Sugata Mitra : un nouveau processus pédagogique

Sugata Mitra : un nouveau processus pédagogique

La réussite d’enfants apprenant librement en petit groupe auprès d’un ordinateur en puisant dans le savoir d’internet.

Comment l’expérimentation de Sugata Mitra s’est propagée en Inde et à travers le monde : des environnements d’apprentissage auto-organisés, une école dans le nuage (school in the cloud).

Il y a une dizaine d’années, le nouveau processus pédagogique initié et propagé par un ingénieur indien, Sugata Mitra, à partir d’une expérience initiale en 1999 : la réussite d‘un groupe d’enfants d’un bidonville indien à utiliser un ordinateur mis à leur portée ‘The hole in the wall’, était reconnue par le dispositif Ted qui diffuse les idées nouvelles dans l’univers anglophone à travers des ‘talks’, courtes interventions en vidéo ; en 2013, Ted lui décerne un prix accompagné d’un crédit qui va lui permettre d’engager une expérimentation à grande échelle en créant sept espaces propices à cette pédagogie : 2 en Grande-Bretagne et 5 en Inde. Nous avons rendu compte de la première étape du parcours de Sugata Mitra, celle des grandes innovations qui, durant la première décennie du XXIe siècle, ont engendré un nouveau processus pédagogique (1). Or en 2019, Sugata Mitra publie un livre qui dresse le bilan de l’ensemble de l’innovation et trace des perspectives d’avenir : « The school in the cloud. The emerging future of learning » (2). « L’Éducation a essayé d’exploiter la “promesse” de la technologie de l’éducation pendant des décennies pour aucun profit, mais nous avons appris que des enfants en groupe – quand l’accès à internet leur est donné – peuvent apprendre par eux-mêmes n’importe quoi (learn anything by themselves)… » En 1999, Suga Mitra a mené la fameuse expérience du ‘trou dans le mur’ qui a donné matière à trois causeries TED et lui a permis de gagner le premier prix TED d’un million de dollars pour la recherche. Depuis lors, il a mené une nouvelle recherche à propos des environnements d’apprentissage auto-organisés (self-organized learning environments, SOLE), construisant des ‘Écoles dans le Nuage’ (Schools in the Cloud) à travers le monde. Ce nouveau livre partage les résultats de cette recherche… Dans ce livre révolutionnaire, vous  apercevrez le futur émergent de l’apprentissage avec la technologie. Il en ressort que la promesse n’est pas dans la technologie elle-même. Elle est dans « un apprentissage dirigé par les enfants eux-mêmes utilisant la technologie » (page de couverture).

Cet ouvrage se déroule en trois grandes parties : Qu’est ce qui arrive quand les enfants rencontrent internet ? – Les écoles dans le nuage – Aperçus sur le futur de l’apprentissage.

 

Internet peut être un fabuleux moyen d’apprentissage pour les enfants

Avec son esprit curieux, en mettant un ordinateur en accès à des enfants d’un bidonville indien, l’ingénieur Sugata Mitra a fait apparaitre un phénomène insoupçonné : la capacité d’enfants défavorisés et sans instruction, mais s’entraidant les uns les autres de découvrir le fonctionnement d’un ordinateur et d’apprendre à partir d‘internet. A l’entrée de son premier chapitre intitulé : ‘Self–organizing systems in learning’ (les systèmes d’apprentissage s’organisant eux-mêmes), Sugata Mitra résume en ces termes le nouvel horizon : « Quand on leur donne l’accès à internet en groupe, les enfants peuvent apprendre n’importe quoi tout seuls » (p 3). Il décline ensuite ce constat à travers les résultats d’expérimentation auprès d’enfants d’âge divers en des lieux différents et dans des conditions variées. En Inde, dans les régions rurales ou les faubourgs misérables, puis dans d’autres pays, au Bhutan, au Cambodge et en Afrique du sud, « les résultats ont toujours été les mêmes : la capacité digitale a jailli de ce qui paraissait de nulle part » (Digital literacy sprang out of seemingly nowhere) (p 4). Sugata Mitra en précise les conditions : « Au cours des années, nos expériences ont montré que des groupes d’enfants, se voyant donner accès à internet dans des espaces publics et sûrs apprendrons à utiliser les ordinateurs et internet sans instruction venant des adultes. Nos expériences montrent que les enfants en groupe apprennent à des vitesses beaucoup plus grandes que des enfants travaillant individuellement par eux-mêmes. La mentalité de la ruche collective se montre un enseignant efficace. Il m’a fallu des années pour réaliser que cette situation collective d’apprentissage était un exemple d’un système s’auto-organisant… » (p 7).

 

Des environnements d’apprentissage auto-organisés

Nommé professeur de technologie de l’éducation à l’université de Newcastle en novembre 2006, Sugata Mitra arrive en Angleterre. En 2009, un film indien célébrant un effet de promotion sociale de l’expérience, ‘The hole in the wall’, le rend célèbre et il est contacté par une institutrice anglaise d’une petite école élémentaire Saint-Alban à Gateshead. Il engage la conversation avec des élèves de huit ans et leur propose d’essayer une expérience d’apprentissage avec des ordinateurs. Le 6 juillet 2009, les 24 élèves enthousiastes, âgés de huit ans, se voient proposés cinq questions concernant les avantages de l’adaptation pour la survie, questions correspondant à un niveau supérieur de quatre années. « Les enfants ont accès à un ordinateur par groupe de quatre en toute liberté. Au bout de trente minutes, les enfants reviennent avec leurs réponses sur un bout de papier. Puis, on demanda à chaque groupe de poser sa propre question. Il fut demandé à l’institutrice de retenir les réponse et de reposer individuellement et sans recours à l’ordinateur, les mêmes questions deux mois après (p11). Les résultats furent remarquables : « Les groupes peuvent répondre aux questions de l’examen classique, avec des années d’avance. Et, après avoir appris en groupe, beaucoup d’entre eux peuvent assimiler leur réponse dans une compréhension personnelle. Et deux mois après, ils ont retenu les résultats » (p 12). Ce fut là une nouvelle ouverture pour la recherche. L’expérience a ensuite été de nombreuses fois répétées montrant que les enfants pouvaient répondre à des questions encore plus difficiles correspondant à un niveau d’âge plus élevé. Sugata Mitra a trouvé un nouveau nom pour désigner cette méthode. Dans ces classes, l’ordre avait été remplacé par un doux chaos dans l’espoir d’un ordre émergeant spontanément. J’ai trouvé un nouveau nom pour ce que nous avions réalisé : nous avions découvert le « Self-organized learning environment » (SOLE) (Environnement d’apprentissage auto-organisé )» (p 14).

A partir de là, Sugata Mitra a développé quelques environnements expérimentaux en Inde.

En récapitulant les résultats obtenus par les enfants durant plusieurs années, Sugata Mitra peut mettre en évidence des gains remarquables :

  • Devenir un bon usager autonome d’internet
  • Apprendre assez d’anglais pour utiliser les moteurs de recherche ou un chat en mail
  • Apprendre à chercher sur internet pour répondre aux questions
  • Améliorer sa prononciation anglaise
  • Améliorer ses scores en mathématiques et en sciences à l’école
  • Évaluer les opinions et détecter l’endoctrinement et la propagande (p 15)

 

Les enfants à qui on donne accès à internet en groupe peuvent apprendre n’importe quoi tout seuls

 Dès lors, Sugata Mitra s’est posé la question : « Y a-t-il une limite à ce que les enfants peuvent comprendre en utilisant internet ? ».

Pour répondre à cette nouvelle question, une nouvelle expérience a été entreprise à kalikuppam, un village de l’Inde du sud. « Nous avons posé une question dont nous pensions que les enfants ne parviendraient pas à y répondre : quel est le processus de réplication de l’ADN ? Est-ce que des enfants Tamil âgés de 12 ans à Kalikuppan peuvent apprendre et comprendre le processus de réplication de l’ADN en anglais à partir d‘un ordinateur, trou-dans-le-mur, sans guidance d’un adulte ? A ma stupéfaction la réponse a été : oui » (p 15) ». Un matériel universitaire de biotechnologie avait été déchargé sur l’ordinateur. Au bout de deux mois, ces enfants qui comprenaient à peine ce langage sur un sujet bien en avance de ce qui leur était enseigné à leur âge, sont parvenus tout seuls à un score de 30%. Puisqu’on ne pouvait trouver un professeur de biochimie pour cette école, Sugata Mitra a eu l’idée de chercher une ‘médiatrice’. « Cette personne était juste une figure adulte amicale qui encouragerait les enfants à aller plus loin, simplement à travers des expressions chaleureuses comme : ‘Formidable. Comment tu as pu comprendre cela ?’ ou ‘Je n’aurais jamais pu comprendre cela tout seul’… pareil à la manière dont une grand-mère admire ses petits-enfants. La médiatrice n’avait aucune connaissance du sujet. Elle avait de l’affection pour les enfants et elle les admirait. J’ai appelé cela la ‘méthode de la grand-mère’. En quelques semaines, la ‘méthode de la grand-mère’ a mené les enfants de Kalikuppan au même niveau que des enfants plus âgées qui recevaient l’enseignement d’un professeur formé de biochimie dans un école urbaine de Delhi ».

Cette expérience de Kakikuppan a appris deux grandes leçons à partir desquelles Sugata Mitra a pu déclarer : « Les enfants à qui on donne accès à internet en groupes peuvent apprendre n’importe quoi tout seuls ». Dès lors, les déclarations de Sugata Mitra ne sont plus apparues comme naïves, mais comme dangereuses. Cette expérience a également montré que l’admiration est un puissant outil d’apprentissage. L’apprentissage auto-organisé est tout au long aidé par l’admiration. J’ai appelé cette méthode : ‘Une éducation envahissante au minimum’ (minimally invasive education) » (p 16).

 

Comment des grands-mères viennent encourager les enfants sur skype

A partir de là, Sugata Mitra s’est dit que la ‘méthode des grands-méres’ était efficace et il a décidé d’essayer à nouveau. Est-ce que cette pratique pourrait se réaliser avec skype ? En 2009, comme Sugata Mitra est interviewé par le ‘Guardian’, il fait savoir que son dispositif est associé à un service de téléphone skype à Hyderabad comme près de Newcastle. Et il raconte : « Quand je suis allé en Inde récemment, j’ai demandé aux enfants comment ils aimeraient utiliser skype au mieux et ils m’ont répondu qu’ils souhaiteraient que des grands-mères anglaises leur lisent des contes de fée ». L’intervieweur en a fait part dans le Guardian et du coup des mails sont arrivés. Sugata Mitra s’est adressé aux volontaires pour leur donner les principes de la ‘méthode des grands-mères’ : ne pas enseigner, entrer en conversation, poser des questions et demander aux enfants d’éventuelles réponses. En d’autres mots, elles peuvent conduire une session SOLE sur skype. Nous décidâmes d’appeler ce groupe de volontaires ‘The Granny Cloud’ (le nuage de la grand-mère). Parmi ces volontaires, certaines personnalités se sont révélées particulièrement ajustées. Aujourd’hui, des ‘grannies’ opèrent à l’échelle mondiale (p 17-18). Cette intervention a eu notamment un effet bénéfique sur le langage des enfants (p 32).

 

Les Écoles dans le Nuage

Dans ce livre, Sugatra Mitra nous rapporte comment l’expérimentation s’est poursuivie à travers l’implantation d’ ‘environnements d’apprentissage auto-organisés’ (SOLE) à travers le monde ; effectivement, des expériences sont apparues dans de nombreux pays : Australie, Argentine, Uruguay, Chili, Etats-Unis. Et bien sûr, elle a continué à s’étendre en Angleterre et surtout en Inde. L’Inde a été le grand champ d’expérimentation des ‘Schools in the Cloud’. Ce livre nous rapporte, par le menu, l’histoire de chaque innovation dans son environnement spécifique : les atouts, les oppositions, les difficultés, les gains qui, à chaque fois, viennent confirmer la réussite de cette nouvelle approche.

Au total, Sugata Mitra peut dresser un bilan : « Qu’est-ce que nous avons appris des écoles dans le nuage ? » (p 125-140). « Nous savons maintenant que les enfants peuvent apprendre à se servir des appareils tout seuls. Ils peuvent même apprendre plus vite dans des groupes non supervisés… Ils peuvent aussi enseigner aux adultes les usages de la nouvelle technologie. Nous voyons là une génération qui peut utiliser n’importe quelle technologie digitale pour résoudre des problèmes… Ils peuvent calculer (compute) des solutions aux problèmes. Calculer est la nouvelle arithmétique (Computing is the new arithmetic). On constate également une amélioration de la ‘compréhension de lecture’ lorsque les enfants utilisent l’Ecole dans le Nuage. « Il est important de noter que la ‘compréhension de lecture’ est seulement un des aspects de la compréhension des contenus. En plus des textes imprimés, les enfants ont affaire à beaucoup d’autres genres de médias incluant des représentations visuelles, audio et vidéo ». « Ainsi il vaudrait mieux parler de ‘compréhension de multimédias’. Dans les ‘Écoles dans le Nuage’, cette compréhension s’améliore à des niveaux au-dessus de celle qui prévaut dans l’éducation standard ». Au total, les enfants apprennent à lire mieux et plus vite dans l’École du Cloud. Il est peut-être possible de commencer avec des enfants aussi jeunes que cinq ans. Voici une génération qui peut comprendre le monde à partir du nuage massif de données qui les entoure ».

« Nous savons que des groupes d’enfants cherchant sur internet réussissent mieux dans leur recherche et habituellement détectent les erreurs dans l’information ou dans leur perception. A la différence des écoles traditionnelles, dans les Ecoles dans le Nuage, les enfants apprennent à chercher en groupe, se corrigent les uns les autres, et discutent entre eux quelle découverte est la plus authentique. En se comportant ainsi, les enfants apprennent à communiquer avec le réseau, à répondre aux bonnes questions de la bonne manière, et expliquer et discuter leurs découvertes les uns avec les autres. Communiquer est la nouvelle écriture.

Quand les enfants recherchent sur internet et sont complimentés sur leurs découvertes, il est naturel de s’attendre à ce que la confiance en eux-mêmes s’accroisse… Voilà une génération qui a confiance dans ses capacités digitales.

Les enfants n’ont pas peur de la technologie moderne. Ils ont seulement besoin d’y avoir accès. C’est une vision d’espoir.

Finalement, ‘le Trou dans le Mur’ et ‘l’École dans le Nuage’ nous montrent qu’il y a un changement fondamental dans les capacités dont les enfants ont besoin pour la nouvelle époque dans laquelle ils sont en train de grandir. Une transition se produit : un mouvement de la lecture, l’écriture, l’arithmétique à la compréhension, la communication et le calcul ».

 

Une réflexion prospective

Dans un dernier chapitre, Sugata Mitra s’engage dans une réflexion prospective ‘Looking for the future’. Sugata Mitra est impressionné par la rapidité du changement technologique. « Nous sommes dans une trajectoire technologique pour le développement humain qui est maintenant dans une phase exponentielle » (p 166). Son attention se porte sur l’organisation des réseaux et de leur évolution. Comme physicien, il envisage les ‘systèmes dynamiques complexes’ et il rapporte des changements où on passe spontanément d’une situation chaotique à un ordre supérieur. « Quand des systèmes complexes passent du chaos à l’ordre, nous les appelons des systèmes s’auto-organisant » (p XXXVIII). Sugata Mitra entrevoit cette réalité dans la nature et il la perçoit dans son expérimentation pédagogique dans un processus où on passe du brouhaha à une construction collective. Il aperçoit un phénomène analogue dans l’émergence d’internet aujourd’hui. « Cette époque est caractérisée par un ordre spontané dans un réseau global de gens » (p 173). Nous ne le suivons pas dans des extrapolations qui apparaissent aujourd’hui dans le courant transhumaniste. Nous ne nous arrêtons donc pas à ce court épilogue, car il ne rapporte en rien l’apport majeur de ce livre : l’invention d’une pédagogie nouvelle fondée sur la créativité des enfants dans des petits groupes en phase avec internet. La recherche et l’innovation menées par Sugata Mitra nous paraissent à la fois spectaculaires et révolutionnaires.

Dans cette innovation épique, le nouveau processus pédagogique initié par Sugata Mitra s’appuie sur l’élan créatif des enfants et, à cet égard, on peut y voir une parenté avec d’autres formes d’éducation nouvelle, comme l’invention montessorienne (3). Cependant, comme les innovations précédentes, celle-ci s’est heurtée et se heurte encore à un système scolaire marqué par la hiérarchie, la compétition, l’individualisme. Certes, ce système est de plus en plus contesté dans l’aire anglophone comme dans l’aire francophone. En l’occurrence, Sir Ken Robinson, qui remit le prix TED à Sugata Mitra, auteur et conférencier anglais, expert dans le domaine de l’éducation artistique, a fréquemment dénoncé les effets pervers des systèmes scolaires forgés à l’image de la production industrielle (4). Il déclarait ainsi : « L’école nous introduit dans une voie standardisée et annihile la créativité que chaque enfant porte en lui à la naissance ». Ken Robinson montrait comment le système scolaire actuel est le produit d’une autre époque où un intellectualisme individualiste issu du XVIIIe siècle s’est combiné à une organisation industrielle associant uniformisation, standardisation et division du travail. Aujourd’hui, nous avons besoin de passer d’un « processus mécanique » à un « processus organique ». Les nouveaux modes de communication changent la donne et permettent le changement. Sans doute, percevons-nous aujourd’hui davantage non seulement les bienfaits d’internet, mais également les risques potentiels. Cependant, cette analyse nous permet de comprendre en quoi l’innovation de Sugata Mitra s’est heurtée au conservatisme de l’institution scolaire. Cette opposition apparait bien dans le commentaire d’un chercheur anglais, James Nottingham : « Ce livre met en question une représentation conventionnelle et vous pousse à entrer dans une nouvelle manière de penser au sujet du comment apprendre. Par exemple, pensez aux millions dépensés pour fournir un ordinateur à chaque étudiant alors que Sugar Mitra montre que les enfants apprennent mieux lorsqu‘ils se rassemblent auprès d’un grand écran… » Et de même, cet auteur fait ressortir la vanité du bachotage des tests au regard des résultats durables obtenus dans les ‘environnements d’apprentissage auto-organisés’. Une caractéristique majeure de cette innovation éducative est l’apprentissage en petits groupes. C’est aussi un élément majeur de sa réussite. Ainsi la rupture avec le système traditionnel n’est pas seulement technique, elle est aussi sociale.

J H

 

  1. Sugata Mitra , un avenir pédagogique prometteur https://vivreetesperer.com/sugata-mitra-un-avenir-pedagogique-prometteur-a-partir-dune-experience-dauto-apprentissage-denfants-indiens-en-contact-avec-un-ordinateur/
  2. Sugata Mitra. The School in the Cloud. The emerging future of learning. Corwin, 2020. On pourra voir parallèlement un film documentaire réalisé par Jerry Rothwell : https://www.platform-mag.com/film/the-school-in-the-cloud.html
  3. L’invention montessorienne : https://vivreetesperer.com/linvention-montessorienne-2/
  4. Une révolution en éducation : https://vivreetesperer.com/une-revolution-en-education/
Mieux vivre avec son passé

Mieux vivre avec son passé

Notre relation avec le passé varie selon notre contexte de vie et les circonstances. Lorsque nous ressentons des difficultés psychologiques, nous savons aujourd’hui que notre passé n’y est pas étranger. D’une façon ou d’une autre, nous voici appelés à le revisiter. Mais, dans d’autres situations, nous pouvons trouver un réconfort en évoquant des souvenirs heureux. Jusque dans la vie courante, nous sommes appelés à faire des choix, à nous engager dans telle ou telle orientation. Nous envisageons l’avenir en fonction du sens que peu à peu nous avons donné à notre vie. Or, à chaque fois, les pensées qui nous animent dépendent de notre personnalité Et cette personnalité s’est formée peu à peu en fonction de nos rencontres et de nos découvertes qui se rappellent dans nos souvenirs. Quelle conscience avons-nous de nous-même?

Qui sommes-nous ? En regard de ces questions, nous envisageons la rétrospective de notre vie. Cette vie s’enracine dans un passé, non pas pour y demeurer,  mais pour se poursuivre et aller de l’avant. Ainsi, lorsqu’un livre parait avec le titre : « Vivre avec son passé. Une philosophie pour aller de l’avant » (1), nous voilà concerné.  En même temps, nous découvrons l’auteur, le philosophe Charles Pépin (2). Auparavant, celui-ci a écrit d’autres livres qui nous amènent à réfléchir au cours de notre vie : « Les vertus de l’échec », « la confiance en soi ». Dans ses livres, et dans celui-ci, Charles Pépin témoigne d’une vaste culture. Ainsi, éclaire-t-il son expérience et ses observations à travers la pensée des philosophes, mais aussi les textes des écrivains, sans oublier l’apport des sciences humaines. En traitant ici de la mémoire, il recourt au nouvel apport des neurosciences. En montrant abondamment combien le passé ne disparait pas, mais est toujours là sous une forme ou sous une autre, Charles Pépin nous incite « à établir une relation apaisée et féconde avec notre mémoire…. Les neurosciences nous apprennent que la mémoire est dynamique, mouvante. Nos souvenirs ne sont pas figés…En convoquant sciences cognitives, nouvelles thérapies, sagesses antiques et classiques de la philosophie, de la littérature ou du cinéma, Charles Pépin nous montre que nous pouvons entretenir un rapport libre, créatif avec notre héritage… » (page de couverture). C’est un livre qui ouvre la réflexion et donc entraine des relectures. Cette présentation se limitera donc à quelques aperçus.

 

Une présence dynamique du passé

Notre passé n’est pas bien rangé dans une armoire close. Nous devons sortir d’une « représentation de la mémoire, statique… accumulative ». Ce n’est pas « un simple espace de conservation du passé » ( p 15).

Cependant, elle a été longtemps peu considérée par la philosophie jusqu’à ce que « Henri Bergson (3) la place au cœur de sa réflexion  à la toute fin du XIXè siècle ». « Il a l’intuition assez folle pour son époque, mais confirmée par la science d’aujourd’hui, que notre mémoire n’est pas statique, mais dynamique, que nos souvenirs sont vivants, sujet à des flux et des reflux, affleurant à notre conscience avant de repartir. Et surtout que notre mémoire est constitutive de notre conscience, et donc de notre identité » ( p 16). Nous ne pouvons faire  table rase de notre passé. « Nos souvenirs, notre passé irriguent la totalité de notre activité consciente. Notre passé resurgit constamment dans nos perceptions, dans nos intuitions, dans nos décisions… Nous sommes imprégnés d’un passé qui nous parle et nous oriente… » ( p 21). « Notre passé est bien vivant. Il n’est pas  seulement passé, mais bien toujours présent » ( p 24). Cette présence peut  nous affecter de diverses façons, dérangeante, mais aussi encourageante, réconfortante.. Tout dépend également de l’accueil que nous offrons à nos souvenirs. Charles Pépin nous incité à écouter Bergson qui « nous engage à une attitude d’accueil créatif et d’ouverture à ce passé qui nous constitue. Si notre personnalité condense la totalité de notre histoire personnelle, l’acte libre devient l’apanage de celui qui « prend son passé avec soi », qui l’emporte tout entier pour le propulser vers l’avenir. Nous pouvons nous saisir en même temps de notre passé et de notre liberté : Bergson ne propose rien d’autre qu’une méthode pour y parvenir » ( p 26) .

 

Ce que nous savons aujourd’hui sur la mémoire

La recherche sur la mémoire a beaucoup progressé. L’auteur dresse un bilan de ces avancées. Ainsi, on identifie aujourd’hui trois mémoires principales : la mémoire épisodique (ou mémoire autobiographique) qui correspond à la « mémoire souvenir » de Bergson, la mémoire sémantique qui est la mémoire des mots et des idées et la mémoire procédurale, rattachée à nos réflexes et à nos habitudes qui se rapproche de la « mémoire habitude » de Bergson ; auxquelles s’ajoutent les mémoires de court terme, de travail et sensorielle ( p 27-28). L’auteur consacre un chapitre à la présentation de ces différents mémoires et de leurs usages telles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui grâce à l’apport des neurosciences.

« Notre mémoire épisodique est le souvenir de notre vécu : ces épisodes prêts à se rappeler à notre conscience pour nous réchauffer l’âme ou nous affliger d’un pincement au cœur…. La mémoire épisodique est le siège de notre histoire » (p 28-29). C’est ainsi que nous pouvons nous remémorer notre vie en un récit.

« Le souvenir  n’est pas une trace mnésique localisée… mais une manière dont notre cerveau a été affecté, impacté par ce que nous avons vécu ». « Des expériences ont prouvé que notre mémoire ne peut être localisée dans une zone précise du cerveau … Notre mémoire est dynamique et notre cerveau en continuel mouvement et évolution » ( p 33-34). Notre représentation de cette activité est vraiment nouvelle. Elle s’exerce en terme de réseau et dans des modifications constantes. « Notre cerveau se définit par sa plasticité, sa capacité à évoluer sans cesse… Le cerveau se modifie en permanence, et nous pouvons toujours le transformer à nouveau » ( p 35). Dans ces interconnexions, « le souvenir est comme reconfiguré par ce que nous avons vécu depuis, par le contexte présent ». L’imagination prend part au processus.

« Le sens que nous donnons à nos souvenirs dépend également des idées et des valeurs que nous leur attribuons, C’est le rôle de la mémoire sémantique » ( p 37). « La mémoire sémantique contient les mots que nous posons sur les objets, les notions, les concepts, les « vérités générales ». En elle s’inscrit notre connaissance du monde.  Elle ne se charge pas, comme la mémoire épisodique, des épisodes, mais de ce que nous en avons déduit ». ( p 38) .Si, à partir de certains évènements vécus, nous avons développé des représentations négatives, une dépréciation de nous-même, cela fait partie également de la mémoire sémantique.. Or, à ce niveau, nous pouvons corriger les croyances  qui sont néfastes pour nous en réinterprétant les situations dont elle sont originaires. « Il est tout à fait possible de substituer des croyances dans notre mémoire sémantique implicite.  Nous pouvons ainsi « échapper au ressassement d’un souvenir douloureux en travaillant sur celui-ci pour changer d’éclairage » ( p 42). L’auteur cite un écrivain marqué par ses origines sociales et qui parvint à se libérer de ses croyances dévalorisantes en développant une nouvelle interprétation ( p 42-46).

Il y a une troisième mémoire. C’est la mémoire procédurale. C’est « la mémoire de nos habitude ou réflexes, celle qui nous permet de conduire une voiture, de faire du vélo, de jouer du piano… » ( p 46). Les savoir-faire enregistrés dans cette mémoire procédurale résistent au temps qui passe, et même aux atteintes d’Alzheimer.

Aux trois mémoires à long terme évoquées précédemment, s’ajoutent deux mémoires é court terme : la mémoire de travail et la mémoire sensorielle ( p 52-55). « Nous vivons ainsi dans un présent constitué de différentes couches du passé… ».

 

Le passé, socle de notre identité

« La question de l’identité personnelle est un des problèmes philosophiques les plus passionnants, mais aussi les plus complexes » nous dit Charles Pépin. « Qu’est ce qui nous définit en tant qu’individu singulier, nous distingue de tout autre ? Qu’est ce qui demeure en nous de manière permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? » ( p 85).

Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre être, notre personnalité à travers notre histoire personnelle. L’auteur interroge les philosophes. Ici, nous rejoignons la thèse du philosophe anglais, John Locke : « Les souvenirs nous disent que nous sommes nous-mêmes, ils fondent notre conscience de soi, de cette continuité entre toutes nos perceptions » ( p 86). L’auteur poursuit sa réflexion sur « la fabrique de l’identité » : « Notre mémoire n’est pas seulement le réceptacle de notre itinéraire de vie, susceptible d’éclairer nos comportements, nos réactions et émotions. Nos souvenirs fondent la conviction que la personne qui a vécu tous ces évènements est bien identique à celle qui s’en souvient.  Ils fondent la conscience d’une identité qui perdure » ( p 89).

L’auteur évoque ensuite l’œuvre de Marcel Proust : « A la recherche du temps perdu ». Celui-ci explore la portée de ses réminiscences. « Bien que soumis, comme toute chose au passage du temps, le narrateur qui trempe sa madeleine dans son thé et se remémore son enfance réalise que, en dépit des années écoulées, charriant leur lot de plaisirs et de peines… quelque chose de lui est demeuré que Proust nomme « le vrai moi…Ce « vrai moi » prend chez Proust de accents mystiques : il s’agit d’un mois profond, d’un moi immuable, d’une essence de moi qui semble indiquer la possibilité d’une vie éternelle. Et si en effet

ce moi résiste au temps, pourquoi ne résisterait-il pas éternellement ? »  ( p 95).

Cette lecture du livre de Charles Pépin nous renvoie à une autre : la lecture du livre de Corinne Pelluchon : « Paul Ricoeur. Philosophie de la recontruction » (4), où elle aborde le thème de l’identité à partir du livre de Paul Ricoeur : « Soi-même comme un autre ». L’auteure envisage l’identité comme « une identité narrative, c’est-à-dire qu’elle se recompose sans cesse » ( p 119). « Parler d’identité narrative signifie d’abord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les différents éléments de sa vie pour leur conférer une unité et un sens qui n’est pas définitif et n’exclut pas les mises en question…. L’identité n’est pas figée ni à priori ; elle se transforme et se construit à travers des histoires que nous racontons sur nous-même et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprétations qui enrichissent notre perception du monde et de nous » ( p 120).

 

Remédier aux blessures du passé

Le passé de chacun est différent. Il s’y trouve des joies et des souffrances, des moments de bonheur et des souffrances, des libérations, mais aussi des blessures dont les effets se poursuivent en forme de ruminations et de dépendances. On peut chercher à oublier ces emprises, mais les souvenirs sont vivaces et parfois reviennent au galop. On peut aussi entrer dans la mémoire pour en transformer les effets. Il y aujourd’hui, de nombreuses approches en ce sens, nous rapporte Charles Pépin. C’est une bonne nouvelle.

Alors on peut rejeter la tentation de l’oubli.

Cependant, l’auteur nous décrit les nombreux comportements qui traduisent une volonté de « tourner le dos à son passé ». Si cette attitude peut réussir dans l’immédiat, elle comporte des risques et peut engendre des situations désastreuses. « L’évitement a un coût psychique »« Nous n’ignorons pas le passé si aisément…Le garder à l’écart impose une lutte constante, qui peut devenir inconsciente, mais certainement pas gratuite » ( p 110). « Plus dangereux est le traumatisme, plus dangereux est le piège de l’évitement » ( p 116).  L’auteur décrit des conduites pathologiques en recherche de l’oubli : travailler pour oublier, boire pour oublier… La situation de l’alcoolique est particulièrement critique. Car son addiction peut déboucher sur une altération de la mémoire « antérograde », c’est-à-dire de la capacité à se constituer de nouveaux souvenirs, à garder en mémoire ce qui vient d’être vécu », une faculté compensatrice.. ( p 122-124). « Puisque l’évitement est dangereux, l’oubli impossible, il nous faut donc apprendre à vivre avec notre passé, à « faire la paix » avec lui » ( p  142).

Durant ces dernières décennies, de grands progrès ont été réalisé en psychologie (5) et la gamme des approches s’est considérablement élargie. C’est dans ce contexte que Charles Pépin a écrit un chapitre : « intervenir dans son passé ». Son approche est globale et ne se limite pas à telle ou telle thérapie. « La vie nous offre parfois de porter un autre regard sur notre passé, de changer notre perception de celui-ci. L’élément déclencheur peut aussi bien être une discussion avec un aïeul, une rencontre qui nous ouvre de nouvelles perspectives, une empathie nouvelle pour quelqu’un qui nous a causé du tort, ou encore le temps qui passe et qui crée une distance salutaire…ou tout simplement une joie de vivre retrouvée, une période plus heureuse qui recolore le passé… Notre histoire nous apparait sous un nouveau jour… Nous voilà tout naturellement apaisés, libérés… » ( p 182)..

« Mais il arrive que la vie ne nous offre pas les conditions suffisantes, propices à une rémission de l’hier…. Nous sommes enfermés dans nos ruminations. Certains passés traumatiques rendent alors nécessaires d’intervenir dans notre passé, parfois avec l’aide d’un thérapeute. Les techniques développées dans ce chapitre sont pour la plupart issues des « thérapies de reconsolidation de la mémoire », mais elles dessinent une voie d’intervention que chacun de nous peut mettre en œuvre seul… Ces techniques reposent sur la méthode suivante : intervenir sur le souvenir en modifiant l’émotion ou l’interprétation qui y sont attachées » ( p 183-184). L’auteur propose donc trois approches :  Changer la règle de vie implicite attachée au souvenir ; développer une technique d’habituation au mauvais souvenir ; faire intervenir un personnage fictif dans ses souvenirs : les techniques de reparentage (imaginer une figure aimante et bienveillante appelée figure de « reparentage » qui intervient au cœur de l’épisode douloureux remémoré).

A titre d’exemple, rapportons la première approche. Elle consiste à sortir un souvenir de notre mémoire à long terme pour le retraiter dans notre mémoire de travail avant de le « renvoyer » dans notre mémoire de long terme…. Si nous ne pouvons pas effacer un souvenir de notre mémoire épisodique, nous pouvons en revanche effacer ou réinterpréter une règle de vie implicite dans notre mémoire sémantique, déconstruire cette « vérité émotionnelle, héritée de notre passé qui nous entrave » ( p 184).

Charles Pépin évoque trois penseurs  contemporains en fin de de XIXè et début de XXè siècle : Bergson, Freud et Proust qui, tous les trois, ont porté une grande attention à la mémoire et à la question du temps ( p 204-206). Il aborde ensuite « la psychanalyse freudienne, un retour au long cours sur son passé ». il rapporte l’évolution de la pratique psychanalytique. « La cure psychanalytique nous guide dans une nouvelle manière de dire les choses, comme elles viennent, sans souci de cohérence, ni de censure morale. Elle nous apprend à diverger et éclairer soudain notre passé d’un jour nouveau ». L’auteur voit dans « cet art de la divergence », « le meilleur antidote du ressassement » ( p 214).

 

Prendre appui sur son passé

Si le passé peut nous déranger par le souvenir de certaines expériences malheureuses qui stagnent encore et viennent nous assombrir, à l’inverse nous pouvons y trouver force, soutien et consolation. Charles Pépin évoque cet apport positif dans un chapitre : « Prendre appui sur son passé ». Ici, l’auteur se réfère de nouveau à Bergson. « Un désir authentique, en adéquation avec soi-même, explique Bergson, ressaisit toute notre histoire et nous conduit à un objectif qui prend un sens profond pour nous ».

« Lors d’une conférence donnée à Madrid, Henri Bergson synthétise cette idée de ressaisir notre passé pour nous projeter dans l’avenir sous le concept de « récapitulation créatrice » ( p 149). Comme à son habitude, et c’est un apport très riche de son livre qui, par définition,  ne peut être mis en valeur par un simple compte-rendu, Charles Pépin appuie son propos par des exemples vivants. Fils de boulanger, dans sa première jeunesse, cet homme avait quitté sa ville natale pour monter à Paris. A l’aube de la trentaine, il fut pris de doutes. Lassé par un travail qui ne lui apportait pas les satisfactions que procure l’artisanat, il reprit l’affaire familiale et fit prospérer cette boulangerie en usant des savoirs appris par ailleurs. Ainsi doit-il le succès de sa reprise de l’entreprise paternelle à la synthèse qu’il a su faire entre ses souvenirs d’enfance et ses expériences professionnelles. Il a récapitulé l’ensemble de son histoire en se montrant créatif pour inventer sa manière personnelle d’être boulanger » ( p 150).

« Dans son « Essai sur les données immédiates de la conscience », Bergson écrit : « Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment… ». Cette réflexion peut éclairer nos choix. « Notre acte est libre parce que nous nous y « retrouvons ». Toute notre identité s’y exprime comme si notre vie entière devait nous avoir conduit à ce point et à cette prise de décision ». ( p 156-157).

Dans « La pensée et le mouvement », Bergson emploie une jolie expression, « la mélodie continue de notre vie intérieure » pour évoquer ce moment ou nous rencontrons une activité qui nous correspond et nous offre un espace d’expression nouveau : c’est comme si nous entendions notre mélodie intérieure » ( p 165).

Chez Bergson, ce regard sur la vie s’inspire d’une pensée, d’une métaphysique : « la Vie et un « Elan vital », une force de créativité fondamentale qui pulse au cœur même du vivant, de tous les vivants… l’Elan vital se particularise en chacun de nous et, en ce sens, nous manifestons tous une part de cette Vie, de cette force métaphysique que Bergson qualifie de divine » ( p 186-174).  « Notre personnalité est plus que le résultat de notre passé, que « la condensation » de l’histoire que nous avons vécue depuis notre naissance » comme l’écrit Bergson dans « L’Evolution créatrice ». Elle est notre identité, mais propulsée vers l’avant, traversée par cette force de vie qui nous pousse à agir, à créer » ( p 174). « Cet Elan vital nous pousse aussi à nous tourner vers les autres, vers le monde, vers l’avenir. Il nous appelle à prendre notre part de responsabilité et nourrir nos élans de générosité.  Ainsi l’Elan vital devient une force de décentrement… Nous sentons que la vie qui pulse en nous n’est pas simplement la nôtre, que nous sommes plus que de simples individus isolés : nous appartenons à un tout dont nous sommes solidaires » ( p 178). Tout cela contribue à éviter de ressasser en nous ouvrant au  mouvement de la vie ( p 181).

 

Aller de l’avant avec son passé

Ainsi, dans un chapitre final, Charles Pépin nous invite à aller de l’avant avec notre passé ». L’auteur aborde là des questions sensibles comme la question du pardon ou l’épreuve du deuil. Ce sont là des passages difficiles à franchir. Comme ces thèmes sont complexes, ils demanderaient une analyse approfondie, et après la présentation déjà approfondie de ce livre, nous renvoyons à une lecture directe de ces textes.

Charles Pépin évoque également le soutien que les souvenirs peuvent apporter dans cette marche en avant. Notre mémoire vivante. De nouvelles expériences, de nouveaux intérêts, de nouvelles joies peuvent susciter de nouveaux souvenirs. Et, le cas échéant, ceux-ci pourront « empiéter » sur les mauvais souvenirs, les diluer, et faciliter ainsi notre acceptation du passé (p 231).

Cependant, en terminant cette présentation, nous mettrons l’accent sur un aspect qui nous parait essentiel : l’usage de notre mémoire positive, la remémoration émotionnelle de nos bons souvenirs. « Nous l’oublions trop souvent, mais nous avons ce pouvoir de redonner vie aux belles choses du passé, de les convoquer avec créativité : nos souvenirs heureux, eux aussi, doivent être reconsolidées. Quel dommage de les laisser à l’état de veille, enfouis dans les limbes de notre mémoire, de nous priver de leur éclat, du réconfort qu’ils peuvent nous apporter, du désir de vivre qu’ils peuvent nourrir ici et maintenant » ( p 217). L’auteur ajoute : « Pour goûter à nouveau les plaisirs passés, il faut se montrer non seulement disponible, mais aussi capable de leur ouvrir la porte, d’en tirer le fil avant de se laisser envahir. Comme Proust nous l’a montré, il faut donner au souvenir l’opportunité de revenir dans sa richesse, et non simplement le laisser passer…» ( p 219). Cette culture de la mémoire peut se développer sur tous les registres. L’auteur cite ainsi un texte paru dans « Les confessions » de Saint Augustin une invitation inspirée à retrouver l’éblouissante présence du passé : « Et j’arrive aux plaines, aux vastes palais de la mémoire, là où se trouvent les trésors des images innombrables… ». « iI n’appartient qu’à nous d’exhumer ces trésors pour les contempler » (p 217).

Le livre de Charles Pépin ne nous apporte pas seulement des orientations de réflexion. Il est nourri par des récits d‘expérience. Il permet à un vaste public de s’interroger sur la manière de mieux vivre avec le passé. Bien sûr, ce livre éveille des échos

Dans nos épreuves, c’est bien aux fondations de notre personnalité que nous faisons appel, telles qu’elles sont imprégnées par l’inspiration qui nous porte. C’est bien la mémoire qui entre en jeu. Nous pouvons évoquer d’autres expériences où les souvenirs peuvent nous encourager et nous soutenir. Ainsi pour ceux qui sont assignés à des lieux clos dans toute leur variété de l’ehpad à la prison, les souvenirs heureux peuvent être revécus et importer une forme de bonheur.  Una amie, accompagnatrice de nuit dans un ehpad, nous rapportait que le positif dans ses conversations avec les personnes âgées résidait souvent dans leur évocation de souvenirs heureux.

Si nous savons porter notre regard sur le bon et le beau que nous pouvons voir dans le passé, alors nous pouvons exprimer de la gratitude. Pour moi, j’aime le petit chant qui nous invite à « compter les bienfaits de Dieu » et à manifester ma reconnaissance. La gratitude est une composante de la vie spirituelle (6). Comme nous sommes des êtres interconnectés, cette reconnaissance n’est pas seulement individuelle. Elle est collective et elle apparait ainsi dans l’expression biblique. Et si nous pouvons trouver dans notre passé des motifs de gratitude, on sait  maintenant, grâce à la recherche en psychologie et en neurosciences, les bienfaits qu’une expression de gratitude engendre  en terme de santé mentale et corporelle (7).  En inscrivant le déroulement de notre passé dans cet « Elan vital » que Bergson nous décrit, Charles Pépin nous appelle à entrer dans une dynamique pour « vivre avec notre passé »`

J H

 

  1. Charles Pépin. Vivre avec son passé Une philosophie pour aller de l’avant. Allary Editions, 2023. Il y a maintenant plusieurs vidéos dans lesquelles Charles Pépin est interviewé sur son livre :France inter :  https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:4cf8c2c6,vid:KrKgEkytwxU,st:0 Librairie Mollat : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:6c804f91,vid:RDMoO2srfr0,st:0 Métamorphose. Eveille ta conscience : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=vivre+avec+son+passé++You+Tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:c63c05a8,vid:rAWIN_utqX4,st:0 
  2. Charles Pépin. Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Pépin 
  3. Comment, en son temps, le philosophe Henri Bergson a répondu à nos questions actuelles : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
  4. Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. Presses Universitaires de France, 2022
  5. Les progrès de la psychologie. Un grand potentiel de guérison : https://vivreetesperer.com/les-progres-de-la-psychologie-un-grand-potentiel-de-guerison/
  6. Avoir de la gratitude. Bertrand Vergely : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/
  7. La gratitude. Un mouvement de vie. Florence Servan-Schreiber : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/

Apport de l’immigration africaine à la culture du care


 
Hommage reconnaissant et engagé

Si le système de santé français est en crise, confronté aux menaces technocratiques, il reste que le mouvement du care poursuit sa route, gagne dans les esprits et se marque sur le terrain. On pourra se reporter au livre de Fabienne Brugère : « l’éthique du care » (1). C’est « une approche de sollicitude envers les êtres vulnérables ». Fabienne Brugère écrit ainsi : « Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel , la  sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossés à des politiques, à des collectifs, ou à des institutions, s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnérabilité et la relationalité ». Il y a donc bien une « culture du care » qui progresse discrètement en France. Une expérience  de trois ans de vécu en hôpital et en ehpad, en rassemblant mes souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants, me permet de mettre en valeur la grande part  que prennent les soignants issus de l’immigration africaine dans la culture du care. Cette propension s’interprète naturellement dans la commune relationalité propre aux deux cultures.

Certes, on doit se garder de toute idéalisation. Il y a parfois dans les souvenirs des moments ou la relation a été difficile en raison de caractères impérieux ou de difficultés de compréhension linguistique. Mais, c’est le loin l’admiration et la reconnaissance qui l’emportent. Dans cet article, nous allons donc égrainer des souvenirs de paroles et de gestes bienfaisants et de faits significatifs. Comme nous rapportons généralement du positif, nous nous permettons de mentionner généralement les prénoms (parfois les abrégeant pour éviter une reconnaissance directe si les circonstances y  incitent)  Et plutôt que de présenter une simple galerie, nous reprendrons ses souvenirs dans des thèmes successifs. Comment avons-nous pu apprécier cette dynamique soignante ?  Comment s’est manifestée une présence portant du sens,  en l’espèce, bien souvent, une présence croyante ? Comment peut-on également percevoir une dynamique sociale dans l’apprentissage de nouveaux savoirs et la mobilité d’une diaspora ? Enfin, nous regretterons, ici ou là , une frilosité des instances dirigeantes vis-à-vis de cet apport. Dans notre mémoire, cette immigration africaine est principalement subsaharienne, mais elle est parfois également maghrébine. Les territoires d’outre-mer se relient à cette mouvance. Ajoutons une participation féminine motrice,  rejoignant celle du care

 

Une dynamique soignante

Cette après-midi là, à l’occasion d’un incident, je fus saisi d’émotion en entendant Nathalie, l’aide-soignante de l’étage, me proclamer en quelque sorte sa vocation. Avec un sourire rayonnant, elle me dit : « Pour moi, je ne conçois pas mon travail, uniquement comme des tâches pratiques, comme faire la toilette. Je sais combien l’attention aux accrocs des personnes âgées est importante et peut prévenir des catastrophes. Je suis une soignante ». Et elle rappela combien les gens étaient solidaires dans son village d’Afrique. Cette « vocation » m’apparut également chez une infirmière qui, à la différence d’autres de passage, se présenta très clairement avec un enthousiasme contagieux et réconfortant : « Je suis Yolande ». Effectivement, très jeune au Cameroun, elle vivait dans une famille où son père était médecin vétérinaire. « Toute petite, je savais qu’il soignait les animaux. Moi, je me suis dit : « je ferais plutôt le métier d’infirmière ». Et alors, je pourrai avoir des moments d’échange avec mon père sur le fait de soigner et sur l’évolution de la médecine. J’avais huit ans » (2). Venue en France, Yolande a surmonté ses difficultés financières initiales et, avec le même désir d’apprendre er le même désir de soigner, elle est devenue aide-soignante, puis infirmière.

Quand on est hospitalisé, on a besoin d’encouragement et ce sont parfois des aides-soignantes qui apportent une aide précieuse. Dans le roulis d’une hospitalisation pour covid, il y avait dans cette clinique une aide-soignante qui se détachait par un soin prévenant. La doctoresse écoutait cette femme d’origine africaine. Par la suite, arrivant dans un hôpital pour un suivi d’hospitalisation, je me souviens d’une aide-soignante qui m’assura que c’était le bon endroit pour remonter. Ces aides-soignantes n’ont pas une vie facile, mais ce sont de bonnes personnes animées par un élan de vie. Cet élan de vie, on le retrouve aussi dans la présence de certaines personnes assurant le service des repas et du ménage.

C’est le cas dans cet ehpad où comptent la gentillesse et le sourire des personnes apportant le repas. Fati est originaire de la région de Tombouctou dans le Mali. Elle est attentive et encourageante. Elle s’est familiarisée avec l’établissement et sait où demander. Elle sait aider discrètement.  Originaire de la côte d’Ivoire, Salimata est joyeuse et enjouée. La bonne humeur, cela compte dans cet univers monotone.

Dans cet ephad, il y a de nombreuses aides-soignantes avec souvent des années d’expérience. On les rencontre notamment au moment de « la toilette » Dans ce moment de proximité, on peut apprécier la prévenance et le respect de beaucoup d’entre elles. Elles aussi viennent de différents pays d’Afrique de la Côte d’Ivoire et du Cameroun au Congo. Une occasion de manifester ma reconnaissance à des aides-soignantes dialoguantes comme Lucie, Alice, Lydienne, Régine, Judith, Nathalie, Solange…Il y a des exceptions où on peut être confronté à des personnes impérieuses et peu communicantes . Toutes ces soignantes, parfois à l’épreuve d’un temps élevé de transport, apportent une vitalité qui s‘inscrit dans une culture du care.

La mémoire d’une aide significative nous revient ici comme un exemple qui vient illustrer cette contribution de l’immigration africaine au care. Infirmière dans cet ephad, elle s’appelait Janette. Mère de famille, elle avait trois enfants. Mal en point à l’époque, j’avais remarqué sa prévenance. Elle m’avait en quelque sorte adopté. Et lorsque ma santé s’affichait positivement, j’observais chez elle un discret et curieux mouvement de danse. J’ai compris depuis combien la danse est consubstantielle à la culture africaine

 

Une présence croyante

La vulnérabilité des patients et des personnes fragiles entraine un besoin de confiance. Il y a des soignantes qui y répondent en puisant dans une culture croyante. C’est le cas chez de nombreuses soignantes issues de l’immigration africaine. L’épreuve amène à chercher l’essentiel. Dans un contexte de proximité, des soignantes apportent discrètement un témoignage de leur foi à travers gestes et paroles. Une culture croyante affleure. D’une clinique, je me souviens de cette aide-soignante estimée qui me parla un jour de son jeune fils à l’école dont les parents prenaient soin pour le protéger et elle me dit combien la prière comptait à cet égard.   Dans l’immigration africaine, la culture croyante va souvent de pair avec une culture chaleureuse qui tranche avec « une culture froide » individualiste et technocratique qui nuit à la sollicitude et sape le moral de personnes éprouvées.

Venant de Côte d’Ivoire et participant à une culture familiale chaleureuse, cette animatrice s’interrogeait sur la manière de témoigner de sa foi dans un milieu de personnes âgées et handicapées et leur manifestait une intelligente sollicitude. Cependant, en évoquant cette présence croyante, je pense particulièrement à une infirmière qui exerçait sa fonction avec chaleur et enthousiasme. Parfois elle chantait et dans la tonalité, je reconnaisais des hymnes connus. Me sachant chrétien, elle n’hésita pas à se dire pentecôtiste. Me concernant, tout naturellement, venait l’expression : « Dieu vous bénit ».

Notons que la croyance en Dieu se manifeste dans la culture africaine avec beaucoup de tolérance. J’ai appris par Fati qu’au Mali, la communauté musulmane coexistait avec différentes églises chrétiennes et que dans sa famille elle-même, il y avait des musulmans et des chrétiens.

 

Une dynamique sociale et culturelle

En s’inscrivant dans la culture française à travers l’activité du care, l’immigration africaine réalise un parcours de promotion impressionnant. C’est un mouvement en marche pour le meilleur. On peut l’observer chez de très jeunes. D’origine maghrébine, Leila, très attentive et communicante, vit avec ses parents dans une famille de sept enfants, dont les ainés ont déjà une inscription professionnelle. Et elle-même poursuit des études d’infirmière. Telle autre jeune fille, d’origine ivoirienne, vivant dans une famille nombreuse et également excentrée en grand banlieue s’engage dans des études d’infirmière.

Cependant, on observe dans la vie des soignantes, des parcours impressionnants de promotion. Béninoise, Philomène, réduite en esclavage domestique par un ménage français qui l’avait emmené en France en promettant à ses parents de lui permettre de faire des études, a pu s’échapper avec l’aide d’une voisine (3). Elle est soutenue par une association, effectue une formation d’auxiliaire de vie, travaille dans l’aide à domicile, travail épuisant lorsque on ne dispose pas d’une voiture pour les transports, puis dans une crèche. Comme aide à domicile, j’ai pu apprécier la qualité de son attention et elle est devenue une amie. Aujourd’hui, mariée, mère de plusieurs enfants, elle commence une formation d’aide-soignante.

En terme de promotion sociale et professionnelle, l’itinéraire de Yolande est exemplaire. « En arrivant en France en 2003, j’ai travaillé comme femme de chambre pendant cinq ans pour financer une formation d’aide-soignante… J’ai approfondi le côté relationnel qui était déjà ancré en moi, mais dont j’ai mieux compris l’application. Cela m’a conforté dans la vocation de soignante que j’avais depuis l’enfance….J’ai commencé à travailler dans les hôpitaux .. Cela m’a permis d’accroitre mes connaissances pendant douze ans. Ensuite, j’ai voulu évoluer dans m carrière professionnelle. C’est alors que j’ai suivi une formation d’infirmière pendant trois ans… ». En revoyant ce parcours, je comprend maintenant pourquoi et comment le gout d’apprendre était si vif chez Yolande. J’ai pu partager avec elle des textes et des livres. Trop souvent, des gens sont assis sur leur culture acquise dans de longues études. Des mouvements comme Peuple et Culture nous ont appris les vertus de la culture populaire et de l’éducation permanente. Animateur dans cet ephad, il s’appelait Sylvain. De par ses origines, il participait à plusieurs cultures.  Il venait de choisir ce métier d’animateur en ephad par souci d’humanité. Il cherchait sa voie et je le sentais en désir d’apprendre et de comprendre. Ce fut un beau moment de partage. Pendant quelque temps, il prit même connaissance des articles de Vivre et espérer…

On retrouve chez beaucoup de soignantes de l’immigration africaine, ce mouvement de promotion dans un univers caractérisé par la mobilité. Cette mobilité est sociale dans un mouvement ascendant. Elle est aussi internationale. On peut apercevoir ici des effets de diaspora. Telle soignante a des sœurs en Europe de Nord. Et puis, les relations avec « le pays » sont fortes et constantes. Une telle soutient des orphelins dans sa ville d’origine. Telle autre travaille en surplus pour permettre à tous les membres de sa famille africaine d’acheter des cadeaux de Noël. Et d’ailleurs, on s’en va souvent au pays pour s’y ressourcer ou pour des évènements familiaux. Il arrive même qu’on participe de Paris à un courant politique . Telle soignante franco-ivoirienne participe au « mouvement des générations capables ».

 

Face à des brimades

On sait que la société française est traversée par des courants politiques opposés dans leur attitude vis-à vis de l’immigration. Ainsi, il y a bien une attitude d’ouverture qui peut s’appuyer sur un grand mouvement associatif et l’appui des églises. Mas il y a aussi la pression hostile engendrée par une mémoire dominatrice et par la peur d’une perte d’identité dans une société en crise de valeurs.

On peut donc observer une certaine frilosité dans l’attitude vis-à-vis de l’immigration. Ainsi tarde la modernisation d’une administration bureaucratique lente dans l’accueil et dans la facilitation administrative de l’immigration reconnue. Philomène venait d’effectuer une aide à domicile . Elle devait joindre l’administration pour une démarche indispensable. Je luis proposais de s’installer tranquillement pour téléphoner. Au bout du fil, nous attendîmes pendant une heure avant de pouvoir joindre le service.

D’origine ivoirienne, Pris avait effectué de bonnes études artistique dans une université française. Elle avait trouvé un travail d’animatrice dans cet ephad et s’y était engagé avec empathie, sensibilité et créativité. En demande de renouveler son permis de séjour, l’administration estima que sa rémunération était trop faible pour correspondre à ses titres universitaires. En l’absence d’un mouvement favorable de l’employeur, elle dut quitter précipitamment l’établissement.

Les soignantes franco-africaines oeuvrent dans un secteur de santé aujourd’hui défavorisé sur le plan des rémunérations. Dans cet ephad, sous la responsabilité de deux soignants franco-africains : Judith et Eric, une section syndicale CFDT veille à la défense du personnel et milite pour une juste rémunération. Un jour, une grève apparut. On peut se réjouir de la réussite de cette grève d’autant qu’elle fut menée dans un esprit de responsabilité en veillant à ne pas nuire aux personnes dépendantes et en poursuivant avec succès la négociation avec la direction.

Nous voici dans un aspect plus sombre de cette histoire. Récemment, j’ai été conduit à m’engager pour la défense de soignantes brusquement congédiées.  Dans un effort de remise en ordre vis-àvis de certains dysfontionnements, une nouvelle direction a pris des mesures sans prendre suffisamment en compte l’histoire des lieux et les états de service de plusieurs soignantes.

Depuis peu, j’avais fait connaissance de Joan, assistante de nuit, une jeune personne active et cultivée finançant par ce travail des études d’anglais à l’Université Villetaneuse. On lui reprocha un écart, un retard et une dispute, et elle fut congédiée du jour au lendemain. Certes, on a pu me dire que je n’avais entendu qu’une version, la sienne.

Joan travaillait dans l’établissement depuis plusieurs années. Ayant pris sa défense au travers d’un mail, elle me rapporta combien elle avait été reçue à la direction sans avoir le sentiment d’être écoutée. Ce matin-là, elle avait été profondément humiliée. Au point qu’elle me dise : « Vous êtes un blanc, vous ! Jamais, on aurait osé vous traiter de la sorte ». Je n’avais jamais entendu une telle remarque et j’en ai frémi.  A la même période, un délégué syndical m’avait remercié pour mon soutien en évoquant le ressenti d’une population qui se sent brimée.

Juste auparavant, une infirmière appréciée de tous à la suite d’un engagement chaleureux dans l’établissement pendant deux années, à  l’écoute active » des patients, s’était vu brutalement congédiée, dans un soudain non renouvellement de son CDD. Certes, la nouvelle direction cherchait à réformer un système défaillant. On lui reprocha une bavure médicale, mais elle ne put présenter sa défense. On ne tint aucun compte de son œuvre sans doute dans ce mécanisme de l’idée unique qui ne tient pas compte d’un ensemble. Elle fut donc éliminée du jour au lendemain sans même être reçue. A travers des mails, je m’engageais à fond contre un tel gachis et demandant une médiation. Il y eut dialogue, mais il n’aboutit pas. La section syndicale CFDT s’engagea elle aussi. En vain. Je n’incrimine pas ici une discrimination, mais le défaut de mentalité d’un système qui regarde d’en haut.  Pour le bien, cette infirmière portera ailleurs son écoute active et sa culture du care.

Ce sont là des bavures au regard de la magnifique avancée que nous venons de décrire, la promotion d’une population d’origine africaine dans la contribution au développement d’une culture et d’une société du care.

 

Une vision relationnelle

Dans son livre sur l’éthique du care (1), Fabienne Brugère met l’accent sur la dimension relationnelle de cette approche. « Chaque vie déploie un monde qu’il s‘agit de maintenir, de développer et de réparer. L’individu est relationnel et non pas isolé ». « La théorie du care est d’abord élaborée comme une éthique relationnelle structurée par l’attention des autres ».

Or, cette dimension relationnelle est très présente dans la culture africaine.

Ainsi, apparait-elle dans l’œuvre de Fatou Diome, écrivaine franco-sénégalaise (4).

A plusieurs reprises, Fatou Diome s’est exprimée à propos des personnes âgées en sollicitant du respect à leur égard. Dans la culture africaine, il y a une continuité entre les générations  et les « anciens » sont respectés. Or Fatou Diome a été elle-même élevée par ses grands-parents et elle leur voue une infinie reconnaissance. Nous avons pu ainsi visionner une séquence de vidéo  sur les personnes âgées, mise en ligne sur facebook. Il s’en dégage une grande émotion . J’ai pu partager ce visionnement avec deux personnes travaillant à l’ephad : Régine et Fati. Toutes deux se sont reconnues dans cette vidéo et ont exprimé une grande émotion. Fati n’a-t-elle pas été élevée par ses deux grands-mères et un grand-père…. Ce fut une émotion partagée

Si la culture du care met l’accent sur la dimension relationnelle, elle rencontre à cet égard la culture africaine ou cette dimension est privilégiée  (5). Un théologien travaillant dans une Université de Zambie, Teddy Chawe Sakupapa évoque « la centralité de la vie et de la relation entre les êtres dans la vision africaine du monde ». On peut rappeler ici le concept de l’ubuntu dans la galaxie bantoue. Wikipedia en donne la définition suivante : « la qualité inhérente d’être une personne parmi d’autres personnes. Le terme ubuntu est souvent lié à un proverbe qui peut être traduit ainsi : « Je suis ce que je suis par ce que vous êtes ce que vous êtes » ou « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » (6). Teddy Chawe Sakupapa écrit : « Dans une réalité interreliée, il n’y a pas de séparation entre le séculier et le sacré ». « La relationalité est au cœur de l’ontologie africaine »

Cette approche correspond à la définition de la spiritualité selon David Hay comme « conscience relationnelle avec soi-même, les autres, la nature et Dieu ». Et Teddy Chawe Sakupapa peut évoquer « une force vitale comme présence de Dieu dans toute la création ».

A travers sa culture relationnelle , l’immigration africaine est propice à la culture du care qui se fonde sur la relationalité . A partir de notre mémoire, nous avons rassemblé ici des récits vécus à travers lesquels on peut voir l’invention d’une culture franco-africaine en voie de promouvoir une culture du care dans les contextes où celle-ci commence à pénétrer. Ce texte exprime, souvent avec émotion, une immense gratitude pour le vécu de ces rencontres. C’est aussi une action de grâce pour le puissant apport de la culture franco- africaine à la société du care. Puisse la France manifester sa reconnaissance en retour.

J H

 

  1. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/ ‘De
  2. De Yaoundé à Paris. D’aide-soignante à infirmière. Une vie au service du care et de la santé : https://vivreetesperer.com/de-yaounde-a-paris/
  3. De l’esclavage à la lumière. Du Bénin à la région parisienne. Une histoire de vie : https://vivreetesperer.com/de-lesclavage-a-la-lumiere/
  4. Fatou Diomé, invitée d’un monde, un regard : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Fatou+Diomé&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:402c46cc,vid:5yIAErUWBo8,st:469
  5. Esprit et écologie dans le contexte de la culture africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/
  6. La philosophie de l’ubuntu d’après Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)

 

Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine

 

 

Une approche anthropologique des questions sociales et politiques

 En 1982, dans un livre pionnier : « In a different voice », Carol Gilligan a porté un nouveau regard sur la manière de formuler des jugements moraux, en écoutant autrui et en prenant en compte cette expérience. Cette attention à l’autre ouvre la voie à une sollicitude à son endroit. A partir de ce changement de regard, un mouvement nouveau va apparaître et se développer rapidement : le mouvement du « care », du « prendre soin ».

Dans un livre sur « l’éthique du care », Fabienne Brugère commente cette nouvelle approche morale et sociale (1) :
« La voix différente » de Carol Gilligan, nous dit-elle, « inaugure un problème à la fois philosophique, psychologique, sociologique et politique, celui du « care ». Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le problème du lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel », la sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossés à des politiques, à des collectifs ou à des institutions s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnérabilité et la relationalité, cette dernière devant être comprise avec son double versant de la dépendance et de l’interdépendance » (p 3).

Théïa Lab : « Une agence associative de recherche-action en anthropologie » (2)

« Le souci de l’autre et le soin » apparaît sur le site : Théïa Lab comme une des principales thématiques du groupe de recherche qui se présente dans les termes d’une  « Agence associative de recherche- action en anthropologie » avec cette belle devise : « Comprendre par l’attention. Agir dans la relation ». Plus précisément, Théïa Lab se définit comme « une agence d’études et d’expertise en sciences sociales tournée plus particulièrement vers l’anthropologie. Composée de professionnels issus des mondes de la recherche et de la création, elle est spécialisée dans la recherche appliquée et la recherche-action, l’innovation sociale et environnementale.

Une approche anthropologique

« L’anthropologie consiste étudier l’humain du passé comme du présent. Le mot vient du grec : « anthropos » (humain) et « logia » (étude). Elle se subdivise en plusieurs spécialité » (3).

L’équipe de Théïa Lab nous explique pourquoi elle adopte une approche anthropologique. « L’anthropologie est une discipline particulièrement pertinente pour répondre aux enjeux qui sont les nôtres… Sa spécialisation sur les méthodes de terrain, les approches qualitatives, autant que sur son sens de l’itération entre local (et même micro-local) et les dynamiques globales, universelles, font d’elle une discipline scientifique ancrée dans une tradition déjà ancienne, et simultanément, parfaitement adaptée aux défis du monde contemporain… Ces convictions nous amènent tout particulièrement à privilégier les missions d’utilité publique, les réflexions qui conduisent à un mieux-être de tous en général, et des plus vulnérables en particulier… Pour agir, notre orientation est double : rendre visible, intelligible / éduquer et mettre en place des actions dans le cadre de politiques publiques et de projets ».

Le souci de l’autre et le soin

 Théïa Lab nous présente les grandes thématiques dans lesquelles son activité se déploie : habiter le monde en commun ; individuation et citoyenneté ; création artistique et droits culturels ; l’éducation par l’attention ; le souci de l’autre et le soin. Cette dernière thématique : « le souci de l’autre et le soin » rejoint nos partages précédents sur ce blog autour du care (1), du soin tel que Cynthia Fleury l’approche dans sa publication : « Le soin est un humanisme » (4), la réflexion philosophique de Corine Pelluchon sur la vulnérabilité et la relation à autrui en terme de considération (5).

L’équipe de Théïa Lab aborde le thème de soin dans toute son ampleur et dans toutes ses dimensions : « « Le souci de l’autre » et le soin au fondement de la vie humaine dans l’écosystème global ».

La réflexion commence par la reconnaissance de la vulnérabilité humaine telle qu’elle est soulignée par Cynthia Fleury et Corine Pelluchon :

  • « La vulnérabilité est une vérité de la condition humaine, partagée par tous, et pas uniquement par ceux qui font l’expérience plus spécifique de la maladie » Le soin est un humanisme, de Cynthia Fleury.
  • « La reconnaissance de notre vulnérabilité est une clef pour avoir de la considération envers les autres êtres sensibles ». Ethique de la considération de Corine Pelluchon.

 

«  A l’heure où nous prenons conscience de nos propres vulnérabilités, la question du soin ou du care prend une dimension tout à fait inédite : le care, souvent traduit par soin, mais aussi par sollicitude, attention, ne se limite plus au domaine privé ou professionnel du soin, et ce changement d’échelle apparaît comme salvateur, fécond. En effet, à l’heure de l’anthropocène-capitalocène, la vulnérabilité se révèle de plus en plus à nous comme déterminante de notre condition humaine, et même de notre condition de vivants ».

L’attention portée au soin entraine d’autres prises de conscience :

« Prendre en compte l’autre dans sa vulnérabilité, mais aussi la complexité de son existence, de son rapport au monde, est la promesses d’accéder à d’autres univers : prendre soin, c’est d’abord reconnaître l’autre dans son altérité, pour pouvoir le protéger, respecter son intégrité pour garantir celle-ci, et aider cet autre à s’épanouir dans une cohabitation féconde. Cette relation d’attention et de soin est le fondement d’une vie « en commun », et d’une attention portée aux « communs ».

Nous sommes donc tous impliqués dans le prendre soin. Prendre soin n’est pas attribué à une seule catégorie souvent méconnue. Et, au delà de l’autonomie, nous prenons conscience que « nous sommes tous reliés : humains, animaux, plantes, pris dans un vaste écosystème terrestre vis à vis duquel nous sommes responsables… Nous avons tous la responsabilité éthique de prendre soin de nous-mêmes, des autres qui nous entourent et auxquels nous sommes reliés… c’est-à-dire, in fine, à la planète entière ».

Ainsi, la perspective s’élargit : « le care est posé en véritable éthique comme un projet politique et social ; il permet de concevoir une nouvelle manière d’organiser la société… Partager par exemple la charge du care plus équitablement : les hommes et les femmes, les nationaux et les étrangers, les diplômés et les non /peu qualifiés, etc. Toujours dans cette perspective, le care permet d’entrevoir des sociétés fondées sur l’attention et l’entraide, l’intelligence collective aussi plutôt que sur la performance et la compétition. Cette responsabilité est éminemment porteuse d’émancipation et de créativité. Elle est source d’épanouissement et de capacité de faire relation avec les autres… ».

Dans cette perspective, on voit bien l’importance de la recherche pour susciter des conditions propices au care. La recherche peut éclairer les situations où le care est appelé à se développer. Les chercheur(e)s de Théïa Lab mettent en évidence les apports de la recherche en ce domaine : « L’anthropologie, les science humaines, ou les arts sont à même de rendre visible ce qui est habituellement invisibilisé, les liens qui nous définissent et nous permettent de vivre ensemble, d’en révéler la beauté en même temps que la valeur éthique.

L’ethnographie porte son attention sur le quotidien, sur le « banal », mais aussi sur l’exceptionnalité de nos conditions individuelles et collectives, sur leur « irremplaçabilité » (Cynthia Fleury). Elle contribue à rétablir de la dignité là où il y a de la négligence et de l’oubli… Et seule la reconnaissance de cette dignité peut restituer aux individus le droit d’être considérés, aidés, réparés, protégés, et finalement leur permettre d’exister pleinement ». En « rendant visible, intelligible, l’empathie », la recherche sur « les pratiques, les routines, les représentations et les affects » peut contribuer à « la susciter ».

Aujourd’hui, nous assistons ainsi à une prise de conscience à la fois de la nécessité et de la réalité du care, du souci de l’autre et du soin. Cette prise de conscience s’inscrit dans le mouvement plus vaste d’une attention portée au vivant et à la terre entière. Pour nous, nous reconnaissons là une inspiration christique, évangélique, reconnaissant dans ce mouvement une œuvre de l’Esprit qui  relie, réconcilie, relève et dignifie.

Rapporté par J H

 

  1. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
  2. Théïa Lab : https://theialab.fr
  3. La société canadienne d’anthropologie : https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie
  4. De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
  5. Les Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/

D’où me viendra le secours ? Une expérience de libération

Ma vision de Dieu a changé.

Un témoignage d’Odile Hassenforder

 Depuis que Dieu est intervenu dans ma vie, tout a changé pour moi. Comme la samaritaine, j’ai déclaré autour de moi que Jésus était le Messie ; comme l’aveugle de Siloé, je me suis prosterné devant mon Dieu. Dire qui est Dieu pour moi aujourd’hui, ce qu’il était pour moi il y a dix, vingt ans, c’est dire quelle était ma relation à Lui. Je ne puis décrire Dieu. « Personne ne l’a jamais vu », dit l’apôtre Jean en commençant son évangile. « Qui me voit, voit le Père, dit Jésus à Philippe. Tous les contemporains de Jésus qui l’ont approché n’ont pas reconnu en lui le Fils de Dieu ; seuls ceux qui ont eu une véritable rencontre avec lui, ont reçu la lumière, ont saisi la vérité. J’imagine très bien l’émotion qu’ont du ressentir la samaritaine, l’aveugle et tant d’autres. Aujourd’hui un jeune dirait : « ça fait tilt », un amoureux dirait : « j’ai eu le coup de foudre ». Ces expressions sont bien pâles pour exprimer le choc d’une telle découverte.

 

Un chemin.

Que m’est-il arrivé ce mois d’octobre 1973 ?
L’impossibilité de vivre m’entraînait à la mort, au suicide.

Pourtant, je me rappelle qu’à l’époque où je suis rentrée dans la vie professionnelle, je croyais ne jamais connaître le désespoir, malgré toutes les difficultés de vivre que j’avais, parce que Dieu était avec moi. Je ressentais une assurance intérieure.

J’avais eu la chance de rencontrer, à cette époque, un aumônier d’action catholique qui me suivit durant quatre ans dans une forme de psycho-thérapie spirituelle, si je puis m’exprimer ainsi. En plus de la messe quotidienne, je profitais d’un entretien spirituel toutes les trois semaines avec cet aumônier. En fait, je pouvais exprimer mes aspirations et mes incapacités. Je ne me rappelle pas du contenu précis d’un de ces dialogues. Plein de bon sens et de finesse psychologique, mon interlocuteur me montrait que Jésus m’entraînait dans une dynamique positive. Par la confession qui suivait, je remettais au Seigneur tout le négatif de ma vie et attendais de lui la force de poursuivre mon chemin. Cela été pour moi l’occasion d’une évolution psychologique très appréciable. Je me rend compte aujourd’hui que la situation était ambiguë : surmonter mes difficultés psychologiques et réaliser une image idéale de moi, plutôt que de saisir l’invitation de l’Esprit à entrer dans l’univers de Dieu. J’ai reçu ce dont j’avais besoin à l’époque. J’en remercie le Seigneur aujourd’hui en revoyant tout ce qu’Il a mis sur ma route, d’étape en étape, respectant le cheminement de mon être, proposant la nourriture adaptée à ce que je vivais.

Mon mariage a évidemment été un tournant dans ma vie. Mon mari m’a apporté la vie culturelle et intellectuelle à laquelle j’aspirais tant, mais aussi une vie de foi complémentaire à la mienne. Nous avons essayé de prier ensemble le soir. Notre prière s’est vite tarie. Ensemble nous avons fait partie de groupes de foyers, de Vie Nouvelle dans les années soixante. Nous allions régulièrement le dimanche dans une paroisse voisine de trois kilomètres de notre domicile. Nous faisions allègrement le trajet à pied, car nous recevions là l’annonce d’une vie élargie en Jésus-Christ, un sens à notre vie en Dieu.

A la naissance de notre fils, né prématuré à six mois et menacé de ne pas survivre, nous avons beaucoup prié, remettant à Dieu notre sort autant que celui de cet enfant. Je savais intellectuellement que les miracles existaient, mais ma foi était bien faible pour croire que Dieu pouvait intervenir pour moi. Tout en disant « que ta volonté soit faite », je pensais au déroulement de l’enterrement imminent et je ne prêtais pas attention aux paroles d’espérance de mon entourage. Par la suite, j’ai attribué la survie de notre enfant uniquement aux médecins et à la science. Ce n’est que maintenant que mon cœur est rempli de reconnaissance envers celui qui a toujours été auprès de moi et que je ne voyais pas. Oui, je constate maintenant, en revoyant ma vie passée, que le Seigneur m’a préservée de catastrophes irréversibles. Pourtant à cette époque, il devenait pour moi de plus en plus absent. L’alimentation de la foi s’estompait peu à peu.

Cependant les handicaps de ma personnalité réapparaissaient dans mon nouveau mode de vie de mère au foyer. Je n’ai pu profiter alors des joies de la maternité. Je n’ai pas pu faire face non plus à mes conditions de vie. Mon action militante ne parvenait plus à compenser mes problèmes. J’entrepris une psychothérapie lorsque je constatais qu’à deux ans mon fils présentait des troubles de personnalité. La seule chose qui était en mon pouvoir je devais le faire. Avant d’entreprendre une telle démarche, j’allais voir un prêtre ami, espérant que, par son intermédiaire, Dieu me sortirait de là. En fait, il me dit que Dieu pouvait agir à travers les sciences humaines. Il insista d’autant plus qu’il avait constaté la tristesse la tristesse profonde que dévoilait mon visage lorsque je ne me croyais pas observée. Je compris sûrement assez mal ce qui m’a été dit ce jour-là car je mis mon seul espoir dans la psychologie. L’année suivante, je confiais mon fils à la garde d’une voisine et je repris le travail social. La psychothérapie m’a été d’un grand secours pour mettre à jour les causes de mon inhibition et aussi me dégager de bien des angoisses et des défenses que mon inconscient avait forgées. Lors de ma première consultation, je me présentais comme vivant dans une sphère de plexiglace au milieu de la vie, mais en dehors d’elle.

L’annonce d’une nouvelle naissance en 69 a été pour moi une catastrophe, car je n’avais pas encore suffisamment acquis mon autonomie. La catastrophe a été bien plus grande encore lors de la fausse couche qui a suivi. J’ai vécu la mort d’un enfant. Seul l’oubli a pu atténuer la douleur. Je ne me souviens pas m’être adressée à Dieu. Il n’était plus pour moi qu’une entité qui animait ce grand univers où je n’étais que poussière. Il existait bien sûr, mais à la façon de l’horloger et je faisais partie de la mécanique. Les amis, dans ces circonstances sont souvent de bien peu de secours. Et ils ne peuvent donner que ce qu’ils ont. Du reste, ceux ou celles-ci devenaient rares car, fatigués psychologiquement, mon mari et moi, nous allions de moins en moins aux réunions de toutes sortes et bien peu de monde se souciait de notre absence. Les soutiens religieux disparaissaient. Le curé de la paroisse que nous fréquentions partit en 1967 et nous n’avions pas trouvé ailleurs une alimentation spirituelle malgré nos nombreuses recherches. Les groupes de foyers s’étaient dissous.

Peu importe les raisons et les circonstances qui ont provoqué une dissociation de ma personnalité. Je suis persuadée aujourd’hui que, si j’étais restée en relation avec Dieu, je n’aurais pas vécu ce drame. Il était tout de même là présent, mais je ne le savais pas. J’ai utilisé tout ce qui était en mon pouvoir pour surmonter ces moments de dépression, trou noir où tout disparaissait. Je ne manquais pas de volonté et l’énergie déployée pour surnager était deux fois plus grande que celle que je dépense aujourd’hui. L’ergothérapie, pensais-je, pourrait peut-être me sortir de cet état second où l’imaginaire et la réalité s’entremêlaient. Alors, je me mis à tapisser la chambre de mon fils, avec beaucoup de mal du reste, car je me trompais constamment dans mes mesures. La relaxation permettait à mon corps de ne pas craquer trop vite, comme la chimiothérapie soutenait le psychisme. Il me semblait que la folie se profilait derrière mon angoisse ; et le phénomène ne faisait que s’amplifier. Je rencontrais cependant la compréhension attentive et patiente de médecins tandis que plusieurs amies m’exprimaient leur affection. Mais que pouvaient les uns et les autres ? Je leur suis cependant reconnaissants de leur attitude qui a atténué ma souffrance et m’a permis de tenir plus longtemps. Du moins jusqu’au jour où j’avalais trop de somnifères. L’escalade continuait. Des forces internes s’entraînaient à me détruire .

C’est dans cet état, huit jours après mon sommeil prolongé, que je participais à un week-end avec des amis sur le thème : « vivre sa foi ». Quelle gageure ! Ce dimanche, pendant la prière, je tirais le signal d’alarme, et, dans mon désespoir, je criais : « Jésus, si tu es la Vie, donne-moi le goût de vivre ». Un ami bien intentionné présenta une parabole à sa manière : deux grenouilles se débattaient dans une jatte de lait : l’une, dans son désespoir, se laisse couler. Mais l’autre continue à s’agiter et une motte de beurre se forme grâce à laquelle elle pu surnager. Cela ne fit qu’augmenter mon désarroi : pourquoi les prêtres ne parlaient-ils que psychologie ? Aucune force humaine ne pouvait me sortir de là. En fait, mon médecin avait mieux compris ma situation lorsqu’il me parla de crise existentielle. Sur son conseil, j’ai lu un livre sur le bouddhisme. Là encore, il me semblait que je devais tirer de moi-même la force de passer au stade de l’esprit. Je ne pouvais pas. J’étais anéantie. Il fallait que la vie vienne à moi car je ne pouvais la susciter malgré tout le désir que j’en avais . J’avais parfaitement conscience de ma responsabilité envers mon fils de huit ans, très angoissé de ce qu’il vivait malgré mes efforts pour cacher mes problèmes et compenser au maximum.

 

Délivrance.

 Jésus a répondu à mon appel : je le sais maintenant car le hasard est devenu pour moi providence : « Pas un cheveu de votre tête ne tombe sans que je le veuille » . Ce n’est pas un hasard d’avoir trouvé un jour de vacances le pasteur d’une assemblée de Dieu, rencontré précédemment lors d’une réunion.

De cet entretien, je me rappelle :

° Jésus guérit, il peut vous guérir.

° Comment ?

° Quand je sème du blé, en fils de paysan, j’attends qu’il pousse. Je ne me demande pas comment il va pousser. C’est un fait d’expérience. De même, quand je prie Jésus, je sais qu’il répond. Je me place là sur un plan spirituel et non intellectuel.

En y réfléchissant maintenant, je réalise que je ne croyais plus alors à l’efficacité de la prière. Cet entretien fut le point de départ d’un renouveau pour moi.

Le retour de vacances fut difficile. Je me trouvais contrainte à m’absenter de plus en plus fréquemment de mon travail. Je m’y accrochais cependant pour ne pas sombrer. J’échappais de justesse à un accident de voiture que j’ai failli provoquer par ma faute. Alors, je réalisais que j’allais à la catastrophe. Face à moi-même, je me rendais compte avec une grande lucidité que j’avais un choix à faire. Deux possibilités se présentaient à moi. Je continuerai à lutter par mes propres forces tout en sachant que cela irait de mal en pis. Je pouvais aussi choisir le chemin de la vie. Je me détruis, pensais-je, parce que je ne peux vivre. J’ai envie de vivre . Alors je choisis la vie. C’est ainsi que je me déterminais pour Jésus, sans condition, prête à tout donner, mon indépendance entre autres, prête aussi à tout recevoir.

« Je n’en peux plus », c’est tout ce dont j’étais capable de dire. Je réalisais alors que la Parole de Dieu est efficace. Certaines citations de la Bible résonnaient en moi : « Dans la vallée de l’ombre de la mort » pour sûr, j’y étais. La suite du passage était moins évidente pour moi, bien que je l’ai mille fois entendue : « Tu es mon berger ». Ce jour-là, ce fut vrai. Je le sus dans tout mon être lorsque, à la suite de la prière, je ressentis une énergie vitale qui me donna force et consistance, puis un grand calme intérieur, puis la joie. C’était la première fois qu’on priait pour moi, avec conviction et non avec des formules, en résonance avec mes aspirations les plus profondes jamais exprimées. Ce qui était demandé se réalisait. C’était extraordinaire et merveilleux.

L’effet dura quarante-huit heures, puis les symptômes réapparurent. Je n’hésitais pas à retourner me désaltérer à la source. J’étais déterminée à continuer quoiqu’il arrive. En fait, j’ai osé réitérer ma démarche parce que la perche m’avait été tendue par le pasteur : « Dans votre état, il faudra prier plusieurs fois ». C’était l’expérience qui le disait. Tous les jours, les deux jours, j’ai ainsi demandé que l’on pria pour moi, cinq fois en une semaine. A chaque fois, la même énergie me donnait vie. Et ce dernier jeudi d’octobre, j’ai eu envie de m’associer à la prière d’un groupe charismatique catholique que je connaissais par ailleurs. Devant une assemblée nombreuse de cent ou cent cinquante personnes, j’exprimais tout haut l’assurance intérieure qui m’apparaissait : « Seigneur, je ne suis pas encore guérie mais je sais que tu vas me guérir et je t’en remercie ». Une prière murmurée en langues au centre de l’assemblée fut pour moi un soutien communautaire : ils savaient ce que je voulais dire et ils s’associaient  à ma prière et la soutenaient. Ce soir-là, à peine couchée, je sentis ma personnalité se remettre en place, en une fraction de seconde. Comme un puzzle, chaque partie de mon être prenait sa place : l’unité s’est faite en moi. J’entrais dans la réalité, j’étais bien. Et dès le lendemain, je dis à qui voulait l’entendre que j’étais guérie. « ça se voit », me répondit-on souvent. Et le dimanche, au lieu d’aller demander à l’assemblée la prière des frères, j’y ai rendu grâce à Dieu.

J’étais transformée. Ma situation n’avait en rien changée, elle ne m’écrasait plus. J’étais à l’aise dans ma peau comme jamais je ne l’avais été. Qu’il pleuve, qu’il vente, tout me réjouissait. La fatigue, physique que je continuais à ressentir, n’entachait nullement ma joie profonde. Je me disais en convalescence, voilà, c’est tout. Rien ne pouvait assombrir cette joie, même la grande souffrance provoquée par une de mes amies, qui, au lieu de se réjouir avec moi, me rejeta en m’accusant de mysticisme, ce dont elle avait peur pour elle-même, du moins l’ai-je compris ainsi et je ne lui en voulus pas.

 

Une vie en abondance.

J’avais demandé la vie. Je l’ai reçu en abondance, bien au delà de ce que je pouvais imaginer : la vie éternelle. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17,3). Je suis née à la vie de l’Esprit, je suis entrée dans l’univers spirituel ; le royaume de Dieu, dit Jésus. Ce fut une révélation pour moi. Il m’est arrivé ce que Jésus disait à Nicodème : « L’Esprit souffle où il veut. Tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Voilà ce qui se passe pour tout homme qui naît de l’Esprit ». La Trinité devenait une réalité aussi naturelle qu’avoir des parents. Jésus, par sa mort et sa résurrection, m’a tiré de la mort où m’entraînait le mal, pour me donner la vie éternelle en me réconciliant avec le Père. L’Esprit Saint qui les habite tout entier, ne faisant qu’un avec eux, m’anime de cette vie divine. « Celui qui doit vous aider, le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera ce que je vous ai dit », a dit Jésus à ses disciples (Jean 17). Dieu se manifestait à moi aussi par l’amour qui m’envahissait. Je me suis sentie aimée au point où cet amour débordait de moi sur tous ceux que je rencontrais : j’aurais embrassé tout le monde si les convenances ne m’avaient retenue.

Simultanément, j’avais soif de connaître davantage. Je lisais ma Bible, surtout le Nouveau Testament. Et, assez curieusement, je comprenais beaucoup de choses qui m’étaient jusque là restées hermétiques.

Comme tout nouveau-né qui s’ouvre à la vie, je devais poursuivre mes découvertes. Avec deux autres ménages, nous avons formé un groupe de prière interconfessionnel qui, du reste, grandit très vite. Nous sommes allé voir ailleurs ce qui se passait, nous avons suivi des sessions et pris de nouveaux contacts. Par la suite, des difficultés et des déviations ont surgi dans ce groupe et nous avons du prendre du recul.

 

Vivre dans l’Esprit.

Aujourd’hui, la conviction de me savoir sauvée, c’est-à-dire vivre dans le règne de Jésus-Christ ressuscité, entraîne chez moi une attitude positive. Chaque matin, j’ouvre mon être à l’Esprit qui renouvelle toute chose. Je ne peux prévoir ce que je vais découvrir, je deviens disponible et disposée à voir sa présence lors d’une rencontre, au sein d’évènements. Je ressens le besoin d’exprimer cela à voix intelligible en une courte prière de quelques minutes dans une attitude active.

La lecture des Ecritures est une nourriture. De temps en temps, tel passage résonne en moi ; d’autres fois, me revient à la mémoire un verset à propos d’évènements que je vis, une question que je me pose, et j’y vois là une réponse. Je sais aussi que si je prends les promesses de Jésus pour moi, elles se réalisent pour moi. Cela a été le cas, par exemple, en ce qui concerne la confiance en Dieu. « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par dessus » (Luc 12). Effectivement, je me suis rendu compte que mon être se transformait en considérant mes rêves ; ainsi dans un rêve représentant une scène de dévastation, je restais calme et sereine.

Jésus nous dit d’aimer notre prochain. Il nous aide à y parvenir. Il n’y a pas si longtemps, mon interlocuteur commençait  à m’énerver. Intérieurement, je dis : « Donne-moi de l’aimer, Seigneur » et je me rappelle que le plus petit est le plus grand dans le royaume des cieux, que Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Et je réalisais ainsi que je devais être au service de celui  qui était là à côté de moi. Mon ressentiment disparut. Je m’intéressai à ce qui le préoccupait.

Je souhaite voir davantage comment Dieu se manifeste sous des formes bien diverses : à travers les autres, dans la nature, dans l’histoire. Après ces trois années de découverte, je m’aperçois que je marche à peine. Je suis heureuse de voir la vie éternelle devant moi comme en moi : c’est une louange constante que j’adresse au Seigneur, qui est en même temps adoration et contemplation.  Je lui rends grâce pour tout ce qu’il a fait pour moi.

Odile Hassenforder

Texte polycopié retrouvé dans ses archives

« Ma vision de Dieu a changé », p 27-36 dans : Odile Hassenforder. Sa présence dans ma vie. Empreinte temps présent, 2011

Voir aussi : Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie » : un témoignage vivant : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/

 

 

 

 

L’amour des autres commence par l’amour de soi

Selon Jacqui Lewis

Cette méditation publiée sur le site : Center for action and meditation (1), s’appuie sur la réflexion de la pasteure et docteure Jacqui Lewis (2) : « Peu importe ce que nous sommes et d’où nous venons, peu importe qui nous aimons et comment nous gagnons notre vie, l’appel à aimer votre prochain comme vous vous aimez vous-même, lorsqu’il est vécu, exprime l’interdépendance dont les humains ont besoin pour survivre et prospérer. Et le premier pas, le point de départ est l’amour de soi. Dans la langue grecque, les expressions : aimer son prochain et s’aimer soi-même sont reliées par le mot ‘os’ qui est comme un signe égal. Ce qui suggère que s’aimer et aimer son prochain, c’est exactement le même mouvement. Lorsque nous ne nous aimons pas nous-même, il est impossible d’aimer notre prochain.

Le lien entre l’amour de soi et l’amour des autres remonte du fond des temps. A partir du moment où nous nous sommes levés et sommes sortis de nos cavernes solitaires et sommes entrés dans la lumière de la communauté tribale, les humains ont compris cette unité inextricable. Nos vies sont tissées ensemble dans l’amour. Presque toutes les grandes religions du monde nous encouragent à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Appelé quelque fois la Règle d’Or, ce bel enseignement invite les humains à se traiter les uns les autres, et dans quelques traditions, toutes les créatures, comme nous aimerions qu’on nous traite. L’histoire enchâssée dans ces enseignements à travers les fois et les religions est : nous appartenons à un tissu mutuellement bénéfique de connections, de bien-être et d’amour. A la racine de cette connection, il y a l’empathie ; le résultat est la gentillesse, la compassion, le respect et la compréhension. Quand la religion n’est pas centrée sur la mutualité, elle peut devenir un de ces récits toxiques qui, à la fin, détruit l’amour de soi ».

Jacqui Lewis a beaucoup appris à ce sujet en parlant à d’autres. En visitant Robben Island, la prison sud-africaine où Nelson Mandela a été enfermé dans une petite cellule pendant 18 ans, elle « a trouvé miraculeux que Mandela puisse voir sa connection inextricable à l’humanité de ses ravisseurs, ceux qui lui avaient ôté sa liberté et l’humiliaient quotidiennement. Il observait que personne n’est né en haïssant l’autre à cause de sa race et de sa religion. Mandela avait compris que, de la même manière que la haine est enseignée, l’amour peut être enseigné ».

« Pour quelques personnes, parler de l’amour paraît de la faiblesse, mais de mon point de vue, l’amour est la plus grande force sur la planète ». Jacqui Lewis raconte qu’elle appris sa définition favorite de l’amour d’un de ses professeurs James E Loder. Il définissait l’amour comme : prendre plaisir dans l’originalité de l’autre d’une façon non possessive, (« non possessive delight in the particularity of the other ». « Des années plus tard, je suis encore émue par ce sentiment . Un plaisir non possessif m’apparaît comme une dévotion. Plutôt que d’essayer de changer, de manipuler ou de dévorer l’objet de notre affection, le grand amour se réjouit de ceux auquel il s’attache. Ainsi, quand vous vous aimez vous-même, sans jugement, vous prenez plaisir aux particularités uniques qui sont réunies en vous ».

J H

 

  1. Cette méditation de Jacqui Lewis s’inscrit dans la séquence de méditations quotidiennes animées par Richard Rohr sur le site du Center for Action and Meditation : https://cac.org/love-of-others-begins-with-love-of-self-2022-04-12/
  2. Jacqui Lewis est pasteure, prédicatrice, auteure, théologienne dans le champ de la théologie publique, militante dans la lutte pour la justice sociale et contre le racisme. Elle est docteure en psychologie. Elle participe à un mouvement en faveur d’un amour révolutionnaire à même de changer la société. Elle a écrit plusieurs livres récemment : « Fierce love. A bold path to ferocious courage and rule-breaking kindness that can heal the world ». Ce livre a été commenté dans le New York Times dans les termes suivants : «  un antidote guérissant pour notre culture porteuse de division, plein de récits évocateurs, de sagesse spirituelle et de neuf pratiques quotidiennes essentielles » https://www.middlechurch.org/jacqui/