Aujourd’hui, de plus en plus, la spiritualité se conjugue avec l’expérience. Cette expérience met en jeu toutes les dimensions de notre être : le corps et l’esprit, la tête et le cœur. Cependant des représentations peuvent faire encore barrage. En effet, si le changement culturel opérant à partir de registres convergeant, amène de plus en plus une reconnaissance des interrelations entre les différents aspects de notre être, il y a aussi dans notre héritage des philosophies antagonistes qui, pendant des siècles, ont prôné la séparation et une hypertrophie du mental par rapport aux autres dimensions de l’être humain. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, dans certains milieux « rationalistes » comme dans certains cercles chrétiens où l’exercice de la foi s’opère principalement à travers une réflexion intellectuelle, on observe des réserves vis à vis de l’expérience spirituelle. Et nous pouvons éprouver en nous même des résistances issues de ces représentations. Il est donc important d’en comprendre l’origine pour pouvoir vivre pleinement ce que l’Esprit nous apporte à travers l’expérience. Deux auteurs : Jürgen Moltmann et Leanne Payne, nous apportent sur cette question des éclairages pertinents.
La séparation entre l’âme et le corps.
Ainsi Jürgen Moltmann montre comment la philosophie platonicienne a profondément influencé le christianisme occidental (1) Platon proclame l’excellence d’une âme immortelle. « Si l’homme cherche son identité dans l’âme et non dans le corps, il se trouve lui-même immortel et immunisé contre la mort ». A cette supériorité de l’âme correspond une infériorité du corps, voire un quasi rejet. « Elle enlève à la vie corporelle tout intérêt vital et dégrade le corps en une enveloppe indifférente de l’âme ».
Le dualisme entre le corps et l’âme « sera transposé par Descartes dans la dichotomie moderne du sujet et de l’objet ». C’est seulement la pensée excluant la perception sensible qui induit la conscience de soi. Le sujet pensant exerce un commandement sur son corps et par extension sur la nature.
En regard, Jürgen Moltmann adhère à une anthropologie biblique. L’homme, « engagé dans une histoire divine » apparaît toujours comme un tout et s’inscrit dans des relations existentielles. C’est en terme d’alliance qu’on doit concevoir la relation entre l’âme et le corps.
La déchirure entre la tête et le cœur.
En analysant les obstacles à la prière d’écoute (2), Leanne Payne évoque une « déchirure grave entre la tête et le cœur ». Comment puis-je entendre Dieu, si « je n’intègre pas correctement mes capacités intuitives et imaginatives à mes facultés objectives et rationnelles pour les utiliser dans un juste équilibre ».
Ce dysfonctionnement est liè à ce qu’elle appelle la « faille cartésio-kantienne » entre la pensée et l’expérience. L’héritage intellectuel de Descartes et de Kant a engendré chez beaucoup de chrétiens une déchirure « se caractérisant par le fait qu’ils acceptent une connaissance conceptuelle au sujet de Dieu comme réalité tout en niant simultanément les manières élémentaires d’aimer Dieu, de le connaître et de marcher avec lui, ces dernières étant plus étroitement liées à la connaissance intuitive sans laquelle nous perdons les bienfaits de la raison et ceux de la connaissance conceptuelle » .
« En niant les manières intuitives de connaître, nous ne pouvons plus entendre la voix de Dieu. ».
« A l’inverse de l’idéologie kantienne, les chrétiens affirment que Dieu lui même nous parle d’une manière dont il nous donne le modèle dans l’écriture. Il a façonné nos âmes et nous a donné des oreilles et des yeux spirituels, enracinés dans le fait qu’il vit en nous et nous en lui, afin que nous le voyions, l’entendions et le connaissions ».
Notre propos ici n’est pas de traiter de l’expérience et des conditions de son authenticité spirituelle, mais simplement d’éclairer et donc de lever les barrières culturelles qui peuvent s’y opposer. Oui, c’est en terme de réciprocité que nous percevons la relation entre notre âme et notre corps, entre notre tête et notre cœur.
Leanne Payne raconte qu’une personne ayant découvert le chemin de la prière d’écoute s’attira cette remarque acerbe : « Je vois, vous avez maintenant une ligne directe avec Dieu ». Une amie me disait récemment qu’elle hésitait à faire connaître ce blog parmi les membres d’un groupe chrétien (catholique) très centré sur la réflexion à travers l’étude de livres. Elle pensait que, pour certains de ces membres, le blog leur apparaîtrait comme trop tourné vers l’expérience. Quel est notre vécu à ce sujet ? Quels sont nos cheminements ?
JH
(1) Cette analyse est développée à plusieurs reprises par Jürgen Moltmann. A propos de cette œuvre : www.lespritquidonnelavie.com
(2) Payne (Leanne). La prière d’écoute. Raphaël, 1994 (p.141-143)
Cet article de votre blog m’est adressé par une personne qui vous lit.
Probablement parce que j’ai ouvert un blog ou je tente de rendre compte de mon vécu, de mon expérience, de mon aventure spirituelle, pour ce qu’elle fut exactement, telle qu’elle fut, de mon enfance, à mon âge désormais quelque peu… Avancé !…
Je remercie cette personne, et je vous remercie pour cet article éclairant.
Titre du blog : « le voyageur de l’aube »
adresse du blog : http://alainx5.blogspot.com/
Merci Jean pour ce texte qui j’espère parlera à beaucoup de personnes; cette question abordée est au centre de ma problématique de future sophrologue … ! L’être humain est un tout comme vous l’exposez si bien.