par jean | Août 2, 2022 | Vision et sens |
Pour un engagement chrétien authentique
Dans une méditation sur le site du « Center for action and contemplation », Richard Rohr nous enseigne que nous pouvons nous engager dans de nouvelles manières de vivre si nous parvenons à un certain degré de détachement vis-à-vis des systèmes en place.
Non-idolâtrie
« Le fondement du programme social de Jésus est ce que j’appellerai une non-idolâtrie, c’est à dire un retrait des passions pour tous les royaumes excepté le Royaume de Dieu. C’est bien meilleur que de ressentir le besoin d’attaquer les choses directement. Le non-attachement (la liberté par rapport à des dépendances à des systèmes humains de domination) est le meilleur moyen que je connaisse de protéger les gens du fanatisme religieux et de toute forme de pensée et de conduite marquée par un antagonisme. Il n’y a pas à se mobiliser contre. Juste à se concentrer sur la Grande Chose vis à vis de laquelle nous sommes pour »
Les églises comme inspiration d’un genre de vie alternatif
C’est en ce sens que Richard Rohr envisage les églises. « Paul essaie de créer des genres d’aides audiovisuelles pour ce Grand Message qu’il a appelé des « églises » (un terme que Jésus a utilisé seulement deux fois et seulement dans un évangile (Matthieu 16.18 et 18.17). Paul a besoin de modèles visibles et vivants du nouveau genre de vie qui rend évident que les gens de Christ suivent un chemin différent de la conscience de masse. Ce sont des gens qui sont dépourvus de méchanceté (innocent) et authentiques… et qui brillent comme des étoiles dans un milieu trompeur et sournois » ( Philippiens 2.15). Aux gens qui demandaient : pourquoi devrions nous croire qu’il y a une nouvelle vie meilleure possible ? Paul pouvait dire : regardez à ces gens. Ils sont différents. Il y a un nouvel ordre social : « En Christ, il n’y a plus de distinction entre les juifs et les grecs, les esclaves et les hommes libres, les homme et les femmes, mais vous êtes tous un en Christ Jésus (Galates 3.28).
Une société alternative
Richard Rohr met ainsi en évidence une nouvelle vision. « Dans la pensée de Paul, nous sommes supposés vivre à l’intérieur d’une société alternative, presque une utopie, et, à partir d’une telle plénitude, d’aller vers le monde. Au lieu de cela, nous avons créé un modèle où les gens vivent presque entièrement dans le monde, entièrement investis dans les attitudes du monde vis-à-vis de l’argent, de la guerre, du pouvoir et du sexe, et quelquefois, « aller à l’église ». Cela ne semble pas marcher. Des groupes comme les amish, les communautés anabaptistes du Bruderhof, les Eglises noires, et des membres de quelques ordres religieux catholiques, ont probablement une meilleure chance d’entretenir réellement une conscience alternative. La plupart d’entre nous semble bien finir par penser et par agir comme notre culture environnante ».
Nouvelles pistes
Et c’est là que Richard Rohr, dans cette analyse et dans cette perspective, met en évidence de nouvelles pistes aujourd’hui en voie d’émergence.
« Beaucoup de gens aujourd’hui mettent leur confiance dans des think tanks, des groupes d’entraide, des groupes de prière, des groupes d’étude, des projets de construction de logements, des cercles de guérison ou des associations à but communautaire. Peut-être, sans toujours le reconnaître, nous nous dirigeons souvent dans la bonne direction. Quelques études récentes indiquent que les chrétiens ne sont pas tant quittant le christianisme que se réalignant dans des groupes qui vivent les valeurs chrétiennes dans le monde – au lieu de se rassembler à nouveau pour entendre des lectures, réciter une confession de foi et chanter des chants le dimanche. Jésus n’a pas besoin de nos chants. A la place, nous avons besoin d’agir comme une communauté. Aujourd’hui, un comportement chrétien pourrait grandir plus que nous le réalisons. Le comportement, c’est quelque chose de très différent de l’appartenance ».
« Rappelez-vous… Ce n’est pas la marque publicitaire qui compte ».
J H
par jean | Juil 4, 2022 | Vision et sens |
Jean Lavoué : une œuvre spirituelle
En réponse à notre quête spirituelle, un livre vient de paraitre : « Un poème à venir. Pour une spiritualité des lisières » (1). Si, au premier abord, le titre peut paraître insolite, il convient au départ d’entendre la voix qui s’y exprime, le parcours de l’auteur. Celui-ci, Jean Lavoué, est un écrivain, éditeur et poète breton. On peut en lire ici et là la biographie. Mais la meilleure entrée nous paraît une interview de Magali Michel parue dans La Vie : « De l’absence jaillit la présence » (2).
Très tôt porté à l’écriture, Jean Lavoué s’engage dans une expression poétique. C’est un atout pour faire face aux embuches de la vie et approfondir un chemin de libération spirituelle où il sera aidé par un prêtre atypique, Jean Sulivan. Son parcours professionnel s’exerce dans l’éducation surveillée et dans la sauvegarde de l’enfance.
Cependant, à partir des années 2000, Jean Lavoué, constamment en activité poétique, commence à écrire des livres portant sur des auteurs avec lesquels il se trouve en affinité. Cette œuvre littéraire va aller en croissant. En 2007, Jean Lavoué crée un blog, baptisé : « l’enfance des arbres » ( http://www.enfancedesarbres.com ).
En 2017, il ouvre une petite maison d’édition. C’est dire combien, à tous égards, l’écriture tient une place centrale dans la vie de Jean Lavoué. « L’écriture finalement se déploie dans le temps, pourvu qu’on persiste, même s’il n’y a pas beaucoup d’écho au départ ».
Dans cette interview, Jean Lavoué nous fait part aussi de sa vie spirituelle. « J’aime lire la Bible avec d’autres. L’Ecriture est d’une grande poésie. Dans la vie professionnelle, comme dans la vie intérieure, j’apprécie la fécondité des petits groupes de parole. Avec Anne, ma femme, nous participons à plusieurs d’entre eux. Mon enracinement ecclésial s’inscrit dans cette modalité peu visible, mais bien plus répandue que l’on ne le croit ».
Les deux livres les plus récents de Jean Lavoué témoignent de son parcours spirituel : « les clairières en attente » où il évoque notamment l’apport des petits groupes de partage : https://www.youtube.com/watch?v=9Jm5hkO3TAM
et « Le Poème à venir ? Pour une spiritualité des lisières » où « il explore la dimension christique du Poème en élargissant la conception et la montrant également à l’œuvre dans l’ensemble des autres spiritualités humaines » : https://www.youtube.com/watch?v=5K01-5KffYk
Sur le chemin de l’expression d’une vision
En introduction du livre : Le Poème à venir
Dans l’introduction de son livre : « Le Poème à venir », Jean Lavouè nous fait part de son cheminement et de la manière dont celui-ci débouche sur une nouvelle approche.
Ne ressentons nous pas plus ou moins des raideurs et des pertes dans l’annonce ecclésiale de l’Evangile ? « Les mots ont trop servi. Ils semblent usés » (p 10). « Il faut désempierrer la source pour tenter de la retrouver. J’ai choisi pour ma part le mot : Poème pout tenter de dire ce qu’avec d’autres, je cherche à tâtons… ».
Mais pourquoi ce mot nouveau ? Quelle en est la signification ? Jean Lavoué nous en explique l’origine. « Poiêsis » pour les grecs, signifie création… Pour Platon, l’art poétique est rattaché à l’ « enthousiasme ». Dans la Bible, le poète est le prophète. Pour les philosophes de l’Orient, la poésie rejoint la contemplation du sage ». Dans quelle acception, Jean Lavoué a-t-il adopté le mot ? « Il peut recouvrir ces différentes définitions, même si la source de mon questionnement concerne, de manière plus spécifique, ce qui touche à une réception encore inédite de l’annonce christique des évangiles, ce désir du Royaume, cet engendrement qui se sont entièrement saisi de la personne que l’on nomme Jésus. De ce Verbe, de cette Parole, de ce Logos qui, diront les écrivains de la Bonne Nouvelle, se sont emparés de lui » (p 12).
Mais l’auteur envisage un mouvement dans un horizon plus vaste : « Le Poème tel que je l’envisage, ne se réduit pas à lui. Il recouvre une réalité encore plus vaste. Certes, cet homme Jésus ne mit aucun obstacle à l’avènement en lui de cette réalité qui le dépassait. Toutefois, il ne cessa d’affirmer selon les évangiles synoptiques, qu’il n’était pas lui-même cette réalité. Mais, selon l’évangile de Jean, il va jusqu’à dire que le Père lui ne font qu’un… Pour tous ces témoins, il est indéniable qu’il se laissa entièrement envahir par le Souffle saint lui inspirant chacune de ses paroles et chacun de ses gestes » (p 12).
Jean Lavoué ouvre l’horizon : « C’est en fait le dynamisme créateur de cette Vie partout à l’œuvre dans l’univers que nous avons voulu traduire dans ce récit méditatif par le mot : Poème. La Vie, nul ne l’a jamais vue, mais elle se fait connaître par cette puissance créatrice qui ne cesse de tirer l’univers tout entier vers un accomplissement toujours plus complexe, toujours plus harmonieux. Et cela, malgré les pesanteurs et les ombres, voire les impasses qui semblent s’accumuler aujourd’hui sur le devenir de l’humanité (p 12).
L’auteur rappelle la conception grecque du Logos. Mais, à l’époque, ils avaient « une vision stable du cosmos, cohérente, hiérarchique et aux contours bien délimités ». Ce n’est plus cette vision qui est la notre aujourd’hui. « Les théories de l’origine de l’univers, de l’évolution, de la connaissance de la matière nous ont conduits à une nouvelle conception totalement interactive, systémique, de ce qui est, depuis les choses inanimées jusqu’aux êtres vivants. Tout et relié à tout. Tout est mouvement permanent, croissance, devenir. C’est cette immensité transformatrice et créatrice à l’œuvre partout dans le monde que nous appelons Poème. Son origine, nous la nommons Source ou Vie… » (p 13).
Jean Lavoué envisage la vie et l’œuvre de Jésus dans ce grand mouvement. « L’homme Jésus fut habité comme nul autre par le Poème. On pourrait dire aussi par le Souffle créateur qui agit en tout et en tous, mais qui s’empara de manière singulière de son être » (p 13). Dans l’immédiat, ce fut exprimé dans la culture de l’époque : « Les mots qui étaient à leur disposition étaient ceux de Logos pour ceux qui étaient de culture grecque, ou de Messie, c’est à dire de Christ, pour ceux qui s’inspiraient de la grande tradition hébraïque et biblique. Tout l’effort des théologiens des premiers siècles fut de tenter de définir en quoi et à quel point, cette dimension christique de Jésus, cette incarnation en lui du Logos, se confondait avec l’Etre créateur, avec Yahvé, avec Dieu » (p 13).
Le Poème, envisagé par Jean Lavoué correspond à la dimension « Christ » de Jésus telle que nous la reconnaissons dans la culture judéo-chrétienne. Mais, le dynamisme créateur de la Vie, dont ce mot est le signe, ne saurait se réduire à cette culture. Nous sommes à l’âge planétaire où nous prenons la mesure de la pluralité des formes d’expression spirituelle. Nous découvrons que notre destin est lié à celui de tous les êtres vivants et à l’ensemble de l’écosystème dont nous sommes les hôtes » (p 13).
Jean Lavoué plaide pour une réception plus universelle de ce dynamisme créateur. « Puisque chrétien et enraciné dans la tradition biblique, nous éclairerons cette compréhension pour nous du Poème… essentiellement à partir des éléments tirés de ce lieu exceptionnel de réalisation que constitue le témoignage évangélique. Mais nous essaierons aussi de faire en sorte que ce que nous exprimerons du poème, à partir de cet ancrage dont la vie de Jésus fut la terre d’accueil, puisse aussi éclairer bien d’autres espaces culturels et spirituels traduisant à leurs manières plurielles et différentes leur coopération avec le dynamisme du Souffle créateur » (p 14)
« Si l’homme Jésus devint souffle lui-même au yeux de ses disciples, n’est-ce pas le fait de cette confiance et de cette foi vitales qu’il éveillait en chaque être, en chaque chose, en chaque événement. C’est d’abord de cela qu’ils furent témoins. C’est pour les avoir eux-mêmes relevés, les avoir fait participer de manière très personnelle et intime, au dynamisme créateur du Poème de la Vie qu’ils le reconnurent. C’est ainsi qu’ils le définirent avec les termes qui se trouvaient à leur disposition comme ‘Christ’ : Oint en cette Source vitale par la grâce du Poème. C’est en cela qu’il accepta d’être, saisi qu’il fut par le Souffle saint, l’homme par excellence de la Parole : celui qui fait lever autour de lui les germes du Royaume… » (p 14-15).
« Pour relier tous ceux qu’il rencontrait, disciples ou inconnus, à cette même origine de la Vie, il aimait donner à cette dernière, le nom de Père, Abba : et avec ces deux premières lettres de l’alphabet hébraïque : alpha, bêta, il révélait déjà tout ce qui reliait le visible à l’invisible… Tous se trouvaient issus de la même source, plongés dans les mêmes eaux transformatrices du Poème… Dans d’autres traditions et dans d’autres cultures, cette vision de la Source originaire fut traduit par d’autres mots : Allah pour les uns, Atman pour les autres, Terre-Mère ou Gaia encore pour d’autres. Ces visions différentes ne sont pas exclusives les unes des autres » (p 16).
Jean Lavoué nous explique le but de son livre et la motivation qui l’a porté. « C’est cette puissance de nouveauté universelle que je cherche à honorer par ce livre – poème. Aujourd’hui encore, elle vient à toute femme, à tout homme, à l’humain en général, quelque soit le Dieu, la Source, la Vie, l’Energie auxquels il se réfère ou pas. C’est cela que nous voudrions avant tout suggérer » (p 16).
L’auteur nous dit alors comment il a réalisé son livre. « Il est le fruit d’intuitions, nourries par des lectures et vendangées dans les celliers du cœur. Des auteurs m’auront mis en chemin » (p 16). Jean Lavoué mentionne alors des théologiens et des auteurs spirituels dans une vaste gamme de Christoph Theobald, Raphaël Picon à Teilhard de Chardin et Richard Rohr. L’auteur précise également son usage du mot Poème. Ainsi, en faisant référence à l’homme Jésus, il nous dit « préférer au terme de Christ, qualifiant la manière spécifique dont il s’abandonna à la puissance agissante de son Père, celui de Poème, le faisant participer à une place singulière et unique, au dynamisme transformateur et créateur initié par le Souffle de la Vie dans la totalité de l’univers » (p 18).
Ce livre porte en sous-titre : « Pour une spiritualité des lisières ». Mais qu’entend-il par lisière ? La lisière c’est le lieu où « l’humain s’ouvre à l’infini qui le dépasse, un lieu mystérieux d’interaction et de transformation réciproque où l’un et l’autre communiquent et s’apprivoisent. De cet échange intime où se nouent la rencontre entre souffles divin et humain, toute spiritualité est l’expression singulière ; même si chacune d’elle attribue au mystère autour duquel elle gravite des noms différents voire si elle ne le nomme pas du tout comme c’est le cas pour une grande part de la quête contemporaine » (p 18). « C’est de la lisière dont l’Evangile est le signe dont il sera principalement question ici. Mais cela de manière non exclusive de telle sorte que la « spiritualité des lisières » pourrait aussi correspondre à une volonté de chercher à faire tomber tous les murs autant entre notre propre vérité et celle des autres qu’entre le divin et nous-mêmes » (p 18).
Paysages
Le Poème à venir nous appelle à une promenade où nous découvrons sans cesse des paysages nouveaux. Tandis que les chapitres se déroulent, tant de paragraphes nous appellent à une lecture méditative Voici donc quelques extraits de ce livre pour entrer dans cette lecture.
Un Père qui venait de l’avenir…
« Un homme, un poète, voici ce qu’il était. Il était venu, il y deux mille ans dans un bout de Palestine. Dans sa courte existence, il n’avait cherché qu’à incarner dans chacune de ses paroles, chacun de ses gestes, le souffle du Poème. Il affirmait que celui-ci venait de son Père. Et quand il parlait ainsi, on sentait bien que ce n’était pas pour lui un père biologique, un père du passé. Non, plutôt un Père qui venait de l’avenir. Une force qui le tirait en avant, qui l’entrainait dans les voies les plus risquées, le plus improbables pour annoncer, disait-il, un Royaume qui viendrait. Et il était d’ailleurs déjà là : son être tout entier rayonnait de cet amour qui refluait sur lui telle l’annonce d’un printemps » (p 22).
Le Souffle saint qui ne cherche qu’une chose : Leur permettre à tous de choisir la Vie.
« Quand le « poète » mourut, tous crurent que c’en était fini de son histoire. Or, celle-ci ne faisait au contraire que commencer. Ou plutôt , elle ne pourrait désormais que se prolonger. Car s’il incarna plus que tout le poème, il avait la vive conscience de ne pas en être l’origine. A cette Source, il donna le nom de Père. Et, n’est-ce pas celle-ci, aujourd’hui encore, qui œuvre en toute femme et tout homme de bonne volonté cherchant l’harmonie entre les peuples de la terre : quelque soient leurs croyances, leurs dieux, leurs fois, leurs cultures, leurs raisons. Sans tous ces particularismes, le Poème ne serait pas. Mais il les transcende tous. Comme ceux-ci n’existeraient pas sans lui.
Pourtant chacun croit pouvoir lui donner un nom, une forme, une assignation bien à eux, opposés à ceux revendiqués par les autres hommes. Mais, ce faisant, ils oublient le Souffle saint qui ne cherche qu’une chose, à travers toutes leurs langues, leurs cultes, leurs dialectes : les arracher au chaos et à la destruction ; leur permettre à tous de choisir la Vie » (p 23).
Porter secours à la planète, c’est porter secours à l’humain, à Dieu lui-même…
« Porter secours à la planète en feu, c’est porter secours à l’humain, à Dieu lui-même. Voilà ce qu’il leur faut entreprendre. Notre maison commune est aussi celle du Poème en nous. Notre seule résidence sur la terre. Notre seule chance de nous laisser habiter par lui. De l’inviter chez nous. De le laisser y faire sa demeure. Rien qu’il n’ait désiré d’un plus grand désir : laisser sa parole créatrice se déployer en tout être, en toute chose. Tandis que l’homme au contraire s’est dressé face à elle. Ce qu’ils avaient imaginé de puissance menaçante et de défi chez cet hôte qui n’était pourtant que bienveillance à leur égard, ils se l’approprièrent pour eux-mêmes. Ainsi devinrent-ils une menace le uns pour les autres ainsi que pour la planète dont ils se croyaient être à jamais les maîtres ». (p 28).
Ce Poème en avant de nous
« C’est l’un de ses amis qui écrivit un jour le prologue de notre propre vie. Et depuis, nous n’avons cessé de voir ce Poème en avant de nous. Souvent, entendant une nouvelle fois ce récit, nous croyions le connaître par cœur. Alors qu’il surgissait toujours neuf de l’horizon. Ceux qui restaient tournés vers le passé finissaient par l’oublier. Leur vie cessait soudain de chanter au rythme de son pas. Tandis que tout un peuple, par ailleurs, grandissait, se mettait en marche, s’élançait par les brèches ouvertes de sa promesse » (p 35).
Fondés dans la confiance et l’espérance
« Et c’est alors qu’ils s’éprouveraient « jubilescents ». Fondés dans la confiance et l’espérance que toute mort est vaincue. Qu’ils participent, de l’avènement d’une Vie qui n’a jamais cessé de venir vers eux pour être-avec-eux ressource d’espérance, soutien dans leurs avancées obscures. Pour être au plus fragile de leur humanité et dans toute l’épaisseur de leur finitude et de leur précarité, le signe d’une tendresse qui ne leur ferait jamais défaut. Et cela par la grâce d’un avenir ouvert qui ne leur a jamais manqué » (p 38).
Voici donc un livre qui nous propose une vision plus vaste de la dynamique évangélique, une vision plus fraiche à travers de nouveaux mots et de nouvelles images. Cette proposition peut éveiller quelques questionnements théologiques. Cependant, ce chant nouveau nous éveille et nous porte. C’est le murmure de l’eau vive. Le mouvement de Dieu en Jésus s’exprime dans un Souffle créateur. C’est « une puissance de vie universelle » que Jean Lavoué « cherche à honorer à travers son livre Poème » (p 16).
J H
- Jean Lavoué. Le Poème à venir. Pour une spiritualité des lisières. Préface de François Cassingena- Tréverdy. Mediaspaul, 2022 . Une superbe présentation du livre : « Pentecôte : le souffle des lisières » : https://www.golias-editions.fr/2022/06/02/pentecote-le-souffle-des-lisieres/
- Jean Lavoué. De l’absence jaillit la présence. Interview de Magali Michel dans La Vie : https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/jean-lavoue-de-labsence-jaillit-la-presence-3127.php
par jean | Juil 4, 2022 | Société et culture en mouvement |
Dans ce monde en voie de globalisation, en voie d’unification, il y a de violentes résistances, de violentes oppositions, de violents conflits. En fait, les forces techniques et économiques qui sont à l’œuvre sont, à elles seules, incapables d’engendrer une unité. L’unité ne peut résulter d’une violence impériale ou de la pression des intérêts. On pourrait penser qu’elle requiert une harmonisation spirituelle. Et c’est ainsi qu’on peut considérer l’exemple des premières communautés chrétiennes apparues au premier siècle où nous pouvons entrevoir l’émergence d’un universalisme révolutionnaire (1). Le Saint Esprit y est puissance de réconciliation et d’unification.
C’est le mouvement que décrit Amos Yong (2) dans une séquence sur le Saint Esprit réalisée par Richard Rohr sur le site du Center for action and contemplation. Théologien pentecôtiste américain, d’origine malaisienne, Amos Yong est l’auteur d’une œuvre originale et abondante qui se décline dans de nombreux livres (3). Amos Yong propose ainsi une théologie pionnière où les ressources du pentecôtisme s’inscrivent dans une pensée chrétienne ouverte à une dimension œcuménique et interreligieuse, comme à la culture d’aujourd’hui, notamment scientifique. Amos Yong est professeur à la Faculté Évangélique californienne Fuller où il dirige l’École des études interculturelles, un centre de recherche missiologique. Son œuvre mérite d’être mieux connue au delà de l’univers anglophone.
La dynamique de la Pentecôte
« La vie palestinienne du premier siècle, de beaucoup de manières, semblable à notre village global d’aujourd’hui, était marquée par des suspicions vis à vis de ceux qui parlaient d’autres langues où qui incarnaient d’étranges genres de vie. Ce fut l’œuvre de l’Esprit de rassembler ceux qui étaient étrangers les uns aux autres et de réconcilier ceux qui auraient pu autrement demeurer à l’écart de ceux qui leur étaient dissemblables ».
La Pentecôte ouvre un horizon nouveau. « Elle inaugure un Israël restauré et le royaume de Dieu en établissant de nouvelles structures et de nouvelles relations sociales. A noter que le don de l’Esprit n’est pas réservé aux 120 hommes et femmes qui sont rassemblés dans la chambre haute (Actes 1. 14-15) : Les langues de feu qui se sont divisées, se sont posées sur chacun et ont permis à chacun, soit de parler, soit d’entendre dans des langues étrangères (Actes 2.3-4).
Pour expliquer ce phénomène, Pierre cite le prophète Joël :
« Vos fils et vos filles prophétiseront
Vos jeunes hommes auront des visions
Vos anciens auront des songes
Et sur mes esclaves, hommes et femmes
Je déverserais mon Esprit
En ces jours, ils prophétiseront » (Actes 2. 17-18)
Un changement de société
Amos Yong élargit la réception habituelle. « Les dons de l’Esprit ne sont pas destinés seulement aux individus. Ils ont des effets sociaux en mettant en cause les pouvoirs en place, « the powers that be ».
Pierre comprenait bien que, tandis que l’ancienne ère juive avait un caractère patriarcal, la restauration d’Israël manifesterait l’égalité de l’homme et de la femme. Les deux prophétiseraient dans la puissance de l’Esprit. Tandis que l’ancienne alliance manifestait la direction des anciens, le royaume restauré impliquera la responsabilisation (empowerment) d’hommes et de femmes de tous les âges. En tout ceci, l’œuvre de l’Esprit était annoncée en des langues étranges, et pas dans les langues conventionnelles du statu quo.
En effet, la restauration du royaume de Dieu par la puissance de l’Esprit renversait effectivement le statut quo. Comme il avait été prédit à Marie et Zacharie, ceux qui étaient au bas de l’échelle sociale, les femmes, les jeunes et les esclaves, étaient les récepteurs de l’Esprit et les véhicules d’un revêtement de puissance (empowerment) de l’Esprit (Luc 1.46-55, 1.67-79). Les gens, autrefois divisés par la langue, l’ethnie, la culture, la nationalité, le genre et la classe seraient réconciliés par cette nouvelle version du royaume.
Potentiellement, « toute chair » serait incluse .
Une interpellation
Dans cette vision inspirante, Amos Yong interpelle.
Est-ce que ces caractéristiques continuent à marquer l’église comme une fraternité inspirée par l’Esprit ? Est-ce que l’église parle encore les langues de l’Esprit ? Ou bien restons-nous prisonniers d’une division portée par les langages, les structures et les conventions des empires de ce monde ? (4). Notre prière devrait être : « Viens Saint Esprit » de telle manière à ce que la proclamation de l’épanchement de l’Esprit sur toute chair puisse vraiment encore trouver son accomplissement à notre époque.
Amos Yong
Rapporté en français par J H
- « Paul : Sa vie et son oeuvre selon NT Wright » : https://vivreetesperer.com/paul-sa-vie-et-son-oeuvre-selon-nt-wright/
- A reconciling power : https://cac.org/daily-meditations/a-reconciling-power-2022-06-09/
- Amos Yong . Fuller Seminary : https://www.fuller.edu/faculty/amos-yong/
- L’Esprit Saint à l’œuvre dans les sociétés et pas seulement à l’échelle individuelle : « Pour une vision holistique de l’Esprit. Avec Jürgen Moltmann et Kisteen Kim » : https://vivreetesperer.com/pour-une-vision-holistique-de-lesprit/
par jean | Juin 1, 2022 | Hstoires et projets de vie |
D’aide soignante à infirmière
Une vie au service du care et de la santé
Mon père était médecin vétérinaire. Et, toute petite, je savais qu’il soignait les animaux. Moi, je me suis dit : Je ferai plutôt le métier d’infirmière. Et alors, je pourrai avoir des moments d’échange avec mon père sur le fait de soigner et sur l’évolution de la médecine. J’avais huit ans.
Plus tard, à 16 ans, pendant les trois mois de vacances, à la suggestion de ma tante, j’ai fait des stages bénévoles dans un dispensaire. Le matin, avant la tournée des religieuses soignantes, j’attirais l’attention des malades sur les précautions à prendre au niveau de l’hygiène. Déjà à cette époque, je participais à la prévention, par exemple en incitant les gens à avoir des moustiquaires pour faire face au paludisme.
Dans l’enseignement secondaire, j’ai fait des études en économie sociale et familiale (ESF). Dans ce cadre, je faisais également des stages. Je n’ai pas obtenu mon baccalauréat et je suis rentré directement dans la vie active. J’ai travaillé comme caissière dans une boulangerie. J’ai ensuite travaillé pendant dix huit mois dans le secteur santé de la garnison militaire de Yaoundé. Mes activités étaient très diverses : pansements ; participation à des consultations et même des accouchements ; un mois en réanimation…
Par la suite, je voulais entrer dans l’armée pour exercer dans le service de santé. Mes parents s’y sont opposés.
J’ai donc travaillé pendant cinq ans dans les cabines téléphoniques avec option conciergerie.
En 2002, je me suis mariée et j’ai rejoint mon mari en France en 2003. J’ai fait des petits boulots : garde d’enfant, femme de chambre.
D’aide soignante à infirmière
En arrivant en France en 2003, j’ai donc travaillé comme femme de chambre pendant cinq ans pour financer une formation d’aide soignante que j’ai suivi pendant dix mois. J’ai approfondi le coté relationnel qui était déjà ancré en moi, mais dont j’ai mieux compris l’application. Cela m’a conforté dans la vocation de soignante que j’avais depuis l’enfance. J’ai commencé à travailler dans les hôpitaux, en chirurgie viscérale en l’occurrence. Cela m’a permis d’asseoir mes connaissances pendant douze ans. Ensuite, j’ai voulu évoluer dans ma carrière professionnelle.
C’est alors que j’ai suivi une formation d’infirmière pendant trois ans. J’ai obtenu mon diplôme d’état d’infirmière en mars 2021.
Au départ, j’ai eu des difficultés, car je n’avais pas suivi d’études depuis longtemps. La formation d’infirmière est très variée et donc j’ai appris beaucoup de choses. Combiner la formation pratique et la formation théorique m’a beaucoup apporté. J’ai eu des difficultés dans le domaine de l’enseignement de la psychiatrie, parce que, au départ, j’associais ces troubles à la folie. J’avais du mal à prendre en charge ces personnes, mais au bout de la troisième semaine, j’ai réussi à surmonter cette difficulté avec l’aide du psychiatre.
Depuis le mois d’avril 2021, j’ai commencé à travailler dans un ephad et dans un hôpital.
Une vie au service du care et de la santé.
J’aime ma profession et je l’exerce de tout mon cœur. Quand je me lève le matin, j’ai le sentiment que je vais me rendre utile. Je demande à Dieu de m’utiliser comme un instrument entre ses mains, au service de ses créatures.
Pour moi, être infirmière, c’est être dans une écoute active, avoir de l’empathie, tout en étant authentique. Et, en retour, je reçois de la sympathie et de la bienveillance.
Dans les longues journées que je passe avec les patients, je trouve cette relation bénéfique. De par ma culture africaine, le respect, la proximité, l’intimité sont des éléments fondamentaux. Quand dans un ephad, un ainé me parle, je prends l’attitude de me taire et d’écouter. Cela me permet de donner une réponse. Je suis donc dans une attitude d’écoute active dans laquelle je mobilise mes connaissances et puis ainsi apporter une réponse adaptée. Je continue à apprendre constamment.
Les journées sont souvent longues et épuisantes, mais, en fin de parcours je me réjouis d’avoir été au service de personnes vulnérables et de leur avoir apporter, outre les soins, réconfort et soutien.
Cela donne un sens à ma vocation de soignante, ce que j’ai toujours voulu faire. C’est un accomplissement de ma vie selon tout ce que je crois : un ordre divin qui, par mon entremise, prend soin de ses créatures.
S T Y A
par jean | Juin 1, 2022 | Vision et sens |
Selon Patrice Van Eersel
Les crises se succèdent. Les menaces grandissent. L’horizon parait bouché. Nous voyons le climat se dégrader, la diversité des espèces se réduire. Nos repères se fragilisent. Il semble que l’ordre naturel est ébranlé. Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ?
L’humanité elle-même nous paraît de plus en plus instable. Le rythme de la vie sociale s’accélère, s’emballe. Dans cette ambiance préoccupante, la solidarité vacille. Des forces s’entrechoquent. Des monstres, bien réels ou imaginaires apparaissent. Dans ce tohu-bohu, certains se désespèrent et envisagent la fin du monde, un grand effondrement. Ce catastrophisme est dévastateur. Il sape les élans de vie.
C’est dans ce contexte que Patrice Van Eersel, journaliste et écrivain (1), connu pour ses études pionnières dans la découverte de réalités hors du commun, d’expériences transcendentales, a décidé de répondre au pessimisme ambiant en écrivant un livre intitulé : « Noosphère » (2). Il trace une piste décrivant le processus intellectuel qui a commencé au début du XXè siècle et a mis en évidence la perspective de l’émergence d’une conscience collective.
Ce livre est présenté ainsi dan la page de couverture.
« Comment croire en l’avenir quand on a trente ans et la conviction de vivre l’effondrement de la planète – réchauffement global, dégradation de la biodiversité, pollution généralisée, le tout aggravé par une crise sanitaire mondiale ?
En remontant le temps, répond l’auteur de ce récit à son jeune interlocuteur, Sacha, en s’inspirant du concept de Noosphère, forgé dans les années 1920 par deux hommes, le français Teilhard de Chardin et le russe Vladimir Vernadski qui désignaient ainsi la conscience collective planétaire. Ayant compris le rôle crucial de l’action humaine sur la biosphère – ce que l’on appelle aujourd’hui l’anthropocène – ces visionnaires, convaincus du caractère « cosmique » de la vie biologique, considéraient le triomphe de la « Noosphère » comme la prochaine et irrésistible étape de l’Évolution, condition sine qua non de notre survie sur la terre ».
L’auteur a agencé son récit en fonction d’interlocuteurs imaginés : le fils d’un ami décédé, Sacha, un jeune homme en pleine dépression parce qu’il s’attend à un effondrement de la société et, en conséquence, s’est réfugié dans un refus du travail, et, autour de lui, une constellation familiale, sa mère, sa compagne, mère d’une petite fille, séparée de lui et elle aussi, portée à des idées extrêmes. Et donc, le récit se développe en phase avec des questionnements et des ressentis. Dans cette disposition de l’ouvrage, l’auteur engage un dialogue avec toute une jeunesse en recherche. Et, en même temps, l’auteur nous présente une réflexion complexe au carrefour de considérations scientifiques, philosophiques et même théologiques. Dans un déroulé historique, attentif à la vie des personnalités évoquées, le récit suscite une attention soutenue. Patrice Van Eersel a écrit là un livre fondé sur de nombreuses enquêtes et lectures. C’est un ouvrage important, en 400 pages. Il ne peut donc être question ici d’en résumer le contenu. Nous chercherons simplement à en présenter quelques étapes, quelques parties saillantes.
Une approche de l’effondrement : la collapsologie
Puisque son jeune ami, Sacha, est obsédé par la menace de l’effondrement, Patrice Van Eersel va lui ménager un contact avec ceux qui, eux aussi, se focalisent sur cette question de l’effondrement. Ainsi, il entre en contact avec des scientifiques innovants qui, en fin de compte, se sont engagés dans l’exploration de cette hypothèse. Depuis quelques années, Patrice connaissait un chercheur belge, Gauthier Chapelle, spécialiste de biomimétisme : comment reconnaître les inventions de la nature et en tirer parti ? Avec un autre chercheur, Pablo Servigne, Cauthier Chapelle avait participé à la rédaction d’un livre particulièrement innovant : « L’entraide. L’autre loi de la jungle » (3). Cependant, les années passant, Gauthier Chapelle avait rejoint son collège et ami, Pablo Servigne dans son regard pessimiste sur l’avenir de l’humanité. Ce dernier avait écrit un livre : « Pourquoi tout peut s’effondrer ». Pablo Servigne et un petit groupe de chercheurs avec lui s’étaient engagés dans un recherche sur l’effondrement en adoptant le terme de : collapsologie. « Ce que ces jeunes chercheurs s’escrimaient à étudier en détail, c’était le « processus systémique » par lequel une société s’emballe dans une série de spirales devenant folles et qui, tendant vers l’infini à partir de certains seuils, résonnent si bien les unes avec les autres qu’elles font exploser l’ensemble » (p 18). Gauthier Chapelle ayant donc facilité une rencontre entre Patrice van Eersel et Pablo Servigne, celle-ci déboucha sur une discussion concernant la perspective de l’effondrement. Pablo Servigne suggéra à Patrice de faire bénéficier son groupe de son expérience sur l’approche de la mort apprise d’« Elisabeth Kubler Ross, psychiatre américano-suisse, initiée au feu de l’ouverture des camps de concentration en Pologne, puis projetée dans l’univers des grands hôpitaux américains » (p 23). Dans son pessimisme, Pablo Servigne a choisi néanmoins de « rester humain quoiqu’il arrive » et il s’est installé avec ses enfants dans la campagne de la Drome (p 24-25). En emmenant Sacha avec lui, Patrice Van Eersel lui rend visite dans son nouveau lieu de vie. La conversation s’oriente vers la puissance de l’entraide qui « concerne tous les êtres vivants depuis quatre milliards d’années ». « Les groupes qui s’entraident survivent beaucoup plus longtemps ». Cette puissance de l’entraide a été mise en valeur par la pensée pionnière de Kropotkine, géographe et anarchiste, et le courant russe de l’anarchisme mystique. « On débouche sur un engagement social d’essence éthique et, même, finalement sur une voie philosophique étroitement spirituelle » (p 135-136). Tout en envisageant le pire, Pablo Servigne poursuit sa recherche sur les manières de l’affronter. « Les humains ont besoin de grands récits. Or ceux qui ont nourri le monde moderne depuis la Renaissance, en particulier le récit de la liberté individuelle ou de la technoscience, sont maintenant épuisés. Et Pablo énonce des pistes d’action : « Schématiquement, je vois trois possibilités : bâtir des réseaux d’entraide, motivés par le bien commun ; s’entrainer à recevoir l’imprévisible, le pire et le meilleur… et puis ouvrir des horizons, rêver ensemble, tisser de grands récits ! » (p 140).
Chercheurs artistes américains
Éclaireurs pour une nouvelle vision du monde
L’auteur a réalisé de nombreuses enquêtes aux Etats-Unis. « L’Amérique est un pays si contradictoire qu’il peut vous dégouter autant que vous inspirer. Du nord au sud et de la côte ouest à la côte est, j’y avais rencontré des dizaines de chercheurs artistes et de scientifiques ouvreurs de voies » (p 32). Dans ces rencontres, il a mesuré la dimension historique de l’anthropocène. « Tout d’abord, ces gens, bien qu’en général d’idéologie libertaire, m’ont lavé d’une première grande illusion. Ce n’est pas la finance digitalisée, ni le capitalisme, ni la révolution industrielle qui ont commencé à foutre en l’air la biosphère terrestre. Le mal a débuté bien plus tôt, au minimum au Néolithique c’est à dire à l’âge où les humains se sont peu à peu sédentarisés, élevant des animaux domestiques et cultivant des plantes » (p 32-33). Et, dès cette époque, ces scientifiques « prétendaient inventer des façons concrètes de pacifier ce qu’on s’entend à appeler ‘anthropocène’ aujourd’hui ». Ainsi Patrice Van Eersel a rencontré la microbiologiste Lynn Margulis. « Cette grande spécialiste des bactéries, qui était aussi une artiste visionnaire, fut à l’origine, avec le climatologue James Lovelock, de « l’hypothèse Gaïa » selon laquelle la biosphère qui enveloppe notre planète se comporterait comme un seul gigantesque être vivant » (p 34).
Lynn Margulis a écrit un essai magistral : « L’univers bactériel ». Les bactéries ont joué un rôle majeur dans le développement de la vie. « Elles ont fait de cette planète non seulement leur nid, mais leur chose, leur production, leur création collective » (p 34). Les bactéries ont traversé ainsi plusieurs épisodes très difficiles de la vie terrestre. Aujourd’hui, à nouveau, une crise a éclaté. « L’humanité et ses langages ont secrété une technosphère constituée de toutes nos techniques… Quand est survenue la révolution industrielle, le processus mortifère s’est accentuée dans des proportions démentes… » (p 36-37). Ici Lynn Marjulis a ouvert un nouvel horizon à Patrice Van Eersel : « le défi est colossal , mais clair. Si nous voulons que la technosphère humaine cesse d’agresser la biosphère qui l’a engendrée et constitue sa matrice, il faut que s’impose une sphère nouvelle. Il faut d’urgence renforcer la Noosphère » (p 37). La Noosphère, « c’est la sphère de la conscience. En grec, « noos » signifie « esprit, conscience ». L’intelligence collective des humains est impressionnante, mais elle n’est encore que très partiellement consciente… Seul un colossal saut collectif dans la conscience, donc dans la responsabilité, peut rendre les techniques humaines biophiles et non plus antibiotiques ». (p 38). Lynn Margulis va orienter Patrice Van Eersel vers les pionniers de cette vision. Ce sont « deux grands chercheurs du début du XXè siècle… deux savants prophétiques sans exagération : le plus vieux était russe et s’appelait Vladimir Ivanovitch Vernadski. L’autre était français et s’appelait Pierre Teilhard de Chardin. Venant de philosophies très différentes – immanentiste pour le russe et transcendantaliste pour le français – ils tombèrent d’accord pour dire deux choses. D’une part que la Noosphère émergeait de la nature même du monde matériel, d’autre part que l’on pouvait voir en elle l’avenir même de l’univers ». Lynn Margulis encouragea Patrice à enquêter sur ces deux hommes.
Pierre Teilhard de Chardin
Une vision émergente
Patrice Van Eersel est donc parti à la découverte de Teilhard de Chardin. Celui-ci est aujourd’hui une personnalité célèbre, qui a donné lieu à des biographies et dont l’abondante production est maintenant éditée (4). Il existe même une association des Amis de Teilhard de Chardin (5). Dans plusieurs chapitres successifs et en fonction de son auditoire imaginaire, Patrice Van Eersel poursuit un récit du parcours de Teilhard de Chardin. Il retrace les grands moments de sa vie, c’est à dire le contexte dans lequel sa vision a grandi depuis les affres de la grande guerre jusqu’à son intense recherche paléontologique. Prêtre jésuite, sa vision s’est heurtée au pouvoir de la hiérarchie catholique et s’est diffusée sous le manteau à travers un réseau d’amis et grâce à des amitiés féminines. Cette vision a fait irruption après sa mort avec la publication d’un livre clé : « le Phénomène Humain ».
L’auteur nous relate la vie de Pierre Teilhard de Chardin tout au long de la grande guerre comme brancardier et « dans la fureur et le sang » (p 41-54). Très particulièrement exposé en fonction du courage qu’il manifeste au secours des blessés et en fonction de sa haute taille, il échappe à la mort quasi miraculeusement. A travers les massacres qui l’environnent, il garde le cap et dans les moments de répit, il écrit passionnément. « Profitant de la moindre accalmie, hanté par une recherche de sens d’autant plus déraisonnable que le contexte est fou, le prêtre paléontologue écrit des centaines de pages » (p 86) qu’il envoie ensuite à sa cousine Marguerite.
La vision de Teilhard se développe en tension avec le malheur ambiant. « Sous la pression de sa mission assumée de caporal brancardier œuvrant dans les tranchées, le docteur en paléontologie voit un ordre supérieur jaillir du chaos… » (p 95). Il écrit : « L’effet du séjour dans le danger est de purifier le goût de spéculations… L’âme est sensibilisée par l’effort moral, bandée aussi dans toutes ses énergies spéculatives, longtemps comprimées. Sitôt qu’une éclaircie se fait dans l’existence des tranchées, l’homme se retrouve lui-même et au dessus de lui-même, parce que désintéressé dans ses vues et agrandi dans ses facultés (aiguisées et affamées) » (p 101). La dynamique du chercheur se poursuit et s’intensifie ; L’évolution lui apparaît de plus en plus comme « une réalité omniprésente et universelle ».
Après la guerre, Teilhard va pouvoir s’engager dans la recherche. « A partir du printemps 1923, la Chine va devenir la destination favorite de Teilhard, sa « seconde patrie » où il va creuser la piste du Sinanthrope ou homme de Pékin, l’ancêtre chinois d’Homo Sapiens ». En Chine, son regard s’élargit. Sa vision est « de plus en plus globale ».Dans une lettre, il écrit : « Je rêve d’une espèce de Livre de la Terre où je me laisserais parler non comme Français, ni comme élément d’un compartiment quelconque, mais simplement comme homme ou comme ‘Terrestre’ » (p 167).
Dans ses allées et venues qui vont se poursuivre toute sa vie, Teilhard rentre de Chine à la fin de l’été 1924 avec plusieurs tonnes de fossiles et d’échantillons de toutes sortes destinés au Muséum. Et là, il va rencontrer un autre paléontologue l’abbé Breuil et un philosophe Edouard Le Roy qui vient d’être choisi par Henri Bergson pour lui succéder à la chaire de philosophie grecque et latine du Collège de France. (p 177). « Catholique convaincu , mais très attaché à la laïcité, Edouard Le Roy, ce mathématicien philosophe n’a pas hésité à résister au Vatican. Les conversations entre Teilhard et Le Roy vont être très constructives. Le Roy est un élève et un ami de Bergson, auteur de « l’Evolution créatrice » et de « L’Energie spirituelle ». Et les intuitions de Teilhard et de Bergson vont pouvoir se rejoindre sur un point essentiel : «Toutes deux saisissent dans un même mouvement l’Être et le Devenir – et l’idée d’évolution irréversible constitue une clé majeure pour l’un comme pour l’autre. L’Être se révèle dans le devenir parce que l’évolution est création » (p 181).
Ultérieurement, Teilhard de Chardin va passer une bonne partie de sa vie en Chine. L’auteur nous fait part du développement de sa réflexion sur la Noosphère qui va de pair avec un idéal de vie exigeant. « Seule vaut l’action fidèle, pour le Monde, en Dieu. Pour arriver à voir cela et à en vivre, il y a une sorte de pas à franchir ou de retournement à faire subir à ce qui paraît l’habitude générale des hommes. Mais, ce geste un fois exécuté, quelle liberté pour travailler et pour aimer » (p 321).
Dans son livre emblématique : « Le Phénomène Humain », Teilhard envisage le processus qui débouche sur l’éclosion de la Noosphère.
« Besoin d’une religion à la mesure de la terre nouvelle », de fait le christianisme renouvelé. Et il envisage « un processus de recherche, de tentatives et de tâtonnements multiples ». Et il écrit : « Ce n’est que par le libre choix, la découverte et le développement, par chaque segment national et culturel de l’humanité de sa forme singulière de liberté, que pourront être assurées la convergence et la structuration de cette multitude dans un système planétaire uni » (p 223). Et il appelle à une « poussée du tous ensemble ».
L’auteur déroule la pensée de Teilhard de Chardin telle qu’elle s’exprime dans le Phénomène Humain. C’est « la vision spatiotemporelle d’un monde fibreux (chaque nouvelle émergence constituant un fibre à l’intérieur d’une nappe évolutive) et toute la techtonique psycho-matérielle de l’univers s’enroulant sur lui-même suivant la loi de la complexité-conscience. Une complexité-conscience croissante qui ayant abouti à l’avènement de l’humain… a engendré ipso facto une Noosphère : une conscience réfléchie de plus en plus socialisée, prise dans un tissage de plus en plus collectif » (p 348).
Le parcours d’un géologue russe : le professeur Vernadski
La chercheuse américaine Lynn Margulis avait également orienté l’auteur vers un géologue russe : le professeur Vernadski. Le parcours de celui-ci s’est développé dans un tout autre contexte : un milieu scientifique russe qui va être entrainé au XXè siècle dans une grande tourmente politique. Vernadski est l’élève de grands savants russes ; En 1884, il est appelé à décrypter l’histoire du sol ukrainien, le tchernozium, au fil de l’évolution géologique. « En observant la terre mère d’Ukraine, coupe de sol après coupe de sol, il avait observé un mélange unique d’humus et d’argile… Et il n’avait pu faire autrement que d’admirer l’inextricable tissage de vie recelé par ce sol. Un réseau d’une densité et d’une variété inouïes où se mêlait dans un enchevêtrement et un grouillement éblouissants tout ce que la vie biologique avait pu inventer depuis les champignons jusqu’aux mammifères… sans parler des bactéries… Camouflée sous le silence apparent de la terre, s’offrait à ses yeux une véritable frénésie… admirablement organisée, telle une étoffe relationnelle ultracomplexe. (p 61-62). « De là, l’énorme hypothèse qui avait peu à peu émergé dans son esprit : la vie biologique ne mettrait-elle pas en branle, par son intelligence propre des flux de matière et d’énergie infiniment supérieurs à ceux engendrés par la seule géologie minérale ? Dit plus abrupt, la biologie n’accélérait-elle pas tous les processus terrestres dans des proportions extravagantes constituant de la sorte la force biologique numéro un de la surface de notre planète ? » p 62). « En quelques années, sa propre intuition l’amena à se poser une question encore plus folle pour un scientifique rigoureux comme lui : ne fallait-il pas considérer la vie biologique comme une entité en soi impossible à réduire à ses éléments chimiques inertes ? Ne fallait-il pas, peut-être, parler d’elle comme d’une force cosmique spécifique, dont la physique ne tenait pour l’instant aucun compte ? » (p 63). Vernaski en vint à se demander si la richesse minérale faramineuse de la terre n’était à mettre en relation avec l’existence de la biosphère… c’est à dire avec la matière vivante, prémonition que les recherches scientifiques n’allaient cesser de valider jusqu’au XXIè siècle » (p 65).
A partir des années 1990, Vernaski grimpa rapidement dans la hiérarchie universitaire et académique russe et multiplia les voyages auprès de chercheurs de premier plan en Europe. Il introduisit dans le corpus de son enseignement, l’idée totalement nouvelle et transdisciplinaire d’une « biogéochimie ». « Tous les êtres vivants, avançait-il, forment une sorte d’entité géante qui, nourrie des corps chimique inertes, sculpte, malaxe, cristallise et fait transmuter la surface de la terre à sa guise » (p 65).
Patrice Van Eersel déroule la biographie de Vladimir Ivanovitch Vernadski dans plusieurs chapitres de son livre. Vernadski ne fut pas seulement un grand savant visionnaire, mais aussi un homme engagé socialement et politiquement. Ainsi, dans les années prérévolutionnaires, il a participé à « une organisation apte à accueillir les idéaux humanistes et démocratiques et à en permettre la mise en œuvre ». « Avec plusieurs camarades, ils avaient donc créé une fraternité comme c’était alors la coutume » (p 69). Foncièrement démocrate, il se heurte à la dictature issue de la Révolution d’Octobre, mais sa réputation scientifique l’aide à traverser cette tourmente. Et elle va l’aider à composer avec le régime soviétique.
Sa réflexion philosophique assise sur sa recherche scientifique va donc se poursuivre. Réfugié en Ukraine, puis en Crimée juste après la Révolution d’octobre, déjà atteint par la tuberculose, fin 1919, il tombe gravement malade du typhus. Or, dans cet état, il va connaître un genre d’expérience mystique. « Hospitalisé et mis sous perfusion, le savant se retrouve pendant plusieurs semaines dans « un état de conscience modifiée », une forme de délire qui, peu à peu, va se transformer en visualisation claire et limpide… Vision de la suite à donner à ses recherches jusque dans ses détails théoriques les plus abstraits et les conditions expérimentales correspondantes (p 121). « J’ai clairement vu de quelle façon il faudrait m’y prendre pour faire progresser et aboutir en particulier mon idée de « matière vivante ». Il est profondément impressionné par « l’esthétique des choses et des êtres. La faramineuse beauté de la nature, son harmonie, sa prodigalité, mais aussi la beauté des êtres humains et de leurs trouvailles, m’ont fait atteindre une extase que j’aurais du mal à décrire avec des mots » (p 123). Il projette la création d’un « Institut de la matière vivante ». PatriceVan Eersel nous relate dans le détail la maturation de la pensée de Vernadski, son hommage aux naturalistes anglais et australiens du XIXè siècle (p 125) et un approfondissement de sa conception de l’émergence du vivant. « Depuis son avènement il y a des centaines de millions d’années, la vie biologique a constitué la force biologique et atmosphérique numéro 1 de la surface de notre planète. Cependant, depuis beaucoup moins longtemps, c’est l’humanité qui, de tous les êtres vivants, constitue la force de transformation matérielle la plus puissante… Après la biosphère, nous nous trouvons donc en présence d’une « humanosphère » (p 128).
La Noosphère : Le concept émergeant d’une grande rencontre : Olivier Le Roy, Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski
En 1922 le professeur Vernadski arrive en France et y poursuit son activité scientifique. En automne 1924, un dialogue s’engage entre lui, Olivier Le Roy, disciple de Bergson et Pierre Teilhard de Chardin. A partir de textes existants, Patrice Van Eersel reconstitue et restitue leur conversation où se manifeste une reconnaissance commune de la Noosphère. Olivier le Roy déclare ainsi : « Je vous propose l’hypothèse de travail suivante qui découle directement de vos travaux respectifs. Ne pourrait-on pas dire que la biosphère, ayant atteint l’ère anthropozoïque dont nous parle de façon très immanentiste le professeur Vernadski (le concept de céphalisation, p 215), et « se retournant sur elle-même », comme le propose dans une perspective transcendentale, le père Teilhard, qui me parlait récemment « d’une incarnation planétaire de l’esprit », doit à présent accoucher d’une Noosphère pleine et entière, c’est à dire d’une conscience collective intégrale ». Ainsi l’évolution cosmique pourrait passer au stade suivant » (p 222). PatriceVan Eersel précise que Teilhard et Vernadski ont été aussi portés, aussi bien l’un que, à utiliser le terme de noosphère et que Vernadski en attribue l’expression à Olivier Le Roy. (p 224).
Vernadski aussi bien que Teilhard ont été confrontés aux massacres guerriers. Ils ont conscience des dangers encourus par l’humanité. Il y a cent ans déjà, l’humanité se sentait menacée.
Face aux régimes totalitaires, Teilhard voit dans la noosphère un espace de personnalisation. « Si, sous la pression considérable du processus de complexification cosmique appelée « évolution », les consciences individuelles se rapprochent les une des autres, les individualités ne disparaissent pas. Elles transcendent leurs limites et resplendissent » (p 217). Et de même, dans cette conversation, différents obstacles sont évoqués : l’individualisme exacerbé, la tentation de faire machine arrière, la peur de la mort… A chaque fois, des réponses apparaissent. Selon Teilhard, nous devons être spirituellement amoureux de la matière. « L’idéal noosphérique contredit en tous points aussi bien l’isolationnisme du spiritualiste coupé du monde dans l’attente d’un au delà que l’idéal du petit-bourgeois claquemuré derrière son confort » (p 228). Vernadski évoque le refus d’aller de l’avant. « Cela ne nous est pas possible ou alors seulement en disparaissant. Si l’humanité veut continuer d’exister, elle est contrainte de chercher à transformer le monde et à se métamorphoser elle-même. Sinon elle disparaît purement et simplement » (p 229). Face à la mort, Teilhard pense qu’à travers nous, se manifeste une présence que rien ne peut éteindre. La biologie seule, même si elle résiste, finirait dispersée par l’entropie. Seule l’émergence de l’humain change définitivement la donne : pour moi, ce qui sera définitivement conservé, c’est l’énergie humaine, c’est-à-dire la Personne » (p 234). Il y a des forces qui interviennent face au totalitarisme oppresseur. Vernadski évoque la puissante forte de l’entraide à l’œuvre dans le monde vivant et mise en évidence par le savant russe, de conviction anarchiste, Kropotkine (p 236) et Teilhard, dans une inspiration chrétienne, évoque « une conspiration d’amour » animée par les forces de la sympathie » (p 235).
La Noosphère : quelle actualité ?
La vision de la noosphère a émergé il y a un centaine d’années dans un contexte où l’humanité était déjà confrontée à de grands maux. Aujourd’hui, cette vision est toujours éclairante et des réalités nouvelles comme l’expansion du web viennent l’illustrer.
Comme d’autres chercheurs, Patrice Van Eersel évoque le besoin d’un grand récit fédérateur répondant aux questionnements de beaucoup de nos contemporains. Ainsi évoque-t-il « l’utilité vitale, reconnue par tous, d’inventer de nouveaux grands récits pour tirer en avant l’humanité menacée de désespérance » (p 291).
Dans plusieurs chapitres, l’auteur dialogue avec la jeune génération telle qu’il la représente dans quelques personnages. Il évoque ainsi des réalités bien documentées, mais aujourd’hui largement méconnues. Ainsi, il apparaît qu’à long terme, dans la vie quotidienne, la violence recule. Et il fait appel à de nombreuses recherches qui montrent l’influence potentielle de la pensée et de la méditation sur des réalités sociales. Des interrelations nouvelles apparaissent. On découvre ainsi que « nos volontés et nos actions influent sur nos corps… Nos cerveaux sont beaucoup plus malléables que l’on ne croyait. Nos réseaux neuronaux se reconstruisent en permanence. Et même, mis en relation avec quelqu’un, nous fonctionnons littéralement en wifi. Et cela nous transforme. Nous nous transformons physiquement les uns les autres en fonction de nos interactions… » (p 267). Sur un autre registre, le concept d’imaginal est avancé. « Ce sont des mondes et des niveaux de conscience différents, mais bien réels » ; certains disent même plus réels que le réel… Pour les mystiques de toutes les traditions, on pourrait dire que l’imaginal représente le monde intermédiaire entre le réel physique et l’Être ineffable et absolu » (p 271).
Un des interlocuteurs présents dans ce livre s’exprime ainsi : « Je suis persuadé que Vernadski et Teilhard visualisaient la Noosphère comme une dimension bien réelle, mais habitée par des humains ayant suffisamment cultivé leurs mondes intérieurs – et résolu leurs névroses – pour pouvoir s’échapper à volonté dans l’imaginal » (p 272). Patrice Van Eersel se rend compte que pendant longtemps il a réfléchi à la Noosphère « en terme d’extériorité, beaucoup plus rarement en terme de vie intérieure – qui est bien autre chose que le flux psychologique des images et des pensées qui nous traversent à chaque instant… Pourtant, chacun à sa façon, les personnages de mon récit, Teilhard de Chardin comme Vernadski ou Le Roy, n’avaient jamais cessé d’insister sur le va-et-vient indissoluble entre le dehors et le dedans » (p 273)…
« Pourrait-on donc imaginer que l’évolution d’Homo Sapiens ait atteint un stade limite où s’ouvrirait soudain en nous l’urgence vitale d’ouvrir une porte inédite vers un « ailleurs » ? Ou plutôt une porte aussi ancienne que l’être humain des origines, mais oubliée depuis des siècles par quasiment toute l’humanité à l’exception de minuscules minorités d’initiés, une porte qui signalerait une transition vers un être humain non pas « augmenté », mais « métamorphosé » ? (p 274).
Cet ouvrage volumineux de Patrice Van Eersel se lit de bout en bout, car il y a un dynamisme dans ce récit et un appel constant à la découverte. C’est un univers tant il est vaste dans le thème abordé et l’approche empruntée. Ce livre est également constamment orienté vers une recherche de sens. La vision suggérée et proposée de la Noosphère est envisagée non seulement dans son émergence, mais dans sa réception. Une piste est tracée et elle est accueillie dans un dialogue incessant entre l’auteur et des interlocuteurs imaginés exprimant les angoisses, les interpellations et les attentes d’une nouvelle génération. Ce livre est un univers. Il ne rapporte pas seulement la vie et l’apport de grands chercheurs, mais il aborde également des recherches et des innovations plus récentes. Une abondante bibliographie en témoigne. Nous avons essayé de proposer quelques aperçus de ce livre, sachant que nous ne pouvions rendre compte de toute sa diversité. Il y a, dans ce livre, une dynamique à la fois intellectuelle et humaine. C’est aussi un ouvrage qui met, à la portée de tous, une ouverture de sens pour nos contemporains. Une incitation à la lecture.
J H
- Biographie de Patrice Van Eersel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Van_Eersel
- Patrice Van Eersel. Noosphère. Eléments d’un grand récit pour le XXIè siècle. Albin Michel, 2021
Interview de Patrice Van Eersel sur son livre : Noosphère : https://www.youtube.com/watch?v=WCV7TOnoScA
- Face à la violence, l’entraide dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
- Il existe de nombreuses études sur la vie et l’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin. Ici : Patrice Boudignon. Teilhard de Chardin. Sa biographie par sa correspondance : https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/teilhard-de-chardin-sa-biographie-par-sa-correspondance Plus précisément, en rapport avec le sujet de cet article : Noosphère podcast : de la conscience individuelle à la conscience collective, par François Euvé : https://www.youtube.com/watch?v=09WRgOQAc24
- Association des amis de Teilhard de Chardin : https://teilhard.fr/