Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology
Nous subissons aujourd’hui les conséquences du manque de respect porté à la nature et de la maltraitance à son égard qui en est résulté. La crise écologique actuelle résulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice à l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience écologique apparaît aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalités. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une écospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.
En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti mystique d’unité et de reliance, d’amour et de lumière ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience ResearchCenter » fondé en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapporté le rôle pionnier de ce centre en présentant un livre de David Hay, membre de la même équipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expérience religieuse de l’Université du Pays de Galles, publie un livre où il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phénomènes paranormaux avec ses conséquences sur l’appréhension du monde peut apporter à la prise de conscience écologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le même auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numéro spécial du « Journalfor the Studyof ReligiousExpérience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experienceand ecology » (expérience religieuse et écologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.
Une personnalité emblématique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expérience religieuse et spirituelle
Au départ, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expérience religieuse, Sir Alister Hardy, en écrivant combien le thème du rapport entre écologie et expérience religieuse aurait été cher à son cœur. En effet, Alister Hardy a d’abord été un grand biologiste dans le domaine marin où il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les écosytèmes marins. Il a été également l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert à suivre les niveaux de plancton dans l’océan, un dispositif qui est encore couramment utilisé dans ce domaine. Pendant plusieurs décennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carrière académique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’océanographie à Hull, professeur d’histoire naturelle à Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparée à Oxford.
Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardée jusque là en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend là un travail particulièrement original : la collecte et l’analyse de récits sur les expériences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de récit était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de première main ont ainsi été recueillis et sont aujourd’hui accessibles.
Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguées. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expériences dans la nature, des expériences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le déroulement de sa vie et de son œuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment étudiant, il lui arrivait de rêver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la rivière près de son école à Oundle dans le Nottinghamshire ». Il écrit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait être décrit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la présence de quelque chose qui était au delà et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit à quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88ème année, je pense que je puis l’admettre. Juste à l’occasion, quand j’étais sûr que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionné par la gloire de la scène naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais à genoux dans la prière, non pas une prière pour demander quelque chose, mais une prière pour remercier Dieu que je sentais très réel pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expérience mystique et d’une mentalité scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le même rapprochement rapporté par Jane Goodhall (6). Il y là un témoignage pour aujourd’hui.
Les expériences extraordinaires de transcendance et la nature
Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considéré que le mysticisme de la nature était une des formes principales du mysticisme. Les expériences correspondantes sont extraverties, tournées vers l’extérieur. « Elles sont suscitées par le paysage extérieur et le transfigure, induisant fréquemment un sens de l’unité sous-jacente du monde naturel ».
« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux récits analogues d’expériences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systèmes écologiques vibrants ». Dans son étude pionnière des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beauté naturelle » comme un des déclencheurs les plus ordinaires des expériences religieuses, plus fréquents que l’adoration religieuse, en suggérant ainsi une corrélation importante entre les environnements naturels et les expériences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre récent sur la relation entre le monde naturel et les expériences mystiques. « Ces expérience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expériences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expériences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.
Phénoménologie et écologie : unité et diversité
Les expériences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associées à un sens d’unité (oneness) et de communion avec la nature, une caractéristique qui relie ces expériences avec les expériences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vécues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.
Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.
« Il y a une douzaine d’années, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirée vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur réponse à travers une forte vibration à travers mes mains, puis à travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le même flux vital qui coule à travers mon corps, coule à travers toute végétation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minéraux, sous le sol et sous la mer, et même les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animée ou inanimée est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent à l’Être divin ».
Une conscience de l’unité de la nature apparaît dans ce témoignage. Mais il y en a d’autres où se manifestent tout autant la complexité et la diversité. L’auteur nous en propose un :
« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait été dormant quand j’étais dans le bois, venait à la vie. J’ai du dériver ver un état d’exaltation.
La lune, quand je la regardais, semblait être devenue personnalisée et observatrice comme si elle était consciente de ma présence. Une douce senteur remplissait l’air… La rivière me faisait entendre qu’elle m’avait déjà vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’être absorbé dans un environnement vivant, gagnait en intensité et était en voie d’atteindre son apogée. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses résonnaient. La pensée que c’était la musique des sphères fut immédiatement suivie par une irruption de corps lumineux : météores ou étoiles circulant dans leurs courses prédestinées en émettant à la fois de la lumière et de la musique ».
« Des expériences comme celles-ci pourraient être perçues comme des expressions d’une vision animiste, une réalisation de ce que Graham Harvey a éloquemment écrit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines …. ». Dans l’expérience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expérienceur et la rivière, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prélude à l’apogée de l’expérience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphères ».
Ainsi Jack Forster peut déclarer : « Alors, les expériences religieuses extraverties révèlent une image du monde qui est à la fois fondamentalement « unitaire et interconnectée » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard à la manière dont des chercheurs se représentent les écosystèmes. Ainsi, le biologiste végétal, Frédéric Clements (1874-1945), « envisageait les écosystèmes comme des organismes à grande échelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectés (plantes, animaux etc). Ces écosystèmes avaient tendance à se développer vers une complexité accrue et de plus grands niveaux de diversité et d’interconnection ». Il voyait là comme une progression finalisée vers un écosystème entrevue comme une apogée, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies téléologiques prédéterminées, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversité et de la stabilité et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des écosystèmes « résonne avec les expériences mystiques de la nature décrites plus haut ». Ces expériences spirituelles extraverties tournées vers la nature « peuvent être comprises comme des instances où l’expérienceur ne perçoit plus de séparation entre lui-même et les écosytèmes qui l’entourent, en devenant simultanément conscient de la diversité et de l’interconnectivité de la vie aussi bien que de son unité sous-jacente, lui-même imbriqué dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments où l’expérience est en harmonie avec la réalité écologique, nous pourrions dire que l’expérienceur est entré dans un état de « conscience écologique » ou qu’il a développé une conscience de son « soi écologique ».
L’expérience extraordinaire et le soi écologique
Le concept de « ecological self », le soi écologique provient des écrits du philosophe norvégien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggérait qu’à travers le processus de réalisation de soi, les êtres humains passeraient ultimement de conceptions égotiques du soi (bornées, individualistes) à un soi écologique. Le soi écologique émerge quand des personnes en viennent à s’identifier avec l’environnement dans la mesure où elles réalisent que la conservation du monde naturel est en même temps un acte d’auto-préservation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontière solide et imperméable entre le soi et l’écosystème, que le soi est profondément imbriqué dans cet écosystème, qu’il fait partie d’un système écologique plus vaste et est connecté à tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi écologique se construit à partir de cette conscience de l’interconnection.
Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considère, dans une commune attention, les expériences religieuse et spirituelles et la gamme des expériences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similarités phénoménologiques comme « par exemple, le rôle de la lumière dans beaucoup d’expériences extraordinaires aussi bien que des similarités dans leurs effets postérieurs ». Les différents genres d’expériences extraordinaires sont « associés avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage différentes expériences comme les expériences de sortie du corps ou les expériences proches de la mort. « Est-ce une coïncidence que les expériences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associées avec une conception étendue du soi et un sens accru de la connectivité naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expériences, bouleversant les expérienceurs, les écartent de leurs modèles d’interprétation habituels, les ouvrant ainsi à la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « écosystème invisible ».
Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses
Dans cet article, Jack Hunter aborde également un problème méthodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expériences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delà de son point de départ occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et méthodologiquement limité. C’est élargir l’horizon.
Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique
Il y a bien une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.
« Pour résumer brièvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expérience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs découle de ses propres expériences religieuses extraverties durant son enfance. Les expériences religieuses extraverties paraissent révéler une relation dynamique entre l’unité et la diversité dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unité sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexité et la multiplicité. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont émergé de la science écologique qui considère les écosystèmes comme des entités holistiques constituées par de nombreuses parties prenantes interactives.
Les expériences religieuses extraverties sont des moments où les expérienceurs deviennent conscients et font eux-mêmes l’expérience de faire partie de ces vastes systèmes complexes ».
Cet article nous parait particulièrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience écologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimé dans la théologie chrétienne ? Sur ce blog, on trouvera des réponses dans les approches de Jürgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.
Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir théologique pour l’écologie selon Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des êtres créés au sein de la grande communauté de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusé l’Esprit divin seulement dans l’être humain, mais dans toutes les créatures de Dieu… Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu est dans la création… »
« Pour une approche intégrale de la conscience » : conférence de Mario Beauregard au colloque de l’UIP : « Sciences et connaissances »
Notre existence, la conscience que nous en avons, se fondent sur notre pensée. C’est dire l’importance des questions que nous pouvons nous poser sur les rapports entre nos pensées et notre être corporel. De même, c’est par la pensée que nous participons au monde et pouvons accéder à ce qui nous dépasse. Dans un texte concernant les expériences spirituelles publié sur ce blog (1), nous nous référions au livre d’un chercheur en neurosciences, Mario Beauregard : « Du cerveau à Dieu.Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (2). Par la suite, nous avons découvert un nouveau livre de ce même chercheur : « Brain wars. The scientific battle overtheexistence of the mind and the proof that will change our life » (3). A partir de travaux scientifiques, l’auteur y réfute les thèses matérialistes. Non, la conscience n’est pas le produit du cerveau et destinée à disparaître avec lui. Non elle ne dépend pas entièrement des mécanismes physiologiques, ainsi soumises aux seules lois de la matière. Non, la conscience humaine n’est pas qu’un épiphénomène, une forme passagère juste là en attendant de disparaître. Au contraire, l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique. Des recherches convergentes montrent l’influence de nos pensées sur nous-même et sur le monde extérieur. Nous avons présenté une mise en perspective de cet ouvrage sur le site de Témoins. Aujourd’hui, ce livre a été traduit en français sous le titre : « Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité » (4).
En janvier 2016, Mario Beauregard est intervenu dans le cadre du colloque organisé par l’Université interdisciplinaire deParis (5) ayant pour thème « Sciences et connaissances. De la matière à l’esprit ». L’Université interdisciplinaire de Paris vient de mettre en ligne sur YouTube l’ensemble des contributions des intervenants. Dans son intervention, Mario Beauregard nous présente « une approche intégrale de la conscience » (6). Il nous fait part d’abord du plan de son exposé. « Je voudrais parler dans un premier temps de ce qu’on appelle le matérialisme scientifique qui est devenu très influent dans les disciplines scientifiques et qui joue un rôle important dans les neurosciences jusqu’à présent ». Mario Beauregard montre là comment cette idéologie s’est formée et quelles sont ses conséquences. Il nous parle ensuite des recherches qu’il a réalisées à partir d’une série d’études d’imagerie cérébrale. « Ces études montrent que, contrairement à ce que certaines théories matérialistes veulent nous faire croire, l’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau cérébral. L’esprit humain a une grande capacité d’influence au niveau du corps, du cerveau et de tous les systèmes physiologiques qui sont connectés. Il a aussi une influence énorme à l’extérieur des limites du corps. C’est le concept appelé « l’esprit non local ». Je vais vous présenter certaines études à ce sujet. Je vais terminer en vous parlant de ce qui est en train d’émerger, à partir des études qui vous sont présentées, un nouveau paradigme qu’on a appelé un paradigme post matérialiste ». Avant de commencer son exposé, Mario Beauregard donne également quelques définitions préalables que nous retiendrons ici : « Quand je fais référence à l’esprit, c’est la traduction du terme anglais : « mind ». C’est l’ensemble des processus mentaux, qu’ils soient conscients ou non, par exemple la mémoire, la perception, les émotions, la pensée. Lorsque je fais référence à la conscience, c’est la faculté mentale qui permet d’appréhender ce qui se passe soit en relation avec le monde extérieur, soit avec ce qui se passe intérieurement sur le plan mental, par exemple la pensée, les émotions. Cela inclut aussi la conscience de soi ». A la fin de sa conférence, Mario Beauregard donne quelques références sur les évolutions en cours concernant le paradigme post matérialiste, mais pour une approfondissement complémentaire concernant l’ensemble de son exposé, il renvoie aux deux livres que nous avons évoqués. On trouvera donc maintenant une reprise du texte mettant en perspective l’apport de son livre : « Brain wars », déjà publié sur le site de Témoins.
Brain Wars. Face à une idéologie matérialiste, les pouvoirs de la conscience
Dans le livre : « Brain wars », par delà la description du conflit entre des conceptions scientifiques opposées, Mario Beauregard nous apporte des données convergentes qui montrent l’apparition et le développement d’un nouveau paradigme dans lequel l’esprit humain apparaît comme une réalité spécifique : « L’esprit n’a pas de masse, de volume ou de forme et il ne peut être mesuré dans l’espace et dans le temps, mais il est aussi réel que les neurones des neurotransmetteurs et les jonctions synaptiques. Il est aussi très puissant » (p 5).
Mario Beauregard trace une rétrospective des travaux réalisés dans ce champ d’étude. Il critique les postulats méthodologiques de l’approche matérialiste, notamment l’application des principes de la physique classique à ce domaine. Les théories jusque là dominantes ne peuvent expliquer « pourquoi et comment des expériences intérieures subjectives telle que l’amour ou des expériences spirituelles se développent à partir de processus physiques dans le cerveau » (p15). Le livre met en évidence une nouvelle manière de comprendre les rapports entre l’esprit et le corps à partir des données émergentes résultant des recherches menées dans des champs nouvellement explorés comme : l’effet placebo/nocebo, le contrôle cérébral, la neuro plasticité, la connexion psychosomatique, l’hypnose, la télépathie, les expériences aux frontières de la mort, les expériences mystiques. En prenant en compte la vision nouvelle que la mécanique quantique nous propose pour la compréhension de la réalité, Mario Beauregard inscrit les recherches sur les rapports entre le cerveau et l’esprit dans un nouveau paradigme. « Dans l’univers quantique, il n’y a plus de séparation radicale entre le monde mental et le monde physique» (p 207). Désormais, la conscience apparaît comme une réalité motrice. En exergue de son chapitre de conclusion, l’auteur propose une citation du physicien et astronome, James Jeans : « L’univers commence à ressembler davantage à une grande pensée qu’à une grande machine ».
Ce nouveau paradigme ne nous apporte pas seulement une compréhension nouvelle, il a des conséquences pratiques pour notre vie. Désormais, nous pouvons exercer une influence positive sur notre santé et sur nos comportements, mais nous sommes appelés en même temps « à cultiver des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix » (p 214). A travers la description des expériences aux frontières de la mort et des expériences mystiques, nous apprenons aussi l’existence d’une réalité supérieure empreinte d’amour et de paix. Ce regard nouveau appelle une vision spirituelle. Quand le mental et la conscience s’unifient, « nous sommes à nouveau connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214). Cette mise en évidence de la conscience est un phénomène qui va entraîner des transformations profondes dans le monde.
Des champs nouveaux où la conscience émerge.
Les chapitres du livre nous présentent successivement des champs d’étude où la conscience apparaît désormais comme une réalité majeure. En voici quelques exemples.
Placebo/nocebo.
La croyance a le pouvoir de guérir ou de tuer. C’est l’effet placebo/ nocebo. L’auteur nous apporte un exemple particulièrement évocateur : un patient en train de mourir d’un cancer très avancé, apprenant l’apparition d’un nouveau médicament, le réclame et, après l’injection, connaît une guérison spectaculaire. Deux mois après, il apprend, en lisant un journal, que ce médicament a été jugé inefficace. Il rechute. Le médecin adopte un stratagème. En lui affirmant que son information est inexacte, il lui injecte de l’eau distillée. Et, à nouveau, les effets sont étonnants puisque très rapidement, la tumeur disparaît. Hélas, lisant à nouveau dans la presse la confirmation de l’inefficacité de ce médicament, il est réadmis à l’hôpital et meurt au bout de deux jours.
L’auteur ne mentionne pas seulement des cas surprenants, mais bien établis. Il nous fait part également de nombreuses recherches. Des traitements fictifs et même des opérations fictives remportent de grands succès lorsque les patients croient à leur efficacité. Mais on a vu que des croyances négatives ont parallèlement des effets néfastes. Ainsi, « À travers nos croyances, nous détenons une puissance de vie et de mort entre nos mains… La science a démontré, mainte et mainte fois, que ce que nous croyons influence significativement notre expérience de la souffrance, la réussite d’une opération, même l’issue d’une maladie. Nos attentes peuvent inciter nos corps à effectuer un travail de régulation de nos conditions physiques et émotionnelles » (p 40).
Neurofeedback
Plusieurs chapitres très documentés font le point sur l’influence considérable de la pensée sur les processus corporels.
Par exemple, le « neurofeedback » permet aux individus de changer certains aspects de leur fonctionnement physique et d’améliorer leur santé en traitant les informations qui leur sont fournies en temps réels sur les réponses de leur corps (comme le rythme cardiaque ou la tension musculaire). Le « neurofeedback » introduit des changements dans le fonctionnement du cerveau et peut aussi améliorer les fonctions cognitives, réduire l’anxiété et accroître le bien-être émotionnel.
Neuroplasticité
Bien plus, on découvre aujourd’hui les effets d’une pensée méthodiquement conduite et entraînée sur l’organisation et le fonctionnement du cerveau. Cette découverte de la « neuroplasticité » est relativement récente. Elle est apparue au cours des dernières décennies. Auparavant, les neuroscientifiques croyaient que le cerveau était figé dans son état initial parce qu’ils le concevaient comme une machine non évolutive. On sait maintenant qu’il n’en est rien. « La recherche a montré que nous pouvons intentionnellement éduquer notre mental à travers des pratiques méditatives et accroître ainsi l’activité de régions et de circuits de nos cerveaux non seulement dans le domaine de la concentration et de l’attention, mais aussi dans le domaine de l’empathie, de la compassion et du bien être émotionnel. De tels exercices peuvent même modifier la structure physique du cerveau ». A cet égard de nombreuses recherches ont été effectuées sur les effets de la méditation de moines bouddhistes et aussi de religieuses carmélites. Ces recherches mettent en évidence un effet majeur sur le fonctionnement et la structure du cerveau. L’auteur cite le Dalaï Lama : « Le cerveau que nous développons, reflète la vie que nous menons ». Bien évidemment, cette remarque est de portée générale.
Psychosomatique
Dans la même perspective, Mario Beauregard traite de « la connexion entre le corps et l’esprit » qui est le fondement de la médecine psychosomatique. Cette médecine, bien qu’encore trop peu considérée, est aujourd’hui bien connue. Il y a quelques années, Thierry Janssen, dans son livre : « La solution intérieure » (7) mettait à nouveau cette approche en valeur dans une enquête à l’échelle internationale sur la manière d’envisager les rapports entre l’esprit et le corps. L’auteur apporte ici un ensemble de données qui permettent de mieux comprendre les processus correspondants.
Hypnose
Et dans le chapitre suivant, il traite de l’hypnose à partir des recherches qui ont été effectuées sur ce phénomène. Il en explore les effets bénéfiques sur le plan médical. L’auteur voit dans l’hypnose une situation qui permet l’expression d’une force intérieure « En fait, nous ne sommes pas contrôlés par la suggestion hypnotique. Plutôt, l’hypnose peut nous aider à laisser tomber les barrières qui nous empêchent d’utiliser des capacités latentes en nous » (p 132).
Communication extrasensorielle.
Mario Beauregard confirme la réalité des phénomènes psychiques dans lesquels la réalité est appréhendée au delà de l’espace et du temps. Et comme dans la plupart de ses chapitres, il commence son exposé en nous proposant des études de cas. Et ici, il s’agit des performances d’un jeune homme recruté par les services de renseignement américains, qui, à distance, a perçu des situations et fourni des informations dont on a pu vérifier la réalité.
La recherche dans le domaine de la perception extrasensorielle prouve que nous pouvons recevoir de l’information à travers l’espace et le temps sans utiliser nos sens ordinaires. L’Esprit peut également influencer à distance de la matière et des organismes vivants. Ainsi, si aucune théorie ne permet aujourd’hui d’expliquer cette catégorie de phénomènes, il y a désormais un grand nombre de données expérimentales à ce sujet. L’auteur fait appel à la physique quantique pour apporter un début d’éclairage : « La physique classique décrit l’univers comme un ensemble d’éléments isolés les uns des autres.Mais la physique quantique a montré que l’univers est fondamentalement « non local » : les particules et les objets physiques qui paraissent être isolés et séparés sont en fait profondément interconnectés indépendamment de la distance » (p 154). Mais cette explication est insuffisante, car elle ne prend pas en compte les aspects psychologiques. En fait, « les phénomènes psy ont de profondes implications pour notre compréhension du rôle de l’esprit et de la conscience dans l’univers. Ces phénomènes suggèrent que l’esprit joue un rôle fondamental dans la nature et que la psyché et le monde physique ne sont pas radicalement séparés » (p 155).
Expériences aux frontières de la mort.
Le phénomène des « near-death experiences » (NDR), en français désigné sous le terme : « les expériences de mort imminente » (EMI), est aujourd’hui connu par un vaste public, car il a fait l’objet, depuis plusieurs décennies, d’une abondante littérature. Très tôt, avec la parution du livre du psychiatre américain, Raymond Moody : « La vie après la vie » (8), des exemples impressionnants et vraisemblables nous ont été apportés. Aujourd’hui, la recherche à ce sujet se fait de plus en plus rigoureuses, comme en témoigne la parution récente du livre d’un chirurgien néerlandais : Pim Van Lommel : « Consciousness beyond life. The science of near-death expériences » (9) qui rend compte de recherches scientifiques dont celles menées par l’auteur. Nous n’aborderons pas ici dans le détail les phénomènes correspondants. Voici quelques conclusions de Mario Beauregard au sujet de cet horizon nouveau qui s’offre à nous aujourd’hui : « Les études scientifiques sur les « near-death experiences » réalisées au cours des dernières décennies indiquent que les fonctions mentales les plus élevées peuvent être opérantes indépendamment du corps à un moment où l’activité du cerveau est gravement endommagée ou apparemment absente (lors d’un arrêt cardiaque). Quelques unes de ces études montrent que des gens aveugles peuvent avoir des perceptions véridiques au cours d’une expérience de sortie du corps. Les études sur les expériences aux frontières de la mort suggèrent qu’après la mort physique, l’esprit et la conscience continuent à un niveau transcendant de la réalité… Ce phénomène est incompatible avec la croyance de beaucoup de matérialiste selon laquelle le monde matériel serait l’unique réalité » (p 181-182). Le contenu de ces expériences n’est pas moins important puisqu’il véhicule généralement amour et paix.
Expériences mystiques.
Le dernier chapitre du livre porte sur les expériences mystiques. Elles sont caractérisées par une expansion de la conscience bien au delà des limites habituelles de nos corps et de nos égos, et au delà du concept quotidien de l’espace et du temps » (p 185). D’après le philosophe britannique, Walter Stace, ces expériences ont pour traits communs « la perception d’être un à l’infini, une vie sans faille, englober toute chose, des sentiments de paix, le bonheur et la joie, l’impression d’avoir touché au fondement ultime de la réalité (quelque fois identifié avec Dieu) et une transcendance de l’espace et du temps » (p 185). Les expériences mystiques peuvent être extraverties ou intraverties. Dans le premier cas, les réalités terrestres continuent à être perçues à travers les sens physiques, mais elles sont alors transfigurées par une conscience de l’unité qui brille à travers elles. Dans les formes extraverties, le « petit soi » ordinaire s’évanouit momentanément et revient transformé. « Il y a une union temporaire avec le tout, un sentiment d’unité avec toutes choses dans l’univers, la découverte que le fondement de l’être est à l’origine de la vie. On a pu parler à ce sujet de conscience cosmique » (p186). Dans la même perspective, le livre récemment publié par David Hay : « Somethingthere » rapporte une collecte d’expériences mystiques intervenues dans la quotidien telle qu’elle a été initiée par Alister Hardy, un autre chercheur britannique. Il a travaillé à partir de là sur le concept de spiritualité (10).
Mario Beauregard met en évidence la diversité des cadres et des situations dans lesquelles ces expériences peuvent survenir. Elles peuvent se produire en rapport ave une absorption de drogues. « Je suis d’accord avec Henri Bergson et Aldous Huxley que l’activité habituelle du cerveau joue un rôle de filtre qui, généralement, nous rend inconscient du fondement de l’être » (« Ground of being »). Les barrières seraient levées par certaines substances. Mais dans l’ensemble, le phénomène apparaît bien plus vaste et mystérieux. Chez ceux qui les ont vécues, les expériences mystiques produisent une transformation profonde dans leur vie ultérieure : un sens de la vie nouveau, un bien être psychologique. On a pu observer des changements analogues après certaines expériences aux frontières de la mort (11).
L’émergence d’une conscience nouvelle.
A la fin de son livre, dans sa conclusion, Mario Beauregard évoque « un grand changement dans la conscience » (« A great shift inconsciousness »). En effet, à partir de champs d’étude différents, toutes ces recherches convergent dans la mise en évidence de la réalité et de la puissance de l’esprit humain et, au delà, de la réalité d’un univers spirituel qui nous dépasse infiniment : « Nos esprits peuvent être extrêmement puissants, bien plus puissants que nous pouvions l’imaginer il y a quelques décennies » (p 208). Ces facultés peuvent dépasser les contraintes habituelles à l’espace et au temps. Les expériences aux frontières de la mort mettent en évidence que l’esprit a une certaine autonomie par rapport à l’activité cérébrale. La composante mystique des expériences aux frontières de la mort montre qu’elles comportent un accès à de nouveaux univers de réalité, indépendamment du cerveau. Et, de même, les récits des expériences mystiques ouvrent nos yeux à une nouvelle vision de l’univers et de la place de l’être humain dans celui-ci. Pour interpréter ces données en termes scientifiques, Mario Beauregard fait appel aux apports de la physique quantique qui change notre perception de la réalité matérielle.
Son livre nous introduit dans un nouveau paradigme, une transformation révolutionnaire de notre représentation de l’être humaine et cette transformation intervient à partir de données scientifiques, qui, par delà les particularités sociales et culturelles, ont une portée universelle. Mario Beauregard, dans l’enthousiasme de cette découverte, proclame les aspects positifs de ce grand mouvement de la conscience. Il y voit une affirmation de la dignité de l’homme, une ouverture à des valeurs positives comme la compassion, le respect et la paix. Rejoignant la définition de la spiritualité qui nous est apportée par David Hay comme « une conscience relationnelle », Mario Beauregard nous dit que lorsque le mental, l’esprit et la conscience sont reconnus comme une réalité unifiée, « nous sommes connectés à nous-même, aux autres, à notre planète et à l’univers » (p 214).
Une esquisse de questionnement théologique.
La vision qui nous est présentée par Mario Beauregard bouscule les thèses matérialistes qui remontent au XIXè siècle. Mais sa nouveauté radicale interpelle aussi tous ceux qui réfléchissent à la place de l’être humain dans l’univers, philosophes, théologiens, mais aussi les chercheurs travaillant dans des champs scientifiques différents. Cette vision appelle une réflexion interdisciplinaire. Elle requiert également une recherche théologique. Nous situant dans une perspective chrétienne, voici quelques questions qui nous semblent appeler réflexion, en sachant, au départ, qu’en milieu chrétien, la réception de cette vision sera différente selon les mentalités. Les représentations nouvelles qui nous sont proposées par le livre de Mario Beauregard induisent de nombreux questionnements en rapport notamment avec la conception de l’homme, la manifestation du bien et du mal, la perception et la représentation de Dieu, la destinée humaine, la manière dont nous percevons le temps où nous vivons.
Le livre de Mario Beauregard met en valeur la dignité de l’homme. La personnalité de celui-ci n’est pas déterminée par des conditionnements biologiques. Non seulement, il a une part de liberté, mais les recherches mettent en valeur le potentiel considérable dont il dispose pour exercer une influence sur ces conditions de vie. L’esprit humain se voit reconnaître une capacité d’intervention jusque là inenvisageable, par exemple, dans certains cas, une communication qui peut s’exercer au delà des limites habituelles de notre corps. Au total, il y a là une mise en valeur de la puissance de l’esprit humain. Bien sûr, en contrepartie, la responsabilité humaine est alors davantage engagée. Car, si puissance il y a, il est d’autant plus nécessaire qu’elle s’exerce au service du bien. C’est dire que l’homme a besoin d’une inspiration bénéfique. Cependant, par delà cette interrogation, cette vision est susceptible de contrarier et d’inquiéter tous ceux qui portent sur l’homme un regard globalement négatif et pessimiste. Ainsi, dans le monde chrétien, elle se heurte à un courant de pensée enraciné dans une forme de pensée théologique qui met l’accent sur l’impact destructeur du péché originel et la corruption de la nature humaine qui en serait résultée. Cette tradition, apparue au début de la chrétienté s’est longtemps poursuivie en son sein. D’autre part, la représentation de Dieu intervient parallèlement. S’il est envisagé selon l’image des monarques dominateurs de l’Antiquité et non comme un Dieu trinitaire, communion d’amour qui appelle à la participation des êtres humains, alors on sera enclin à ne pas encourager le potentiel humain. Encore aujourd’hui, dans certains milieux, la puissance de Dieu paraît mieux valorisée si l’on pose en comparaison la faiblesse de l’homme. En regard, la représentation nouvelle de l’homme qui nous est communiquée par Mario Beauregard trouve un éclairage chez les théologiens qui mettent l’accent sur la création de l’homme par Dieu, « à son image et à sa ressemblance » (Genèse 1.26) et dans l’avènement décisif de la venue, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ qui remporte la victoire sur la mort, induit un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité et prépare l’avènement d’une création nouvelle dans laquelle Dieu sera « tout en tous ». Comme le montre Jürgen Moltmann dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Dieu est à la fois transcendant et immanent. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans la création. L’homme s’inscrit dans cette création et est appelé à y participer.
Dans cette perspective, si le mal est encore bien actif dans ce monde, la dynamique de Dieu porte la vie. Et nous sommes appelés à y participer selon les capacités qui nous sont données et dont nous voyons, à travers ce livre, qu’elles dépassent ce qu’on imaginait jusqu’ici. Et d’autre part, « Dieu est le créateur des choses visibles et invisibles ». Nous sommes appelés à dépasser une opposition tranchée entre naturel et surnaturel. C’est-à-dire, en termes caricaturaux, ce qui relèverait de l’homme et ce qui relèverait de Dieu. La découverte de capacités nouvelles accessibles à l’homme ne s’oppose pas à la puissance de Dieu, mais elle en est le reflet et elle s’inscrit dans l’œuvre de l’Esprit. Si cette vision nouvelle va à l’encontre des interdits qui avaient pu s’installer dans une inquiétude allant de pair avec l’ignorance, elle appelle au contraire une participation accrue des chrétiens à l’œuvre de l’Esprit qui devraient trouver dans la conscience du potentiel humain, un encouragement pour manifester cette oeuvre avec force par exemple dans le domaine de la guérison.
D’autre part, les recherches dont Mario Beauregard dresse le bilan dans le domaine des expériences aux frontières de la mort, mais aussi dans le champ des expériences mystiques, nous apporte, à travers des données empiriques, une représentation du « divin » et une perception des rapports entre le « divin » et l’humain. Cet apport appelle un approfondissement de la réflexion théologique. L’histoire nous montre le parcours des représentations de Dieu à travers les siècles dans le monde chrétien. On peut y observer des contrastes et des évolutions. Jésus nous communique une vision de Dieu comme un Etre qui se révèle dans la tendresse de l’appellation : « Papa » et comme le Père miséricordieux qui accordent à tous les hommes les bienfaits de la création : le soleil et la pluie (Matthieu 5.45). A travers son ministère terrestre, sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ remporte la victoire sur le mal et ouvre les portes d’un univers nouveau dans lequel Dieu sera « tout en tous ». Ces quelques notations ont simplement pour but d’évoquer la bonté et la puissance infinie de Dieu telles qu’on peut en trouver une approche chez certains théologiens. La vision du « divin », qui nous est communiquée par Mario Beauregard rejoint l’approche de ces théologiens. Les expériences du « divin » sont essentiellement des manifestations d’amour et de paix. Et elles sont accordées, sans discrimination, à des hommes et des femmes issus d’univers culturels et religieux très variés. Elles se manifestent ainsi comme un don de Dieu, en terme de grâce selon le vocabulaire chrétien. C’est une réalité qui va à l’encontre de tout exclusivisme dans lequel certains voudraient attribuer aux chrétiens la propriété des œuvres du Saint Esprit et une emprise sur l’horizon du salut. Il n’est pas de notre compétence de rendre compte ici des orientations de la théologie contemporaine. On trouvera sur ce site les apports plusieurs théologiens qui interviennent sur cette question : William Davies dans « Spirit without frontiers » (L’Esprit sans frontière) (13), Brian McLaren dans « Generous orthodoxy » (« Orthodoxie généreuse ») (14) et Jürgen Moltmann dans l’ensemble de son œuvre (15). David Hay, dans son livre : « Something there » (10) inscrit la démarche de sa recherche dans une perspective analogue : suivre attentivement la manière dont l’Esprit s’exprime aujourd’hui.
Certains peuvent s’interroger sur la spécificité chrétienne. Il nous paraît que les chrétiens sont appelés à accompagner les manifestations du « divin », de la « conscience cosmique », par une réflexion inspirée par la Parole Biblique qui permettra aux personnes concernées d’avancer dans l’interprétation de ce vécu. Un bel exemple nous en est donné par l’itinéraire de Wolfhart Pannenberg qui, incroyant à l’époque, a vécu dans sa jeunesse une expérience mystique. Celle-ci a suscité en lui une recherche qui a débouché sur une entrée dans la foi chrétienne et une œuvre de théologien qui apparaît comme particulièrement significative. Mais il y a aussi une manière de vivre ces expériences dans laquelle il y a immédiatement un rapport direct et réciproque entre le vécu et une foi chrétienne déjà présente. La foi est nourrie et éclairée par l’Esprit Saint tel qu’il se manifeste dans ces expériences. Celles-ci sont vécues dans une dimension personnalisée : une relation avec Jésus-Christ. Les exemples sont innombrables, et, proche de nous à Témoins, ce rapport entre l’expérience et la Parole s’exprime bien dans le vécu d’Odile Hassenforder tel qu’elle l’exprime dans le livre : « Sa présence dans ma vie » (16). Le récit de sa guérison, expérience fondatrice qui s’accompagne d’un vif ressenti de l’amour de Dieu, témoigne de la manière dont cette expérience illumine et éclaire sa compréhension de la Parole. « Dieu se manifestait à moi par l’amour qui m’envahissait. Je me suis sentie aimée au point où cet amour débordait de moi sur tous ceux que je rencontrais… J’avais demandé la vie. Je l’ai reçu en abondance, bien au delà de ce que je pouvais imaginer : la vie éternelle… Je suis née à la vie de l’Esprit, je suis entrée dans l’univers spirituel… « Le Royaume de Dieu » dit Jésus. Ce fut une révélation pour moi… La trinité devenait une réalité aussi naturelle qu’avoir des parents… Jésus, par sa mort et sa résurrection, m’a tirée de la mort où m’entraînait le mal, pour me donner la vie éternelle en me réconciliant avec le Père… J’avais soif d’en connaître davantage. Je lisais ma Bible, surtout le Nouveau Testament. Et assez curieusement, je comprenais des choses qui m’étaient jusque-là restées hermétiques… » (p 34).
Le livre de Mario Beauregard s’inscrit dans un contexte nouveau culturel et spirituel. Dans la recherche, particulièrement dans le domaine des sciences humaines, le choix d’un sujet d’investigation, l’attention qui lui est portée, la démarche suivie ne sont pas sans rapport avec des transformations plus générales dans les manières de voir et de sentir. Dans bien des domaines, il y a des pionniers qui se heurtent d’abord à l’incompréhension, et puis, à un moment, le climat change et la même problématique commence à déboucher. Parallèlement des recherches nouvelles ébranlent les anciennes certitudes et un nouveau paradigme émerge. Dans un livre récent : « The future of faith » (17), le théologien américain Harvey Cox, rapportant le bilan de plusieurs décennies de recherche, évoque l’apparition d’un « âge de l’Esprit » où l’expérience a une place majeure. Sur le registre scientifique des neurosciences, la recherche de Mario Beauregard correspond et contribue à un changement dans notre conception du monde et notre regard sur la vie. Dans cette période de mutation culturelle où nous vivons, nous sommes appelés à discerner « les signes des temps » (18)
Jean Hassenforder
(1) Sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles » :
(2) Beauregard (Mario), O’Leary (Denyse). Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme. Guy Trédaniel, 2008. Mise en perspective sur le site de Témoins
(3) Beauregard (Marion). Brain wars. The scientific battle over the existence of the mind and the proof that will change the way we live our lives. Harper Collins, 2012. Nous reprenons ici la mise en perspective de ce livre (« la dynamique de la conscience et de l’esprit humain ») réalisée pour le site de Témoins, actuellement (mars-avril 2016) en réfection, et en conséquence, non accessible. Ce texte renvoie aux pages de ce livre, depuis lors traduit en français. Sur ce blog, une présentation du livre de Mario Beauregard : « Potentiel de l’esprit humain et dynamique de la conscience » : https://vivreetesperer.com/?p=737
(4) Beauregard (Mario). Les pouvoirs de la conscience. Comment nos pensées influencent la réalité. Interéditions Dunod, 2013
(5) Fondée en 1995 sous l’impulsion de Jean Staune et de Jean-François Lambert, L’Université interdisciplinaire de Paris (UIP) a joué un rôle pionnier dans le développement d’une vision du monde prenant en compte démarche scientifique et démarche de foi en organisant colloques et rencontres dans une perspective internationale et interdisciplinaire. Site : http://uip.edu Jean Staune est l’auteur de deux best-sellers, « Les clés du futur » qui analyse les mutations de la société sous les angles, technologique, sociologique, scientifique et économique, et « Notre existence a-t-elle un sens ? » qui parcourt à la fois les sciences de l’univers, de la matière, de la vie, de la conscience pour analyser les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques contemporaines . Voir : http://www.jeanstaune.fr
(6) « Pour une approche intégrale de la conscience » : intervention sur YouTube de Mario Beauregard, neurologue, chercheur à l’Université d’Arizona (USA) :
(8) Moody (Raymond). La vie après la vie. Laffont, 1977
(9) Van Lommel (Pim). Consciousness beyond life. The science of near-death experiences. Harper Collins, 2010. Présentation sur le blog : Vivre et espérer : « les expériences spirituelles telles que les « near-death experiences ». https://vivreetesperer.com/?p=670
(10) Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Sur le site de Témoins : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui ».
(11) « Les expériences spirituelles telles que les « near-death expériences ». Quels changements de représentations et de comportements ? » Article sur le blog : Vivre et espérer.
(12) Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie ».
(13) Davies (William R). Spirit without mesure. Charismatic faith and practice. Darton, Longman and Todd, 1996. Sur le site de Témoins : « Une ouverture théologique pour le courant charismatique ».
(16) Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, Temps présent, 2011. Des passages de ce livre ont fréquemment été présentés sur ce blog : Vivre et espérer
(17) Cox (Harvey). The future of faith. Harper, 2009 Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? « The future of faith » par Harvey Cox »
(18) Parole de Jésus sur les signes des temps : Matthieu 16.3. Sur le site de Témoins : « Les signes des temps. Comprendre notre environnement culturel et pratiquer une théologie du quotidien »
Les expériences spirituelles telles que les « near-death experiences ». Quels changements de représentations et de comportements ?
Notre horizon serait-il limité par une conception du monde dans laquelle la conscience humaine serait solitaire dans l’univers en l’absence de vis-à-vis d’une conscience supérieure ? Notre existence serait-elle enfermée dans un cycle commençant à la naissance et se terminant à la mort ?
La myopie d’une science qui, à une certaine étape de son développement où l’esprit humain a pu penser maîtriser les lois de l’univers, couplée au rejet d’une religion perçue comme un assujettissement, fait obstacle, aujourd’hui encore, à la prise de conscience de la réalité d’une conscience supérieure. Mais, à partir de champs différents, on assiste de plus en plus aujourd’hui à la reconnaissance d’une réalité qui nous dépasse. Et, de plus en plus, la conscience supérieure qui se manifeste à travers différentes expériences, se révèle bienfaisante.
Dans son livre : « Something there » (Il y a bien quelque chose) (1), David Hay nous ouvre à la perception des réalités spirituelles, dans une démarche d’observation et d’enquête qui se veut résolument scientifique. Il s’appuie notamment sur la collecte méthodique d’expressions et de témoignages qu’un autre biologiste britannique, Alister Hardy, a réalisé pour faire apparaître le contenu des expériences spirituelles qui sont vécues par un nombre appréciable de personnes ayant répondu positivement à la question : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ?» (2).
Dans son livre : « Du cerveau à Dieu, plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (3), Mario Beauregard consacre un chapitre aux expériences spirituelles et religieuses. Bien plus, il apporte un témoignage sur une expérience personnelle. Celle-ci est survenue, il y a une vingtaine d’années alors qu’il était allongé sur son lit dans un état de fatigue chronique. « Tout à coup, j’ai fusionné avec l’intelligence cosmique (ou l’ultime réalité), source d’amour infini et je me suis retrouvé uni à tout ce qui existe dans le cosmos. Cet état d’être s’accompagnait d’une intense félicité et extase. Cette expérience m’a transformé psychologiquement et spirituellement, et m’a donné la force nécessaire pour surmonter ma maladie et guérir » (p 388). On notera le caractère bienfaisant de cette expérience.
Les « near-death experiences (NDE) » : expériences de mort imminente (EMI). Influence sur les représentations et les comportements.
Or, dans un autre domaine, concernant cette fois l’épisode de la mort, une mise en évidence de la réalité d’expériences qui manifestent la poursuite de la conscience humaine au delà de la vie terrestre, est apparue dans les années 70, notamment à travers la parution du livre emblématique de Raymond Moody : « La vie après la vie » (4). Et, depuis lors, ces phénomènes : les « near-death experiences (NDE) » (expériences de mort imminente (EMI), sont de plus en plus étudiées. À côté d’une littérature qui exprime ce vécu, une démarche scientifique s’est appliquée à en analyser toutes les dimensions. Et, à cet égard, le livre récent, écrit par un chirurgien et cardiologue, Pim Van Lommel : « Consciousness beyond life. The science of near-death experiences » (5) est salué par des observateurs qualifiés comme une avancée significative de la recherche : « Les faits confirment la réalité des « near-death experiences » et suggèrent que les scientifiques devraient repenser leurs théories sur un des ultimes mystères médicaux : la nature de la conscience humaine » (The Washington Post). « Cette recherche sera accueillie par les chercheurs qui croient que l’activité de l’esprit continue après que le cerveau se soit arrêté. Les responsables des églises y verront une mise en évidence de la réalité de l’âme » (The Sunday Telegraph).
Influence des expériences de mort imminente sur les représentations et les comportements.
Nous n’entrerons pas dans une présentation des multiples facettes de cette recherche sur les expériences de vie après la mort. Nous supposons par ailleurs que les caractéristiques générales de ces expériences sont connues par un large public. Dans ce contexte, les récits rapportent le plus souvent, que les personnes en partance pour ce nouvel univers se sont senti accueillies dans un climat relationnel manifestant paix et amour. Nous ne traiterons pas ici des cas qui échappent à cette tendance générale. Nous voudrions donc simplement évoquer ici les aspects globalement bienfaisants de ces expériences, tels qu’ils sont décrits dans le troisième chapitre du livre : « Changed by a « near-death experience ».
De fait, comme les expériences qui, comme on l’a vu, adviennent parfois dans des circonstances de la vie ordinaire, comme une manifestation d’une réalité qui dépasse notre entendement habituel, les « near-death experiences » contribuent à un éveil de la conscience et de la vie spirituelle. Dans les deux cas, l’expression de ces expériences se heurtent à une censure culturelle encore répandue dans les pays occidentaux. Comme le montre Pim Van Lommel, ces résistances freinent ainsi le partage de la vision qui a été vécue, et donc son intégration de la vie de ceux qui en sont les bénéficiaires. Cela rend plus difficile l’adaptation aux changements dans les sensibilités et les comportements. Des troubles peuvent en résulter.
Chez certains, on note des transformations très sensibles dans les registres physique ou psychique. Sur le plan physique, ce peut être une activité accrue des sens, des allergies, des phénomènes électro- magnétiques, des dons de guérison. Sur le plan psychique, on note souvent l’apparition de forme de perception et de communication qui dépassent la vie ordinaire : clairvoyance, télépathie, précognition … Ces facultés requièrent une capacité de gestion qui n’est pas acquise d’avance.
Cependant, Pim Van Lommel met en évidence un ensemble de changements qui ont manifestement un effet bénéfique, soit dans l’immédiat, soit, plus encore, au long de processus qui se développent dans la durée.
Il y a une acceptation de soi et un changement de sa propre image dans un sens positif. Cette amélioration engendre une plus grande autonomie et s’accompagne d’une curiosité d’esprit accrue.
Il y a la compassion pour les autres. Ainsi note une personne : « Il est évident pour moi que cette expérience a transformé mes émotions. Tout ce que je fais maintenant a pour but de répandre un sentiment d’amour » (p 53). Les gens pardonnent davantage. Ils apprécient davantage les relations et ils sont en plus grande capacité de partager leurs émotions avec d’autres. Ils deviennent compatissants et s’engagent dans une relation d’aide vis-à-vis des autres.
Leur vision de la vie change également. Les gens qui ont vécu cette expérience apprécient les petites choses de la vie, prêtent davantage attention à l’ici et maintenant et jouissent du moment présent. Ils attachent moins d’importance au statut social, à l’argent, aux biens matériels, à la compétition. Ils ont un respect accru pour la vie et apprécient davantage la nature.
Ces expériences engendrent la conviction de l’existence d’une vie après la mort. Elles réduisent beaucoup la peur de la mort. « Je n’ai plus peur de la mort. Je considère cette expérience que j’ai vécue comme un don. Maintenant, je sais qu’il y a un au delà à la mort. Je suis reconnaissant. Je sens que je dois parler de cela pour aider les autres, pour les rassurer s’ils ont peur de la mort » (p 54).
Il y a aussi une vie spirituelle accrue. On observe généralement un accroissement du sentiment religieux tandis que l’intérêt pour la « religion organisée », les institutions et les pratiques, décroît fortement. On note un développement sensible de la prière, de laméditation. « Les gens ressentent qu’ils ont une mission et ils sont nourris par une vision spirituelle et le sentiment de faire partie d’un univers qui a un sens ».
Le livre de Pim Van Lommell : « Consciousness beyond life » traite des différents aspects des «near death experiences ». À partir d’une réflexion scientifique, il nous introduit dans une nouvelle perspective sur les rapports de la conscience et du cerveau. Ainsi, énonce-t-il de nouveaux concepts comme la continuité de la conscience, sa non localisation, son inscription dans un espace multidimensionnel, une interprétation de ces phénomènes à la lumière de la mécanique quantique. Ces thèses peuvent être contestées, mais elles sont fondées sur une grande compétence.
Dans cette note, nous nous sommes centrés sur un aspect particulier : les changements généralement induits par ces expériences dans les représentations et les comportements de ceux qui l’ont vécu. Le phénomène des « near death experiences » se heurte à un déni à la fois chez les tenants d’un matérialisme scientiste, et chez des fondamentalistes religieux qui s’approprient le salut en le réservant à ceux qui croient à leur doctrine. Dans la mutation culturelle qui se développe aujourd’hui à l’échelle mondiale, les expériences spirituelles et religieuses dans une variété de circonstances qui dépasse la seule approche de la mort, témoignent de la visibilité croissante d’une conscience spirituelle. Pour beaucoup de chrétiens, ce phénomène apparaît comme une manifestation de la bonté et de générosité de Dieu qui nous est présenté dans l’évangile comme un « Père céleste » miséricordieux et une œuvre de l’Esprit qui anime la création et donne la vie (6). En milieu chrétien, sur le registre du donné, à l’exemple et à la suite de la Pentecôte, des expériences de plénitude se manifestent par ailleurs depuis longtemps dans des formes reconnues comme le baptême ou l’effusion del’Esprit. L’intensité de l’amour qui apparaît sur un registre personnel dans de nombreux récits concernant des « expériences de mort imminente » dépasse l’entendement humain et évoque pour nous l’amour qui se manifeste en Jésus-Christ. Pour tous, les expériences spirituelles et religieuses suscitent l’espérance.
(4) Publié aux Etats-Unis en 1975, sous le titre : « Life after life », le livre paraît deux ans plus tard en français : Moody (Raymond). La vie après la vie, Laffont, 1977
Manifestement, la transition écologique implique une transformation profonde dans notre genre de vie et, en conséquence, dans nos mentalités. Ce changement, intervenant dans des habitudes séculaires, ne va pas de soi. Il peut entrainer un ressenti de perte et un bouleversement des repères. Le coût est élevé. Face à ce coût, nous avons besoin d’une force motrice qui induise une nouvelle manière de voir, mais aussi de sentir, si bien que les comportements émergents puissent être assortis de satisfactions nouvelles. Par exemple, la « sobriété heureuse » ne peut l’être que si l’on y trouve des satisfactions morales, psychologiques et matérielles permettant de quitter la posture de consommateur traditionnel. La transition écologique implique des transformations sociales et économiques. Elle requiert en conséquence une vision éclairant ces transformations.
Aujourd’hui, à partir même des changements en cours, nous commençons à comprendre que tout se tient et à voir le vivant et le monde dans leurs interrelations, dans une approche globale, dans une perspective holistique. L’ampleur du changement requis requiert un dépassement. On rencontre ici une approche spirituelle si tant est qu’on puisse la définir, avec David Hay (1), comme « uneconscience relationnelle » dans une relation avec les autres et avec soi-même, avec la nature, avec la présence divine… Et, de plus, en se référant à un chercheur anglais, Alister Hardy, le même David Hay perçoit le potentiel spirituel de l’homme comme une faculté qui s’inscrit dans l’évolution des êtres vivants. Si, la transition écologique nous achemine vers une civilisation nouvelle, ce processus requiert une vision spirituelle qui puisse éclairer les acteurs. Cette vision est déjà en cours. Elle est exprimée par des théologiens et par des sages (2). Elle inspire des pratiques nouvelles. On assiste à des émergences et à des convergences. Nous avons besoin de reconnaître ce mouvement et d’en percevoir toutes les dimensions. Comment mobilise-t-il déjà de nombreuses ressources en terme d’initiatives et de communautés ? A ce stade, le récent livre de Christine Kristof-Lardet : « Sur la Terre comme au Ciel » (3), est une contribution particulièrement importante puisqu’elle nous fait connaître « les lieuxspirituels engagésen écologie ». « Nombre de communautés spirituelles intègrent aujourd’hui la dimension écologique dans leur mode de vie et leurs structures, puisant à la source de leur sagesse les raisons de leur engagement pour la terre et le vivant. En même temps, elles sont des laboratoires où s’inventent et s’expriment des « possibles » qui peuvent nourrir notre société en quête de sens, de valeurs et de repères. Cette ouverture favorise l’émergence d’une approche spirituelle de l’écologie au sein de laquelle les postures du « méditant » et du « militant » se fécondent mutuellement » (page de couverture).
Approche spirituelle de l’écologie
Christinde Kristof-Lardet nous présente ainsi « une approche spirituelle de l’écologie ». C’est la poursuite d’un cheminement que Christine accomplit depuis une vingtaine d’années. « Ecojournaliste, écrivain, voyageur, militante écologiste à les heures, j’ai vu, pleuré et défendu la beauté de la Terre. Je me suis parfois posée dans des monastères retirés du monde et me suis laissé questionner. Comment, devant tant de splendeur, ne pas avoir le cœur chaviré ? Comment trouver la paix intérieure au sein du chaos que mes reportages me donnaient à voir ? Comment concilier ma quête écologique et ma quête spirituelle ? c’est lors d’une grande rencontre organisée au centre bouddhiste Karma Ling en Savoie que la jonction s’est opérée et que j’ai compris qu’écologie et spiritualité n’étaient en fait qu’une seule et même réalité. Cette prise de conscience a signé le début de mon exploration » (p 9). Dans une inspiration chrétienne et dans une dimension interreligieuse, Christine Kristof Lardet a donc suivi cette voie, la voie d’une convergence entre écologie et spiritualité. Journaliste, spécialiste des questions écologiques, elle est aujourd’hui rédactrice en chef de la revue Présence (4). Dans la continuité d’un travail jadis engagé par le WWF en direction des spiritualités, elle a poursuivi cette tâche en créant avec d’autres personnes de diverses traditions, un « Réseau desécosites sacrés ». « La vocation de ce réseau est de mettre en lumière les initiations écologiques inspirantes au sein des centres spirituels et de favoriser le dialogue entre ces lieux ».
Il s’agit bien de mettre en évidence la montée d’une approche spirituelle de l’écologie. « S’interroger sur les causes profondes de la destruction de la nature et de la crise écologique conduit à comprendre que celles-ci s’enracinent en grande partie dans notre cœur, notre culture et notre façon de « penser le monde ». C’est donc là, dans notre esprit et notre cœur que nous devons aussi chercher les solutions. La perspective de l’effondrement ne relèvent pas de la crise à résoudre ; elle nous appelle à une transformation intérieure qui seule permettra une véritable mutation de notre société… Il nous faut accomplir « un saut quantique » de la conscience. Pour cela, il convient de sortir de la séparation – perçue ou vécue comme telle – entre le monde de l’écologie et celui de la spiritualité. Développer une approche spirituelle de l’écologie, au sein de laquelle la posture du « méditant » vient nourrir celle du « militant » – et inversement – ouvre des perspectives de réconciliation et d’espérance » (p 11).
Un réseau d’écosites sacrés
Nous découvrons à travers ce livre de nombreuses communautés qui s’inscrivent dans des cheminements religieux différents, du christianisme, aux religions orientales et aussi à des spiritualités émergentes et qui, chacune, s’ouvrent à la conscience écologique. On pourrait dire que, d’une certaine manière, leurs pratiques spirituelles les prédisposent à un éveil écologique, mais que c’est justement cet éveil qui engendre une dynamique commune. « L’écologie se pose de façon transversale au cœur des traditions spirituelles et inspire chacun de nous, « habitants de la maison commune », croyants et non croyants confondus : « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous », écrit le pape François dans l’encyclique « Laudatosi’ » consacrée à l’écologie. Découvrir quelles sont les visions et les ressources cultivées au sein des centres spirituels, les mettre en lumière et montrer leur pertinence est un des buts de cet ouvrage » (p 11-12). Quelque soient les manques et les dysfonctionnements éventuels, ces communautés participent à une évolution générale. Elles innovent. « Toutes ces communautés, aussi imparfaites soient-elles, peuvent être également vues comme des laboratoires ou s’expérimente en miniature et de manière concentrée tout ce que notre humanité traverse à une plus grande échelle. Ce qui se joue dans notre société, notamment la transition écologique, se joue également en microcosme au sein des centres spirituels. Dans ce sens, il n’est peut-être pas vain d’imaginer que tous les trésors d’amour, de courage et de perspicacité mis en œuvre par ces communautés puissent être profitables au plus grand nombre » (p 12-13).
Ainsi, l’auteure nous introduit ici dans la vie d’une trentaine de communautés à travers « des reportages, réalisés en plusieurs années et actualisés en permanence, pensés dans une perspective de découverte et de partage et témoignages vécus »… Notre posture de base s’inscrit dans une neutralité bienveillante et lucide ». Le lecteur que nous sommes, trouve que cet objectif a été bien rempli. Chaque communauté est l’objet d’une monographie qui nous permet de la situer dans son histoire et d’en découvrir la vie quotidienne dans ses différents aspects. En 200 pages, il y a là un ensemble d’études de cas particulièrement éclairantes.
Nous voici en voyage : Des communautés chrétiennes anciennes ou nouvelles, des communautés de tradition orientale, des « communautés spirituelles intentionnelles »…
Quelques exemples en empruntant un tout petit bout de descriptif :
LeCentre Amma de Pontgoin
« Le Centre Amma de Pontgoin, teinté d’Orient et d’Occident, est tout d’abord un lieu pour vivre les enseignements d’Amma… la sainte indienne qui serre les foules dans ses bras. Il s’inscrit dans la lignée des ashrams indiens par sa philosophie, les rituels et la discipline qui y est pratiquée. En même temps, cet ashram est un écosite qui expérimente et promeut un vivre-ensemble écologique en harmonie avec la nature… Au Centre Amma où l’on s’exerce aussi bien à la méditation, qu’à la permaculture, à la gouvernance partagée ou à l’art du compostage, la pratique spirituelle et l’engagement écologique se nourrissent mutuellement » ( p 21).
L’Arche de Saint-Antoine
« Dans cette ancienne abbaye, lovée au pied du Vercors, s’expérimente, depuis une trentaine d’années, une vie profonde de fraternité et de partage dans l’esprit de Lanza del Vasto, un disciple chrétien de Gandhi, à mi-chemin entre la vie monastique et la vie laïque. Cette communauté se compose aujourd’hui d’une cinquantaine de personnes qui expérimentent un mode de vie simple fondé sur la non-violence et la spiritualité, et sous-tendu par la recherche d’une harmonie avec soi, les autres et la nature. Ces valeurs constituent la trame d’une écologie intégrale qui se décline dans tous les aspects de la vie » (p 39).
Le Village des Pruniers
Fondé au cœur de la Dordogne par le vénérable moine, Thich Nhat Han en 1982, ce centre spirituel incarne le rêve de son fondateur de développer, dans un lieu de nature préservé et nourrissant, une communauté conjuguant la pratique de la pleine conscience et le vivre-ensemble fraternel… Puisant aux fondements de la tradition bouddhiste zen, cette communauté internationale propose aux multiples retraitants d’expérimenter la pratique de la méditation dans ses différentes formes et de vivre un chemin de réconciliation avec soi, avec les autres et avec la Terre » (p 59).
L’écohameau de La Chaux en Côte d’or
« Loin du tout-conformisme comme du tout-confort, Marie et Alexande Sokolovtch posent leur sac en juin 2009 à la ferme de La Chaux en Bourgogne après des années de nomadisme alternatif au service de jeunes démunis. Leur désir : prendre le temps, à la suite de Jésus, de vivre une simplicité volontaire et évangélique dans la cohérence entre engagement social, écologique et spirituel… Les Evangiles, c’est notre base et notre nourriture… Aujourd’hui, trois familles sont installées à La Chaux et forment avec sept enfants et un célibataire, une communauté d’une quinzaine d’habitants fixes. Inspirée des communautés de l’Arche de Lanza del Vasto, le ferme de La Chaux est aujourd’hui un bastion de la sobriété et de la débrouille, mais aussi un lieu où s’expérimente de façon atypique, le partage, l’accueil inconditionnel du prochain et la relation à la terre. Par son mode de vie et sa pratique, la ferme de La Chaux explore les différentes dimensions de l’écologie : la sobriété, l’usage du troc, la relation à la terre avec la réalisation de zones de maraichages ouvertes à tous et des cultures de variétés anciennes de blé en agroforesterie… , le partage et le don » (p 139-140)
Le monastère de Taulignan
« Onze sœurs vivent aujourd’hui dans ce monastère perdu au milieu de la Drome provençale. Elles cultivent des plantes aromatiques servant à créer des huiles essentielles ou des hydrolats dans la distillerie qu’elles ont fait construire en 2014. Cette activité est née de la nécessité de trouver une activité pouvant assurer leur subsistance en accord avec la vie monastique. C’est un parcours écologique qui a été encouragé par le paysan philosophe Pierre Rabbi. Au cœur de leur vie communautaire et de prière, ces pionnières cherchent à explorer entre Terre et Ciel la ligne de crête entre foi et écologie » (p 105).
Le monastère Orthodoxe de Solan dans le Gard
« Le monastère de Solan abrite aujourd’hui 17 moniales de tradition orthodoxe qui vivent principalement de la production de vin et des produits de leurs récoltes au potager ou au verger » . « La rencontre avec l’agroécologiste Pierre Rabbi dans les années 1990 a été décisive ». Elles ont accompli un beau parcours écologique. « Aujourd’hui, elles mettent en pratique ces principes écologiques d’autant plus naturellement qu’elles les vivent aussi de l’intérieur par la prière… la liturgie… une ascèse et l’eucharistie partagée dans une conscience ouverte au cosmos ». « Dans notre tradition, nous n’avons pas la dichotomie habituelle entre le spirituel et le matériel, le Créateur et la Création, entre l’homme et la nature… Nous nous sentons vraiment faire partie de la Création… » (p 136-131)
L’écovillage de Findhorn en Ecosse
« Le rôle de Findhorn depuis sa création a été de démontrer l’expérience pratique de la communion et de la coopération avec la nature fondée sur une vision de la vie et de l’intelligence organisée qui lui est inhérente » ( David Spangler). Au départ, en 1962 ,dans le nord de l’Ecosse, « c’est un groupe de trois adultes et six enfants, poussés par le « destin », qui s’installe sur un terrain de caravaning et qui développe une vie en harmonie avec le divin et la nature. Aujourd’hui, c’est une communauté composée d’environ 600 personnes qui propose un modèle de vie cohérente fondée sur trois principes : la spiritualité (par l’écoute intérieure), le service à autrui (par l’amour en action), et l’écologie globale (par l’intelligence au cœur de la nature) »… « La communauté de Findhorn s’illustre pas sa longévité et son développement exceptionnel… Elle a su conjuguer la spiritualité, la relation à la nature et le service au monde. Ces bases solides ont permis l’émergence de nouveaux paradigmes et de chemins jusque là inexplorés, en particulier la coopération avec l’intelligence de la nature… Dans ce creuset, s’est développée non seulement une conscience forte de l’unité de toutes choses, mais aussi la nécessité d’inscrire notre humanité dans le cercle beaucoup plus vaste de la communauté du vivant, avec laquelle nous partageons une fraternité ontologique » (p 177 et 198).
A travers ces quelques exemples, une grande émergence apparait et des convergences sensibles se manifestent.
A partir de cette recherche, Christine Kristof-Lardet met en évidence un dynamique spirituelle, communautaire, écologique. « Dépositaires de sagesse, ces communautés peuvent contribuer à soutenir et à nourrir l’évolution du monde, sa conversion vers un authentique respect de la planète et de tous les êtres qui l’habitent. Ce n’est que dans une approche globale, écosystémique, transdisciplinaire que nous pouvons répondre aux défis de notre temps » (p 235-236).
Ce livre bien écrit, bien construit rend compte au plus près de la démarche des communautés où la spiritualité et l’écologie s’allient. Il tient bien l’objectif annoncé : être « une ressource qui peut inspirer chacun dans sa quête d’harmonie et ouvrir des perspectives pertinentes pour notre monde en transition » .Comme l’écrit SabishKumar : « La transition nous appelle à passer à une vision holistique du monde, où physique et métaphysique, engagement et spiritualité dansent ensemble comme les deux faces d’une même médaille : Transition extérieure et transition intérieure vont de pair » (p 9)
Une vision exprimée par des théologiens et des sages. Ce livre comprend une bibliographie étendue (p 267-273) ; L’auteure note l’influence des spiritualités bouddhiste, hindouistes et plus largement orientales . « Ces spiritualités qui, pour la plupart s’ancrent dans une approche écosystémique et holistique, ont permis d’élargir les perspectives de nos cultures souvent cartésiennes, réductionnistes et largement anthropocentriques… Les résonnances étonnantes entre les textes récents du dalaï-lama autour de la responsabilité universelle par exemple et ceux du pape François dans l’encyclique « Laudato si’» sur l’écologie intégrale, révèlent une complémentarité de points de vue » (p 81), Dans le champ de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann a accompli un travail pionnier puisque son livre : « Dieu dans la création » et avec pour sous-titre : « Traité écologique de la création » est paru au Cerf en 1988. Courte présentation : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/ La pensée théologique de Jürgen Moltmann est très présente sur ce blog : « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François, Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/ Nous mettons également en évidence le courant écologique outre-Atlantique inspiré par le théologien : Thomas Berry : « Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie » : https://vivreetesperer.com/comment-entendre-les-principes-de-la-vie-cosmique-pour-entrer-en-harmonie/ Dans son « Center for action and contemplation », Richard Rohr développe également une spiritualité écologique. Nous avons rapporté certains de ses thèmes : « L’homme, la nature et Dieu » : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
Christine Kristof-Lardet. Sur la Terre comme au Ciel. Lieux spirituels engagés en écologie. Labor et Fides, 2019
Lorsque la réalité spirituelle sort de l’ordinaire
Il arrive que soudain une personne ressente la conscience d’une réalité belle et bonne qui la dépasse, une présence qui suscite en elle une impression inégalée de plénitude. Ce sont là des expériences qui sortent de l’ordinaire, mais qui néanmoins adviennent à certains comme une recherche récente le montre à partir d’une enquête menée en Grande-Bretagne. Ces expériences ne sont pas réservées aux croyants. En grande majorité, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme étant en quelque sorte données comme la révélation d’une réalité supérieure.
Dans le cadre d’une « Unité de recherche sur l ‘expérience religieuse » fondée dans le cadre de l’Université du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au départ un zoologiste éminent, a constitué une banque de données rassemblant des récits d’expérience à partir desquelles il a été ensuite possible d’analyser la nature et la fonction de ces expériences. Il s’est inspiré d’une méthodologie qui lui était familière, celle des sciences naturelles : recueillir des échantillons et les classer. A partir de publicités diffusées dans la presse, il a donc demandé à un vaste public de participer à une enquête. Sous différentes variantes, la question était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle » que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». En réponse, Hardy a rassemblé plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces données ne sont qu’une des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la réalité de la vie spirituelle dans la société d’aujourd’hui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donné à cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay présente dans ce livre des extraits de récits d’expériences. A titre d’exemple, en voici quelques descriptions.
Descriptions d’expériences
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« J’étais dans une habitation à la campagne. Une nuit, à environ une heure du matin, je me suis lentement éveillé à un sentiment de sécurité et de bonheur absolu. C’est comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait à chanter : « Tout est bien ». Après quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir à la fenêtre. Je vis alors la vallée remplie de l’amour de Dieu, coulant et débordant de la route et des quelques maisons du village. C’était comme si une grande source de lumière, d’amour et de bonté était là dans la vallée. Je sortis et la lumière et l’assurance étaient là. Je regardais et regardais. Et, pour être honnête, je n’étais pas reconnaissant comme j’aurais du l’être, mais je cherchais à enregistrer la conscience de cette joie et de cette sécurité de telle manière que je ne puisse pas l’oublier » .
Voici une autre expérience, celle-là d’une veuve dans la détresse : « J’avais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en même temps. Je sentais que la vie n’aurait plus de sens si la peur s’installait pour me dominer. Un soir, sans aucune préparation, j’ai su que j’étais dans la présence de Dieu, qu’il ne me laisserait jamais et qu’Il m’aimait d’un amour au-delà de toute imagination… ».
Et maintenant un souvenir d’enfance : « Mon père avait l’habitude d’emmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin étroit à travers un champ de blé. J’étais en arrière et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppée dans une lumière dorée. J’ai eu conscience d’une présence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je n’entendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent à moi très distinctement : « Tout est bien. Tout est très bien ».
Ces expériences ont un grand impact qur la personnalité de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapporté dans un autre livre : « Du cerveau à Dieu . Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme » (2). L’auteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expériences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-même témoigne d’une expérience qui a influé sur sa vie. « L’une de ces expériences est survenue, il y a une vingtaine d’années alors que j’étais allongé dans mon lit. J’étais alors particulièrement faible et je souffrais d’une forme sévère de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de fatigue chronique. L’expérience a commencé par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertébrale et la poitrine. Tout à coup, j’ai fusionné avec l’intelligence cosmique (ou l’ultime réalité), source d’amour infini et je me suis retrouvé uni à tout ce qui existe dans le cosmos. Cet état d’être…s’accompagnait d’une intense félicité et extase… Cette expérience m’a transformé psychologiquement et spirituellement et m’a donné la force nécessaire pour surmonter ma maladie et guérir… » (p.388).
Les expériences religieuses et spirituelles.
Portée et évolution du phénomène.
Comme on vient de le voir, ces expériences sont très variées et elles sont rapportées différemment. Ainsi le langage est différent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expériences adviennent à des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sûr, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur être attribuée. Ces expériences sont également soudaines. Elles sont sans commune mesure avec l’imagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci s’interroge et hésite à en faire part, gardant cette mémoire dans l’intimité. Au total, il apparaît maintenant que ces expériences sont beaucoup plus nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer.
De fait, on découvre aujourd’hui qu’il y a là un phénomène important, jusque là passé sous silence et méconnu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative à ce phénomène dans deux enquêtes effectuées en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les résultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant à un échantillon national déclarent qu’ils ont connu ce genre d’expérience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considérablement augmenté et s’élève à 76%. Près des trois quarts de la population britannique est ainsi concerné.
L’augmentation considérable de ce pourcentage, dans une courte période : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprète cette situation dans les termes de l’abaissement d’une censure socioculturelle qui, jusque-là, empêchait les gens de s’exprimer librement à ce sujet.
Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre d’une recherche méthodique nous interpellent. Elles nous incitent à penser qu’il y a bien une réalité supérieure au delà de notre appréhension immédiate. Les personnes qui ont vécu des expériences de ce genre se posent évidemment des questions sur le sens qui peut leur être attribuées. Ainsi, à 16 ans, un jeune allemand vécut une expérience de ce genre en pleine rue. A l’époque, il n’était pas croyant et cette expérience suscita en lui une recherche de sens. Quelques années plus tard, il découvrit la foi chrétienne et il devint plus tard le grand théologien, Wolfhart Pannenberg (3).
Rappelons la question initiale posée en vue de la collecte des descriptions de ces expériences : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencé par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non, et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs d’expérience que vous aimeriez partager ?
2) Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau à Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expériences religieuses et spirituelles. Présentation du livre sur le site de Témoins : L’esprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html
3) Cf : textes biographiques. Cette expérience fondatrice est mentionnée sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des théologiens qui reconnaissent dans l’homme un sens spirituel à l’image de Dieu.