D’après N T Wright, exégète et théologien  anglais

Au départ, dans les années 1970, N T Wright (1) est un exégète innovant qui prend en compte le milieu et la culture de l’époque où Jésus a vécu et où l’Évangile s’est propagé. Son parcours s’est poursuivi dans des fonctions pastorales. De 2003 à 2010, il est évêque anglican de Durham. N T Wright a écrit de nombreux livres. Il présente dans leur contexte les livres du Nouveau Testament pour le grand public. Théologien, il met l’accent sur le rôle majeur de Paul (2). Il proclame la réalité fondamentale de la résurrection. Il présente la foi chrétienne à un grand public dans une vision dynamique. Ainsi, dans un livre bien accueilli : « Surprised by Hope », Wright met en avant l’accent sur la Résurrection comme un fondement de l’espérance partagée par tous les chrétiens. Il critique la polarisation sur une conception du salut comme « aller au ciel quand vous mourrez ». Il s’élève contre la doctrine de « l’enlèvement de l’Église », prisée par certains milieux aux Etats-Unis.

Or, en 2019, NT Wright, avec Michaël F Bird vient de réaliser une grande œuvre, un livre de près de mille pages, une « introduction à l’histoire, à la littérature et à la théologie des premiers chrétiens » : « The New Testament and its world » (le Nouveau Testament et son monde » (3). Ce livre est « votre chemin de passage du XXIè siècle à l’ère de Jésus et des premiers chrétiens ». Il « replace le Nouveau Testament et le premier christianisme dans son contexte original ». « Rassemblant plusieurs décennies de la recherche innovante de NT Wright, cet ouvrage présente les livres du Nouveau Testament comme un phénomène historique, littéraire et social localisé dans le monde du judaïsme du Second Temple au milieu de l’univers politique et culturel gréco-romain et à l’intérieur du premier christianisme ». (Page de couverture). Un commentateur peut écrire : « « La grande et hardie interprétation du Nouveau Testament construite par NT Wright parait ici dans un volume accessible ». Cet ouvrage est donc destiné à nous permettre de lire intelligemment le Nouveau Testament, mais son auteur NT Wright désire également que cette lecture compte pour nous aujourd’hui : « Making the New Testament matter for today » (p 878). Ainsi, le dernier chapitre s’intitule : « Bringing it all together ».  En quoi tout ceci nous concerne et importe pour nous ? Nous débouchons ici sur une vision du monde.

 

Rendre le Nouveau Testament pertinent pour aujourd’hui

« Naturellement, le Nouveau Testament porte une foi à confesser ». Cependant, « la vérité dont parle le Nouveau Testament est toujours profondément personnelle. C’est une personne, Jésus, le Messie d’Israël et le Seigneur du monde, Celui dans lequel la vérité de Dieu est incarnée et son projet accompli. En dernière analyse, la vérité biblique n’est pas une série de propositions à mettre dans leur ordre logique. C’est une l’histoire, une histoire qui culmine dans le Messie d’Israël, Jésus, et trouve son issue ultime dans la nouvelle création finale » (p 879). NT Wright situe le Nouveau Testament par rapport à l’Ancien. Les citations de ce dernier ne sont pas tant un mode de preuve. « Les premiers chrétiens se virent eux-mêmes comme s’inscrivant dans des récits de création, l’exil d’Israël et l’espoir d’un nouvel exode dans le récit de l’évangile de l’église »… Ainsi, « Abraham s’inscrit dans une grande histoire, celle d’Israël de telle manière qu’Abraham est le point de départ de l’opération divine de sauvetage, le Messie étant la conclusion dramatique et inattendue en charge de mettre le tout en pratique. La communauté croyante est le peuple à la dimension du monde sous la conduite de l’Esprit ». L’auteur s’interroge sur les résistances de certains vis-à-vis de ce narratif, soit qu’il leur apparaisse comme réduisant la grâce à un simple surplus d’un progrès historique immanent, soit qu’il soit confondu avec une pensée Hégélienne. Mais « quand nous saisissons le monde de la pensée et particulièrement le monde narratif du Second Temple, des juifs, tels que Paul, Pierre et Jean…. nous voyons comment, pour eux, la bonne nouvelle de Jésus le Messie, crucifié et ressuscité faisait sens dans ce monde. Leurs allusions à Adam, Abraham et Israël n’étaient pas des preuves auxquelles ils faisaient appel. Ils savaient plutôt qu’ils puisaient dans une histoire singulière, linéaire. Par exemple, Abraham était perçu comme le commencement de la réponse divine à Adam nécessitant une pleine réponse dans l’accomplissement ultérieur du Messie. De surcroit, il y a une étroite connexion entre Abraham et la maison de David »… « il y a le sens qu’Esaïe 40-55 est maintenant devenu vrai en Jésus et est maintenant en train de devenir vrai dans l’église conduite par l’Esprit. L’œuvre du « serviteur » a accompli le projet divin de mettre fin au long exil d’Israël et de restaurer la création elle-même ». NT Wright met en évidence les oublis qui ont longtemps affecté l’exégèse occidentale et engendré une perte de sens : on avait perdu de vue que « le projet de Dieu à travers Abraham était de sauver la race humaine » et que, pour ce sauvetage, Dieu travaillait à l’intérieur de la création à travers ses « porteurs d’image (« image-bearers ») si bien que sauver les humains du péché et de la mort n’était pas accompli pour leurs seuls bénéfices, mais, de telle manière qu’à travers des humains renouvelés, Dieu sauve la création elle-même ». A la suite des exils d’Israël et des souffrances engendrées, le nouvel exode est le sauvetage d’Israël – dans la personne du Messie qui a vaincu la puissance des ténèbres et est ressuscité des morts – et, avec cela, le sauvetage de la race humaine dans son ensemble » (p 880).

 

Quelle vision du monde ?

« La théologie chrétienne est une théologie narrative (storied theology). Elle parle d’un grand narratif au sujet de Dieu et de la relation de Dieu avec le monde de la création à la nouvelle création avec Jésus au milieu… le narratif concerne un créateur et sa création : des humains faits à l’image du créateur et appelés à réaliser certaines tâches ». Le créateur a agi pour remédier à la rébellion des humains, à travers Israël et à l’extrême à travers Jésus. L’histoire continu : « Le créateur agit par son Esprit dans le monde pour y apporter sa restauration et une nouvelle floraison, ce qui est son but ».

Cependant, « ce narratif constitue également une vision du monde, une manière de comprendre les réalités et les relations dans le monde comme nous les percevons ». « Une vision du monde n’est pas ce que nous regardons, mais ce à travers quoi nous regardons. Elle génère une représentation de la manière dont nous devrions vivre dans le monde et, par-dessus tout, le sens de l’identité et de la place qui permet à des êtres humains d’être ce qu’ils sont. Les visions du monde procurent des réponses généralement non définies et implicites, mais d’autant plus puissantes pour des questions qui commencent avec : « qui ? », « où ? », et « quoi ? », « comment ? », et « quand ? ». Des croyances et des actions émergent de cette combinaison sous-jacente de récits, de symboles, de pratiques, et de questions qui constituent la vision du monde » (p 881).

NT Wright présente alors les réponses apportées par la théologie chrétienne à ces cinq questions qui fondent une vision du monde.

° Qui sommes-nous ? « Nous sommes des humains faits à l’image du créateur. Nous avons des responsabilités vocationnelles qui correspondent à ce statut. Fondamentalement, nous ne sommes pas déterminés par la race, le genre, la classe sociale, la localisation géographique, et nous ne sommes pas de simples pions dans un jeu déterministe ».

° Où sommes-nous ? « Nous sommes dans un monde bon et beau bien que passager, la création de Dieu dans l’image duquel nous sommes faits. Nous ne sommes pas dans un monde étranger et hostile (comme les gnostiques l’imaginent), ni dans un cosmos auquel nous devons allégeance comme à un être divin (comme les panthéistes le suggéreraient) et non plus dans un monde dépourvu de sens (comme l’épicurianisme, ancien et moderne, le suggère) ».

° Qu’est ce qui est mauvais ? « L’humanité s’est rebellée contre le créateur. Cette rébellion reflète une dislocation cosmique entre le créateur et la création et le monde est en conséquence désaccordée avec son intention créatrice. Une vision chrétienne du monde rejette le dualisme qui associe le mal à la création et à la nature physique. Elle rejette également le monisme qui analyse le mal simplement en terme de quelques humains en partie désaccordés avec leur environnement. Son analyse du mal est plus subtile et va plus loin… » Elle refuse également d’ériger en vérité des analyses partielles comme celles de Marx et de Freud.

° Comment ceci peut être mis à l’endroit ? « Le créateur a agi, est agissant et agira à l’intérieur de sa création pour traiter avec le poids du mal amené par la rébellion humaine et ainsi ramener le monde à la finalité pour laquelle il a été fait, c’est-à-dire qu’il résonne pleinement avec sa présence et sa gloire. Naturellement, cette action trouve son centre, son moteur en Jésus et dans l’esprit du créateur ». Les solutions partielles sont écartées.

° Quelle heure est-il ? « De l’ancien Israël aux juifs du second Temple et jusque dans le premier christianisme, il y a toujours eu un sens de là où nous sommes dans l’histoire. Du point de vue chrétien, nous sommes dans le temps de l’accomplissement, le temps où le royaume de Dieu a déjà été lancé d’une façon décisive sur terre comme au ciel à travers l’œuvre de Jésus lui-même. Toutes choses, y compris la mort, sont soumises à son règne. C’est le cinquième acte de la scène cosmique de cinq actes qui commença avec la création, continue avec la rébellion humaine, a vu l’appel d’Abraham et de sa famille, et puis a vu cela porter le fruit ultime en Jésus. L’église menée par l’esprit est appelée à vivre la vie humaine authentique anticipant dans le présent la vie de « l’âge à venir », dans la libération de la puissance du mal qui a été lancée par la mort et la résurrection de Jésus » (p 882).

N T Wright nous montre en quoi la vision du monde chrétienne induit un genre de vie.

« La vision du monde chrétienne engendre un mode particulier d’être au monde ». Et là, l’auteur cite l’épitre à Diognète, écrite par un auteur chrétien de la fin du IIe siècle. Il y est dit que « ce que l’âme est dans le corps, c’est ainsi ce que sont les chrétiens dans le monde, c’est-à-dire : moyens de vie, préservation, guérison et amour répandus dans le monde ».

En fait, dans le cas du christianisme, on pourrait mieux l’exprimer comme étant « pour » le monde puisque, fondamentalement, dans la vision du monde chrétienne, l’humanité s’inscrit dans le dispositif du créateur de prendre soin du monde, et les chrétiens, en particulier, sont en charge d’apporte la guérison dans le monde » (p 882-883). Naturellement, comme pour d’autres visions du monde, ceux qui y adhèrent ne sont pas forcément à la hauteur, mais, en principe, la vision chrétienne du monde incite à la guérison du monde et à l’anticipation de l’accomplissement final.

Quelle sont les croyances de base ? s’interroge NT Wright. Il passe en revue les affirmations de base des premiers siècles. « Inspiré directement par le Nouveau Testament lui-même, le IIe siècle a insisté sur le fait que la rédemption signifiait la réaffirmation de la bonté de la création originelle. Les IIIe et le IVe siècles, faisant à nouveau écho au Nouveau Testament, ont insisté sur le fait que Jésus était et doit être identifié comme incarnant dans une forme humaine le Dieu unique d’Israël. Les IVe et Ve siècle, s’appuyant sur les écrits bibliques ont insisté sur le fait que la vie chrétienne, œuvre et témoignage, était et est elle-même l’œuvre du même Dieu vivant en la personne de son esprit… Le Nouveau Testament fournit ainsi la base pour une théologie et une vision du monde que nous pouvons expliquer et énoncer dans la guidance de l’Esprit, quelques réalités universelles dans l’expérience humaine : la justice, la spiritualité, la relation, la beauté, la liberté, la vérité et la puissance. Une vision chrétienne du monde nous dit ce que ces réalités signifient, qu’en faire, comment nous en réjouir et comment ne pas en abuser. Une vision chrétienne du monde centrée sur ces réalités nous rend capable de nous engager dans une adoration authentique, d’accomplir la vocation chrétienne et de promouvoir l’épanouissement des humains, individuellement et collectivement » (p 884).

 

Une vision du monde qui ouvre un chemin

Ce chapitre se poursuit par deux développements, l’un sur « la mission » et l’autre sur « une manière de vivre chrétien ». Nous y renvoyons le lecteur. Cependant, en lien avec la perspective de NT Wright sur la vision du monde chrétienne, nous l’entendons préciser sa manière d’envisager la mission de l’Église.

« La mission de l’église – ou plus justement la mission de Dieu à travers l’église, la tâche en cours pour laquelle le Dieu vivant envoie et équipe l’église – peut être justement comprise seulement à la lumière d’une eschatologie pleinement biblique. Cela veut dire adopter fermement la vision biblique de la nouvelle création, du nouveau ciel et de la nouvelle terre, inaugurée quand Jésus a annoncé le royaume de Dieu et a ressuscité des morts après avoir vaincu les puissances des ténèbres et appelée à être consommée à son retour en gloire quand il rendra toute chose nouvelle. La mission de l’église dérive de cette inauguration, dynamisée par le même esprit par le pouvoir duquel Jésus est ressuscité et elle pointe en avant vers cette consommation, l’anticipant, démontrant sa vie transformant la réalité même dans le moment présent, et appelant les hommes, les femmes et les enfants à prendre part à la vie nouvelle commune et personnelle qui est déjà une réalité et qui sera pleinement réalisée à la fin… Dans cette perspective, le rôle de l’église est de proclamer le seigneur Jésus, d’appeler les gens à le suivre avec foi, à nourrir les croyants de manière à ce qu’ils deviennent de saint disciples et pratiquent la miséricorde et la justice dans chaque contexte et chaque environnement… » (p 884).

 

En espérance

Ce chapitre s’achève par une grande évocation de l’espérance qui vient nous éclairer au milieu des ombres que nous rencontrons en chemin et dans l’écart que nous ressentons parfois ente la vision et le vécu quotidien. « En Romains 15.4, Paul nous indique que le but de l’écriture est de nous permettre d’avoir une espérance. Il parlait naturellement des écritures d’Israël, mais le même rôle est dévolu aux premiers écrits chrétiens. Si il en est ainsi, alors, un but éminent de l’étude du nouveau Testament est d’expliquer et d’éclairer la substance de cette espérance. En fait, nous pourrions même dire que la mission de l’église est de partager et de refléter l’espérance future telle que le Nouveau Testament la présente ». Cette espérance n’est-elle pas à porter dans un monde plus ou moins désespéré, là où on voit « les effets du chaos financier global », là où il y a « du chômage et des familles brisées », là où « les réfugiés se sentent étrangers et méprisés », là où « l’injustice raciale parait hideusement naturelle et où la xénophobie fait partie de la rhétorique politique habituelle ». Et NT Wright continue d’énumérer les situations marquées par la souffrance sociale,… « un monde dans lequel les riches ne cessent de devenir plus riches et les pauvres  ne cessent de devenir plus pauvres ». « L’église dans la puissance de l’esprit doit marquer dans sa vie et son enseignement qu’il y a plus pour être humain que la simple survie, plus que l’hédonisme et le pouvoir, plus que l’ambition et la distraction… Il y a quelque chose de plus puissant que l’économie et les bombes ». « Il y a une manière différente d’être humain et elle a été lancée, d’une façon décisive par Jésus. Il y a un nouveau monde et il a déjà commencé et il œuvre par la guérison et le pardon, et se manifeste à travers de nouveaux départs et une fraiche énergie ».

« L’église, parce qu’elle est la famille qui croit en la nouvelle création, une croyance constamment réaffirmée dans le Nouveau Testament, devrait se manifester dans chaque ville et chaque village comme l’espace où l’espérance éclate. Non pas seulement l’espérance qu’il y a quelque chose de meilleur dans l’au-delà : plutôt, une croyance que le nouveau monde de Dieu a été semé, comme des graines dans un champ et qu’il est déjà en train de produire des fruits surprenants. La vie du nouveau monde a déjà été déchargée dans le temps présent. Et ce que nous faisons comme résultat de cette vie, cette énergie et cette direction données par l’esprit, est déjà en soi, une partie du nouveau monde que Dieu est en train de créer. Quand cette espérance prend racine, l’histoire racontée par l’ensemble du Nouveau Testament prend vie à nouveau et à nouveau, à travers Jésus et par son esprit. Le nouveau monde est né ». (p 889).

Inspiré par une connaissance intime du Nouveau Testament, NT Wright développe une théologie qui va de pair avec une vision chrétienne du monde et l’espérance qui l’accompagne. Dans la perspective de NT Wright, à partir de la mort et de la résurrection de Jésus, en réponse aux attentes prophétiques, nous sommes engagés dans une nouvelle création et appelés à participer à « un nouveau monde ». Certes, dans notre actualité si brutale, ce « nouveau monde » est parfois difficile à reconnaitre. A nous d’en faire l’expérience et de le découvrir. Cette dynamique théologique vient bousculer une piété repliée sur elle-même et exclusivement tournée vers un salut individualiste. Ainsi l’auteur émet un reproche : « Nous avons Platonisé (suivant la philosophie de Platon) notre eschatologie, substituant les âmes allant au paradis à la nouvelle création promise » (p 878). Cette théologie se fonde sur une histoire et accorde une grande importance à l’église. On peut envisager l’œuvre du Saint Esprit, au-delà. Engagée dans le monde, cette théologie a été bien reçue dans les milieux de l’Église émergente, comme il en a été de même pour la théologie de Jürgen Moltmann, théologie elle aussi à dimension eschatologique. Ce fut dans sa « théologie de l’espérance » que Jürgen Moltmann rencontra une vaste audience (4) et le texte de NT Wright sur la vision chrétienne du monde s’achève par un accent sur l’espérance.

J H

 

  1. N T Wright. Wikipedia. The free encyclopedia: https://en.wikipedia.org/wiki/N._T._Wright
  2. Paul : sa vie et son œuvre, selon NT Wright : https://vivreetesperer.com/paul-sa-vie-et-son-oeuvre-selon-nt-wright/
  3. N T Wright. Michaël Bird. The New Testament in its world. An introduction to the history, literature and theology of the first Christians. Zondervan, 2019
  4. Quelle vision de Dieu, du monde, de l’humanité en phase avec les aspirations et les questionnements de notre époque ? Genèse de la pensée de Jürgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/quelle-vision-de-dieu-du-monde-de-lhumanite-en-phase-avec-les-aspirations-et-les-questionnements-de-notre-epoque/
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