Tous interconnectés dans une communauté de la création

La menace qui pèse sur la nature nous réveille d’une longue indifférence. Nous prenons conscience non seulement qu’elle est condition de notre vie, mais aussi de ce que nous y participons dans une vie commune, dans un monde de vivants. Nous retrouvons l’émerveillement que l’homme a toujours éprouvé par rapport à la nature et qui risquait de s’éloigner. Aujourd’hui, une nouvelle approche se répand. C’est celle d’une écologie qui ne s’affirme pas seulement pour préserver les équilibres naturels, mais aussi comme un genre de vie, un nouveau rapport entre l’humanité et la nature.

On connaît les dédales par lesquels une part du christianisme avait endossé la domination de l’homme sur la nature (1). Aujourd’hui, on perçoit à nouveau combien cette nature est création de Dieu, un espace où les êtres vivants communiquent, un don où l’humain participe à un mouvement de vie. C’est donc un nouveau regard qui s’ouvre ainsi et qui trouve inspiration dans la vision de théologiens comme Jürgen Moltmann (2) et le Pape François (3).

Aux Etats-Unis, un frère franciscain, Richard Rohr, a créé un  « Centre d’Action et de Contemplation » où, entre autres, il intervient en faveur d’une spiritualité de la création. Nous présentions ici deux de ses méditations journalières mises en ligne sur internet (4).

 

La nature est habitée

Avec Richard Rohr, nous découvrons une merveilleuse création.

« Par la parole du Seigneur, les cieux ont été créés » (Psaume 35.6). Ceci nous dit que le monde n’est pas advenu comme un produit du chaos ou de la chance, mais comme le résultat d’une décision. Le monde créé vient d’un libre choix… L’amour de Dieu est la force motrice fondamentale dans toutes les choses créées. « Car tu aimes toutes les choses qui existent et tu ne détestent aucune des choses que tu as faites, car tu n’aurais rien fait si tu les avais détestées » (Sagesse 11.24) (Pape François Laudate Si’ 77).

En Occident, nous nous sommes éloigné de la nature. « Pour la plupart des chrétiens occidentaux, reconnaître la beauté et la valeur intrinsèque de la création : éléments, plantes et animaux, est un déplacement majeur du paradigme. Dans le passé, beaucoup ont rejeté cette vision comme une expression d’animisme ou de paganisme. Nous avons limité l’amour de Dieu et le salut à notre propre espèce humaine, et, alors, dans cette théologie de la rareté, nous n’avons pas eu assez d’amour de reste pour couvrir toute l’humanité !… ».

Notre spiritualité s’est rétrécie. « Le mot « profane » vient du mot latin « pro » voulant dire « au devant » et « fanum » signifiant « temple ». Nous pensions vivre « en dehors du temple ». En l’absence d’une spiritualité fondée sur la nature, nous nous trouvions dans un univers profane, privé de l’Esprit. Ainsi, nous n’avons cessé de construire des sanctuaires et des églises pour enfermer et y contenir un Dieu domestiqué… En posant de telles limites, nous n’avons plus su regarder au divin… Notez que je ne suis pas en train de dire que Dieu est en toutes chose (panthéisme), mais que chaque chose révèle un aspect de Dieu. Dieu est à la fois plus grand que l’ensemble de l’univers, et, comme Créateur, il interpénètre toutes les choses créées (panenthéisme) ».

Toute notre représentation du monde en est changée. Nous vivons en communion. « Comme l’as dit justement Thomas Berry : « Le monde devient une communion de sujets plus qu’une collection d’objets ». « Quand vous aimez quelque chose, vous lui prêtez une âme, vous voyez son âme et vous êtes touché par son âme. Nous devons aimer quelque chose en profondeur pour connaître son âme. Avant d’entrer dans une résonance d’amour, vous êtes largement aveugle à la signification, à la valeur et au pouvoir des choses ordinaires pour vous « sauver », pour vous aider à vivre en union avec la source de toute chose. En fait, jusqu’à ce que vous puissiez apprécier et même vous réjouir de l’âme des autres choses, même des arbres et des animaux, je doute que vous ayez découvert votre âme elle-même. L’âme connaît l’âme ».

 

La nature comme miroir de Dieu.

Hildegarde de Bingen (1098-1179), proclamée, en catholicisme, docteur de l’Eglise, en 2012, « a communiqué spirituellement l’esprit de la création à travers la musique, l’art, la poésie, la médecine, le jardinage et une réflexion sur la nature. « Vous comprenez bien peu de ce qui est autour de vous parce que vous ne faites pas usage de ce qui est à l’intérieur de vous », écrit-elle dans son livre célèbre : « Schivias ».

Richard Rohr nous entraine dans la découverte du rapport entre le monde intérieur et le monde extérieur. La manière dont Hildegarde envisage l’âme est très proche de celle de Thérèse d’Avila. « Hildegarde perçoit la personne humaine comme un microcosme avec une affinité naturelle pour une résonance avec un macrocosme que beaucoup appellent Dieu. Notre petit monde reflète le grand monde ». Ici la contemplation prend tout son sens. « Le mot-clé est résonance. La prière contemplative permet à votre esprit de résonner avec ce qui est visible et juste en face de vous. La contemplation élimine la séparation entre ce qui est vu et celui qui voit ».

Hildegarde utilise le mot « viriditas ». Ce terme s’allie à des mots comme : vitalité, fécondité, verdure ou croissance. Il symbolise la santé physique et spirituelle comme un reflet du divin (5). Richard Rohr évoque « le verdissement des choses de l’intérieur analogue à ce que nous appelons « photosynthèse ». Hildegarde reconnaît l’aptitude des plantes à recevoir le soleil et à le transformer en énergie et en vie. Elle voit aussi une connexion inhérente entre le monde physique et la présence divine. Cette conjonction se transfère en une énergie qui est le terrain et la semence de toute chose, une voix intérieure qui appelle à « devenir ce que nous sommes », « tout ce que nous sommes »… C’est notre souhait de vie (« life wish ») ».

Nous pouvons suivre l’exemple de Hildegarde. « Hildegarde est un merveilleux exemple de quelqu’un qui se trouve en sureté dans un univers où l’individu reflète le cosmos et où le cosmos reflète l’individu ». En regard, Richard Rohr rapporte la magnifique prière d’Hildegarde à l’Esprit Saint : « O Saint Esprit, tu es la voie puissante dans laquelle toute chose qui est dans les cieux, sur la terre et sous la terre, est ouverte à la connexion et à la relation (« penetrated with connectness, relatedness). C’est un vrai univers trinitaire où toutes les choses tournent les unes avec les autres ». Ici, Richard Rohr rejoint la vision de Jürgen Moltmann dans  « L’Esprit qui donne la vie » (6).

Hildegarde a entendu Dieu parler : « J’ai créé des miroirs dans lesquels je considère toutes les merveilles de ma création, des merveilles qui ne cesseront jamais ». « Pour Hildegarde, la nature était un miroir pour l’âme et pour Dieu. Ce miroir change la manière dont nous voyons et expérimentons la réalité ». Ainsi, « la nature n’est pas une simple toile de fond permettant aux humains de régner sur la scène. De fait, la création participe à la transformation humaine puisque le monde extérieur a absolument besoin de se mirer dans le vrai monde intérieur. « Le monde entier est un sacrement et c’est un univers trinitaire », conclut Richard Rohr.

 

Une oeuvre divine

Et, dans cette même série de méditations, Richard Rohr évoque la vision d’Irénée (130-202). « Irénée a enseigné passionnément que la substance de la terre et de ses créatures portait en elle la vie divine. Dieu, dit-il, est à la fois au dessus de tout et au dedans de tout. Dieu est la fois transcendant et immanent. Et l’œuvre de Jésus, enseigne-t-il, n’est pas là pour nous sauver de notre nature, mais pour nous restaurer dans notre nature et nous remettre en relation avec la tonalité la plus profonde au sein de la création. Dans son commentaire de l’Evangile de Jean dans lequel toutes choses sont décrites comme engendrées par la parole de Dieu, Irénée nous montre Jésus, non pas comme exprimant une parole nouvelle, mais comme exprimant à nouveau, la parole première, le son du commencement et le cœur de la vie. Il voit en Jésus, celui qui récapitule l’œuvre originale du Créateur en articulant ce que nous avons oublié et ce dont nous avons besoin de nous entendre répéter, le son duquel tout est venu. L’histoire du Christ est l’histoire de l’univers. La naissance de cet enfant divin-humain est une révélation, le voile soulevé pour nous montrer que toute vie a été conçue par l’Esprit au sein de l’univers, que nous sommes tous des créatures divines-humaines, que tout ce qui existe dans l’univers porte en soi le sacré de l’Esprit ».

En lisant ces méditations, on ressent combien nous nous inscrivons dans une réalité plus grande que nous. Nous faisons partie de la nature et nous y participons. Dieu est présent dans cette réalité et nous pouvons le reconnaître en nous et en dehors de nous. Cette reconnaissance et cette adhésion sont source d’unification et de paix. Ces méditations nous ouvrent à un nouveau regard.

J H

 

(1)            « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(2)            Jürgen Moltmann est un théologien qui a réalisé une oeuvre pionnière dans de nombreux domaines. Paru en français dès 1988, son livre : « Dieu dans la création » (Cerf) porte en sous titre : « Traité écologique de la création ». La pensée de Jürgen  Moltmann, très présente sur ce blog, est pour nous une référence théologique. Voir aussi le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(3)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltman, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(4)            Center for action and contemplation

« Nature is ensouled » : https://cac.org/nature-is-ensouled-2018-03-11/ « Nature as a mirror of God » : https://cac.org/nature-as-a-mirror-of-god-2018-03-12/ Et enfin : « The substance of God » : https://cac.org/the-substance-of-god-2018-03-13/

(5)            Un blog de Claudine Géreg : « Viriditas » inspiré par Hildegarde de Bingen : https://viriditas.fr

(6)            Sur ce blog, voir notre précédent article : « Un Esprit sans frontières. Reconnaître la présence et l’œuvre de l’Esprit » (d’après le livre de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999).

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