par | Mar 17, 2013 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
L’approche pédagogique de Britt-Mari Barth
A travers ses recherches et les livres dans lesquels celles-ci sont exposées, Britt-Mari Barth propose une nouvelle manière d’enseigner. Mais, en quoi les pratiques traditionnelles deviennent-elles aujourd’hui contre productives ?
Les pratiques traditionnelles deviennent contreproductives dans ce sens qu’elles ne prennent pas en compte ce qu’on sait aujourd’hui sur la façon dont on apprend. Traditionnellement, le savoir est conçu comme un « contenu » qu’on expose à des élèves qui doivent écouter passivement et prendre des notes – pour ensuite mémoriser ce contenu – on présuppose que c’est la clarté du l’exposé qui compte. Si le « message » est clair (cf le schéma de la communication de Shannon) et si l’élève est attentif et écoute, il devrait apprendre. Dans cette approche , c’est le message qui compte, on ne s’occupe pas de la manière dont l’élève va recevoir ce message, s’il l’a compris ou pas, si cela fait sens pour lui ou non. C’est comme si les mots étaient le sens et qu’il suffit de les apprendre pas cœur pour avoir « appris ». Mais pour apprendre, il ne suffit pas de mémoriser des réponses, il faut comprendre le sens – et cela demande une autre approche pédagogique. La compréhension et la capacité d’agir avec le savoir devient d’autant plus important que nous prenons conscience des défis nouveaux qui marquent notre temps. Tous les futurs citoyens ont besoin de comprendre les enjeux de la société aujourd’hui. L’information est disponible par un simple clique, mais les élèves ont besoin de savoir faire des liens, de comprendre et de poser les bonnes questions, de localiser et de choisir l’information pertinente, de la vérifier,de s’en servir… Il s’agit là des capacités intellectuelles qu’on doit apprendre et s ‘exercer à mettre en oeuvre à l’école.
Britt-Mari Barth a un parcours original, puisque de nationalité suédoise, elle est venue s’installer en France. Mère de trois enfants en âge scolaire, elle a porté un regard neuf sur l’enseignement français. A partir de là, elle a commencé à imaginer une pratique innovante.
Justement, je voulais inviter les élèves à participer à des activités qui les incitaient à réfléchir, à chercher à comprendre, à participer à des interactions, à trouver un intérêt à cette recherche de sens, un peu comme des chercheurs le font… Pour cela j’ai conçu des « scénarios », qui peuvent se comparer à des jeux de société, avec des règles qu’il faut suivre pour atteindre le but. Ces scénarios proposent une activité à laquelle les élèves participent, en collaboration avec les autres, pour produire quelque chose qui a du sens pour eux. L’activité doit avoir un début et une fin, offrir quelque défi, sans être trop difficile. Il faut que les élèves comprennent le but de l’activité, et qu’ils sachent que l’enseignant est là pour les aider en cas de besoin et qu’on a le droit à faire des erreurs. En expérimentant ces scénarios en classe, on pouvait remarquer que non seulement les élèves apprenaient mieux – ils comprenaient le sens de ce qu’il fallait apprendre – mais ils y prenaient plaisir ! Du coup, ils s’en souvenaient mieux et pouvaient mieux se servir de ce qu’ils avaient appris – et ils prenaient confiance en leur capacité d’apprendre.
Britt-Mari Barth est devenue progressivement chercheur en pédagogie. Elle en est venue à proposer une nouvelle approche pédagogique. Quelles en sont les caractéristiques ?
En observant ce qui se passait en classe, j’ai voulu mieux comprendre les raisons de cette « réussite » : quelles étaient les conditions mises en œuvre qui avaient favorisé les apprentissages ? J’en ai trouvé cinq , qu’on pourrait appeler les « points incontournables » pour l’enseignant afin de guider les élèves vers la co-construction du sens.
Les deux premières conditions se trouvent en amont de « la leçon ». Elles soulignent l’importance de bien définir le savoir à enseigner et ceci en prenant en compte la façon dont les élèves doivent faire la démonstration de leur compréhension. Apprendre quoi ? Pour faire quoi ? L’enjeu pour l’enseignant est de ne pas avoir une conception trop statique du savoir, sous forme d’une définition abstraite, mais de savoir le transformer en des situations qui le rendent vivant, qui donnent accès au sens. Pour cela, il faut des situations ou des exemples vairés, permettant à chacune de cibler le sens. Tous les savoirs peuvent s’exprimer dans des formes et des langages différents, il s’agit de multiplier et de varier ces formes selon le contexte et le but recherché. Ces situations du savoir-en-action véhiculent le sens d’une façon plus directe que des explications abstraites. Les situations-exemples sont donc une entrée pour se familiariser avec un contenu abstrait. Des contre-exemples, par leur contraste, peuvent aider à cerner, limiter le sens. Car, in fine, il s’agit de pouvoir exprimer le sens avec les mots justes – mais le sens n’est pas un déjà-là. Il faut que chacun le construise.
La troisième condition souligne l’importance de solliciter l’intention d’apprendre des élèves. Le rôle de l’enseignant est ici essentiel. C’est son propre engagement et son invitation aux élèves à relever un défi qui vont d’abord leur donner envie de se lancer dans les activités proposées. Mais les élèves ont également besoin de se sentir en sécurité lors des situations d’apprentissage, de savoir que l’enseignant est là pour les aider. Cette attitude, ou posture de l’enseignant est au cœur de l’approche et les « scénarios pour apprendre » sont conçus dans cet esprit. La motivation peut alors se construire au fur et à mesure que le travail avance et que les élèves y trouvent un sens personnel.
La quatrième condition met au centre la façon dont l’enseignant sollicite, guide et accompagne la réflexion des élèves. Il le fait en leur proposant de bons supports pour la pensée – avec quoi et avec qui les élèves vont-ils penser ? … C’est dans l’espace même de l’activité réflexive et du dialogue que le sens s’élabore, l’attention des élèves étant guidée par le choix et l’ordre des exemples, par le contraste des contre-exemples, par les questions et l’écoute de l’enseignant. L’incitation systématique à justifier sa réponse oblige à anticiper la cohérence de ses propos et invite à l’argumentation. On n’est plus uniquement dans un « monde sur papier », un monde abstrait, mais dans une activité collective qui conduit à relier – dans un aller-retour continu – la connaissance abstraite à son référent concret. On passe par les expériences contextualisées pour les insérer dans une unité plus large qui lui donne sens.
Progressivement, les élèves comprennent que ces « outils de pensée » sont valables dans d’autres situations. Ce qui nous amène à la cinquième condition.
La cinquième condition nous mène vers la métacognition. Celle-ci consiste à faire un retour réflexif sur sa pensée pour en prendre conscience. La métacognition a pour but d’élargir le champ de la conscience des apprenants et donc leur capacité à réutiliser ce qu’ils ont appris dans des contextes différents. Elle permet ainsi de devenir davantage conscient de ce que l’on sait, de comprendre comment on a appris, ce qui permet, progressivement, de mobiliser ses connaissances et de reproduire ces processus dans un autre contexte.
Ces cinq « points incontournables » :
– définir le savoir à enseigner
– exprimer le sens dans des formes concrètes
– engager les apprenants
– guider le processus
– préparer au transfert des connaissances
peuvent alors constituer une grille d’analyse pour guider le travail de l’ enseignant.
La recherche de Britt-Mari Barth s’est immédiatement inscrite dans une perspective internationale. Ainsi a-t-elle pu bénéficier de l’apport de quelques chercheurs réputés. En quoi cet apport a-t-il éclairé cette recherche ?
J’ai eu de la chance, dés mes débuts, de rencontrer des œuvres et des personnes qui ont guidé et inspiré mon travail. D’abord, Jerome Bruner, psychologue américain, un des pionniers de la psychologie cognitive et qui a changé notre vision du développement humain. A une époque où l’inconscient de Freud était au programme dans la formation des enseignants, l’idée de la conscience , avec la métacognition (revenir sur sa pensée pour en prendre conscience), est venue nous surprendre. Bruner montrait l’importance de « l’attention conjointe » pour pouvoir penser ensemble et d’avoir une structure d’interaction pour guider et soutenir la réflexion. Plus tard, j’ai connu Howard Gardner qui était un des premiers théoriciens à nous faire la démonstration qu’il n’y a pas qu’une seule « intelligence générale » qui fonctionne partout : on l’a ou l’on ne l’a pas, et cela se mesure en Q.I. dès l’âge de trois ans … Au contraire, il y a des « potentialités » de modes cognitifs différents et multiples, qui s’expriment dans diverses tâches ou divers contextes culturels. Il n’y a donc pas d’ « intelligence pure » qui s’exercerait hors contexte. Pour être « intelligent » dans un domaine donné, il faut apprendre à utiliser les langages symboliques qui expriment chaque domaine de savoir. D’où l’importance de bien les enseigner. Par ailleurs, chaque intelligence peut être mobilisé dans un large ensemble de domaines. Cela invite à varier les activités et le contextes jusqu’à ce qu’on ait atteint un « terrain commun » d’où le sens peut émerger . Ce dernier point me semble très important et c’est le biologiste Francisco Varela qui m’a permis de bien le comprendre. Il montre que chaque personne a une structure cognitive interne qui se développe de façon autonome, il faut donc respecter cela si l’on veut amener un élève à changer de « structure », de compréhension…
Les propositions de Britt-Mari Barth intervient à une époque où les représentations et les comportements changent constamment. En quoi cette nouvelle manière d’enseigner répond-elle au changement dans les mentalités ?
Nous sommes beaucoup plus conscients aujourd’hui du besoin des interactions pour apprendre. Nous n’apprenons pas seuls, nous apprenons par interaction, avec les autres et avec les « outils de pensée » que notre environnement nous rend accessibles. Cela se remarque d’autant plus aujourd’hui que nous vivons une mutation technologique, une révolution portée par le numérique, une « « culture multi-média ». Issus de cette « cyberculture », qualifiés de « digital natives », les élèves ont également changé et ils ne viennent plus à l’école avec les mêmes attentes – et l’école ne peut plus l’ignorer. Ils sont experts en nouvelles technologies et ils ont l’habitude d’être en communication constante sur les réseaux sociaux. Il y a un rapport nouveau au savoir et à l’apprentissage, élèves et professeurs ont accès aux mêmes informations. Les mutations actuelles de notre société laissent penser que la nature de l’enseignement et de la formation va être amenée à changer radicalement. Cela ne veut pas dire que l’école est moins indispensable qu’avant, mais les rôles des enseignants et des élèves ont changé. Les propositions que j’ai faites vont dans ce sens, elles offrent plus de place aux élèves « d’apprendre ensemble », de participer activement à la construction de leur savoir.
Britt-Mari Barth travaille avec des professeurs innovants, mais ses livres s’adressent à tous les enseignants. Comment ses idées sont-elles reçues ?
Au fil des années, j’ai formé un grand nombre d’enseignants, y compris dans les classes. J’ai été agréablement surprise de l’enthousiasme avec lequel les enseignants ont reçu ces « outils » et les ont mis en œuvre à leur manière. Je pense que cela s’explique par le fait que quand la confiance mutuelle s’installe dans une tâche avec un but commun, un langage commun, avec des outils pertinents qui permettent une certaine prise sur la réussite de l’entreprise, cela donne une forte motivation de s’impliquer, intellectuellement et affectivement. Et ce sont là les conditions premières pour qu’un apprentissage ait lieu. Le rôle de l’enseignant change. Au lieu d’exposer son savoir, il le met au service des élèves pour qu’ils puissent construire le leur. Il devient un médiateur entre les élèves et le savoir, celui qui organise des rencontres avec ce dernier, dans ses formes vivantes, pour que tous les élèves puissent interagir avec ce savoir et entre eux. Il est à la fois l’inspirateur et le catalyseur, le modèle et l’accompagnateur… c’est un rôle plus exigeant mais plus valorisant.
Les usagers de l’enseignement : élèves, étudiants, parents, sont évidemment particulièrement concernés. Comment peuvent-ils participer à ce grand changement ?
Quand les élèves ou les étudiants deviennent plus conscients des méthodes et des outils pour apprendre, ils deviennent plus autonomes et développent une plus grande aptitude à agir. Ils se sentent plus auteurs de leurs apprentissages et peuvent devenir plus responsables – pour eux-mêmes et, pourquoi pas, pour les autres. Ils peuvent travailler entre eux, à l’aide des outils numériques, par exemple, en posant des questions… Avec une vision plus claire de ce que le savoir leur permet de faire, comme par exemple résoudre un problème, analyser une situation ou une lecture, porter un jugement sur un événement qui se passe…les apprentissages scolaires prennent plus de sens pour eux, ils peuvent en parler avec les parents qui peuvent également apporter leur pierre à ce « savoir en construction ». La diversité, au lieu d’être un obstacle, peut devenir un atout pour enrichir les connaissances.
L’enseignement joue un rôle majeur dans notre société. Quelle vision, Britt-Mari Barth nous communique-t-elle ?
Le nouveau « enseignant-médiateur » a changé la vision qu’il avait des apprenants, il ne se pose plus les mêmes questions, il ne conçoit plus son rôle de la même façon. Il ne se pose plus la question de savoir si l’on a «couvert le programme », si les élèves sont attentifs, motivés, « bons », ou non. Ses questions concernent plutôt la manière dont on peut utiliser les moyens qui existent (y compris les outils numériques) pour outiller les élèves à mieux penser et à mieux apprendre et à apprendre avec plus de plaisir : comment on peut les stimuler, leur proposer des défis, leur donner envie d’apprendre… La motivation – et la confiance en soi – conçue comme une disposition à relever des défis, prendre une initiative, ne pas craindre les erreurs, avoir de la persévérance… peut ainsi se construire. Ce n’est pas nouveau en soi, c’est ce que les « bons enseignants » ont sans doute toujours fait… Mais il faudrait devenir plus conscient de ce que fait « un bon prof », comment il s ‘y prend… dans quel but… et former tous les enseignants à se poser de telles questions et à être outillés pour y répondre.
Contribution de Britt-Mari Barth
Britt-Mari Barth est professeur émérite à l’Institut Supérieur de Pédagogie de l’Institut Catholique de Paris où elle enseigne depuis 1976 . Ses travaux s’inscrivent dans une approche socio-cognitive de la médiation des apprentissages et ont débouché sur une approche pédagogique connue sous le nom de « Construction de concepts ». Ses travaux sont exposés dans deux livres fondamentaux : « L’apprentissage de l’abstraction » et « Le savoir en construction » publiés aux Editions Retz. Britt-Mari Barth vient de publier un nouveau livre : « Elève chercheur, enseignant médiateur. Donner du sens aux savoirs » aux Editions Retz et aux éditions Chenelière, Montréal. Ses écrits sont traduits en huit langues.
http://www.editions-retz.com/auteur-1127.html
par | Août 30, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Témoignage sur une vie de quartier.
Yves Grelet est retraité. Prêtre marié, il milite activement, avec son épouse, Marie Christine, dans plusieurs associations locales à Bezons, une ville ouvrière de la région parisienne en pleine transformation. Il nous parle de cette ville qui a une tradition associative particulièrement dynamique. « Ville ouvrière depuis l’ère industrielle, Bezons a été très vite marquée par une vie syndicale et politique de gauche, et notamment par une forte implantation du parti communiste. La première fête de l’Humanité s’est déroulée à Bezons. Aujourd’hui, le parti socialiste est devenu majoritaire ».
Yves Grelet habite dans la cité du Colombier, un quartier où la mixité est importante au niveau de l’habitat (HLM et copropriété), au niveau de la composition sociale (populations de provenances géographiques très diverses, avec une proportion assez forte de familles d’origine maghrébine ou africaine). Dans cette population immigrée, les enfants sont nombreux et le chômage a un impact important chez les jeunes.
Grâce à la vie associative, les difficultés provoquées par la situation économique et sociale sont prises au sérieux, nous rapporte Yves Grelet. Le Centre social abrite le siège de plusieurs associations, (des groupes de femmes, de jeunes, ou de loisir). La participation nombreuse aux fêtes témoigne de la volonté et de la joie d’agir pour un vrai « vivre ensemble ». Plusieurs familles s’impliquent.
Récemment, les enfants du quartier ont été invités à réaliser « un germoir » (1). Des animateurs les ont aidés à semer des graines qui permettent d’introduire la vie végétale dans un environnement urbain en pleine transformation. Les plantes, c’est la vie. Il est bon d’appendre à les respecter…
Il y a aussi toute une activité d’échanges de savoirs. On partage les compétences en cuisine, en couture, en apprentissage des langues…
Une équipe d’« Action sociale », en lien avec la municipalité, accueille et oriente les personnes en difficultés.
Yves observe les changements en cours et cherche à en évaluer les effets.
« Aujourd’hui, ici comme ailleurs, le chômage bat son plein. Pourquoi ? Une des raisons me saute aux yeux. Lorsque j’observe les constructions des nouveaux immeubles, je suis émerveillé par l’intelligence des nouveaux procédés de construction, aussi bien au niveau des méthodes que des engins utilisés. Je remarque aussi la grande fierté des techniciens acteurs dans ces réalisations impressionnantes. Mais une question se pose à partir de là : Que sont devenus, que deviendront demain ceux qui autrefois pouvaient participer de leurs mains au travail du bâtiment ?
A la fin de l’année, un nouveau tramway, le T2 , transportera vers La Défense les personnes qui utilisaient jusqu’ici leurs voitures, mais aussi de nombreux autobus. C’est un grand progrès, car cela va supprimer d’énormes embouteillages et également faciliter l’implantation de nouvelles entreprises. Mais, en même temps, certains des actuels emplois de chauffeurs de bus vont être supprimés…
Au total, face à la disparition des anciens métiers, comment permettre aux gens sans qualification d’échapper au chômage ?
Dans cet entre-deux difficile entre l’ancien et le nouveau, on observe une évidente détérioration du tissu social.
Par ailleurs, un problème commence à se poser ici avec acuité. Du fait de la démolition récente d’anciens immeubles environnants où ils pratiquaient et de l’augmentation croissante du chômage, certains dealers se sont « rabattus » sur ce quartier, au point qu’il deviendra peut-être nécessaire un jour de l’inscrire comme « zone prioritaire de sécurité ».
Dans la ville, avec l’appui de la municipalité, le Mouvement ATD Quart Monde s’est implanté depuis deux ou trois ans. Yves y participe pour une part. Le but d’ATD se définit par ses initiales: « Agir Tous pour la Dignité ». Joseph Wresinski, son fondateur, précise : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».
Grâce à quelques bénévoles bezonnais d’ATD quart monde une « bibliothèque de rue » a été créée pour les enfants : c’est un temps où se partage le plaisir de lire avec les enfants, un moyen de faire grandir le goût des livres indispensable à tout apprentissage et découverte, et une occasion offerte à tous, les lecteurs, enfants, animateurs, parents, habitants, de se rencontrer et de se connaître.
Avec ATD Quart Monde également, plusieurs personnes en situation difficile participent chaque mois à l’Université Populaire. Cette université n’est pas un lieu où on suit un cours, mais un lieu de « parole », où on s’exprime et où on écoute les autres. Un thème est proposé pour chaque réunion. Ce thème est commun à la dizaine de groupes ATD implantés dans la région parisienne et qui se rencontrent un soir par mois sur Paris pour échanger leurs observations et propositions. Les thèmes sont variés, par exemple : Quelle école pour une société juste – L’amitié et la fraternité – Droit de vote politique et refus de la misère – Quel combat hier, aujourd’hui et demain contre la grande pauvreté – La vieillesse… Deux accompagnateurs bénévoles assurent le suivi du groupe : Jean-Claude, l’animateur, permet l’expression de chacun. Yves est chargé de prendre note très fidèlement de ce que les gens expriment et de les retranscrire ensuite.
Grâce à ATD Quart Monde, entre autres, on a pu voir plusieurs personnes en difficulté issues du quartier s’insérer concrètement dans la vie collective : elles participent à la lutte contre les logements insalubres et pour l’application réelle, dans le Val d’Oise, de la loi imposant 20 % minimum de logements locatifs sociaux dans les communes de plus de 20.000 habitants. On les a vus aussi dans les manifestations organisées pour la défense de l’hôpital d’Argenteuil (dont les services sont régulièrement menacés de fermeture).
Enfin, Yves Grelet nous parle de ce qui l’anime profondément.
« Je viens d’une famille populaire. Mon père, militant ouvrier, nous a transmis cette fierté de lutter contre les injustices. En Anjou, il a monté autrefois de nombreuses sections syndicales et participé à la création de deux coopératives ».
Pour Yves, le message de l’évangile cité en Matthieu 25 représente une référence majeure. Il la traduit aujourd’hui ainsi : « J’étais sans papiers : vous m’avez aidé à connaître et défendre mes droits d’étranger. J’étais sans abri : vous avez manifesté pour faire respecter le droit à un logement décent. J’étais malade ou handicapé : vous m’avez visité, vous avez agi pour me permettre l’accès aux soins et à la vie sociale. J’étais une femme battue : vous m’avez écoutée, accompagnée et défendue. J’étais dans la misère : vous m’avez fait connaître des associations humanistes solidaires. J’étais isolé : vous m’avez ouvert aux droits d’expression, à la culture, aux transports… J’avais faim et soif de justice, mais peur de m’engager : vous m’avez encouragé à oser ».
Yves reconnaît l’influence sur lui d’un grand spirituel, Maurice Zündel qui a écrit : « On comprend dès lors pourquoi Jésus pousse l’identification jusqu’au Jugement dernier. « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais en prison, j’étais en haillon, j’étais informe. C’était moi en chacun, c’était moi ! Ce que vous avez fait à chacun, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25. 35-40). Et voilà le Jugement dernier : votre attitude envers l’homme, c’est elle qui décide de tout ».
En écho, Yves ajoute : « Là est la vraie fidélité à l’essentiel : le « sacrement du frère », n’est ce pas ? ».
Contribution de Yves Grelet
(1) Fin juin 2012, le chantier du « germoir » a été mis en oeuvre à Bezons par une association engagée dans une recherche active en agriculture urbaine: « Les Saprophytes », « collectif poético-urbain »
par jean | Juin 3, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
La bonté humaine. Est-ce possible ?
La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte.
Quel est notre regard sur l’homme, sur l’humanité ? Comment nous représentons-nous les êtres humains ? Plutôt négativement ou plutôt positivement, plutôt avec méfiance ou plutôt avec confiance ? L’orientation de nos représentations va influer sur nos comportements.
Pour certains, l’homme est plutôt mauvais. Le jugement est sévère. L’attention se porte principalement sur le mal qu’il engendre ou a engendré. Cette condamnation se manifeste dans des théories philosophiques ou religieuses, et jusque dans des approches qui se veulent scientifiques. Dans la vie quotidienne elle-même, une critique généralisée prévaut. Elle débouche sur le cynisme. La défiance l’emporte. Ce pessimisme engendre démobilisation et absence d’espoir.
Pourquoi ce livre,
Bien sûr, dans la réalité humaine, les opinions ne sont pas aussi tranchées, mais il y a bien des orientations dominantes. Le choix que nous faisons en la matière ne relève pas seulement de notre réflexion. Il a des implications majeures pour nous-même et pour les autres. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte intitulé : « La bonté humaine » (1) nous concerne tous. Pour certains, un tel énoncé est presque une provocation. Ils n’y voient qu’idéalisme, voire une idéologie opposée. Pour d’autres, attentifs à voir la bonté autour d’eux, ce titre répond à une attente. De fait, l’auteur nous apporte un éclairage, car il s’appuie sur une approche scientifique pour mettre en lumière : « altruisme, empathie, générosité » dans les comportements humains.
Il nous explique comment il a été amené à écrire ce livre : « Lorsque j’ai parlé autour de moi de ce livre que j’étais en train d’écrire, cela n’a laissé personne indifférent. J’ai globalement suscité deux sortes de réactions. Certaines personnes étaient très enthousiastes… D’autres étaient nettement plus critiques ; « Ah oui, je vois… Vous êtes du genre rousseauiste. Vous ne croyez tout de même pas au mythe du bon sauvage… » (p 10). « Au départ, mon objectif, en écrivant cet ouvrage, était simplement de rééquilibrer la perspective négative souvent exprimée sur l’être humain, en montrant l’autre facette, plus positive. Plus j’avançais dans mes lectures, plus je constatais que le fond de bonté est davantage constitutif de notre être que la tendance à la violence et à l’égoïsme » (p 298).
Jacques Lecomte est docteur en psychologie, chercheur et universitaire, président de l’association francophone de psychologie positive. Son ouvrage repose sur des centaines d’études scientifiques et de très nombreux témoignages. En repoussant à la fois une conception exagérément pessimiste, et une conception exagérément optimiste, l’auteur plaide pour une conception « optiréaliste » : « L’individu ayant une propension fondamentale à la bonté, mais pouvant également se tourner vers la violence, par manque existentiel, il convient de faciliter les situations susceptibles de faire émerger le meilleur de chacun tout en étant lucide sur le fait qu’aucune société ne peut transformer radicalement les individus. Chacun a sa part de responsabilité : les individus comme les institutions » (p 299).
Quel cheminement ?
Le livre se développe en deux temps.
Dans la première partie, l’auteur décrit et explique des situations où l’on s’attendait à ce que la violence et le chacun pour soi dominent alors que c’est le contraire qui se produit : des personnes en sauvent d’autres au risque de leur vie ; des individus violents changent radicalement d’orientation après avoir rencontré des personnes qui ont su reconnaître leur fond de générosité ; d’autres pardonnent des actes de grande violence dont ils ont été victimes… Nous trouvons une description de réalités humaines que nous recevons avec admiration, comme la manière dont beaucoup de juifs ont été sauvés en France durant la seconde guerre mondiale ou encore un phénomène moins connu, mais tout aussi remarquable, comme la fraternisation qui s’est manifestée à certains moments entre les deux camps opposés dans les tranchées de la « grande guerre ». Nous avons lu avec émotion les récits et les témoignages qui abondent dans ces chapitres et qui permettent à l’auteur de nous proposer des réflexions de grande portée. L’une d’entre elles, par exemple, nous invite à considérer que non seulement le pardon est possible, mais que les criminels peuvent s’amender.
Dans la seconde partie, Jacques Lecomte aborde les fondements de ce qui constitue l’être humain à partir d’un ensemble de disciplines : la psychologie du bébé et du jeune enfant, mais aussi la primatologie (l’étude des singes primates) et l’anthropologie (tout particulièrement, l’étude des peuples premiers). D’autres données sont issues de deux disciplines en plein essor : la neurobiologie et l’économie expérimentale. « Une partie importante de ces recherches a été réalisée à partir des années 2000. Autrement dit, je n’aurais pas pu écrire un ouvrage aussi documenté, il y a seulement dix ans » (p 12).
Les nouvelles approches scientifiques.
Effectivement, plusieurs approches convergent dans la mise en évidence d’un potentiel humain.
La psychologie des bébés et des jeunes enfants est, à cet égard, tout à fait révélatrice. « Depuis les années 1980, et plus encore depuis les années 2000, une quantité impressionnante de recherches nous permettent de mieux connaître le fonctionnement relationnel du bébé. Il est génétiquement prédisposé à communiquer très tôt avec autrui et à manifester de l’empathie » (p 224). Ainsi, quelques heures après sa naissance, le bébé commence à entrer en connexion avec ceux qui l’entourent. « Dès sa toute petite enfance, le bébé n’est pas seulement réceptif à l’univers humain qui l’entoure, mais également capable d’amorcer la communication en « espérant » que les autres humains vont réagir à son comportement » (p 227). On peut parler d’ « intersubjectivité innée » selon laquelle le nourrisson naît avec une conscience réceptive aux états objectifs des autres personnes. D’autres observations montrent que les jeunes enfants sont naturellement altruistes. Ils aiment aider. Et de même, ils manifestent naturellement de l’empathie. En avance sur son temps, une grande éducatrice, Maria Montessori (2), avait perçu très tôt le potentiel de l’enfant. Aujourd’hui, la recherche appuie une vision positive de l’éducation. « On a longtemps cru que les pratiques éducatives destinées à développer la gentillesse avaient pour but d’inhiber les tendances égoïste de l’enfant et les remplacer par des attitudes altruistes. Mais les choses ne se passent pas du tout de cette manière. En fait, l’éducation s’appuie sur une prédisposition innée à l’altruisme chez l’enfant, elle développe l’altruisme (ou le réduit), elle ne le crée pas » (p 229).
Deux chapitres portent sur les origines de l’humanité. À chaque fois, l’auteur montre un changement majeur dans les représentations dominantes. Ainsi, dans le passé, certains anthropologues ont pu considérer les ancêtres de l’homme, les hominidés, comme des « bêtes de proie ». C’est la théorie du « grand singe tueur ». Or les recherches actuelles sur les singes montrent que « les relations sociales des primates sont essentiellement pacifiques et coopératives ». Dans ses recherches, le primatologue, Frans de Waal, a mis en évidence chez les primates un potentiel altruiste au point qu’il a pu écrire récemment à leur sujet un livre au titre éminemment significatif : « L’âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire » (3).
Parallèlement, il y a également un changement d’orientation dans l’anthropologie. Jacques Lecomte consacre un chapitre à cette évolution : « De l’accent sur un « peuple féroce » imaginaire à l’étude de peuples plutôt pacifiques ».
Un nouvel horizon s’est ouvert récemment à travers les découvertes de la neurobiologie : « Notre cerveau est prédisposé à l’amour, la coopération et l’empathie ». Ainsi, l’auteur rapporte le rôle d’une hormone, « l’ « ocytocine », qui favorise l’empathie et la générosité. Les centres de récompense mis en évidence dans le cerveau sont activés par le plaisir de souhaiter du bien aux autres au point que des équipes de chercheurs se sont « intéressées à une forme de méditation, appelée « méditation bonté » qui vise à augmenter le sentiment d’affection et d’attention envers soi et envers autrui. Assise dans une position relaxée, la personne pense positivement à quelqu’un qu’elle apprécie. Elle élargit ensuite ces sentiments. On observe en retour de multiples effets bénéfiques… Ses relations avec les autres s’améliorent ainsi que sa santé physique et psychique… » (p 255).
Il y a également la mise en évidence d’un potentiel d’empathie chez l’homme. Les observations psychologiques peuvent maintenant se fonder sur une découverte récente de la neurobiologie, celle des « neurones miroirs ». « Ces cellules nerveuses s’activent non seulement quand un individu accomplit une action, mais quand il voit un autre individu la réaliser… Elles nous permettent non seulement de reconnaître et de comprendre le sens des actions d’autrui (empathie cognitive), mais également ce que ce dernier ressent (empathie émotionnelle » (p 262).
Jacques Lecomte consacre enfin un chapitre à l’économie expérimentale. Les recherches actuelles menées dans cette discipline toute récente montrent qu’on ne peut fonder les sciences économiques sur une conception étroite de l’être humain appelé « homo oecomenicus » qui serait essentiellement individualiste, rationnel et égoïste. Pendant longtemps, la pensée économique dominante a été peu ouverte à l’expérimentation. « Mais, depuis une vingtaine d’années, l’économie expérimentale est en plein essor. Ce courant de recherche a clairement montré que les individus fondent leurs décisions sur la coopération, la confiance, le sentiment de justice et d’empathie plutôt que sur l’égoïsme intéressé. Ce qui est exactement à l’opposé des prédictions des théories économiques officielles » (p 277). Malheureusement, « les convictions des économistes néoclasssiques fonctionnent souvent comme des « prophéties autoréalisatrices ». Elles deviennent « vraies » par le simple fait de se diffuser dans la population » (p 290). En regard de cette idéologie, l’auteur se propose de montrer dans un prochain ouvrage « qu’une économie fondée sur la confiance en autrui et sur la coopération fonctionne plus efficacement qu’une économie fondée sur la compétition et la cupidité ». En réhabilitant « les valeurs fondamentales », il ouvre ainsi pour nous un horizon.
Un nouvel horizon.
La manière de percevoir l’orientation de l’être humain vers le bon ou le mauvais est une représentation qui s’inscrit dans l’histoire des mentalités et dans l’évolution des cultures. On constate autour de nous des perceptions très différentes à ce sujet. « Pourquoi certains croient-ils si fort à la méchanceté humaine ? ». L’auteur examine successivement le rôle des média, notre propre fonctionnement psychologique, la culture, l’imprégnation idéologique. Le lecteur trouvera dans ce chapitre des éléments de réponse.
La perception de la positivité et de la négativité de la personne humaine s’inscrit elle-même dans un climat social et culturel. Ainsi d’après les enquêtes internationales, le pessimisme est plus fort en France que dans d’autres pays comparables. La défiance est présente. À la question : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on n’est jamais assez méfiants », 21 % des français estiment que l’on peut faire confiance, contre 66 % en Norvège et en Suède. Sur 26 pays étudiés, la France se trouve au 24è rang » (p 325) (4).
Si la réponse à la question d’une prédisposition de l’homme au bien ou au mal est influencée par la manière de percevoir la vie sociale, elle s’inscrit également dans le temps. Ainsi, on peut émettre l’hypothèse d’une relation entre l’agressivité, la violence, la répression correspondante d’autre part, les frustrations engendrées par la faim, la maladie, la misère d’autre part. Si le bonheur apparaît comme une idée neuve en Europe au XVIIIè siècle, il y a bien un rapport avec une amélioration des conditions de vie.
Il y a une influence réciproque entre les mentalités et les visions du monde. Ainsi, en théologie, « la conception du péché originel, qui signifie que chaque être humain naît avec un penchant fondamental au mal », apparaît dans le contexte d’une Eglise qui reprend et poursuit le règne impérial. Elle se répand à partir des écrits d’Augustin d’Hippone (saint Augustin) et elle va conditionner les mentalités tout au long de la chrétienté. Or, selon Georges Minois, auteur d’un ouvrage de référence sur ce sujet, « l’idée d’une chute primordiale dont tous les hommes partageraient la culpabilité est absente de l’Ancien Testament et des Evangiles. C’est une création tardive de théologiens qui voulaient renforcer l’édifice doctrinal » (p 327). Il y a donc des interrelations entre les idéologies et les représentations. Ainsi, au XXè siècle, les sciences humaines ont elles-mêmes été imprégnées par des idées selon lesquelles l’homme se caractérise par l’égoïsme et une propension à la violence. Dans ces chapitres sur l’anthropologie, la primatologie, la psychologie, Jacques Lecomte montre combien certains auteurs ont écrit dans ce sens au point que leurs conclusions apparaissent aujourd’hui comme caricaturales. À cet égard, l’idéologie matérialiste de Freud a projeté sur l’enfant des représentations extrêmement négatives. « L’enfant est absolument égoïste. Il ressent intensément ses besoins et aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier face à ses rivaux, les autres enfants » (p 230). À cet égard, on se reportera également à l’analyse circonstanciée de Jérémie Rifkin dans son livre « Vers une civilisation de l’empathie » , il montre comment pendant plusieurs décennies, la pensée de Freud a handicapé le développement de la psychologie de l’enfant.
Vers un nouveau paradigme…
Aujourd’hui, dans la crise que nous traversons, on perçoit, en arrière plan, une grande mutation. Mais si les menaces sont bien présentes, il y a aussi des prises de conscience qui suscitent des actions. Et ces prises de conscience peuvent s’inscrire dans une transformation de la vision du monde comme c’est le cas dans le domaine de l’écologie. On peut aller plus loin dans l’interprétation ; au delà de la réaction à la menace, n’y aurait-il pas une émergence, l’anticipation d’un autre avenir ?
La revue « Sciences humaines » a publié récemment un dossier sur « le retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide ». La responsable de ce dossier, Martine Fournier, note un changement dans les préoccupations et les orientations (5). Cette évolution est internationale comme en témoigne l’ouvrage de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (6).
Le livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » s’inscrit dans le même mouvement. Ainsi peut-il évoquer : « Un changement de paradigme porteur d’implications sociales et politiques » (p 295). « Ce nouveau millénaire voit se réaliser sous nos yeux ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique, c’est-à-dire une période historique exceptionnelle au cours de laquelle se modifient les convictions des spécialistes. » Le changement s’accélère. « Une partie importante des découvertes citées dans ce livre ont été faites depuis les années 2000. Conclusion : les théoriciens de l’homme égoïste et violent sont des gens du passé, du siècle et même du millénaire passé » (p 297). Une vision nouvelle est en train d’apparaître.
En commentaire : une esquisse de réflexion spirituelle.
On observe parallèlement des transformations profondes dans la vie spirituelle et religieuse.
Un chercheur britannique, David Hay, a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle » avec Dieu, la nature, les êtres humains et soi-même (7). Dans le même mouvement, des recherches récentes ont mis en évidence la spiritualité des enfants (8). Tout ceci est en cohérence avec les études que nous venons de mentionner.
Par rapport aux séquelles d’un héritage, celui d’une théologie répressive centrée sur le péché originel, dont on mesure aujourd’hui les conséquences négatives, nous sommes appelés à revenir tout simplement à l’enseignement de Jésus au cœur duquel se trouve l’amour, le pardon, le non jugement. « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mat 5. 16). Cette parole de Jésus ne signifie-elle pas que non seulement ceux qui le suivent sont appelés à être bons, mais qu’il y a chez les hommes une capacité de reconnaître ce qui est bon parce que, à leur mesure, ils ont déjà une expérience de ce que cela signifie, et que dans le même mouvement, ils peuvent entrer dans ce courant de vie jusque dans la louange et la reconnaissance de la bonté de Dieu. Ainsi, les disciples de Jésus sont appelés à permettre la reconnaissance de ce qui est bon : prédisposition à la bonté ou manifestation de celle-ci.
Des théologiens comme Jürgen Moltmann nous aident à percevoir aujourd’hui l’œuvre de l’Esprit de Dieu à la fois dans la transcendance et dans l’immanence, ce qui germe et grandit dans la création. En Christ mort et ressuscité, une nouvelle création est en marche et Dieu nous appelle à l’espérance. Par rapport à la théorie classique de l’évolution qui procède à partir des seuls évènements du passé, Moltmann montre une dynamique où nous anticipons un avenir qui se manifeste déjà. Il a exprimé cette pensée dans plusieurs livres, mais il y revient, en termes très accessibles, dans un ouvrage tout récent paru en 2012 : « Ethics of hope » (Une éthique de l’espérance) (9). Ainsi écrit-il : « Le concept de l’évolution nous permet de comprendre comment ce qui existe aujourd’hui s’est réalisé, mais non comment cela aurait pu être et peut aujourd’hui devenir possible » (p 125). Et il met en évidence les théories nouvelles de l’émergence. « Il y a dans l’histoire de la nature des processus dans lesquels de nouveaux ensembles, de nouvelles formes émergent… Dans le jeu du hasard et de la nécessité, il y a une tendance vers des formes de plus en plus complexes… » (p 126). Cette tendance a été désignée comme une auto organisation de l’univers (self-organisation) ou « une auto organisation de la vie »… L’interprétation théologique ne contredit pas cette perspective. Au contraire. Elle donne à cette idée une profondeur nouvelle à travers l’idée d’une « auto transcendance » (Karl Rahner) sur la base de l’immanence et de la transcendance de l’Esprit Divin » (p 126). Dans ce grand mouvement, « l’Esprit de Dieu libère et unit en anticipant la nouvelle création ». Puisque l’humanité participe à cette dynamique, elle ne va pas s’aligner sur la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence, mais au contraire mettre en avant le principe de la coopération. Ainsi Moltmann met en évidence les recherches qui se développent aujourd’hui, comme par exemple la découverte des neurones miroirs. Déjà, dans son livre : « Dieu dans la création (10), Moltmann avait écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître « l’accord général » (p 25). « Etre vivant signifie entrer en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion » (p 15).
On pourrait reprendre ici la pensée de Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte, converge ». Ici, une théologie innovante entre en phase avec les transformations qui se manifestent dans un courant de pensée et qui inspirent Jacques Lecomte lorsqu’il évoque un nouveau paradigme. Son ouvrage sur « la bonté humaine » nous introduit dans une vision en plein devenir. Ce livre est passionnant, émouvant. Il ouvre des voies nouvelles qui vont au delà des relations interpersonnelles puisqu’elles tracent également un chemin pour des transformations sociales à travers le projet de l’auteur d’écrire un livre pour une nouvelle manière d’envisager l’économie. Cette lecture éveille espoir et dynamisme.
J H
(1) Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012.
(2) Montessori (Maria). L’enfant. Desclée de Brouwer, 1936 (édition originale).
(3) De Waal Frans). L’âge de l’empathie. Leçons de nature pour une société plus solidaire. Les liens qui libèrent. 2010.
(4) Un article à ce sujet : « Défiance ou confiance. Quel style de relations ? Quelle société ? » http://www.temoins.com/culture-et-societe/societe/345-jean-hassenforder-defiance-ou-confiance-.html
(5) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier, p 32-51, in : Sciences Humaines, N° 223, février 2011. Voir sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=191
(6) Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Voir sur ce blog : « La force de l’empathie » http://www.vivreetes.com/?p=137 et, sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/816-vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux.html
(7) Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Voir sur ce blog : « Expériences de plénitude » https://vivreetesperer.com/?p=191. Sur le site de Témoins : « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/672-la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r.html?showall=1
(8) Sur ce blog : « l’enfant, un être spirituel » https://vivreetesperer.com/?p=340 Sur le site de Témoins : « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes.html
(9) Moltmann (Jürgen). Ethics of hope. Fortress Pres, 2012
(10) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Voir sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766
par | Avr 22, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Expression d’une lycéenne
France est lycéenne en terminale. Elle aime beaucoup être en relation avec des ami(e)s. France à vécu dans différents pays : France, Afrique du Sud, Maroc. Elle vit aujourd’hui à Londres. Elle a des ami(e)s qui appartiennent à des nationalités très diverses. Elle garde des contacts avec celles et ceux qu’elle a rencontrés dans son itinéraire international, à travers facebook, skype. Elle n’utilise pas facebook pour le spectacle (nombreuses photos), mais pour parler aux gens. Par exemple, elle s’intéresse à la manière dont ses camarades vont s’orienter dans leurs études. Ainsi, elle a des ami(e)s en France, en Afrique du Sud, au Maroc qui désirent faire des études en Angleterre. France a toutes les informations sur les caractéristiques des établissements et sur les modalités d’inscription. Elle aide ses camarades à se diriger.
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Sur facebook, on parle de tout ce qui se passe, par exemple les études, la manière de passer les vacances . Où en sont les gens dans leurs activités ? « J’ai un très bon ami, que j’ai connu au Maroc, qui est très fort à la guitare et qui maintenant fait pas mal de concerts. Il m’envoie sa musique par internet… J’ai des amies qui font du cheval et je leur demande où elles en sont… J’ai aussi des amies qui font de la peinture. On parle de ce qu’elles sont en train de peindre, de leurs aspirations du moment ».
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« Mes ami(e)s à travers le monde ont souvent des cultures différentes de ma mienne. Par exemple, j’ai des amies musulmanes qui ne fêtent pas Noël. J’ai été invitée à des « bar mitzvah », des fêtes juives autour de l’entrée, à treize ans, de jeunes dans la vie adulte. Quand je vais dîner chez des ami(e)s de culture différente, on ne mange pas la même chose… En général, je n’ai pas de difficultés dans ces relations. J’apprends ce qui se passe chez les autres ».
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« Avec mes ami(e)s à Londres, on sort, on va à la gym, on va au cinéma, au resto, au parc quand il fait beau. Dans le travail scolaire, je préfère travailler seul parce que, sinon, je me disperse. Pour les travaux de groupe, par contre, je préfère me mettre avec des amies qu’avec des gens que je connais moins. On peut se dire clairement ce qu’on pense plus facilement qu’avec quelqu’un qu’on connaît moins et avec lequel on ne peut pas parler directement ». France a toujours aimé avoir des ami(e)s. Avec ceux avec qui elle s’entend le mieux, elle garde des liens réguliers. Avec les autres, elle continue simplement à s’informer sur ce qu’ils deviennent.
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Ses ami(e)s se trouvent parfois en difficultés. Il y a les difficultés scolaires. « J’ai un très bon ami qui n’est pas très fort en maths. J’essaie de passer du temps avec lui pour l’aider dans ce travail ». Il y a les difficultés familiales. « J’appelle plus souvent. Je leur propose de venir plus souvent à la maison pour se changer les idées ». Il y a les difficultés financières. « Pour ces amies , j’essaie de leur passer des adresses de baby sitting »… « Pour ceux qui sont en train de déménager, ils peuvent venir dormir à la maison »… « Moi aussi, je reçois parfois une aide. Par exemple, je ne suis pas très forte en philo. J’ai des amies qui m’aident dans mes dissertations ».
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Pour moi, l’amitié, c’est indispensable. On est toujours ensemble. Dès qu’il y a un problème, on est là. On s’entraide. L’amitié me donne du bonheur.
Contribution de France.
par jean | Avr 16, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Une dynamique relationnelle et éducative.
Il y a dans l’enfant un potentiel qui a été longtemps contenu. Mais, au siècle dernier, peu à peu les portes se sont ouvertes. Maria Montessori est une figure emblématique de la lutte qui a été menée pour que le potentiel de l’enfant puisse s’exprimer dans tous les domaines. Il y a dans l’enfant une force de vie qui le pousse à découvrir le monde. Dans cet esprit, le rôle de l’éducateur n’est pas d’imposer, mais d’accompagner. « Laissez les lire ! » (1), tel est le titre que Geneviève Patte, cofondatrice puis animatrice de la bibliothèque enfantine pilote de Clamart, la « Joie par les livres », a donné à un ouvrage sur les enfants, la lecture et la bibliothèque, paru en 1987. Aujourd’hui, ce livre est réédité dans une version complètement actualisée et renouvelée, si bien que sous la belle couverture animée par une illustration de Quentin Blake, il nous paraît porter un message qui peut atteindre un grand public.
Geneviève Patte nous raconte la naissance et le développement des bibliothèques enfantines. Très tôt, dès la fin du XIXè siècle, elles apparaissent dans les bibliothèques publiques anglaises et américaines . Leur éclosion en France, après la grande guerre, s’inscrit dans cette inspiration, mais un travail original est accompli qui s’exprime notamment dans la remarquable bibliothèque qu’est « l’Heure Joyeuse », rue Boutebrie à Paris. C’est là que, dans les années 50, Geneviève Patte découvrit une ambiance dont elle perçut la qualité exceptionnelle et qui fut pour elle une motivation déterminante. Au début des années 70, cofondatrice de la « Joie par les Livres », une bibliothèque pilote crée dans un quartier populaire de Clamart, elle va jouer un rôle pionnier dans l’émergence d’une nouvelle génération de bibliothèques enfantines.
En nous racontant quelques scènes de la vie des bibliothèques enfantines à différentes étapes de son itinéraire, Geneviève Patte nous permet d’entrer dans un univers dans lequel on découvre à la fois une dynamique enfantine et une harmonie relationnelle. Ainsi décrit-elle la « Joie par les Livres » à Clamart comme une « maison vivante et chaleureuse ».
Une dynamique relationnelle.
A la bibliothèque enfantine, la motivation des enfants pour la lecture s’inscrit effectivement dans un climat informel et convivial. Ce livre nous introduit dans différentes formes de vie relationnelle.
C’est le contact, le tête-à-tête de l’enfant avec le bibliothécaire. « Cest une longue tradition. La plupart des enfants ne trouvent pas facilement, dans d’autres milieux , ce mode de rencontre. Ici, l’échange est en effet considérablement enrichi par la médiation du livre. Relation précieuse, parce qu’à la fois personnelle et pudique, puisque c’est le livre qui réunit et offre la distance nécessaire. L’adulte recherche pour l’enfant ce qui peut convenir à son expérience. Le livre peut alors devenir comme une source jaillissante où l’enfant peut apaiser sa soif, à la mesure de ses besoins et trouver ainsi le goût de l’eau vive » (p 174). « L’aide personnelle apportée à l’enfant dans ses recherches est une occasion unique d’échanges et de rencontres. L’enfant apprécie cette confiance. Ne le juge-t-on pas capable d’apprécier ce qui est beau, grand, drôle, surprenant, subtil, ce qui vaut la peine ? « Jamais on ne m’avait montré autant d’attention. Jamais, on ne s’était intéressé à moi de cette façon. Grâce à ces échanges, je me sentais exister, je me sentais important », nous confie un ancien lecteur évoquant ses années passées à la bibliothèque » (p 176).
La bibliothèque enfantine permet aussi une lecture partagée entre enfants et adultes. C’est, par exemple, vivre ensemble la lecture d’albums. Ici, c’est une relation horizontale naturellement chaleureuse. « C’est un plaisir gratuit. « Tu me lis une histoire ? » Question quasi rituelle adressée aux adultes présents…Souvent on commence à lire avec un enfant et d’autres, intéressés, se rapprochent… Magnifique liberté du lecteur : la lecture ne lui est pas imposée. Il en décide librement. C’est alors à qui sera le plus proche de la personne qui lit… Pour mieux voir les images, mais aussi pour tourner les pages, faire un commentaire, signaler à l’occasion un élément qui surprend, amuse ou évoque quelque chose de la vie. Cette intimité confiante et rassurante fait partie du plaisir » (p 202).
Et puis, il y a aussi la lecture à haute voix d’une histoire par le bibliothécaire et « l’heure du conte », une véritable institution dans les bibliothèques enfantines. « La place centrale du récit, de la parole dite, signifie pour le bibliothécaire, un engagement vis-à-vis des enfants. Il raconte. Il a envie de partager son enthousiasme et il s’en donne le temps. en décidant de raconter, il accepte de livrer quelque chose de sa propre sensibilité. En retour, il reçoit l’expression spontanée de l’émotion de ceux auxquels il s’adresse dans ce précieux face à face ».
Il y a bien d’autres événements sociaux et éducatifs dans la vie de la bibliothèque enfantine : rencontres avec des personnes invitées, fêtes, expositions, différentes formes d’atelier. Cette gamme de relations, dans laquelle, à chaque fois, l’enfant est respecté dans sa démarche et peut également s’investir, est une caractéristique de la bibliothèque enfantine. Cette qualité et foisonnement nous paraissent exemplaires si bien qu’on pourrait s’en inspirer par ailleurs.
Regard sur la littérature enfantine : le choix des livres.
Bien sûr, la qualité des livres compte aussi. Geneviève Patte consacre plusieurs chapitres à un examen de la littérature enfantine. Comment choisir les livres à l’intention des enfants ? C’est une question qui n’intéresse pas seulement les bibliothécaires, mais nous tous qui sommes en rapport avec des enfants. Ces « repères dans la forêt des livres » traitent des différentes catégories de livres : albums, ouvres de fiction, ouvrages documentaires. Ces propos témoignent d’une expérience riche d’une grande proximité avec les enfants et nous y percevons également bon sens et discernement. Ces chapitres contribuent à faire de ce livre un ouvrage qui, au delà des bibliothécaires, s’adresse à un grand public concerné par l’éducation.
La bibliothèque enfantine : une entreprise pionnière appelée à une créativité toujours renouvelée.
Rétrospectivement, les bibliothèques publiques, parce qu’elles voulaient répondre à la démarche de chacun dans sa recherche personnelle et son besoin d’éducation, peuvent être considérées comme une première étape dans la marche vers une connaissance partagée et une intelligence collective telle qu’elle se manifeste aujourd’hui dans la communication sur internet. On sait que les bibliothèques publiques dans leur modernité sont nées en Angleterre et aux Etats-Unis. Il a fallu une action pionnière pour les instaurer en France. C’est chose faite, et bien faite aujourd’hui.. Les bibliothèques enfantines s’inscrivent dans la même histoire. En portant une conception nouvelle de l’éducation, elles étaient doublement « révolutionnaires ». Ainsi, note Geneviève Patte, « alors que partout ailleurs, dans les autres institutions éducatives, les enfants sont, en quelque sorte « classés » selon leur âge, leur niveau, leur sexe, « l’Heure Joyeuse », dès 1924, proposent d’emblée, comme ses prédécesseurs étrangers, le brassage vivifiant de garçons et de filles de tous les âges, cela n’étant pas sans effrayer un certain maître d’école qui suggérait qu’une petite barrière traverse la salle et sépare lecteurs et lectrices » (p 14).
Aujourd’hui, dans ses formes innovantes, comme « La Petite Bibliothèque Ronde » (2) à Clamart qui se développe dans la foulée de l’action pionnière de la « Joie par les Livres », la bibliothèque enfantine continue d’aller de l’avant. Geneviève Patte est engagée dans cette créativité.
Ainsi met elle l’accent sur « les petites unités de lectures » : bibliothèques de rue, bibliothèques hors les murs, bibliothèques à domicile, home library, bunko, etc, qui se développent à travers le monde. « Il s’agit bien de bibliothèques. Elles en ont les caractéristiques essentielles, mais elles n’ont pas de constructions à elles n’ont pas de murs au sens propre comme au sens figuré » (p 281). Ainsi « les bibliothèques deviennent nomades » « Nous ne pouvons rester assis dans notre tour d’ivoire, isolés, à attendre que les enfants viennent à nous… ». « Ce qui caractérise ces « petites unités de lecture », c’est une petite taille, leur simplicité, leur caractère souple et chaleureux aussi, et la médiation proposée. Il suffit souvent d’un tapis, de quelques paniers de livres bien choisis, et, bien sûr, d’une personne attentive aux uns et aux autres et toujours prêtes à leur faire découvrir la joie de lire » (p 282). Ces initiatives fleurissent dans certains pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. L’auteure de ce livre les a fréquentées et elle en parle avec enthousiasme.
La créativité se manifeste également dans le partenariat entre bibliothécaires et chercheurs tel que Geneviève Patte nous le décrit dans un chapitre très original : « la bibliothèque en recherche active ». Ainsi la « Joie par les livres » a su collaborer avec des associations comme ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations) créée en 1982 par René Diatkine et qui « réunit dans la même réflexion des chercheurs et praticiens de diverses disciplines : pédiatres, psychologues et psychanalystes, anthropologues et linguistes, bibliothécaires, etc.. ».
Bien sûr, à une époque où les moyens de communication se transforment et progressent à toute allure, la bibliothèque est appelée à bouger elle aussi rapidement. Un chapitre est consacrée au nouveau visage de la bibliothèque à l’heure du numérique.
Une vision prospective.
Dans la grande mutation où nous nous trouvons engagés, la bibliothèque, qui a été pionnière, peut demeurer une pièce majeure du nouveau paysage culturel si elle sait apporter sa contribution spécifique. Ainsi, en partenariat avec les nouvelles formes de communication comme internet, la bibliothèque apporte la dimension d’une relation vécue. « Dans un monde qui se technicise toujours plus, la bibliothèque met l’accent sur la communication humaine, les lieux et les relations interpersonnelles autour du besoin de connaître, de se reconnaître, de penser » (p 341). « La bibliothèque propose un environnement culturel, unique et profondément humain. En encourageant chacun à emprunter son chemin propre, elle favorise l’émergence des identités dans leur singularité. Elle offre un espace où l’expression des différences est possible, souhaitable et encouragée… Elle privilégie ce qui lie et relie à travers l’accueil, les rencontres, l’ « être ensemble », non pour se confondre, mais pour tenter de se comprendre » (p 340).
Un livre suggestif qui stimule la réflexion.
Ce livre enrichit la vision et stimule la réflexion de ses lecteurs, bien au delà des questions professionnelles.
Dans ce qu’il rapporte de l’esprit de découverte, de la capacité d’émerveillement et aussi de l’intensité de la vie relationnelle des enfants, il croise les recherches récentes sur la spiritualité enfantine (2). A certains moments, nous nous sentons en présence d’une réalité belle et harmonieuse qui éveille une élévation de notre conscience.
Dans ce livre, tel que Geneviève Patte, nous le présente, le mouvement des bibliothèques enfantines nous apparaît comme une véritable épopée qui, au cœur de la grande mutation dans lequel le monde est engagé , nous en révèle une des potentialité, un nouvel état d’esprit qui conjugue la joie de découvrir, la convivialité et le respect de chacun. Au mieux, « at his best », la Bibliothèque enfantine est « une maison vivante et chaleureuse ». Il y a là une voie originale qui peut interroger et inspirer d’autres institutions éducatives, et même éveiller un désir d’autres lieux dans notre société où l’on puisse vivre des relations aussi bienfaisantes. Le titre de ce livre : « Laissez-les lire » appelle à la reconnaissance de la dynamique créative des enfants. Et comme cette réalité nous est décrite comme bien réelle lorsqu’elle est encouragée par un environnement favorable, il y a là plus généralement un encouragement à reconnaître de nouveaux possibles, une invitation à une vie meilleure.
Jean Hassenforder
(1) Patte (Geneviève).Laissez-les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012
(2) La Petite Bibliothèque Ronde : www.lapetitebibliothequeronde.com et www.enfance-lecture.com
Sur ce blog : « L’enfant, un être spirituel » (février 2012). Voir aussi : « Découvrir la spiritualité des enfants : un signe des temps. http://www.temoins.com/etudes/decouvrir-la-spiritualite-des-enfants.-un-signe-des-temps.html