Une nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre / 4

Un regard nouveau pour un monde nouveau

« Petite Poucette » de Michel Serres.

On mesure, Ă  la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons Ă  ce livre. En effet, en prĂ©sence d’une rĂ©alitĂ© qui change, il nous aide Ă  changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un  changement limitĂ©. De fait, nous sommes engagĂ© dans une mutation qui induit et requiert une rĂ©volution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un Ă©pistĂ©mologue, connaisseur des mĂ©thodes et des rĂ©sultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude Ă  la sympathie. Il sait voir avec le cƓur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension Ă©pique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensĂ©e interpelle les acteurs dans diffĂ©rents champs d’activitĂ©.

Dans bien des domaines, nous sommes confrontĂ©s aux blocages et aux rĂ©sistances des mentalitĂ©s. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s dĂ©couvre Ă  travers le livre de Michel Serres.  En politique, il y a bien quelques figures pionniĂšres qui Ă©voquent la dĂ©mocratie participative et l’intelligence collective.  On pense, par exemple, Ă  SĂ©golĂšne Royal. Il y a un long chemin Ă  parcourir.

Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelĂ©es par l’hĂ©ritage du passé : hiĂ©rarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymĂ©trique. La mentalitĂ© patriarcale est encore prĂ©gnante. Alors, lĂ  aussi des voix  s’élĂšvent pour libĂ©rer le message  de vie portĂ© par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermĂ©. On entend bien Michel Serres lorsqu’il Ă©voque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delĂ  l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, rĂ©pĂ©titives, impĂ©ratives, sans lien avec la vie et enfermĂ©es sur elles-mĂȘmes sont de plus en plus contestĂ©es. Un nouvel entendement apparaĂźt et se rĂ©pand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme aprĂšs la religion » (1). Elle met en Ă©vidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en Ă©vidence le dĂ©veloppement d’une « foi expĂ©rientielle »  Cette valorisation de l’expĂ©rience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut Ă©voquer ici la dĂ©marche pionniĂšre du thĂ©ologien JĂŒrgen Moltmann. DĂšs les annĂ©es 1970, il a Ă©crit un livre intitulĂ© « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de libertĂ©. Il Ă©voque la Sagesse de Dieu qui dĂ©clare : « Je faisais ses dĂ©lices, jour aprĂšs jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec HĂ©raclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et lĂ . C’est un royaume de l’enfant ». Cet Ă©loge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excĂšs de la pensĂ©e analytique.

ThĂ©ologien de l’espĂ©rance, JĂŒrgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite Ă  aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous dĂ©crit l’émergence d’une « nouvelle maniĂšre d’ĂȘtre et de connaĂźtre » . C’est un phĂ©nomĂšne nouveau et de grande ampleur. « LibĂ©rĂ©e des relations asymĂ©triques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en rĂ©seaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde Ă  celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann nous apporte en Ă©cho un Ă©clairage thĂ©ologique. « L’essence de la crĂ©ation dans l’Esprit est par consĂ©quent la « collaboration » et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit dans la mesure oĂč elle font connaĂźtre « l’accord gĂ©nĂ©ral »  Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)

Bien sĂ»r, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a Ă©crit Ă©galement un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que rĂ©vĂšle le sĂ©isme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dĂ©pĂ©rir et un nouveau monde en train de naĂźtre. Comme les institutions censĂ©es nous apporter du sens sont elles-mĂȘmes engoncĂ©es dans l’hĂ©ritage du passĂ©, c’est le message initial qui se rappelle Ă  nous en Ă©cho Ă  la rĂ©volution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la PentecĂŽte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent Ă  parler dans diffĂ©rentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier.  Pour nous, il y a une analogie entre cette expĂ©rience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres dĂ©crit en ces termes : « Pour la premiĂšre fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).

J H

(1)            Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de TĂ©moins : « La montĂ©e d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html

(2)             Moltmann (JĂŒrgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’ĂȘtre libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). RĂ©Ă©dité .

(3)            Vie et Ɠuvre de JĂŒrgen Moltmann  d’aprĂšs son autobiographie : « A broad place » : « Une thĂ©ologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)             JĂŒrgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thĂšme de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la crĂ©ation » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntĂ©es au livre : Dieu dans la crĂ©ation  (p 25 et p 15)

(5)            Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)

(6)            Cette recherche de nouveautĂ© est en cours selon les compĂ©tences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus  », oĂč il met l’accent sur les dĂ©gradations et les menaces, et notamment sur les incidences nĂ©fastes de la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Son apprĂ©ciation d’internet est mitigĂ©e (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les consĂ©quences fĂącheuses de la prĂ©dominance du modĂšle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compĂ©tition et coopĂ©ration, il faut redonner vie Ă  la seconde en rĂ©enchantant le travail, en remettant Ă  plat les frontiĂšres du gratuit et du payant, en repensant la coopĂ©ration internationale, Ă  commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophĂšte (Ă©garĂ©) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012.  Nous renvoyons Ă©galement ici Ă  la vision prospective et dynamique de JĂ©rĂ©mie Rifkin  dans son livre : « La TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354     Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne mĂ©connaĂźt pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte Ă  la fois d’une histoire de longue durĂ©e et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.

Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.

Un mouvement Ă©mergent pour le partage, la collaboration et l’ouverture : OuiShare

communautĂ© leader dans le champ de l’économie collaborative

En considĂ©rant le monde d’aujourd’hui, les prĂ©occupations ne manquent pas. Les menaces abondent. Et, en France mĂȘme, on  perçoit crainte et dĂ©sarroi. Les rĂ©centes Ă©lections europĂ©ennes ont manifestĂ© une poussĂ©e de crispations identitaires. Mais l’orientation de notre rĂ©flexion dĂ©pend beaucoup de notre regard. Si nous sommes inspirĂ©s par une espĂ©rance qui va au delĂ  des turbulences et des orages marquant notre immĂ©diat, alors nous pourrons ĂȘtre attentifs aux Ă©mergences qui prĂ©parent un avenir meilleur. Nous prĂȘterons attention aux tendances positives. Le dĂ©veloppement de l’économie collaborative en France paraĂźt ainsi exprimer un changement prometteur dans les reprĂ©sentations et les comportements. À cet Ă©gard, l’apparition, puis la croissance rapide de la communautĂ© « OuiShare » est un phĂ©nomĂšne particuliĂšrement significatif.

En 2012, Anne-Sophie Novel et StĂ©phane Riot publient un livre qui, Ă  partir de l’apparition de nouveaux comportements, exprime la vision d’une sociĂ©tĂ© collaborative : « Vive la Co-rĂ©volution. Pour une sociĂ©tĂ© collaborative » (1). Ils mettent en Ă©vidence l’éclosion de nombreuses entreprises qui dĂ©veloppent des pratiques de partage. Cette rĂ©volution tranquille traduit la montĂ©e d’une maniĂšre nouvelle d’envisager la vie. Ainsi, avons- nous prĂ©sentĂ© ce livre dans ce blog sous le titre : « Une rĂ©volution de l’ĂȘtre ensemble » (2), expression elle-mĂȘme empruntĂ©e Ă  cet ouvrage innovant et visionnaire. En 2013, Anne-Sophie Novel publie un second livre : « Le vie share. Mode d’emploi » (3). Elle dĂ©finit son livre comme « un espace d’exploration et de discussions sur les alternatives qui s’offrent Ă  nous pour vivre autrement et s’adapter aux crises ». « Cet ouvrage prolonge et complĂšte sous un angle pratique le premier livre : « Vive la Co-rĂ©volution ». Et elle note que ce travail est soutenu par « OuiShare », la communautĂ© internationale de l’économie collaborative. Effectivement, le groupe « OuiShare », crĂ©Ă© en janvier 2012, a grandi rapidement. Anne-Sophie Novel continue Ă  analyser et Ă  commenter le dĂ©veloppement de l’économie collaborative sur un blog qui s’inscrit dans l’espace du journal « Le Monde » : « MĂȘme pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » (4).

Ouishare : une communauté émergente qui prend forme

Oui au partage. Oui, nous partageons. Cette affirmation se traduit sous le terme franco-anglais : Ouishare. À l’automne 2011, un petit groupe se rĂ©unit chaque mois. Ce sont « des amis qui se sont rencontrĂ©s Ă  travers Antonin qui a lancĂ© le premier blog français sur l’économie collaborative ». Et, en janvier 2012, la communautĂ© « OuiShare » est crĂ©Ă© Ă  Paris. La croissance va ĂȘtre extrĂȘmement rapide, puisqu’en deux ans, OuiShare est devenue « un leader international dans le champ de l’économie collaborative qui a rapidement Ă©voluĂ©, passant d’une poignĂ©e de personnes enthousiastes, Ă  un mouvement global dans 25 pays en Europe, AmĂ©rique Latine et Moyen Orient avec un rĂ©seau des 50 experts connecteurs engagĂ©s avec 2000 membres et contributeurs Ă  travers le monde » (5).

         Comment la communautĂ© OuiShare se prĂ©sente-t-elle aujourd’hui ?

         « OuiShare a pour mission d’apporter aux citoyens, aux institutions publiques et aux entreprises la capacitĂ© de dĂ©velopper une Ă©conomie collaborative fondĂ©e sur le partage, la collaboration et l’ouverture en s’appuyant sur des communautĂ©s et des rĂ©seaux horizontaux. Nous croyons que cette Ă©conomie peut rĂ©soudre une bonne part des dĂ©fis complexes auxquels le monde fait face et permettre Ă  chacun d’accĂ©der aux ressources et aux opportunitĂ©s dont il a besoin pour vivre.

         Comme communautĂ© globale, non tournĂ©e vers la recherche du profit, les activitĂ©s de OuiShare consistent Ă  construire une communautĂ©, produire de la connaissance, discuter de projets en rapport avec la communautĂ© et avec l’économie collaborative, offrir un soutien aux individus et aux organisations Ă  travers une formation et des services professionnels ».

         OuiShare trouve son identité dans un ensemble de valeurs qui inspirent comportements et orientations.

« Voici les principes qui nous unissent. Ces principes ne sont pas apparus en un jour, mais ils sont le produit d’un long processus qui a commencĂ© au second  sommet de OuiShare Ă  Rome en novembre 2012. Cette liste exprime un mouvement et elle continuera Ă  Ă©voluer. Ces valeurs se dĂ©clinent autour des termes suivants :

° Transparence

° Ouverture : organisation non hiérarchique à laquelle chacun peut se joindre et participer. Un processus qui est fondé sur le gouvernement des pairs

° Rencontre avec les gens de la vie rĂ©elle : l’internet ne peut remplacer le contact avec la vie rĂ©elle

° InventivitĂ© « Permanent Beta » : Ouishare est une expĂ©rience avec une approche de start up. Avec curiositĂ© et ouverture, nous nous efforçons d’entreprendre continuellement des choses nouvelles

° Inclusion : Ouishare bénéficie de contributions trÚs variées

° Indépendance : refus de toute dépendance ; pas de partenariats exclusifs

° Action : agir sans attendre

° Jeu : le travail ne doit pas ĂȘtre ennuyeux

° Feedback : contribue à la participation

° Impact : accélérer le mouvement vers une économie plus participative

Cette liste exprime bien un accent sur le partage, l’ouverture et la crĂ©ativitĂ©.

On peut observer dans OuiShare une dynamique d’association et de participation. Cette dynamique est facilitĂ©e par l’engagement  de membres plus engagĂ©s dans un travail d’animation et de mise en contact : une cinquantaine de « connecteurs ». Le terme : connection est lui-mĂȘme significatif. Cette communautĂ© se dĂ©veloppe dans une connection en rĂ©seau. Mais le processus ne repose pas seulement sur internet. Les organisateurs insistent sur l’importance des rencontres et ils organisent des Ă©vĂšnements qui permettent aux membres de faire connaissance et de partager leurs expĂ©riences et leurs projets.

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FĂȘte 2014 de OuiShare : l’ñge des communautĂ©s

Et c’est ainsi que, du 5 au 7 mai 2014, Ă  Paris, au Cabaret Sauvage, a eu lieu la fĂȘte 2014 de OuiShare : « L’ñge des communautĂ©s ». Venant de 50 pays, 1000 participants s’y sont retrouvĂ©s. Un moment trĂšs dense avec 120 sessions et 140 contributeurs, mais aussi des espaces oĂč la convivialitĂ© et la crĂ©ativitĂ© ont pu s’exprimer en tĂ©moignant de la vitalitĂ© d’une jeune gĂ©nĂ©ration (6). On pourra accĂ©der Ă  cette rĂ©flexion commune Ă  travers une remarquable politique de communication associant diffĂ©rents apports : vidĂ©os, e books, mais aussi graphismes sur des registres diffĂ©rents oĂč l’expression personnelle est bien prĂ©sente (7). OuiShare publie Ă©galement un magazine. La crĂ©ativitĂ© se dĂ©ploie.

Dans la reconfiguration actuelle du rapport entre individus et entitĂ©s sociales, on assiste aujourd’hui Ă  la montĂ©e d’aspirations nouvelles comme un dĂ©sir de convivialitĂ© et une recherche de sens (8). Le dĂ©veloppement de la communautĂ© OuiShare tĂ©moigne d’un changement en profondeur dans les reprĂ©sentations et les comportements. Cette Ă©mergence se rĂ©alise Ă  travers la convergence d’acteurs agissant dans des champs diffĂ©rents. OuiShare est une communautĂ© connectĂ©e qui favorise et suscite la crĂ©ativitĂ© et l’esprit d’initiative chez les participants. On pourra interprĂ©ter ce phĂ©nomĂšne sur diffĂ©rents registres (9). Et le processus Ă  l’Ɠuvre dans cette communautĂ© peut faire Ă©cole dans d’autres champs. Dans le climat français actuel, oĂč morositĂ© et manque de confiance se font sentir, l’émergence de OuiShare est une bonne nouvelle.

J H

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(1)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution. Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (ManifestÎ)

(2)            Sur ce blog : PrĂ©sentation du livre : Vive la Co-rĂ©volution » « Une rĂ©volution de « l’ĂȘtre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

Egalement sur ce blog, une interview de Pippa Soundy Ă  propos du livre : « Vive la Co-rĂ©volution » : « Pour une sociĂ©tĂ© collaborative. Un avenir pour l’humanitĂ© dans l’inspiration de l’Esprit » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

(3)            Novel (Anne-Sophie). La vie share. Mode d’emploi. Consommation, partage et modes de vie collaboratifs. Alternatives, 2013 (Manifestî)

(4)            Blog de Anne-Sophie Novel (M blog) : « MĂȘme pas mal ! Partage d’alternatives pour mode de vie en temps de crise » : http://alternatives.blog.lemonde.fr/

(5)            Site de Ouishare : http://ouishare.net/en

(6)            Présentation du festival 2014 de OuiShare dans sa dynamique et sa diversité sur le site : We demain (Une revue. Un site. Une communauté) : http://www.wedemain.fr/La-generation-co-prepare-l-avenir-au-OuiShare-Fest_a512.html

La revue : We Demain promeut l’économie collaborative, les recherches innovantes et les causes Ă©cologiques.

(7)            Une politique de communication pour transmettre tout l’apport du festival : http://magazine.ouishare.net/2014/05/ouishare-fest-collaborative-economy/

(8)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines », sur le site de TĂ©moins : http://www.temoins.com/parcourir-le-site/recherche-et-innovation/etudes/1012–emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie.html

(9)            Sur ce blog, nous trouvons inspiration dans la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann. Dans le livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (Cerf, 1988), Moltmann reconnaĂźt l’Esprit de Dieu Ă  l’Ɠuvre dans la crĂ©ation, dans le monde et dans l’humanitĂ©. Il Ă©crit : « Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit divin
 L’« essence » de la crĂ©ation dans l’Esprit est par consĂ©quent la « collaboration », et les structures manifestent la prĂ©sence de l’Esprit, dans la mesure oĂč elles font reconnaĂźtre l’« accord gĂ©nĂ©ral ». « Au commencement Ă©tait la relation » (M Buber) (p 25). C’est dire l’importance de tout mouvement qui tend vers la collaboration et le partage.

Pour une conscience planétaire

« Blueturn » : la terre vue du ciel
Selon Jean-Pierre Goux

Nous avons de plus en plus conscience du caractĂšre exceptionnel de cette terre qui accueille notre humanitĂ© et qui est maintenant notre « maison commune » (1). Les photos de la terre vue du ciel participent au dĂ©veloppement de cette vision. Dans une intervention Ă  la rencontre FED X Vaugirard Road 2016 sur le thĂšme : « Penser l’invisible », Jean-Pierre Goux nous prĂ©sente un parcours de prĂšs de vingt ans dans lequel il a militĂ© pour une meilleure visibilitĂ© de ces photos : « Voir la terre comme vous ne l’avez jamais vue » (2). En dĂ©couvrant combien le regard sur cette planĂšte peut ĂȘtre chargĂ© d’émotion et porter un potentiel de grĂące et d’amour, on suit avec passion l’aventure de Jean-Pierre Goux d’autant plus que celui-ci la retrace avec beaucoup d’humour et d’émotion.

Pour commencer, Jean-Pierre Goux nous prĂ©sente une photo de la terre vue du ciel dans sa globalitĂ©. « Vous avez tous vu cette photographie au moins sur la couverture de vos livres d’histoire, et sans doute bien ailleurs, car cette photo est la plus reproduite de toute l’histoire de l’humanitĂ©. Pourquoi ? Elle est unique. C’est la seule qu’on ait de la terre toute Ă©clairĂ©e ». Ou, du moins, c’est la seule qu’on avait jusqu’à l’annĂ©e derniĂšre. « En effet, elle a Ă©tĂ© prise en 1972 par les astronautes de la mission Apollo 17, la derniĂšre des missions Apollo. Dans les missions prĂ©cĂ©dentes, la terre n’était jamais complĂštement Ă©clairĂ©e. Elle s’appelle : « Blue marble ». Donc c’est la premiĂšre photo qu’on a eu, mais c’est aussi la derniĂšre ».

C’est une photo qui a tout changĂ©, nous dit Jean-Pierre Goux. « Pour la premiĂšre fois , l’humanitĂ© voyait sa maison. Elle dĂ©couvrait que la terre Ă©tait ronde. On le savait. On nous l’avait dit. On en qavait la preuve. Cette photo nous a aussi fait comprendre que notre planĂšte Ă©tait magnifique, mais qu’elle Ă©tait aussi fragile, perdue dans une identitĂ© noire et lugubre. Elle nous adonnĂ© envie de la protĂ©ger. Cette photo a dĂ©marrĂ© un mouvement qu’on appelle la conscience planĂ©taire. Elle est intervenue en 1972 quand les problĂšmes environnementaux devenaient globaux et a contribuĂ© au dĂ©veloppement du mouvement Ă©cologiste. Malheureusement, les effets de cette photo se sont estompĂ©s avec les dĂ©cennies ».

J P Goux nous raconte alors comment il en est venu Ă  s’interroger personnellement sur cette photo. « Mon histoire avec la terre a dĂ©marrĂ©, il y a une vingtaine d’annĂ©es, en 1996. Un ami d’école d’ingĂ©nieurs, qui faisait un stage Ă  l’aĂ©rospatiale, m’offre un livre qui a changĂ© ma vie. Je n’imaginais pas Ă  l’époque qu’il allait m’emmener aussi loin. Ce livre, il s’appelait : « Clairs de terre ». Il a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© par l’association des « explorateurs de l’espace » (une association des anciens astronautes). En feuilletant ce livre, j’ai vu des photos de la terre vue de l’espace, Ă  couper le souffle. Mais ce qui m’a surtout intriguĂ©, c’étaient les textes qui Ă©taient Ă  cĂŽtĂ© de ces photos. C’étaient des citations d’astronautes d’une poĂ©sie extraordinaire qui semblaient avoir Ă©tĂ© saisis par la grĂące, mais surtout par un amour que je n’avais jamais autant vu pour la terre. Je me suis dit qu’il y avait lĂ  quelque chose Ă  exploiter pour changer les choses et rendre le monde meilleur  ». Ainsi, pendant des dizaines et des dizaines de citations, on voit des hommes et des femmes de toutes nationalitĂ©s manifester un amour incommensurable pour la terre.       Quelque chose paraissait les avoir touchĂ©. Cet effet a Ă©tĂ© Ă©tudié  et porte le nom d’ « overview effect » (3). Il a Ă©tĂ© montrĂ© scientifiquement que l’effet combinĂ© de l’apesanteur, de la peur, du silence, et de l’exposition au grand large de la terre tournant avec un rythme lancinant, crĂ©e toutes les conditions pour une expĂ©rience mystique, extatique, une expĂ©rience qui a marquĂ© Ă  vie ceux qui l’ont vĂ©cue. Ces astronautes Ă©taient persuadĂ©s que la terre est un ĂȘtre vivant, interconnectĂ© et qu’il fallait absolument le prĂ©server
 Le seul problĂšme, c’est qu’il n’y avait que 500 personnes qui avaient vĂ©cu cette transformation !!!

 

 

A cette Ă©poque, Al Gore Ă©tait vice-prĂ©sident des Etats-Unis, trĂšs investi dans l’écologie. En 1998, deux mois aprĂšs le protocole de Kyoto, et se demandant comment sensibiliser les gens au dĂ©fi du changement climatique, « Une nuit, inspirĂ© par « Blue marble » et ce que cette photo avait changĂ© quand il Ă©tait plus jeune, il eut le rĂȘve d’envoyer une sonde dans l’espace pour filmer la terre en temps rĂ©el et diffuser les images sur internet pour que les gens voient le visage illuminĂ© de GaĂŻa ». En rĂ©ponse, la Nasa s’engagea dans ce projet.

« Le problĂšme, c’est que pour avoir ces images, c’est trĂšs compliquĂ© parce que, si vous voulez avoir en temps rĂ©el des images de la terre complĂštement Ă©clairĂ©e, il faut ĂȘtre sur l’axe terre-soleil, parce que c’est le seul axe oĂč la terre est complĂštement Ă©clairĂ©e. Si vous ĂȘtes trop prĂšs du soleil, la force du soleil vous attire. Si vous ĂȘtes trop prĂšs de la terre, la force de la terre vous attire. En fait, il n’y a qu’un point qui correspond entre les deux, le point de Lagrange L1 oĂč les deux forces s’annulent. Mais il est Ă  1,5 million kilomĂštres de la terre. La Nasa a relevĂ© le dĂ©fi et construit un satellite adĂ©quat. Cependant Al Gore ayant Ă©tĂ© dĂ©fait aux Ă©lections prĂ©sidentielles amĂ©ricaines en 2000, le projet fut interrompu par le nouveau pouvoir politique. Jean-Pierre Gout, alors chercheur mathĂ©maticien aux Etats-Unis, fut profondĂ©ment déçu, car il attendait de cette initiative un renouveau de la sensibilisation Ă  la conscience planĂ©taire. Mais il ne perdit pas confiance et continua Ă  suivre les Ă©vĂšnements. En 2013, il dĂ©couvre que l’administration Obama relance le projet sous une autre forme. C’est le projet « Discovr ». L’exĂ©cution est confiĂ©e Ă  la firme « Space X ». En juin 2015, le satellite atteint sa destination.  Et, en septembre 2015, un site web commence Ă  diffuser des photos de la terre au rythme de 10 Ă  20 photos par jour. Cependant cette performance n’est pas vraiment mise en valeur. « Personne n’a parlĂ© de ces photos. Personne ne les a utilisĂ©es. Aucun « overview effect » n’a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©. Un grand dĂ©sarroi m’a habitĂ©. Tout ça pour ça ! ».

 

Et puis, Ă  nouveau, Jean-Pierre Goux est inspirĂ©. Il prend contact avec un ami, le mĂȘme qui lui avait passĂ© le livre : « Clairs de Terre ». Cet ami accepte de travailler avec lui, via internet « On a passĂ© des nuits Ă  voir ce qu’on pouvait faire avec ces images , via internet. Un soir : eurĂȘka ! Si on disposait plusieurs images de la terre prises sous diffĂ©rents angles et qu’on les projetait sur une sphĂšre en les interpolant, on devrait pouvoir crĂ©er cette fameuse vidĂ©o Ă  laquelle j’aspirais. On y a travaillĂ© plusieurs nuits et, un soir, on a vu la terre tourner pour la premiĂšre fois devant nos yeux. On Ă©tait Ă©merveillé ! ».

Les deux chercheurs ont dĂ©cidĂ© de tester les rĂ©actions des gens. Ils ont mis la vidĂ©o sur internet et ils l’ont taggĂ©e : la  Nasa. « Quelques heures aprĂšs, on a reçu un mail de la Nasa qui nous fĂ©licitait en nous demandant comment on avait rĂ©alisĂ© cette vidĂ©o : Quand on a Ă©tĂ© en contact avec le responsable de la mission « Discovr », cela a Ă©tĂ© pour nous un des moments les plus forts de notre parcours  ».

Jean Pierre-Goux a rĂ©alisĂ© son rĂȘve et nous le communique. « Ce rĂȘve, c’est qu’on s’approprie tous ces images en partageant le sentiment d’un bien collectif qu’on doit protĂ©ger. On a crĂ©Ă© un projet : « Blueturn » (le tournant bleu) et sur le site : blueturn.earth (4), on peut trouver toutes ces images, toutes ces vidĂ©os. Avec ces images, on espĂšre gĂ©nĂ©rer un nouvel enthousiasme autour de cette planĂšte et surtout des projets artistiques, mĂ©ditatifs et Ă©ducatifs inĂ©dits. On espĂšre que ces projets pourront plonger chacun de nous dans un « overview effect » et nous amener au prochain niveau de conscience planĂ©taire. Quand les astronautes de la mission Apollo 17 ont pris la photo « Blue marble », ils ne savaient pas ce qui allait se passer. Nous non plus. Ces images sont les vĂŽtres. A vous de jouer ! ». Nous participons Ă  ce mouvement.

 

J H

 

(1)            « Convergences Ă©cologiques : Jean Bastaire, JĂŒrgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(2)            « Voir la terre comme vous ne l’avez jamais vue ». Talk de Jean-Pierre Goux au colloque : « Penser l’invisible » organisĂ© par Ted X Vaugirard Road. 13 juillet 2016                                https://www.youtube.com/watch?v=Boe8F09OvWI

(3)            Overview effect : Description sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Overview_effect  On pourra Ă©galement consulter des vidĂ©os exprimant l’expĂ©rience d’acteurs anglophones : https://www.youtube.com/watch?v=CHMIfOecrlo

(4)            Blueturn.earth : Blueturn : the whole earth experience : http://blueturn.earth

 


En route pour l’autonomie alimentaire

Une nouvelle maniĂšre de vivre en harmonie avec le vivant

« En route pour l’autonomie alimentaire » (1), tel est le titre d’un livre rĂ©cent de François Rouillay et de Sabine Becker. Prendre ce chemin,  c’est rĂ©pondre au dĂ©sĂ©quilibre d’une existence humaine oĂč le contact s’est rompu entre la terre nourriciĂšre et l’assiette de nos repas  et oĂč la continuitĂ© de notre alimentation est soumise Ă  la menace d’une rupture dans nos chaines d’approvisionnement Ă©clatĂ©es dans la distance gĂ©ographique et soumises aux alĂ©as de la spĂ©culation.

Cependant, ce livre nous dit bien plus. Car emprunter le chemin de l’autonomie alimentaire, c’est Ă©galement s’engager dans un nouveau genre de vie , une vie en phase avec la nature nourriciĂšre. Et tout ceci implique une nouvelle Ă©thique qui fonde une approche collaborative : « prendre soin de soi, de l’autre et de la terre ». (p 62)

Ainsi ce livre : « En route pour l’autonomie alimentaire » est ambitieux, mais il est aussi rĂ©aliste. Le sous-titre nous en informe : « Guide pratique Ă  l’usage des familles, villes et territoires » .  En effet, nous n’avançons pas dans l’inconnu. Le chemin est dĂ©jĂ  reconnu et balisĂ© par de nombreuses initiatives collaboratives. Et ceux qui sont dĂ©jĂ  impliquĂ©s dans ces initiatives oĂč la prĂ©sence du vivant engendre du bonheur  peuvent accĂ©der Ă  une joie que les auteurs mettent en lumiĂšre : « Lorsque nous sommes connectĂ©s par le partage, cette Ă©nergie, ce carburant, cette essence qui rĂ©sident en nous nous permet d’avancer, dÂ â€˜Ă©voluer, de faire tomber nos barriĂšres, nos zones d’ombre. La joie est une immense force qui nous conduit vers l’amour libĂ©rĂ© de nos peurs et autres pollutions psychiques, vers l’amour semblable Ă  celui de l’enfant
. » (p 195).

Ce livre nous permet d’entrer dans une recherche oĂč la vie se reconstruit diffĂ©remment : un volet participatif, un volet Ă©ducatif, un volet coopĂ©ratif  et un volet rĂ©gĂ©nĂ©ratif. A chaque fois, nous dĂ©couvrons de belles expĂ©riences dans une grande variĂ©tĂ© d’approches du « permis de vĂ©gĂ©taliser la ville en paysage nourricier », aux « poulaillers participatifs », aux « ateliers de cuisine » et aux « zones d’activitĂ© nourriciĂšre ». C’est une collaboration inventive.

Les auteurs : une approche pionniÚre

Auteur du livre avec Sabine Becker , François Rouillay a Ă©tĂ© un pionnier de cette approche au cours de la derniĂšre dĂ©cennie. Il raconte comment, Ă  un moment propice, oĂč, consultant en politiques publiques, il s’interrogeait Ă  leur sujet, il a dĂ©couvert une approche innovante qui dĂ©bute dans une petite ville anglaise. Effectivement, elle est nĂ©e Ă  Todmorden quand deux mĂšres de famille, subissant le dĂ©clin Ă©conomique et social du nord de l’Angleterre, ont dĂ©cidĂ© de rĂ©agir et de crĂ©er un mouvement pour planter lĂ©gumes et fruits dans la ville en vue d’offrir une nourriture Ă  partager . François Rouillay s’est engagĂ© pour dĂ©velopper cette expĂ©rience en France en suscitant un mouvement : « Les incroyables comestibles » . « Il s’agissait de fabriquer des bacs de nourriture Ă  partager sur un domaine privĂ© ouvert au public ou visible depuis la rue qui enverrait un signal trĂšs fort d’offrande de nourriture que l’on aurait  soi-mĂȘme mise en terre » (p 19). Pendant trois ans, François Rouillay a Ă©tĂ© l’animateur de ce mouvement , travaillant « dans la foi absolue que celui-ci aurait un effet transformateur dans les quartiers et dans les villes. Et ce fut le cas » (p 19). Le mouvement s’est alors rĂ©pandu Ă  vive allure. En trois ans, il s’est propagĂ© en France et Ă  l’international dans plus de 800 villes et 30 pays. A l’époque, nous avons rapportĂ© sur Vivre et espĂ©rer une interview de François Rouillay en pleine action :

https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/ Ce fut une vĂ©ritable Ă©popĂ©e. François Rouillay a ainsi « accompagnĂ© des centaines et  des centaines de groupes ». Malheureusement, cette activitĂ© s’est rĂ©vĂ©lĂ©e Ă©puisante et a portĂ© atteinte Ă  la vie privĂ©e de François.  En mars 2015, « il dĂ©cide de passer la main aprĂšs trois annĂ©es de bĂ©nĂ©volat ». Une nouvelle Ă©tape commence pour François Rouillay. Il rencontre Sabine Becker. La perspective s’élargit. En conjuguant la compĂ©tence de chacun, ils induisent le dĂ©veloppement d’un mouvement pour l’autonomie alimentaire.

Sabine Becker a exercĂ©, pendant trente-deux ans, la profession d’ingĂ©nieure urbaniste dans diffĂ©rentes collectivitĂ©s publiques. Au vu des obstacles rencontrĂ©s, elle  a pris conscience que son activitĂ© professionnelle « n’était pas juste » et « elle a cherchĂ© Ă  comprendre pourquoi ». « Une grande quĂȘte s’en est suivie qui m’a conduite Ă  Ă©tudier le fonctionnement de l’ĂȘtre humain dans les diffĂ©rentes dimensions qui le composent. Je me suis Ă©galement formĂ©e Ă  la connaissance des Ă©nergies dans le monde vivant des humains, mais aussi des rĂšgnes vĂ©gĂ©tal, animal et minĂ©ral » (p 23). « Ma vision est devenue holistique et mon regard est appliquĂ© au travail sur soi, au travail collectif et aux territoires » (p 24).

François Rouillay et Sabine Becker se sont ainsi rejoints, « lui dans le domaine de la participation citoyenne au service de l’autonomie alimentaire et donc de la restauration de la santĂ© des personnes, des sols et de la biodiversitĂ©, et, elle, dans le domaine holistique du fonctionnement humain en matiĂšre comportemental sur les plans Ă©motionnel et mental (p 24). Ensemble, Ă  la suite des expĂ©riences passĂ©es, ils ont dĂ©gagĂ© une vision du retour Ă  l’autonomie alimentaire et Ă©laborĂ© des stratĂ©gies pour  sa mise en Ɠuvre. « Il s’agissait pour nous de diffuser la connaissance Ă  partir de mĂ©thodes pĂ©dagogiques accessibles au plus grand nombre, d’expĂ©rimenter des techniques de fabrication de sol nourricier en milieu urbain et pĂ©riurbain  et d’animer des rĂ©seaux de personnes volontaires  engagĂ©es dans l’agriculture urbaine et la transition alimentaire sur les territoires » (p 24).

C’est dans ce but que François Rouillay et Sabine Becker ont crĂ©Ă© « L’UniversitĂ© francophone de l’autonomie alimentaire » et le site francophone qui en est l’expression : http://www.autonomiealimentaire.info

Et c’est ainsi qu’ils en sont venus Ă  publier ce livre : « En route vers l’autonomie alimentaire ». Cet ouvrage prĂ©sente la feuille  de route de 21 actions rĂ©sultant de nombreuses expĂ©riences et rĂ©flexions et permettant le retour Ă  l’autonomie alimentaire de maniĂšre individuelle et collective.

 

Pour des paysages nourriciers

DĂ©velopper l’autonomie alimentaire, c’est non seulement faire face Ă  des dĂ©sĂ©quilibres insĂ©curisant, c’est Ă©tablir une relation bienfaisante avec la nature pourvoyeuse de nourriture . Comment envisager cette autonomie ? C’est « la capacitĂ© d’un territoire urbain Ă  produire une nourriture saine permettant de rĂ©pondre aux besoins quotidiens primordiaux des habitants 
. Il s’agit d’obtenir, Ă  travers une production locale constituĂ©e de  fruits, de lĂ©gumes, de lĂ©gumineuses, de noix, de diverses cĂ©rĂ©ales, d’Ɠufs et de viandes, si nous sommes loin de la mer, de poissons  d’élevage en eau douce,  ainsi que de produits laitiers et d’huiles vĂ©gĂ©tales ; le tout Ă©tant rĂ©coltĂ©, voire transformĂ© sur ce territoire, ou situĂ© dans une proche pĂ©riphĂ©rie (moins d’une heure de trajet), Ă©levĂ© et cultivĂ© selon des mĂ©thodes respectueuse de la santĂ© et de l’environnement » (p 37).

Or, une telle politique requiert un nouvel amĂ©nagement de l’espace. Et cet amĂ©nagement dĂ©pend lui-mĂȘme de notre niveau de conscience. Les auteurs mettent en Ă©vidence les dĂ©viations qui sont intervenues au cours  des derniĂšres dĂ©cennies. «  Comment se fait-il qu’au cours des cinquante derniĂšres annĂ©es nous soyons passĂ©s des espaces nourriciers aux espaces verts d’ornement ? » . Et, par ailleurs, « les entrĂ©es de nos villes forment des espaces pĂ©riurbains vouĂ©s invariablement aux zones commerciales avec leurs parkings et leurs ronds points » (p 47). En regard, le dĂ©veloppement de l’autonomie alimentaire requiert une conscience collective. « Et l’un des moyens pour y contribuer est tout simplement de rendre les paysages nourriciers
.. ». « A plus grande Ă©chelle que celle des bacs de nourriture, cela permettrait de mettre en Ă©vidence le lien entre le sol et l’assiette et nous en redonnerait le goĂ»t » (p 68). Tout au long de ce livre, nous voyons comment des paysages nourriciers peuvent apparaĂźtre et se dĂ©velopper. Et, par exemple, une des premiĂšres actions recommandĂ©es, c’est d’obtenir l’autorisation de planter lĂ©gumes et fruitiers dans la ville auprĂšs des collectivitĂ©s publiques. C’est « le permis de vĂ©gĂ©taliser la ville en  espace nourricier » (p 17). « Le  permis de vĂ©gĂ©taliser est une pratique rĂ©cente que le mouvement international : « Incredible edible » (Incroyables comestibles ) a grandement contribuĂ© Ă  gĂ©nĂ©raliser. Il exprime avant tout une volontĂ© politique d’ouvrir l’espace public Ă  la participation citoyenne pour l’agriculture urbaine. Pour des questions de sĂ©curitĂ© et de responsabilitĂ©, il a progressivement Ă©tĂ© accompagnĂ© de protocoles (conventions simplifiĂ©es entre des citoyens dĂ©sireux de jardiner la ville et les services techniques de la collectivitĂ©) et d’une procĂ©dure administrative (p 67) . En France, de nombreuses villes ont maintenant officialisĂ© leur permis de vĂ©gĂ©taliser .

 

Une dynamique associative

Ce livre nous indique un chemin : en route vers l’autonomie alimentaire. Mais le mouvement en ce sens est dĂ©jà  bien engagĂ©. Et il manifeste une dynamique associative. Celle-ci s’est dĂ©jĂ  rĂ©vĂ©lĂ©e dans la rapide expansion du mouvement des « Incroyables comestibles » qui a gagnĂ© ville aprĂšs ville. La mĂȘme force anime les nombreuses et diverses initiatives qui apparaissent dans ce livre. C’est le commun dĂ©nominateur des volets « participatif, Ă©ducatif, coopĂ©ratif, rĂ©gĂ©nĂ©ratif » de la feuille de route  (p 6-7). Et ainsi les maĂźtres-mots sont bien : collaboration, coopĂ©ration, participation, partage. Ainsi parle-t-on de « vergers et de jardins partagĂ©s », de « pĂ©piniĂšres citoyennes participatives » et mĂȘme de « poulaillers participatifs ». Ainsi cette collaboration s’exerce en divers domaines et Ă  des Ă©chelles diffĂ©rentes. François Rouillay nous rapporte le fonctionnement d’un poulailler participatif  au QuĂ©bec. « Sept familles s’y impliquent en intervenant Ă  tour de rĂŽle pendant une semaine pour prĂ©parer la moulĂ©e, donner Ă  manger, nettoyer et « cueillir » les Ɠufs. Le service revient toutes les sept semaines » ( p 110).

Tout ce mouvement, si divers dans ses expressions, s’inscrit dans « une vision commune partagĂ©e » : «  Nous ne sommes absolument pas dans une dĂ©marche autarcique d’individualitĂ©s en repli
 La logique cosmique des choses nous indique que nous sommes interdĂ©pendants les uns des autres 
. Nous avons besoin les uns des autres pour rendre possible l’expression d’une intelligence collective autour d’une vision commune partagĂ©e » (p 193).

Ce livre tĂ©moigne d’une vision. Elle s’exprime notamment dans l’épilogue : « Voir les choses dans leur ensemble ; les fondements : eau, sol, semences, arbres ; l’homme est le gardien des Ă©quilibres ; l’univers est un lieu de crĂ©ation et d’abondance » (p 197-199). Ce sont des pensĂ©es directrices qui orientent notre marche vers une sociĂ©tĂ© nouvelle, un nouveau genre de vie, une Ă©thique.

En mĂȘme temps, Ă  travers ce livre, on reconnaĂźt le levain dans la pĂąte d’aujourd’hui comme l’écrit le prĂ©facier, Fabien Tournan : «  Le fil conducteur de ce guide porte sur l’émersion de ce qui existe dĂ©jĂ , qui est lĂ  partout dans le monde, expĂ©rimentĂ©, enseignĂ©, mais masquĂ© par le vacarme du modĂšle marchand qui domine
. Il nous conduit Ă  nous reconnecter Ă  la terre, Ă  celle qui nous nourrit, que nous devons prĂ©server, entretenir, celle dont nous devons prendre soin. C’est un livre qui nous invite ainsi Ă  rencontrer la paix » (p 10) . Avec François Rouillay et Sabine Becker, entrons dans ce beau voyage.

(1) François Rouillay et Sabine Becker . En route pour l’autonomie alimentaire. Guide pratique à l’usage des familles, villes et territoires  Terre vivante, 2020

Aujourd’hui, le 12 juin 2020, François Rouillay fait le point dans une vidĂ©o : « Autonomie alimentaire. Comment s’impliquer ? » :

https://www.youtube.com/watch?v=nE9kU0d93YA&feature=youtu.be&fbclid=IwAR1Xx0IHD6Tu9QKn-RltCDF1F_XGdutACjK2qKiTE0jMPp3BUaKQu78NTTI

J H

 

Voir aussi :

« Vers une économie symbiotique » : https://vivreetesperer.com/vers-une-economie-symbiotique/

 

 

Changer de regard

 

Nos comportements, nos actions dĂ©pendent de nos reprĂ©sentations, de notre maniĂšre de voir. Et de mĂȘme, nos engagements dĂ©pendent de notre capacitĂ© d’avoir confiance et d’espĂ©rer, de voir le positif (1). Ainsi,  ce que nous vivons et ce que nous faisons dĂ©pendent pour une bonne part de notre regard. A cet Ă©gard, dans cette vidĂ©o du CCFD-Terre Solidaire pour une collecte de dons Ă  l’occasion de NoĂ«l (2), la courte mĂ©ditation de Guy Aurenche : « Changer de regard » nous paraĂźt particuliĂšrement propice Ă  la rĂ©flexion sur l’importance de notre maniĂšre de voir.

 

« L’humanitĂ© toute entiĂšre s’est-elle Ă©chouĂ©e sur une plage de Turquie ?

Dans l’information qui nous arrive, difficile de voir des lueurs d’espoir.

Cette information nous enferme dans la fatalité et nous aveugle.

 

Pourtant, changer de regard, c’est dĂ©jĂ  changer le monde.

Voir que la misùre et la faim ont des causes structurelles et qu’on peut donc les combattre

Voir pour rendre la dignité à ceux et à celles qui se battent et qui ne sont pas que des  victimes

Voir pour soutenir ceux et celles qui inventent leur moyen de vivre : une coopérative, une banque de semences, des formations pour les jeunes

 

Voir qu’un autre monde est possible, qu’il existe dĂ©jà


Un monde oĂč nous sommes tous humains contre la faim.

 

La parole de Guy Aurenche nous appelle Ă  dĂ©placer notre attention, Ă  passer d’une focalisation sur les catastrophes et de l’accablement correspondant, à  une entrĂ©e dans un mouvement de solidaritĂ© et de libĂ©ration

 

Ici, changer de regard, c’est entrer dans une vision nouvelle.  Cette vision n’est pas seulement mobilisatrice, elle est crĂ©atrice. Un nouveau monde apparaĂźt.  « Changer de regard, c’est dĂ©jĂ  changer le monde
 Voir qu’un autre monde est possible, qu’il existe dĂ©jà  »

 

Capture

 

J H

 

(1)            Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Agir et espĂ©rer. EspĂ©rer et agir ». L’espĂ©rance comme motivation et accompagnement de l’action : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=900

(2)            Une vidéo du CCFD-Terre solidaire : « Noël contre la faim » : http://noelcontrelafaim.org/changerderegard/?url=player&utm_medium=EMAIL&utm_source=CCFD&utm_campaign=avent&utm_term=noel

Guy Aurenche est président du CCFD-Terre solidaire. Sur ce blog, une contribution de Guy Aurenche : « Briser la solitude » : https://vivreetesperer.com/?p=716               Voir aussi sur le site de Témoins : « la fraternité sauvera le monde » : http://www.temoins.com/societe/culture-et-societe/societe/la-fraternite-sauvera-le-monde.html