Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants.

« Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants » (1), c’est le livre de Christina de Stefano.

« C’est une biographie fascinante d’une pionnière du féminisme, des pédagogies nouvelles et des recherches sur le cerveau de l’enfant » (page de couverture).

Aujourd’hui, à un moment où l’humanité est confrontée à de graves menaces, il est bon de penser au mouvement de fond qui se poursuit depuis plus d’un siècle : une reconnaissance grandissante de la conscience des êtres humains et des êtres vivants jusque là méconnue par l’égocentrisme patriarcal, des femmes, des enfants et, à la limite, du règne animal. Mais, il n’y a pas de doute, la prise de conscience du potentiel du petit enfant, l’accompagnement respectueux de son développement, constitue une émergence de paradigme, une véritable révolution. A cet égard, Maria Montessori est la grande pionnière, tout en s’inscrivant dans le vaste mouvement de l’éducation nouvelle tel qu’il est apparu et se manifeste encore aujourd’hui comme un « printemps de l’éducation » (2).

Maria Montessori est celle qui, au début du XXe siècle, a dépassé les obstacles des conditions et des mentalités qui barraient la route à la reconnaissance d’une voie nouvelle, en proclamant et en démontrant que « l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir ». Reconnaître le potentiel de l’enfant, c’est ne pas lui imposer, d’en haut, une instruction stéréotypée, des méthodes contraignantes, mais observer et accompagner son développement, son mouvement dans une approche personnalisée et la proposition d’un environnement matériel et social approprié. Reconnaître la dimension de l’enfant, c’est apprécier également sa dimension spirituelle. Le petit enfant est un « embryon spirituel ».

Si la pédagogie Montessori n’a pas occupé tout le champ de l’éducation et reste pionnière, sa présence s’est étendue : 200 écoles en France suite à une forte croissance dans les dernières décennies, et 20 000 dans le monde. Maria Montessori a écrit plusieurs livres. Son ouvrage : « l’enfant » fut pour nous une révélation (3), et, sur le web, il y a maintenant de nombreux sites qui présentent la pédagogie Montessori (4).

La pédagogie Montessori est toujours inspirante aujourd’hui. Dans le champ de l’éducation nouvelle, elle inspire des innovations comme celles de Céline Alvarez (5) retracées sur ce blog. Des recherches récentes, impliquant les neurosciences rejoignent les constats de Maria Montessori sur la dimension spirituelle de l’enfant. « L’enfant est un être spirituel » (6). Depuis la fin du XXe siècle, la pédagogie Montessori a même inspiré une nouvelle approche de la catéchèse chrétienne : « Godly Play » (7). On peut ajouter que l’éducation Montessori, à travers certaines de ses caractéristiques : l’attention à la dimension sensorielle, l’écoute, le respect commencent à inspirer aujourd’hui la communication entre adultes (8).

Ce livre de Christina de Stefano est un ouvrage de référence bien étayé, appuyé sur des notes et une bibliographie abondante. Et c’est aussi un livre très accessible réparti dans une centaine de courts chapitres et se déroulant en cinq parties : la construction de soi (1870-1900) ; la découverte d’une mission (1901-1907) ; les premiers disciples (1908-1913) ; la gestion du succès (1914-1934) ; l’éducation cosmique (1934-1952). En constant mouvement, dans des contextes différents d’un pays à un autre, de l’Italie aux Etats-Unis, de l’Espagne aux Pays-Bas et jusqu’à un long séjour en Inde, la personnalité de Maria Montessori apparaît dans sa complexité. Nous nous centrerons sur l’élaboration de « la méthode Montessori » fondée sur l’observation des enfants, ce que nous appellerons : l’invention montessorienne. Cette invention est la résultante de la formation d’une personnalité originale, une forte personnalité qui tranche avec la société dominante de l’époque. Il y a eu là toute une période de préparation. L’invention montessorienne a ensuite suscité des échos, si plus particulièrement dans certains pays, de fait dans le monde entier. Maria Montessori a communiqué sa vision et répandu son message en suscitant l’engagement et le dévouement d’un grand nombre de personnes. C’est une période de diffusion et d’expansion.

 

La préparation

Née en 1870, Maria Montessori a grandi comme fille unique dans une famille de la classe moyenne italienne, chérie par ses parents. « Son père travaille au ministère des Finances, sa mère se consacre à son éducation. Elle lui inculque les valeurs de la solidarité et lui fait tricoter des habits chauds destinés à des œuvres de bienfaisance. Elle l’encourage à s’occuper des pauvres et à tenir compagnie à une voisine handicapée par sa bosse. Peut-être, est-ce pour cela que la fillette caresse l’idée de devenir médecin » (13).

Maria supporte très mal l’école élémentaire. A cette époque, « immobile à son pupitre, on écoute la maitresse pendant des heures et on répète la leçon en chœur » (p 11). « Cette fillette extravertie est, malgré son jeune âge, dotée d’un grand charisme » (p 11). Elle poursuit ensuite ses études dans une école technique où elle réussit sa scolarité. Son père voudrait qu’elle s’inscrive à l’école normale pour devenir institutrice. Mais elle s’y refuse et déclare vouloir devenir ingénieur. « C’est un choix insolite, car les rares jeunes filles qui poursuivent leurs études le font pour enrichir leur culture avant de se marier ou, à la rigueur, pour entrer dans l’enseignement » (p 17).

Mais, encore plus surprenant à l’époque, elle voulut s’engager dans des études de médecine. Si l’esprit progressiste de sa mère la soutient, son père y est défavorable. « A l’époque, dans les milieux bourgeois, on protège jalousement les filles à marier, qui ne sortent jamais de chez elles sans être accompagnées. Il est donc proprement inouï d’imaginer une fille assise seule au milieu d’étudiants de sexe masculin » (p 19). Cependant Maria Montessori parvient à surmonter la barrière sociale et culturelle et à franchir les obstacles. Après avoir accompli des études préparatoires, en février 1992, elle intègre la faculté de médecine. A l’époque, certains professeurs ont des personnalités fortes et des idées avancées. Ils sont engagés dans une action médicale en milieu populaire. Maria les accompagne dans ce bénévolat. « Ayant grandi dans un environnement bourgeois et protégé, Maria n’était pas préparée à ce qu’elle découvre… C’est son « approche du peuple » (p 31). Très marquée par les cours d’un professeur sur la relation entre éducation et folie, elle décide de faire une thèse en psychiatrie sous sa direction. « Entre les cours, l’internat, dans les hôpitaux et l’étude des patients de la clinique psychiatrique en vue de sa thèse, la dernière année d’université de Maria est très intense. Elle obtient son diplôme en juillet 1896 » (p 34).

Maria Montessori va donc entrer dans un univers médical. Elle est assistante dans un hôpital. Et, tous les jours, en sortant de l’hôpital, « elle continue à faire du bénévolat auprès des déshérités de la ville. C’est au contact des enfants pauvres, qui sont les derniers de la société, que nait son attention à l’égard de l’enfance » (p 39).

Il lui arrive de fréquenter l’asile d’aliénés de Rome. C’est un endroit où règne la violence. Au cours de l’une de ses visites, elle découvre les enfants de l’asile. « Jugés incurables et donc enfermés à vie, ces enfants représentent peut-être ce que ce lieu épouvantable a de plus terrible » (p 44). « Maria comprend qu’elle a trouvé là une cause pour laquelle se battre ». Elle s’interroge à partir de la réaction d’une servante. « Si la réaction des enfants ne dépendait pas tant de leur désir de manger que celui d’interagir avec quelque chose » (p 44).

« Jusqu’alors, Maria a été une jeune femme médecin engagée dans les causes sociales et féministes. A partir de là, elle empruntera une voie qui la conduira très loin à parcourir le monde et à prêcher une nouvelle approche de l’enfant. Dans cette salle d’asile de Rome, son intuition lui dit que les petits déficients ont besoin d’un traitement spécifique qui les stimule et les élève » (p 45). Elle demande à en emmener quelques-uns hors de l’asile pour faire des expériences avec eux.

Elle s’intéresse à la pédagogie. « C’est ainsi quelle découvre le travail d’ Edouard Seguin, un français qui, au milieu du XIXe siècle, a mis au point une éducation particulière aux résultats surprenants… Seguin est le grand inspirateur de Maria Montessori et le créateur du matériel didactique à partir duquel elle a élaboré sa méthode » (p 45).

Edouard Seguin a été assistant du Docteur Itard devenu célèbre pour sa tentative d’éduquer « l’enfant sauvage de l’Aveyron ». Itard a pris en charge cet enfant en mettant en œuvre une méthode expérimentale, « faite de patience, d’observation et d’une grande créativité » (p 47). Dans ce sillage, Seguin se voit confier en 1840, ce qui est sans doute la première classe spécialisée de l’histoire, un groupe de jeunes déficients internés à l’asile de Paris. « Débordant d’enthousiasme, Seguin travaille, jour et nuit, pour essayer de communiquer avec eux. Il a décidé de bâtir une éducation complète, systématique, qui part de la sollicitation des sens pour ensuite s’étendre au développement des idées et des concepts abstraits… Pour ce faire, il invente tout un matériel éducatif… ». (p 48). En 1846, il publie un livre qui rapporte son travail. En raison de l’opposition manifestée par le milieu médical français, il émigre aux Etats-Unis.

A la fin des années 1890, un tournant majeur intervient dans la vie de Maria Montessori. Ce fut une rencontre amoureuse avec un collègue médecin Giuseppe Montesano. « Elle, socialiste, dans un sens, lui avec une éthique juive, son important sens moral, sa rigueur… elle trouva dans la douceur de Montesano l’élément complémentaire à son tempérament fort » (p 42). Ils travaillent ensemble. Mais Maria n’envisage pas un mariage. A cette époque, « la condition de la femme mariée est incompatible avec un travail hors du foyer » (p 52). Maria Montessori perçoit le mariage comme un assujettissement. Or elle tombe enceinte. La situation est critique. « A cette époque et dans son milieu, une grossesse hors mariage détruirait sa carrière et sa réputation » (p 51). Finalement à l’initiative de sa mère, les deux familles s’entendent pour masquer l’incident. L’accouchement a lieu à domicile le 31 mars 1898. L’acte de naissance indique que l’enfant est né de père et de mère inconnus. Il est confié à une nourrice éloignée. Maria Montessori accepte donc de se séparer de son nouveau-né. Elle demande au père, Giuseppe Montesano de « prendre soin de leur enfant à distance et de promettre de ne jamais se marier » (p 54 ). Ce dernier manifeste de la bonne volonté, mais il subit les pressions de sa famille et la situation se dégrade. « Tout a basculé en l’espace de quelques semaines. Le 29 septembre 1901, Giuseppe reconnaît légalement son fils. Le 6 octobre 1901, il épouse une autre femme » (p 74). Ce fut un grand chagrin pour Maria. « Ses proches évoquent un moment terrible : elle reste couchée par terre, en pleurs, pendant des jours (p 75)… Elle met fin à tout contact avec Montesano, notamment sur le plan professionnel. « Pour Maria Montessori, commence une longue traversée du désert, au terme de laquelle sa mission lui apparaitra clairement. Celle-ci la conduira à parcourir le monde en tant que théoricienne d’une nouvelle vision de l’enfant » (p 76).

En conséquence de ce grand choc, la vie de Maria Montessori s’est profondément transformée. Elle s’est abreuvée dans une foi intérieure. Cette intériorisation ne l’a pas détournée de ses engagements les plus avancés, sa grande activité au service du féminisme. Et elle a patiemment reconstruit sa situation professionnelle. Ainsi, quelques années plus tard, en 1907, elle a pu développer une grande expérience pédagogique qui va engendrer une nouvelle vision de l’éducation et de la pédagogie, « La Maison des enfants » à San Lorenzo, un quartier démuni de Rome.

En 1901, « plongée dans un silence profond, Maria Montessori traverse un grand moment de crise » (p 79) : un grand chagrin et la perte d’un premier enracinement professionnel. C’est dans ce contexte que Maria Montessori développe « une grande foi ». « La foi catholique, qui, jusque là, faisait simplement partie de sa culture, devient un refuge et une nouvelle manière de regarder la vie, une dimension qui explique et éclaire tout, y compris la souffrance » (p 79). Maria fait de longues retraites spirituelles et fréquente une congrégation religieuse. « Cette période de ferveur religieuse l’aide à contenir sa peine et à rassembler ses forces. Pendant un certain temps, elle mène « une vie de recueillement absolu ». « J’étais animée par une grande foi, et bien qu’ignorant si je pourrais un jour expérimenter la vérité de mon idée, j’abandonnais toute autre activité comme si je me préparais pour une mission inconnue » se souviendra-t-elle par la suite (p 80). Si sa foi s’exprime dans un contexte catholique, elle garde un caractère personnel. Elle inspire son engagement pédagogique et n’exclut pas une confrontation avec les idées conservatrices, tant sur le plan social que sur le plan religieux « En elle, coexistent un profond sentiment religieux, la conviction d’avoir une mission personnelle, le militantisme féministe, un esprit progressiste et indigné, ainsi que la curiosité à l’égard de toute idée nouvelle » (p 98).

Durant des années, l’engagement féministe de Maria Montessori ne s’est pas démenti. En 1906 déjà, elle est choisie comme déléguée italienne au Congrès international des femmes à Berlin. Très engagée dans l’action sociale, « Maria Montessori  était devenue la secrétaire de l’association : « Per la donna »(Pour la femme) crée par un groupe de militantes pour promouvoir un programme très radical : éducation populaire, suffrage féminin, loi pour la recherche de paternité, égalité salariale entre les hommes et les femmes. Comme délégué, Maria a le profil idéal : elle est jeune ; elle est une des première femme médecin en Italie ; c’est une bonne oratrice » (p 35). En 1899, elle représente l’Italie au Congrès international de femmes à Londres. Cependant, après le grand choc qu’elle a subi dans sa vie personnelle, son activité en ce domaine ne se tarit pas. « Elle est en première ligne pour le droit de vote des femmes… Maria dit toujours ce qu’elle pense, y compris quand elle est en désaccord avec les positions de l’Eglise » (p 95).

Au cours de ces années, Maria Montessori reconstruit patiemment son insertion professionnelle. Ainsi, en septembre 1902, elle présente sa candidature pour enseigner l’anthropologie à l’université. « Elle imagine un cours où l’anthropologie serait appliquée à l’éducation, dans le but de fonder une pédagogie réellement scientifique. Au cœur de son projet se trouve un projet révolutionnaire : la classe comme laboratoire d’observation » (p 82).

Elle entreprend de nouvelles études à l’université. Et, à partir d’une nouvelle recherche, elle se qualifie pour enseigner l’anthropologie à la faculté des sciences (p 89). En 1906, elle est appelée à enseigner à la Scuola Pedagogica (École pédagogique) à Rome. « Dans le cours qui lui est confié, intitulé : « anthropologie pédagogique », Maria continue d’expliquer ses idées novatrices sur l’école : la classe laboratoire, l’enfant au centre, l’enseignant comme un scientifique qui observe ». Son inspiration spirituelle apparaît : « Ce qui fait véritablement un enseignant, c’est son amour pour l’enfant. Car c’est l’amour qui transforme le devoir social de l’éducation en conscience plus élevée d’une mission » (p 91).

 

L’invention montessorienne

Ainsi, à travers les expériences, les rencontres, les réflexions, la pensée de Maria Montessori a muri. Elle va pouvoir l ’exercer dans une expérience fondatrice, la création d’une école expérimentale dans un des quartiers les plus mal famés de Rome : San Lorenzo (p 101). En 1904, un organisme nouveau intervient dans ce quartier. Il fait assainir l’ensemble, achève la construction des immeubles, installe des fontaines. Il attribue les appartements et suit leur entretien. Cependant, dans la journée, en l’absence des parents, les immeubles restent aux mains des tout jeunes. « Abandonnés à eux-mêmes, ces derniers se déplacent en bandes et font des dégâts partout où ils passent » (p 102). Talamo, le directeur du plan de rénovation, « pense résoudre le problème en créant un réseau d’écoles maternelles où les jeunes enfants seront accueillis jusqu’au retour de leurs parents, du travail, et de leurs frères et sœurs plus âgés, de l’école ». Il demande à Maria Montessori de coordonner et de diriger ce projet. Elle accepte à condition de disposer d’une liberté totale. « Elle veut transformer le défi de San Lorenzo en une occasion d’expérimenter ses idées sur des enfants qui n’ont encore jamais été en contact avec l’école… En l’absence d’argent, l’école n’est pas organisée comme une école traditionnelle. Pas d’estrade, pas de pupitres, pas d’institutrices qui appliquent les principes appris à l’école normale. Cette école sera d’une nouveauté absolue, où Maria pourra tout structurer à sa manière. Elle décide d’appliquer la leçon de Seguin aux enfants normaux et d’observer ce qui se passe » (p 104).

En l’espace de quelques semaines, elle met le projet sur pied en s’appuyant sur différents courants de la société romaine. Le 6 janvier 1907, Maria Montessori inaugure la première école qui accueille une cinquantaine d’enfants de deux à six ans. C’est un grand jour. Inspirée, Maria évoque une parole biblique : « Lève-toi, sois éclairée ; car ta lumière arrive, et la gloire de l’Eternel se lève sur toi » (Esaïe 60.1). L’école est au rez-de-chaussée de l’immeuble. Elle est formée d’une grande pièce, de sanitaires et d’une cour. Au début, elle est aménagée avec des meubles de récupération… Très vite, Maria fait fabriquer des meubles adaptés à la taille des enfants. « Chaque détail est pensé pour leur autonomie ». « Une amie de Maria, invitée à visiter l’établissement s’est écrié avec enthousiasme : « Mais c’est la maison des enfants ». Ainsi, nait le nom qui, en quelques années, fera le tour du monde et évoquera, à tous, la méthode Montessori » (p 106).

« Maria choisit la fille de la concierge comme institutrice. Elle lui dit de se contenter d’observer et de lui rapporter chaque événement. Elle veut que, dans ce laboratoire pédagogique, tout se révèle de manière naturelle… Les enfants doivent avoir une liberté de mouvement totale… ». « S’appuyant sur l’observation et sur son instinct, elle identifie chaque fois un nouvel élément » (p 107). Ainsi, un jour présentant aux enfants un nouveau né paisible et silencieux, elle les invite à un exercice de silence qui devient un des rituels de la maison des enfants. « Maria Montessori n’élève jamais la voix, elle n’impose pas son autorité. Elle s’assied et attend que les enfants viennent vers elle. Elle répète qu’il faut tout respecter chez eux, y compris le fait que leur corps leur appartient. (p 108). « Dans la Maison des enfants, le corps n’est pas seulement respecté, mais valorisé. Les enfants peuvent déplacer les chaises et les tables tout seuls et aller et venir dans la classe comme bon leur semble. A l’époque, cette approche est révolutionnaire. Maria a l’intuition, confirmée un siècle plus tard, que le mouvement fait partie du processus d’apprentissage » (p 109).

Pour reproduire le matériel de Seguin, Maria Montessori doit trouver les bons artisans. « C’est la première fois qu’elle utilise le matériel didactique avec ces enfants normaux. Les enfants normaux, eux, travaillent seuls. Cette différence représente une première innovation fondamentale vis-à-vis de Seguin » (p 110). « Elle adopte une position proche de celle d’une observatrice extérieure. Cela lui permet de revoir l’ensemble, de repenser la manière d’interagir avec les enfants. Cette étape cruciale la conduira très loin de Seguin, à une nouvelle approche de l’esprit enfantin. Elle montre le matériel et son fonctionnement aux enfants, elle les laisse travailler, tout en les observant ou mieux, comme elle aime le dire, en méditant… Peu à peu, les éléments de sa future méthode prennent forme… deux éléments centraux apparaissent : la nature différente du maître, qui dirige sans s’imposer et la nature différente de l’enfant qui travaille sans se fatiguer (‘Étudier n’use pas, ne fatigue pas, au contraire cette activité nourrit et soutient’) » (p 111). Elle découvre certains aspects de l’activité enfantine comme le rangement. La vie quotidienne entre dans la classe comme l’hygiène et le repas.

Sans cesse, Maria Montessori observe les enfants. Une réalité lui apparaît ; « Elle sent que les enfants recèlent une énorme capacité d’attention qui se manifeste dès qu’on lui place un cadre pensé pour eux et non pour les adultes. Grace à cet état particulier de son esprit, l’enfant apprend de manière plus profonde et définitive ». (p 115). Dès lors, « le pivot fondamental de l’éducation consiste à aider l’enfant à révéler sa véritable nature habituellement enfouie parce qu’elle est opprimée par une école pensée pour les adultes » (p 115). De fait, les enfants travaillent naturellement pour apprendre. Cet apprentissage est actif et intense. Ainsi, lorsque les enfants sont placés dans un environnement adapté, « ils cessent en peu de temps d’être agités et bruyants et se transforment en personnes paisibles, calmes, heureuses de travailler » (p 136). Un siècle plus tard, nous dit l’auteur, les neurosciences « confirment ces observations en identifiant « des fonctions exécutives » : contrôle inhibiteur, mémoire de travail, flexibilité cognitive (p136). Placé dans de bonnes conditions, plus personne n’a besoin de forcer l’enfant à se concentrer en classe. « Quand vous avez résolu le problème de la concentration de l’enfant, vous avez résolu le problème de l’éducation en entier » (p 136). C’est la voie d’une « auto-éducation ». L’auteure met en évidence la conjugaison d’une approche scientifique et d’une approche spirituelle chez Maria Montessori : « Sa conception métaphysique de la vie passe directement dans son approche de l’enfant, être spirituel par excellence, mais aussi dans son attitude en classe. Quand elle est avec les enfants, elle semble être en méditation, observatrice attentive à toutes les surprises… » (p 137).

La réussite de la Maison des enfants est saluée dans la presse. Maria Montessori poursuit le mouvement en créant une deuxième Maison des enfants. Elle choisit une jeune maitresse à laquelle elle donne le nom de directrice. Car elle demande à celle-ci « d’enseigner peu, d’observer beaucoup, et, par dessus tout, de diriger les activités psychiques des enfants et leur développement physiologique » (p 119). Par ailleurs, ce mouvement pédagogique est aussi un mouvement social. Ces écoles « participent à la libération des femmes qui travaillent ».

Dans les premières maisons des enfants, Maria Montessori ne s’est pas préoccupée de la lecture et de l’écriture parce que ces enseignements ont lieu à l’école élémentaire. « Ce sont les enfants de San Lorenzo qui, au bout de quelques mois passés à travailler avec le matériel sensoriel, en demandent plus. Ayant grandi dans un environnement analphabète, ils sentent que les mots écrits sont une clé pour leur avenir » (p 121). Maria développe une initiative. Elle fabrique des lettres mobiles en papier émeri. L’enfant peut suivre la lettre rugueuse du doigt, et ce faisant, il apprend le geste de l’écriture avant même de savoir ce qu’il signifie » (p 122). Les enfants de San Lorenzo accueillent les lettres rugueuses avec enthousiasme. Ils aiment crier le nom de chaque lettre. Ils passent des journées entières sur les lettres en carton. « Ils y travaillent pensifs, concentrés, suivant de leur doigt les lignes rugueuses, murmurant les sons à voix basses, mettant les lettres côte à côte » (p 122). A Noël 1907, deux mois après le début du travail avec les lettres rugueuses, il advient à San Lorenzo l’événement que Maria Montessori baptisera « l’explosion de l’écriture ». Un enfant invité à dessiner une cheminée avec une craie, poursuivit soudain en écrivant un mot. Un grand enthousiasme personnel, puis collectif, accompagna cette prise de conscience. La lecture vint donc en second. Selon Maria Montessori, l’apprentissage précoce de l’écriture représente seulement la partie émergée d’un processus bien plus large : la mise en lumière de la capacité naturelle d’auto-éducation des enfants quand ils se trouvent dans l’environnement adapté ». « L’explosion de l’écriture attire l’attention du monde et transforme en quelques années le système appliqué dans un quartier pauvre de Rome en un phénomène planétaire » (p 126).

 

Réception et diffusion

Aujourd’hui, la pédagogie Montessori est largement connue. Encore relativement peu pratiquée, elle gagne du terrain et, pour beaucoup, elle est source d’inspiration. La biographie de Maria Montessori, réalisée par Christina de Stefano nous permet de comprendre comment cette pédagogie a pu émerger dans une culture au départ peu propice, à travers l’œuvre pionnière d’une personne qui a initié à la fois une nouvelle pratique éducative et une nouvelle vision de l’enfant. Cette innovation, en rupture avec la culture dominante, constitue une « invention » sociale. C’est l’invention montessorienne. A partir de la création de la Maison des enfants de San Lorenzo, la diffusion de l’innovation va se poursuivre et s’étendre dans le monde entier à travers la diffusion de la vision et de la méthode par Maria Montessori. Ce livre se poursuit en relatant la campagne engagée par Maria Montessori pendant des décennies jusqu’à son décès en 1952.

Après un compte-rendu approfondi des chapitres montrant l’émergence de la pédagogie Montessori, nous nous bornerons à donner un bref aperçu de la campagne pour sa promotion à laquelle l’auteure consacre une bonne partie de ce livre.

Au cours des années, Maria Montessori a rencontré et attiré un grand nombre de personnes. Si bien que la troisième partie du livre est intitulé : « Le premiers disciples ». Et ce fut le cas en Italie et très vite à l’international. L’auteure nous décrit les éducatrices qui se sont engagées avec une passion militante. Maria anime un réseau. Elle y sera ensuite accompagnée par son fils Mario avec lequel elle a pu renouer une relation maternelle à partir de 1913 (le fils retrouvé : p 178-181). D’année en année, de pays en pays, les rencontres de Maria témoignent du potentiel d’attraction de l’idéal montessorien. Maria Montessori développe une œuvre de formation. Elle suscite la production d’un matériel éducatif. Cette dernière activité engendre parfois des conflits d’intérêt. Selon l’auteur, la forte personnalité de Maria Montessori peut lui attirer des reproches d’autoritarisme.

Le livre retrace un parcours international. L’action de Maria Montessori s’est exercée en Italie, et, pendant un temps, en Catalogne. Sa vision se répand dans le monde entier et elle est particulièrement bien accueillie dans certains pays. Ce fut le cas aux Etats-Unis durant un long séjour en 1914-1915, et à l’autre bout, en Inde, où elle réside pendant plusieurs années durant la seconde guerre mondiale.

Dans la poursuite de son action, Maria Montessori s’adapte aux différents terrains. Ainsi composa-t-elle avec le fascisme italien à ses débuts. Elle s’est impliquée dans la religion catholique pendant des années tout en gardant une distance vis-à-vis des conservatismes. Elle entretient des relations avec des personnalités très variées quant à leurs convictions philosophiques et religieuses. Dans certaines situations, elle recherche et conjugue les appuis de milieux différents, de congrégations catholiques à une franc-maçonnerie progressiste. Son grand voyage en Inde a été sollicité par le courant théosophique.

« Avec le temps, la vision de Maria Montessori s’élargit de plus en plus. Il ne s’agit plus seulement de changer l’école, mais aussi la société et donc le monde » (p 295). « Pendant les années 1930, Maria Montessori cesse d’être seulement une éducatrice, quoique géniale et très en avance sur son temps, pour devenir philosophe. » (p 297). « C’est à cette époque qu’elle commence à évoquer le concept  d’éducation cosmique – éduquer à une vision d’ensemble grandiose, où chaque homme est lié aux autres et à la planète entière – qu’elle développe dans la dernière phase de sa vie » (p 295). « Son côté mystique n’a pas disparu, tant s’en faut, depuis qu’elle a renoncé à chercher le soutien des autorités catholiques. Il trouve d’autres voies d’expression, plus personnelles et plus libres et converge toujours vers une vision extrêmement respectueuse de l’enfant » (p 296). Sa foi chrétienne est toujours là : « Nous dépendons de l’enfant ; toute notre personnalité vient de lui. Plus que cela, il s’agit, pour ceux qui peuvent le comprendre, d’une réalisation chrétienne, car la supernature de l’enfant nous guide vers le Royaume de cieux. Premier citoyen de ce royaume, il le fut seulement dans les lignes de l’Evangile, sans que cela pénètre l’esprit, la conscience des chrétiens » (p 312).

Durant les dernières années, après un long séjour en Inde où elle fut accueillie comme « la Grande Âme », (p 302-304), elle s’établit aux Pays-Bas où elle continue à répondre aux sollicitations en provenance du monde entier.

Jusqu’à son départ, Maria Montessori est toujours en mouvement. Sur tous les plans, elle traverse et dépasse les frontières comme dans sa réponse à une question dans laquelle on lui demandait quelle était sa patrie : «  Mon pays est une étoile qui tourne autour du soleil et qui s’appelle la terre » (p 315).

Au terme de cette lecture, on constate combien l’auteure de cette biographie, Christina de Stefano a su nous restituer le parcours de Maria Montessori dans sa dynamique et sa complexité. Elle a bien tiré parti « d’une correspondance inédite et de témoignages directs ». Elle nous rapporte une œuvre géniale tout en gardant son esprit critique. Ce livre est ainsi un ouvrage de référence sur Maria Montessori. Et dans une succession de chapitres courts, il se lit d’un trait.

Cependant, ici, nous avons centré notre analyse : mieux comprendre l’émergence de la pédagogie montessorienne. Nous pouvons suivre effectivement une maturation. L’éclosion de la « Maison des enfants est précédée par la redécouverte de Seguin par Maria Montessori et par ses expériences auprès d’enfants déficients. Elle est la résultante d’un engagement social précoce et constant. Elle témoigne d’un esprit d’observation qui s’inscrit dans un parcours scientifique.

Cependant la Maison des enfants est une innovation qui tranche avec la réalité éducative de l’époque. On y voit le surgissement d’une pratique éducative nouvelle. Cette pratique est la conséquence directe d’une nouvelle représentation de l’enfant, le fruit d’un état d’esprit propice à l’émerveillement et empreint de bienveillance et de respect. Ainsi, dans ces premières années, nous assistons à une véritable invention sociale.

On assiste là à un changement de regard. Ce changement permet de découvrir la vraie nature de l’enfant. C’est une vision psychologique et une vision spirituelle. Apprenons à observer, apprenons à regarder, apprenons à nous émerveiller.

J H

  1. Christina di Stefano. Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants. Les Arènes, 2022.
  2. Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un Printemps de l’éducation. https://vivreetesperer.com/et-si-nous-eduquions-nos-enfants-a-la-joie-pour-un-printemps-de-leducation/
  3. Maria Montessori. L’enfant. Ce livre, fréquemment réédité est une belle introduction à la pensée de Maria Montessori. Il fut pour nous comme une révélation
  4. La pédagogie Montessori : https://www.montessori-france.asso.fr/page/155447-la-pedagogie-montessori-une-aide-a-la-vie
  5. Pour une éducation nouvelle, vague après vague : https://vivreetesperer.com/pour-une-education-nouvelle-vague-apres-vague/ Libérer le potentiel du jeune enfant dans un environnement relationnel : https://vivreetesperer.com/liberer-le-potentiel-du-jeune-enfant-dans-un-environnement-relationnel/
  6. L’enfant : un être spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/
  7. Éducation et spiritualité : https://vivreetesperer.com/education-et-spiritualite/
  8. Godly play : Une nouvelle approche de la catéchèse : https://www.temoins.com/godly-play-une-nouvelle-approche-de-la-catechese/
  9. Welcome to DoBeDo. Re-enchanting life through stories, relationship, playfulness and openness to change : https://www.do-be-do.org/
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