EvĂ©nement symbolique et promesse d’avenir

 La création de la « Chan Zuckerberg Initiative »

 Dans un monde oĂč les menaces abondent, ne perdons pas confiance. Sachons reconnaĂźtre les Ă©volutions positives et les promesses d’avenir dans une multitude de signes encore peu visibles. C’est regarder au bien plutĂŽt qu’au mal. C’est accepter des nouveautĂ©s, des surprises. C’est aller au delĂ  de nos conventions et de nos habitudes de pensĂ©e, et parfois Ă  l’encontre d’une pensĂ©e dominante dans certains cercles. Ce prĂ©alable est-il nĂ©cessaire pour saluer la toute rĂ©cente crĂ©ation de la « Chan Zuckerberg Initiative » par Mark Zuckerberg, inventeur et directeur de Facebook et son Ă©pouse, Priscilla Chan Ă  l’occasion de la naissance de leur fille Max ?

Peut-ĂȘtre parce que des esprits chagrins peuvent voir lĂ  une manifestation spectaculaire de la richesse
 Il est vrai qu’actuellement les inĂ©galitĂ©s se creusent en fonction d’un capitalisme non rĂ©gulĂ©. Mais, les choses Ă©tant ce qu’elles sont, il y a toute la diffĂ©rence entre un riche patron qui thĂ©saurise et celui qui met une fortune au service des gens.

Ainsi, le 1er dĂ©cembre 2015, Mark Zuckerberg annonçait la crĂ©ation, avec son Ă©pouse Priscilla Chan, de la « Chan Zuckerberg Initiative » (CZI) (1). Cette organisation caritative sera Ă  terme dotĂ©e de 99% des actions de Facebook dĂ©tenues par le couple, soit une somme estimĂ©e aujourd’hui Ă  45 milliard de dollars (42 milliards d’euros). Elle a pour ambition de « faire avancer le potentiel humain et de promouvoir l’égalité » avec un intĂ©rĂȘt majeur pour l’enfance et l’éducation.

Pourquoi Ă©voquer ici une initiative, qui, dans le contexte français, peut paraĂźtre lointaine, dĂ©calĂ©e, voire suspecte ? Parce que justement elle s’inscrit dans les signes positifs qui apparaissent dans un monde en pleine transformation. Dans une recherche commune, sachons reconnaĂźtre les avant-garde oĂč qu’elles soient.

Et, dans ce cas, le berceau des nouvelles technologies de la communication, la « Silicone valley » est en train d’engendrer une nouvelle philanthropie, qui, ici, tient ses ressources du talent et du travail de ses promoteurs. Et, Ă  l’exemple de la fondation Bill Gates, on peut voir lĂ  un outil puissant, parce que souple et efficace, pour promouvoir des pratiques au service de la vie.

Et puis, dans cette initiative, il y aussi une dimension Ă©motionnelle qui nous touche profondĂ©ment. Un jeune couple et la naissance de sa petite fille.  Ce n’est pas rien qu’à l’occasion de cette naissance, les parents choisissent d’engager leur vie au service de l’humanitĂ©.  Dans ces circonstances, ce geste donateur de parents fortunĂ©s nous rappelle certains contes d’autrefois. Mais, dans ce cas, la vision d’avenir n’est pas la poursuite d’une dynastie rĂ©gnant sur un peuple, mais un engagement au service du progrĂšs de l’humanitĂ©.

Cet Ă©vĂ©nement advient dans un pays qui est devenu un creuset de toutes les populations du monde. Priscilla Chan est fille de parents sino-vietnamiens arrivĂ©s aux Etats-Unis aprĂšs la chute de Saigon en 1978 (2).  Et elle a fait de brillantes Ă©tudes mĂ©dicales. Aujourd’hui, Ă  30 ans, elle est crĂ©atrice et directrice d’une  Ă©cole privĂ©e Ă  but non lucratif qui se propose d’offrir Ă  des Ă©lĂšves de condition modeste, un enseignement ainsi qu’un suivi de santĂ©, jusqu’à l’obtention de leur diplĂŽme. Facebook, l’Ɠuvre de Mark Zuckerberg s’inscrit dans le processus actuel de globalisation. Nous sommes lĂ  au cƓur d’une dynamique internationale.

Ainsi, la crĂ©ation de cette nouvelle organisation humanitaire nous apparaĂźt Ă  la fois comme un Ă©vĂ©nement symbolique et une promesse d’avenir.

Pour annoncer leur engagement, Mark Zuckenberg et Priscilla Cham publient une lettre dans laquelle ils s’adressent Ă  la petite fille qui vient de naitre : « Lettre Ă  notre fille » (3).

« Ta mĂšre et moi, nous n’avons pas encore les mots pour dĂ©crire l’espoir que tu nous donnes pour l’avenir. Ta vie nouvelle est pleine de promesses et nous espĂ©rons que tu seras heureuse et en bonne santĂ© pour pouvoir explorer cet avenir. Tu nous donnes dĂ©jĂ  une raison pour rĂ©flĂ©chir au monde dans  lequel nous espĂ©rons que tu vas vivre. Alors que les grands titres de la presse se concentrent sur ce qui mal, de bien des maniĂšres, ce monde est en train d’aller mieux. La santĂ© s’amĂ©liore.  La pauvretĂ© recule. Le savoir grandit. Les gens se connectent. Dans chaque domaine, le progrĂšs des technologies implique que ta vie devrait ĂȘtre bien meilleure que la notre aujourd’hui ».

Cette lettre se caractĂ©rise par un parti pris d’optimisme. Les auteurs attendent de nouvelles dĂ©couvertes scientifiques et techniques Ă  mĂȘme de changer les conditions de vie. On peut s’interroger, mais ils sont certainement bien placĂ©s pour apprĂ©cier le potentiel qui se dĂ©veloppe actuellement. Ainsi, il nous est dit que l’ouverture d’un accĂšs Ă  internet a des consĂ©quences remarquables en terme de condition de vie et d’emploi. Or, plus de la moitiĂ© de la population mondiale n’a pas encore accĂšs Ă  internet. La progression de cet outil devrait permettre Ă  des centaines de millions de personnes de sortir de leur enfermement. « Notre espoir pour cette gĂ©nĂ©ration se concentre sur deux idĂ©es : faire progresser le potentiel humain et promouvoir l’égalité »

 

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Dans une perspective optimiste, Mark et Priscilla manifestent une grande confiance dans les progrĂšs de la mĂ©decine. Et ils prĂ©conisent des investissements massifs dans ce domaine. Cependant, Mark et Priscilla dĂ©crivent la mise en Ɠuvre d’une dynamique de progrĂšs dans tous les domaines qui rĂ©gissent les conditions de vie. C’est le cas en particulier dans le domaine de l’enseignement.

« Notre gĂ©nĂ©ration a grandi dans des classes oĂč nous apprenions tous la mĂȘme chose Ă  la mĂȘme vitesse sans tenir compte des intĂ©rĂȘts et des dons de chacun. Votre gĂ©nĂ©ration traduira en objectifs ce que vous dĂ©sirerez devenir : ingĂ©nieur, professionnels de santĂ©, Ă©crivain, leader de communauté Vous aurez la technologie qui comprendra comment vous pouvez le mieux apprendre et sur quoi vous avez besoin de vous concentrer
Dans le monde entier, les Ă©tudiants auront accĂšs Ă  travers internet Ă  des aides d’apprentissage personnalisé  ». C’est une vision mobilisatrice. « Nous ferons tout pour que cela arrive non seulement parce que nous t’aimons, mais parce que nous avons une responsabilitĂ© morale envers tous les enfants de la prochaine gĂ©nĂ©ration ».

En considĂ©rant le monde d’aujourd’hui,, nous y voyons bien des malheurs, guerres, maladies, famines. Des politiques essaient d’y faire face. Des organisations humanitaires se confrontent Ă  ces souffrances pour essayer d’en limiter l’impact. Cependant, nous devons prendre en compte les diffĂ©rents aspects de la rĂ©alitĂ© non seulement dans le court terme, mais aussi dans le long terme. Dans la durĂ©e, sur certains points, on peut observer des amĂ©liorations sensibles. Dans le paysage actuel, il y a bien des orages, bien des nuages, mais aussi des ciels plus lumineux. Sachons apprĂ©cier les lumiĂšres qui apparaissent et rendent le monde meilleur. Bienvenue Ă  la « Chan Zuckerberg Initiative ».

 

J H

 

(1)            « Mark Zuckerberg, symbole d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de philanthropes ». Sur le site du « Monde », propos recueillis par Morgane Tual auprĂšs d’Antoine Vaccario, prĂ©sident du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie. Un Ă©clairage bien informĂ© et inscrivant le phĂ©nomĂšne dans sa dimension historique et culturelle. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/03/mark-zuckerberg-symbole-d-une-nouvelle-generation-de-philanthropes_4823502_4408996.html

(2)            « Qui est Priscilla Chan, l’épouse de Mark Zuckerberg ? » : http://www.lexpress.fr/styles/vip/qui-est-priscilla-chan-l-epouse-de-mark-zuckerberg_1741830.html

(3)            « A letter to our daughter » : https://www.facebook.com/notes/mark-zuckerberg/a-letter-to-our-daughter/10153375081581634

(4)            Sur ce blog :  « Une rĂ©volution en Ă©ducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en Ă©ducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565  « Sugata Mitra : un avenir pĂ©dagogique prometteur Ă  partir d’une expĂ©rience d’autoapprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur » : https://vivreetesperer.com/?p=2165

Un chemin de bonheur. Les Ă©crits de Marcelle Auclair

Le bonheur, est-ce bien pour nous ? Et si nous Ă©tions happĂ©s dans la spirale de nos maux intĂ©rieurs, nos agressivitĂ©s retournĂ©es contre nous-mĂȘmes qui donnent de la voix ? Et si les grands massacres qui hantent l’histoire Ă©taient le dernier mot, une mĂ©moire interminable, irrĂ©mĂ©diable ? (1) Mais alors, nous livrons Ă  la mort la clĂ© de nos vies. En regard, il existe bien un autre horizon. Dans une perspective chrĂ©tienne, Dieu intervient pour nous proposer une dynamique de vie. Cela implique un choix : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bĂ©nĂ©diction et la malĂ©diction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postĂ©rité » (DeutĂ©ronome 30.19). Et Dieu nous invite Ă  entrer dans des projets de bonheur et non de malheur (JĂ©rĂ©mie 29.11).

Alors, dans quel Ă©tat d’esprit sommes-nous lorsque nous considĂ©rons la vie dans laquelle nous sommes engagĂ©s ? Les dĂ©couvertes de la psychologie nous ont appris que nos reprĂ©sentations influaient sur nos comportements et toute notre personnalitĂ© (2). De mĂȘme, nous sommes influencĂ©s par l’environnement dans lequel nous Ă©voluons et avec lequel nous vivons en interaction.  Quel va ĂȘtre notre regard ?

 

Une approche pionniĂšre.

Il y dĂ©jĂ  plusieurs dĂ©cennies, la journaliste Marcelle Auclair a ouvert pour nous la voie nouvelle d’un savoir-ĂȘtre et d’un savoir-faire qui reste aujourd’hui Ă©tonnamment actuelle et pertinente. Elle a su allier une inspiration spirituelle chrĂ©tienne et une attitude innovante dans un contexte oĂč commençait Ă  Ă©merger un nouveau genre de vie qu’elle Ă©tait bien placĂ©e pour apprĂ©cier puisqu’à « Marie Claire », elle a Ă©tĂ© une pionniĂšre du journalisme fĂ©minin. C’est une place de choix pour observer et pour parler. Ainsi va-t-elle Ă©crire deux livres : « Le bonheur est en vous » et « La pratique du bonheur » qui sont aujourd’hui rassemblĂ©s dans un ouvrage publiĂ© au Seuil : « Le livre du bonheur ».

Ce sont des Ă©crits qui anticipent la dimension holistique avec laquelle nous sommes aujourd’hui plus familiers. Ce sont des textes qui prennent appui sur des exemples concrets pour Ă©noncer des principes de vie et proposer leur mise en oeuvre Ă  travers des attitudes pratiques. Et, dĂ©jĂ , nous sommes en prĂ©sence d’une approche spirituelle qui n’impose pas une doctrine religieuse et respecte les cheminements de chacun.

 

Bien penser pour bien vivre.

Voici donc quelques aperçus empruntĂ©s aux premiers chapitres. On pourra ensuite poursuivre la rĂ©flexion  Ă  travers la lecture de l’ouvrage.

 

En premier, Marcelle Auclair met l’accent sur « une loi essentielle : la pensĂ©e crĂ©e. La parole crĂ©e »  « La pensĂ©e, la parole, la lumiĂšre de mĂȘme que le son forment des vibrations toutes puissantes » (p. 11). Nos habitudes de pensĂ©es ou de paroles positives ou nĂ©gatives ont donc des consĂ©quences. « Branchez-vous sur les ondes du bonheur », nous dit Marcelle Auclair.

 

Et si la pensĂ©e crĂ©e, elle a aussi un pouvoir d’attraction : « Qu’est-ce que la loi d’attraction ? C’est la loi d’amour
 Les vibrations identiques s’attirent, s’unissent et se renforcent mutuellement ». Ce n’est pas un vain mot de dire d’un idĂ©al, d’un sentiment qu’ils sont « élevĂ©s » ou qu’ils sont « bas ». Le langage traduit exactement la vĂ©rité : une pensĂ©e d’espoir, d’amour dĂ©gagĂ©e de tout Ă©goĂŻsme
 crĂ©e en nous des vibrations hautes qui se joignent Ă  toutes les vibrations analogues et forment avec elles une Ă©mission puissante
 Eprouvons-nous une « dĂ©pression ». Nos vibrations s’abaissent et rien d’heureux, d’harmonieux ne se trouve plus dans notre champ d’attraction. »

 

« Les croyants ont une façon souveraine de hausser les vibrations dĂ©faillantes : la priĂšre, l’appel Ă  un Dieu de bontĂ©, l’abandon Ă  sa volontĂ© qui est joie et abondance  » (p.15)

Non seulement, la parole a des consĂ©quences et en quelque sorte « crĂ©e », mais il existe Ă©galement une « force crĂ©atrice Ă  notre usage ». Ne nous Ă©puisons donc pas dans une Ɠuvre purement volontaire. Apprenons Ă  recevoir (p.39). L’auteure nous parle du « guide intĂ©rieur » Ă©voquĂ© par Marc AurĂšle, un empereur romain philosophe, mais non croyant. C’est une belle expression, qui, pour les chrĂ©tiens,  Ă©voque le Saint Esprit.  « Prier, ce n’est pas Ă©mouvoir une divinitĂ© plus ou moins hautaine ou sĂ©vĂšre
 C’est nous disposer, nous, Ă  recevoir ce qui nous revient du flot inĂ©puisable de l’abondance suprĂȘme. Il n’y a rien de surnaturel, c’est la loi. » (p.30) (3)

 

Avec Marcelle Auclair, nous entrons dans un Ă©tat d’esprit. Partageons ensemble nos questions et nos expĂ©riences Ă  ce sujet.

 

JH

 

(1)               Sur cette question, JĂŒrgen Moltmann nous apporte un Ă©clairage libĂ©rateur ; Voir : « DĂ©livre-nous du mal » sur le site : www.lespritquidonnelavie.com

(2)               L’influence de l’esprit humain sur le corps est remarquablement mise en Ă©vidence par Thierry Janssen dans un livre particuliĂšrement innovant puisqu’à partir d’un bilan de la recherche, incluant l’apport des grandes civilisations de l’Asie, il prĂ©sente les bases d’une nouvelle mĂ©decine du corps et de l’esprit. Nous reviendrons sur cette nouvelle approche, celle notamment de la mĂ©decine de terrain trop mĂ©connue en France. Le livre (Janssen (Thierry) La solution intĂ©rieure. Fayard, 2006) est prĂ©sentĂ© dans un article paru sur le site de TĂ©moins : « Vers une nouvelle mĂ©decine du corps et de l’esprit » http://www.temoins.com/developpement-personnel/vers-une-nouvelle-medecine-du-corps-et-de-l-esprit.guerir-autrement.html

« Méditer avec Marcelle Auclair ». Site de Témoins (Ressourcement) http://www.temoins.com/ressourcement/mediter-avec-marcelle-auclair-le-bonheur-cest-possible.html

Apport de l’immigration africaine à la culture du care


 
Hommage reconnaissant et engagé

Si le systĂšme de santĂ© français est en crise, confrontĂ© aux menaces technocratiques, il reste que le mouvement du care poursuit sa route, gagne dans les esprits et se marque sur le terrain. On pourra se reporter au livre de Fabienne BrugĂšre : « l’éthique du care » (1). C’est « une approche de sollicitude envers les ĂȘtres vulnĂ©rables ». Fabienne BrugĂšre Ă©crit ainsi : « Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel , la  sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossĂ©s Ă  des politiques, Ă  des collectifs, ou Ă  des institutions, s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnĂ©rabilitĂ© et la relationalité ». Il y a donc bien une « culture du care » qui progresse discrĂštement en France. Une expĂ©rience  de trois ans de vĂ©cu en hĂŽpital et en ehpad, en rassemblant mes souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants, me permet de mettre en valeur la grande part  que prennent les soignants issus de l’immigration africaine dans la culture du care. Cette propension s’interprĂšte naturellement dans la commune relationalitĂ© propre aux deux cultures.

Certes, on doit se garder de toute idĂ©alisation. Il y a parfois dans les souvenirs des moments ou la relation a Ă©tĂ© difficile en raison de caractĂšres impĂ©rieux ou de difficultĂ©s de comprĂ©hension linguistique. Mais, c’est le loin l’admiration et la reconnaissance qui l’emportent. Dans cet article, nous allons donc Ă©grainer des souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants et de faits significatifs. Comme nous rapportons gĂ©nĂ©ralement du positif, nous nous permettons de mentionner gĂ©nĂ©ralement les prĂ©noms (parfois les abrĂ©geant pour Ă©viter une reconnaissance directe si les circonstances y  incitent)  Et plutĂŽt que de prĂ©senter une simple galerie, nous reprendrons ses souvenirs dans des thĂšmes successifs. Comment avons-nous pu apprĂ©cier cette dynamique soignante ?  Comment s’est manifestĂ©e une prĂ©sence portant du sens,  en l’espĂšce, bien souvent, une prĂ©sence croyante ? Comment peut-on Ă©galement percevoir une dynamique sociale dans l’apprentissage de nouveaux savoirs et la mobilitĂ© d’une diaspora ? Enfin, nous regretterons, ici ou lĂ  , une frilositĂ© des instances dirigeantes vis-Ă -vis de cet apport. Dans notre mĂ©moire, cette immigration africaine est principalement subsaharienne, mais elle est parfois Ă©galement maghrĂ©bine. Les territoires d’outre-mer se relient Ă  cette mouvance. Ajoutons une participation fĂ©minine motrice,  rejoignant celle du care

 

Une dynamique soignante

Cette aprĂšs-midi lĂ , Ă  l’occasion d’un incident, je fus saisi d’émotion en entendant Nathalie, l’aide-soignante de l’étage, me proclamer en quelque sorte sa vocation. Avec un sourire rayonnant, elle me dit : « Pour moi, je ne conçois pas mon travail, uniquement comme des tĂąches pratiques, comme faire la toilette. Je sais combien l’attention aux accrocs des personnes ĂągĂ©es est importante et peut prĂ©venir des catastrophes. Je suis une soignante ». Et elle rappela combien les gens Ă©taient solidaires dans son village d’Afrique. Cette « vocation » m’apparut Ă©galement chez une infirmiĂšre qui, Ă  la diffĂ©rence d’autres de passage, se prĂ©senta trĂšs clairement avec un enthousiasme contagieux et rĂ©confortant : « Je suis Yolande ». Effectivement, trĂšs jeune au Cameroun, elle vivait dans une famille oĂč son pĂšre Ă©tait mĂ©decin vĂ©tĂ©rinaire. « Toute petite, je savais qu’il soignait les animaux. Moi, je me suis dit : « je ferais plutĂŽt le mĂ©tier d’infirmiĂšre ». Et alors, je pourrai avoir des moments d’échange avec mon pĂšre sur le fait de soigner et sur l’évolution de la mĂ©decine. J’avais huit ans » (2). Venue en France, Yolande a surmontĂ© ses difficultĂ©s financiĂšres initiales et, avec le mĂȘme dĂ©sir d’apprendre er le mĂȘme dĂ©sir de soigner, elle est devenue aide-soignante, puis infirmiĂšre.

Quand on est hospitalisĂ©, on a besoin d’encouragement et ce sont parfois des aides-soignantes qui apportent une aide prĂ©cieuse. Dans le roulis d’une hospitalisation pour covid, il y avait dans cette clinique une aide-soignante qui se dĂ©tachait par un soin prĂ©venant. La doctoresse Ă©coutait cette femme d’origine africaine. Par la suite, arrivant dans un hĂŽpital pour un suivi d’hospitalisation, je me souviens d’une aide-soignante qui m’assura que c’était le bon endroit pour remonter. Ces aides-soignantes n’ont pas une vie facile, mais ce sont de bonnes personnes animĂ©es par un Ă©lan de vie. Cet Ă©lan de vie, on le retrouve aussi dans la prĂ©sence de certaines personnes assurant le service des repas et du mĂ©nage.

C’est le cas dans cet ehpad oĂč comptent la gentillesse et le sourire des personnes apportant le repas. Fati est originaire de la rĂ©gion de Tombouctou dans le Mali. Elle est attentive et encourageante. Elle s’est familiarisĂ©e avec l’établissement et sait oĂč demander. Elle sait aider discrĂštement.  Originaire de la cĂŽte d’Ivoire, Salimata est joyeuse et enjouĂ©e. La bonne humeur, cela compte dans cet univers monotone.

Dans cet ephad, il y a de nombreuses aides-soignantes avec souvent des annĂ©es d’expĂ©rience. On les rencontre notamment au moment de « la toilette » Dans ce moment de proximitĂ©, on peut apprĂ©cier la prĂ©venance et le respect de beaucoup d’entre elles. Elles aussi viennent de diffĂ©rents pays d’Afrique de la CĂŽte d’Ivoire et du Cameroun au Congo. Une occasion de manifester ma reconnaissance Ă  des aides-soignantes dialoguantes comme Lucie, Alice, Lydienne, RĂ©gine, Judith, Nathalie, Solange
Il y a des exceptions oĂč on peut ĂȘtre confrontĂ© Ă  des personnes impĂ©rieuses et peu communicantes . Toutes ces soignantes, parfois Ă  l’épreuve d’un temps Ă©levĂ© de transport, apportent une vitalitĂ© qui s‘inscrit dans une culture du care.

La mĂ©moire d’une aide significative nous revient ici comme un exemple qui vient illustrer cette contribution de l’immigration africaine au care. InfirmiĂšre dans cet ephad, elle s’appelait Janette. MĂšre de famille, elle avait trois enfants. Mal en point Ă  l’époque, j’avais remarquĂ© sa prĂ©venance. Elle m’avait en quelque sorte adoptĂ©. Et lorsque ma santĂ© s’affichait positivement, j’observais chez elle un discret et curieux mouvement de danse. J’ai compris depuis combien la danse est consubstantielle Ă  la culture africaine

 

Une présence croyante

La vulnĂ©rabilitĂ© des patients et des personnes fragiles entraine un besoin de confiance. Il y a des soignantes qui y rĂ©pondent en puisant dans une culture croyante. C’est le cas chez de nombreuses soignantes issues de l’immigration africaine. L’épreuve amĂšne Ă  chercher l’essentiel. Dans un contexte de proximitĂ©, des soignantes apportent discrĂštement un tĂ©moignage de leur foi Ă  travers gestes et paroles. Une culture croyante affleure. D’une clinique, je me souviens de cette aide-soignante estimĂ©e qui me parla un jour de son jeune fils Ă  l’école dont les parents prenaient soin pour le protĂ©ger et elle me dit combien la priĂšre comptait Ă  cet Ă©gard.   Dans l’immigration africaine, la culture croyante va souvent de pair avec une culture chaleureuse qui tranche avec « une culture froide » individualiste et technocratique qui nuit Ă  la sollicitude et sape le moral de personnes Ă©prouvĂ©es.

Venant de CĂŽte d’Ivoire et participant Ă  une culture familiale chaleureuse, cette animatrice s’interrogeait sur la maniĂšre de tĂ©moigner de sa foi dans un milieu de personnes ĂągĂ©es et handicapĂ©es et leur manifestait une intelligente sollicitude. Cependant, en Ă©voquant cette prĂ©sence croyante, je pense particuliĂšrement Ă  une infirmiĂšre qui exerçait sa fonction avec chaleur et enthousiasme. Parfois elle chantait et dans la tonalitĂ©, je reconnaisais des hymnes connus. Me sachant chrĂ©tien, elle n’hĂ©sita pas Ă  se dire pentecĂŽtiste. Me concernant, tout naturellement, venait l’expression : « Dieu vous bĂ©nit ».

Notons que la croyance en Dieu se manifeste dans la culture africaine avec beaucoup de tolĂ©rance. J’ai appris par Fati qu’au Mali, la communautĂ© musulmane coexistait avec diffĂ©rentes Ă©glises chrĂ©tiennes et que dans sa famille elle-mĂȘme, il y avait des musulmans et des chrĂ©tiens.

 

Une dynamique sociale et culturelle

En s’inscrivant dans la culture française Ă  travers l’activitĂ© du care, l’immigration africaine rĂ©alise un parcours de promotion impressionnant. C’est un mouvement en marche pour le meilleur. On peut l’observer chez de trĂšs jeunes. D’origine maghrĂ©bine, Leila, trĂšs attentive et communicante, vit avec ses parents dans une famille de sept enfants, dont les ainĂ©s ont dĂ©jĂ  une inscription professionnelle. Et elle-mĂȘme poursuit des Ă©tudes d’infirmiĂšre. Telle autre jeune fille, d’origine ivoirienne, vivant dans une famille nombreuse et Ă©galement excentrĂ©e en grand banlieue s’engage dans des Ă©tudes d’infirmiĂšre.

Cependant, on observe dans la vie des soignantes, des parcours impressionnants de promotion. BĂ©ninoise, PhilomĂšne, rĂ©duite en esclavage domestique par un mĂ©nage français qui l’avait emmenĂ© en France en promettant Ă  ses parents de lui permettre de faire des Ă©tudes, a pu s’échapper avec l’aide d’une voisine (3). Elle est soutenue par une association, effectue une formation d’auxiliaire de vie, travaille dans l’aide Ă  domicile, travail Ă©puisant lorsque on ne dispose pas d’une voiture pour les transports, puis dans une crĂšche. Comme aide Ă  domicile, j’ai pu apprĂ©cier la qualitĂ© de son attention et elle est devenue une amie. Aujourd’hui, mariĂ©e, mĂšre de plusieurs enfants, elle commence une formation d’aide-soignante.

En terme de promotion sociale et professionnelle, l’itinĂ©raire de Yolande est exemplaire. « En arrivant en France en 2003, j’ai travaillĂ© comme femme de chambre pendant cinq ans pour financer une formation d’aide-soignante
 J’ai approfondi le cĂŽtĂ© relationnel qui Ă©tait dĂ©jĂ  ancrĂ© en moi, mais dont j’ai mieux compris l’application. Cela m’a confortĂ© dans la vocation de soignante que j’avais depuis l’enfance
.J’ai commencĂ© Ă  travailler dans les hĂŽpitaux .. Cela m’a permis d’accroitre mes connaissances pendant douze ans. Ensuite, j’ai voulu Ă©voluer dans m carriĂšre professionnelle. C’est alors que j’ai suivi une formation d’infirmiĂšre pendant trois ans  ». En revoyant ce parcours, je comprend maintenant pourquoi et comment le gout d’apprendre Ă©tait si vif chez Yolande. J’ai pu partager avec elle des textes et des livres. Trop souvent, des gens sont assis sur leur culture acquise dans de longues Ă©tudes. Des mouvements comme Peuple et Culture nous ont appris les vertus de la culture populaire et de l’éducation permanente. Animateur dans cet ephad, il s’appelait Sylvain. De par ses origines, il participait Ă  plusieurs cultures.  Il venait de choisir ce mĂ©tier d’animateur en ephad par souci d’humanitĂ©. Il cherchait sa voie et je le sentais en dĂ©sir d’apprendre et de comprendre. Ce fut un beau moment de partage. Pendant quelque temps, il prit mĂȘme connaissance des articles de Vivre et espĂ©rer


On retrouve chez beaucoup de soignantes de l’immigration africaine, ce mouvement de promotion dans un univers caractĂ©risĂ© par la mobilitĂ©. Cette mobilitĂ© est sociale dans un mouvement ascendant. Elle est aussi internationale. On peut apercevoir ici des effets de diaspora. Telle soignante a des sƓurs en Europe de Nord. Et puis, les relations avec « le pays » sont fortes et constantes. Une telle soutient des orphelins dans sa ville d’origine. Telle autre travaille en surplus pour permettre Ă  tous les membres de sa famille africaine d’acheter des cadeaux de NoĂ«l. Et d’ailleurs, on s’en va souvent au pays pour s’y ressourcer ou pour des Ă©vĂšnements familiaux. Il arrive mĂȘme qu’on participe de Paris Ă  un courant politique . Telle soignante franco-ivoirienne participe au « mouvement des gĂ©nĂ©rations capables ».

 

Face Ă  des brimades

On sait que la sociĂ©tĂ© française est traversĂ©e par des courants politiques opposĂ©s dans leur attitude vis-Ă  vis de l’immigration. Ainsi, il y a bien une attitude d’ouverture qui peut s’appuyer sur un grand mouvement associatif et l’appui des Ă©glises. Mas il y a aussi la pression hostile engendrĂ©e par une mĂ©moire dominatrice et par la peur d’une perte d’identitĂ© dans une sociĂ©tĂ© en crise de valeurs.

On peut donc observer une certaine frilositĂ© dans l’attitude vis-Ă -vis de l’immigration. Ainsi tarde la modernisation d’une administration bureaucratique lente dans l’accueil et dans la facilitation administrative de l’immigration reconnue. PhilomĂšne venait d’effectuer une aide Ă  domicile . Elle devait joindre l’administration pour une dĂ©marche indispensable. Je luis proposais de s’installer tranquillement pour tĂ©lĂ©phoner. Au bout du fil, nous attendĂźmes pendant une heure avant de pouvoir joindre le service.

D’origine ivoirienne, Pris avait effectuĂ© de bonnes Ă©tudes artistique dans une universitĂ© française. Elle avait trouvĂ© un travail d’animatrice dans cet ephad et s’y Ă©tait engagĂ© avec empathie, sensibilitĂ© et crĂ©ativitĂ©. En demande de renouveler son permis de sĂ©jour, l’administration estima que sa rĂ©munĂ©ration Ă©tait trop faible pour correspondre Ă  ses titres universitaires. En l’absence d’un mouvement favorable de l’employeur, elle dut quitter prĂ©cipitamment l’établissement.

Les soignantes franco-africaines oeuvrent dans un secteur de santĂ© aujourd’hui dĂ©favorisĂ© sur le plan des rĂ©munĂ©rations. Dans cet ephad, sous la responsabilitĂ© de deux soignants franco-africains : Judith et Eric, une section syndicale CFDT veille Ă  la dĂ©fense du personnel et milite pour une juste rĂ©munĂ©ration. Un jour, une grĂšve apparut. On peut se rĂ©jouir de la rĂ©ussite de cette grĂšve d’autant qu’elle fut menĂ©e dans un esprit de responsabilitĂ© en veillant Ă  ne pas nuire aux personnes dĂ©pendantes et en poursuivant avec succĂšs la nĂ©gociation avec la direction.

Nous voici dans un aspect plus sombre de cette histoire. RĂ©cemment, j’ai Ă©tĂ© conduit Ă  m’engager pour la dĂ©fense de soignantes brusquement congĂ©diĂ©es.  Dans un effort de remise en ordre vis-Ă vis de certains dysfontionnements, une nouvelle direction a pris des mesures sans prendre suffisamment en compte l’histoire des lieux et les Ă©tats de service de plusieurs soignantes.

Depuis peu, j’avais fait connaissance de Joan, assistante de nuit, une jeune personne active et cultivĂ©e finançant par ce travail des Ă©tudes d’anglais Ă  l’UniversitĂ© Villetaneuse. On lui reprocha un Ă©cart, un retard et une dispute, et elle fut congĂ©diĂ©e du jour au lendemain. Certes, on a pu me dire que je n’avais entendu qu’une version, la sienne.

Joan travaillait dans l’établissement depuis plusieurs annĂ©es. Ayant pris sa dĂ©fense au travers d’un mail, elle me rapporta combien elle avait Ă©tĂ© reçue Ă  la direction sans avoir le sentiment d’ĂȘtre Ă©coutĂ©e. Ce matin-lĂ , elle avait Ă©tĂ© profondĂ©ment humiliĂ©e. Au point qu’elle me dise : « Vous ĂȘtes un blanc, vous ! Jamais, on aurait osĂ© vous traiter de la sorte ». Je n’avais jamais entendu une telle remarque et j’en ai frĂ©mi.  A la mĂȘme pĂ©riode, un dĂ©lĂ©guĂ© syndical m’avait remerciĂ© pour mon soutien en Ă©voquant le ressenti d’une population qui se sent brimĂ©e.

Juste auparavant, une infirmiĂšre apprĂ©ciĂ©e de tous Ă  la suite d’un engagement chaleureux dans l’établissement pendant deux annĂ©es, Ă   l’écoute active » des patients, s’était vu brutalement congĂ©diĂ©e, dans un soudain non renouvellement de son CDD. Certes, la nouvelle direction cherchait Ă  rĂ©former un systĂšme dĂ©faillant. On lui reprocha une bavure mĂ©dicale, mais elle ne put prĂ©senter sa dĂ©fense. On ne tint aucun compte de son Ɠuvre sans doute dans ce mĂ©canisme de l’idĂ©e unique qui ne tient pas compte d’un ensemble. Elle fut donc Ă©liminĂ©e du jour au lendemain sans mĂȘme ĂȘtre reçue. A travers des mails, je m’engageais Ă  fond contre un tel gachis et demandant une mĂ©diation. Il y eut dialogue, mais il n’aboutit pas. La section syndicale CFDT s’engagea elle aussi. En vain. Je n’incrimine pas ici une discrimination, mais le dĂ©faut de mentalitĂ© d’un systĂšme qui regarde d’en haut.  Pour le bien, cette infirmiĂšre portera ailleurs son Ă©coute active et sa culture du care.

Ce sont lĂ  des bavures au regard de la magnifique avancĂ©e que nous venons de dĂ©crire, la promotion d’une population d’origine africaine dans la contribution au dĂ©veloppement d’une culture et d’une sociĂ©tĂ© du care.

 

Une vision relationnelle

Dans son livre sur l’éthique du care (1), Fabienne BrugĂšre met l’accent sur la dimension relationnelle de cette approche. « Chaque vie dĂ©ploie un monde qu’il s‘agit de maintenir, de dĂ©velopper et de rĂ©parer. L’individu est relationnel et non pas isolé ». « La thĂ©orie du care est d’abord Ă©laborĂ©e comme une Ă©thique relationnelle structurĂ©e par l’attention des autres ».

Or, cette dimension relationnelle est trÚs présente dans la culture africaine.

Ainsi, apparait-elle dans l’Ɠuvre de Fatou Diome, Ă©crivaine franco-sĂ©nĂ©galaise (4).

A plusieurs reprises, Fatou Diome s’est exprimĂ©e Ă  propos des personnes ĂągĂ©es en sollicitant du respect Ă  leur Ă©gard. Dans la culture africaine, il y a une continuitĂ© entre les gĂ©nĂ©rations  et les « anciens » sont respectĂ©s. Or Fatou Diome a Ă©tĂ© elle-mĂȘme Ă©levĂ©e par ses grands-parents et elle leur voue une infinie reconnaissance. Nous avons pu ainsi visionner une sĂ©quence de vidĂ©o  sur les personnes ĂągĂ©es, mise en ligne sur facebook. Il s’en dĂ©gage une grande Ă©motion . J’ai pu partager ce visionnement avec deux personnes travaillant Ă  l’ephad : RĂ©gine et Fati. Toutes deux se sont reconnues dans cette vidĂ©o et ont exprimĂ© une grande Ă©motion. Fati n’a-t-elle pas Ă©tĂ© Ă©levĂ©e par ses deux grands-mĂšres et un grand-pĂšre
. Ce fut une Ă©motion partagĂ©e

Si la culture du care met l’accent sur la dimension relationnelle, elle rencontre Ă  cet Ă©gard la culture africaine ou cette dimension est privilĂ©giĂ©e  (5). Un thĂ©ologien travaillant dans une UniversitĂ© de Zambie, Teddy Chawe Sakupapa Ă©voque « la centralitĂ© de la vie et de la relation entre les ĂȘtres dans la vision africaine du monde ». On peut rappeler ici le concept de l’ubuntu dans la galaxie bantoue. Wikipedia en donne la dĂ©finition suivante : « la qualitĂ© inhĂ©rente d’ĂȘtre une personne parmi d’autres personnes. Le terme ubuntu est souvent liĂ© Ă  un proverbe qui peut ĂȘtre traduit ainsi : « Je suis ce que je suis par ce que vous ĂȘtes ce que vous ĂȘtes » ou « Je suis ce que je suis grĂące Ă  ce que nous sommes tous » (6). Teddy Chawe Sakupapa Ă©crit : « Dans une rĂ©alitĂ© interreliĂ©e, il n’y a pas de sĂ©paration entre le sĂ©culier et le sacré ». « La relationalitĂ© est au cƓur de l’ontologie africaine »

Cette approche correspond Ă  la dĂ©finition de la spiritualitĂ© selon David Hay comme « conscience relationnelle avec soi-mĂȘme, les autres, la nature et Dieu ». Et Teddy Chawe Sakupapa peut Ă©voquer « une force vitale comme prĂ©sence de Dieu dans toute la crĂ©ation ».

A travers sa culture relationnelle , l’immigration africaine est propice Ă  la culture du care qui se fonde sur la relationalité . A partir de notre mĂ©moire, nous avons rassemblĂ© ici des rĂ©cits vĂ©cus Ă  travers lesquels on peut voir l’invention d’une culture franco-africaine en voie de promouvoir une culture du care dans les contextes oĂč celle-ci commence Ă  pĂ©nĂ©trer. Ce texte exprime, souvent avec Ă©motion, une immense gratitude pour le vĂ©cu de ces rencontres. C’est aussi une action de grĂące pour le puissant apport de la culture franco- africaine Ă  la sociĂ©tĂ© du care. Puisse la France manifester sa reconnaissance en retour.

J H

 

  1. Une voix diffĂ©rente. Pour une sociĂ©tĂ© du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ ‘De
  2. De YaoundĂ© Ă  Paris. D’aide-soignante Ă  infirmiĂšre. Une vie au service du care et de la santé : https://vivreetesperer.com/de-yaounde-a-paris/
  3. De l’esclavage Ă  la lumiĂšre. Du BĂ©nin Ă  la rĂ©gion parisienne. Une histoire de vie : https://vivreetesperer.com/de-lesclavage-a-la-lumiere/
  4. Fatou DiomĂ©, invitĂ©e d’un monde, un regard : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Fatou+DiomĂ©&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:402c46cc,vid:5yIAErUWBo8,st:469
  5. Esprit et écologie dans le contexte de la culture africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
  6. La philosophie de l’ubuntu d’aprùs Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)

 

La vie est un cadeau

Admirer, m’émerveiller, adorer c’est gratuit !

 

Propos d’Odile Hassenforder

dans son livre : Sa présence dans ma vie.

 

Dans son livre : « Sa prĂ©sence dans ma vie ? », (1) Odile Hassenforder nous rapporte une dynamique de vie qu’elle puise en Dieu et qui la porte jusque dans l’épreuve de la maladie. Dans ce mouvement, elle reçoit  la vie comme un don, un cadeau. Et elle entre naturellement dans une attitude d’émerveillement et d’adoration. C’est une attitude profondĂ©ment ancrĂ©e dans les diffĂ©rents moments de la vie quotidienne, comme celui-ci marquĂ© par une grande fragilitĂ©.

 

« Je me sentais si bien hier. Pourquoi ce vague Ă  l’ñme au rĂ©veil ce matin ? Un retour de bĂąton ? Je me sens vide, pas d’envie, pas d’énergie, inutile
 Je sens, par expĂ©rience, qu’il n’est pas bon de ruminer ainsi.

 

Du fond de mon lit, je regarde par la fenĂȘtre le ciel, l’arbre qui gigote, et ma pensĂ©e s’envole vers des souvenirs. Des paysages dĂ©filent Ă  toute allure avec des sensations de plaisir. Que c’est beau ! Que c’est bon ! Le crĂ©ateur me donne cela gratuitement. C’est gratuit, oui, gratuit. C’est pour moi. Je n’ai qu’à prendre. Et ce don, ce cadeau vient humecter mon cƓur comme une douce pluie bienfaisante dans mon dĂ©sert.

 

Une sensation de contentement m’envahit. Je respire doucement, profondĂ©ment avec dĂ©lice
 Le balancier de mon cƓur se dĂ©bloque et trouve peu Ă  peu le mouvement calme et rĂ©gulier du rythme de mon cƓur. J’accueille cette paix imprĂ©gnĂ©e de sĂ©curitĂ©, une joie d’exister reliĂ©e au crĂ©ateur m’est donnĂ©e.

 

Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer ! C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter sans culpabilitĂ© sans besoin de me justifier. (Justifier quoi ? de vivre ?)

 

D’un sentiment de reconnaissance, jaillit une louange joyeuse, une adoration au crĂ©ateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses crĂ©atures. Alors mon « ego » n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place reliĂ© Ă  un « tout », sans prĂ©tention ( Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin.

 

Comme il est Ă©crit dans un psaume : « Cette journĂ©e est pour moi un sujet de joie
 Une joie pleine en ta prĂ©sence, un plaisir Ă©ternel auprĂšs de toi, mon Dieu
 Louez l’Eternel car il est bon. Son amour est infini. » (Psaume 16.118..)

 

La vie est vraiment trop belle pour ĂȘtre triste. Alleluia ! »

 

Odile Hassenforder

 

(1)            Hassenforder (Odile). Sa prĂ©sence dans ma vie . Parcours spirituel. Empreinte, 2011. Le texte ci-dessus est paru dans ce livre : p. 179-180. RĂ©digĂ© par Odile dans les derniers mois prĂ©cĂ©dant son dĂ©part de la vie terrestre, il a Ă©galement Ă©tĂ© mis en ligne trĂšs tĂŽt, en mars 2009, sur le site : relation-aide.com http://www.relation-aide.com/forum/viewtopic.php?t=4285&view=previous&sid=86e477ecc0372fe31b050dbbb5864aae . Une prĂ©sentation de « Sa prĂ©sence dans ma vie » sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html. On trouvera sur ce blog plusieurs textes prĂ©sentant la pensĂ©e d’Odile : https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder

 

Une voix différente

Pour une société du care

Un regard nouveau

Nous voici dĂ©stabilisĂ©s par le pandĂ©mie. Nous savons la part de souffrance qu’elle a suscitĂ© et suscite encore. Nous entendons l’expression de cette souffrance, l’expression de la peur. C’est alors que nous prenons conscience du rĂŽle salvateur de tous ceux qui ont fait ou font face Ă  cette Ă©pidĂ©mie et en particulier les soignants dans toute leur diversitĂ©. Bref, il y a des mots qui portent aujourd’hui : soin et sollicitude. C’est le moment oĂč une pratique nouvelle et le concept qui l’accompagne : le « care », le prendre soin peuvent apparaĂźtre au grand jour aprĂšs un parcours marquĂ© par des obstacles de mentalitĂ©.

DĂ©sormais, le « Care » n’est plus seulement la prise de conscience ouverte par le livre de Carol Gilligan : « In a different voice », « Une voix diffĂ©rente » (1) qui met en Ă©vidence une approche relationnelle de la morale majoritaire en milieu fĂ©minin, mĂ©connue jusque lĂ , et dans le mĂȘme mouvement, une approche de sollicitude envers tous les ĂȘtres vulnĂ©rables. A partir de lĂ , va naitre une « éthique du care » exposĂ©e notamment par Fabienne BrugĂšre (2). Ouverte Ă  l’actualitĂ©, celle-ci a donc pu Ă©crire rĂ©cemment dans la revue « Etudes », un article : « Pour une sociĂ©tĂ© du care » (3) : « La pandĂ©mie fait valoir un fait anthropologique majeur oubliĂ©, au moins dans les pays les plus riches : nous sommes vulnĂ©rables
 les vies viables sont des vies pourtant vulnĂ©rables. Chaque vie dĂ©ploie un monde qu’il s’agit de maintenir, de dĂ©velopper et de rĂ©parer. L’individu est relationnel et non pas isolé » (p 63). En regard, construire Ă©thiquement et politiquement le « prendre soin » demande une volontĂ©. Le soin est une construction Ă©thique, politique et sociale » (p 67). Ainsi la prise de conscience ouverte par Carol Gilligan, la mise en Ă©vidence d’une autre maniĂšre de penser et d’agir, dĂ©bouche sur un mouvement social et la vision d’une autre sociĂ©tĂ©. C’est un regard nouveau. Comme tous les regards nouveaux, il induit un changement de mentalitĂ© et, par la suite, un changement des pratiques sociales. On peut revisiter l’histoire dans ce sens en Ă©voquant les regards nouveaux qui ont changĂ© l’état du monde. Et aujourd’hui encore, face aux tourments que nous rencontrons, de nouvelles visions sont porteuses d’espĂ©rance. Le « care » compte parmi ces visions. ReconnaĂźtre « une voix diffĂ©rente » requiert Ă©coute et respect. C’est une ouverture spirituelle. C’est geste dĂ©mocratique.

 

« Une voix différente »

C’est bien l’écoute qui a permis Ă  Carol Gilligan de dĂ©couvrir une rĂ©alitĂ© mĂ©connue : « Voici dix ans que je suis Ă  l’écoute des gens. Je les Ă©coute parler de la morale et d’eux-mĂȘmes. Il y cinq ans, j’ai commencĂ© Ă  percevoir des diffĂ©rences entre toutes les voix, Ă  discerner deux façons de parler de morale et de dĂ©crire les rapports entre l’autre et soi  » (1) (p 7). A partir de cette Ă©coute, au travers de ses enquĂȘtes, Carol Gilligan dĂ©couvre que les voix des femmes ne correspondent pas aux descriptions psychologiques de l’identitĂ© du dĂ©veloppement qu’elle mĂȘme avait lues et enseignĂ©es pendant des annĂ©es. « A partir de cet instant, les difficultĂ©s rĂ©currentes soulevĂ©es par l’interprĂ©tation du dĂ©veloppement fĂ©minin attirĂšrent mon attention. Je commençais Ă  Ă©tablir un rapport entre ces problĂšmes et l’exclusion systĂ©matique des femmes des travaux permettant de construire les thĂ©ories cruciales de la recherche en psychologie. Ce livre dĂ©crit les diffĂ©rentes maniĂšres de concevoir les relations avec autrui et leurs liens avec la tonalitĂ© des voix masculines et fĂ©minines
 On peut envisager une hypothĂšse : Les difficultĂ©s qu’éprouvent les femmes Ă  se conformer aux modĂšles Ă©tablis de dĂ©veloppement humain indique peut-ĂȘtre qu’il existe un problĂšme de reprĂ©sentation, une conception incomplĂšte de la condition humaine, un oubli de certaines vĂ©ritĂ©s concernant la vie » (1) (p 7-8).

Carol Gilligan ne dĂ©bouche pas sur une catĂ©gorisation absolue. « la voix diffĂ©rente que je dĂ©cris, n’est pas caractĂ©risĂ©e par son genre, mais par son thĂšme. Les voix masculines et les voix fĂ©minines ont Ă©tĂ© mises en contraste ici afin de souligner les distinctions qui existent entre deux modes de pensĂ©e et d’élucider un problĂšme d’interprĂ©tation. Je ne cherche pas Ă  Ă©tablir une gĂ©nĂ©ralisation quelconque sur l’un ou l’autre sexe ». Ce qui m’intĂ©resse, c’est l’influence rĂ©ciproque de l’expĂ©rience et de la pensĂ©e, les diffĂ©rences entre les voix et le dialogue qu’elles engendrent, la maniĂšre dont nous nous Ă©coutons et dont nous Ă©coutons autrui et ce que nous racontons sur nos propres vies » (1) (p 1-4).

La traduction française du livre de Carol Gilligan est prĂ©cĂ©dĂ©e par des prĂ©sentations de chercheurs français qui en montrent toute la portĂ©e. Ainsi, dans un entretien prĂ©liminaire, Fabienne BruguĂšre nous en montre l’originalitĂ©. Carol Gilligan interpelle la thĂ©orie dominante du dĂ©veloppement humain et les catĂ©gories d’interprĂ©tation morale de Kohlberg : «  La morale a un genre : une morale masculine qui se veut rationnelle, imprĂ©gnĂ©e de lois et de principes Ă©touffe une morale relationnelle nourrie par le contexte social et l’attachement aux autres » (p III). Mais, bien plus encore, elle promeut une nouvelle Ă©thique « qui est un rĂ©sultat de la clinique, un Ă©quilibre nouveau entre souci de soi et souci des autres. L’éthique est alors une maniĂšre de se constituer un point de vue » (p II). Et, dans le mĂȘme mouvement, sans figer des oppositions, elle exprime un nouveau fĂ©minisme : « Gilligan ne prĂ©conise pas un fĂ©minisme de la guerre des femmes contre les hommes, mais de la relation, laquelle est aussi la relation entre sphĂšre publique et sphĂšre privĂ©e, raison et affects, Ă©thique et politique, amour de soi et amour des autres. Ce sera le fĂ©minisme du XXIĂš siĂšcle. L’émancipation des femmes ne se fera pas sans celle des hommes, sans l’égalitĂ© des voix, sans la dĂ©mocratie comme modĂšle de vie dĂ©sirable ou encore sans une reconnaissance de l’importance du « care » (p VI).

 

Une Ă©thique du care

Dans l’inspiration de Carol Gilligan, Fabienne BrugĂšre publie un livre : « L’éthique du care ». La « voix diffĂ©rente » de Carol Gilligan, nous dit-elle, « inaugure un problĂšme, Ă  la fois philosophique, psychologique, sociologique et politique, celui du « care »  Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le problĂšme du lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel », la sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossĂ©s Ă  des politiques, Ă  des collectifs ou Ă  des institutions s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnĂ©rabilitĂ© et la relationalitĂ©, cette derniĂšre devant ĂȘtre comprise avec son double versant de la dĂ©pendance et de l’interdĂ©pendance » (2) (p 3).

Ce mouvement est accompagnĂ© par l’apparition et le dĂ©veloppement d’une Ă©thique nouvelle. « L’éthique du care surgit comme la dĂ©couverte d’une nouvelle morale dont il faut reconnaĂźtre la voix dans le monde qui ne dispose pas du langage adĂ©quat pour exprimer et faire reconnaĂźtre tout ce qui relĂšve du travail de « prendre soin » (2) (p 7).

L’éthique du care s’affirme en opposition Ă  une dĂ©marche individualiste. « Les tĂąches du care sont un sĂ©rieux antidote Ă  une psychologie qui ne prend en compte que l’intĂ©rĂȘt personnel des individus Ă  agir ou Ă  la construction du moi autonome refermĂ© sur lui-mĂȘme. La thĂ©orie du care est d’abord Ă©laborĂ© comme une Ă©thique relationnelle structurĂ©e par l’attention aux autres (2) (p7). L’éthique du care s’affirme dans le concret de la vie et non Ă  travers des principes moraux abstraits. Alors que pour Kohlberg, il existe une morale supĂ©rieur ancrĂ©e dans le raisonnement logique gĂ©nĂ©ralement produit par les hommes, Gilligan affirme que les femmes construisent le problĂšme moral diffĂ©remment en centrant le dĂ©veloppement moral sur la comprĂ©hension des responsabilitĂ©s partagĂ©es et des rapports humains (2) (p 19). Plus que simplement une morale diffĂ©rente, l’approche du care induit une Ă©thique. « Utiliser l’arsenal thĂ©orique du care revient Ă  mettre entre parenthĂšses le raisonnement moral au profit de ce qui particularise les conduites au nom des besoins des autres et de la force sociale des situations » (2) (p 32). « Alors que la morale est « prescriptive, corrective et autoritaire », l’éthique est « du cotĂ© de l’enquĂȘte empirique qui propose une dĂ©termination des normes Ă  partir des situations vĂ©cues » (2) (p 35). Carol Gilligan dĂ©crit les cheminements de la pensĂ©e qui induisent des dĂ©cisions. « Il s’agit de cheminer vers une dĂ©cision qui se rĂ©vĂšle possible Ă  mĂȘme le contexte de toutes les interdĂ©pendances en jeu
 la rĂ©solution a Ă  faire avec une humanitĂ© vulnĂ©rable, avec des situations de grande fragilitĂ© Ă  certains moments de la vie oĂč il faut prendre des dĂ©cisions
 L’éthique est associĂ©e au souci, souci de soi et souci des autres  » (2) (p 38).

 

Pour une société du care

La pandĂ©mie du Covid 19 a suscitĂ© une prise de conscience de notre vulnĂ©rabilitĂ© individuelle et collective. Elle a suscitĂ© un besoin d’aide et de soin. DĂšs lors, le care peut accĂ©der Ă  la conscience sociale. C’est bien le moment d’évoquer une sociĂ©tĂ© s’inspirant de l’éthique du care. C’est le thĂšme d’un article de Fabienne BrugĂšre dans la revue : Etudes (3). « Ce qui semble fonctionner dans cette crise sanitaire relĂšve d’une logique d’entraide trĂšs proche de ce que prĂ©conise Joan Tronto dans : « Caring democracy » oĂč l’accent est portĂ© sur un Ă©lĂ©ment essentiel des politiques de soin : « l’ĂȘtre avec », c’est Ă  dire les relations de solidaritĂ© et de mise en commun (3) (p 66). Cependant, au delĂ  de la conjoncture, c’est une nouvelle vision de la sociĂ©tĂ© et de sa gouvernance qui apparaĂźt. « Le prĂ©supposĂ© individualiste conçoit les ĂȘtre humains Ă  travers une injonction Ă  l’autonomie comme si les ĂȘtres humains Ă©taient Ă  tout moment de leur vie maĂźtres et possesseurs d’eux-mĂȘmes. Insister sur l’interdĂ©pendance gĂ©nĂ©ralisĂ©e des vies revient Ă  promouvoir une autre conception du vivre ensemble Ă  travers la primautĂ© d’un lien dĂ©mocratique soucieux de ne pas exclure celles et ceux qui sont confrontĂ©s Ă  des situations de vulnĂ©rabilité » (2) (p 84). Dans le contexte actuel, nous comprenons mieux les enjeux. « L’éthique du care nous met en garde contre les dĂ©rives conjointement marchandes et bureaucratique de nos sociĂ©tĂ©s. En reconnaissant collectivement la nĂ©cessitĂ© de mettre en Ɠuvre plus de justice sociale, elle vaut comme une alternative Ă  un nĂ©olibĂ©ralisme mondialisĂ© et homogĂšne qui laisse de plus en plus de monde sur la route
 DĂ©ployer une Ă©thique du care, c’est rappeler qu’un projet de sociĂ©tĂ© ne saurait se rapporter qu’à celles et ceux qui rĂȘvent de performance individuelle, d’argent et de pouvoir. Il doit Ă©galement faire face avec des destins individuels diffĂ©rents qui expriment le dĂ©sir d’autres formes de rĂ©ussite de la vie. Il a Ă  rendre possible le soutien des individus au nom d’un bien-ĂȘtre Ă  la fois collectif et individuel
 L’éthique du care mĂšne Ă  une politique du care  » (2) (p 123-124).

Le mouvement du care s’inscrit dans les transformations actuelle des mentalitĂ©s et l’apparition conjuguĂ©e d’idĂ©es nouvelles. Le livre de Fabienne BrugĂšre relĂšve la complexitĂ© de cette situation dans laquelle nous ne sommes pas entrĂ© ici. En faisant apparaĂźtre et reconnaitre la diversitĂ© des points de vue, Carol Gilligan inaugure un fĂ©minisme nouveau qui porte un mouvement social, le mouvement du care. Il est bon de rappeler ici combien le fĂ©minisme peut engendrer des prises de conscience par rapport aux pratiques d’un monde encore patriarcal. A l’époque, la mĂȘme exigence apparaĂźt dans la thĂ©ologie fĂ©ministe. On en trouve un aspect dans le dialogue entre Elisabeth MoltmannWendel et son mari, tous deux thĂ©ologiens, en 1981, dans une rencontre organisĂ©e par le Conseil mondial des Eglises (4) : « Nous voulons une vie pleine qui joigne le corps, l’ñme et l’esprit, une vie qui ne soit plus divisĂ©e entre la sphĂšre publique et la sphĂšre privĂ©e et qui nous remplisse de confiance et d’espoir par delĂ  la mort biologique », interpelle Elisabeth.

Nous voyons bien aujourd’hui les tempĂȘtes et qui agitent le monde et les menaces qui nous environnent. Mais il apparait aussi des mouvements porteurs d’espoir qu’il faut reconnaĂźtre et soutenir comme le care, la communication non violente et le mouvement Ă©cologique . Essayons de prendre du recul. Dans son livre : « Darwin, Bonaparte et le samaritain » (5), Michel Serres perçoit une inflexion dans le cours de l’histoire, au sortir de massacres sĂ©culaires, un Ăąge plus doux. A l’encontre de la violence meurtriĂšre, la figure du  samaritain est emblĂ©matique de la compassion et du soin. Ne peut-on pas envisager le mouvement du care comme une Ă©tape dans ce parcours ? Dans une rĂ©trospective de long cours, on doit rappeler combien l’inspiration de l’Evangile a Ă©tĂ© anticipatrice 6). Qu’on se rappelle non seulement la parabole du bon samaritain, l’épisode Ă©vangĂ©lique du lavement de pieds, la rĂ©pudiation des puissants. « Ceux que l’on regarde comme chefs des nations, les commandent en maitre. Les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en ĂȘtre ainsi  » (Marc 10. 42-44). Dans tout cela, ce qui est en cause au cours de l’histoire, n’est-ce pas la volontĂ© de puissances et ses consĂ©quences ? En regard, on perçoit tout l’apport du « care ».

J H

  1. Carol Gilligan. Une voix diffĂ©rente. La morale a-t-elle un sexe ? prĂ©sentation de Sandra Laugier et Patricia Paperman. PrĂ©cĂ©dĂ© d’un entretien avec Fabienne  BrugĂšre. Champs essais, 2019
  2. Fabienne BrugĂšre. L’éthique du care 3Ăš Ă©d Presses universitaires de France, 2020 (Que sais-je ?). L’éthique du care prĂ©sentĂ©e par Fabienne BruguĂšre sur Youtube (2016) : https://www.youtube.com/watch?v=hBBSb-ujdXI
  3. Fabienne BruguÚre. Pour une société du care. Etudes, juillet-aout 2020, p 61-72
  4. Une philosophie de l’histoire par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
  5. Hommes et femmes en coresponsabilitĂ© dans l’Eglise. Dialogue thĂ©ologique entre Elisabeth Moltmann-Wendel et JĂŒrgen Moltmann : https://www.temoins.com/femmes-et-hommes-en-coresponsabilite-dans-leglise/
  6. Comment l’Esprit de l’Evangile a imprĂ©gnĂ© les mentalitĂ©s et, quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui (Tom Holland) : https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/