Quel regard sur la société et sur le monde?

Un changement de perspective.

 

Il y a un va-et-vient entre la rĂ©alitĂ© sociale et les reprĂ©sentations que nous nous en faisons. Selon l’orientation de notre pensĂ©e, nous nous attachons plus particuliĂšrement Ă  tel ou tel aspect de cette rĂ©alitĂ©. Les angles de vue varient. Nos reprĂ©sentations Ă  leur tour influent sur la situation. De la mĂȘme façon que notre regard sur nous mĂȘme oriente notre comportement, la maniĂšre dont nous percevons le monde et l’humanitĂ© exerce une grande influence sur nos attitudes et nos modes d’action dans la sociĂ©tĂ© et la culture.

Economiquement, socialement, politiquement, nous nous sentons confrontĂ©s aujourd’hui Ă  de nombreuses menaces, mais face aux dĂ©fis auquel actuellement fait face l’humanitĂ©, on observe  dans la durĂ©e une multiplication des initiatives. Et parallĂšlement une conscience collective apparaĂźt.

Ainsi, en fĂ©vrier 2011, le magazine : Sciences Humaines, a consacrĂ© un dossier au : « Retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide  » (1).

Que se passe-t-il ? Dans la crise Ă©conomique et financiĂšre actuelle, il y a des mouvements d’indignation,  mais Ă  plus long terme, en regard des flĂ©aux sociaux, qu’ils soient installĂ©s de longue date ou prenant une forme rĂ©cente, il y a Ă©galement de plus en plus de gens engagĂ©s dans des actions d’entraide et de solidaritĂ©. « Sur une planĂšte mondialisĂ©e, l’altruisme s’étend Ă  tous les malheureux de la terre en bas de notre immeuble ou Ă  des milliers de kilomĂštres ». Et, parallĂšlement, les chercheurs, les philosophes transcrivent dans le domaine de la pensĂ©e cette attention pour ceux qui souffrent en mettant  en Ă©vidence les mouvements qui cherchent Ă  porter remĂšde au mal social, mais aussi en fondant cette action en terme de valeurs. Quelles sont les exigences qui viennent Ă  la conscience ? Quelles sont les motivations qui orientent les comportements ? On connaĂźt par exemple le courant de pratique et de recherche qui s’est dĂ©veloppĂ© en France autour du « Care », mouvement et notion d’origine anglophone qui met en valeur le fait de prendre soin d’autrui.

La coordinatrice du dossier paru dans Sciences Humaines, Martine Fournier, nous prĂ©sente cette Ă©volution comme un rejet de « l’idĂ©ologie de « l’homo oeconomicus » Ă  la recherche de son intĂ©rĂȘt Ă©goĂŻste, des vertus de la sociĂ©tĂ© libĂ©rale et de la compĂ©tition ». « Ce que montrent les travaux rĂ©cents, qu’ils viennent des sociologues, ou des psychologues, des tenants du culturalisme ou de la psychologie Ă©volutionniste, c’est que les Ă©motions ont une grande part dans les conduites humaines. La multiplicitĂ© des formes de solidaritĂ© apparaĂźt comme une preuve que « l’homo oeconomicus » ne saurait suffire Ă  dĂ©finir l’ĂȘtre humain dans sa totalité ». Une nouvelle forme de lien social est en train de se tisser. La participation Ă  une communautĂ© humanitaire contribue Ă©galement Ă  fortifier l’estime de soi. Mais, s’il en est ainsi, Ă  notre sens, c’est bien parce qu’il y a un changement profond dans les aspirations profondes de l’homme.

Cette Ă©volution nous interpelle d’autant plus qu’elle s’étend dans un regard qui, au delĂ  de l’humain, se tourne Ă©galement vers la nature. Ainsi, Ă©crit Martine Fournier, « L’empathie et la solidaritĂ© seraient-elles devenues un paradigme dominant qui traverse les reprĂ©sentations collectives ? De l’individualisme et du libĂ©ralisme triomphant passerait-on Ă  une vision portant sur l’attention aux autres. Ce basculement s’observe effectivement aussi bien dans le domaine des sciences humaines et sociales qu’à celles de la nature (p 34). En  fait, dans ce domaine comme dans tout autre, tout dĂ©pend de notre regard. Pour une part, les dĂ©couvertes dĂ©pendent des questions posĂ©es. Ainsi, « alors que la thĂ©orie de l’évolution Ă©tait massivement ancrĂ©e dans un paradigme darwinien « individualiste » centrĂ© sur la notion de compĂ©tition et de gĂšne Ă©goĂŻste, depuis quelques annĂ©es, un nouveau visage de la nature s’impose. La prise en compte des phĂ©nomĂšnes de mutualisme, symbiose et coĂ©volution entre organismes tendent Ă  montrer que l’entraide et la coopĂ©ration seraient des conditions favorables de survie et d’évolution des espĂšces vivantes, Ă  toutes les Ă©tapes de la vie » (p 34).

Si nous vivons aujourd’hui dans la menace d’une crise Ă©conomique et financiĂšre de grande ampleur et s’il faut chercher des voies pour y faire face, nous devons Ă©galement considĂ©rer le changement culturel Ă  plus long terme. A notre sens, la transformation en cours de la vision de l’homme, de l’humanitĂ©, de la nature, s’inscrit dans l’émergence d’une conscience spirituelle qui nous paraĂźt Ă  la fois un signe des temps et un appel Ă  une avancĂ©e de la pensĂ©e thĂ©ologique, notamment dans une prise en compte de l’Ɠuvre de l’Esprit (2).

Comment participons-nous à ce nouveau regard ?

JH

(1)         Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier, p. 32-51, in : Sciences Humaines, N° 223, février 2011.  AprÚs une mise en perspective de Martine Fournier, ce dossier présente des articles portant sur diverses facettes de la question et une bibliographie des livres récents. www.scienceshumaines.com

(2)         Voir le site : www.lespritquidonnelavie.com

 

La danse divine (The divine dance) par Richard Rohr

 Une vision relationnelle de Dieu en réponse aux aspirations de notre temps

61deO2iFrxL._SX332_BO1,204,203,200_Les interrogations vis-Ă -vis de Dieu, tel qu’il est prĂ©sentĂ© dans la sociĂ©tĂ© occidentale en hĂ©ritage de la chrĂ©tientĂ© tournent souvent en dĂ©saffection. Mais dans cette reprĂ©sentation de Dieu, s’exprime l’écart entre une religion impĂ©riale et le premier accueil de l’Evangile. Face Ă  cet Ă©cart, le livre de Richard Rohr, rĂ©cemment paru aux Etats-Unis : « The divine dance » (1) apporte plus qu’une analyse : une proposition qui apparait comme une rĂ©ponse vitale : une redĂ©couverte du plein effet de la vie divine en terme de communion trinitaire. Cet ouvrage est Ă©crit par Richard Rohr, un prĂȘtre franciscain amĂ©ricain, animateur d’un Centre pour l’action et la contemplation (Center of action and contemplation), et, comme les commentaires sur son livre l’indiquent, en phase avec un rĂ©seau de personnalitĂ©s chrĂ©tienne engagĂ©es dans le renouveau et l’innovation.

Ainsi, un des pionniers de l’Eglise Ă©mergente aux Etats-Unis, Brian McLaren, Ă©crit Ă  ce sujet : « Dans « La Danse divine », Richard Rohr et Mike Morrel explorent la vision trinitaire comme un chemin qui nous permet de dĂ©passer une vision de Dieu qui pose problĂšme. Ce livre magnifiquement Ă©crit peut faire plus que changer des reprĂ©sentations perturbantes. Il peut changer entiĂšrement notre maniĂšre de penser au sujet de Dieu ». Une Ă©crivaine, Kristen Howerton, met en Ă©vidence l’originalitĂ© de cet ouvrage : « la Danse divine » est, pour notre gĂ©nĂ©ration, une redĂ©couverte radicale de la TrinitĂ© en nous offrant une comprĂ©hension Ă©tendue du flux divin du Dieu trinitaire, et comment cela nous apporte un cadre de comprĂ©hension gĂ©nĂ©rale pour nos relations, notre sexualitĂ©, notre estime de soi et notre spiritualitĂ©. C’est une lecture Ă©clairante pour tous les chrĂ©tiens qui ont luttĂ© pour comprendre la TrinitĂ© par delĂ  une doctrine impersonnelle  ».

Il y a des livres qui rĂ©pondent Ă  nos attentes et leur donnent un sens. Ainsi, Antoine Nouis, dans son livre : « Nos racines juives » (2) raconte comment il a retenu la rĂ©flexion d’un ami : « Vous savez, on ne choisit pas une thĂ©ologie ; on est choisi par une thĂ©ologie. Quand j’ai choisi Bultmann, je n’ai pas Ă©tĂ© convaincu par la vigueur des arguments, mais j’ai trouvĂ© en lui un auteur qui m’aidait Ă  penser ce que je croyais, qui mettait des mots sur ce que je savais vrai sans toujours savoir le formuler ». Ainsi, il nous arrive de trouver rĂ©ponse Ă  un ensemble de questionnements chez un auteur qui fait Ă©cho Ă  notre recherche et Ă  nos attentes. Ce fut le cas, en ce qui me concerne, lorsque j’ai rencontrĂ© JĂŒrgen Moltmann (3). Et le livre de Richard Rohr Ă©veille un Ă©cho en nous. Lui-mĂȘme raconte comment, Ă  l’occasion d’une retraite, il a dĂ©couvert  « un livre hautement acadĂ©mique » sur la TrinitĂ©. Mais cette lecture a suscitĂ© un dĂ©clic. « Comme je lisais, en saisissant seulement quelques bribes de comprĂ©hension, je ne cessais  de me dire : « oui ! oui ! », aux mots et aux idĂ©es nouvelles. Je sentais la prĂ©sence d’une grande tradition rencontrant la dynamique intĂ©rieure qui avait grandi en moi pendant trente-cinq ans
 La TrinitĂ© n’était plus une croyance, mais une maniĂšre objective de dĂ©crire ma profonde expĂ©rience intĂ©rieure de la transcendance, ce que j’appelle ici « le flux » (« flow » (p 40-41). Ainsi, le souhait de Richard Rohr est que, si possible, ce livre ne soit pas seulement un apport de connaissances. « Ma priĂšre et mon dĂ©sir est que quelque chose que vous rencontrerez dans ces pages, rĂ©sonne avec votre propre expĂ©rience de maniĂšre Ă  ce que vous pouviez dire : « Je sens. Je sais que cela est vrai pour moi ».

Ecrit dans un style direct, découpé en courts chapitres (prÚs de 70 !), ce livre nous entraine dans une découverte intellectuelle et existentielle. Cet ouvrage est trop riche pour donner lieu à un compte-rendu. Aussi rapporterons- nous simplement quelques chapitres significatifs.

 

Un changement de paradigme spirituel

En reprenant le terme : « paradigme » Ă©noncĂ© par Thomas Kuhn en histoire des sciences, Richard Rohr nous parle d’une profonde transformation en cours dans notre vision du monde.

« Au risque de paraĂźtre exprimer une grosse exagĂ©ration, je pense que l’image chrĂ©tienne la plus courante de Dieu, en dĂ©pit de JĂ©sus, est encore largement paĂŻenne et non transformĂ©e. L’histoire a si longtemps procĂ©dĂ© Ă  travers une image impĂ©riale et statique de Dieu qui vit principalement dans un splendide isolement par rapport Ă  ce qu’il a crĂ©Ă©. Dieu est largement perçu comme un spectateur critique. Et comme nous devenons toujours ce que nous voyons, nous avons dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin d’un changement dans notre espĂ©rance chrĂ©tienne concernant la maniĂšre dont nous communiquons avec Dieu  » (p 35-36).

« De fait, la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne, dans son intĂ©gralitĂ©, ne s’est traduite que trĂšs lentement dans les mentalitĂ©s. Mais, aujourd’hui, le contexte est plus favorable. « La rĂ©volution trinitaire, en cours, rĂ©vĂšle Dieu comme toujours avec nous dans toute notre vie, et comme toujours impliquĂ©. Elle redit la grĂące comme inhĂ©rente Ă  la crĂ©ation, et non comme un additif occasionnel que quelques personnes mĂ©ritent
 Cette rĂ©volution a toujours Ă©tĂ© active comme le levain dans la pĂąte. Mais aujourd’hui, on comprend mieux la thĂ©ologie de Paul et celle des PĂšres orientaux Ă  l’encontre des images punitives plus tardives de Dieu qui ont dominĂ© l’Eglise occidentale ».

« Dieu est celui que nous avons nommĂ© TrinitĂ©, le « flux » (flow) qui passe Ă  travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le dĂ©but. Ainsi, toute chose est sainte pour ceux qui ont appris Ă  le voir ainsi
 Toute impulsion vitale, toute force orientĂ©e vers le futur, toute poussĂ©e d’amour, tout Ă©lan vers la beautĂ©, tout ce qui tend vers la vĂ©ritĂ©, tout Ă©merveillement devant une expression de bontĂ©, tout bond d’élan vital, comme diraient les français, tout bout d’ambition pour l’humanitĂ© et la terre, est Ă©ternellement un flux de vie du Dieu trinitaire ». « Que nous le voulions ou pas
 Ce n’est pas une invitation que vous puissiez accepter ou refuser. C’est une description de ce qui est en train de se produire en Dieu et dans toute chose crĂ©Ă©e Ă  l’image et Ă  la ressemblance de Dieu » (p 37-38). «  C’est une invitation Ă  ĂȘtre paisiblement joyeux et coopĂ©ratif avec la gĂ©nĂ©rositĂ© divine qui connecte tout Ă  tout. Oui, Dieu sauve le monde et Dieu est Ă  l’Ɠuvre mĂȘme quand nous manquons de le noter, de nous en rĂ©jouir et de vivre pleinement notre vie unique » (p 38-39).

Richard Rohr nous rappelle des paroles dans les épitres :

« Il y a un seul Christ. Il est tout et il est en toute chose »

« Quand Christ sera pleinement révélé, et il est votre vie, vous aussi serez révélés avec Lui dans toute votre gloire »

Dans notre sociĂ©tĂ©, il y a un grand malaise qui tient Ă  une frĂ©quente dĂ©connection : « DĂ©connection de Dieu, assurĂ©ment, mais aussi de nous-mĂȘme (notre corps), des uns des autres et de notre monde
 Il en rĂ©sulte un comportement de plus en plus destructeur.

Le don de Dieu trinitaire et l’expĂ©rience pratique, ressentie, de recevoir ce don, nous offre une reconnection bien fondĂ©e avec Dieu, nous-mĂȘmes, les autres et le monde » (p 39).

 

L’importance majeure de la relation

L’influence de la pensĂ©e grecque sur notre propre civilisation a Ă©tĂ© considĂ©rable. Platon et Aristote exercent encore une grande influence sur nos reprĂ©sentations. Or, Aristote, en considĂ©rant les propriĂ©tĂ©s des choses, distinguait la « substance » et la « relation ». « Ce qui dĂ©finissait la substance Ă©tait ce qui induit la substance par rapport Ă  tout le reste. Ainsi, un « arbre » est une substance tandis que « pĂšre » est une relation. Et Aristote mettait « la substance » tout en haut de l’échelle ». Ainsi la thĂ©ologie occidentale a Ă©tĂ© influencĂ©e par la philosophie grecque. Alors Dieu a Ă©tĂ© dĂ©fini en terme de substance ce qui entre en conflit avec la reprĂ©sentation relationnelle d’un Dieu trinitaire. Et cette conception a Ă©galement influencĂ© les comportements occidentaux. « Maintenant, nous voyons bien que Dieu n’est pas, n’a pas besoin d’ĂȘtre « une substance » dans le sens d’Aristote de quelque chose d’indĂ©pendant de tout le reste. En fait, Dieu est lui-mĂȘme relation. Et, dans vie des hommes, l’ouverture Ă  la relation induit une vie saine.

Ainsi « nous pouvons dire que Dieu est essentiellement relation. J’appellerai « salut », la disposition, la capacitĂ© et le vouloir d’ĂȘtre en relation » (p 46). « La voie de JĂ©sus, c’est une invitation Ă  un mode trinitaire de vie, d’amour et de relation  sur la terre comme c’est le cas dans la divinitĂ©. Comme la TrinitĂ©,  nous vivons intrinsĂšquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons trĂšs rapidement. Et notre lignage spirituel nous dit que Dieu est personnel. « Dieu est amour » (p 47).

 

Percevoir l’image trinitaire

« Ceux d’entre nous qui ont grandi avec la notion prĂ©trinitaire de Dieu ont vu probablement la rĂ©alitĂ©, consciemment ou inconsciemment, comme un univers en forme de pyramide avec Dieu au sommet du triangle et tout le reste en dessous
 Mais si nous nous situons dans une perspective trinitaire, la figure reprĂ©sentative la plus appropriĂ©e est un cercle et mĂȘme une spirale et non une pyramide. Laissons la dance du cercle inspirer notre imagination chrĂ©tienne  » (p 66-67). Nous ne sommes pas en dessous. Nous ne sommes pas exclus. Nous participons. « Nous ne sommes pas des outsiders ou des spectateurs, mais une part inhĂ©rente de la danse divine » (p 67). Le Dieu trinitaire partage sa vie avec nous. Dieu nous a inclus dans le flux divin.

Le mystĂšre trinitaire peut Ă©galement ĂȘtre perçu dans tout ce qui existe. Il peut ĂȘtre entrevu dans le code de la crĂ©ation. « Ce qu’à la fois les physiciens et les contemplatifs affirment, c’est que le fondement de la rĂ©alitĂ© est relationnel. Chaque chose est en relation avec une autre » (p 69). « Commencez par le mystĂšre de la relation. C’est lĂ  oĂč rĂ©side la puissance. C’est ce que les physiciens de l’atome et les astrophysiciens nous disent aujourd’hui » (p 70).

 

L’énergie divine

« Le Saint Esprit est la relation d’amour entre le PĂšre et le Fils. C’est cette mĂȘme relation qui nous est gratuitement donnĂ©e


Et cette mĂȘme relation se manifeste dans une multitude de formes (p 186). « Tout ce qui conforte la relation est toujours l’Ɠuvre de l’Esprit qui rĂ©chauffe, adoucit, rĂ©pare et renouvelle tout ce qui est refroidi entre les chose et Ă  l’intĂ©rieur  ». Au sein de la crĂ©ation, le Saint Esprit a deux grandes tĂąches. Il multiplie les formes de vie. Beaucoup d’espĂšces animales et vĂ©gĂ©tales Ă©chappent Ă  la prĂ©sence humaine. « Elles forment le cercle universel de la louange simplement en existant
 Si vous dĂ©sirez ĂȘtre contemplatif, c’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Chaque chose en Ă©tant elle-mĂȘme rend gloire Ă  Dieu » (p 187). La deuxiĂšme tĂąche du Saint Esprit est de connecter toutes ces choses. Dans cette vie multiforme, « le Saint Esprit entretient l’harmonie et une mutuelle dĂ©fĂ©rence » (p 188).

 

Maintenant tout est saint

« Une fois que vous avez appris Ă  prendre votre place Ă  l’intĂ©rieur du cercle de la louange et de la dĂ©fĂ©rence mutuelle, toute distinction entre sĂ©culier et sacrĂ©, naturel et surnaturel s’efface. Dans l’économie divine, tout est utilisable, mĂȘme nos fautes et nos pĂ©chĂ©s. Ce message nous est adressĂ© de la croix et nous ne l’avons pas encore entendu. Tout est saint maintenant. Et la seule rĂ©sistance Ă  ce flux divin de saintetĂ© et de plĂ©nitude est le refus humain de voir, de se rĂ©jouir et de participer » (p 189-190).

« Sans le libre flux du Saint Esprit, la religion devient un systÚme de tri tribal, passant beaucoup de temps à définir qui est dedans, qui est dehors, qui a raison, qui a tort. Et, surprise, nous sommes toujours du cÎté de celui qui a raison » (p 192).

Richard Rohr met en Ă©vidence la rĂ©alitĂ© et la permanence de l’amour. « L’amour est juste comme la priĂšre. Ce n’est pas tant une action que nous faisons qu’une rĂ©alitĂ© que nous sommes dĂ©jĂ . Nous ne dĂ©cidons pas d’ĂȘtre aimant. Le PĂšre ne dĂ©cide pas d’aimer le Fils. Sa paternitĂ© est un flux du PĂšre au Fils. Le Fils ne choisit pas de laisser passer son amour vers le PĂšre ou l’Esprit. L’amour est son mode d’ĂȘtre
 L’amour en vous dit toujours oui. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez acheter ou gagner. C’est la prĂ©sence de Dieu en vous appelĂ© le Saint Esprit
 Vous ne pouvez pas diminuer l’amour que Dieu vous porte. Le flux est constant, total. Dieu est pour vous  » (p 193). Une pensĂ©e de la thĂ©ologienne Catherine La Cugna rĂ©sume tout : « La nature mĂȘme de Dieu est de trouver la plus profonde communion et amitiĂ© possible avec chaque crĂ©ature sur cette terre ». C’est la description de l’Ɠuvre de Dieu.

La seule chose qui puisse vous tenir Ă  l’écart de la danse divine, c’est la peur ou le doute ou quelque haine de soi. Qu’est-ce qui arriverait dans votre vie, juste maintenant, si vous acceptiez ce que Dieu a créé ? VoilĂ  ce que vous ressentiriez soudain :

C’est un univers trĂšs sĂ»r

Vous n’avez rien à craindre

Dieu est pour vous

Dieu bondit de joie vers vous

Dieu est Ă  votre cĂŽtĂ©, honnĂȘtement davantage que vous ĂȘtes Ă  ses cĂŽtĂ©s » (p 193-194)

 

Pourquoi redĂ©couvrir aujourd’hui la vie trinitaire ?

Pourquoi une redĂ©couverte et un Ă©panouissement de la thĂ©ologie trinitaire aujourd’hui dans le monde? Si le livre de Richard Rohr Ă©veille en nous un Ă©cho, c’est parce qu’il rĂ©pond Ă  nos aspirations et Ă  nos questionnements dans le contexte culturel qui est le notre aujourd’hui. Comment perçoit-il lui-mĂȘme l’actualitĂ© de sa vision ?

1 L’humilitĂ© de la transcendance

« Le processus actuel de l’individualisation dĂ©bouche sur un sens trĂšs raffinĂ© de l’intĂ©rioritĂ©, de l’expĂ©rience intĂ©rieure, du travail psychologique et de l’interface avec ce qu’une religion authentique dit rĂ©ellement
 L’approche trinitaire offre une phĂ©nomĂ©nologie beaucoup plus profonde de notre expĂ©rience intĂ©rieure de la transcendance  ».

2 Un langage théologique élargi

« La globalisation de la connaissance, une interface accrue avec d’autres religions mondiales (en particulier l’autre hĂ©misphĂšre du cerveau reprĂ©sentĂ© Ă  la fois par le christianisme oriental et les religions de l’Orient), un interface nouveau avec la science, tout cela demande que nous Ă©largissions notre vocabulaire thĂ©ologique ».

3 Une connaissance plus Ă©tendue de JĂ©sus et du Christ

« En extrayant JĂ©sus de la TrinitĂ© et en essayant de comprendre JĂ©sus en dehors du Christ, nous avons crĂ©Ă© une christologie trĂšs terrestre et basĂ©e sur l’expiation (atonement). Nous avons essayĂ© d’aimer JĂ©sus sans aimer (et mĂȘme connaĂźtre le Christ et cela a crĂ©Ă© une forme de religion malheureusement tribale et compĂ©titive au lieu de celle de Paul : « Il y a un seul Christ. Il est tout et il est en tout ». Le Christ est une formulation cosmique et mĂ©taphysique. JĂ©sus est une formulation personnelle et historique. Beaucoup de chrĂ©tiens ont la seconde formulation, mais sans la premiĂšre, ce qui rend JĂ©sus et le christianisme bien trop petit » (p 121-122).

 

Un livre majeur pour une voie nouvelle

Ce livre regorge de points de vue Ă©tayĂ©s par des connaissances et nourris par l’expĂ©rience. Certains de ces points de vue retentissent en nous et ouvrent un nouveau regard. Nos reprĂ©sentations se modifient.

Nous apprenons Ă  mieux reconnaĂźtre la gĂ©nĂ©rositĂ© divine et sa prĂ©sence bienfaisante. Dans sa rĂ©alitĂ© trinitaire, l’amour de Dieu se rĂ©vĂšle.

Nous retrouvons dans ce livre de grands thĂšmes de l’Ɠuvre de JĂŒrgen Moltmann  (3) qui, trĂšs tĂŽt, en 1980, a publiĂ© un livre sur « La TrinitĂ© et le Royaume de Dieu » « en dĂ©veloppant, dans un dĂ©bat critique avec les tendances monothĂ©istes de la thĂ©ologie occidentale, une doctrine « pĂ©richorĂ©tique » de la TrinitĂ© qui souligne l’ĂȘtre-un des personnes divines, leur interpĂ©nĂ©tration et leur inhabitation mutuelle
 Lorsque, dans la maniĂšre de comprendre Dieu, le concept de communautĂ©-communion, de « mutuality » et de pĂ©richorĂšse vient au premier plan et reprend, relativise et limite le concept de la Seigneurie unilatĂ©rale, alors se modifie Ă©galement la façon de comprendre les relations que le hommes sont appelĂ©s Ă  vivre les uns avec les autres ainsi que leur rapport Ă  la nature ». Et, ensuite, dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (premiĂšre Ă©dition en allemand : 1985), JĂŒrgen Moltmann a poursuivi sa rĂ©flexion : « Au concept trinitaire de la pĂ©richorĂšse mutuelle, correspond une doctrine Ă©cologique de la crĂ©ation. Le Dieu TrinitĂ© ne fait pas seulement face Ă  sa crĂ©ation, mais y entre en mĂȘme temps par son Esprit Ă©ternel, pĂ©nĂštre toute chose et rĂ©alise la communautĂ© de la crĂ©ation par son inhabitation. Il en rĂ©sulte une connexion nouvelle de la connexion de toute chose
 Au concept trinitaire de la pĂ©richorĂšse mutuelle, correspond une comprĂ©hension nouvelle de la condition de l’image de Dieu qui est celle de l’homme. Dans la communautĂ© mutuelle de l’homme et de la femme, ainsi que dans la communautĂ© des parents et des enfants, il devient possible de reconnaĂźtre un ĂȘtre et une vie qui correspondent Ă  Dieu  » (4). JĂŒrgen Moltmann a Ă©crit ensuite un livre au titre significatif : « L’Esprit qui donne la vie » (4). La pleine reconnaissance de l’Esprit dĂ©coule Ă©galement de la rĂ©vĂ©lation trinitaire.

Si les parcours et les contextes de Richard Rohr et de JĂŒrgen Moltmann sont diffĂ©rents, au point que nous ne voyons point dans le livre du premier des rĂ©fĂ©rences aux livres du second, dans une diversitĂ© d’accents et de sensibilitĂ©s, nous voyons Ă©galement de profondes convergences dans leurs Ă©crits. Ainsi,  dans son livre : « Dieu dans la crĂ©ation » (5), Moltmann Ă©crit : « La pĂ©richorĂšse trinitaire (mouvement incessant de relation en Dieu qui se traduit dans l’expression : danse divine), doit ĂȘtre comprise comme l’activitĂ© suprĂȘme et en mĂȘme temps comme la quiĂ©tude absolue de cet amour qui est la source de tout vivant, le ton de toutes les rĂ©sonnances et l’origine du rythme et de la vibration des mondes dansants » (p 31). Et, comme Richard Rohr, JĂŒrgen Moltmann met en  Ă©vidence l’importance majeure de la relation : « Si l’Esprit Saint est rĂ©pandu sur toute la crĂ©ation, il fait de la communautĂ© de toutes les crĂ©atures avec Dieu et entre elles, cette communautĂ© de la crĂ©ation dans laquelle toutes les crĂ©atures communiquent chacune Ă  sa maniĂšre entre elles et avec Dieu
 Rien dans le monde n’existe, ne vit et ne se meut par soi. Tout existe, vit et se meut dans l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit divin » (p 24-25). Ainsi, Ă  partir de ces diffĂ©rents Ă©clairages, nous pouvons avancer dans la joie de la dĂ©couverte et de la reconnaissance de l’ĂȘtre et de l’Ɠuvre du Dieu trinitaire.

La parution du roman de William Paul Young : « The Shack » qui nous a proposĂ© une reprĂ©sentation imagĂ©e du Dieu trinitaire, ouvrage traduit en français sous le titre : « La cabane » (6) et ayant remportĂ© un succĂšs mondial, tĂ©moignait d’une sensibilitĂ© nouvelle. L’auteur de ce livre  a accordĂ© une prĂ©face Ă  « The divine Dance » : « La « danse divine », de pair avec des milliers d’autres voix qui s’élĂšvent aujourd’hui, renverse l’Empire et cĂ©lĂšbre la Relation. Quand on a vu les profonds mystĂšres rĂ©vĂ©lĂ©s ici avec amour, on ne peut pas ne pas voir. Quand on a entendu, on ne peut retourner en arriĂšre. La souffrance ne peut effacer le sourire du cƓur. O Dieu, tu n’a jamais eu une idĂ©e mĂ©diocre de l’Humanité » (p 22). Voici un livre qui suscite la joie et la louange parce qu’il nous parle de l’amour inconditionnel de Dieu au cƓur d’un univers relationnel.

J H

 

(1)            Richard Rohr with Mike Morrell. Foreword by William Paul Young. The divine dance. The Trinity and your transformation. SPCK, 2016

(2)            Antoine Nouis. Nos racines juives. Préf. De Marion Muller-Colard. Bayard, 2018

(3)            Vie et Ɠuvre thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann Ă  travers son autobiographie : A broad place. Sur le site de TĂ©moins : « Une thĂ©ologie pour notre temps. L’autobiographie de JĂŒrgen Moltmann » : http://www.temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/   Des Ă©crits de JĂŒrgen Moltmann prĂ©sentĂ©s sur ce blog : Vivre et espĂ©rer et sur le blog : L’Esprit qui donne la vie : http://www.lespritquidonnelavie.com

(4)            JĂŒrgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intĂ©grale. Cerf, 1999. En annexe : Mon itinĂ©raire thĂ©ologique. Quelques extraits prĂ©sentĂ©s ici (p 438)

(5)            JĂŒrgen Moltmann. Dieu dans la crĂ©ation. TraitĂ© Ă©cologique de la crĂ©ation. Cerf, 1988

(6)            William Paul Young. La cabane. J’ai lu, 2014 (18 millions de lecteurs à travers le monde)

Briser la solitude !

Une expérience internationale.

 

« Ni mon passĂ© familial, ni ma formation professionnelle (avocat), ne m’ouvrait Ă  priori sur les relations internationales »,  nous dit Guy Aurenche, prĂ©sident du CCFD-Terre solidaire. « Je les ai dĂ©couvertes lorsque les deux fondatrices de l’ACAT (Action des chrĂ©tiens pour l’abolition de la torture) sont venues me chercher pour travailler avec elle contre la torture dans le monde. À cette occasion, j’ai dĂ©couvert la dynamique des droits de l’homme (DĂ©claration universelle des droits de l’homme. 10 dĂ©cembre 1948) comme une Ă©tape fondamentale dans l’histoire de l’humanitĂ© et comme un moyen de mettre la dignitĂ© humaine au centre des relations internationales. Je fais la mĂȘme expĂ©rience actuellement face Ă  la question du dĂ©veloppement dans le cadre du CCFD-Terre solidaire ».

 

Comment Guy Aurenche vit-il cette expérience ?

« L’expĂ©rience fondamentale que j’ai faite dans la pratique des relations internationales Ă  travers la sociĂ©tĂ© civile, c’est la dĂ©couverte que chacun de nous, s’il accepte de s’allier avec d’autres, est un sauveteur en puissance.

Sauveteur, parce que nous devenons capable de briser la solitude des personnes ou des peuples que la vie nous fait rencontrer.

Ce qui est vrai dans des situations de proximité, mais également dans les relations internationales.

L’ACAT m’a fait dĂ©couvrir notre capacitĂ© de briser la solitude du torturĂ© dans sa prison. Le CCFD-Terre solidaire me fait dĂ©couvrir que nous sommes capables de briser la solitude du plus pauvre face Ă  sa misĂšre.

Sur le plan de la vie chrĂ©tienne, je fais le lien entre cette capacitĂ© de sauvetage et la proposition de « salut » par JĂ©sus-Christ. Pour moi, JĂ©sus, ne nous dit pas autre chose que  « tu  n’es plus seul. Vous n’ĂȘtes plus seul ».  C’est mon expĂ©rience pratique. C’est mon expĂ©rience spirituelle.

 

Contribution de Guy Aurenche

 

En préparation : « Une vision renouvelée des relations internationales. Interview de Guy Aurenche » sur le site de Témoins.

 

« Guy Aurenche. De l’ACAT au CCFD-Terre solidaire. Le souffle d’une vie » : PrĂ©sentation du livre de Guy Aurenche : Le souffle d’une vie. Quarante ans de combat pour une terre solidaire. PrĂ©face de StĂ©phane Hessel. Albin Michel, 2011.  Sur le site de TĂ©moins.

http://www.temoins.com/societe/guy-aurenche-de-l-acat-au-ccfd-terre-solidaire.-le-souffle-d-une-vie.html

 

« Tout homme est une histoire sacrée. Les droits humains au secours de la transcendance ». http://www.temoins.com/societe/tout-homme-est-une-histoire-sacree.html

Expériences de plénitude

Lorsque la rĂ©alitĂ© spirituelle sort de l’ordinaire

 

         Il arrive que soudain une personne ressente la conscience d’une rĂ©alitĂ© belle et bonne qui la dĂ©passe, une prĂ©sence qui suscite en elle une impression inĂ©galĂ©e de plĂ©nitude. Ce sont lĂ  des expĂ©riences qui sortent de l’ordinaire, mais qui nĂ©anmoins adviennent Ă  certains comme une recherche rĂ©cente le montre Ă  partir d’une enquĂȘte menĂ©e en Grande-Bretagne. Ces expĂ©riences ne sont pas rĂ©servĂ©es aux croyants. En grande majoritĂ©, elle sont ressenties comme positives. Elles apparaissent comme Ă©tant en quelque sorte donnĂ©es comme la rĂ©vĂ©lation d’une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure.

Dans le cadre d’une « UnitĂ© de recherche sur l ‘expĂ©rience religieuse » fondĂ©e dans le cadre de l’UniversitĂ© du Pays de Galles, un chercheur britannique, Alister Hardy, au dĂ©part un zoologiste Ă©minent, a constituĂ© une banque de donnĂ©es rassemblant des rĂ©cits d’expĂ©rience Ă  partir desquelles il a Ă©tĂ© ensuite possible d’analyser la nature  et la fonction de ces expĂ©riences. Il s’est inspirĂ© d’une mĂ©thodologie qui lui Ă©tait familiĂšre, celle des sciences naturelles : recueillir des Ă©chantillons et les classer. A partir de publicitĂ©s diffusĂ©es dans la presse, il a donc demandĂ© Ă  un vaste public de participer Ă  une enquĂȘte. Sous diffĂ©rentes variantes, la question Ă©tait la suivante : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ©e par elle » que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». En rĂ©ponse, Hardy a rassemblĂ© plusieurs milliers de descriptions personnelles en provenance de gens ordinaires. Ces donnĂ©es ne sont qu’une des sources dans lesquelles puisent David Hay, un autre chercheur britannique qui publie un livre sur la rĂ©alitĂ© de la vie spirituelle dans la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui. « Il y a bien quelque chose », tel est le titre donnĂ© Ă  cet ouvrage : « Something there » (1). David Hay prĂ©sente dans ce livre des extraits de rĂ©cits d’expĂ©riences. A titre d’exemple, en voici quelques descriptions.

 

Descriptions d’expĂ©riences

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« J’étais dans une habitation Ă  la campagne. Une nuit, Ă  environ une heure du matin, je me suis lentement Ă©veillĂ© Ă  un sentiment de sĂ©curitĂ© et de bonheur absolu. C’est comme si tout ce qui existait dans le monde autour de moi se mettait Ă  chanter : « Tout est bien ». AprĂšs quelques minutes presque incroyables, je me levais et allais voir Ă  la fenĂȘtre. Je vis alors la vallĂ©e remplie de l’amour de Dieu, coulant et dĂ©bordant de la route et des quelques maisons du village. C’était comme si une grande source de lumiĂšre, d’amour et de bontĂ© Ă©tait lĂ  dans la vallĂ©e. Je sortis et la lumiĂšre et l’assurance Ă©taient lĂ . Je regardais et regardais. Et, pour ĂȘtre honnĂȘte, je n’étais pas reconnaissant comme j’aurais du l’ĂȘtre, mais je cherchais Ă  enregistrer la conscience de cette joie et de cette sĂ©curitĂ© de telle maniĂšre que je ne puisse pas l’oublier » .

Voici une autre expĂ©rience, celle-lĂ  d’une veuve dans la dĂ©tresse : « J’avais perdu mon mari, six mois avant, et mon courage en mĂȘme temps. Je sentais que la vie n’aurait plus de sens si la peur s’installait pour me dominer. Un soir, sans aucune prĂ©paration, j’ai su que j’étais dans la prĂ©sence de Dieu, qu’il ne me laisserait jamais et qu’Il m’aimait d’un amour au-delĂ  de toute imagination  ».

Et maintenant un souvenir d’enfance : « Mon pĂšre avait l’habitude d’emmener toute la famille en promenade, le dimanche soir. Nous marchions sur un chemin Ă©troit Ă  travers un champ de blĂ©. J’étais en arriĂšre et me trouvais seule. Soudain, je fus enveloppĂ©e dans une lumiĂšre dorĂ©e. J’ai eu conscience d’une prĂ©sence si douce, si aimante, si brillante, si consolante, existant en dehors de moi, mais si proche. Je n’entendis pas de bruit. Mais quelques mots parvinrent Ă  moi trĂšs distinctement : « Tout est bien. Tout est trĂšs bien ».

Ces expĂ©riences ont un grand impact qur la personnalitĂ© de ceux qui les reçoivent. Ajoutons ici un exemple rapportĂ© dans un autre livre : « Du cerveau Ă  Dieu . Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’ñme » (2). L’auteur, Mario Beauregard, y consacre un chapitre aux expĂ©riences religieuses, spirituelles ou mystiques. Et lui-mĂȘme tĂ©moigne d’une expĂ©rience qui a influĂ© sur sa vie. « L’une de ces expĂ©riences est survenue, il y a une vingtaine d’annĂ©es alors que j’étais allongĂ© dans mon lit. J’étais alors particuliĂšrement faible et je souffrais d’une forme sĂ©vĂšre de ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de fatigue chronique. L’expĂ©rience a commencĂ© par une sensation de chaleur et de picotement dans la colonne vertĂ©brale et la poitrine. Tout Ă  coup, j’ai fusionnĂ© avec l’intelligence cosmique (ou l’ultime rĂ©alitĂ©), source d’amour infini et je me suis retrouvĂ© uni Ă  tout ce qui existe dans le cosmos. Cet Ă©tat d’ĂȘtre
s’accompagnait d’une intense fĂ©licitĂ© et extase
 Cette expĂ©rience m’a transformĂ© psychologiquement et spirituellement et m’a donnĂ© la force nĂ©cessaire pour surmonter ma maladie et guĂ©rir  » (p.388).

 

Les expériences religieuses et spirituelles.

Portée et évolution du phénomÚne.

 

Comme on vient de le voir, ces expĂ©riences sont trĂšs variĂ©es et elles sont rapportĂ©es diffĂ©remment. Ainsi le langage est diffĂ©rent selon que la personne a une culture religieuse ou non. En effet, ces expĂ©riences adviennent Ă  des gens de toutes conditions, croyants ou non. Bien sĂ»r, elles suscitent une recherche concernant le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©e. Ces expĂ©riences sont Ă©galement soudaines. Elles sont sans commune mesure avec l’imagination. Ainsi bouleverse-t-elle souvent la personne au point que celle-ci s’interroge et hĂ©site Ă  en faire part, gardant cette mĂ©moire dans l’intimitĂ©. Au total, il apparaĂźt maintenant que ces expĂ©riences sont  beaucoup plus nombreuses qu’on aurait pu l’imaginer.

De fait, on dĂ©couvre aujourd’hui qu’il y a lĂ  un phĂ©nomĂšne important, jusque lĂ  passĂ© sous silence et mĂ©connu. En effet, dans une acception large, David Hay a pu inscrire une question relative Ă  ce phĂ©nomĂšne dans deux enquĂȘtes effectuĂ©es en Grande-Bretagne, en 1987 et 2000. Les rĂ©sultats sont surprenants. En effet, en 1987, 48% des personnes participant Ă  un Ă©chantillon national dĂ©clarent qu’ils ont connu ce genre d’expĂ©rience dans leur vie. En 2000, ce pourcentage a considĂ©rablement augmentĂ© et s’élĂšve Ă  76%. PrĂšs des trois quarts de la population britannique est ainsi concernĂ©.

L’augmentation considĂ©rable de ce pourcentage, dans une courte pĂ©riode : treize ans, a beaucoup surpris David Hay. Celui-ci interprĂšte cette situation dans les termes de l’abaissement d’une censure socioculturelle qui, jusque-lĂ , empĂȘchait les gens de s’exprimer librement Ă  ce sujet.

 

         Toutes ces descriptions, recueillies dans le cadre d’une recherche mĂ©thodique nous interpellent. Elles nous incitent Ă  penser qu’il y a bien une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure au delĂ  de notre apprĂ©hension immĂ©diate. Les personnes qui ont vĂ©cu des expĂ©riences de ce genre se posent Ă©videmment des questions sur le sens qui peut leur ĂȘtre attribuĂ©es.  Ainsi, Ă  16 ans, un jeune allemand vĂ©cut une expĂ©rience de ce genre en pleine rue. A l’époque, il n’était pas croyant et cette expĂ©rience suscita en lui une recherche de sens. Quelques annĂ©es plus tard, il dĂ©couvrit la foi chrĂ©tienne et il devint plus tard le grand thĂ©ologien, Wolfhart Pannenberg (3).

 

Rappelons la question initiale posĂ©e en vue de la collecte des descriptions de ces expĂ©riences : « Vous est-il arrivĂ© d’avoir conscience d’une prĂ©sence ou d’une puissance (ou d’ĂȘtre influencĂ© par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non, et qui est diffĂ©rente de votre perception habituelle ? ». Y a-t-il pas dans votre vie des souvenirs d’expĂ©rience que vous aimeriez partager ?

 

JH


1)   Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. PrĂ©sentation sur le site de TĂ©moins (rubrique : Ă©tudes) : « La vie spirituelle comme une « conscience relationnelle » . Une recherche de David Hay sur la spiritualitĂ© d’aujourd’hui ». http://www.temoins.com/etudes/la-vie-spirituelle-comme-une-conscience-relationnelle-.-une-recherche-de-david-hay-sur-la-spiritualite-aujourd-hui./toutes-les-pages.html

2)   Beauregard (Mario), O Leary (Denise). Du cerveau Ă  Dieu. Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’ñme. Tredaniel, 2008. Ce livre comporte un chapitre sur les expĂ©riences religieuses et spirituelles. PrĂ©sentation du livre sur le site de TĂ©moins : L’esprit, le cerveau et les neurosciences (culture). http://www.temoins.com/culture/l-esprit-le-cerveau-et-les-neurosciences.html

3)   Cf : textes biographiques. Cette expĂ©rience fondatrice est mentionnĂ©e sur Wikipedia. Pannenberg fait partie des thĂ©ologiens qui reconnaissent dans l’homme un sens spirituel Ă  l’image de Dieu.

 

Les malheurs de l’histoire. Mort et rĂ©surrection

Des fleurs tapissent un coin de la vieille tranchée

La charge des coquelicots monte sur la colline

Des corbeaux noirs croassent sur les champs dépeuplés.

 

Souvenirs du passĂ©, force d’un renouveau

Le vent de la forĂȘt berce le cimetiĂšre

Et des enfants s’en vont sur les chemins boisĂ©s.

 

Pourquoi Ă©tions-nous jeunes au temps de la grande guerre.

Nous sommes née trop tÎt et avons tout perdu

Dans le brouillard sombre et le bruit des obus.

FĂȘtes de la victoire, discours Ă©parpillĂ©s un jour par annĂ©e

Ne nous rendrons jamais les beaux draps blancs que nous avons quittés.

La vue d’un peuplier qui miroite au printemps

L’amour d’une femme, le sourire d’un  enfant.

 

Comme l’orage qui vient est sillonnĂ© d’éclairs

Comme la tempĂȘte arrache piĂšce Ă  piĂšce notre vieille toiture,

Comme le flot débordant emporte la bonne terre

Et comme le tonnerre qui toujours retentit

Porteur de la grĂȘle et de son clapotis,

O guerres maudites, vous parsemez l’histoire

Et quand la guerre finit

VoilĂ  comme une vague du fond de l’ocĂ©an

La sombre épidémie et ses halÚtements.

Pourquoi étions-nous jeunes au temps de la variole ?

Nous sommes nés trop tÎt au vent du choléra.

 

Pensez Ă  nos chemins, hommes des temps modernes,

Notre passé vaut bien vos lendemains.

Vous tenez votre vie de nos frĂȘles amours

Les tours des cathédrales dominent encore vos cours.

Pourtant Ă©tions dĂ©munis de ce qui aujourd’hui affranchit votre vie.

 

O temps de l’avenir, brillante citĂ© terrestre,

A quoi servirait-il que nous te construisions

Si nos yeux devaient Ă  jamais mourir

Et dans les cimetiĂšres nos corps pourrir

Comme tous ceux-là qui sont morts avant nous ?

 

La foule immense désarmée, massacré par le temps

DĂ©file devant nos yeux comme l’avenir de nos plans

Et mĂȘme si demain ils se rĂ©alisaient

Alors ne pourrions oublier vos souffrances et vos plaies.

 

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous vos cimetiÚres recouvraient la terre ?

A quoi servirait donc la roue de la technique

Si pour toujours vos cris Ă©taient des cris

Et vos pleurs des pleurs ?

 

Dans le dĂ©sert d’un infini et dans le poids du temps

Planùte d’entre milliers au sein du firmament

Le murmure de la vie s’est fait appel.

A quoi bon le festin et Ă  quoi bon la fĂȘte

Si demain est la mort et la mort demain ?

 

Présence salutaire, vivante Eternité,

A nos cƓurs douloureux envoie un Messager

Un murmure secret a rĂ©veillĂ© nos cƓurs,

Partie d’un coin de terre est venue l’EspĂ©rance

Comme une onde, atteint les plus lointains rivages,

A travers les siĂšcles, Ă  travers le temps, sans cesse se propage.

 

C’est la bonne nouvelle, la seule dĂ©cisive

Résurrection du Christ, résurrection des morts

Et puisqu’en attendant, il faut que l’homme vive

Et que tombent les écailles de nos déchirements

PrĂ©sence de l’Esprit, renouveau de la terre, rĂ©surrection des vivants.

 

J H

 

Ce poĂšme, en forme de cri, a Ă©tĂ© Ă©crit, il y a des annĂ©es. C’est une question lancinante qui est toujours lĂ . En regard, un thĂ©ologien, JĂ»rgen Moltmann, qui a vĂ©cu l’enfer du bombardement de Hambourg en 1943, a trouvĂ© le chemin pour nous dĂ©voiler la puissance infinie de Dieu Ă  l’Ɠuvre pour libĂ©rer les vivants et les morts, pour nous dĂ©livrer du mal.

 

Délivre-nous du mal !

JĂŒrgen Moltmann entend et se fait le porte parole de tous ceux qui ont souffert de la violence et de l’injustice. Il y a dans ce monde, un grand cri, une grande demande de justice. « S’il n’y avait pas de Dieu, qu’arriverait-il Ă  ceux qui ont faim et soif de justice dans ce monde ? » (p.61).

Ainsi,  les différentes séquences de la Bible nous montre comment Dieu vient à notre secours, apporte la justice, nous rend juste.

A travers la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, l’histoire change de visage. A la croix, JĂ©sus devient le compagnon de tous ceux qui se sentent abandonnĂ©s de Dieu. Il libĂšre les hommes du pĂ©chĂ© et de la culpabilitĂ©. « A travers la puissance de vie de sa rĂ©surrection, Il entraĂźne Ă  la fois les victimes et les persĂ©cuteurs dans une relation juste avec  Dieu et les uns avec les autres. Dans cette loi de vie nouvelle, ils peuvent vivre, car elle s’étend Ă  la fois aux vivants et aux morts et met fin aux revendications du mal » (p.76). Nous voici engagĂ©s dans un immense processus. « La crĂ©ation nouvelle de Dieu apparaĂźt dĂ©jĂ  aujourd’hui au milieu d’un monde encore marquĂ© par la mort. Elle sera accomplie quand, en Christ, « le Royaume sera remis Ă  Dieu » et qu’ainsi le but sera atteint et que Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15.28).

 

J H

 

Source : Les malheurs de l’histoire. DĂ©livre-nous du mal. PrĂ©sentation de la pensĂ©e de JĂŒrgen Moltmann sur le site : l’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/? p=702

« DĂ©livre-nous du mal. La justice de Dieu et la renaissance de la vie », p 71-98. In : JĂŒrgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espĂ©rance. Empreinte, 2012.

Plus largement, « L’espĂ©rance des chrĂ©tiens n’est pas une espĂ©rance exclusive ou particulariste, mais une espĂ©rance inclusive et universelle en la vie qui surmonte la mort ». Voir : « La vie par delĂ  la mort » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822