Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine

 

 

Une approche anthropologique des questions sociales et politiques

 En 1982, dans un livre pionnier : « In a different voice », Carol Gilligan a porté un nouveau regard sur la manière de formuler des jugements moraux, en écoutant autrui et en prenant en compte cette expérience. Cette attention à l’autre ouvre la voie à une sollicitude à son endroit. A partir de ce changement de regard, un mouvement nouveau va apparaître et se développer rapidement : le mouvement du « care », du « prendre soin ».

Dans un livre sur « l’éthique du care », Fabienne Brugère commente cette nouvelle approche morale et sociale (1) :
« La voix différente » de Carol Gilligan, nous dit-elle, « inaugure un problème à la fois philosophique, psychologique, sociologique et politique, celui du « care ». Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le problème du lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel », la sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossés à des politiques, à des collectifs ou à des institutions s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnérabilité et la relationalité, cette dernière devant être comprise avec son double versant de la dépendance et de l’interdépendance » (p 3).

Théïa Lab : « Une agence associative de recherche-action en anthropologie » (2)

« Le souci de l’autre et le soin » apparaît sur le site : Théïa Lab comme une des principales thématiques du groupe de recherche qui se présente dans les termes d’une  « Agence associative de recherche- action en anthropologie » avec cette belle devise : « Comprendre par l’attention. Agir dans la relation ». Plus précisément, Théïa Lab se définit comme « une agence d’études et d’expertise en sciences sociales tournée plus particulièrement vers l’anthropologie. Composée de professionnels issus des mondes de la recherche et de la création, elle est spécialisée dans la recherche appliquée et la recherche-action, l’innovation sociale et environnementale.

Une approche anthropologique

« L’anthropologie consiste étudier l’humain du passé comme du présent. Le mot vient du grec : « anthropos » (humain) et « logia » (étude). Elle se subdivise en plusieurs spécialité » (3).

L’équipe de Théïa Lab nous explique pourquoi elle adopte une approche anthropologique. « L’anthropologie est une discipline particulièrement pertinente pour répondre aux enjeux qui sont les nôtres… Sa spécialisation sur les méthodes de terrain, les approches qualitatives, autant que sur son sens de l’itération entre local (et même micro-local) et les dynamiques globales, universelles, font d’elle une discipline scientifique ancrée dans une tradition déjà ancienne, et simultanément, parfaitement adaptée aux défis du monde contemporain… Ces convictions nous amènent tout particulièrement à privilégier les missions d’utilité publique, les réflexions qui conduisent à un mieux-être de tous en général, et des plus vulnérables en particulier… Pour agir, notre orientation est double : rendre visible, intelligible / éduquer et mettre en place des actions dans le cadre de politiques publiques et de projets ».

Le souci de l’autre et le soin

 Théïa Lab nous présente les grandes thématiques dans lesquelles son activité se déploie : habiter le monde en commun ; individuation et citoyenneté ; création artistique et droits culturels ; l’éducation par l’attention ; le souci de l’autre et le soin. Cette dernière thématique : « le souci de l’autre et le soin » rejoint nos partages précédents sur ce blog autour du care (1), du soin tel que Cynthia Fleury l’approche dans sa publication : « Le soin est un humanisme » (4), la réflexion philosophique de Corine Pelluchon sur la vulnérabilité et la relation à autrui en terme de considération (5).

L’équipe de Théïa Lab aborde le thème de soin dans toute son ampleur et dans toutes ses dimensions : « « Le souci de l’autre » et le soin au fondement de la vie humaine dans l’écosystème global ».

La réflexion commence par la reconnaissance de la vulnérabilité humaine telle qu’elle est soulignée par Cynthia Fleury et Corine Pelluchon :

  • « La vulnérabilité est une vérité de la condition humaine, partagée par tous, et pas uniquement par ceux qui font l’expérience plus spécifique de la maladie » Le soin est un humanisme, de Cynthia Fleury.
  • « La reconnaissance de notre vulnérabilité est une clef pour avoir de la considération envers les autres êtres sensibles ». Ethique de la considération de Corine Pelluchon.

 

«  A l’heure où nous prenons conscience de nos propres vulnérabilités, la question du soin ou du care prend une dimension tout à fait inédite : le care, souvent traduit par soin, mais aussi par sollicitude, attention, ne se limite plus au domaine privé ou professionnel du soin, et ce changement d’échelle apparaît comme salvateur, fécond. En effet, à l’heure de l’anthropocène-capitalocène, la vulnérabilité se révèle de plus en plus à nous comme déterminante de notre condition humaine, et même de notre condition de vivants ».

L’attention portée au soin entraine d’autres prises de conscience :

« Prendre en compte l’autre dans sa vulnérabilité, mais aussi la complexité de son existence, de son rapport au monde, est la promesses d’accéder à d’autres univers : prendre soin, c’est d’abord reconnaître l’autre dans son altérité, pour pouvoir le protéger, respecter son intégrité pour garantir celle-ci, et aider cet autre à s’épanouir dans une cohabitation féconde. Cette relation d’attention et de soin est le fondement d’une vie « en commun », et d’une attention portée aux « communs ».

Nous sommes donc tous impliqués dans le prendre soin. Prendre soin n’est pas attribué à une seule catégorie souvent méconnue. Et, au delà de l’autonomie, nous prenons conscience que « nous sommes tous reliés : humains, animaux, plantes, pris dans un vaste écosystème terrestre vis à vis duquel nous sommes responsables… Nous avons tous la responsabilité éthique de prendre soin de nous-mêmes, des autres qui nous entourent et auxquels nous sommes reliés… c’est-à-dire, in fine, à la planète entière ».

Ainsi, la perspective s’élargit : « le care est posé en véritable éthique comme un projet politique et social ; il permet de concevoir une nouvelle manière d’organiser la société… Partager par exemple la charge du care plus équitablement : les hommes et les femmes, les nationaux et les étrangers, les diplômés et les non /peu qualifiés, etc. Toujours dans cette perspective, le care permet d’entrevoir des sociétés fondées sur l’attention et l’entraide, l’intelligence collective aussi plutôt que sur la performance et la compétition. Cette responsabilité est éminemment porteuse d’émancipation et de créativité. Elle est source d’épanouissement et de capacité de faire relation avec les autres… ».

Dans cette perspective, on voit bien l’importance de la recherche pour susciter des conditions propices au care. La recherche peut éclairer les situations où le care est appelé à se développer. Les chercheur(e)s de Théïa Lab mettent en évidence les apports de la recherche en ce domaine : « L’anthropologie, les science humaines, ou les arts sont à même de rendre visible ce qui est habituellement invisibilisé, les liens qui nous définissent et nous permettent de vivre ensemble, d’en révéler la beauté en même temps que la valeur éthique.

L’ethnographie porte son attention sur le quotidien, sur le « banal », mais aussi sur l’exceptionnalité de nos conditions individuelles et collectives, sur leur « irremplaçabilité » (Cynthia Fleury). Elle contribue à rétablir de la dignité là où il y a de la négligence et de l’oubli… Et seule la reconnaissance de cette dignité peut restituer aux individus le droit d’être considérés, aidés, réparés, protégés, et finalement leur permettre d’exister pleinement ». En « rendant visible, intelligible, l’empathie », la recherche sur « les pratiques, les routines, les représentations et les affects » peut contribuer à « la susciter ».

Aujourd’hui, nous assistons ainsi à une prise de conscience à la fois de la nécessité et de la réalité du care, du souci de l’autre et du soin. Cette prise de conscience s’inscrit dans le mouvement plus vaste d’une attention portée au vivant et à la terre entière. Pour nous, nous reconnaissons là une inspiration christique, évangélique, reconnaissant dans ce mouvement une œuvre de l’Esprit qui  relie, réconcilie, relève et dignifie.

Rapporté par J H

 

  1. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
  2. Théïa Lab : https://theialab.fr
  3. La société canadienne d’anthropologie : https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie
  4. De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
  5. Les Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/

D’où me viendra le secours ? Une expérience de libération

Ma vision de Dieu a changé.

Un témoignage d’Odile Hassenforder

 Depuis que Dieu est intervenu dans ma vie, tout a changé pour moi. Comme la samaritaine, j’ai déclaré autour de moi que Jésus était le Messie ; comme l’aveugle de Siloé, je me suis prosterné devant mon Dieu. Dire qui est Dieu pour moi aujourd’hui, ce qu’il était pour moi il y a dix, vingt ans, c’est dire quelle était ma relation à Lui. Je ne puis décrire Dieu. « Personne ne l’a jamais vu », dit l’apôtre Jean en commençant son évangile. « Qui me voit, voit le Père, dit Jésus à Philippe. Tous les contemporains de Jésus qui l’ont approché n’ont pas reconnu en lui le Fils de Dieu ; seuls ceux qui ont eu une véritable rencontre avec lui, ont reçu la lumière, ont saisi la vérité. J’imagine très bien l’émotion qu’ont du ressentir la samaritaine, l’aveugle et tant d’autres. Aujourd’hui un jeune dirait : « ça fait tilt », un amoureux dirait : « j’ai eu le coup de foudre ». Ces expressions sont bien pâles pour exprimer le choc d’une telle découverte.

 

Un chemin.

Que m’est-il arrivé ce mois d’octobre 1973 ?
L’impossibilité de vivre m’entraînait à la mort, au suicide.

Pourtant, je me rappelle qu’à l’époque où je suis rentrée dans la vie professionnelle, je croyais ne jamais connaître le désespoir, malgré toutes les difficultés de vivre que j’avais, parce que Dieu était avec moi. Je ressentais une assurance intérieure.

J’avais eu la chance de rencontrer, à cette époque, un aumônier d’action catholique qui me suivit durant quatre ans dans une forme de psycho-thérapie spirituelle, si je puis m’exprimer ainsi. En plus de la messe quotidienne, je profitais d’un entretien spirituel toutes les trois semaines avec cet aumônier. En fait, je pouvais exprimer mes aspirations et mes incapacités. Je ne me rappelle pas du contenu précis d’un de ces dialogues. Plein de bon sens et de finesse psychologique, mon interlocuteur me montrait que Jésus m’entraînait dans une dynamique positive. Par la confession qui suivait, je remettais au Seigneur tout le négatif de ma vie et attendais de lui la force de poursuivre mon chemin. Cela été pour moi l’occasion d’une évolution psychologique très appréciable. Je me rend compte aujourd’hui que la situation était ambiguë : surmonter mes difficultés psychologiques et réaliser une image idéale de moi, plutôt que de saisir l’invitation de l’Esprit à entrer dans l’univers de Dieu. J’ai reçu ce dont j’avais besoin à l’époque. J’en remercie le Seigneur aujourd’hui en revoyant tout ce qu’Il a mis sur ma route, d’étape en étape, respectant le cheminement de mon être, proposant la nourriture adaptée à ce que je vivais.

Mon mariage a évidemment été un tournant dans ma vie. Mon mari m’a apporté la vie culturelle et intellectuelle à laquelle j’aspirais tant, mais aussi une vie de foi complémentaire à la mienne. Nous avons essayé de prier ensemble le soir. Notre prière s’est vite tarie. Ensemble nous avons fait partie de groupes de foyers, de Vie Nouvelle dans les années soixante. Nous allions régulièrement le dimanche dans une paroisse voisine de trois kilomètres de notre domicile. Nous faisions allègrement le trajet à pied, car nous recevions là l’annonce d’une vie élargie en Jésus-Christ, un sens à notre vie en Dieu.

A la naissance de notre fils, né prématuré à six mois et menacé de ne pas survivre, nous avons beaucoup prié, remettant à Dieu notre sort autant que celui de cet enfant. Je savais intellectuellement que les miracles existaient, mais ma foi était bien faible pour croire que Dieu pouvait intervenir pour moi. Tout en disant « que ta volonté soit faite », je pensais au déroulement de l’enterrement imminent et je ne prêtais pas attention aux paroles d’espérance de mon entourage. Par la suite, j’ai attribué la survie de notre enfant uniquement aux médecins et à la science. Ce n’est que maintenant que mon cœur est rempli de reconnaissance envers celui qui a toujours été auprès de moi et que je ne voyais pas. Oui, je constate maintenant, en revoyant ma vie passée, que le Seigneur m’a préservée de catastrophes irréversibles. Pourtant à cette époque, il devenait pour moi de plus en plus absent. L’alimentation de la foi s’estompait peu à peu.

Cependant les handicaps de ma personnalité réapparaissaient dans mon nouveau mode de vie de mère au foyer. Je n’ai pu profiter alors des joies de la maternité. Je n’ai pas pu faire face non plus à mes conditions de vie. Mon action militante ne parvenait plus à compenser mes problèmes. J’entrepris une psychothérapie lorsque je constatais qu’à deux ans mon fils présentait des troubles de personnalité. La seule chose qui était en mon pouvoir je devais le faire. Avant d’entreprendre une telle démarche, j’allais voir un prêtre ami, espérant que, par son intermédiaire, Dieu me sortirait de là. En fait, il me dit que Dieu pouvait agir à travers les sciences humaines. Il insista d’autant plus qu’il avait constaté la tristesse la tristesse profonde que dévoilait mon visage lorsque je ne me croyais pas observée. Je compris sûrement assez mal ce qui m’a été dit ce jour-là car je mis mon seul espoir dans la psychologie. L’année suivante, je confiais mon fils à la garde d’une voisine et je repris le travail social. La psychothérapie m’a été d’un grand secours pour mettre à jour les causes de mon inhibition et aussi me dégager de bien des angoisses et des défenses que mon inconscient avait forgées. Lors de ma première consultation, je me présentais comme vivant dans une sphère de plexiglace au milieu de la vie, mais en dehors d’elle.

L’annonce d’une nouvelle naissance en 69 a été pour moi une catastrophe, car je n’avais pas encore suffisamment acquis mon autonomie. La catastrophe a été bien plus grande encore lors de la fausse couche qui a suivi. J’ai vécu la mort d’un enfant. Seul l’oubli a pu atténuer la douleur. Je ne me souviens pas m’être adressée à Dieu. Il n’était plus pour moi qu’une entité qui animait ce grand univers où je n’étais que poussière. Il existait bien sûr, mais à la façon de l’horloger et je faisais partie de la mécanique. Les amis, dans ces circonstances sont souvent de bien peu de secours. Et ils ne peuvent donner que ce qu’ils ont. Du reste, ceux ou celles-ci devenaient rares car, fatigués psychologiquement, mon mari et moi, nous allions de moins en moins aux réunions de toutes sortes et bien peu de monde se souciait de notre absence. Les soutiens religieux disparaissaient. Le curé de la paroisse que nous fréquentions partit en 1967 et nous n’avions pas trouvé ailleurs une alimentation spirituelle malgré nos nombreuses recherches. Les groupes de foyers s’étaient dissous.

Peu importe les raisons et les circonstances qui ont provoqué une dissociation de ma personnalité. Je suis persuadée aujourd’hui que, si j’étais restée en relation avec Dieu, je n’aurais pas vécu ce drame. Il était tout de même là présent, mais je ne le savais pas. J’ai utilisé tout ce qui était en mon pouvoir pour surmonter ces moments de dépression, trou noir où tout disparaissait. Je ne manquais pas de volonté et l’énergie déployée pour surnager était deux fois plus grande que celle que je dépense aujourd’hui. L’ergothérapie, pensais-je, pourrait peut-être me sortir de cet état second où l’imaginaire et la réalité s’entremêlaient. Alors, je me mis à tapisser la chambre de mon fils, avec beaucoup de mal du reste, car je me trompais constamment dans mes mesures. La relaxation permettait à mon corps de ne pas craquer trop vite, comme la chimiothérapie soutenait le psychisme. Il me semblait que la folie se profilait derrière mon angoisse ; et le phénomène ne faisait que s’amplifier. Je rencontrais cependant la compréhension attentive et patiente de médecins tandis que plusieurs amies m’exprimaient leur affection. Mais que pouvaient les uns et les autres ? Je leur suis cependant reconnaissants de leur attitude qui a atténué ma souffrance et m’a permis de tenir plus longtemps. Du moins jusqu’au jour où j’avalais trop de somnifères. L’escalade continuait. Des forces internes s’entraînaient à me détruire .

C’est dans cet état, huit jours après mon sommeil prolongé, que je participais à un week-end avec des amis sur le thème : « vivre sa foi ». Quelle gageure ! Ce dimanche, pendant la prière, je tirais le signal d’alarme, et, dans mon désespoir, je criais : « Jésus, si tu es la Vie, donne-moi le goût de vivre ». Un ami bien intentionné présenta une parabole à sa manière : deux grenouilles se débattaient dans une jatte de lait : l’une, dans son désespoir, se laisse couler. Mais l’autre continue à s’agiter et une motte de beurre se forme grâce à laquelle elle pu surnager. Cela ne fit qu’augmenter mon désarroi : pourquoi les prêtres ne parlaient-ils que psychologie ? Aucune force humaine ne pouvait me sortir de là. En fait, mon médecin avait mieux compris ma situation lorsqu’il me parla de crise existentielle. Sur son conseil, j’ai lu un livre sur le bouddhisme. Là encore, il me semblait que je devais tirer de moi-même la force de passer au stade de l’esprit. Je ne pouvais pas. J’étais anéantie. Il fallait que la vie vienne à moi car je ne pouvais la susciter malgré tout le désir que j’en avais . J’avais parfaitement conscience de ma responsabilité envers mon fils de huit ans, très angoissé de ce qu’il vivait malgré mes efforts pour cacher mes problèmes et compenser au maximum.

 

Délivrance.

 Jésus a répondu à mon appel : je le sais maintenant car le hasard est devenu pour moi providence : « Pas un cheveu de votre tête ne tombe sans que je le veuille » . Ce n’est pas un hasard d’avoir trouvé un jour de vacances le pasteur d’une assemblée de Dieu, rencontré précédemment lors d’une réunion.

De cet entretien, je me rappelle :

° Jésus guérit, il peut vous guérir.

° Comment ?

° Quand je sème du blé, en fils de paysan, j’attends qu’il pousse. Je ne me demande pas comment il va pousser. C’est un fait d’expérience. De même, quand je prie Jésus, je sais qu’il répond. Je me place là sur un plan spirituel et non intellectuel.

En y réfléchissant maintenant, je réalise que je ne croyais plus alors à l’efficacité de la prière. Cet entretien fut le point de départ d’un renouveau pour moi.

Le retour de vacances fut difficile. Je me trouvais contrainte à m’absenter de plus en plus fréquemment de mon travail. Je m’y accrochais cependant pour ne pas sombrer. J’échappais de justesse à un accident de voiture que j’ai failli provoquer par ma faute. Alors, je réalisais que j’allais à la catastrophe. Face à moi-même, je me rendais compte avec une grande lucidité que j’avais un choix à faire. Deux possibilités se présentaient à moi. Je continuerai à lutter par mes propres forces tout en sachant que cela irait de mal en pis. Je pouvais aussi choisir le chemin de la vie. Je me détruis, pensais-je, parce que je ne peux vivre. J’ai envie de vivre . Alors je choisis la vie. C’est ainsi que je me déterminais pour Jésus, sans condition, prête à tout donner, mon indépendance entre autres, prête aussi à tout recevoir.

« Je n’en peux plus », c’est tout ce dont j’étais capable de dire. Je réalisais alors que la Parole de Dieu est efficace. Certaines citations de la Bible résonnaient en moi : « Dans la vallée de l’ombre de la mort » pour sûr, j’y étais. La suite du passage était moins évidente pour moi, bien que je l’ai mille fois entendue : « Tu es mon berger ». Ce jour-là, ce fut vrai. Je le sus dans tout mon être lorsque, à la suite de la prière, je ressentis une énergie vitale qui me donna force et consistance, puis un grand calme intérieur, puis la joie. C’était la première fois qu’on priait pour moi, avec conviction et non avec des formules, en résonance avec mes aspirations les plus profondes jamais exprimées. Ce qui était demandé se réalisait. C’était extraordinaire et merveilleux.

L’effet dura quarante-huit heures, puis les symptômes réapparurent. Je n’hésitais pas à retourner me désaltérer à la source. J’étais déterminée à continuer quoiqu’il arrive. En fait, j’ai osé réitérer ma démarche parce que la perche m’avait été tendue par le pasteur : « Dans votre état, il faudra prier plusieurs fois ». C’était l’expérience qui le disait. Tous les jours, les deux jours, j’ai ainsi demandé que l’on pria pour moi, cinq fois en une semaine. A chaque fois, la même énergie me donnait vie. Et ce dernier jeudi d’octobre, j’ai eu envie de m’associer à la prière d’un groupe charismatique catholique que je connaissais par ailleurs. Devant une assemblée nombreuse de cent ou cent cinquante personnes, j’exprimais tout haut l’assurance intérieure qui m’apparaissait : « Seigneur, je ne suis pas encore guérie mais je sais que tu vas me guérir et je t’en remercie ». Une prière murmurée en langues au centre de l’assemblée fut pour moi un soutien communautaire : ils savaient ce que je voulais dire et ils s’associaient  à ma prière et la soutenaient. Ce soir-là, à peine couchée, je sentis ma personnalité se remettre en place, en une fraction de seconde. Comme un puzzle, chaque partie de mon être prenait sa place : l’unité s’est faite en moi. J’entrais dans la réalité, j’étais bien. Et dès le lendemain, je dis à qui voulait l’entendre que j’étais guérie. « ça se voit », me répondit-on souvent. Et le dimanche, au lieu d’aller demander à l’assemblée la prière des frères, j’y ai rendu grâce à Dieu.

J’étais transformée. Ma situation n’avait en rien changée, elle ne m’écrasait plus. J’étais à l’aise dans ma peau comme jamais je ne l’avais été. Qu’il pleuve, qu’il vente, tout me réjouissait. La fatigue, physique que je continuais à ressentir, n’entachait nullement ma joie profonde. Je me disais en convalescence, voilà, c’est tout. Rien ne pouvait assombrir cette joie, même la grande souffrance provoquée par une de mes amies, qui, au lieu de se réjouir avec moi, me rejeta en m’accusant de mysticisme, ce dont elle avait peur pour elle-même, du moins l’ai-je compris ainsi et je ne lui en voulus pas.

 

Une vie en abondance.

J’avais demandé la vie. Je l’ai reçu en abondance, bien au delà de ce que je pouvais imaginer : la vie éternelle. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17,3). Je suis née à la vie de l’Esprit, je suis entrée dans l’univers spirituel ; le royaume de Dieu, dit Jésus. Ce fut une révélation pour moi. Il m’est arrivé ce que Jésus disait à Nicodème : « L’Esprit souffle où il veut. Tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Voilà ce qui se passe pour tout homme qui naît de l’Esprit ». La Trinité devenait une réalité aussi naturelle qu’avoir des parents. Jésus, par sa mort et sa résurrection, m’a tiré de la mort où m’entraînait le mal, pour me donner la vie éternelle en me réconciliant avec le Père. L’Esprit Saint qui les habite tout entier, ne faisant qu’un avec eux, m’anime de cette vie divine. « Celui qui doit vous aider, le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera ce que je vous ai dit », a dit Jésus à ses disciples (Jean 17). Dieu se manifestait à moi aussi par l’amour qui m’envahissait. Je me suis sentie aimée au point où cet amour débordait de moi sur tous ceux que je rencontrais : j’aurais embrassé tout le monde si les convenances ne m’avaient retenue.

Simultanément, j’avais soif de connaître davantage. Je lisais ma Bible, surtout le Nouveau Testament. Et, assez curieusement, je comprenais beaucoup de choses qui m’étaient jusque là restées hermétiques.

Comme tout nouveau-né qui s’ouvre à la vie, je devais poursuivre mes découvertes. Avec deux autres ménages, nous avons formé un groupe de prière interconfessionnel qui, du reste, grandit très vite. Nous sommes allé voir ailleurs ce qui se passait, nous avons suivi des sessions et pris de nouveaux contacts. Par la suite, des difficultés et des déviations ont surgi dans ce groupe et nous avons du prendre du recul.

 

Vivre dans l’Esprit.

Aujourd’hui, la conviction de me savoir sauvée, c’est-à-dire vivre dans le règne de Jésus-Christ ressuscité, entraîne chez moi une attitude positive. Chaque matin, j’ouvre mon être à l’Esprit qui renouvelle toute chose. Je ne peux prévoir ce que je vais découvrir, je deviens disponible et disposée à voir sa présence lors d’une rencontre, au sein d’évènements. Je ressens le besoin d’exprimer cela à voix intelligible en une courte prière de quelques minutes dans une attitude active.

La lecture des Ecritures est une nourriture. De temps en temps, tel passage résonne en moi ; d’autres fois, me revient à la mémoire un verset à propos d’évènements que je vis, une question que je me pose, et j’y vois là une réponse. Je sais aussi que si je prends les promesses de Jésus pour moi, elles se réalisent pour moi. Cela a été le cas, par exemple, en ce qui concerne la confiance en Dieu. « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par dessus » (Luc 12). Effectivement, je me suis rendu compte que mon être se transformait en considérant mes rêves ; ainsi dans un rêve représentant une scène de dévastation, je restais calme et sereine.

Jésus nous dit d’aimer notre prochain. Il nous aide à y parvenir. Il n’y a pas si longtemps, mon interlocuteur commençait  à m’énerver. Intérieurement, je dis : « Donne-moi de l’aimer, Seigneur » et je me rappelle que le plus petit est le plus grand dans le royaume des cieux, que Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Et je réalisais ainsi que je devais être au service de celui  qui était là à côté de moi. Mon ressentiment disparut. Je m’intéressai à ce qui le préoccupait.

Je souhaite voir davantage comment Dieu se manifeste sous des formes bien diverses : à travers les autres, dans la nature, dans l’histoire. Après ces trois années de découverte, je m’aperçois que je marche à peine. Je suis heureuse de voir la vie éternelle devant moi comme en moi : c’est une louange constante que j’adresse au Seigneur, qui est en même temps adoration et contemplation.  Je lui rends grâce pour tout ce qu’il a fait pour moi.

Odile Hassenforder

Texte polycopié retrouvé dans ses archives

« Ma vision de Dieu a changé », p 27-36 dans : Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Empreinte temps présent, 2011

Voir aussi : Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie » : un témoignage vivant : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/

 

 

 

 

L’amour des autres commence par l’amour de soi

Selon Jacqui Lewis

Cette méditation publiée sur le site : Center for action and meditation (1), s’appuie sur la réflexion de la pasteure et docteure Jacqui Lewis (2) : « Peu importe ce que nous sommes et d’où nous venons, peu importe qui nous aimons et comment nous gagnons notre vie, l’appel à aimer votre prochain comme vous vous aimez vous-même, lorsqu’il est vécu, exprime l’interdépendance dont les humains ont besoin pour survivre et prospérer. Et le premier pas, le point de départ est l’amour de soi. Dans la langue grecque, les expressions : aimer son prochain et s’aimer soi-même sont reliées par le mot ‘os’ qui est comme un signe égal. Ce qui suggère que s’aimer et aimer son prochain, c’est exactement le même mouvement. Lorsque nous ne nous aimons pas nous-même, il est impossible d’aimer notre prochain.

Le lien entre l’amour de soi et l’amour des autres remonte du fond des temps. A partir du moment où nous nous sommes levés et sommes sortis de nos cavernes solitaires et sommes entrés dans la lumière de la communauté tribale, les humains ont compris cette unité inextricable. Nos vies sont tissées ensemble dans l’amour. Presque toutes les grandes religions du monde nous encouragent à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Appelé quelque fois la Règle d’Or, ce bel enseignement invite les humains à se traiter les uns les autres, et dans quelques traditions, toutes les créatures, comme nous aimerions qu’on nous traite. L’histoire enchâssée dans ces enseignements à travers les fois et les religions est : nous appartenons à un tissu mutuellement bénéfique de connections, de bien-être et d’amour. A la racine de cette connection, il y a l’empathie ; le résultat est la gentillesse, la compassion, le respect et la compréhension. Quand la religion n’est pas centrée sur la mutualité, elle peut devenir un de ces récits toxiques qui, à la fin, détruit l’amour de soi ».

Jacqui Lewis a beaucoup appris à ce sujet en parlant à d’autres. En visitant Robben Island, la prison sud-africaine où Nelson Mandela a été enfermé dans une petite cellule pendant 18 ans, elle « a trouvé miraculeux que Mandela puisse voir sa connection inextricable à l’humanité de ses ravisseurs, ceux qui lui avaient ôté sa liberté et l’humiliaient quotidiennement. Il observait que personne n’est né en haïssant l’autre à cause de sa race et de sa religion. Mandela avait compris que, de la même manière que la haine est enseignée, l’amour peut être enseigné ».

« Pour quelques personnes, parler de l’amour paraît de la faiblesse, mais de mon point de vue, l’amour est la plus grande force sur la planète ». Jacqui Lewis raconte qu’elle appris sa définition favorite de l’amour d’un de ses professeurs James E Loder. Il définissait l’amour comme : prendre plaisir dans l’originalité de l’autre d’une façon non possessive, (« non possessive delight in the particularity of the other ». « Des années plus tard, je suis encore émue par ce sentiment . Un plaisir non possessif m’apparaît comme une dévotion. Plutôt que d’essayer de changer, de manipuler ou de dévorer l’objet de notre affection, le grand amour se réjouit de ceux auquel il s’attache. Ainsi, quand vous vous aimez vous-même, sans jugement, vous prenez plaisir aux particularités uniques qui sont réunies en vous ».

J H

 

  1. Cette méditation de Jacqui Lewis s’inscrit dans la séquence de méditations quotidiennes animées par Richard Rohr sur le site du Center for Action and Meditation : https://cac.org/love-of-others-begins-with-love-of-self-2022-04-12/
  2. Jacqui Lewis est pasteure, prédicatrice, auteure, théologienne dans le champ de la théologie publique, militante dans la lutte pour la justice sociale et contre le racisme. Elle est docteure en psychologie. Elle participe à un mouvement en faveur d’un amour révolutionnaire à même de changer la société. Elle a écrit plusieurs livres récemment : « Fierce love. A bold path to ferocious courage and rule-breaking kindness that can heal the world ». Ce livre a été commenté dans le New York Times dans les termes suivants : «  un antidote guérissant pour notre culture porteuse de division, plein de récits évocateurs, de sagesse spirituelle et de neuf pratiques quotidiennes essentielles » https://www.middlechurch.org/jacqui/

 

Adolescence, éducation et spiritualité

Dans son livre : « The Spiritual child » (L’enfant spirituel), récemment présenté sur ce blog (1), Lisa Miller, chercheuse américaine en psychologie, présente la dimension spirituelle de l’enfance. Elle envisage le jeune âge en deux périodes successives : l’enfance et l’adolescence. Nous revenons ici plus particulièrement sur l’adolescence. Rappelons d’abord la perspective générale. L’accompagnement de l’activité spirituelle de l’enfant prépare la traversée de l’adolescence dans de bonnes conditions.

« Biologiquement, nous sommes équipés pour la connexion spirituelle. Pour notre espèce, le développement spirituel est un impératif biologique et spirituel depuis la naissance. L’harmonisation intérieure spirituelle des jeunes enfants, à la différence des autres voies de développement comme le langage et la cognition, commence en entier et est mise en œuvre par la nature pour préparer l’enfant aux décennies à venir, y compris le défi du développement dans l’adolescence » (p 3). Lisa Miller nous montre l’enfant engagé dans un processus d’intégration de sa familiarité spirituelle avec ses autres capacités en développement, comprenant le développement cognitif, physique, social et émotionnel… S’il n’est pas soutenu et encouragé dans son processus spirituel, l’harmonisation spirituelle de l’enfant s’érode et se désagrège dans le choc avec une culture étroitement matérielle » (p 4). Ainsi, la manière dont se développe l’enfance va influer sur la période ultérieure, les années de l’adolescence.

« La reconnaissance du développement spirituel crée des opportunités pour préparer les jeunes à l’important travail intérieur requis pour l’individuation, le développement de l’identité, la résilience émotionnelle, un travail signifiant et des relations saines. La spiritualité est le principe central d’organisation de la vie intérieure dans la seconde décennie de la vie portant les jeunes dans un âge adulte ayant du sens, de l’abondance et de la conscience » (p 3). La  recherche sur « La science de la spiritualité » menée par Lisa Miller permet de considérer l’adolescence « sous une lumière nouvelle portant davantage d’aide et d’espoir ». « Le surgissement universel du développement durant l’adolescence, précédemment considéré comme un passage risqué vers une maturité physique et émotionnel est maintenant compris plus largement comme étant aussi un voyage de recherche et de croissance spirituelle. Ce phénomène de développement est observé dans chaque culture et la recherche apporte une preuve clinique et génétique de ce surgissement d’un éveil spirituel dans l’adolescence » (p 4).

 

Transformation

L’adolescence se caractérise par un bouleversement physiologique. « Au tournant des années 2000, on a découvert que le cerveau de l’adolescent grandit rapidement et gagne de la matière grise dans des régions spécifiques, de nouvelles et fraiches cellules commençant à apparaître à dix ans et continuant à se développer tout au long de l’adolescence. Le surgissement de la croissance des cellules nouvelles intervient dans le lobe frontal, le centre de résolution des problèmes et de décision jusqu’à douze ans. Les nouvelles cellules grandissent dans le lobe pariétal, région sensorielle et spatiale jusqu’à quatorze ans. Le lobe temporal, la région des émotions, grandit jusqu’à seize ans. Et étonnamment, de nouvelles cellules grandissent jusqu’à vingt ans dans le lobe occipital associé à la perception directe » (p 213).

« A la croissance du cerveau, s’ajoute l’expansion de la dopamine, un neurotransmetteur qui conditionne les centres cérébraux du plaisir et de la récompense et affecte la régulation des émotions » (p 214).

« Quand votre jeune a une poussée de conduite risquée, une attraction irrésistible pour des gens, des lieux ou des choses, une mécompréhension des gens et de leurs intentions, une lutte pour gérer ses émotions en se sentant submergé dans sa vie intérieure, vous voyez là une expression éclatante de la croissance inégale entre le lobe frontal, le lobe pariétal, le lobe temporal et le lobe occipital (p 213).

« Des recherches montrent que l’accélération rapide de l’activité et de la réactivité crée une forte émotionnalité et un désir de récompense alors que centre de contrôle et de retenue du cerveau (le cortex préfrontal) croit à un taux linéaire contant. L’écart entre la poussée émotionnelle… et une moindre capacité de retenue et de contrôle explique pourquoi les jeunes ont tendance à agir impulsivement et à réagir avec une forte émotion en dépit d’un meilleur jugement » (p 215).

 

Intégration

Les distorsions dans les transformations et les croissances entrainent des déséquilibres. En regard, il y a une nécessité impérieuse d’intégration. « Le cerveau de l’adolescent doit intégrer cette explosion neuronale dans un système opérant avec souplesse pour traiter et réguler les fonctionnements physiques, sociaux, cognitifs et émotionnels. C’est la tâche de la seconde décennie. A travers un processus dans lequel les connections neuronales les moins utilisées sont élaguées et celles qui sont les plus fréquemment utilisées sont approfondies, le cerveau du jeune modèle la profusion des synapses et des réseaux neuronaux qui sont en train de se développer dans toutes les régions du cerveau. Le cerveau réalise cela à travers un processus appelé myélinisation » (p 214).

Il y a donc un travail de construction qui est important pour le présent, mais aussi pour l’avenir. « Le travail de l’adolescence est donc d’affiner la nouvelle matière grise dans un système qui fonctionne bien en phase avec l’environnement du jeune » (p 215). Il est, par exemple, très important que « le cortex préfrontal se relie avec les autres régions du cerveau telles que celles qui commandent la motivation et l’émotion » (p 215). Cette construction dépend de l’usage que les jeunes vont faire de leur cerveau pendant cette période, c’est à dire leurs activités et leurs comportements. « L’orientation et la forme du cerveau dépendent largement de l’usage de celui-ci. Plus les réseaux neuronaux sont utilisés, plus leur croissance est grande et profonde. Ainsi, l’adolescence est une période cruciale parce que le cerveau se transforme. Si votre adolescent n’utilise pas telle capacité, par exemple s’il évite les mathématiques et la lecture, ou même les aptitudes à la conversation, les connections entre les régions correspondantes et les autres commencent à être taillées. Les connections à l’intérieur de la région elle-même sont taillées aussi (p 217) ». Et comme c’est une période privilégiée, ce processus a des conséquences pour l’avenir.

Si les activités et les comportements engendrent les transformations neuronales, elles dépendent elles-mêmes pour une large part de l’environnement éducatif, c’est à dire de la responsabilité des parents et des éducateurs. Selon les recherches du professeur Ronald E Dahl, apparait « l’impact des parents et de la communauté sur le développement du cerveau de l’adolescent aussi bien sur ses pratiques personnelles et ses habitudes de vie » (p 216). Il appelle « la combinaison de ses facteurs « le chemin neuro-psycho-social du développement du cerveau ». Dahl soutient que la famille, l’école, la communauté et les choix personnels des enfants créent l’environnement qui modèle le cerveau de l’enfant. L’adolescent lui-même a un impact considérable sur le développement de son cerveau selon la manière dont il choisit d’en faire usage » (p 216).

 

Individuation

L’individuation est la tâche majeure des jeunes pendant la seconde décennie de leur existence.

« La centration sur lui-même de l’adolescent, qui peut être interprété comme égoïste, ne l’est pas du tout. En fait, il est crucial pour le développement du soi. Le soi n’est pas simplement un amalgame de j’aime et je n’aime pas. Le soi est l’outil de l’adolescent pour connaître le monde : qui suis-je ? Qu’est-ce que je désire et à quoi j’accorde de la valeur ? Réaliser authentiquement cette tâche demande beaucoup de travail à l’adolescent qui forge sa vision de la morale, de la relation, de l’identité, et de sa passion pour le travail » (p 210). Ainsi, les caractéristiques de l’adolescent : l’émotionnalité, une vive sensibilité, et, par moments, une opposition défiante, entrent en service pour le travail intérieur le plus important de la vie humaine : l’individuation. L’individuation est le processus à travers lequel les adolescents forment le cœur d’un soi conscient, une carte intérieure du monde et un projet pour vivre dans ce monde. Le jeune prend tout ce qu’il a appris dans son enfance aussi bien que tout ce qu’il rencontre maintenant et le teste par rapport à ce qu’il envisage comme moi et pas moi. A partir de son expérience personnelle directe, et un peu d’expérimentation, le jeune commence à développer un sens du soi qui lui est propre… L’adolescent embrasse seulement ce qu’il ressent comme vrai pour lui-même, authentique ». (p 210).

 

Harmonisation

 Nous entendons ici par harmonisation les effets du développement spirituel. Lisa Miller envisage la spiritualité comme majeure dans le processus d’individuation. Si cet aspect est trop souvent ignoré, il est décrit ici. « L’individuation spirituelle est la réalisation personnelle des vues spirituelles au sujet du soi, des compagnons humains et de la réalité, de l’évaluation de ce qui est moi ou pas moi, tout ce que les jeunes évaluent à travers une expérience intérieure, mais maintenant avec des lunettes spirituelles : voici ce que je suis spirituellement ; voici ce que vous êtes spirituellement ; voici comment je perçois le monde comme lieu spirituel ; voici ce qui est bon, ce qui a de la valeur, ce qui est plein ou vide ; qu’est ce qui est donneur de vie ? Et comment je peux m’y joindre et prendre part à ce qui est bon ? » (p 211). C’est une recherche d’envergure. Parce qu’elle est spirituelle, « elle s’étend dans un champ plus large et ouvre les jeunes à une dimension de plus en plus large de la vie ». « Ils recherchent le sens profond de leur vocation, comment déployer leurs talents pour un plus grand bien et peuvent en venir à voir leurs dons comme l’indication d’une mission pour un plus grand projet » (p 211). Lisa Miller poursuit ici sa recherche et sa réflexion à propos de la spiritualité dans l’enfance. Les forces spirituelles acquises dans l’enfance deviennent des outils avec lesquels les jeunes s’engagent spirituellement dans leur adolescence. « La soif de transcendance, la quête de sens et de but, le sens impérieux de ce qui est mauvais ou hypocrite en contraste avec qui ou quoi est vraiment bon, voici le travail de l’individuation spirituelle.» (p 211). Pour ce processus, l’adolescent a besoin de l’aide de sa famille pour trouver un langage correspondant à l’individuation spirituelle. Juste comme pour les autres langages, celui-ci se construit dans l’enfance, mais l’opportunité de croissance se poursuit à l’âge adulte (p 220). Il est essentiel de soutenir cet apprentissage dans l’adolescence.

En regard du bouleversement physiologique qui intervient à cet âge, Lisa Miller met en évidence la croissance d’un équipement biologique favorable à la spiritualité. « Il y a une poussée de 50% dans l’expression génétique de la spiritualité, un déblocage des gènes qui contribuent au potentiel hérité pour la spiritualité » (p 212). « Un désir accru pour la sensation et le frisson monte en flèche pendant qu’une recherche profonde de sens et de but revêt une intensité jusque là jamais atteinte ». « Le processus de l’éveil spirituel est déclenché par la puberté, littéralement enflammé dans le cerveau par la même poussée d’hormones que celle qui déclenche la croissance spirituelle » (p 112).

La recherche met en évidence un problème majeur d’intégration chez les adolescents. Les jeunes ont souvent des problèmes lorsqu’ils ressentent une tension entre leur pensée intelligente et leurs pulsions. Cela peut être imputé à une « déconnection entre le cerveau frontal et le cerveau arrière » entrainant un manque de dialogue intérieur. « Quand la tête et le cœur sont connectés, il y une ressource – une voix intérieure – qui aide à répondre aux questions et qui peut activement aider l’adolescent à résister à la tentation. L’état de la situation qui se dégage de la rechercher est clair. La connectivité front-arrière dans le cerveau est essentielle pour aider les jeunes à gérer leurs expériences et leurs sentiments, à moduler leurs impulsions et à prendre de bonnes décisions qui soient informées par leur tête et par leur cœur. La spiritualité enrichit ce processus. La spiritualité n’est pas seulement utile aux adolescents, mais nous savons que le jeune est en fait préparé pour avoir une poussée de recherche spirituelle. C’est la conversation la plus importante pour le cerveau de l’adolescent et une fois que cette connection se myélinise, elle est largement assurée » (p 218).

A partir des recherches actuelles, Lisa Miller estime que « la spiritualité est le facteur de protection le plus robuste contre les trois grands dangers de l’adolescence : la dépression, la drogue et la prise de risque ». « Dans tout le champ de l’expérience humaine, il n’y a pas un seul facteur qui protégera votre adolescent autant qu’un sens personnel de la spiritualité » (p 209).

 

Socialisation

Le cerveau se branche et se construit en fonction des expériences du jeune. Quelle offre correspondante l’environnement propose-t-il aux jeunes ? Encourage t-il la vie intérieure ? « Le réflexion consciente, l’introspection, et l’expérience intérieure participent à la formation du cerveau du jeune » (p 219). La question du développement spirituel  de l’adolescent n’est pas seulement une question individuelle. C’est un problème social. « Comme le jeune teste la vie intérieure en fonction de la théorie, de la culture et de l’opinion, il a bien plus de chance de succès avec le soutien des parents, des éducateurs et de la communauté.

Or, dans le contexte actuel des Etats-Unis, Lisa Miller observe des manques dans la culture américaine. Il semble que le nombre de jeunes soutenus dans la tâche d’individuation spirituelle soit relativement bas » (p 221). Une recherche a montré que beaucoup de jeunes habitant dans des banlieues aisées, et donc bien pourvus matériellement, se trouvaient dans un état de vide spirituel. Cette situation pouvait être imputée à une culture familiale : père peu présent, mère perfectionniste, recherche des jeunes orientée vers un succès matériel et superficiel et une apparence physique. « Elever un enfant dans une ambition crue et extérieure, sans amour inconditionnel ne mène d’aucune manière à la réussite » (p 225). Tout cela induit « dépression, anxiété et consommation de drogue ». « La recherche confirme l’idée que l’usage de drogue est un tentative égarée pour rejoindre une transcendance » (p 227). « Lorsqu’ils manquent de ressources spirituelles, les jeunes recherchent une expérience de transcendance là où ils imaginent pouvoir la trouver, ce qui entraine une conduite automobile insouciante, des relations sexuelles sans protection ou un usage de drogues » (p 226). Lisa Miller rappelle le rôle essentiel des parents pour soutenir la vie spirituelle de leurs adolescents : « les aider à prendre l’habitude d’une forte vie intérieure, une pratique qui rend explicite leur spiritualité, et un travail continu pour poser et comprendre les grandes questions spirituelles » (p 220).

Ce regard sur l’adolescence s’inscrit dans la découverte par Lisa Miller du rôle majeur de la spiritualité dans une vie humaine accomplie telle qu’on en voit la manifestation dans le cerveau humain, un « cerveau éveillé » (awakened brain), selon le titre de son dernier livre (2). « Chacun de nous est doté d’une capacité naturelle de percevoir une réalité plus grande et de se connecter consciemment à la force de vie qui se meut à l’intérieur de nous, à travers nous et autour de nous. Notre cerveau a une capacité naturelle pour accueillir une conscience spirituelle. Quand nous accueillons cette conscience, nous nous sentons davantage en plénitude et à l’aise dans le monde. Nous entrons en relation et prenons des décisions à partir d’une vision plus large ». Lisa Miller énonce des expériences qui évoquent la spiritualité : « un moment de connexion profonde avec un autre être et dans la nature, un sentiment d’émerveillement, de respect, de transcendance, une expérience de synchronicité, un moment où vous vous êtes senti inspiré ou sauvé par quelque chose de plus grand que vous ». Lisa Miller a été conduite dans cette recherche pour comprendre la résilience des êtres humains et les y aider. Elle a découvert ainsi combien la spiritualité était une composante vitale de la guérison. En succédant à une enfance disposée spirituellement, l’adolescence est une période décisive de transition vers l’âge adulte. Voilà qui appelle une compréhension et une attention active.

J H

  1. Lisa Miller. The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong thriving. Saint Martin Presse, 2015. Présentation : éducation et spiritualité : https://vivreetesperer.com/education-et-spiritualite/
  2. Lisa Miller. The awakened brain . Random House, 2021. Présentation : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/

Accompagner les personnes âgées

Une expérience de psychologue en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes)

1 Quelle a été votre formation ?
Je suis psychologue clinicienne. J’ai obtenu un diplôme de master 2 de psychologie clinique et psychopathologie à l’université de psychologie sociale à Varsovie. Après avoir obtenue l’équivalence de mon titre j’ai pu exercer mon métier de psychologue en France.

2 Pourquoi vous êtes-vous orientée vers un travail dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ?

En cherchant du travail, j’ai trouvé une annonce pour un poste d’animatrice en EHPAD où la formation psychologique était requise. J’ai découvert le travail d’animatrice en EHPAD qui m’a permis également observer le fonctionnement psychique des personnes âgées. C’est là où j’ai été fasciné par la complexité et la richesse des comportements de l’être humain. Ma fonction en EHPAD ne s’exerçait pas seulement auprès des personnes âgées, mais aussi auprès des familles et du personnel soignant. Depuis 2011, j’occupe des postes de psychologue en EHPAD à temps partiel.

4  Quels problèmes principaux rencontrez-vous chez les personnes âgées ?
Ce sont des problèmes liés à l’âge, avant tout la perte de l’autonomie. Vivre la dépendance est extrêmement difficile. C’est une situation déstabilisante surtout psychiquement. Il y a aussi l’angoisse de la mort. En EHPAD, il y a  la question de l’adaptation à un nouveau lieu de vie.

5 Dans ce contexte, comment envisagez-vous la relation d’aide ?
L’accompagnement passe avant tout par la parole. J’encourage les personnes à exprimer leurs ressentis et leurs émotions. En reconnaissant ces émotions, je les valide.  Je permets aux personnes de se sentir comprises, de se sentir importantes. Il est également important d’être à l’écoute des récits de vie.

6  Quelles approches mettez-vous en œuvre ?
Je suis psychologue clinicienne. Je ne m’inscris pas dans une approche psychanalytique. Celle-ci, par ailleurs, ne me semble pas adaptée aux personnes âgées. Dans l’accompagnement lors des entretins psychologique j’apporte du soutien psychologique à travers l’écoute empathique. J’utilise également des méthodes psychocorporelles comme la promenade thérapeutique ou le toucher corporel.

7  Comment abordez-vous les problèmes de la dépendance ?
Beaucoup de gens viennent en EHPAD parce qu’ils sont dans une situation de perte d’autonomie qui entraine la dépendance. Avant d’aborder le problème de la dépendance, je cherche à voir comment la personne ressent cette nouvelle situation. J’observe deux figures : dans le premier cas, la personne accepte cette nouvelle situation sans difficulté comme une étape naturelle dans sa vie.  Pour d’autre, elles ressentent difficilement cette perte de liberté comme une perte de liberté générant de l’anxiété.

8 Comment envisagez-vous l’environnement relationnel ?
La perte d’autonomie limite et réduit les capacités des personnes âgées à entrer en relation. Elles viennent donc en EHPAD qui se donne pour but de favoriser la vie sociale. L’animation propose des activités manuelles, artistiques, musicales… On envisage aussi des relations plus personnalisées. Le rôle de la psychologie est d’évaluer les souhaits de la personne.

9 Dans l’accompagnement des personnes âgées, sur quelles ressources intérieures peut-on s’appuyer ?
Pour pouvoir prendre soin des autres, je dois prendre soin de moi. Au moment où j’ai entrepris des études de psychologie, j’ai pris conscience de l’apport de mes parents qui m’ont offert une enfance heureuse. J’ai trouvé là une garantie de mon équilibre émotionnel. Les personnes âgées gardent une mémoire personnelle plus ou moins claire de leurs expériences passées. Dans le dialogue avec elles, j’essaie de mettre en valeur ce qu’il y a eu de fructueux dans ces expériences et de susciter ainsi un regard plus positif les aidant à se resituer. Ce regard positif aide à surmonter les découragements et il est porteur de force.

10 Comment abordez-vous les problèmes de sens avec les personnes âgées ?
Le problème du sens entre dans les conversations. Il y a des personnes qui sont très à l’aise avec cette question. Pour d’autres, il faut les aider à exprimer leurs émotions, leur ressentis. Il y a les personnes qui ne désirent pas aborder ce problème.
La plupart des personnes âgées que j’ai rencontrées dans ma vie professionnelle étaient plutôt à l’aise avec la question de la mort.

Ce n’est pas un sujet tabou. Il y a des gens qui me disent : je ne crains pas la mort. Cette affirmation est liée à leur cheminement passé, souvent religieux. Cependant, dans ce domaine, on observe également des réactions d’angoisse. Si la personne est disposée au dialogue, celui-ci peut être source d’apaisement.

La pratique des soins palliatifs se développe aujourd’hui en France, l’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle. L’accompagnement dans les soins palliatifs est toujours un travail d’équipe, interdisciplinaire. Il concerne non seulement une personne, mais son entourage. De même, il y a un besoin d’accompagnement des équipes soignantes. Dans mon expérience, je vais vers les soignants pour être à leur écoute. Il y a également tout un travail de formation à réaliser. L’accompagnement se réalise au niveau du langage, mais aussi dans la présence. Une personne m’a dit : « Quand je serais proche de la mort, je ne veux pas être seule, mais je désire avoir auprès de moi quelqu’un qui me tienne la main »

11 Quelles perspectives d’amélioration pour la prise en charge des personnes âgées au cours des prochaines années ?
En tant que psychologue, je vise avant tout au développement des méthodes non médicamenteuses. En ce qui me concerne, j’ai commencé à me former à l’hypnose et j’ai un projet dans le domaine de la médiation animale.  Si il y a possibilité, je fais appel à différents intervenants comme un art-thérapeute ou un musicothérapeute. Il est scientifiquement prouvé que certaines méthodes non médicamenteuses permettent d’augmenter rapidement la qualité de vie et de limiter ainsi les prescriptions médicamenteuses. En France, depuis une dizaine d’années, il y a une tendance à développer et à mettre en place les PASA (pôles d’activités et de soins adaptés) qui permet d’accueillir, dans la journée, les résidents de l’EHPAD ayant des troubles du comportement modérés, dans le but de leur proposer des activités sociales et thérapeutiques, individuelles ou collectives, afin de maintenir ou de réhabiliter leurs capacités.

12 Comment envisagez-vous la mise en œuvre d’une communication internet ?

La ission principale de la psychologue en EHPAD est d’être en relation, en relation avec les résidents, les familles, le personnel soignant et les intervenants extérieurs. Dans certaines situations, internet est très utile pour mettre en relation diverses personnes, entre les résidents et les familles, par exemple. On a bien eu conscience de l’utilité de cet outil pendant la pandémie puisque les résidents ne pouvaient plus accéder à leurs enfants. Pour rassurer les familles, les communications skype étaient très pertinentes. Par exemple, une résidente attachée à son petit-fils habitant en Australie a pu le joindre avec mon aide. Cette communication s’est passée quelques jours avant Noël. Un beau cadeau de Noël. Un moment de bonheur. Avec mon aide, les résidents qui ont des troubles cognitifs évolués, peuvent entrer en contact positivement avec des proches. A travers la communication internet, une relation profonde peut s’établir. J’ai pu assister à un moment de prière entre une résidente et sa fille habitant dans une ville lointaine.

13 Quelles satisfactions éprouvez-vous dans votre profession ?
Mon métier m’offre la possibilité de rencontrer beaucoup de gens. La relation humaine me passionne et je trouve dans ma profession cette opportunité d’être constamment en relation.  C’est mon quotidien professionnel. Du matin jusqu’au soir, je vais vers des personnes qui m’attendent avec qui nous avions prévu un rendez-vous. Mais, par ailleurs, je suis constamment en situation d’avoir des relations spontanées. Dans la relation humaine, il n’y a pas de routine. Parfois, le contact s’établit à travers une communication non verbale. La personne cherche à communiquer à travers son regard, des gestes. Ce désir de communiquer est gratifiant pour l’interlocutrice que je suis. J’éprouve, au quotidien, une satisfaction qui me porte et m’encourage.

Une interview de psychologue en EHPAD : Agnès

Éducation et spiritualité

L’enfant spirituel
Par Lisa Miller

Comment envisageons-nous la spiritualité ? Qu’est-ce qu’une démarche spirituelle ? Comment la spiritualité peut-elle inspirer l’éducation ? Comment les parents peuvent-ils reconnaître les aspirations spirituelles de leurs enfants et de leurs adolescents et leurs mouvements en ce sens ? En quoi la vie spirituelle des enfants et des adolescents contribue à leur permettre d’accéder à une vie plus pleine et plus saine ? Est-ce que la recherche scientifique nous apporte des données sur cette réalité ? Et, très concrètement, dans ce domaine complexe, quel éclairage peut-on apporter aux parents pour qu’ils puissent comprendre l’importance de cette dimension et encourager leurs enfants et leurs adolescents ?

La chercheuse américaine en psychologie, Lisa Miller vient de publier un livre sur le cerveau éveillé : « The awakened brain » qui nous montre le rôle important de la spiritualité dans la vie des adultes et le fonctionnement du cerveau. Nous avons présenté cet ouvrage (1). Mais quelques années auparavant, en 2105, Lisa Miller avait  publié un autre livre sur l’enfant spirituel : « The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong striving » (2). Le sous-titre précise l’intention de l’ouvrage. Il n’expose pas seulement la nature spirituelle de l’enfant. Il apporte une vision nouvelle à même d’éclairer les parents en les conseillant dans leurs pratiques d’éducation. Nous présentons ici brièvement cet ouvrage dont la richesse exigerait une très longue description. Nous pourrons donc y revenir par la suite.

 

Qu’est ce que la spiritualité ?

Comme les manifestations de la spiritualité sont l’objet des recherches de Lisa Miller, celle-ci a été amenée à définir ce qu’elle entendait par spiritualité. « La recherche montre une claire différence entre la stricte adhésion à une religion particulière et une spiritualité personnelle. Cette spiritualité personnelle est entendue comme « un sens intérieur  d’une relation vivante avec une puissance supérieure (Dieu, la nature, l’esprit, l’univers, ou , quelque soit le mot, une force de vie ultime, aimante, et guidante » (p 6-7). Dans une autre recherche menée en Angleterre et rapportée dans un livre : « Something there » (3), David Hay, accompagné par Rebecca Nye, était arrivé à la définition suivante : une « conscience relationnelle ». « Les analyses de conversations avec les enfants montraient comme ils se sentaient reliés à la nature, aux autres personnes, à eux-mêmes et à Dieu ».

Lisa Miller précise ainsi sa pensée : « Tandis que les religions organisées peuvent effectivement jouer un rôle dans le développement spirituel, le moteur premier qui suscite la spiritualité naturelle, est une faculté innée, biologique et en développement : d’abord une faculté innée pour une connection transcendante, puis un élan de développement pour rendre sienne cette connection, et, en conséquence, une relation personnelle profonde avec le transcendant à travers la nature, Dieu, ou la force universelle » (p 9).

 

Une recherche scientifique

Lisa Miller se présente comme psychologue clinique, directrice de la clinique de psychologie clinique de l’université Columbia. Dans son laboratoire, elle a conduit de multiples recherches et publié de nombreux articles validés scientifiquement sur le développement spirituel des enfants, des adolescents et des familles (p 1). Devenue une personnalité majeure dans le champ en pleine expansion du rapport entre psychologie, spiritualité et santé mentale, elle a joué un rôle pionnier dans ce domaine. En effet, il  y a deux décennies, comme chercheuse centrée sur la spiritualité et la santé, elle rencontrait un énorme scepticisme et un véritable rejet. « Au début du XXIè siècle,  dans les sciences sociales et médicales, il existait encore une forte opposition envers la recherche sur la spiritualité et la religion, de fait, des concepts distincts dans mon esprit » (p 2) . Cependant, des recherches ont ouvert la voie et ce fut une avancée décisive à travers « la compréhension de la science du cerveau et les découvertes de l’imagerie cérébrale, de longs entretiens avec des centaines d’enfants et de parents, des études de cas, et un riche matériel d’anecdotes » (p 2). Lisa Miller énonce les grandes idées nouvelles qui s’imposent aujourd’hui dans la psychologie : la psychologie positive, l’intelligence émotionnelle.. Et elle y ajoute la reconnaissance scientifique d’une faculté humaine : la spiritualité naturelle qui concerne tout particulièrement l’éducation familiale.

 

Reconnaître la spiritualité des enfants

Lisa Miller parcourt le pays à la rencontre des parents pour les entretenir de sa recherche. Elle nous raconte combien de nombreux parents lui parlent alors de leurs enfants  : « des enfants qui prennent soin de leurs frères et sœurs plus petits ou de leurs grands-parents, qui parlent aux animaux ou chantent en prière ». « Les enfants sont si spirituels », me disent-ils (p 1). Souvent, dans des moments de crise familiale, des enfants font preuve de sagesse et de compréhension.  Comme chercheuse scientifique, je sais que la spiritualité de l’enfance est une vérité puissante qui est irréfutable et cependant étrangement absente de la culture dominante ». « Que les enfants soient « si spirituels », n’est pas simplement une anecdote ou une opinion, que ce soit la mienne ou celle d’un autre. C’est un fait scientifique établi » (p 2).

 

La spiritualité, une faculté naturelle des enfants

« Biologiquement, nous sommes cablés pour une connection spirituelle. Le développement spirituel est pour notre espèce, un impératif biologique et psychologique depuis la naissance. L’harmonisation spirituelle innée des jeunes enfants, à la différence d’autres lignes de développement comme le langage et la cognition, commence entière et est mise en forme par la nature pour préparer l’enfance en vue des décennies à venir, y compris le passage critique de l’adolescence » (p 3). Lisa Miller décrit ensuite l’évolution du jeune enfant. « Dans la première décennie de sa vie, l’enfant avance à travers un processus d’intégration de sa « connaissance » spirituelle avec ses autres capacités en développement cognitif, physique, social, émotionnel, tous ces développements étant modelés à travers des interactions avec les parents, la famille, les pairs et la communauté »  (p 3-4). Cependant, « si l’enfant manque de soutien et d’encouragement pour développer cette part de lui-même, son branchement spirituel s’érode et en vient à se désagréger sous la pression d’une culture strictement matérielle » (p 4).

 

Convergence avec la recherche de Rebecca Nye sur la spiritualité des enfants

En 2009, une chercheuse anglais, Rebecca Nye a publié un livre : « Children’s spirituality. What it is and why it matters » (4) rapportant les conclusions de ses recherches avec David Hay. Rebecca Nye décrit ainsi la spiritualité des enfants : « La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie…. Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création ou à un profond sens de l’être intérieur (inner sense of being). Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des moments ou des expériences spécifiques aussi bien qu’à travers une activité imaginative ou réflexive ».

La recherche de Rebecca Nye converge avec celle de Lisa Miller : « la spiritualité des enfants est plus naturelle qu’apprise. Peut-être, le terrain le plus fertile pour la spiritualité se situe dans l’enfance. La spiritualité de l’enfance se répercute sur l’âge adulte. La spiritualité est profondément relationnelle… ».

 

La spiritualité, un guide pour l’adolescence

Un développement harmonieux de la spiritualité  de l’enfant  va lui permettre de mieux affronter les difficultés de l’adolescence. « La conscience du développement spirituel crée des opportunités pour préparer les jeunes à un important travail intérieur d’intériorisation qui est nécessaire  pour une individualisation, le développement de l’identité, une résilience émotionnelle… et des relations saines. La spiritualité est un principe majeur d’organisation de la vie intérieure dans la seconde décennie de la vie, poussant les jeunes vers un âge adulte porteur de sens, de projet, de conscience, d’accomplissement » (p 3).  En même temps que les changements physiques et émotionnels en cours dans l’adolescence, on y observe le surgissement d’un éveil spirituel. Quelles réponses les adultes apportent aux jeunes en ce domaine ? On sait par ailleurs les effets protecteurs d’une spiritualité harmonieuse par rapport à la dépression, aux conduites à risque et aux drogues.

 

Une vision nouvelle

Bien évidemment, cette présentation du livre de Lisa Miller n’est qu’une première esquisse . Dans ce livre de plus de 300 pages, Lisa Miller nous entraine dans la connaissance de ses découvertes révolutionnaires qui appellent un ajustement ou un changement de notre regard sur l’enfance et sur l’adolescence et, en conséquence, les exigences de celles-ci pour l’éducation parentale. En convergence avec les recherches engagées en Angleterre par David Hay et Rebecca Nye, Lisa Miller nous entraine dans la découverte  de la spiritualité comme une faculté naturelle dont la prise en compte est particulièrement cruciale pour l’enfance et pour l’adolescence. C’est une vision nouvelle dont nous savons bien qu’elle doit encore se frayer un chemin, notamment en France. Cette vision nous concerne tous. « Nous pouvons laisser nos enfants nous toucher, nous changer en nous rappelant qui nous sommes réellement. En tant que société, nous pouvons développer notre spiritualité collective en sachant que c’est vraiment une réalité importante. En étant ouvert à ces idées, ces valeurs et en étant conscient de la manière dont nous les vivons, nous pouvons changer notre monde. Cela commence avec chaque enfant et son droit de naissance : l’enfant spirituel » (p 348). C’est « une culture de l’amour ». Ensemble, nous pouvons créer « une culture inspirée » (p 348).

J H

  1. Lisa Miller. The awakened brain. Random House, 2021 . Présentation : https://vivreetesperer.com/the-awakened-brain/
  2. Lisa Miller. The spiritual child. The new science on parenting for health and lifelong thriving. St Martin’s Press, 2015. 374p
  3. David Hay. Something there. The biology of the human spirit. Longman, Darton and Todd, 2006. Présentation : « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  4. Rebecca Nye. Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House publishing, 2009. Ce livre a été traduit et publié en français : Rebecca Nye. La spiritualité de l’enfant Empreinte, 2015. Présentation : L’enfant. Un être spirituel : https://vivreetesperer.com/lenfant-un-etre-spirituel/