https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41J8pTpvz9L._SX303_BO1,204,203,200_.jpgUn éclairage de Bertrand Vergely

Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes vivant

Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisante à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même.

Car, au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit

C’est dire comme il est bon d’entendre parler de gratitude, et d’en découvrir la portée et les effets.

Ainsi avons nous accueilli avec reconnaissance une intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude » (1). Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologue ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Dans son livre : « Retour à l’émerveillement » (2), Bertrand Vergely aborde le même sujet dans une approche complémentaire, une approche philosophique, spirituelle, théologique (3). Il nous donne à voir le sens profond de ce mouvement.

Merci

Quoi de plus naturel que de dire : « merci » ! Et  si on peut le dire souvent, il y a comme une joie qui s’épanche, un élan de reconnaissance et de sympathie. C’est une expression de la vie quotidienne. Et c’est effectivement dans ce contexte que Bertrand Vergely nous en montre l’importance. Ce n’est pas seulement une expression du cœur, c’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans la vie sociale, l’embellit et la pacifie. « Il est beau de dire merci. Cela permet de clore quelque chose et d’ouvrir autre chose. Dans le monde de la violence, on ne dit pas merci. Pire, on ne se fait grâce de rien, on est « sans merci ». On se poursuit sans répit, on se persécute, on ne s’épargne rien. Cela révèle la profondeur du merci. Prononcer ce mot, c’est passer de la guerre à la paix, de la haine à la réconciliation, de l’inimitié à la relation. On pourrait poursuivre la lutte, la haine, la persécution. On décide de ne pas le faire et de revenir à la logique des échanges et du don ».

Les « mercis » ponctuent une vie quotidienne dans laquelle on reçoit et on donne, on donne et on reçoit. C’est en quelque sorte un marqueur de civilité, une expression de vie civilisée. « Logique dans laquelle on se salue réciproquement. On donne et on reçoit. On offre et on dit merci. Il s’agit là d’une révolution obéissant à un constat lucide. Ou l’on persiste à vivre dans la violence, ou on y renonce et on vit… ».

Dire merci s’inscrit ainsi dans une vie sociale ou le partage se réalise dans une relation réciproque. «  C’est le « pacte de réciprocité » inséparable d’un pacte de non violence ainsi que le rappelle Marcel Mauss dans son « Essai sur le don ». « La relation réciproque annule la violence. Personne ne prenant sans donner et ne donnant sans prendre. Il n’y a ni dominant, ni dominé. Le remerciement prend sa source dans une telle logique et donne la logique de l’invitation sue laquelle repose la vie sociale. On a été invité. On invite à son tour… Cette politesse fait en sorte que personne ne sacrifie l’autre ou ne soit sacrifié par lui… Profondeur du merci. Il raconte ce qui perd l’humanité. Il raconte ce qui la sauve. Nous mourrons de ne jamais dire « merci », nous ressuscitons en le disant ».

Gratitude

Mais l’expression de notre reconnaissance dépasse de beaucoup l’ordinaire de la vie quotidienne.

« La gratitude va plus loin que le merci. Comme montre l’expérience, on est dans la gratitude quand on fait plus que remercier quelqu’un. On est dans un tel état parce que l’on a reçu quelque chose d’exceptionnel. Quand quelqu’un nous a sauvé la vie, nous éprouvons de la gratitude, une profonde, une extrême gratitude. On se situe là dans la plus grande profondeur qui soit… Notre cœur est rempli de gratitude. Nous rendons grâce. Nous avons conscience du miracle en nous sentant petit devant l’immense… L’existence est un miracle permanent. Nous ne nous en rendons pas assez compte ».

Cette gratitude a une portée sociale. Elle a aussi une dimension spirituelle. « Quand il n’est pas déprimé, l’homme moderne rouspète. Il est mécontent, indigné, révolté et il le fait savoir. Jamais il ne dit merci. Il pense que tout lui est du ». Bertrand Vergely voit là un manque profond, jusqu’à un drame spirituel. « Il y a une ingratitude profonde dans le cœur humain. Au lieu de remercier, l’ingrat proteste. Il poursuit Dieu de sa vindicte en lui reprochant non seulement d’avoir raté, mais créé le monde. L’existence de l’humanité est pour lui un crime de lèse-humanité.

On va loin quand on a un moment de gratitude en remerciant le Ciel d’exister. On touche au drame inconscient de l’humanité. Celle-ci a un compte à régler avec Dieu comme avec elle-même. Elle n’est pas heureuse d’exister. On sort de cette logique meurtrière en ayant un peu de gratitude et en ouvrant les yeux. Oui, il est miraculeux de vivre (4). L’univers, la vie, l’humanité sont des miracles permanents. Nous-mêmes, nous sommes des miracles vivants. Nous devrions être morts cent fois, nous sommes encore là. Nous sommes des miraculés. Sans que nous le sachions, sans nous en rendre compte, nous avons été sauvés cent fois ».

Bertrand Vergely nous entraine plus loin encore dans une dimension métaphysique. « Si le mot « merci » permet de mettre fin à la guerre qui fait rage entre les hommes sur terre, le mot « gratitude » permet de mettre fin à celle qui fait rage entre les hommes et le Ciel. Il est courant de penser que la métaphysique est inutile et que nous n’en avons pas besoin pour vivre. Il s’agit d’une erreur profonde : elle est indispensable et l’on vit mal quand on s’en passe . L’être humain est un arbre qui relie le Ciel et la Terre. Privons-le de la Terre, il s’écroule. Privons-le du Ciel, il étouffe.

La  gratitude est vitale. Elle signifie la paix avec le Ciel. et avec celle-ci, la liberté. Il est beau de voir le monde avec gratitude… Tout étant un miracle, tout vit. Tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Dire merci, exprimer de la gratitude témoignent du même esprit, de la même sensibilité et s’inscrivent dans une démarche commune. Si Bertrand Vergely les distingue, ce n’est pas seulement en fonction de l’intensité de ces deux expressions, c’est parce qu’il les situe dans un contexte plus large.  Nous sommes de plus en plus nombreux à partager une vision de la société comme un tissu de relations.  « Si l’Esprit est répandu sur toute la création, il fait de toutes les créatures avec Dieu et entres elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière entre elles et avec Dieu » déclare le théologien Jürgen Moltmann qui cite Martin Buber : « Au commencement était la relation » (5). Bertrand Vergely montre l’importance de la gratitude dans le plein déroulement des relations. Et comme Jürgen Moltmann, Richard Rohr (6) ou d’autres, il se fonde sur une théologie trinitaire  et met en évidence le rôle de l’incarnation. « La vie est relation… Cela veut dire que le Ciel et la Terre sont liés. Dieu a crée l’univers et l’homme pour s’unir à eux… il a créé pour transmettre, pour rayonner, pour diffuser. Il a bâti un pont entre lui et son autre, en l’occurrence l’univers et l’homme… Qui s’applique, bâtit des ponts, il reprend le geste divin de la création » ( p 253-254). La gratitude, comme la louange sur laquelle elle débouche, participent à cette œuvre.

Il est temps maintenant d’apporter un témoignage concret de la manière dont la gratitude accompagne une vie pleine malgré les épreuves. C’est le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (7) : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors mon ego n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un « tout » sans prétention  (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit son chemin. Comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… Une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini (Psaume 16.118) ». Expression personnelle, la gratitude nous invite au dépassement, à une participation  à  plus grand que nous, à la reconnaissance de la présence divine.  Comme l’écrit Bertrand Vergely : « Il est beau de voir le monde avec gratitude. Tout étant miracle, tout vit, tout se met à vivre. On a alors envie de vivre et de se réjouir de l’existence de l’humanité ».

Jean Hassenforder

 

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