Comment l’esprit de l’Evangile a imprĂ©gnĂ© les mentalitĂ©s occidentales et, quoiqu’on dise, reste actif aujourd’hui

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 « Dominion : The making of the western mind » (la formation de la mentalitĂ© occidentale », c’est le titre du livre d’un historien britannique, Tom Holland, traduit en français sous un titre plus explicite : « Les chrĂ©tiens. Comment ils ont changĂ© le monde » (1). Qu’est-ce Ă  dire ? A une Ă©poque oĂč la pratique chrĂ©tienne recule dans les pays occidentaux et particuliĂšrement en Europe, le christianisme continue-t-il Ă  inspirer nos sociĂ©tĂ©s ? C’est la question que s’est posĂ© cet historien. Il y rĂ©pond dans un volume de plus de 600 pages qui dĂ©roule la fil de l’histoire du christianisme Ă  travers vingt siĂšcles comme une vĂ©ritable Ă©popĂ©e, alternant rĂ©cit Ă©pique et analyse historique dans une vingtaine de grands moments rĂ©partis entre l’antiquitĂ©, la chrĂ©tientĂ© et la modernitĂ©.

« Le fracas des armes, le choc des ego, les guerres civiles qui scandent l’histoire des religions monothĂ©istes nous le rappellent : la plus grande histoire du monde, l’avĂšnement du christianisme, de l’antiquitĂ© jusqu’aux crises migratoires, est une Ă©popĂ©e. Une histoire pleine de bruits et de fureurs opposant athĂ©es et croyants, islam et chrĂ©tientĂ©. Face Ă  la montĂ©e du matĂ©rialisme, du divorce entre l’Eglise et le message Ă©vangĂ©lique Ă  la crise de foi et aux nouvelles guerres de religion, la chrĂ©tientĂ© maintiendra-t-elle sa suprĂ©matie ? Ou, confrontĂ©e au recul du sacrĂ©, fait-elle partie du monde d’hier ? » (page de couverture).

Sans doute, dans cette affaire, l’usage du mot chrĂ©tientĂ© porte Ă  question. Ce que nous dit l’auteur, c’est qu’au long de cette histoire, le message de l’Evangile a Ă©tĂ© un levain et qu’il a Ă©tĂ© et reste la matrice des grandes valeurs qui inspirent le monde occidental. Tom Holland nous dit comment personnellement il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  se poser ces questions Ă  partir de son expĂ©rience de l’antiquitĂ© en prenant conscience de la violence insupportable qui y rĂ©gnait. Il nous montre en quoi le christianisme a Ă©tĂ© un choc culturel par rapport Ă  la civilisation romaine, et l’inspiration Ă©vangĂ©lique, une force transformatrice au cours des siĂšcles, dans le sillage du Christ crucifiĂ©, prenant le parti des pauvres face aux riches et aux puissants. Cependant, le christianisme a souvent Ă©tĂ© desservi et trahi par les institutions. Le reflux du « christianisme organisĂ© » tĂ©moigne d’un porte-Ă -faux. Cette histoire est donc complexe. Cependant, Tom Holland nous montre qu’aujourd’hui encore, l’imprĂ©gnation Ă©vangĂ©lique est toujours active jusque dans des milieux sĂ©culiers et Ă©loignĂ©s de la religion . Ce sont des valeurs chrĂ©tiennes qui inspirent les mouvements contemporains au service du respect de l’humanitĂ© et des droits humains quelle qu’en soit la forme.

 

Comment Tom Holland a pris conscience de l’originalitĂ© de l’inspiration chrĂ©tienne

 Tom Holland s’est d’abord orientĂ© vers l’étude de l’antiquitĂ© . Ses premiers ouvrages d’historien ont portĂ© sur les invasions perses de la GrĂšce et les ultimes dĂ©cennies de la civilisation romaine. Au dĂ©part, il Ă©tait fascinĂ© par la civilisation grĂ©co-romaine et ses personnages emblĂ©matiques. Et puis, progressivement, il a pris conscience de la barbarie que cette civilisation vĂ©hiculait. Et elle lui est apparue comme de plus en plus Ă©trangĂšre : « Les valeurs de LĂ©onidas, dont le peuple avait pratiquĂ© une forme particuliĂšrement atroce d’eugĂ©nisme en entrainant les jeunes Ă  assassiner de nuit les « untermenschen », les sous-hommes, n’étaient pas les miennes, ni celles de CĂ©sar qui aurait tuĂ© un million de gaulois et rĂ©duit en esclavage un million d’autres 
 Ce n’était pas seulement leur violence extrĂȘme qui me troublait, mais leur absence totale de considĂ©ration pour les pauvres et pour les faibles » (p 27).

Tom Holland, aprĂšs une enfance pieuse, s’était Ă©loignĂ© de la foi chrĂ©tienne, mĂȘme « s’il continuait vaguement de croire en Dieu ». « Le Dieu biblique lui apparaissait comme l’ennemi de la libertĂ© et du plaisir » ( p 26). Alors, dans cette prise de conscience, il a compris combien les valeurs chrĂ©tiennes Ă©taient prĂ©cieuses. « L’effacement de ma foi chrĂ©tienne au cours de l’adolescence ne signifiait pas que j’eus cessĂ© d’ĂȘtre chrĂ©tien. Les postulats avec lesquels j’ai grandi sur la meilleure maniĂšre de gouverner une sociĂ©tĂ© et sur les principes qui devraient ĂȘtre les siens, ne proviennent pas de l’antiquitĂ© classique, encore moins d’une quelconque « nature humaine », mais trĂšs clairement de son passĂ© chrĂ©tien. L’impact du christianisme sur le dĂ©veloppement de l’Occident est un fait si profond qu’il en est venu Ă  ne plus ĂȘtre perçu 
 Ce livre explique ce qui a rendu le christianisme si subversif et perturbateur, comment il a fini par imprĂ©gner la mentalitĂ© de la chrĂ©tientĂ© latine et pourquoi, dans un Occident souvent incrĂ©dule Ă  l’égard des prĂ©tentions de la religion, nos attitudes restent, pour le meilleur et pour le pire, profondĂ©ment chrĂ©tiennes » ( p 28).

 

Face Ă  la domination et Ă  la violence, l’élan de la rĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne

Notre image de l’antiquitĂ© grĂ©co-romaine nous renvoie gĂ©nĂ©ralement au prestige de grandes Ɠuvres intellectuelles ou monumentales. Nous recevons ainsi un hĂ©ritage. Mais il s’agit de la meilleure part, car, comme Tom Holland en a pris progressivement conscience, il y a Ă  l’arriĂšre-plan des mƓurs barbares oĂč la violence des puissants se dĂ©ploie au dĂ©pens des faibles dans une omniprĂ©sence de l’esclavage.

Le chĂątiment de la crucifixion est emblĂ©matique de la puissance romaine. Tom Holland nous dĂ©crit cette horreur rĂ©pandue au cƓur de Rome et dans tout l’empire . Ce livre commence par une effroyable description d’un quartier de Rome longtemps rĂ©servĂ© Ă  une crucifixion de masse. « Aucune mort ne semblait Ă©galer la crucifixion dans l’ignominie. Cela en faisait le chĂątiment tout dĂ©signĂ© pour les esclaves
. Pour se montrer dissuasif, celui-ci devait s’exĂ©cuter en public. Et, rien n’évoquait avec plus d’éloquence l’échec d’une rĂ©volte que la vue des centaines et des centaines de corps suspendus Ă  des croix alignĂ©es le long d’une voie ou amassĂ©es au pied d’une citĂ© rebelle ou encore de collines alentour dĂ©pouillĂ©es de leurs arbres » ( p 12). Si la cruautĂ© de ce chĂątiment n’échappait pas Ă  certains esprits, « l’effet salutaire des crucifixions sur ceux qui menaçaient l’ordre rĂ©publicain ne faisait guĂšre de doute aux yeux des romains » (p 11).

Ainsi, la croix Ă©tait l’instrument d’un systĂšme glorifiant la puissance des hommes de pouvoir et des dieux au dĂ©triment des opprimĂ©s. En mourant sur une croix, JĂ©sus a bouleversĂ© l’ordre dominant. Et cette subversion s’est rĂ©pandue dans l’histoire. « Que le fils de Dieu, nĂ© d’une femme et condamnĂ© Ă  la mort d’un esclave, ait pĂ©ri sans ĂȘtre reconnu par ses juges Ă©tait propice Ă  faire rĂ©flĂ©chir mĂȘme le plus arrogant des monarques » Il y avait lĂ  la source « d’un soupçon capital que Dieu Ă©tait plus proche des faibles que des puissants, des pauvres que des riches » ( p 20).

Par ailleurs, Ă  tous Ă©gards, en la personne de Paul, la prĂ©dication chrĂ©tienne s’est avĂ©rĂ©e rĂ©volutionnaire. Dans un chapitre : « Mission », il nous est montrĂ© toute la portĂ©e de ce message. « Les juifs, tels des enfants soumis Ă  la protection d’un tuteur, avaient reçu la grĂące de se faire le gardien de la loi divine. Mais la venue du Christ avait rendu cette mission caduque
. Le caractĂšre exclusif de cette alliance Ă©tait abrogĂ©e. Les anciennes distinctions entre eux et les autres, dont la circoncision masculine constituait le symbole, se voyaient transcendĂ©e. Juifs et grecs, galates et scythes, tous Ă©gaux dans la foi en JĂ©sus-Christ, formaient dĂ©sormais le peuple saint de Dieu » ( p 102). « Et la loi du Dieu d’IsraĂ«l pouvait ĂȘtre lue et inscrite dans le cƓur humain par son Esprit » ( p 113). L’universalitĂ© de ce message Ă©tait et est encore rĂ©volutionnaire. C’était et c’est encore un message d’amour et de respect. Dans un monde oĂč la domination masculine s’imposait, c’était Ă©galement proclamer la dignitĂ© de la femme. Dans le monde de NĂ©ron, un monde oĂč la dĂ©bauche sexuelle Ă©tait Ă  son paroxysme, comme l’auteur nous en dĂ©crit la rĂ©alitĂ© suffocante, Paul proclame le respect du corps, « temple du Saint Esprit » ( p 119). LĂ  aussi c’est un message rĂ©volutionnaire. Pendant des siĂšcles, ce message a transformĂ© les consciences et il a transformĂ© l’Occident. Si cet idĂ©al a bien souvent Ă©tĂ© bafouĂ©, il a nĂ©anmoins  changĂ© les mentalitĂ©s en profondeur.

Tout au long de ce livre, Tom Holland nous montre comment ce message s’inscrit encore aujourd’hui dans les esprits, chez ceux qui vivent la foi chrĂ©tienne, mais aussi dans ceux qui l’ont dĂ©laissĂ©e et ont quittĂ© les institutions religieuses. « Comment se fait-il qu’un culte inspirĂ© par l’exĂ©cution d’un obscur criminel dans un empire disparu ait pu imprimer une marque si profonde et durable dans le monde ? » ; C’est la question Ă  laquelle Tom Holland rĂ©pond dans ce livre. « Il suit les courants de l’empire chrĂ©tien qui se sont rĂ©pandu le plus largement et ont survĂ©cu jusqu’à nous » (p 23). « Aujourd’hui, alors que nous sommes les tĂ©moins d’un rĂ©alignement gĂ©opolitique sismique, que nos principes se rĂ©vĂšlent moins universels que certains d’entre nous ne l’auraient imaginĂ©, le besoin de reconnaĂźtre Ă  quel point ceux-ci sont culturellement contingents, est plus puissant que jamais. Etre citoyen d’un pays occidental revient Ă  vivre dans une  sociĂ©tĂ© toujours saturĂ©e de convictions et de supputations chrĂ©tiennes » (p 23).

 

De maniùre visible ou invisible, l’inspiration de l’Evangile active au fil des siùcles et toujours aujourd’hui.

 En rapportant l’histoire de la civilisation chrĂ©tienne, Tom Holland a cherchĂ© Ă  en montrer les accomplissements et les crimes, mais, comme il nous le dit, son jugement a Ă©tĂ© lui-mĂȘme conditionnĂ© par les valeurs chrĂ©tiennes. Ce sont ces valeurs qui, de fait, ont engendrĂ© la proclamation des droits humains, mĂȘme si cette origine, fut dĂšs l’époque plus ou moins passĂ©e sous silence. « Des deux cĂŽtĂ©s de l’Atlantique, les rĂ©volutionnaires considĂ©raient que les droits de l’homme existaient naturellement depuis toujours et qu’ils transcendaient le temps et l’espace » Pour l’auteur, c’est lĂ  « une croyance fantastique ». « Le concept des droits de l’homme avait Ă©tĂ© Ă  ce point mĂ©diatisĂ©, depuis la RĂ©forme, par les juristes et les philosophes protestants qu’il en Ă©tait venu Ă  masquer ses vĂ©ritables origines. Il ne provenait pas de la GrĂšce antique, ou de Rome
C’était un hĂ©ritage de jurisconsultes du Moyen-Age
. ».

Tom Holland nous montre la prĂ©gnance des valeurs chrĂ©tiennes jusque dans les mouvements qui sont sortis des cadres sociaux du christianisme. Les adversaires du christianisme s’y opposent bien souvent en fonction mĂȘme de l’esprit de l’Evangile. « Alors mĂȘme que Voltaire prĂ©sente le christianisme comme hargneux, provincial, meurtrier, son rĂȘve de fraternitĂ© ne faisait que trahir ses origines chrĂ©tiennes. De mĂȘme que Paul avait proclamĂ© qu’il n’y avait ni juif, ni grec dans le Christ JĂ©sus, un avenir baignĂ© dans d’authentiques LumiĂšres ne comporterait ni juif, ni chrĂ©tien, ni musulman. Toutes leurs diffĂ©rences seraient dissoutes. L’humanitĂ© ne ferait qu’un «  ( p 434). Le souci des humbles et des souffrants, qui mobilise aujourd’hui tant d’hommes et de femmes pour de grandes causes, est, lui aussi, directement issu du christianisme. Des adversaires extrĂȘmes du christianisme le montrent bien puisqu’ils rejettent Ă  la fois le vĂ©cu chrĂ©tien  et les idĂ©aux de compassion et d’égalitĂ©. Ce fut le cas de Nietzsche ( p 513-514).

Et, aujourd’hui, dans les dĂ©bats sur les questions de sociĂ©tĂ©, des positions adverses s’inspirent de valeurs chrĂ©tiennes reprises diffĂ©remment. « L’idĂ©e que la guerre de religion en AmĂ©rique se livre entre les chrĂ©tiens d’un cĂŽtĂ© et ceux qui se sont Ă©mancipĂ©s du christianisme de l’autre, est une exagĂ©ration que les deux parties ont intĂ©rĂȘt Ă  promouvoir.. En rĂ©alitĂ©, Ă©vangĂ©liques comme progressistes sont issus de la mĂȘme matrice. Si les adversaires de l’avortement hĂ©ritent de Macine qui avait parcouru les dĂ©charges de la Cappadoce Ă  la recherche d’enfants abandonnĂ©s Ă  sauver, ceux qui les combattent s’appuient sur la supposition non moins chrĂ©tienne que le corps de la femme devrait ĂȘtre respectĂ© comme tel par tout hommes. Les partisans du mariage homosexuel se montrent pour leur part tout autant inspirĂ©s par l’enthousiasme de l’Eglise pour la fidĂ©litĂ© monogame que ses opposants par les condamnations bibliques des hommes qui couchent avec des hommes » ( p 586).

Si dans l’histoire du christianisme, il y a bien des Ă©pisodes qui sont marquĂ©s par la violence et la domination, « les normes selon lesquelles ils furent condamnĂ©s pour cela restĂšrent chrĂ©tiennes ».

Et, aujourd’hui encore, ces normes, bien souvent non identifiĂ©es comme telles, restent vigoureuses. « MĂȘme si les Eglises devaient continuer Ă  se vider dans tout l’Occident, il semble peu probable que ces normes changeraient rapidement. « Dieu a choisi les Ă©lĂ©ments faibles du monde pour confondre les forts ». Tel est le mythe auquel nous persistons Ă  nous accrocher. En ce sens, la chrĂ©tientĂ© reste la chrĂ©tienté » ( p 592).

 

Passé, présent et avenir

 Les lectures de l’histoire du christianisme  diffĂ©rent selon les regards qui lui sont portĂ©s. L’approche d’un historien dĂ©pend de son contexte personnel qui, lui-mĂȘme induit tel ou tel questionnement.

Ainsi Jean Delumeau a explorĂ© le climat de peur engendrĂ© par une image de Dieu et un systĂšme rĂ©pressif.. Son oeuvre historique milite en faveur d’un christianisme ouvert Ă  la modernitĂ©. Conscient de l’écart entre les propositions du christianisme institutionnel et la culture actuelle, souvent dĂ©signĂ©e comme ultra-moderne, nous avons cherchĂ© un Ă©clairage dans des lectures historiques montrant comment l’élan du premier christianisme s’était figĂ© et emprisonnĂ© dans une systĂšme  hĂ©ritĂ© de la conjonction entre l’empire romain et l’Eglise et ayant perdurĂ© pendant des siĂšcles avant de soulever des vagues de protestation. Quant Ă  lui, Tom Holland s’attache Ă  mettre en Ă©vidence le caractĂšre rĂ©volutionnaire du message chrĂ©tien Ă  son apparition dans le monde antique et la puissance de la matrice chrĂ©tienne Ă  travers les siĂšcles jusqu’à aujourd’hui. Il retient notamment son engagement en faveur des pauvres et des faibles et son caractĂšre universaliste . Dans cette entreprise, il accorde une place majeure Ă  la croix alors qu’on pourrait mettre Ă©galement en Ă©vidence la rĂ©surrection du Christ, l’Ɠuvre de l’Esprit et l’espĂ©rance qui est ainsi dĂ©ployĂ©e. N’est-ce pas cette espĂ©rance qui a animĂ© certains mouvements contemporains comme la campagne pour les droits civiques  engagĂ©e par Martin Luther King contre la discrimination raciale ou la thĂ©ologie de la libĂ©ration.  C’est la thĂ©ologie de l’espĂ©rance  exprimĂ©e par JĂŒrgen Moltmann (2)

Ainsi, il y a bien un lien entre passé, présent et avenir
L’importance de ce livre nous paraĂźt rĂ©sider dans le fil conducteur qui met en valeur l’influence majeure de la matrice chrĂ©tienne dans la civilisation occidentale, et, tout particuliĂšrement dans la maniĂšre dont cette influence continue Ă  s’exercer dans une sociĂ©tĂ© sĂ©cularisĂ©e, apparemment dĂ©christianisĂ©e. Ainsi parle-t-on aujourd’hui d’une « sortie de la religion », mais tout dĂ©pend de ce qu’on entend par ce terme. Tom Holland nous dit qu’en rĂ©alitĂ© le message Ă©vangĂ©lique est toujours prĂ©sent et actif dans la profondeur des mentalitĂ©s. Et, Ă  bien y rĂ©flĂ©chir, on mesure les gains accomplis au cours des siĂšcles par rapport aux mƓurs barbares qui prĂ©dominaient dans l’antiquitĂ©. C’est comme si le message chrĂ©tien avait agi comme un levain. Si le monde aujourd’hui est en danger, il y a aussi des atouts dans la crĂ©ativité   scientifique et technologique et les prises de conscience qui se multiplient :  conscience Ă©cologique, mais aussi conscience de la montĂ©e d’une nouvelle donne relationnelle : promotion des femmes, respect des minoritĂ©s, nouveau regard oĂč prend place l’empathie, la bienveillance, le « care »  Voici un horizon oĂč on peut lire une prĂ©sence du levain Ă©vangĂ©lique quel que soit soit le dĂ©phasage des institutions. Et, dans une attention et une Ă©coute croyante, ne peut-on y voir l’oeuvre de l’Esprit et regarder ainsi en avant ?

J H

 

  1. Tom Holland. Les Chrétiens. Comment ils ont changé le monde. Editions Saint Simon, 2019 . Ce livre a été présenté sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/ce-que-lesprit-occidental-doit-au-christianisme Tom Holland a été interviewé en France sur la portée et la pertinence de ce livre :      https://www.youtube.com/watch?v=LMRwkqcl3Lw&feature=emb_logo
  2. Un accĂšs Ă  la pensĂ©e thĂ©ologique de JĂŒrgen Moltmann sur le blog : « l’Esprit qui donne la vie » : https://lire-moltmann.com

Susciter un climat de convivialité et de partage

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La bibliothĂšque comme espace de rencontre

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         Au cours de son itinéraire professionnel de bibliothécaire, Blandine Aurenche a joué, entre autres, un rÎle de médiatrice.

«  La bibliothĂšque est un carrefour. les gens s’y croisent pour des motifs extrĂȘmement variĂ©s. Comme bibliothĂ©caire, j’ai essayĂ© de permettre Ă  des gens qui passent de se sentir bien Ă  l’aise dans ce lieu pour y dĂ©couvrir ce qu’il offre et croiser leurs dĂ©couvertes avec celles des autres. Cette attitude requiert beaucoup d’écoute surtout si l’on veut entendre les suggestions des gens ».

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         Comment susciter un climat de convivialité et de partage ?

« Il y a d’abord une rupture avec l’ancienne conception de la bibliothĂšque. Ce ne sont plus les collections qui sont premiĂšres et qui dĂ©finissent la bibliothĂšque. La mĂ©diathĂšque publique s’inscrit dans une perspective toute autre. Pour moi, c’est un espace de rencontre entre une population et des supports d’information divers, Ă  travers des Ă©changes et des temps de convivialitĂ©.  Je ne m’adresse pas Ă  des lecteurs isolĂ©s, mais Ă  une population . Et, dans cette population, seule une minoritĂ© est initiĂ©e Ă  l’usage classique de la bibliothĂšque . L’essentiel du travail des bibliothĂ©caires, outre l’acquisition de tous les mĂ©dias, est de faire en sorte que l’ensemble de la population, et en particulier, les habitants qui ne sont pas familiarisĂ©s avec le lieu, en dĂ©couvrent l’usage et puissent se l’approprier ».

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         Blandine Aurenche évoque de nombreuses situations.

«  Je pense par exemple Ă  de jeunes mamans d’origine Ă©trangĂšre, accueillies dans un foyer. On est allĂ© lire rĂ©guliĂšrement des livres Ă  leurs enfants devant elles. Au bout de quelques mois, ces mamans ont Ă©tĂ© accueillies Ă  la bibliothĂšque. On les a vraiment reçues avec un thĂ© Ă  la menthe. On a pris le temps de bavarder, de leur expliquer ce Ă  quoi servait la bibliothĂšque. La plupart de ces mamans sont ensuite revenues rĂ©guliĂšrement pour elles-mĂȘmes. Elles se sont servies de l’ordinateur pour celles qui savaient Ă©crire et lire. Elles se sont mises Ă  emprunter des livres, des CD, des DVD. Elles sont devenues des « clientes » Ă  part entiĂšre.

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         Dans la bibliothĂšque, il y a un rayon important de nouveautĂ©s. Nous essayons d’ĂȘtre trĂšs rĂ©actifs aux nouvelles parutions. SpontanĂ©ment ;les lecteurs ont trĂšs vite donnĂ© leur avis en mettant des petits papiers sur les livres. C’est un exemple de la maniĂšre dont les lecteurs ont investi le lieu ;

         Autre exemple : un lecteur est venu me voir pour me proposer d’organiser un cinĂ© club. Avec lui, nous avons dĂ©cidĂ© de faire en sorte que, chaque mois, un habitant vienne animer une sĂ©ance autour d’ un film choisi par lui. Et cela marche trĂšs bien.

         Des lecteurs nous ont Ă©galement proposĂ© Ă  plusieurs reprises d’inviter un musicien, un auteur qu’ils connaissaient.

         Effectivement, on constate un grand dĂ©sir de participation.  AprĂšs l’ouverture d’une mĂ©diathĂšque, une quinzaine de personnes ont proposĂ© spontanĂ©ment de faire du soutien scolaire ou de la lecture aux enfants sans qu’on les ait le moins du monde sollicitĂ©es. A partir de lĂ , nous avons organisĂ© des sĂ©ances de soutien scolaire.

         Autre exemple d’investissement personnel. Nous avons une table dĂ©volue Ă  un jeu d’échecs. Tous les samedis, sans qu’on le connaisse au dĂ©but et sans qu’on lui demande, un monsieur d’un certain Ăąge est venu s’installer Ă  cette table d’échec et s’est mis Ă  jouer avec ceux qui le souhaitaient. Et, petit Ă  petit, il a appris aux enfants Ă  jouer aux Ă©checs.

         Nous avons un jardin dans la bibliothĂšque. Un papa s’est proposĂ© pour venir, tous les samedis, entretenir ce jardin avec ses enfants et tous les autres enfants qui le souhaitaient.

         Aujourd’hui, les mamans Ă©trangĂšres ont pris l’habitude d’entrer dans la bibliothĂšque et d’y passer un bon moment lorsqu ’elles viennent chercher leurs enfants. J’ai l’impression que les gens se sentent chez eux.

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         Nous rĂ©servons le mĂȘme accueil aux adolescents.

Un garçon qui, en classe de troisiĂšme, avait Ă  lire « la VĂ©nus d’Isle » de Prosper MĂ©rimĂ©e, difficile pour un garçon de cet Ăąge, cherchait ce livre. Il m’a dit : « J’en ai marre. Je n’arrive jamais Ă  lire ces livres. C’est trop difficile ». En fait, il aurait souhaitĂ© que je fasse une fiche de lecture Ă  sa place. Je lui ai proposĂ© de lui lire Ă  haute voix le premier chapitre. Puis, nous avons convenu qu’il revienne  pour que je lui lise la suite. Je lui ai lu l’ensemble du livre. Et, en mĂȘme temps, je l’ai aidĂ© Ă  dĂ©crypter certaines expressions difficiles. Cela a changĂ© beaucoup son attitude vis-Ă -vis de la bibliothĂšque et peut-ĂȘtre vis-Ă -vis de la lecture.

         J’ai rencontrĂ© un  ancien petit lecteur qui est devenu unĂ©lu municipal. Je lui lisais souvent le dĂ©but des livres qu’il devait lire pour la classe. On pouvait en discuter. Il m’a dit que cela l’avait beaucoup aidĂ©. Cela lui avait permis de faire le pas pour s’approprier la lecture . Il me semble que le travail de la bibliothĂ©caire est de faire un petit bout de chemin avec des jeunes pour leur donner des clefs et les aider ainsi Ă  « entrer en littĂ©rature »..

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          Comment un climat convivial émerge-t-il ?

« A la bibliothĂšque Louise Michel, on a crĂ©Ă© le cafĂ© de Louise, un temps d’échange sur les livres que les gens auto-gĂ©rent pratiquement. Entre eux, les gens Ă©changent sur leurs lectures. C’est comme dans un cinĂ© club.

         La bibliothĂšque devient un lieu familier dans le quartier. Les gens qui viennent commencent Ă  parler entre eux. Certains sont devenus amis. Beaucoup viennent tous les jours et y passent un petit moment. Ils viennent lire le journal, bavardent avec d’autres lecteurs ou avec des bibliothĂ©caires.

         A quoi un tel lieu sert-il ? Pour moi, c’est un lieu de gratuitĂ©. Les gens ne sont pas forcĂ© de venir. Mais ils sont reconnus et accueillis pour eux-mĂȘmes. C’est donc un lieu de respiration oĂč on peut se poser, se ressourcer. C’est un lieu de vie sociale oĂč on peut entrer en contact avec d’autres dans un climat convivial ».

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Contribution de Blandine Aurenche.

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Sur le mĂȘme sujet,on pourra lire aussi :

Sur ce blog : « Laissez les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative ».  https://vivreetesperer.com/?p=523

Sur le site de TĂ©moins : Emergence d’expaces conviviaux et aspirations contemporaines. TroisiĂšme lieu (« Third place ») et nouveaux modes de vie » : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4

L’économie positive

Changement dans les esprits.

Nouvelles finalités, nouvelles approches.

La grande crise financiĂšre et Ă©conomique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi d’engendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme l’écrit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arriĂšre n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des reprĂ©sentations et des attitudes nouvelles sont en train d’apparaĂźtre et de se propager. De l’intĂ©rieur, la pratique Ă©conomique commence Ă  changer.

Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thĂšme de l’économie positive et responsable (2), organisĂ© dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, Ă  l’initiative du groupe PlaNet finance, fondĂ© par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la premiĂšre institution globale de microfinance dans le monde.  Le forum a permis de mettre en Ă©vidence des initiatives trĂšs diverses. Abondamment commentĂ©e dans les mĂ©dias, cette manifestation a fait connaĂźtre le courant de l’économie positive .

Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particuliÚrement éclairants .

Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourd’hui de sa fragilitĂ©. La prĂ©caritĂ© n’est plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaĂźt comme une menace dans les pays dĂ©veloppĂ©s. C’est « la prise de conscience d’une situation prĂ©caire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont prĂ©caires ». Quel avertissement !

La planĂšte se transforme Ă  vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une Ă©conomie dĂ©finitivement mondiale, Ă  la fois « nĂ©cessaire et inĂ©vitable ». Mais si cette mondialisation n’est pas accompagnĂ©e par l’affirmation de la « rĂšgle de droit », et si possible d’une «rĂšgle de droit dĂ©mocratique », « elle conduira au chaos »

Progressivement, des systĂšmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on a besoin d’un mouvement analogue Ă  l’échelle mondiale. Il faut « transfĂ©rer Ă  l’échelle mondiale cette prise de conscience d’une solidaritĂ© qui a surgi dans les diffĂ©rents pays ».

L’économie positive est une nouvelle maniĂšre d’envisager l’économie. Et, en particulier, le profil y perd son caractĂšre dominateur.  « Le profil n’est plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus Ă©levĂ©es : altruisme, Ă©thique, morale, qualitĂ© de vie
 Les richesses crĂ©Ă©es ne sont plus une fin en soi, mais un moyen
L’argent doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pinceau du peintre et non comme l’Ɠuvre d’art   ».

C’est un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence Ă  se manifester avec vigueur dans des entreprises pionniĂšres. « L’économie peut ĂȘtre retournĂ©e de façon positive si elle considĂšre que sa finalitĂ© est Ă©thique  »

La transformation du systĂšme Ă©conomique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train d’apparaĂźtre comme le montre JĂ©rĂ©mie Rifkin dans son livre sur la « TroisiĂšme RĂ©volution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bontĂ© humaine (4),  des Ă©volutions dans les mentalitĂ©s sont en cours. Face aux ravages engendrĂ©s par un systĂšme en crise , la rĂ©flexion des chercheurs (5 ) et la montĂ©e d’un nouvel Ă©tat d’esprit vont appuyer les actions rĂ©formatrices. Une piste Ă  suivre attentivement


J H

 

(1)            Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009.  Citation en page de couverture.

(2)            Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/

(3)            Sur ce blog : « Face Ă  la crise, un avenir pour l’économie : la troisiĂšme rĂ©volution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354

(4)             Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(5)            Sur ce blog : « Pour rĂ©former la finance
 le livre de James Fatherley : « Of markets and men »

Esprit d’enfance

Amour, humour, Ă©merveillement. Les albums de Peter Spier.

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Avec quelques autres illustrateurs comme Quentin Blake (1), Peter Spier rejoint Ă  travers son oeuvre l’esprit d’enfance : humour et Ă©merveillement. Ayant vĂ©cu durant sa jeunesse aux Pays-Bas, Peter Spier Ă©migre aux Etats-Unis oĂč il va illustrer des dizaines de livres pour enfants (2). Et son Ɠuvre se rĂ©pand dans le monde. Elle nous rencontre, enfants comme adultes, Ă  bien des Ă©tapes de notre vie.

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Dans la dynamique de son Ɠuvre crĂ©atrice, Peter Spier nous est prĂ©sentĂ© dans une courte vidĂ©o (4). La vidĂ©o commence par un chant traditionnel issu d’un poĂšme anglais du XVĂšme siĂšcle : « The fox went out on a chilly night » (5). C’est Peter Spier qui fredonne le premier couplet :

« Le renard partit la nuit pour chasser.

Il pria pour que la lune lui donne de la lumiĂšre

Car il avait plus d’un mile à faire

A parcourir avant d’atteindre la ville ».

Peter Spier reprend ce chant qui l’a inspirĂ© pour illustrer un de ses premiers albums, d’abord pour partie couleur, pour partie noir et blanc, et puis, aujourd’hui, 53 ans aprĂšs cette publication, complĂ©tĂ© par l’auteur Ă  l’aquarelle pour une version e-book.

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Peter Spier a frĂ©quentĂ© une Ă©cole d’art Ă  Amsterdam avant d’émigrer aux Etats-Unis oĂč il a illustrĂ© environ 150 livres.

Le premier livre de Peter Spier mis en exergue par l’attribution d’un prix a Ă©tĂ© son album sur l’Arche de NoĂ© (Noah’s Ark ) paru en 1977. Puisqu’il n’y a pas de texte, c’est Ă  travers l’illustration que la rĂ©alitĂ© de l’histoire apparaĂźt. Les dĂ©tails enchantent. NoĂ© ramasse les Ɠufs de ses poules !

Et la seconde rĂ©ussite de l’auteur, c’est l’album sur la chanson du renard parti chasser Ă  la ville. Peter Spier a Ă©galement rĂ©alisĂ© un grand album sur les gens dans le monde (« People »), lui aussi trĂšs connu. Il nous raconte comment il a utilisĂ© la documentation du National Geographic pour rĂ©aliser une illustration pleine de pittoresque et d’humour.

La vidĂ©o se termine sur une image d’avenir. Peter Spier apprĂ©cie la qualitĂ© des images des ses aquarelles sur les e-books oĂč la lumiĂšre illumine les photos.

Des commentaires sur l’auteur parsĂšment la vidĂ©o. « Il permet Ă  notre imagination de travailler ». Il nous entraĂźne dans une histoire. Mais c’est Peter Spier qui, avec un grand sourire, exprime le mieux l’esprit qui l’anime : « Je le fais pour les enfants et pour l’enfant qui est en moi ».

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Baba, auteur de l’album « Papa arbre » (3), a dĂ©couvert trĂšs tĂŽt les livres de Peter Spier. Dans sa veine artistique et poĂ©tique, il nous dit ici l’inspiration que lui apporte Peter Spier.

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Baba, quand et comment as-tu découvert cet auteur ?

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Je ne sais plus trĂšs bien, tout jeune, Ă  la bibliothĂšque. J’avais aussi reçu certains de ses albums en cadeau d’amis bien inspirĂ©s. Mais, Ă  vrai dire, c’est seulement maintenant, rĂ©ouvrant ces livres avec mes propres enfants, que je mesure combien ils ont jalonnĂ© mon enfance, façonnĂ© mon imaginaire. Il y a d’abord Sept milliards de visages, qui n’Ă©taient d’ailleurs que quatre Ă  l’Ă©poque : un album magnifique, Ă  la rencontre du monde, de l’humanitĂ©, de son immense diversitĂ©, un dessin florissant, une voix subtile, une vision de l’homme apaisĂ©e. Il y a Christmas, Rain
 des albums sans paroles, une cĂ©lĂ©bration du quotidien, de ces instants de grĂące qui fondent l’existence. Il y a L’histoire de NoĂ© : le rĂ©cit biblique dĂ©voilĂ© dans toute sa richesse, dans sa chair, avec ses bruits, ses gestes, ses couleurs, ses odeurs, l’arche qui devient le refuge de la vie, de toute la vie.

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Il y a aussi Quand on s’ennuie : l’histoire gĂ©niale de deux frĂšres dĂ©sƓuvrĂ©s Ă  qui leurs parents reprochent de ne pas savoir s’occuper. Ils dĂ©couvrent de vieux plans, rassemblent tout ce qu’ils trouvent, dĂ©montent la voiture, les haies, les rideaux, pour se fabriquer un avion. Leur envolĂ©e leur vaut de belles Ă©motions et une bonne fessĂ©e de leurs parents ! Chaque histoire, chaque crĂ©ation de Peter Spier est l’histoire mĂȘme d’une crĂ©ation, de ce moment oĂč du rien jaillit le plein, oĂč formes et couleurs nous invitent Ă  « cet Ă©tat d’invention perpĂ©tuelle », selon le mot de Paul Valery, qui n’est peut-ĂȘtre autre chose que l’enfance.

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Quels sont les albums de Peter Spier qui te plaisent le plus ?

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Tous. Je crois qu’aucun ne m’a déçu. DĂšs ses premiers albums, The Cow who fell in the canal, The Fox went out on chilly night, le talent de Spier Ă©clate : l’Ă©loquence de son dessin, son trait inarrĂȘtable, son amour du dĂ©tail, la tendresse de son regard, sa poĂ©sie, son humour. Spier est un hĂ©ritier des paysagistes hollandais, d’Avercamp, de Van de Velde, de Van Goyen, de Ruysdael, attentifs au dialogue du ciel, de la terre et de l’eau, amoureux des gens, partagĂ©s entre le plaisir d’ĂȘtre chez soi, la douceur de l’intimitĂ© et l’appel du large, l’ivresse du chemin, l’horizon des navires Ă  l’assaut de la mer.

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AmĂ©ricain d’adoption, il a consacrĂ© des albums trĂšs beaux Ă  l’histoire des Etats-Unis, aux pionniers, Ă  la naissance de la nation amĂ©ricaine, Ă  la fondation de New-York. Il y a chez lui cet imaginaire du « nouveau monde » qui fait contrepoint avec ses origines nĂ©erlandaises. Il a aussi beaucoup travaillĂ© Ă  partir de chansons, des traditionnels – London Bridge is falling down, The Erie Canal, To Market, market, Hurrah, we’re outward bound !, And so my garden grows – dont les paroles scandent ses planches, font courir le regard du lecteur et rĂ©vĂšlent toute la musicalitĂ© de ses visions.

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Quelle inspiration trouves-tu chez Peter Spier ?

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Ce sont des leçons. Tout chez Spier mĂ©rite d’ĂȘtre regardĂ© parce que, lorsqu’il pose son regard sur les choses, rien pour lui n’est indigne d’ĂȘtre regardĂ©. Il y a chez lui un appĂ©tit fabuleux, cette envie de faire l’inventaire du monde, de mettre partout ses yeux et ses pinceaux. La trame est toujours assez simple. Il imprime d’abord un mouvement, on suit un personnage, une riviĂšre, un bateau, une voiture, une voix, ou, Ă  l’inverse, on voit le monde, les gens, la nature se dĂ©ployer, aller, venir, revenir, vivre, mourir, autour d’un mĂȘme lieu, d’un mĂȘme Ă©difice, d’un mĂȘme objet.

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Et puis il y a ces moments oĂč tout s’arrĂȘte, oĂč tout cĂšde Ă  la contemplation, Ă  la couleur, Ă  la douceur d’une lune, au parfum d’une prairie, Ă  la fantaisie d’un nuage, Ă  la fragilitĂ© d’une goutte d’eau, au fouillis d’un garage, au clair-obscur d’une rue 
 C’est dans ces moments-lĂ  que la nature, l’ouvrage des hommes et le dĂ©sordre qu’ils sĂšment se retrouvent pour toucher au sublime.

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(1) Site de Quentin Blake : http://quentinblake.com/

(2) Itinéraire de Peter Spier sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/Peter_Spier

(3) « Sur ce blog : « Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031

(4) Peter Speer author video : http://www.youtube.com/watch?v=cnR5u7T9F_c

(5) « The fox went out on a chilly night » : histoire et texte de cette chanson sur Wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/The_Fox_(folk song)

 

 

« Animal » de Cyril Dion

Quand des voix innovantes et compétentes nous ouvrent de nouveaux chemins pour un monde écologique

https://youtu.be/b0HouR6CYK4

RĂ©alisateur du film : « Demain » (1), qui, en son temps, ouvrit les esprits Ă  une dynamique de sociĂ©tĂ© participative et Ă©cologique, Cyril Dion rĂ©alise aujourd’hui un second long mĂ©trage : « Animal », qui nous Ă©veille Ă  la vision d’un monde fondĂ© sur la biodiversitĂ©.

Le film rĂ©alise le projet dĂ©crit dans la page de couverture du livre correspondant : « Imaginez que vous puissiez voyager sur quatre continents pour rencontrer certains des plus Ă©minents et des plus passionnants biologistes, climatologues, palĂ©ontologues, anthropologues, philosophes, Ă©conomistes, naturalistes et activistes qui cherchent Ă  comprendre pourquoi les espĂšces disparaissent, pourquoi le climat se dĂ©rĂšgle et surtout comment inverser la tendance ». Le livre : « Animal » (2) rapporte l’ensemble de tĂ©moignages, des informations et des idĂ©es recueillies « dans une sĂ©rie de rencontres effectuĂ©es lors du tournage du film ».

« Pendant 56 jours, Cyril Dion est parti avec une Ă©quipe de tournage et deux adolescents trĂšs engagĂ©s, Bella Lack et Vipulan Puvaneswaran (p 17), l’une anglaise et l’autre français de parents nĂ©s au Sri Lanka. Avec Cyril Dion, ces deux jeunes ont posĂ© leurs questions. « Faire ce voyage avec eux fut une expĂ©rience merveilleuse et bouleversante. Pour autant, dans la retranscription des entretiens, j’ai choisi de mĂȘler nos trois voix en une pour interroger nos interlocuteurs ». « Leur prĂ©sence active a permis de mieux comprendre comment leur gĂ©nĂ©ration aborde un double dĂ©fi Ă©cologique » (p 21). Le sous-titre du livre tĂ©moigne de cette intention : « Chaque gĂ©nĂ©ration a son combat. Voici le notre ».

« Si le climat est devenu un sujet incontournable, une autre crise Ă©cologique sans doute aussi grave est encore largement absente des conversations et de nombreuses politiques publiques : « la destruction accĂ©lĂ©rĂ©e du vivant » (p 14). Les chiffres sont accablants. De nombreuses espĂšces sont menacĂ©es ou en danger d’extinction. « Notre planĂšte se dĂ©peuple de ses habitants non humains sauvages » (p 15). Aussi, ce livre est un manifeste en faveur de la biodiversitĂ©, en faveur de la prĂ©sence des animaux. Et il s’efforce de rĂ©pondre aux questions correspondantes : « Pourquoi des espĂšces disparaissent-elles ? Que pouvons-nous faire pour l’éviter ? Et pourquoi y sommes-nous pour quelque chose ? (et la rĂ©ponse est oui). Avons- nous le droit de faire ça ? A quoi servent toutes ces espĂšces ? Doivent-elles servir Ă  quelque chose pour que nous dĂ©cidions de les protĂ©ger ou d’arrĂȘter des les Ă©radiquer ? Comment renouer une relation fĂ©conde avec le vivant ? Quelle est notre place parmi les autres espĂšces ? Et, Ă  quoi servons-nous dans l’univers du vivant ? » (p 17).

« Nous avons besoin de regarder en face ce que notre planĂšte traverse
 Nous avons besoin de luciditĂ©, de courage, de solidaritĂ©, d’élan, de sens et de dĂ©sir. De la luciditĂ© peut naitre le choc et c’est ce choc qu’il nous appartient dĂ©sormais de faire » (p 23). A travers l’expĂ©rience et l’expertise des personnalitĂ©s interviewĂ©es, ce livre est si dense et si riche qu’il n’est pas possible d’en rendre compte. Nous essaierons seulement ici de rapporter quelques moments privilĂ©giĂ©s oĂč, parmi d’autres, un horizon se dĂ©couvre, une perspective apparaĂźt. Ce sont quelques brĂšves notations qui ouvrent notre esprit Ă  une dimension nouvelle.

 

Pourquoi les espÚces disparaissent ?
Rencontre avec Anthony Barnosky (p 27-36)

Anthony Barnosky, gĂ©ologue, palĂ©ontologue et biologiste qui a enseignĂ©, toute sa carriĂšre, Ă  l’UniversitĂ© de Berkeley, rĂ©pond Ă  nos questions (p 27-36). Il distingue cinq causes majeures de l’extinction des espĂšces : la destruction des habitats, la surexploitation des espĂšces, la pollution, les espĂšces invasives, et les changements climatiques » (p 29). La menace aujourd’hui rĂ©side non seulement dans des changements progressifs, mais dans l’apparition de « points de bascule » (p 32). A la suite de cet entretien, laissant de cĂŽtĂ© le dĂ©rĂšglement climatique, « un phĂ©nomĂšne si considĂ©rable qu’il nĂ©cessiterait, Ă  lui seul, un film ou un livre, la recherche de l’équipe s’est centrĂ©e sur la pollution, la surexploitation des espĂšces et la disparition des habitats ».

 

Se passer des pesticides
Rencontre avec Paul François (p 38-58)

Paul François est un agriculteur qui, suite Ă  un grave accident avec un herbicide, a converti ses 240 hectares en agriculture biologique. A cette Ă©chelle, un tel changement est un exploit. Paul François nous raconte son changement de mentalitĂ© et de pratique. Il lui a fallu accepter la prĂ©sence de l’herbe plutĂŽt que de la supprimer systĂ©matiquement. PlutĂŽt que d’acheter des produits chimiques, Paul François investit dans la mĂ©canisation et dans la main d’Ɠuvre. Et il a vu rĂ©apparaitre les hirondelles qui, en se nourrissant des insectes, remplacent les pesticides. Les abeilles reviennent Ă©galement. En mĂȘme temps, Paul François nous dit comment « il gagne mieux sa vie en bio qu’en conventionnel ». Suite Ă  sa maladie professionnelle, Paul François a remportĂ© une bataille juridique contre Monsanto. C’est dire son courage et sa persĂ©vĂ©rance. La transformation de son exploitation est un exploit remarquable.

 

ArrĂȘter de parler et agir
Rencontre avec Afroz Shah (p 65-75)

Afros Shah est un jeune avocat indien qui a engagĂ© la lutte contre le plastique rĂ©pandu sur une grande plage Ă  MumbaĂŻ. Une grande mobilisation pour le nettoyage s’en est suivie. C’est une action de terrain. VoilĂ  une action qui Ă©voque la responsabilitĂ© qui incombe Ă  chacun de nous. « C’est le raisonnement que s’est tenu Afroz. Et il se trouve qu’il est Ă  l’origine, par son seul engagement, d’un considĂ©rable mouvement de nettoyage du plastique Ă  MumbaĂŻ, qui a inspirĂ© des milliers et peut-ĂȘtre mĂȘme des millions de personnes en Inde et dans de nombreuses rĂ©gions du monde » (p 71).

 

La maternitĂ© d’un Ă©levage intensif
Rencontre avec Laurent Hélaine et Philippe Grégoire
(p 77-96)

Cette visite Ă  un Ă©levage intensif suscite en nous un effroi et un Ă©cƓurement. A cette occasion, la question de la consommation de la viande dans l’alimentation est posĂ©e. Cyril Dion ouvre la rĂ©flexion : « Si nous voulons rĂ©duire considĂ©rablement notre consommation de viande, il serait sans doute plus efficace de le faire Ă  travers une mesure structurelle emblĂ©matique qui, Ă  mon sens, ferait honneur Ă  l’humanité : bannir l’élevage en cage, mais Ă©galement en bĂątiment fermĂ© sans accĂšs Ă  l’extĂ©rieur comme le propose le rĂ©fĂ©rendum pour les animaux
 Interdire ce type d’élevage aurait la vertu de cesser d’infliger ces terribles conditions de vie Ă  des animaux, mais Ă©galement de diminuer mĂ©caniquement la quantitĂ© de viande que nous pourrions consommer » (p 95-96).

 

Des lois pour transformer la société
Rencontre avec Claire Nouvion et Matthieu Colléter
(p 98-125)

On parle ici des actions volontaires pouvant exercer une influence. On a besoin de lois pour changer la donne. Face aux lobbys, une conscience politique est nĂ©cessaire. Des associations s’emploient avec persĂ©vĂ©rance Ă  obtenir des changements lĂ©gislatifs. C’est le cas de l’association Bloom oĂč travaillent Claire et Matthieu, et qui intervient au niveau europĂ©en. Ainsi, elle est parvenue Ă  gagner une bataille contre la pĂȘche en eau profonde. C’est une victoire importante, mais il a fallu des annĂ©es pour y parvenir alors que les nouvelles techniques de pĂȘche ravageaient les fonds sous-marins. A ce propos, Cyril Dion nous dĂ©crit les coulisses des pouvoirs politiques. Il nous rapporte par exemple l’expĂ©rience innovante qui a Ă©tĂ© celle de la Convention citoyenne pour le climat (p 120-123). Et comme il y a activement participĂ©, il nous en montre Ă©galement les limites, tous les obstacles auxquels les propositions de la Convention se sont heurtĂ©es. « Les groupes d’intĂ©rĂȘt privĂ©s ont une influence disproportionnĂ©e sur les dĂ©cisions publiques ». Alors, une pression de l’opinion est particuliĂšrement nĂ©cessaire. Mais pour l’emporter, « peut-ĂȘtre avons nous besoin d’un autre rĂ©cit de ce que l’avenir pourrait ĂȘtre ».

 

Le récit de la croissance et les nouveaux indicateurs.
Rencontre avec Eloi Laurent
(p 127-145)

L’ancien rĂ©cit « fondĂ© sur la croissance Ă©conomique et une certaine conception du progrĂšs est en train de nous entrainer vers l’abime ». C’est ce que nous a longuement expliquĂ© Eloi Laurent, Ă©conomiste Ă  l’OCDE et enseignant Ă  Sciences Po Paris et Ă  l’universitĂ© de Stanford en Californie. ConsidĂ©rant la relation entre Ă©conomie et Ă©cologie, Eloi Laurent a mis l’accent sur l’interaction entre la crise des inĂ©galitĂ©s et la question Ă©cologique en les considĂ©rant comme liĂ©es et jumelles » (p 127). Quel type de dynamique sociale conduit aux crises Ă©cologiques ? Quelle est la source du problĂšme ? « Il est dĂ©sormais absolument clair que la poursuite de la croissance Ă©conomique telle qu’elle est conçue aujourd’hui, engendre la destruction des Ă©cosystĂšmes » (p 129). « Avec ‘Les limites de la croissance’, Ă©crit au dĂ©but des annĂ©es 1970, l’équipe autour de Dennis et Donella Meadows avait une incroyable intuition de ce qui allait se passer » (p 130). Selon Eloi Laurent, les concepts de croissance et de dĂ©croissance ne sont plus pertinents. « Il faut se concentrer sur le bien-ĂȘtre humain. Ce qui compte pour les gens, c’est la santĂ© et les liens sociaux ». Eloi Laurent propose la santĂ© comme l’indicateur fondamental qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siĂšcle (p 153). « Malheureusement, que ce soit le lien social ou la santĂ©, ces deux indicateurs sont mis Ă  mal par l’organisation actuelle du monde ». Eloi Laurent rĂ©pond Ă©galement Ă  des questions sur le capitalisme. Ce qui importe, Ă  son avis, c’est que la puissance publique ne soit pas au service du marché » (p 137). Par ailleurs, des pays comme la Chine et l’URSS ont de trĂšs mauvais bilans Ă©cologiques indĂ©pendamment du capitalisme. Au contraire, Eloi Laurent cite « des petits pays gouvernĂ©s par des femmes, qui ont dĂ©cidĂ© de sortir de la croissance : la Nouvelle-ZĂ©lande, la Finlande, l’Islande et l’Ecosse
 On peut tout Ă  fait dĂ©cider que la richesse, c’est la santĂ©, l’éducation, la biosphĂšre
 C’est en partie ce qu’ont fait les pays nordiques » (p 138).

 

La nature n’existe pas
Rencontre avec Philippe Descola
(p 147-173)

Cyril Dion dĂ©crit ensuite son champ de recherche. « Pour Ă©laborer les directions des projets Ă©conomiques et politiques, il nous faut adhĂ©rer Ă  une lecture (forcĂ©ment subjective), commune du  monde
 (p 143) Ce dont nous avons besoin n’est pas de prouver fiĂšrement que nous sommes capables d’accomplir des exploits, mais de dĂ©tourner le fleuve pour que tout le monde aille dans la mĂȘme direction. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un autre rĂ©cit collectif que celui de la croissance. Qui donne suffisamment de sens et de perspective Ă  l’humanitĂ© pour orienter diffĂ©remment son destin » (p 145). A partir de cet instant, nous avons rĂ©orientĂ© notre quĂȘte. « PlutĂŽt que de continuer Ă  chercher des rĂ©ponses techniques aux cinq causes de l’extinction dans une logique quelque peu mĂ©canique, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă  ce qui pourrait devenir les fondements d’un autre rĂ©cit. Pour cela, nous sommes allĂ©s rencontrer Philippe Descola, sans doute l’un des anthropologues vivants les plus respectĂ©s, disciple de Claude LĂ©vy-Strauss et auteur du livre : « Par delĂ . Nature et culture » (p 146).

Philippe Descola critique le concept de nature. « La nature, c’est essentiellement, ce qui est en dehors de nous les humains ». Elle est ce qui nous permet de regarder de haut tout ce qui est non humain  » (p 151). « La nature est devenue un Ă©lĂ©ment central du monde des EuropĂ©ens ». Ce terme n’existe pas dans d’autres langues. En Europe, nous avons voulu Ă©tablir « une frontiĂšre entre les animaux humains et non humains fondĂ©e sur discontinuitĂ© morale et subjective » (p 152). Mais, affirme Philippe Descola, « les « signes symboliques du langage » ne sont pas les seuls moyens de communication. En AmĂ©rique, les gens pensent que les animaux non humains peuvent former des projets et rĂ©flĂ©chir sur eux-mĂȘmes, qu’ils ont une sorte de subjectivitĂ© que l’on pourrait appeler intĂ©riorité ». Et, pour communiquer avec les animaux, ils intĂšgrent les signes que ceux-ci utilisent » (p 153). « Nous sommes connectĂ©s Ă  tous les Ă©lĂ©ments du monde de façon inextricable » (p 154).

 

Nous faisons partie du monde vivant
Rencontre avec Dr Jane Goodhall (3), fondatrice de l’Institut Jane Goodhall et messagùre de la paix auprùs des Nations unies.
(p 174-192)

« A une Ă©poque oĂč les femmes Ă©taient dĂ©couragĂ©es de poursuivre des Ă©tudes scientifiques
 Jane a eu l’audace d’engager des recherches non conventionnelles – d’abord sans diplĂŽme, puis en passant Ă  l’UniversitĂ© de Cambridge – en menant la toute premiĂšre Ă©tude sur les chimpanzĂ©s dans leur environnement naturel. GrĂące Ă  sa tĂ©nacitĂ©, elle a non seulement vĂ©cu une vie extraordinaire, mais elle a surtout changĂ© notre façon de penser la relation entre les humains et les animaux » (p 171). Parce qu’elle Ă©tait en phase avec la forĂȘt, les arbres, les animaux, Jane a pu entrer en contact avec les chimpanzĂ©s et mettre en Ă©vidence leurs capacitĂ©s, entre autres, l’utilisation d’outils, abolissant la frontiĂšre qui avait Ă©tĂ© Ă©tablie entre cette espĂšce et les humains. Aujourd’hui, Jane nous appelle Ă  une prise de conscience : « Tout au long de notre Ă©volution, nous faisions simplement partie du monde animal. Mais maintenant que nous avons dĂ©veloppĂ© un intellect, et que nous savons que nous dĂ©truisons la planĂšte, notre rĂŽle devrait ĂȘtre celui de rĂ©parer les dommages ». Le message de la GenĂšse devrait ĂȘtre compris comme attribuant Ă  l’homme un rĂŽle d’intendant. « Un bon intendant prend soin de la terre. L’heure est maintenant venue d’utiliser notre fameux intellect pour changer les choses  » (p 188).

 

La bibliothĂšque du vivant
Rencontre avec Dino Martins
(p 196-221)

Le voyage de Cyril Dion s’est poursuivi dans l’exploration du vivant et la comprĂ©hension des Ă©cosystĂšmes. Cyril Dion et son Ă©quipe ont rendu visite Ă  Dino Martins, biologiste et crĂ©ateur du Mpala Research Center au beau milieu du Kenya. Dino Martins est aussi un entomologiste passionnĂ© par la biodiversitĂ© et « plus particuliĂšrement par les plus petites crĂ©atures que sont les abeilles, les termites et les insectes en gĂ©nĂ©ral dont il est un spĂ©cialiste mondial » (p 189). Dino les a accompagnĂ© dans son parc du Kenya Ă  la dĂ©couverte des Ă©lĂ©phants, des girafes et des zĂšbres en libertĂ© dans leur environnement naturel. Ce fut un Ă©merveillement. En cette circonstance, Dino Martins a mis en Ă©vidence l’importance de la biodiversitĂ©. «  Si nous perdions trop d’espĂšces, la vie humaine deviendrait misĂ©rable et nous serions nous-mĂȘmes confrontĂ©s Ă  un risque d’extinction. Chaque espĂšce fait partie de cette toile de la vie oĂč tout est interconnectĂ©. La bibliothĂšque du vivant est ce qui nous maintient en bonne santĂ©, nous nourrit, nous rend heureux » (p 198). Dino dĂ©crit la vie des Ă©cosystĂšmes. Comment les animaux communiquent entre eux ? Comment les diffĂ©rentes espĂšces participent Ă  l’équilibre des Ă©cosystĂšmes ?
Grand observateur des fourmis, Dino nous montre leur activitĂ© incessante. Elles contribuent notamment Ă  la dispersion des graines. « Sans elles, il n’y aurait pas de prairies. Er, sans prairies, pas d’animaux. Ces fourmis font partie de ces Ă©cosystĂšmes depuis des centaines de milliers d’annĂ©es et elles en sont une des espĂšces clé » (p 214).
Dino manifeste son enthousiasme pour tout ce qui est vivant. La faune sauvage « nous rappelle la beautĂ©, la vĂ©ritĂ©, l’amour. Voir des animaux se dĂ©placer dans ce monde est l’une des choses les plus magiques qui soient et je ne me lasserai jamais de les observer » (p 209).

 

La cascade trophique et les superprédateurs
Rencontre avec Liz Hadley
(p 225-249)

L’exploration se poursuit dans une rencontre avec Liz Hadley, responsable de la rĂ©serve naturelle de Jasper Ridge en plein milieu de la Silicon Valley en Californie. Dans cette petite rĂ©serve, la diversitĂ© se manifeste Ă  nouveau dans la variĂ©tĂ© des espĂšces qui s’équilibrent les unes les autres. Et, Ă  cet Ă©gard, on nous montre le rĂŽle que jouent les superprĂ©dateurs, comme par exemple les pumas « en rĂ©gulant les populations de cervidĂ©s, permettent de contrer la maladie de Lyme issue des acariens qui s’attachent aux cerfs » (p 227).

 

Cohabiter avec les loups
Rencontre avec Baptiste Morizot et Jean-Marc Landry
(p 251-300)

Dans ce monde du vivant, comment les humains vont-ils se comporter, en terme de guerre ou de respect envers les espĂšces animales ? Aujourd’hui, en France, les loups reviennent et paraissent menaçants. Effectivement, les Ă©leveurs sont inquiets lorsqu’ils voient les troupeaux attaquĂ©s. Cyril Dion est allĂ© Ă  la rencontre d’un Ă©leveur et il a interrogĂ© le philosophe Baptiste Morizot. Ce dernier s’est interrogĂ© sur notre possible cohabitation avec les loups en expĂ©rimentant sur le terrain, pistant les loups et autres prĂ©dateurs, mais aussi en allant Ă  la rencontre  des Ă©leveurs » (p 249).
Ainsi Baptiste s’implique dans l’approche suivante. « C’est une situation dans laquelle les diffĂ©rents camps sont venus Ă  cohabiter dans les mĂȘmes territoires tout en ayant des intĂ©rĂȘts contradictoires. Ils doivent apprendre des langages communs et trouver des moyens de se faire passer des messages, de traduire leurs comportements mutuels pour entretenir des relations moins toxiques » (p 270).
Baptiste Morizot a Ă©crit un livre : « les diplomates ». Aujourd’hui, le monde vivant nous rappelle qu’il est bien vivant, qu’il n’a jamais Ă©tĂ© un dĂ©cor et qu’il faut agir avec lui avec le mĂȘme degrĂ© d’attention et de sĂ©rieux que nous le faisons avec les altĂ©ritĂ©s humaines
 Le grand enjeu aujourd’hui, c’est de leur rendre justice. Et donc de commencer Ă  apprendre leur langage, Ă  comprendre comment ils vivent pour inventer des modus vivendi. En ce sens, il s’agit de diplomatie » (p 295).

 

Coopérer avec le vivant
L’exemple du Bec Hellouin (4)
Rencontre avec Perrine et Charles Hervé-Gruyer
(p 201-215)

« Cohabiter avec le vivant, c’est non seulement le comprendre et le protĂ©ger, mais c’est aussi le moyen de collaborer avec lui ». Existe-t-il une façon d’habiter cette planĂšte avec une logique de gagnant-gagnant avec le vivant ? Il y a bien une nouvelle logique qui Ă©merge, notamment autour des dynamiques permaculturelles » (p 299).

« A la ferme du Bec Hellouin, on peut dĂ©couvrir une des applications, de la permaculture Ă  l’agriculture, les plus abouties du monde
 La visite mĂȘme du lieu est transformatrice
 L’harmonie des formes, des couleurs, la diversitĂ© des cultures dans un espace si rĂ©duit, le soin apportĂ© Ă  la construction de chaque butte, de chaque mare, de chaque bĂątiment a quelque chose de bouleversant
 De cette organisation profondĂ©ment intelligente peut jaillir la beautĂ© conjuguĂ©e Ă  l’efficacitĂ© crĂ©Ă©e par une forme de symbiose entre les diffĂ©rents systĂšmes qui coexistent » (p 300).

Charles nous raconte l’histoire de la ferme. « La crĂ©ation de la ferme a Ă©tĂ© une vĂ©ritable aventure. Au dĂ©part, notre rĂȘve Ă©tait de vivre en harmonie avec la nature
 Dans cette quĂȘte de beautĂ©, nous avons composĂ© l’ensemble un peu comme un tableau avec beaucoup de petits espaces
 Sans le savoir, nous avons reconstituĂ© un paysage complexe qui favorise les connexions. Puis quelque chose de magnifique s’est produit. On cherchait la beautĂ© et la nature nous a offert un cadeau formidable : la productivité » (p 303). « Cette ferme fait 20 hectares », nous  dit Perrine, « mais nous nous contentons d’en cultiver 5, car nous faisons tout Ă  la main ou avec un cheval de trait
 Une culture sans engrais, sans pesticide, sans produit chimique ou de synthĂšse » (p 302). Charles nous dĂ©crit une trajectoire de dĂ©couverte : « Au fil des ans, nous avons dĂ©couvert qu’en faisant tout Ă  la main, nous pouvions faire pousser plus de lĂ©gumes en moins d’espace. Ce faisant, on libĂšre les 9/10 du territoire pour installer des milliers d’arbres, des haies, des mares, des plantes aromatiques et mĂ©dicinales. Autant de milieux diffĂ©rents, de niches Ă©cologiques qui permettent d’accueillir la faune et la flore sauvage. Nous avons progressivement observĂ© la rĂ©apparition des insectes, des papillons, des vers de terre et des abeilles, mais aussi d’oiseaux en voie de disparition et de plantes indigĂšnes  » (p 302). C’est vraiment une coopĂ©ration avec la nature. « Au dĂ©part, on voulait produire notre nourriture en faisant le moins de mal possible Ă  la planĂšte. Mais un jour, on s’est dit que cette histoire ne tenait pas debout, que ce que nous voulions en rĂ©alitĂ©, c’est produire en faisant du bien Ă  la planĂšte. Depuis, nous faisons tous le jours le constat qu’on peut rĂ©soudre cette Ă©quation difficile qui consiste Ă  cultiver une nourriture de qualitĂ© en rĂ©parant les blessures qu’on a infligĂ© aux Ă©cosystĂšmes » (p 304).

 

Coopérer avec le vivant

Cyril Dion poursuit cette conversation sur la maniĂšre de coopĂ©rer avec le vivant en interrogeant François LĂ©ger, enseignant chercheur en agro-Ă©cologie, longtemps conseiller scientifique de la ferme du Bec Hellouin. A la demande des deux adolescents accompagnant Cyril Dion, la conversation a portĂ© notamment sur la place des animaux dans le systĂšme agricole. Ce fut ensuite une rencontre avec Nicolas Vereecken, professeur d’agro-Ă©cologie et spĂ©cialiste des insectes. Notre intĂ©rĂȘt pour les ruches et les abeilles domestiques ne doit pas nous faire oublier la vie et le rĂŽle des abeilles sauvages qui jouent un rĂŽle important dans la pollinisation. LĂ  encore, il faut envisager la biodiversitĂ©. « Si vous n’aviez pas d’oiseaux, de frelons, d’araignĂ©es, la vie serait beaucoup plus difficile pour nous tous, surtout en Ă©tĂ© parce que vous auriez des surpopulations d’insectes que tous ces organismes aident Ă  contrĂŽler
 La clĂ© de l’écologie, c’est l’interdĂ©pendance et l’équilibre » (p 333).

 

Partout des initiatives

Les entretiens se poursuivent avec des personnalités exceptionnelles en des lieux qui parsÚment la planÚte.
C’est la rencontre avec Lotus Vermeer qui est parvenue Ă  rĂ©tablir la biodiversitĂ© et Ă  ramener des espĂšces dans les Channel Islands sur la cĂŽte de Californie. C’est une rencontre avec ValĂ©rie Cabanes, juriste international qui travaille au contact des peuples indigĂšnes et lutte pour les droits humains et pour le droit de la nature. C’est une rencontre avec le prĂ©sident du Costa Rica qui, par une politique volontariste, est parvenu Ă  rĂ©tablir la couverture forestiĂšre dans son pays, de 20% dans les annĂ©es 1980, Ă  70% aujourd’hui. C’est une rencontre avec Paulino et Paolo Rivera, membres d’une tribu autochtone au Costa Rica, ayant dĂ» abandonner leur lieu d’origine et ayant rĂ©ussi Ă  planter une forĂȘt dans leur nouvel habitat.

 

En mobilisation

En fin de parcours, Cyril Dion nous rappelle l’inimaginable dĂ©fi Ă©cologique auquel nous sommes confrontĂ©s.
« Le pĂ©ril est lĂ  et demande, toutes affaires cessantes, Ă  nous mobiliser comme en temps de guerre »  « Le changement auquel nous devons parvenir, est culturel et structurel « (p 415).

Ce livre nous aide puissamment Ă  penser le monde diffĂ©remment et nous Ă©claire sur les pistes d’action. Tout informĂ© que nous ayons pu ĂȘtre sur les questions Ă©cologiques, nous sortons diffĂ©rents de cette lecture. A travers les entretiens, nous avons dĂ©couvert une multitude de situations et des rĂ©ponses aux questionnements ainsi Ă©veillĂ©s. Avec Cyril Dion et les deux adolescents qui l’ont accompagnĂ©, Bella et Vipulan, nous avons participĂ© Ă  une vĂ©ritable exploration, Ă  une grande Ă©popĂ©e. A travers des flashs significatifs, nous avons rapportĂ© cette lecture enthousiasmante qui vient accompagner un film impressionnant et mobilisateur (5). De quoi envisager ensemble un nouveau rĂ©cit et un projet commun.

J H

  1. Le film « Demain » : https://vivreetesperer.com/le-film-demain/
  2. Cyril Dion Avec la collaboration de Nelly Pons. Animal. Chaque génération a son combat. Voici le nÎtre. Actes sud. Colibris (Domaines du possible).
  3. A paraitre sur ce blog : Jane Goodhall : Une recherche pionniÚre sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique.
  4. Cultiver la terre en harmonie avec la nature (la ferme du Bec Hellouin) : https://vivreetesperer.com/cultiver-la-terre-en-harmonie-avec-la-nature/
  5. Le film : Animal : https://www.youtube.com/watch?v=b0HouR6CYK4

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