », un texte souffrant….

C’est encore vrai dans le Nouveau Testament, où même les déclarations de Jean sur l’amour inconditionnel sont encore accompagnées de lignes qui semblent impliquer un amour conditionnel, ainsi : « Si vous obéissez à mes commandements » est formulé à plusieurs reprises…Psychologiquement, les humains ont réellement encore besoin de quelque amour conditionnel pour aller vers la reconnaissance et le besoin d’un amour inconditionnel.  Nous avons reçu la promesse d’un plein amour (grâce) ici et maintenant, mais c’est toujours trop à croire pour l’esprit et pour le cœur….

Le texte biblique reflète à la fois la croissance et la résistance de l’âme. L’Ecriture est une symphonie polyphonique,  une conversation avec elle-même où elle joue des mélodies et des dissonances, trois pas en avant, deux pas en arrière. Progressivement et finalement, les trois pas l’emporteront. Le texte se déplace inexorablement vers l’inclusivité, la grâce, l’amour inconditionnel et le pardon. J’appelle cela « l’herméneutique de Jésus ». Interprétez les Ecritures de la manière dont Jésus l’a fait. Il ignore, dénie ou s’oppose ouvertement à ses propres Ecritures, quand elles sont impérialistes, punitives, exclusivistes ou tribales. Vérifiez par vous-même…. »

( p 136-137)

 

Ouvrir notre horizon

Faut-il redouter les apports d’autres traditions religieuses ?

« Dans notre climat fortement polarisé, je sais que certains chrétiens ont appris pendant des générations à redouter tout ce qui ne vient pas « purement » de « nos » sources ». Cependant, « notre propre Ecriture  contient des exemples d’apports appréciés d ‘éléments de fois environnantes… Nous sommes peureux. Dieu, apparemment, est sans peur…Si la vérité est la vérité, si Dieu est un, alors il y a une réalité et il y a une vérité… Ne pourrait-on pas être heureux quand d’autres religions déduisent approximativement la même chose ?… »

Richard Rohr a vécu en Inde, berceau d’une tradition religieuse très ancienne. « Dans la théologie et dans le langage hindou, il y a trois qualités de Dieu et donc de toute réalité. J’ai entendu fréquemment ces mots : « sat, chit, ananda ».

Sat est le mot correspondant à l’Etre (Being). Dieu est l’Etre lui-même. L’Etre universel, la source de tout être, nous l’appelons le Père.

Chat est le mot pour conscience et connaissance. Dieu est conscience et esprit. Est-ce que cela ne rappelle pas le Logos ? Naturellement, notre concept biblique de Logos a été emprunté à la philosophie grecque. L’auteur de l’Evangile de Jean a déjà fait ce que je fais maintenant :  emprunter à une sagesse extra-biblique, extra-judaïque.

Et finalement, Ananda. Cela signifie : bonheur, béatitude. Est-ce que cela ne résonne pas comme la joie de l’Esprit Saint, le bonheur que vous pouvez expérimenter lorsque vous vivez sans résistance dans le flux. Vous ne savez pas d’où Il vient, ce que Jésus dit à propos de l’Esprit . Comme la grâce elle-même, ananda est un don qui vient de nulle part »…

Je n’ai pas à travailler dur pour reconnaître ici la dimension trinitaire :

Sat-Chit-Ananda.

Etre, connaissance, bonheur

Père, Fils, Esprit.

La vérité est une et universelle

(p 140-141)

 

S’ouvrir au mystère

« C’est seulement Dieu en nous qui comprend les choses de Dieu. Nous devons prendre cela très au sérieux et savoir comment il opère en nous, avec nous, pour nous, comme nous. L’échec dans l’accès à notre propre système de fonctionnement a rendu une part du christianisme très immature et superficiel avec des clichés de seconde main au lieu d’une expérience calme, claire et immédiate de la réalité. Cela nous a laissé du côté de l’argumentation plutôt que de l’appréciation… ainsi, tout ce qui reflète un mystère reste statique dans la forme de dogmes et de doctrines, hautement abstrait, densément métaphysique et largement non pertinent.

Pourquoi l’athéisme occidental se développe-t-il ? Pourquoi les chrétiens occidentaux produisent-ils le plus grand nombre d’athées ? Ce que crois, et j’ai dédié ma vie à renverser la tendance, c’est que nous n’avons pas porté le dogme et la doctrine au niveau de l’expérience intérieure. Aussi longtemps que l’enseignement reçu ne devient pas une connaissance expérientielle, nous continuons à créer une grande quantité de croyants désabusés ».

(p 123-124)

 

Guidance

« La vie de foi, c’est un chemin vigilant pour apprendre comment demeurer paisiblement dans un Amour ultime et dans une Source infinie. D’une façon très pratique, vous serez alors capables de découvrir avec confiance que vous êtes gardés et guidés. De fait, après quelque temps, vous pourrez avoir confiance que presque tout est en forme de guidance, absolument tout. Votre capacité à faire confiance à la réalité d’une guidance, va lui permettre de se révéler. Etonnante logique, mais ne l’écartez pas jusqu’à ce que vous ayez sincèrement essayé. J’ai confiance que vous en viendrez à voir que c’est vrai dans l’économie divine des choses…

Certes, votre jugement calculateur pourra douter. Quand vous doutez de la possibilité de telles choses, vous arrêtez le flux. Mais si vous demeurez dans la disposition de permettre et de faire confiance, l’Esprit en vous, vous permettra de lâcher prise avec confiance. Il y a une raison pour cela.  Je suis en train de vivre comme le fleuve s’écoule, porté par la surprise de son/mon déroulement. Je suis conduit. C’est bon…

S’il vous plait, n’entendez pas que j’adopte une approche fataliste, comme si vous ne pouviez travailler pour améliorer et changer la situation. En fait, c’est tout le contraire. Vous pouvez.

Mais ce que je suis en train de vous dire, c’est ce qui doit venir en premier à votre cœur et à votre âme doit être un oui et non un non, la confiance au lieu de la résistance. Et quand vous pourrez avancer avec vos ouis et vous permettre de voir Dieu dans tous les moments de votre vie, vous reconnaitrez qu’une telle énergie n’est jamais gaspillée, mais génère toujours de la vie et de la lumière »

(p 97-98)

Ces passages du livre de Richard Rohr et de Mike Morrell : « The divine dance » ouvrent des avenues pour notre réflexion et des pistes pour notre méditation. Si cette lecture suscite des échos, elle pourra inciter un éditeur à entreprendre une traduction en français.

(1)            Richard Rohr with Mike Morrell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016.  Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

Sur ce blog, dans le même esprit de stimulation et d’incitation, nous avons également présenté des extraits du dernier livre de Jürgen Moltmann : The living God and the fullness of life (Le Dieu vivant et la plénitude de vie) : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

 

Médiation animale

Quand l’animal vient réconforter l’homme

La médiation animale est une pratique innovante en France. Nous avons demandé à Béatrice Ginguay de nous faire part d’une expérience professionnelle, qui est aussi une expérience de vie

J H

 

thumbnail1 La médiation animale commence à se développer en France. Qu’est ce que la médiation animale ? Comment cette nouvelle pratique se développe-t-elle actuellement dans notre pays ?

Avant toute chose, je souhaiterais préciser un point important.

Dans un certain nombre de structures, des personnes bénévoles au grand cœur viennent visiter les patients, les résidents, accompagnées d’un animal.

Le bien-être ressenti et les bienfaits lors de ces échanges entre humains et avec l’animal, le partage d’émotions … sont  indéniables. Et j’admire ces personnes qui donnent de leur temps, de leur énergie, de leur attention. J’ai eu plusieurs retours positifs.

Néanmoins, il me parait important de différencier les visites de « chiens visiteurs », du sujet précisément développé : les séances de Médiation Animale.

La médiation animale, c’est « mettre l’animal au cœur d’une médiation », au service d’une relation.

Dans la « société des hommes », un médiateur permet à deux  parties de mieux se comprendre, de résoudre une difficulté, de trouver une solution.

Dans le cadre de la Médiation Animale (MA), l’animal, de par sa présence et/ou grâce à la relation qui va s’établir avec lui, va, par exemple, agir au niveau psychologique ou psychique, et va permettre une redistribution, active ou inconsciente, des cartes, des tensions, des enjeux, des énergies…

Il s’agit donc de transformer une relation « duelle » (c’est-à-dire entre deux personnes – ce qui ne signifie pas forcément qu’elle soit conflictuelle, en « relation triangulaire » – intervention d’un troisième  élément, l’animal.

La MA va permettre une approche différente de la situation.

Grâce à une multiplicité de déclinaisons possibles, elle va tendre à la débloquer, à apporter un mieux-être et à trouver une solution…

C’est en réalité un binôme « humain-animal » que la MA met en jeu : un professionnel humain, diplômé et expérimenté, aidé dans son approche par un animal.

L’accompagnement en MA est le résultat d’une combinaison subtile qui dépend autant

  • de la spécificité professionnelle, personnalité,… de l’humain,
  • que de l’animal en lui-même (race, personnalité…)
  • ET de la relation développée entre le professionnel et l’animal avec lequel il travaille.

Dans notre cadre professionnel, l’animal n’est pas, à lui seul, un médiateur, ni un thérapeute. C’est ce binôme qui a cette action « thérapeutique » (au sens large du terme).

Ainsi l’aide apportée par ce type de médiation sera fonction

  • du type d’animal (chien, cheval, lapin…), de la race (gros chien petit chien…), du caractère spécifique de l’animal…,
  • de la problématique de la personne accompagnée,
  • de l’orientation professionnelle de l’humain.

 

Il me semble important d’insister sur le fait que la bonne volonté, l’intuition, l’amour des animaux ne suffisent pas.

Ainsi pour moi, la Médiation Animale impose du professionnalisme à trois niveaux :

  • la MA est un outil utilisé par un professionnel dans sa propre discipline professionnelle,
  • l’animal doit être « professionnel », c’est-à-dire être « formé ». Je ne parle pas ici de « formation/dressage qui casse » et qui rend l’animal « obéissant et coopératif » sous l’emprise de la soumission, voire de la terreur.

Non, le bien être de l’animal, son plaisir à entrer en relation avec l’humain, sa sécurité, le respect de ses signaux de fatigue… sont des fondamentaux incontournables de la MA.

  • le professionnel se doit également d’être formé à la Médiation Animale, l’animal n’étant pas un objet, ni un robot, mais bien un être vivant. Cette formation va lui permettre d’être très attentif et respectueux
  • des signaux que l’animal va émettre (malaise, fatigue, énervement…)
  •  des besoins biologiques, physiologiques, psychiques de  l’animal,
  • de la spécificité de son espèce.

 

 

2 Aujourd’hui, tu interviens dans ce domaine avec une chienne formée en ce sens, Iska. Peux-tu nous décrire quelques unes de tes interventions ?

Mes services s’adressent aux particuliers, aux institutions médicales ou médico-sociales, aux collectivités publiques ou organismes privés.

Les bénéficiaires peuvent être des personnes âgées, des adultes, des enfants (quel que soit leur âge – j’interviens également en crèche).

De nombreuses problématiques faisant intervenir différentes dimensions  peuvent ainsi être abordées dans le cadre de la M.A :

  • dimension physique liée à la motricité, l’équilibre…
  • dimension cognitive et mnésique
  • dimension émotionnelle
  • dimension sensorielle
  • …..

 

Les prises en charge sont diverses :

  •  Maladies invalidantes, Handicap mental / physique, Polyhandicap,
  •  Troubles cognitifs (légers ou sévères),
  •  Personnes privées de toute communication, maladie d’Alzheimer,
  •  Deuil, Séparations, Mal-être,
  •  Reconversion professionnelle, Burn Out,
  •  Etc…

 

Les séances peuvent avoir lieu à un niveau individuel ou en groupe.

Selon les demandes, j’interviens seule avec Iska, ou en présence d’un autre professionnel.

J’apprécie particulièrement les interventions de cette sorte avec d’autres professionnels : infirmière, psychomotricien, psychologue, kinésithérapeute, animateur, auxiliaire de puériculture, etc…

Cette coordination enrichit grandement la prise en charge et l’accompagnement de la personne bénéficiaire, et permet de poser, en fonction du projet, un objectif thérapeutique précis.

Iska et moi pouvons intervenir également dans une dimension de Santé Publique autour du thème « la prévention des morsures », s’adressant plus particulièrement aux enfants.

Le descriptif de ces interventions permet de différencier une séance de Médiation Animale d’un autre type de présence animale : celle des Chiens Visiteurs.

Le plus souvent, il s’agit de personnes bénévoles généreuses, accompagnées de leur animal de compagnie. Ces binômes apportent  beaucoup de joie, de bien-être et d’amour à travers une dimension relationnelle.

 

3 Peux tu nous raconter, plus en détails, une de tes interventions ?

Dans un des EHPAD (Etablissement d’Hospitalisation pour Personnes Agées Dépendantes) je travaille avec une psychologue. Celle-ci m’a demandé d’intervenir auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer à un stade très avancé.

Cette dame n’a, en apparence, plus de contact avec notre réalité. La psychologue décrit une situation d’usure des équipes suite aux cris, pleurs, gémissements incessants de cette dame.

Lors de la première séance, je me suis approchée de la dame : je lui ai parlé pendant de longues minutes. Je l’ai touchée, caressée.

J’ai mobilisé doucement le bras de la dame encore très crispé et replié sur son thorax. Puis j’ai fait intervenir Iska, afin que la main de la dame soit mise en contact avec le poil d’Iska. Elle a pu ressentir ainsi la chaleur et la douceur qui émanaient du corps de l’animal.

Nous avons passé un bon moment comme cela : c’est comme si le temps et l’espace étaient suspendus et se réduisaient à mes paroles prononcées sur un ton doux et paisible, aux commentaires que j’associais à mes gestes, aux  massages-caresses, à l’intervention d’Iska prêtant son corps, ….

Et je me suis rendue compte au bout d’1/4 heure que l’ambiance de la chambre avait changé : la dame avait cessé de crier et de gémir.

Mon intervention, associée à celle d’Iska, avait apaisé cette dame. Aucun mot ne sortait de sa bouche ; mais il était clair que les différentes stimulations étaient traitées par son cerveau, malgré son absence de réactions volontaires explicites. Et il en résultait un effet positif au niveau du ressenti et apaisant au niveau des émotions.

Ce même phénomène s’est renouvelé durant les séances suivantes.

Puis un jour, la psychologue m’a rapporté que les équipes s’apercevaient que la dame était beaucoup plus paisible. Les pleurs, gémissements s’estompaient : la Médiation Animale opérait, y compris durant les périodes entre 2 séances.

Maintenant, cette dame est moins tendue, moins crispée, moins  douloureuse et peut rester dans la salle commune, dans son fauteuil, au milieu des autres résidents, sans gémir, ni crier sa souffrance.

La spirale a été rompue : silencieuse, elle ne « perturbe » plus l’ambiance des réunions/activités d’animation, phénomène qui avait abouti à un isolement en chambre pour le confort collectif.

En retour, elle bénéficie, à son niveau, de différentes sollicitations sensorielles, même si elles ne lui sont pas directement adressées.

 

4 Une pratique de ce genre requiert une sympathie pour les animaux. Peux- tu nous raconter comment cette sympathie s’est développée chez toi ? A partir de quelles expériences ?

Depuis toute petite, j’ai toujours été fortement attirée par les animaux. Ceux-ci venaient assez spontanément vers moi, même en pleine rue.

Quelques expériences :

  • je me souviens d’un été en vacances, où je passais tout mon temps « libre », à jouer avec des chiots de la ferme dans laquelle nous étions accueillis : moments de bien être ressenti par un enfant avec ces compagnons de jeu qui me faisaient la fête dès que je revenais vers eux. Premières découvertes de l’accueil inconditionnel.

 

  • le chat de nos voisins de l’époque était associable avec tout le monde, y compris avec ses maîtres qui ne pouvaient pas l’approcher, et encore moins le toucher. Ce même chat venait  de lui même à ma rencontre et sautait sur mes genoux quand j’étais assise, et se mettait à ronronner. Cette question est toujours présente en moi : qui choisit qui ? Est-ce vraiment le maître qui choisit l’animal, ou l’animal qui choisit son maître ?

 

  • un boxer que je ne connaissais pas, tenu en laisse par sa maîtresse s’est approché de moi dans la rue, et m’a fait la fête. Cela a donné naissance à une relation qui a duré de nombreuses années avec cette dame. Avec le recul, il s’agissait, outre la relation avec ce chien, d’une super expérience sociale de mise en relation d’humains par le biais de l’animal.

 

J’étais fascinée par cet attrait réciproque, cette relation qui s’effectuait spontanément, sans jugement, sans question, sans avoir à prouver quoique ce soit… les choses allaient de soi, coulant de source…

Les Hommes semblaient tellement plus compliqués !

Ces relations me comblaient, et visiblement comblaient également les animaux, puisqu’ils en redemandaient !

Puis lorsque j’ai eu, pour la première fois à 40 ans un chien « à moi », j’ai vécu avec lui des expériences qui sont allées bien au-delà de la simple relation affective. Ce vécu m’a poussée à creuser la question de la relation « Homme- Animal ».

Professionnelle de santé, j’avais besoin de comprendre ce qui se jouait, au niveau affectif, sensoriel, psychique, au niveau de la communication non verbale…

De plus, étant entourée de personnes « cérébrales, analytiques, scientifiques… », il me fallait donc étayer mon intuition et mes sensations, afin d’être crédible, comprise, de pourvoir expliquer et partager sur ce sujet.

J’ai alors effectué de nombreuses recherches dans la littérature, et j’ai suivi une formation pour être diplômée de Thérapie avec le Cheval, formation qui m’a beaucoup apportée et enrichie.

Puis en 2015, j’ai associé à mon activité de Coaching la Médiation Animale avec Iska, une chienne formée par Handi’Chiens.

La force du binôme que je constitue avec Iska, réside dans les formations suivies par chacune de nous deux, ainsi que dans la complémentarité et complicité qui se sont construites au fil des mois.

 

5 Comment ta pratique de la médiation animale avec Iska s’inscrit-elle dans ton itinéraire professionnel ? Dans quel contexte as-tu décidé de t’engager dans cette pratique sous la forme d’un travail avec une chienne ?

Après avoir exercé 30 ans, dont 20 en tant que cadre Infirmier, dans le secteur sanitaire (hospitalier, extra-hospitalier) et médico-social, j’ai suivi une formation afin de me réorienter vers le Coaching.

En effet, l’évolution de la situation dans les institutions de Santé et notamment  du contexte hospitalier, ne correspondait plus à ce que je souhaitais vivre au niveau humain et ne me permettait pas un exercice professionnel en accord avec mes valeurs de respect, de qualité, d’écoute, d’accompagnement…

J’ai donc pris la difficile décision de « lâcher » la sécurité pour une réorientation professionnelle, m’établir en libéral et mettre à profit mes expériences personnelles et professionnelles.

Mon cœur de métier et mon parcours professionnel me permettent d’accompagner les personnes confrontées à des accidents de la vie : situations de Handicap, graves maladies, maladie d’Alzheimer, burn out…

De plus, ayant expérimenté personnellement les bienfaits des contacts avec l’animal, et ayant suivi cette double formation avec le cheval et le chien, c’est donc tout naturellement que je propose (aucune obligation) que les séances de coaching puissent se dérouler avec Médiation Animale.

 

6 Comment s’est développée ta relation avec cette chienne, Iska ? Comment ressens-tu cette relation sur le plan personnel ?

Iska est arrivée dans  notre famille en Juin 2015.

Ma relation avec Iska  s’est développée en fonction d’expériences vécues en commun au fur et à mesure du temps. Il peut s’agir

  • d’expériences professionnelles lors des séances
  • d’expériences de la vie quotidienne : ballades dans la rue, dans la nature, rencontres avec des amis, trajets en transport en commun…

Il s’agit de vivre ensemble le maximum d’expériences, d’être attentif à la manière dont Iska se comporte, réagit face à des situations et contextes non expérimentés, ce qu’elle semble ressentir, aimer, ne pas aimer …

Il peut s’agir de situations qui nous sont imposées, ou de situations que je « provoque » afin de  tester ses attitudes, et ses comportements réactionnels. En effet, cela participe à la fois

  • à une meilleure connaissance de la chienne,
  • à une analyse de  ma réaction face à un comportement nouveau
  • et ainsi améliorer notre interaction et collaboration si nous sommes un jour confrontées à une situation semblable dans un cadre professionnel

 

En parallèle, Iska est pour moi une source d’inspiration et peut même être un « modèle ». J’ai en tête par exemple la notion de « confiance ».

 

Iska ne se pose pas de question pour savoir si elle va plaire, si la relation avec cet humain qu’elle a en face d’elle va bien se passer.

Elle y va, elle fonce, sûre d’elle. Elle a confiance

  • en elle (en sa beauté, sa gentillesse, son amour pour l’homme, son « pouvoir de séduction »…)
  • et dans l’humain qu’elle rencontre pour la première fois, certaine de l’intérêt, voire de l’amour qu’il va lui porter…).

Les animaux eux, vivent dans « l’ici et maintenant ». Ils ne calculent pas. Ils ne mentent pas.

La simplicité et la confiance avec laquelle Iska aborde les humains me surprennent toujours. Je ne peux m’empêcher de comparer son attitude à l’attitude si fréquente chez les humains, et aussi parfois chez moi :

  • nous nous posons beaucoup de questions pour savoir si nous sommes assez ceci, pas trop cela, si nous avons les compétences, ou les facultés pour…

Finalement, avons-nous suffisamment conscience de notre valeur et identité propre ?

  • des doutes peuvent nous envahir lorsque nous rencontrons une nouvelle personne : va-t-elle nous accepter, nous reconnaître à notre juste valeur…

En réalité, faisons-nous suffisamment confiance à l’être humain qui est en face de nous ? Ne nous arrive-t-il pas souvent de soupçonner le mal ?

Je peux donc résumer la politique que j’adopte avec Iska en ceci :

  • partager le plus de situations possibles en passant du temps ensemble,
  • ne pas hésiter à sortir des sentiers battus.

 

7 Cette pratique de la relation animale témoigne d’un regard nouveau envers les animaux. Y vois-tu une dimension spirituelle ?

Pour répondre à la dimension spirituelle, je m’appuie sur la culture judéo-chrétienne. Le livre de la Genèse propose le récit de la Création et l’apparition d’une faune diversifiée. Les animaux sont donc bien complètement intégrés à la Création, œuvre du Dieu Créateur.

Avant le déluge, Dieu a pris soin de sauvegarder chaque espèce, et se donne, en quelque sorte, les moyens de respecter et de préserver, l’écosystème si complexe qu’Il avait établi.

D’autre part, la Bible cite de nombreux exemples où les animaux ont une part active et positive, en interaction avec les humains : on pourra juste citer, l’ânesse l’ânon, la colombe, les corbeaux….

Et Jésus dans ses paraboles utilise à plusieurs reprises les animaux comme éléments de comparaison et d’explication : les brebis, les passereaux….

Béatrice Ginguay

 

Autre article de Béatrice Ginguay :

« De cadre infirmier à coach de vie » :

https://vivreetesperer.com/?p=1943

Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la nature et dans l’humanité

 L’entraide, l’autre loi de la Jungle,  par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

41qMkIivvEL._SX327_BO1,204,203,200_Comment nous représentons-nous le monde ? Comme un champ de bataille où les plus forts éliminent les plus faibles, ou bien, au contraire, comme un espace où l’entraide et la collaboration peuvent s’affirmer. Certes, la réalité est plus complexe. Elle est parcourue par des contradictions. Cependant, notre conception du monde a une influence directe sur notre manière d’y vivre et d’y agir. Si notre vision de monde et de la société est sombre et ne laisse pas de place à l’espoir, alors le pessimisme entrainera le repli sur soi et la démobilisation. Au contraire, si nous voyons dans ce monde une place pour le bien et le beau, alors nous pourrons chercher à l’accroitre et à participer à une œuvre d’amélioration et de transformation positive.

Ces visions du monde varient dans le temps et dans l’espace et on peut percevoir une relation entre ces manières d’envisager le monde et les conceptions philosophiques et religieuses. Aujourd’hui, des changements interviennent dans nos représentations au sujet de l’homme et de la nature. La parution du livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle : « L’entraide. L’autre loi de la jungle » (1) témoigne de cette évolution. En effet, les auteurs font apparaître une vision nouvelle à partir d’une littérature de recherche, récente, abondante, multiforme en réalisant ainsi « un état des lieux transdisciplinaires, de l’éthologie à l’anthropologie, en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences ». Et, à partir de cette synthèse, ils démontrent qu’à côté de la lutte pour la vie ou de la loi du plus fort,  il y a aussi « une autre loi aussi ou plus puissante qu’elle, la loi de la coopération et de l’entraide ». « De tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro organismes ont pratiqué l’entraide. Qui plus est, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus ». Et les auteurs vont ainsi nous aider à « comprendre la nature coopérative de l’être humain dans le sillage de celle des autres organismes vivants ».

 

La nature, de la lutte pour la vie à l’entraide   

A partir de l’œuvre de Darwin, une interprétation s’est développée mettant l’accent sur la lutte pour la vie, la loi du plus fort, la loi de la jungle.  Dans certains milieux, cette interprétation s’est étendue à l’humanité en justifiant les pires excès. Mais aujourd’hui, cette interprétation est non seulement battue en brèche, elle est bousculée par un ensemble de recherche qui mettent en valeur l’importance de l’entraide dans l’univers du vivant. « A partir de Darwin, et durant presque tout le XXè siècle, les biologistes et les écologues ont cru que les forces principales qui structuraient les relations entre espèces au sein de ces systèmes étaient la compétition et la prédation. Les expériences ont été conçues pour mettre cela en évidence et, naturellement, c’est ce qu’on a fini par observer. L’histoire de l’observation des forces inverses (les relations mutuellement bénéfiques) a été bien plus laborieuse. Elle a véritablement explosé dans les années 1970. Aujourd’hui, les études se comptent par milliers » (p 33). Ainsi, la recherche aujourd’hui fait apparaître des modes d’entraide très variés dans tous les registres du monde animal et du monde végétal. « Entre semblables, entre lointains cousins, entre organismes qui n’ont rien à voir », nous disent les auteurs. Et, dans ce paysage multiforme, les espèces les plus anciennes ont également poursuivi leur évolution en association avec les autres êtres vivants. Ainsi les bactéries pratiquent l’entraide à tous les niveaux. Et elles s’associent aux plantes et aux animaux. « Depuis 3,8 milliards d’années, le vivant a développé mille et une manière de s’associer, de coopérer, d’être ensemble ou carrément de fusionner. Ces relations entre êtres identiques, semblables ou totalement différents peuvent prendre des formes multiples… On découvre avec émerveillement ce que nous nommons « symbiodiversité »…. Et la conclusion, « c’est que, chez les autres qu’humains,1) l’entraide existe 2) elle est partout 3) elle implique potentiellement tous les êtres vivants, y compris  l’espèce humaine » (p 49-50).

 

 

L’homme et la nature

Alors pourquoi des milieux influents ont-ils retenu dans leur étude de la nature principalement ce qui était rivalité, violence, prédation ? Cette attitude remonte au début de la modernité, à une époque où l’homme s’est hissé au dessus de la nature en projetant sur elle un caractère de sauvagerie. Mais cette tendance s’est accrue au XIXè siècle  où la parution du livre de Charles Darwin : « De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle » a donné lieu à des interprétations valorisant la lutte pour la vie et la loi du plus fort. Cependant, certains se sont opposés à ces représentations. Ainsi, un géographe russe, par ailleurs prince et anarchiste, Pierre Kropotkine, a publié en 1902 un livre : « L’entraide, facteur de l’évolution ». Il est aujourd’hui remis à l’honneur après des décennies où les théories compétitives  avaient le vent en poupe. Au milieu des années 1970, encore, une nouvelle discipline apparaît : la sociobiologie selon laquelle le socle de la vie serait la compétition entre les gènes et entre les individus. Cependant, au début des années 2000, le fondateur de la sociobiologie, E O Wilson revient sur son hypothèse initiale en privilégiant le milieu par rapport aux gènes. On assiste à « un effondrement du château de cartes théoriques de la sociobiologie des années 70 ». Mais, plus généralement, au début du XXIè siècle, il y a un changement majeur de tendance. « La période qui s’ouvre dans les années 2000, est caractérisée par une véritable escalade du nombre d’expériences sur les mécanismes d’entraide, en particulier grâce aux avancées en économie expérimentale, en sciences politiques, en climatologie ou encore en neurosciences ainsi qu’à l’explosion de la génétique moléculaire qui confirme  l’omniprésence et l’ancienneté des symbioses » (p 67).

 

L’évolution de l’entraide humaine

L’entraide humaine a été active aux différentes étapes de l’histoire humaine. Elle s’est généralisée à travers des normes sociales. Ce livre est introduit par un sociologue Alain Caillé qui se réfère à l’œuvre de l’anthropologue Marcel Mauss dans son célèbre « Essai sur le don ». « Au cœur du rapport social, on trouve non pas le marché, le contrat ou le donnant-donnant, mais la triple obligation de donner, recevoir et rendre. Ou si l’on préfère la loi de la réciprocité »  ( p 25). Autour de la « Revue du Mauss », un groupe de chercheurs s’inspire de cette analyse et réfute une croyance dominante : « l’axiomatique utilitariste de l’intérêt » : l’interprétation de la vie sociale en terme d’intérêts individuels en compétition. Cette croyance inspire le néolibéralisme actuel. Mais  comme la conception compétitive est aujourd’hui remise en cause en biologie, la même contestation apparaît dans les sciences sociales. Une nouvelle vision de l’homme émerge. A travers un ensemble de  recherches rapportant de nombreuses situations, les auteurs font ressortir l’omniprésence de l’entraide dans la vie sociale d’aujourd’hui. Ainsi s’égrainent plusieurs chapitres : « L’entraide spontanée. Les mécanismes de groupe. L’esprit de groupe. Au delà du groupe ». Ces chapitres ne démontrent pas seulement la puissance de l’entraide. Il décrivent et analysent avec précision les pratiques engagées et les processus en cours. Ainsi, on peut se reporter à ces chapitres pour analyser et améliorer ses propres pratiques.

 

Une prise de conscience

Pourquoi cette prise de conscience intervient-elle après une longue période où l’entraide a été méconnue ? Quels ont été les obstacles ? Et aujourd’hui à quoi tiennent les résistances ?

« Le principal obstacle à l’assimilation de ces travaux est la puissance de deux mythes fondamentaux de notre imaginaire collectif

1)   La croyance que la nature (dont la nature humaine) est fondamentalement compétitive et égoïste, et, par conséquent

2)   La croyance que nous devons nous extraire de celle-ci pour empêcher le retour de la barbarie.

Baignés dans cette mythologie depuis plus de 400 ans, nous sommes devenus des experts en compétition, considérant que ce mode constituait l’unique principe de vie (p 277).

En regard, les auteurs montrent, combien, dans une histoire longue, l’entraide s’est affirmée comme une caractéristique de l’humanité. « Ce qui fait de nous des êtres ultra-sociaux provient à la  fois de notre passé (animal) et aussi de notre longue histoire culturelle et de nos interactions sociales présentes » ( p 278). Aujourd’hui, en considérant l’environnement social, on peut mettre en évidence les facteurs propices à l’entraide chez les êtres humains.

 

Un livre innovant

Ce livre est la résultante d’un travail de longue haleine qui n’aurait pu advenir sans la motivation et l’enthousiasme de ses auteurs. « Nous avons démarré ce chantier il y a une douzaine d’années avec autant d’enthousiasme que de naïveté. Notre label « biologique » ne nous avait pas préparé à absorber les incroyables avancées des sciences humaines. Explorer tout cela a été une incroyable aventure » (p 28). Cet ouvrage ouvre des chemins nouveaux. Il participe à un nouvel état d’esprit qui s’ouvre à l’émerveillement et au respect des êtres vivants. « L’écriture de ce livre nous a fait ressentir notre participation intense à une vague qui  redéfinit en douceur ce que l’on est, et donc ce que l’on peut être… un sentiment fort d’appartenir à un ensemble plus grand, à une famille étendue…  Ce voyage a révélé notre interdépendance radicale avec l’ensemble de la toile du vivant et celle des interactions humaines. Pour nous, ce concept même d’individu a commencé à perdre son sens comme si aucun être vivant n’avait jamais existé, n’existe et n’existera seul. Notre liberté semble s’être construite à travers cette toile d’interactions, grâce à ces liens qui nous maintiennent debout depuis toujours » ( p 298).

 

Perspectives

Nous vivons dans un temps de crises (2). C’est une époque où on assiste à la fois à des décompositions et des recompositions.  Les menaces sont bien souvent apparentes. Elles retiennent donc notre attention au point parfois de nous entrainer dans une polarisation sur tout ce que l’on peut craindre. Et alors, nous risquons de nous égarer, car nous ne sommes plus à même d’apercevoir les changements positifs, les voies nouvelles qui sont en train d’apparaître et donc d’y participer. Ainsi, aujourd’hui, il y a bien des changements positifs dans les mentalités, encore à bas bruit, si bien qu’il faut y prêter attention.

Ce livre sur l’entraide s’inscrit dans un mouvement profond qui prend de l’ampleur depuis la fin du XXè siècle. Au cours des dernières années, par deux fois, le magazine Sciences humaines nous a informé sur l’évolution des esprits. En février 2011, c’est un dossier consacré au « retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide » (3). La coordinatrice du dossier, Martine Fournier, peut déjà anticiper par rapport au livre de Pablo Servigne et Gauthier-Chapelle. « Alors que la théorie de l’évolution était massivement ancrée dans un paradigme Darwinien « individualiste », centré sur la notion de compétition et de gène égoïste, depuis quelques années, un nouveau visage de la nature s’impose. La prise en compte des phénomènes de mutualisme, symbiose et coévolution entre systèmes tend à montrer que l’entraide et la coopération seraient des conditions favorable de survie et d’évolution des espèces vivantes, à toutes les étapes de la vie ». Et elle rejoint aussi le préfacier du livre, Alain Caillé, dans un rejet de l’idéologie de l’ « homo oecumenicus » à la recherche de son intérêt égoïste et des vertus de la société libérale et de la compétition.

En juin 2017, Sciences Humaines publie un nouveau dossier sur le même thème : « Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode ? » (4). Le coordinateur, Jean Dortier, met en évidence un mouvement profond qui prend de l’ampleur. Ainsi l’usage du mot : empathie « grimpe en flèche dans les décennies 1990 et 2000 ».

Au cours des dernières années, plusieurs ouvrages ont également porté cette vision nouvelle. Entre autres, nous avons présenté le livre de Jérémie Rifkin : « Vers une civilisation de l’empathie » ( 2011) (5) et celui de Jacques Lecomte : « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité » (2012) (6).

En 2017, le livre de Michel Serres : « Darwin, Bonaparte, le samaritain. Une philosophie de l’histoire » (7) vient nous interpeller, car il nous propose « un grand récit » qui récapitule les différentes étapes de notre évolution pour nous proposer une vision anticipatrice. En effet, après avoir décrit les affres d’un « âge dur » voué aux guerres et dominé par la mort, Michel Serres perçoit un tournant intervenu depuis la fin de la seconde guerre mondiale : l’apparition d’un « âge doux » convivial et inventif en lutte contre la mort. Cet « âge doux » se caractérise par l’importance donnée au soin et à la médecine, un mouvement pour assurer et développer la paix, l’expansion d’internet et la révolution numérique. C’est la montée d’un nouveau mode de relation entre les hommes. A l’occasion, face à des préjugés contraires, Michel Serres écrit : « Contre toute attente, les statistiques révèlent que les hommes pratiquent l’entraide plutôt que la concurrence ».

La prise de conscience actuelle du rôle majeur de l’entraide et de la collaboration est le fruit d’un ensemble de recherches, mais ces recherches elles-mêmes traduisent un changement de regard. Il y a un phénomène qui s’inscrit dans une trame historique et qui marque un changement de cap. Si on considère le passé, c’est un « âge dur » qui apparaît. Certains y ont vu une « guerre de la nature » et une lutte constante pour la vie. Pour ceux qui ne se résignent pas à voir l’histoire comme  une victoire définitive des puissants sur les plus faibles, comme un chemin de croix perpétuel, la prise de conscience des manifestations de l’entraide est un précieux apport. Il y a dans cette période des faits historiques qui interviennent comme des germes d’une autre vie. Ainsi, par exemple, les paroles de Jésus, comme la parabole du samaritain mise en exergue par Michel Serres marquent l’affirmation d’une autre vision du monde, d’une autre pratique de vie. A travers les méandres de sa mise en œuvre, « la leçon majeure du christianisme n’enseigne-t-elle pas l’incarnation, l’allégresse vive de la naissance, enfin la résurrection non pas comme une victoire contre les ennemis comme pendant le règne de la mort, mais contre la mort elle-même », écrit Michel Serres. Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance, envisage la résurrection non seulement comme une victoire contre la mort, mais comme le point de départ d’un processus de nouvelle création vers un monde en harmonie où Dieu sera tout en tous ». « Le christianisme est résolument tourné vers l’avenir et il invite au renouveau. La foi est chrétienne lorsqu’elle est la foi de Pâques. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu » ( 8). Dans cette perspective, il est important de pouvoir constater que la constitution de la nature, envisagée dans les termes d’une première création, est déjà, pour une part, dans l’entraide et la collaboration.

La nature est aussi caractérisée par une interrelation entre tous ses éléments. C’est la constatation des auteurs en fin de parcours : « Ce voyage a révélé notre interdépendance radicale avec l’ensemble de la toile du vivant et celle des interactions humaines ». Et, en entrée de livre, figure une magnifique citation de Victor Hugo : « Rien n’est solitaire, tout est solidaire… Solidarité de tout avec tout et de chacun avec chaque chose. La solidarité des hommes est le corollaire invincible de la solidarité des univers. Le lien démocratique est de même nature que le rayon solaire ». Nous pouvons envisager cette solidarité dans la vision que nous propose Jürgen Moltmann dans son livre : « Dieu dans la création. Traité écologique de la création » (1988) (9) : « L’essence » de la création dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber).

Et si la prise de conscience de la réalité et de la montée de l’entraide, de la collaboration, de l’empathie et de la bienveillance était une inspiration de l’Esprit et un signe dans un parcours traversé par des crises et des soubresauts. Cette mise en évidence de l’entraide n’entre-t-elle pas dans une vision nouvelle de l’humanité qui commence à se faire jour dans la grande crise à laquelle elle est confrontée ?

Ce livre sur l’entraide est un livre important. Voici un chantier que les deux auteurs, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle ont commencé il y a une douzaine d’années et l’ont conduit avec persévérance pour réaliser la synthèse de multiples recherches dans des disciplines différentes. Ils confirment ainsi la puissance du courant de recherche qui assure la reconnaissance et la promotion de l’entraide. Cependant, à travers plusieurs chapitres, cet ouvrage peut également nous guider pour mieux comprendre et améliorer nos pratiques sociales. Voici un livre qui compte dans le mouvement des idées pour une nouvelle vision de la nature et de l’humanité.

J H

 

(1)            Pablo Servigne. Gauthier Chapelle. L’entraide. L’autre loi de la jungle. Les liens qui libèrent, 2017                                                                            Voir aussi une vidéo OBS : « La loi de la jungle, c’est aussi la loi de l’entraide » : https://www.youtube.com/watch?v=-gB5x4LshGo

(2)            Michel Serres. Temps des crises. Le Pommier, 2009 (Poche)           Voir aussi la vidéo : «  Le temps des crises » : https://www.youtube.com/watch?v=-gB5x4LshGo                   Une analyse des crises actuelles dans le livre de Frédéric Lenoir. Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(3)            « Quel regard sur la société et sur le monde ? Le retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide »  : https://vivreetesperer.com/?p=191

(4)            « Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode » : https://vivreetesperer.com/?p=2639

(5)            « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin » : http://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/

(6)            « La bonté humaine. La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=674

(7)            Michel Serres. Darwin, Bonaparte et le samaritain. Une philosophie de l’histoire. Le Pommier, 2016                   « Une philosophie de l’histoire » : https://vivreetesperer.com/?p=2479

(8)            Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte. Temps présent, 2012 ( p 109-110)                  Voir aussi : « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/

(9)            Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 ( p 25)

Sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/