Reconnaître et vivre la présence d’un Dieu relationnel

 

indexExtraits du livre de Richard Rohr : The divine dance

Dans un article précédent (1), nous avons présenté le livre de Richard Rohr : « The divine dance. The Trinity and your transformation ». (La danse divine. Dieu trinitaire et votre transformation). Il nous parle d’un Dieu qui est communion d’amour et présence relationnelle. De nombreux commentateurs convergent  pour voir dans ce livre, un ouvrage original qui ouvre un nouvel horizon.

En attendant une traduction de ce livre en français, en voici quelques extraits dans une traduction en français qui ne relève pas d’une compétence professionnelle, mais qui s’efforce de rapporter une pensée vive et profonde.

Ces extraits suscitent notre réflexion. Ils nous questionnent et ils nous interpellent. Ils éveillent notre méditation. Ils nous invitent à lire le livre de Richard Rohr pour poursuivre notre découverte et notre recherche.

 

La présence unifiante de Dieu est déjà là

Au cœur de l’expérience spirituelle, «  accepter que nous sommes acceptés et vivre en conséquence ».

Mais tant d’obstacles au sein même de l’univers religieux : «  Nous vivons dans l’autoaccusation…. nous sommes convaincus que nous sommes indignes… nous avons été tellement anesthésiés à la bonne nouvelle de l’Evangile que la question de notre union à Dieu a été résolue une fois pour toute »… Il y a aussi la résistance d’un ego et d’une autosuffisance.

Mais la grâce est là. « Vous ne pouvez pas créer votre union à Dieu. Elle vous est déjà donnée. La différence n’est pas entre ceux qui sont unis à Dieu et ceux qui ne le sont pas. Nous sommes tous unis à Dieu, mais seulement certains d’entre nous le savent ».

(p 109)

Une vie bonne, c’est une vie en relation

Lorsqu’une personne est séparée, isolée, seule, la maladie menace.

« La voie de Jésus, c’est une invitation à une vision trinitaire de la vie, de l’amour, et de la relation sur la terre comme au sein de la Divinité. Comme la Trinité, notre nature, c’est de vivre en pleine relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour et, en dehors de cela, nous mourons très rapidement ».

« Dieu est entièrement relation », nous dit Richard Rohr. « Je décrirai le salut comme étant simplement le désir et la capacité d’être en relation »

(p 46-47)

 

Etre ensemble

Richard Rohr nous rapporte une affirmation qui est présente dans les quatre évangiles à la fois : « Quiconque vous accueille m’accueille, et quiconque m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé »  (1).

« Si vous avez grandi dans le christianisme, vous avez entendu souvent ce verset. Mais vous êtes vous arrêtè pour réfléchir à ce qui  vraiment arrivait là ? Jésus dit qu’il y a une équivalence morale entre vous, votre prochain, le Christ et Dieu. C’est une chaine étonnante entre les êtres qui n’est pas évidente pour un observateur occasionnel.

Cette nouvelle ontologie, cette nouvelle manière de parcourir la réalité, est le cœur et le fondement de toute la révélation, de toute la révolution chrétienne. Cela vient profondément remodeler notre compréhension de qui Dieu est et ou il se trouve. Et aussi de qui nous sommes et où nous sommes.

Est-ce que vous allez recevoir cette vision ? Dieu n’est pas là bas à l’extérieur, ce que la religion a envisagé depuis le début. On doit se demander : quelle est l’expérience nouvelle qui a permis à tous les quatre évangiles de parler d’une manière si peu conforme et cependant si assurée ? ».

(1) Matthieu 10.40 Marc 9.37 Luc 10.16 Jean 13.20

(p 164)

 

Reconnaître le champ de la force divine.

« Comme nous accordons nos cœurs à une vision plus vaste, nous commençons à faire l’expérience de Dieu presque comme un champ de force pour emprunter une métaphore à la physique…. Et nous sommes tous déjà dans ce champ de force, que nous le sachions ou pas, de la même façon que des hindous, des bouddhistes, des gens de toute race et de toute nationalité . Dieu ne commence pas et ne s’arrête pas à une frontière.

Quand vous vous ouvrez au flux de la réalité fondamentale à travers votre vie, vous êtes une personne universelle qui vit au delà de ces frontières que les êtres humains aiment créer. Paul l’exprime joliment : «  Notre citoyenneté est dans les cieux ».

En devenant plus âgé, je suis devenu prêt quotidiennement à accepter et à faire confiance au champ de force en sachant qu’il est bon, qu’il est totalement de notre côté et que je suis déjà à l’intérieur. Comment pourrions-nous être en paix autrement ?

C’est seulement dans cette acceptation et cette confiance de base que je puis cesser de me polariser sur telle ou telle chose dans mon mental ou même de me créer des problèmes mentaux.

( p 111)

 

A l’encontre d’un pouvoir dominateur, une puissance partagée

  « La Trinité nous dit que le pouvoir de Dieu n’est pas domination, menace, coercition. A la place, il est d’une nature totalement différente, ce à quoi les disciples de Jésus ne se sont pas encore ajustés. Si le Père ne domine pas le Fils,, si le Fils ne domine pas le Saint Esprit et si l’Esprit ne domine pas le Père et le Fils, alors, il n’y a pas de domination en Dieu. Toute puissance divine est une puissance partagée, ce qui devrait avoir complètement changé la politique et la relation chrétienne. Dans la Trinité, il n’y a pas de recherche de pouvoir sur,  mais seulement un pouvoir avec,  un don sans retenue, un partage, un lâcher prise et, ainsi, une confiance et une réciprocité infinie. Il y a là une puissance pour changer nos relations dans le mariage, la culture et même les relations internationales… »

(p 95-96)

 

Trois

« Il faut une personne pour être un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. Et il faut au moins trois personnes pour faire une communautéTrois (« trey ») crée la possibilité pour les gens d’aller au delà de leur intérêt personnel. C’est le commencement d’un sens du bien commun, d’un projet commun au delà de ce qui correspond aux intérêts personnels. Trois crée de la stabilité et de la sécurité qui est essentielle pour une communauté.

Parce que la réalité ultime de l’univers révélée dans la Trinité est une communauté de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est le seul moyen possible pour les gens de se relier les uns aux autres avec l’individualité de chacun, la réciprocité de deux, la stabilité, objectivité et subjectivité de trois »   (d’après Dave Andrews)

(p 101)

 

Une confiance naturelle à l’exemple de l’enfant

« Tournons-nous vers l’exemple de l’enfant pour réaliser la vertu naturelle de l’espérance. Les experts en marketing nous disent que les enfants (et les chiens) sont encore plus efficaces que le sexe dans la publicité. Pourquoi ? Parce que les enfants et les chiens sont encore remplis par une espérance naturelle et l’attente qu’on répondra à leur sourire. Ils tendent à établir un contact direct à travers leur regard… C’est l’être pur, c’est le flux sans inhibition.

C’est pourquoi Jésus nous a dit d’être comme des enfants. Il n’y a rien qui arrête le pur flux qui s’exprime dans un enfant ou dans un chien. Et c’est pourquoi quiconque a une once d’humanité et d’amour en lui est sans défense vis à vis d’une telle présence »

C’est une évocation de la présence de Dieu. « Nous voyons dans ce flux toute attirance pour la beauté, toute admiration, toute extase,  toute la solidarité avec la souffrance. Quiconque qui s’ouvre pleinement au flux verra l’image divine même dans des lieux qui sont devenus laids ou défaits. C’est la vision universelle de la Trinité »

( p 81-82)

 

Tous solidaires

« Nous ne pouvons séparer Jésus du Dieu trinitaire. Cependant, le pratiquant moyen n’a jamais eu la chance d’accéder à une économie de la grâce bien plus vaste »…

Nous pensons dans une perspective de rareté. Elargissons notre horizon. L’espérance elle-même s’applique en premier au collectif. Nous avons cherché à susciter de l’espérance chez un individu isolé dans un cosmos, une société et une humanité voués à la désespérance et à la punition. Il est très difficile pour des individus de jouir de la foi, de l’espérance et de l’amour, et même de prêcher la foi, l’espérance et l’amour, qui seuls élèvent, si la société elle-même ne jouit pas de cette foi, de cette espérance et de cet amour. C’est une bonne partie de notre problème aujourd’hui. Nous n’avons pas donné au monde un message à la dimension  cosmique

Dieu, en tant que Dieu trinitaire, donne de l’espérance à la société dans son ensemble parce que cela découle de la nature même de son existence et non sur les conduites fluctuantes et instables des individus ».

(p 81)

 

Louange de la création

 Dans une œuvre créatrice, L’Esprit Saint tend à multiplier continuellement des formes toujours nouvelles de créativité et de vie. On dit que 2/3 des formes de vie existent sous les mers. Et un tiers d’entre elles n’ont jamais été entrevues par un œil humain . « Qu’est-ce qu’une forme de vie en dehors de nous pour le voir ? » peuvent s’imaginer des humains autocentrés. Leur valeur ne dépend pas de notre reconnaissance à leur sujet. Comme les psaumes le disent de nombreuses manières, « les cieux proclament la gloire de Dieu » (Psaume 19.1).

De fait, la grande majorité des animaux et des fleurs qui ont existé, n’ont jamais été observés par l’œil humain. Ils forment le cercle universel de la louange. Simplement en existant, en ne faisant rien, toute chose rend grâce à Dieu. Toute chose. En existant, simplement en existant. C’est le fondement. Si vous désirez être un contemplatif, c’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Toute chose, en étant elle-même, donne pure gloire à Dieu…. »

Richard Rohr cite ensuite une écrivaine appréciée : Annie Dillard. « Nous sommes là pour témoigner de la création et pour l’encourager. Nous sommes là pour remarquer chaque chose de telle manière à ce que chaque chose se trouve remarquée. Ensemble nous remarquons chaque ombre d’une montagne,  chaque pierre sur la plage, mais tout particulièrement, les beaux visages et natures complexes des uns et des autres…Autrement, la création serait en train de jouer dans une maison vide ».

(p 187-188)

 

L’Ecriture en mouvement

« L’Ecriture est à la fois pleinement humaine et pleinement divine. Elle est toujours écrite par des humains dans une perspective humaine. Nous l’appelons « Parole de Dieu », mais la seule « Parole de Dieu » endossée sans équivoque dans les pages de la Bible, c’est Jésus, le Logos éternel.

Dans mon livre : « Des choses cachées. L’Ecriture comme spiritualité », j’ai décrit la Bible comme une progression graduelle allant de l’avant. Le narratif est en mouvement vers une théologie toujours plus développée de la grâce, jusqu’à ce que Jésus devienne la grâce personnifiée. Mais c’est un concept que le psychisme humain n’est jamais complètement prêt à accepter. Nous résistons et vous verrez aussi dans la majorité des textes bibliques ce que l’anthropologue René Girard appelle « un texte en travail », un texte souffrant….

C’est encore vrai dans le Nouveau Testament, où même les déclarations de Jean sur l’amour inconditionnel sont encore accompagnées de lignes qui semblent impliquer un amour conditionnel, ainsi : « Si vous obéissez à mes commandements » est formulé à plusieurs reprises…Psychologiquement, les humains ont réellement encore besoin de quelque amour conditionnel pour aller vers la reconnaissance et le besoin d’un amour inconditionnel.  Nous avons reçu la promesse d’un plein amour (grâce) ici et maintenant, mais c’est toujours trop à croire pour l’esprit et pour le cœur….

Le texte biblique reflète à la fois la croissance et la résistance de l’âme. L’Ecriture est une symphonie polyphonique,  une conversation avec elle-même où elle joue des mélodies et des dissonances, trois pas en avant, deux pas en arrière. Progressivement et finalement, les trois pas l’emporteront. Le texte se déplace inexorablement vers l’inclusivité, la grâce, l’amour inconditionnel et le pardon. J’appelle cela « l’herméneutique de Jésus ». Interprétez les Ecritures de la manière dont Jésus l’a fait. Il ignore, dénie ou s’oppose ouvertement à ses propres Ecritures, quand elles sont impérialistes, punitives, exclusivistes ou tribales. Vérifiez par vous-même…. »

( p 136-137)

 

Ouvrir notre horizon

Faut-il redouter les apports d’autres traditions religieuses ?

« Dans notre climat fortement polarisé, je sais que certains chrétiens ont appris pendant des générations à redouter tout ce qui ne vient pas « purement » de « nos » sources ». Cependant, « notre propre Ecriture  contient des exemples d’apports appréciés d ‘éléments de fois environnantes… Nous sommes peureux. Dieu, apparemment, est sans peur…Si la vérité est la vérité, si Dieu est un, alors il y a une réalité et il y a une vérité… Ne pourrait-on pas être heureux quand d’autres religions déduisent approximativement la même chose ?… »

Richard Rohr a vécu en Inde, berceau d’une tradition religieuse très ancienne. « Dans la théologie et dans le langage hindou, il y a trois qualités de Dieu et donc de toute réalité. J’ai entendu fréquemment ces mots : « sat, chit, ananda ».

Sat est le mot correspondant à l’Etre (Being). Dieu est l’Etre lui-même. L’Etre universel, la source de tout être, nous l’appelons le Père.

Chat est le mot pour conscience et connaissance. Dieu est conscience et esprit. Est-ce que cela ne rappelle pas le Logos ? Naturellement, notre concept biblique de Logos a été emprunté à la philosophie grecque. L’auteur de l’Evangile de Jean a déjà fait ce que je fais maintenant :  emprunter à une sagesse extra-biblique, extra-judaïque.

Et finalement, Ananda. Cela signifie : bonheur, béatitude. Est-ce que cela ne résonne pas comme la joie de l’Esprit Saint, le bonheur que vous pouvez expérimenter lorsque vous vivez sans résistance dans le flux. Vous ne savez pas d’où Il vient, ce que Jésus dit à propos de l’Esprit . Comme la grâce elle-même, ananda est un don qui vient de nulle part »…

Je n’ai pas à travailler dur pour reconnaître ici la dimension trinitaire :

Sat-Chit-Ananda.

Etre, connaissance, bonheur

Père, Fils, Esprit.

La vérité est une et universelle

(p 140-141)

 

S’ouvrir au mystère

« C’est seulement Dieu en nous qui comprend les choses de Dieu. Nous devons prendre cela très au sérieux et savoir comment il opère en nous, avec nous, pour nous, comme nous. L’échec dans l’accès à notre propre système de fonctionnement a rendu une part du christianisme très immature et superficiel avec des clichés de seconde main au lieu d’une expérience calme, claire et immédiate de la réalité. Cela nous a laissé du côté de l’argumentation plutôt que de l’appréciation… ainsi, tout ce qui reflète un mystère reste statique dans la forme de dogmes et de doctrines, hautement abstrait, densément métaphysique et largement non pertinent.

Pourquoi l’athéisme occidental se développe-t-il ? Pourquoi les chrétiens occidentaux produisent-ils le plus grand nombre d’athées ? Ce que crois, et j’ai dédié ma vie à renverser la tendance, c’est que nous n’avons pas porté le dogme et la doctrine au niveau de l’expérience intérieure. Aussi longtemps que l’enseignement reçu ne devient pas une connaissance expérientielle, nous continuons à créer une grande quantité de croyants désabusés ».

(p 123-124)

 

Guidance

« La vie de foi, c’est un chemin vigilant pour apprendre comment demeurer paisiblement dans un Amour ultime et dans une Source infinie. D’une façon très pratique, vous serez alors capables de découvrir avec confiance que vous êtes gardés et guidés. De fait, après quelque temps, vous pourrez avoir confiance que presque tout est en forme de guidance, absolument tout. Votre capacité à faire confiance à la réalité d’une guidance, va lui permettre de se révéler. Etonnante logique, mais ne l’écartez pas jusqu’à ce que vous ayez sincèrement essayé. J’ai confiance que vous en viendrez à voir que c’est vrai dans l’économie divine des choses…

Certes, votre jugement calculateur pourra douter. Quand vous doutez de la possibilité de telles choses, vous arrêtez le flux. Mais si vous demeurez dans la disposition de permettre et de faire confiance, l’Esprit en vous, vous permettra de lâcher prise avec confiance. Il y a une raison pour cela.  Je suis en train de vivre comme le fleuve s’écoule, porté par la surprise de son/mon déroulement. Je suis conduit. C’est bon…

S’il vous plait, n’entendez pas que j’adopte une approche fataliste, comme si vous ne pouviez travailler pour améliorer et changer la situation. En fait, c’est tout le contraire. Vous pouvez.

Mais ce que je suis en train de vous dire, c’est ce qui doit venir en premier à votre cœur et à votre âme doit être un oui et non un non, la confiance au lieu de la résistance. Et quand vous pourrez avancer avec vos ouis et vous permettre de voir Dieu dans tous les moments de votre vie, vous reconnaitrez qu’une telle énergie n’est jamais gaspillée, mais génère toujours de la vie et de la lumière »

(p 97-98)

Ces passages du livre de Richard Rohr et de Mike Morrell : « The divine dance » ouvrent des avenues pour notre réflexion et des pistes pour notre méditation. Si cette lecture suscite des échos, elle pourra inciter un éditeur à entreprendre une traduction en français.

(1)            Richard Rohr with Mike Morrell. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016.  Mise en perspective sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

Sur ce blog, dans le même esprit de stimulation et d’incitation, nous avons également présenté des extraits du dernier livre de Jürgen Moltmann : The living God and the fullness of life (Le Dieu vivant et la plénitude de vie) : https://vivreetesperer.com/?p=2758

 

 

Une nouvelle manière de croire

Selon Diana Butler Bass dans son livre : « Grounded »

 

Beaucoup de gens s’éloignent des églises classiques et entrent en recherche. Est-ce à dire qu’on croit de moins en moins ou bien la foi change-t-elle de forme ? On peut observer ce mouvement dans la plupart des pays occidentaux. Et les Etats-Unis, longtemps caractérisés par une forte pratique religieuse, commencent à participer à cette évolution. C’est une question qui nous intéresse tous à titre collectif, mais aussi à titre personnel. Diana Butler Bass, historienne et théologienne américaine, nous apporte une réponse dans son livre : « Grounded. God in the world. A spiritual revolution » (1). Dans un précédent article, nous avons présenté cet ouvrage en terme de convergence entre la pensée de Diana Butler Bass et celle de Jürgen Moltmann, un grand théologien innovant (2). Nous envisageons ici plus particulièrement comment Diana Butler Bass perçoit un changement dans la manière de croire. Mais rappelons d’abord la démarche de cet ouvrage (3).

 

« Chaque année, davantage d’américains laissent derrière eux la religion organisée : les gens se désaffilient et comme la nation devient de plus en plus diverse religieusement (4). Diana Butler Bass, éminente commentatrice dans le champ de la religion et de la culture, poursuit son livre fort apprécié : « Christianity after religion » (5) en argumentant que ce qui apparaît comme un déclin indique en réalité une transformation majeure dans la manière où les gens se représentent Dieu et en font l’expérience. Du Dieu distant de la religion conventionnelle, on passe à un sens plus intime du sacré qui emplit le monde. Ce mouvement, d’un Dieu vertical à un Dieu qui s’inscrit dans la nature et dans la communauté humaine, est au cœur de la révolution spirituelle qui nous environne, et cela interpelle non seulement les institutions religieuses, mais aussi les institutions politiques et sociales. « Grounded » explore ce nouvel environnement culturel comme Diana Butler Bass nous révèle ici la manière dont les gens trouvent un nouvel environnement spirituel (« new spiritual ground ») dans un Dieu qui réside avec nous dans le monde : dans le sol, l’eau, le ciel, dans nos maisons et nos voisinages et dans nos espaces communs. Les gens se connectent avec Dieu dans l’environnement dans lequel nous vivons ». Avec Diana, entrons dans son livre à travers son introduction. « Ce dont nous avons besoin est là », nous propose-t-elle à travers une citation de Wendell Berry (p 1).

 

Où est Dieu ?

« Où est Dieu ? » est une des questions les plus importantes de tous les temps. Les gens croient, mais ils croient différemment de la manière dont ils ont cru. Le sol de la théologie est en mouvement. Une révolution spirituelle est en route ».

Diana Butler Bass évoque un univers religieux qui lui paraît appartenir au passé. « Il n’y a pas longtemps, les croyants affirmaient que Dieu résidait au Ciel, un endroit lointain où les fidèles trouveraient une récompense éternelle. Nous occupions un univers à trois étages avec au dessus le Ciel où Dieu vivait, le monde au dessous où nous vivions, et un monde des bas-fonds (« underworld ») où nous redoutions de pouvoir aller après la mort. L’Eglise intervenait comme médiatrice entre le ciel et la terre, agissant comme une espèce d’ascenseur céleste où Dieu envoyait des directives divines, et, si nous obéissions à ses directives, nous pouvions monter éventuellement vivre au Ciel pour toujours et éviter les terreurs d’en bas » (p 4). Cet ordre à trois étages a vacillé au siècle dernier. Et puis, il est apparu de plus en plus évident que nous ne pouvions plus revivre cette représentation de Dieu dans une société qui n’existait plus. « Le théisme conventionnel est au cœur du fondamentalisme et correspond à cet univers à trois étages » ( p 6).

Mais nous savons aujourd’hui que l’enfer existe sur terre. Et pourquoi pas le paradis ? Diana Butler Bass évoque une fusillade tragique dans une école américaine. Cet épisode tragique a suscité beaucoup de questions existentielles. « La réponse la plus répétée et apparemment la plus réconfortante était que Dieu était « avec les victimes ». Dieu « avec » les victimes ? « Avec nous ? ».

Aujourd’hui, nous vivons une époque tragique d’anxiété et de peur. Où est Dieu ? L’image ancienne de Dieu ne répond plus à nos questions. On observe une montée de l’incroyance. « Pourtant, tandis que certains ont conclu que les hommes sont seuls, d’autres regardent aux mêmes évènements et suggèrent une possibilité spirituelle bien différente : « Dieu est avec nous ». En regard de tous ces malheurs, Diana Butler Bass évoque la réponse de Bonhoeffer : « Seul un Dieu souffrant peut aider ». « Dieu est avec nous, dans et à travers ces terribles évènements » ( p 8). Un chercheur juif : Abraham Heschel voyait en Dieu : « Celui qui aime le monde profondément, ressent ce que vit sa création et participe à sa vie ». « Cela signifie naturellement que Dieu est avec nous non seulement dans les temps de misère et d’angoisse. Dieu est avec nous au milieu de notre joie et dans les expériences les plus séculières de la vie… Depuis les années où Heschel écrivait, un langage culturel de la proximité divine est venu nous entourer : on peut trouver Dieu au bord de la mer, dans un coucher de soleil, dans le jardin que nous plantons, dans les histoires qui nous réjouissent, dans la bonne nourriture, dans la convivialité… » (p 9). Ainsi, « si certains adorent Dieu dans une distante majesté et si d’autres rejettent l’existence divine, des millions de nos contemporains font l’expérience de Dieu d’une manière beaucoup plus personnelle et accessible que jamais auparavant » (p 9). Et ce changement intervient dans le monde entier, sur toute la planète. « Dieu est accessible sans médiation, local, animant le monde naturel et l’activité humaine dans des modes profondément intimes. De fait, cela a toujours été la voie des mystiques. Mais maintenant, ce mode personnel, mystique, immédiat et intime émerge comme une voie majeure pour notre relation avec le divin » (p 9).

Ce changement profond dans la manière de concevoir la relation avec Dieu interpelle les églises et les religions. « Les institutions religieuses servaient de structures médiatrices entre ce qui était saint et ce qui était séculier. Les questions recherchant des information sur le « qui ? » et le « quoi ? » avec demande d’une réponse d’autorité, sont remplacées par des questions relatives à des questions existentielles et ouvertes relatives au « où ? » et au « comment ? ». Non seulement les questions ont changé, mais la manière dont nous les posons a changé. Nous ne vivons plus isolés par des barrières d’ethnicité, de race et de religion. Nous sommes connectés dans une communauté globale.

Nous cherchons des réponses dans internet. Nous posons des questions à nos voisins bouddhistes ou hindous. Nous ouvrons nos textes saints et les textes des autres. Nous écoutons les prédicateurs des religions du monde… Ce mouvement dans la conscience religieuse est un phénomène mondial, une sorte de toile spirituelle dans laquelle nous nous inscrivons… » ( p 10). Quelque soient les résistances des incroyants, ce changement est un réenchantement du monde, une révolution spirituelle d’une étonnante ampleur. Et ce changement est en cours aujourd’hui dans de nombreuses cultures.

 

Dieu avec (dans) le monde

 Comme beaucoup d’autres, raconte Diana, j’ai été formée dans une théologie verticale : « Dieu existe loin du monde et fait une faveur à l’humanité en s’en rapprochant. Les prédications déclaraient que la sainteté de Dieu nous était étrangère et que le péché nous séparait de Dieu » (p 12). Cependant, Diana a vécu des expériences qui impliquaient une vision différente. Ainsi, raconte-t-elle une expérience vécue dans sa toute petite enfance. Et elle nous rapporte d’autres expériences très diverses. Plus jeune, elle n’osait pas en parler dans son église, mais maintenant, elle sait que ce ne sont pas des expériences rares ou extraordinaires. Il y a aujourd’hui toute une littérature relative à l’expérience spirituelle depuis les comptes rendus d’expériences proches de la mort jusqu’à de profondes rencontres en rapport avec la nature, le service aux autres ou une émotion artistique. « La moitié des américains adultes, dont même quelques uns qui se déclarent athées ou non croyants, rapportent avoir eu une telle expérience au moins une fois dans leur vie » ( p 13).

« Nous voilà conduits vers une théologie alternative mettant l’accent sur la connexion et sur l’intimité. Dans la tradition chrétienne, Jésus parle ce langage quand il proclame : «  Le Père et moi, nous sommes un » (Jean 16.30) et quand il souffle sur les disciples en leur envoyant le Saint Esprit ( Jean 20.22). C’est le témoignage de l’apôtre Paul au sujet de sa rencontre mystique avec Christ. Quand la Bible est lue dans la perspective de la proximité divine, il devient clair que la plupart des prophètes, des poètes et des prédicateurs sont particulièrement en porte à faux (« worried ») avec les institutions et les pratiques religieuses qui perpétuent le fossé entre Dieu et l’humanité. La narration biblique est celle d’un Dieu qui s’approche, poussé par un désir pressant d’amener le ciel sur la terre et de remplir les cœurs humains » (p 13). Cette expérience d’intimité spirituelle apparait également dans d’autres religions. Aujourd’hui, les institutions et les philosophies de haut en bas s’affaiblissent et cela concerne également les religions. « Les gens mènent leur propre révolution théologique et découvrent que l’Esprit est bien plus avec le monde que l’on nous l’avait précédemment enseigné » ( p 15). « Il y a une conscience de plus en plus répandue que Dieu est avec nous au sein de la création, de la culture et du cosmos… Ce changement de ton apparaît dans les prédications de personnalités bien connues comme Desmond Tutu, le Dalaï Lama et le pape  François.. ».

Diana Butler Bass est historienne. On peut donc l’entendre lorsqu’elle écrit : « Le fait le plus significatif dans l’histoire des religions  aujourd’hui n’est pas le déclin de la religion occidentale, le rejet des institutions religieuses ou ma montée de l’extrémisme religieux, c’est un changement dans la représentation de Dieu, une renaissance de la foi montant des profondeurs » (p 16).

 

Une révolution spirituelle

« Le Dieu conventionnel existait en dehors de l’espace et du temps, un être qui vivait aux cieux sans être affecté par les limites humaines. Ainsi la théologie occidentale a développé un langage que les théologiens appellent les « omnis » : Dieu est omnipotent, omniprésent, omniscient, tout puissant… Mais aujourd’hui, Dieu est de  plus en plus perçu comme un Dieu en relation avec l’espace et le temps, comme un Dieu qui connecte et crée toute chose… les « omnis » ne parviennent pas à décrire cela. A la place, nous pouvons penser à Dieu en terme d’ « inter », le fil spirituel entre l’espace et le temps, « intra «  à l’intérieur de l’espace et du temps et « infra » qui tient l’espace et le temps. Dieu n’est pas au dessus et au delà, mais intégralement dans l’ensemble de sa création, entrelacé avec l’écologie sacrée de l’univers » ( p 25).

La révolution spirituelle concerne à la fois Dieu et le monde. Elle concerne Dieu, mais elle ne l’aborde pas comme un extra-terrestre. Elle concerne le monde, mais elle n’engendre pas la sécularisation. C’est une révolution au milieu du terrain (« middle ground revolution ») dans laquelle des millions de gens naviguent dans un espace entre le théisme conventionnel et un monde sécularisé. Ils tracent un chemin qui enveloppe le séculier et le sacré en trouvant un Dieu qui est « un mystère  gracieux toujours plus grand, toujours plus près, à travers une conscience nouvelle de la terre et dans la vie de leurs prochains » (p 25-26). Cette révolution repose sur une vision. « Dieu est le sol sur lequel nous nous fondons et qui nous fonde (« God is the ground, the grounding which ground us »). Nous en faisons l’expérience lorsque nous comprenons que le sol est sacré, que l’eau donne la vie, que le ciel ouvre l’imagination, que nos racines importent, que notre foyer est un lieu divin et que nos vies sont liées à celles de nos voisins et avec celles de tous le humains autour du monde » ( p 26).

Ainsi, c’est à un changement de regard que nous invite Diane Butler Bass et que tout son livre illustre par la suite. « Grounded guide les lecteurs à travers notre habitat spirituel contemporain en portant attention aux manières selon lesquelles les gens font l’expérience d’un Dieu qui anime la création et la communauté ».

Elle nous présente également une analyse des changements en cours dans les pratiques religieuses et spirituelles. Sa description de l’univers traditionnel est percutante. On pourrait dire cependant qu’au XXè siècle, des formes nouvelles faisant place à l’expérience étaient déjà apparues. Elle ne s’attarde pas au déclin des églises classiques ou au progrès de l’agnosticisme, mais elle en recherche les causes et elle met en évidence la montée d’un spiritualité nouvelle. En d’autres lieux et selon d’autres problématiques, certains pourront contester l’amplitude et la durée de ce changement. Mais l’analyse de Diana Butler Bass s’appuie sur une culture historique et sur une collecte d’informations bien au delà des Etats-Unis. Et sur le plan théologique, sa vision d’un Dieu proche dont on peut reconnaître la présence, peut trouver appui dans l’œuvre de théologiens auprès desquels nous cherchons un éclairage, Richard Rohr (6) et tout particulièrement Jürgen Moltmann (7).

J H

 

 

Voir aussi :

Dieu vivant : rencontrer une présence. Selon Bertrand Vergely : prier, une philosophie : https://vivreetesperer.com/?p=2767

Dynamique culturelle dans un monde globalisé. (Raphaël Liogier. La guerre des civilisations n’aura pas lieu) : https://vivreetesperer.com/?p=2296

La guérison du monde, selon Frédéric Lenoir : https://vivreetesperer.com/?p=1048

Avoir de la gratitude

https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41J8pTpvz9L._SX303_BO1,204,203,200_.jpgUn éclairage de Bertrand Vergely

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant

Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même.

Car, au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit

C’est dire comme il est bon d’entendre parler de gratitude, et d’en découvrir la portée et les effets.

Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologue ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Dans son livre : « Retour à l’émerveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le même sujet dans une approche complémentaire, une approche philosophique, spirituelle, théologique (3). Il nous donne à voir le sens profond de ce mouvement.

Merci

Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui s’épanche, un élan de reconnaissance et de sympathie. C’est une expression de la vie quotidienne. Et c’est effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre l’importance. Ce n’est pas seulement une expression du cœur, c’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans la vie sociale, l’embellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et d’ouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grâce de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans répit, on se persécute, on ne s’épargne rien. Cela révèle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, c’est passer de la guerre à la paix, de la haine à la réconciliation, de l’inimitié à la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persécution. On décide de ne pas le faire et de revenir à la logique des échanges et du don ».

Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. C’est en quelque sorte un marqueur de civilité, une expression de vie civilisée. « Logique dans laquelle on se salue réciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il s’agit là d’une révolution obéissant à un constat lucide. Ou l’on persiste à vivre dans la violence, ou on y renonce et on vit… ».

Dire merci s’inscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se réalise dans une relation réciproque. «  C’est le « pacte de réciprocité » inséparable d’un pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation réciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il n’y a ni dominant, ni dominé. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de l’invitation sue laquelle repose la vie sociale. On a été invité. On invite à son tour… Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie l’autre ou ne soit sacrifié par lui… Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd l’humanité. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».

Gratitude

Mais l’expression de notre reconnaissance dépasse de beaucoup l’ordinaire de la vie quotidienne.

« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre l’expérience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelqu’un. On est dans un tel état parce que l’on a reçu quelque chose d’exceptionnel. Quand quelqu’un nous a sauvé la vie, nous éprouvons de la gratitude, une profonde, une extrême gratitude. On se situe là dans la plus grande profondeur qui soit… Notre cœur est rempli de gratitude. Nous rendons grâce. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant l’immense… L’existence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».

Cette gratitude a une portée sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il n’est pas déprimé, l’homme moderne rouspète. Il est mécontent, indigné, révolté et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit là un manque profond, jusqu’à un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cœur humain. Au lieu de remercier, l’ingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement d’avoir raté, mais créé le monde. L’existence de l’humanité est pour lui un crime de lèse-humanité.

On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel d’exister. On touche au drame inconscient de l’humanité. Celle-ci a un compte à régler avec Dieu comme avec elle-même. Elle n’est pas heureuse d’exister. On sort de cette logique meurtrière en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). L’univers, la vie, l’humanité sont des miracles permanents. Nous-mêmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions être morts cent fois, nous sommes encore là. Nous sommes des miraculés. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons été sauvés cent fois ».

Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension métaphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin à la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin à celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la métaphysique est inutile et que nous n’en avons pas besoin pour vivre. Il s’agit d’une erreur profonde : elle est indispensable et l’on vit mal quand on s’en passe . L’être humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il s’écroule. Privons-le du Ciel, il étouffe.

La  gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la liberté. Il est beau de voir le monde avec gratitude… Tout étant un miracle, tout vit. Tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Dire merci, exprimer de la gratitude témoignent du même esprit, de la même sensibilité et s’inscrivent dans une démarche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce n’est pas seulement en fonction de l’intensité de ces deux expressions, c’est parce qu’il les situe dans un contexte plus large.  Nous sommes de plus en plus nombreux à partager une vision de la société comme un tissu de relations.  « Si l’Esprit est répandu sur toute la création, il fait de toutes les créatures avec Dieu et entres elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » déclare le théologien Jürgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement était la relation » (5). Bertrand Vergely montre l’importance de la gratitude dans le plein déroulement des relations. Et comme Jürgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou d’autres, il se fonde sur une théologie trinitaire  et met en évidence le rôle de l’incarnation. « La vie est relation… Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liés. Dieu a crée l’univers et l’homme pour s’unir à eux… il a créé pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bâti un pont entre lui et son autre, en l’occurrence l’univers et l’homme… Qui s’applique, bâtit des ponts, il reprend le geste divin de la création » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle débouche, participent à cette œuvre.

Il est temps maintenant d’apporter un témoignage concret de la manière dont la gratitude accompagne une vie pleine malgré les épreuves. C’est le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (7) : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors mon ego n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un « tout » sans prétention  (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… Une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dépassement, à une participation  à  plus grand que nous, à la reconnaissance de la présence divine.  Comme l’écrit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout étant miracle, tout vit, tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Jean Hassenforder

 

Comment entendre les principes de la vie cosmique pour entrer en harmonie

Diversité, essence et communion

Temoins présente un article de soeur Joan BrownSelon Sœur Joan Brown

 Nous vivons dans un univers en évolution, dans un monde vivant. Avons-nous conscience d’en faire partie ou bien nous en détachons-nous pour le dominer, pour nous replier sur nous ou pour nous en évader ? Si nous entendons les principes de la vie cosmique, les lois de la vie, alors nous participerons à la vie qui nous est donnée et nous pourrons vivre en harmonie. Comment comprendre le rapport entre diversité et unité ? Comment participer au grand mouvement d’interconnexion et de reliance  constamment à l’œuvre ? Comprendre le monde, c’est nous comprendre nous-mêmes. Nous comprendre, c’est comprendre le monde et y participer. C’est une vision où s’allie la science et la spiritualité.

Aujourd’hui, les menaces qui mettent en danger les équilibres du vivant sur notre planète engendrent une prise de conscience écologique. Cette prise de conscience n’appelle pas seulement une transformation majeure de la vie économique, un changement de la production et de la consommation, mais aussi, dans le même mouvement, une transformation de notre genre de vie (1). Et donc, ce qui nous est demandé, c’est une nouvelle manière d’envisager la vie dans son essence même.

Dans l’Occident chrétien, à partir de la renaissance, en phase avec une certaine conception de Dieu, la nature a été soumise à une gouvernance autoritaire (2). Si, dans le même temps, le matérialisme s’est répandu, face à ces errements, à la fin du XXè siècle, des théologiens se sont dressés et nous ont proposé une nouvelle vision de Dieu et du monde. Ainsi, en 1985, Jürgen Moltmann, déjà reconnu comme le théologien de l’espérance, publie un livre : « Dieu dans la création » , qui porte déjà comme sous-titre, « Traité écologique de la création ». (3). Aux Etats-Unis, Thomas Berry (4), prêtre catholique engagé dans une intime compréhension des grandes cultures religieuses, de la Chine et l’Inde jusqu’aux traditions des peuples premiers, disciple de la pensée de Teilhard de Chardin, s’affirme comme un chercheur passionné à l’étude de la terre, comme un « écothéologien ». Un peu plus tard, en 2015, paraît « Laudato Si’ », la lettre encyclique du Pape François sur la sauvegarde de la maison commune (5).

La sœur franciscaine, Joan Brown (6), participe à l’inspiration de Thomas Berry et collabore avec Richard Rohr, fondateur et responsable du « Center for action and contemplation » à Albuquerque (New Mexico) (7). Elle participe à des mouvements alliant écologie et spiritualité comme les « sœurs de la terre » (« Sisters of earth ») (8). Dans l’Etat américain du Nouveau Mexique, elle anime et dirige un centre écologique et interconfessionnel : « New Mexico Interfaith Power and Light » (9). Le centre appuie les églises engagées dans la transformation écologique et participe à des actions environnementales. Dans le cadre d’un cycle de méditations : « Unité et diversité » publié du 2 au 8 juin dans le cadre des méditations quotidiennes diffusées par le « Center for action and contemplation », Joan Brown a écrit une contribution : « Diversité, essence et communion » (10).

Diversité, essence et communion

« Nous tous qui vivons, respirons et marchons sur cette Mère Terre, magnifique et sainte, nous tous, sommes appelés à comprendre les principes inhérents à l’énergie interdépendante et dynamique qui vibre dans chaque élément de la vie ».

Joan Brown distingue en effet trois mouvements qui ont émergé dès la première apparition de la vie, il y a 13,8 milliards d’années.

Ces mouvements, ces énergies, ces principes sont :

« la différenciation ou la diversité

La subjectivité, l’intériorité ou l’essence

La communion, la communauté et l’interconnexion ».

« Comprendre ces principes d’action est essentiel dans les temps critiques où  nous vivons, là où la diversité engendre des conflits, où la vie se déroule à un niveau souvent superficiel et où l’individualisme est rampant ». Ainsi, Joan Brown nous décrit ses principes d’action.

D’abord, chacun de nous – chaque être humain, chaque goutte d’eau, chaque molécule, chaque oiseau, chaque grain de sable, chaque montagne –  est distinct ou différent. Chacun, chacune est une manifestation distincte de l’énergie du Divin Amour. L’univers prospère et ne peut exister sans cette diversité. Ces différences même que nous évitons ou même détruisons, sont nécessaires à la vie  pour qu’elle se poursuive dans une multitude de formes magnifiques.

Joan Brown exprime ensuite un second principe cosmique, « plus facilement accessible aux gens de toute tradition religieuse ». Ce principe, c’est « l’intériorité ou l’essence ». Chaque créature est sainte. Chaque brin d’herbe, chaque sauterelle, chaque enfant est saint. La dégradation écologique, le racisme, la discrimination, la haine, le manque d’intérêt pour œuvrer en faveur de la justice et de l’amour, tout cela évoque un manque de respect, une incapacité d’honorer ce qui se tient devant moi… Pour aider les gens à gérer le changement climatique et à s’y adapter, ce qui est le sujet le plus critique de notre époque, je crois que nous devons nous mettre en contact avec l’essence sacrée de chaque chose qui existe, de chaque existence.

Le troisième principe cosmique est assez évident. « La communion ou la communauté est intimement liée à  la diversité/différenciation et à l’intériorité/essence. Joan Brown évoque une citation attribuée à un moine bouddhiste, Thich Nhat Hanh : «  Nous sommes ici pour nous éveiller, sortir de l’illusion de la séparation ». « La force gravitationnelle de l’amour entraine chaque être vivant et chaque chose à entrer en relation et en communion ».

Nous avons besoin d’une prise de conscience. « Si nous ne pouvons pas aimer notre prochain comme nous-même, c’est parce que nous ne nous représentons pas notre prochain comme nous-même », écrit Béatrice Bruteau, elle aussi « écospirituelle ». « Si nous sommes incapables de voir que nous sommes en communion avec l’autre, nous ne réaliserons pas que ce que nous faisons à nous-même, nous le faisons à l’autre et à la terre. De même, nous ne réalisons pas qu’en fin de compte, notre manque de compréhension se retourne contre nous en violence, que ce soit la peur des autres races et de la diversité ou la destruction de la terre parce que nous voyons le monde naturel comme un objet plutôt que comme un sujet avec une intériorité ».

C’est un appel à voir plus profond , plus grand. « Nous sommes appelé à être plus grand que ce que nous pouvons imaginer être en ce moment. Les principes cosmiques sont une nouvelle manière de comprendre, de voir et d’agir dans un monde qui parait déchiré par une mécompréhension de la beauté de la diversité, de la sainteté de l’essence et de la force évolutionnaire de la communion ».

 Nous ne attarderons pas sur l’arrière plan dans lequel nous voyons cette réflexion : la création en marche « souffrant des douleurs de l’enfantement »  (Rom 8.22) et la dynamique victorieuse de la libération divine en Christ ressuscité. Comme l’écrit Jürgen Moltmann, « le Christ ressuscité est le Christ cosmique. Il est présent en toutes choses. Finalement, il est aussi celui qui vient et qui remplira le ciel et le terre de sa justice ».

La nouvelle spiritualité de la terre éveille une « humilité cosmique ». Elle suscite également un amour cosmique tel que le staretz Sosima l’exprime dans le roman de Dostoevski : « les frères Karamazov » : « Aime toute la création, l’ensemble et chaque petit grain de sable. Aime les animaux, les plantes, chaque petite chose. Si tu aimes chaque petite chose, alors le mystère de Dieu en elle, te sera révélé. Une fois qu’il t’est révélé, alors tu le percevras de plus en plus chaque jour. Et, à la fin, tu aimeras l’univers entier d’un amour sans limites » (11)

Dans ce contexte, combien le regard de Joan Brown nous éclaire et nous apporte une manière nouvelle, une manière constructive de comprendre, de voir et d’agir dans ce monde.

J H

  1. « Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/
  2. « Vivre en harmonie avec la nature » : https://vivreetesperer.com/vivre-en-harmonie-avec-la-nature/
  3. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 Voir aussi : « Dieu dans la création » : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
  4. Vie et œuvre de Thomas Berry : https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Berry http://encyclopedie.homovivens.org/documents/thomas_berry
  5. « Convergences théologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
  6. Sister Joan Brown : https://www.globalsistersreport.org/authors/joan-brown
  7. Center for action and contemplation : https://cac.org/about-cac/
  8. Sisters of the earth : https://www.sisters-of-earth.net
  9. New Mexico Interfaith Power and Light : https://www.nm-ipl.org
  10. « Diversity, Essence and communion » : https://cac.org/diversity-essence-and-communion-2019-06-07/
  11. Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life.World council of churches, 2016 « In the fellowship of the earth » p 80-85 https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/

 

Voir aussi sur ce blog :

La danse divine (The Divine Dance) par Richard Rohr :  https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/

L’homme, la nature et Dieu. Tous interconnectés dans une communauté de la création : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/

The Good Life

The Good Life

Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé

Cette année 2023, vient de paraître le bilan d’une recherche exceptionnelle par son étendue et sa durée pour la compréhension de la b vie humaine dans son projet de vie bonne : »The Good Life and how to live it. Lessons from the World’s longest study on happiness » (1). Ce livre a été très rapidement traduit et publié en français :  « The good life : ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé » (2). « En cette période de grande incertitude, les docteurs Robert Waldinger et Marc Schultz, actuels directeurs de l’étude, font pour la première fois la synthèse de décennies de recherches associant résultats médicaux, trajectoires personnelles, sagesses ancestrales et outils concrets, ils nous prouvent scientifiquement qu’une vie véritablement heureuse n’est pas synonyme de réussites et de succès financiers, et que nous avons en nous les clés de notre épanouissement et de notre résilience ».

Déjà, certaines découvertes inattendues avaient été dévoilées par Robert Waldinger dans une vidéo Ted X (3). Comme si un aveuglement l’en avait longtemps empêché, une constatation était apparue : l’importance de la vie relationnelle pour l’épanouissement humain. « Le message le plus évident est celui-ci : « Les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ».Et, les connections sociales sont vraiment très bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectés à leur famille, à leurs amis, à leur communauté, sont plus heureux physiquement et en meilleure santé et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectés » (3).

 

La grande enquête d’Harvard sur le développement adulte

Dans les années 1930, alors que les Etats-Unis luttaient pour sortir de la grande Dépression, et comme le « New Deal » prenait son essor, « il y eut un intérêt croissant pour comprendre quels facteurs permettaient aux êtres humains de prospérer en contraste avec ce qui les faisaient échouer . Cet intérêt nouveau a conduit deux groupes de chercheurs à Boston à initier des projets de recherche se proposant de suivre deux groupes très différents de garçons.

Le premier était un groupe d’étudiants de deuxième année au Collège d’Harvard parce qu’ils étaient considérés comme devant probablement grandir en devenant des hommes en bonne santé et bien ajustés . Dans l’esprit du temps, mais bien en avance sur ses contemporains dans la communauté médicale, Arlie Rock, le nouveau  professeur d’hygiène, désirait passer d’une attention à ce qui rendait les gens malades à ce qui  rendait les gens en bonne santé …» ( pagination livre anglophone p 11). La seconde étude fut initiée par un juriste et un travailleur social auprès de jeunes garçons âgés de 14 ans  habitant dans des quartiers défavorisés et venant de familles en difficultés, pour 60% ayant au moins un parent issu de l’immigration mais ayant évité  de tomber dan la délinquance, un des buts de l’enquête étant justement de prévenir la délinquance. Lorsque les deux enquêtes se sont rejointes, une méthodologie commune a été adoptée. « les enquêtés se sont vus soumis à des examens médicaux, et ont été interviewés à domicile » . Cette enquête se caractérise par l’ampleur et le volume des données recueillies durant un parcours de vie intégral. « Dans notre étude longitudinale, chaque récit de vie se fonde sur des données détaillées concernant la santé et les conditions physiques. Nous avons également enregistré d’autres données de base comme la nature de leur emploi, le nombre des amis proches, leurs loisirs. A un niveau plus profond, nous les avons sondé sur leur expérience subjective . nous leur avons posé des question sur leur satisfaction au travail, leur satisfaction maritale, leur manière de résoudre les conflits, l’impact psychologique des mariages et des divorces, les naissances et les décès . Nous les avons interrogé sur leurs souvenirs familiaux…. Nous avons étudié leurs croyances spirituelles et leurs préférences politiques, leurs pratiques d’église, leur participation à des activités communautaires, leur but dans la vie…  Tous les deux ans, nous leur avons envoyé de longs questionnaires et tous les cinq ans, nous avons recueillis des données médicales complètes. Tous les quinze ans, nous avons eu avec eux une rencontre face à face » ( p 14-15). C’est dire la connaissance détaillée qui en est résultée. Mais la vie sociale et les mœurs évoluent. Les chercheurs en ont tenu compte et ils ont également pris en charge les résultats d’autres recherches.  « Le but de ce livre est d’offrir ce que nous avons appris sur la condition humaine, de vous montrer ce que l’étude d’Harvard peut dire au sujet de l’expérience universelle d’être en vie » ( p 16).

 

Qu’est-ce qui rend une vie bonne ?

« Qu’est-ce qui rend une vie bonne ? C’est la question que se pose les chercheurs ? Mais il y donc une question préalable : qu’entend-on par : vie bonne ? Quand on demande aux gens ce qu’ils attendent de la vie, la réponse la plus courante est : être heureux. Mais qu’est-ce que le bonheur signifie ? Pour répondre à cette question, les auteurs ont notamment recours à la pensée grecque. «  Il y a plus de deux mille ans, Aristote utilisait un terme qui est encore beaucoup utilisé en psychologie aujourd’hui : « eudaimonia ». Ce terme se réfère à un état de  profond bien-être dans lequel une personne sent que sa vie a un sens et un but. Il est souvent mis en contraste  avec « hedonia » (origine du mot hédonisme) qui renvoie à un bonheur flottant de plaisirs variés » ( p 18). « On peut parler de  bonheur hédonique quand on dit : avoir du bon temps, mais le bonheur eudaimonique correspond à ce que nous voulons signifier lorsque nous disons : la vie est bonne… C’est un genre ce bonheur qui peut passer à la fois à travers des hauts et des bas ».

Certains psychologues ont contesté l’emploi du mot bonheur comme une appellation fourre-tout et préfèrent des termes comme bien-être. Un des auteurs évoque des gens qui prospèrent (thriving) . Cependant, tout le monde comprendra ce qu’on entend par être heureux et le terme de bonheur est entendu ici  dans le sens prôné par Aristote : « eudaimonia ».. ( p 19)

 

Chemins heureux ou malheureux

A partir de leur immense banque de données, les auteurs peuvent suivre les évolutions des uns et des autres et dans quel sens elles tournent. C’est ainsi qu’il  nous est présenté deux récits de vie, deux études de cas, un chemin plutôt heureux et une autre, plutôt malheureux ( p 31-35).

« En 1946, John Marsden et Leo DeMarco se trouvaient tous deux à un carrefour majeur dans leur vie. Tous deux avaient la bonne fortune d’être récemment diplômé de Harvard. Toux deus venaient de servir militairement durant la seconde guerre mondiale. Ils bénéficiaient des avantages accordés aux vétérans. Tous deux étaient bien dotés financièrement. La famille de John était riche et Leo appartenait à la classe moyenne supérieure….ils semblaient tous deux pouvoir bénéficier de la vie bonne ».
John aurait pu travailler dans l’entreprise familiale. Il préféra entreprendre des études de droit, y consacra toutes ses forces et il obtint le diplôme dans un bon rang

Léo, ambitionnait d’être écrivain. Mais, après le décès de son père, sa mère contracta la maladie de Parkinson. Il vint s’occuper d’elle et trouva un travail d’enseignant dans une école secondaire. Peu après, Leo rencontra Grace dont il tomba profondément amoureux. Ils se marièrent immédiatement et l’année suivante, ils eurent leur premier enfant. A partir de là, son orientation s’affermit. Il continua à enseigner pendant les quarante années suivantes.

« Nous sommes invités à passer vingt neuf ans et à nous retrouver en février 1975. Les deux hommes ont 55 ans. John s’est marié à 34 ans et il est maintenant un juriste ayant réussi et gagnant 52000 dollars par an. Leo est encore enseignant dans une école secondaire et il gagne 18000 dollars par an. Un jour, ils ont reçu le même questionnaire. Et là, il y a des questions cruciales : « La vie comporte plus de peine que de plaisir » John répond : vrai et Leo : faux. « Je me sens souvent affamé d’affection ». John répond : vrai et Leo répond : faux.( p 32-33)…. »

John Marsden, un des membres de l’échantillon ayant réussi professionnellement le plus brillamment était aussi un des moins heureux. Comme Leo DeMarco, il souhaitait être proche des gens… mais il rapportait constamment des sentiments de déconnection et de tristesse dans sa vie. Il lutta dans son premier mariage et il s’aliéna ses enfants. Quand John se remaria à 62 ans, il en vint assez vite à considérer cette relation comme sans amour.

Leo De Marcos, quant à lui, se pensait lui-même premièrement en relation avec les autres. – sa famille, son école et ses amis apparaissent fréquemment dans ses rapports et il est généralement considéré comme un des plus heureux des enquêtés. Il avait quatre filles et une femme qui l’aimait. Il était apprécié par ses amis. Contrairement à John, il trouvait du sens dans son travail parce qu’il prenait plaisir à ce que ses destinataires y trouvaient. ( p 34-35).

Cette comparaison illustre bien comment la recherche de la réussite  financière n’apporte pas le bonheur. Et « le moteur de la vie bonne n’est pas le moi (the self) comme John Marsden le croyait, mais plutôt nos connexions avec les autres ainsi que la vie de Leo DeMarcos  le démontra » ( p 52).

 

Un nouvel éclairage sur la vie

« Après avoir étudié des centaines de vie en entier, nous pouvons confirmer ce que nous savons déjà, une immense gamme de facteurs contribue au bonheur d’une personne. Le délicat équilibre des contributions de l’économique, du social, du psychologique, et de la santé est complexe et toujours changeant…. Ceci dit, si vous regardez de manière répétée à travers le temps, le même genre de données sur un grand nombre de gens et à travers de nombreuses études, des configurations commencent à émerger et les facteurs prédicteurs du bonheur humain deviennent clairs.  Parmi ces facteurs   prédicteurs de la santé et du bonheur, du bon régime diététique à l’exercice, au niveau de vie, une vie de bonnes relations ressort en puissance et en consistance » ( p 19-20).

« L’étude de Harvard comme d’autres études parallèles  porte témoignage de l’importance des connexions humaines  Elle montre que les gens qui sont les plus connectés  à la famille, aux amis, à la communauté sont plus  heureux et physiquement en meilleure santé que les gens qui sont moins bien connectés. Les gens qui sont plus isolés qu’ils ne le souhaiteraient voient leur santé décliner plus vite que les gens qui se sentent connectés aux autres. Les gens isolés vivent également des vies plus courtes. Malheureusement, ce sentiment de déconnection est en train de grandir dans le monde. Environ un américain sur quatre rapporte se sentir seul – plus de soixante millions de gens. En Chine, la solitude parmi les personnes les plus âgées a nettement grandi, ces dernières années et la Grande-Bretagne a créé un ministre de l’isolement (A minister of loneliness),  pour faire face à ce qui est en train de devenir un enjeu majeur de santé publique » ( p  21). Le fléau de la solitude s’étend aujourd’hui.

Si les conditions sont difficiles, certains peuvent se demander si une ouverture aux relations est encore possible pour eux. « Est-ce que c’est trop tard pour moi ? ». Après investigation, les chercheurs répondent, il n’est jamais trop tard. « Votre éducation dans l’enfance n’est pas votre destin, vos dispositions naturelles ne sont pas votre destin, votre voisinage n’est pas votre destin ». De fait, la solitude peut advenir dans différentes situations. Au total, « c’est la qualité de la relation qui compte. Dit simplement, « Vivre au sein d’une relation chaleureuse protège à la fois le mental et  le corporel. C’est un important concept, le concept de protection » (p 23). Les auteurs poursuivent en déclinant que ces conclusions en faveur de l’importance de la relation ne sont pas seulement le produit d’une recherche scientifique, mais également le legs d’une sagesse de longue date. Les auteurs citent Aristote et Lao Tseu (p 24). Nous ajouterons que cette vision est au cœur des Evangiles.

Le livre se poursuit en étudiant les conditions pour développer une aptitude relationnelle et formule des propositions en ce sens.

 

Un message largement diffusé

On pourra accompagner la lecture de ce livre par la consultation de vidéos et d’articles. Ces documents nous aideront à diriger notre attention sur tel ou tel point important pour nous. En premier lieu, nous signalons ici une interview  Ted de Robert Waldinger sous titrée en français : https://www.youtube.com/watch?v=IStsehNAOL8

On trouver également un entretien avec Robert Waldinger dans « The Guardian ». C’est un article de fond : https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2023/feb/06/how-to-have-a-happy-life-according-to-the-worlds-leading-expert                  Organe de diffusion du centre de recherche californien : « Greater Good Science Center », le « Greater Good Magazine  Science-based insights for a meaningful life », évoque naturellement le livre : « The good life », en mettant particulièrement l’accent sur les moyens pour cultiver de meilleures relations : https://greatergood.berkeley.edu/article/item/what_the_longest_happiness_study_reveals_about_finding_fulfillment

Enfin, on trouvera, traduites en français, les réponses de Robert Waldinger à de nombreuses questions sur le site de BBC News Afrique : https://www.bbc.com/afrique/articles/ck5yl5p43xko

Nous achèverons cette présentation  en reprenant quelques unes de ces réponses.

 

Comment développer de bonnes relations ?

Robert Waldinger émet quelques suggestions pour nourrir et dynamiser les relation. Et l’une d’entre elles « consiste à reconnaître quelqu’un lorsqu’il fait quelque chose de bien ». Nous prêtons souvent attention à ce que nous n’aimons pas. Mais « il y a une forme pratique de la gratitude où nous nous demandons : A quoi  ressemblerait ma vie si ces personnes ne faisait pas ces choses ou si cette personne n’était pas dans ma vie ? Une autre suggestion pour nourrir les relations est de maintenir « une curiosité radicale ». « Des études ont été menées sur la façon dont nous sommes à l’écoute des sentiments d’une autre personne. Elle montre que surtout lors de la première rencontre, nous sommes très attentifs aux sentiments d’une autre personne. Mais, une fois que nous sommes ensemble depuis des années, nous savons beaucoup moins ce qu’elle ressent…. Il d’agit de renverser la situation et d’être curieux ».  On pose la question à Robert Waldinger si le nombre  des amis compte. « Oui, mais c’est quelque chose de très individuel. Certains d’entre nous sont très timides, et pour ces personnes, avoir beaucoup de monde autour d’elle est stressant. D’autres personnes en revanche très extraverties ont besoin de beaucoup de monde dans leur vie et cela leur donne de l’énergie … Chacun d’entre nous doit déterminer par lui-même quelle quantité d’activité sociale est bonne pour lui et pour sa vie ». On est parfois déçu parce qu’on se dit : « C’est toujours moi qui passe les appels, qui écoute ». « Conseilleriez-vous aux gens de parler ouvertement à leurs amis de ce qu’elles ressentent ? ». « Oui, je pense que ce serait bien, car certaines personnes ne se rendent pas compte ». « Aujourd’hui, de nombreux échanges sont virtuels grâce aux réseaux sociaux. En terme de relations, quelle est la meilleure façon d’utiliser les réseaux sociaux ? La façon dont nous utilisons les réseaux sociaux pour entrer en contact avec d’autres personnes a vraiment de l’importance. Si nous les utilisons activement, cela augmente notre bien-être. Et l’exemple que j’aime utiliser est celui d’un de mes amis, qui, pendant son confinement durant la pandémie, a repris contact avec ses amis de l’école primaire. Maintenant, ils prennent un café virtuel tous les dimanches matin sur zoom. Et ils passent des moments merveilleux à parler de leur vie et de leur enfance. C’est un exemple de réseau social actif et tout le monde en est plus heureux ». Cependant, il y a aussi une « consommation passive des médias sociaux. Ce genre de consommation nous fait sentir plus mal et les adolescents sont particulièrement sensibles à cela. Très vulnérables ».  Pourquoi, le mot regret revient-il souvent dans le livre ? Effectivement, on le voit apparaître chez des personnes âgées.  Robert Waldinger évoque deux grands regrets évoqués à l’âge de 80 ans : « Chez les hommes, avoir passé trop de temps au travail et pas assez ave les personnes chères ;  chez les femmes avoir passé trop de temps à me préoccuper de ce que pensent les autres. Pour gérer les regrets, il ne sert à rien d’être en colère contre soi. Utilisez les regrets pour un meilleur parti de la vie qui nous attend ». Il y a un chapitre dans le livre : « Il n’est jamais trop tard ». « Ce que nous voyons dans les histoires du livre, qui sont tirées de la vie réelle, c’est que les gens trouvent des liens qu’ils n’attendaient pas à différents moments de leur vie, que ce soient avec leurs parents ou avec leurs enfants, qu’il s’agisse de liens amoureux ou d’amitiés. Donc, à ceux qui pensent que les choses ne leur  arriveront jamais, nous disons : « Vous n’avez aucun moyen de savoir ». Le message est que cela vaut la peine d’y travailler, car, à tous moments de la vie, vous pouvez créer de nouvelles et bonnes connexions ».

Ce livre rend compte d’un travail de recherche incomparable par son ampleur et sa durée. Le thème nous concerne tous : les conditions d’une vie bonne. La réponse n’était pas évidente au départ . Elle s’est imposée en cours de route. Ce sont les gens les plus connectés à leurs amis, à la famille, à la communauté qui sont les plus heureux et physiquement en meilleure santé. Cette conclusion nous paraît en phase avec une vision du monde qui met la relation au cœur du Vivant dans toutes ses manifestations. N’a-t-on pas défini la vie spirituelle comme une « conscience relationnelle », une « relation à la nature, aux autres personnes, à nous-mêmes et à Dieu » (4).  Dans leur mise en perspective, les auteurs se réfèrent à une sagesse de longue date ( p 24). La discrétion vis à vis de l’inspiration évangélique nous paraît surprenante. Car la parole : « Tu aimeras le prochain comme toi-même » (Matthieu 22.39) est au cœur de l’enseignement de Jésus. C’est bien l’amour qui est premier comme en témoigne l’hymne de Paul à l’amour au chapitre 13 de la première épitre aux Corinthiens. Cet amour est généreux. Nourri par la communion divine, il œuvre  pour la justice et il est désintéressé, ce qui apparait peu dans ce livre sur la « good life »   Cependant, au total, l’amour apparaît  comme une force supérieure, les amitiés en dérivent et le contextualisent dans la vie quotidienne Des théologiens comme Jürgen Moltmann et Richard Rohr développent une vision relationnelle. Richard Rohr écrit ainsi : « Nous pouvons dire que Dieu est essentiellement relation . J’appelerai « salut » la disposition, la capacité et le vouloir d’être en relation (p 46). La voie de Jésus, c’est une invitation à un mode trinitaire de vie, d’amour et de relation sur la terre comme c’est le cas dans la divinité. Comme la Trinité, nous vivons intrinsèquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons très rapidement. Et notre lignage spirituel, nous dit que Dieu est personnel : « Dieu est amour » ( p 47) (5).

J H

 

  1. Robert Waldinger, Marc Schulz. The Good Life and how to live it. Lessons from the world longest study on happinesss. Penguin, Random house, 2023
  2. Marc Schultz, Robert Waldinger. The Good Life. Ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé. Le Duc, 2023
  3. « Une vie se construit avec de belles relations » : https://vivreetesperer.com/une-belle-vie-se-construit-avec-de-belles-relations/
  4. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  5. La danse divine (The divine dance) par Richard Rohr : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/