par jean | Sep 2, 2024 | ARTICLES, Emergence écologique |
La société jardinière
La société jardinière : c’est le titre du livre de Damien Deville, un géographe et anthropologue, qui y rapporte sa découverte des jardins potagers implantés dans la ville d’Ales, un exemple des jardins urbains qui, en France et dans le monde, répondent à un besoin de subsistance dans différents contextes. On peut situer cette activité jardinière dans une histoire qui débute à la fin du XIXe siècle dans l’œuvre de l’abbé Lemire pour le développement des jardins familiaux. Plus généralement, cette activité jardinière en milieu urbain a connu dans les dernières décennies une remarquable impulsion dans le mouvement qui s’est répandu en France sous le vocable : ‘Les Incroyables comestibles’ (1) Et aujourd’hui, à travers diverses initiatives, certaines villes sont à la recherche de la réalisation d’une autonomie alimentaire (2).
Certes, évoquer une société jardinière éveille en nous le rêve d’une société pacifiée, mais ce n’est pas une pure utopie puisqu’il y aujourd’hui des expériences concrètes d’activités jardinières en milieu urbain. Dans son livre : ‘La société jardinière’ (3), Damien Deville nous décrit l’une d’entre elle, dans une ville profondément perturbée par la désindustrialisation, Ales à la porte de Cévennes. « Là, pour les anciennes populations ouvrières, se vit une façon de retour à la terre. Là, chacun plante, bêche ; tout le monde échange outils, semences, et savoir-faire. Si bien qu’à la motivation économique, forcément première, viennent se mêler des préoccupations d’ordre social, écologique, ou paysager. Cernant les contours d’une écologie de la précarité, l’auteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent d’authentiques lieux d’émancipation. Partant, il ébauche le modèle de ce que pourrait être la société si elle était jardinière » (page de couverture).
Parcours d’une innovation sociale
L’apparition de jardins familiaux en milieu urbain remonte à la fin du XIXe siècle.
« C’est à Hazebrook, capitale de Flandre intérieure, que nait au milieu du XIXe siècle celui qui restera dans les mémoires comme le père fondateur des jardins familiaux : l’abbé Lemire ». L’auteur esquisse sa biographie. Jeune prêtre à Hazebrook, « touché par la misère de la commune, par les besoins des uns et les rêves des autres, l’abbé Lemire s’attacha rapidement aux besoins des habitants » En retour, il reçut un soutien populaire. Élu député en 1893, il mena une carrière politique indépendante par rapport à l’Église. Élu maire d’Hazebrook en 1914, il fit face aux périls de la guerre et mena une politique sociale très active si bien qu’il devint ‘un héros local’. « Attaché à la dignité des ouvriers, et persuadé que le lien à la terre est un besoin fondamental des humains, l’abbé cultiva une politique dont lui seul se faisait le gardien. Et c’est dans cette perspective que l’abbé fonda en 1896, le mouvement : La Ligue française du coin de terre et du foyer. Ce mouvement existe toujours. Il a survécu à l’abbé et continue de tracer une partie des territoires français. Il se nomme désormais Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs » (p 29). L’auteur rapporte comment son influence s’est répandue au début du XXe siècle, atteignant la ville d’Ales. Là, se conjuguant à l’époque avec la société Sant-Vincent-de- Paul, la Ligue suscite, en 1916, de premiers jardins. « A destination d’abord des femmes et des excusés du front, les jardins devinrent rapidement un soutien, une épaule, un guide. Greniers à fruits et légumes, ils participèrent à la résilience alimentaire des familles s’implantant dans plusieurs quartiers ». Puis, « les ouvriers de la mine en devinrent les premiers bénéficiaires. Jusque dans les années 1950, la surface jardinée à Ales s’étendit, année après année, pour atteindre un point d’orbite avec plus de 400 jardins cultivés sur la commune » (p 34).
Cependant, la situation des jardins familiaux à Alès participe à une conjoncture nationale. « Les temps changèrent. Les Trente Glorieuses et le faste des projets urbains dont elles se firent l’étendard sonnèrent le glas de l’aventure jardinière. Les champs, les pâtures et les vergers furent recouverts de chapes de béton… Les jardins familiaux ont rapidement perdu force et espace dans un flot répété d’urbanisation qui dura jusque dans les années 2000 » (p 35). Cependant, à la fin du XXe siècle, toute la France a été impactée par la désindustrialisation et le choc a été particulièrement violent à Ales. « En 1986, après plusieurs années de licenciements massifs, le dernier puits de mine d’Alès cessa définitivement ses activités. La métallurgie, autre fleuron, connut le même déclin… » (p 37)
Comme pour d’autres villes françaises, Ales doit chercher une autre voie. « Ales dut se réinventer et, au tournant des années 1990, la ville décide de s’orienter vers de nouvelles filières, vers une économie de services diversifiés. Parallèlement, Ales cherche à s’enraciner de nouveau dans le paysage cévenol » (p 38). Elle cherche à ancrer de nouveau la ville dans le paysage. « Ces politiques d’embellissement ne sont pas sans effet sur l’histoire des jardins… Elles ont permis à de nouveaux potagers d’émerger dans des quartiers populaires : des fleurs et des choux ont poussé là où il n’y avait que du béton… » (p 39). L’auteur décrit les différentes logiques à l’œuvre dans la politique locale. La vie des jardins s’inscrit dans une histoire locale.
Jardins et jardiniers à Ales
Damien Deville a observé ces jardins et la manière dont ils témoignent d’une grande créativité. Il a parlé avec ces hommes et entendu leurs parcours dans la diversité des histoires de vie. Il met en lumière les nouvelles relations qui s’établissent ainsi.
Le jardinage à Ales se déroule en plusieurs lieux. « les jardins du Chemin des Sports » sont issus d’une autre histoire que les jardins de la fédération des jardins familiaux, portant une image de marque. Bricolés sur des terrains oubliés, épousant la forme de réseaux souterrains, s’échangeant de manière informelle d’un jardinier à l’autre par un bouche-à-oreille judicieusemant maintenu dans des cercles restreints, arpentés par des personnes venant, pour l’essentiel, des quartiers populaires de la ville, ils correspondent à ce qu’Ananya Roy désigne par « urbanisme subalterne ». Ce sont des espaces urbains oubliés des grandes annales de la géographie et des politiques de la commune où s’invente la vie quotidienne des dépossédés… » (p 49). A la différence d’autres jardins potagers, bien reconnus, « se donnant à voir et s’offrant à la reconnaissance des habitants, les jardins du chemin des Sports, relèvent plutôt de bastions enfouis dans la verdure… Ils s’effacent derrière une image austère et précaire » (p 50). Lorsqu’on entre dans ces jardins, on y découvre un paysage coloré et une végétation luxuriante abondamment décrite par l’auteur « Tomates bronzées au soleil, plants de haricots parcourant des fils noués à des tuteurs, des framboisiers le long des murs dansent de leurs ombres, tandis que des plantes aromatiques, tantôt cultivées en pot, tantôt laissées en pleine terre parsèment le jardin… » (52). « Ce qui saute aux yeux, c’est une quête centrale de productivité. L’espace consacré aux fruits et aux légumes est agencé de manière à produire le plus possible. Lorsque la parcelle se fait étroite, les jardiniers rivalisent d’ingéniosité pour gagner quelques centimètres et conquérir les hauteurs » (p 53). L’auteur décrit des dispositifs ingénieux comme « une immense pyramide entrelacée de fils et de barres de fer… au service des plantes : fèves, haricots, courges grimpantes… » (p 54). Ici, le peuple des jardiniers a une origine caractérisée. « La plupart sont retournés à la terre pour se doter d’une certaine autonomie alimentaire. Les jardiniers du chemin des Sports sont des marqués. Ce sont d’anciens serruriers et ouvriers des aciéries, des employés du public ou des retraités à petits revenus. Leurs trajectoires familiales ont été percutées par la fermeture des industries alésiennes, par la série d’emplois précaires qui s’en est suivie, puis, plus récemment par la fuite des offres d’emploi et de services vers les grandes métropoles » (p 55). Ainsi s’est développé un genre de vie à vocation utilitaire. « La débrouille est devenu un art de vivre… Toutes les personnes rencontrées au fil de notre enquête l’ont partagé sans s’en cacher : devenir jardinier fut une adaptation nécessaire à différentes formes de précarité… L’agencement spatial du chemin des Sports autant que le choix des matériaux s’entendent ainsi, en premier lieu, au regard de conditions matérielles d’existence » (p 57). Cependant, tout ne résume pas à une recherche de subsistance. Les jardins témoignent aussi d’une inventivité artistique. « Les planches de culture sont parées d’objets de toutes sortes : des pots richement décorés, des épouvantails faits main, des souvenirs s’intègrent aux cultures potagères… Les jardins répondent autant aux besoins quotidiens de qui les arpente et les façonne qu’à ses aspirations, son savoir-faire, sa créativité. Car, dans sa manière d’agencer l’espace, le jardinier cherche à le rendre agréable à regarder et à vivre… C’est que les ‘espaces subalternes’ ne sont pas seulement des zones de débrouillardise et d‘adaptation, ils sont encore des agencements populaires traversés par tout ce qui fait la créativité, les joies et les envies des âmes humaines » (p 60).
Ces jardins engendrent une vie sociale et ils en sont l’expression. Ainsi Damien Deville nous présente des portraits de jardiniers. Il fait aussi écho à une mémoire collective : « Le jardin de Max, au cœur de l’association des jardins familiaux, dans le quartier de la Prairie, est un bel exemple de cette mémoire collective. Du haut de ses 70 ans, Max est un ancien de la Fédération des jardins familiaux d’Ales. Ici tout le monde le connait. Son papa était un jardinier très actif dans la communauté. Max éprouve pour lui une grande admiration : « son travail, son parcours de vie, le pilier qu’il était dans les jardins familiaux d’Ales » le ramène à sa propre enfance autant qu’aux heures de gloire qu’a connues la ville ». L’auteur rappelle ces souvenirs. « Ils se lisent à même le jardin de Max, démontrant combien les jardins sont des outils de réappropriation de récits urbains… Son jardin est également un mémorial à la figure de son père, Henri… Féru de bons conseils, son père était le premier à organiser des barbecues collectifs, à donner des coups de main aux voisins, à diffuser de bonnes pratiques et à échanger quelques légumes. Tant et si bien que le nom du papa revient souvent, indélébile dans les mémoires collectives » (p 76-77).
Damien Deville décrit la géographie sociale de la région : « Les zones de relégation sont en centre-ville, tandis que les espaces de gentrification se situent dans les quartiers périphériques, caractérisés par des villas cosy ou dans les villages au charme d’antan. Face à cette campagne qui se ferme aux personnes les plus pauvres, les jardins sont ces lieux où se forge une nouvelle réciprocité. Et là encore, c’est un jardinier, d’origine maghrébine, qui m’a mis la puce à l’oreille ». L’auteur nous décrit le parcours de Moustapha. « Moustapha est arrivé sur le tard dans les jardins familiaux privés du quartier de la Prairie, sur le chemin des sports. Il a repris la parcelle d’un voisin devenu trop âgé pour s’en occuper. Les Cévennes, l’homme ne les a jamais connues auparavant. Il a mené l’intégralité de s vie professionnelle en Algérie avant de rejoindre ses enfants à Ales pour sa retraite. Resté pendant longtemps sans allocation, Moustapha a dû se débrouiller pour arrondir ses fins de mois que sa petite retraite affiliée au régime algérien ne lui permettait pas de combler. Le jardin est arrivé dans sa vie à point nommé » (p 85). C’est, avec lui, que l’auteur découvre une ouverture de ce milieu urbain vers les campagnes voisines. « C’est en échangeant avec les autres jardiniers que Moustapha s’est rendu compte que les montagnes qui l’entouraient regorgeaient de trésors : d’aiguilles de pin pour amender ses cultures, de champignons à vendre auprès de sa communauté, d’éleveurs où aller chercher le mouton pour l’Aïd à des prix réduits. Moustapha s’est mis, par lui-même, à découvrir les coins cachés des campagnes avoisinantes » (p 86). Cependant, la relation de Moustapha avec les Cévennes s’étend au-delà puisqu’en fin de semaine, il fréquente en famille « des lieux de baignade où ses petits-enfants jouent maintenant l’été ». « Son jardin a été une fenêtre sur le monde, un livre pour réapprendre le milieu dans lequel il évolue au quotidien, et en faire naitre des usages à des fins d’émancipation personnelle ou familiale » (p 86). Mais l’auteur perçoit ce même attrait pour les Cévennes chez d’autres jardiniers. « Le jardinier algérien n’est d’ailleurs pas un cas isolé. Tous, d’une manière ou d’une autre, pratiquent la campagne avoisinante. Pour certains, cela est lié à un héritage familial. Pour d’autres jardiniers récemment arrivés, c’est toujours le jardin qui nourrit les perspectives des montagnes et des villages alentour. Les usages qu’en font les jardiniers sont pluriels en fonction des envies et de la personnalité de chacun, mais ils participent dans tous les cas à une réappropriation spatiale et collective d’un territoire qui devient, enfin, de nouveau partagé » (p 86). Ainsi les jardiniers interviennent dans la vie collective. « Les Cévennes s’ouvrent à nouveau aux classes populaires. De cette réconciliation, dont la ville d’Ales a tellement besoin, les jardins en sont le premiers étendards… C’est une invitation à penser le territoire autrement » (p 87).
La société jardinière
La société jardinière : quelle expression évocatrice ! Il y a tant de formes de société que l’on déplore et que l’on redoute ! Une société jardinière, cela évoque pour le moins un respect et un amour de la nature et un état d’esprit constructif par le genre même de la tâche entreprise. Une société jardinière, c’est aussi une société nourricière et on peut imaginer qu’elle requiert et engendre la coopération.
Géographe, Damien Deville pense également en sociologue et en historien. Ainsi, si sa recherche a pour objet la ville d’Ales, il inscrit les jardins potagers en milieu urbain dans une histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle. Mais, concentré sur son objet, il n’aborde pas la vague toute récente, celle des « incroyables comestibles » à travers laquelle la culture de fruits et de légumes s’est répandue à l’intérieur même d’un grand nombre d’agglomérations (1). Et aujourd’hui, des villes et des territoires s’engagent dans la recherche d’une autonomie alimentaire. Ainsi François Rouillay et Sabine Becker préconisent le développement de « paysages nourriciers », y incluant la « végétalisation des villes » (3) ;
A partir de l’étude des jardins potagers dans la ville d’Ales, Damien Deville nous montre, lui aussi, comment on peut « penser autrement la ville et l’urbain ». C’est bien de ‘vivre autrement’ (p 117-118) qu’il s’agit.
Déjà, dans un monde qui nous bouscule, la vie jardinière permet un enracinement. Ainsi, « les jardins alésiens sont cultivés par des personnes peu diplômées, laissées à l’arrière-plan des grands récits de l’histoire. La plupart ont quitté l’école tôt pour tenter leurs chances dans les grandes industries du territoire. Certaines ont été percutées par des évènements traumatisants. D’autres encore, arrivées sur le tard à Ales, parlent mal le français et s’intègrent avec peine. Pourtant, ce sont ces mêmes personnes qui ont su, face aux crises urbaines, s’adapter et construire des interfaces inédits ave la ville. Leurs jardins sont fleuris ; ils remettent des couleurs dans les rues. Ils sont poreux aux autres réseaux urbains, catalysant relations et occasions. Ils sont ces espaces où se réinventent une certaine idée de prestance et de présence à soi, des oasis dessinant un autre bien vivre » (p 119).
Dans les jardins se réalise également une rencontre entre le monde végétal et ceux qui en prennent soin. « Ces jardins sont avant tout des mondes végétaux ». L’auteur fait l’éloge du déploiement des plantes et de leur vitalité. Elles s’agencent comme en une danse. Or, « le jardinier accompagne cette danse. Ses choix sont primordiaux et conditionnent le développement des plantes. Finalement, c’est bien cette rencontre inédite entre les plantes d’un côté, et le caractère du jardinier de l’autre, qui traduit l’évolution des lieux et des récits qui s’y écrivent. L’humain devient ici un être hybride, inondé et inspiré par les plantes qu’il a vu naitre, ou qui sont revenues naturellement dans son jardin » (p 121-123).
Damien Deville voit là se développer une dynamique de relation. « A l’image de ce lien unique au végétal, les jardins participent à l’émancipation globale des jardiniers par leur capacité à catalyser sans cesse les relations qui composent les individus » (p 123). L’auteur voit dans cette activité jardinière un potentiel de relation. « Les jardins guident d’autres possibles urbains quand ils permettent à chaque ville de devenir une terre de relations » (p 123). L’auteur décrit les terres des Cévennes abandonnées. « La seule solution pour sauver le vivant, c’est de retourner y habiter et de faire de la relation une œuvre » (p 125). Dans le même esprit, Damien Deville sort des limites de l’hexagone et évoque un paysan du Burkina Fasso qui a résisté à la désertification et arrêté le désert en plantant des arbres, Yacouba Sawadogo, à l’histoire duquel il a consacré un livre (4).
« Si Yacuba était parti comme les autres, habitants dans les années 1980, le désert aurait cassé la porte et continué vers le village voisin. C’est parce qu’il est resté, tout en tissant autrement sa relation avec le territoire, qu’il a pu sauver le vivant… ».
Ainsi, « Ales et les Cévennes, autant que le Burkina Fasso, invitent à un nouveau front scientifique et politique. Trouver les égards que l’on doit au vivant, pour reprendre l’expression du philosophe Baptiste Morizot, demande, non pas de fuir certains territoires, pour se concentrer sur d’autres, mais bien de réfléchir aux manières de vivre dans chaque territoire pour en respecter les grands équilibres écosystémiques. L’humain a été une machine à détruire, mais les initiatives se multiplient… ». Damien Deville en évoque certaines dans la Drôme, dans les Cévennes, en Bretagne. « Tous ces exemples forgent au quotidien une nouvelle manière de faire lien, et reconstruisent des filières d’activité dans l’environnement local. Ils permettent aussi aux citoyens et citoyennes de se réapproprier le territoire et de participer aux décisions locales. En un mot, ils façonnent un droit pour toutes et tous à habiter le territoire et à le coconstruire au quotidien » (p 128).
En considérant l’activité jardinière, Damien Deville y perçoit un « monde ordinaire » dans une fécondité méconnue. Il met en valeur la manière dont les jardins génèrent des relations quotidiennes. « Les économistes Cécile Renouard et Gaël Giraud ont créé un indicateur qui pourrait bien inspirer les territoires d’ici et d’ailleurs, ‘l’indicateur de capacité relationnelle’. Ce dernier mesure la qualité des relations qu’entretiennent les personnes entre elles, et leur capacité de s’autonomiser à partir de ces mêmes relations… ». « Pensé dans le cadre ouest-africain, cet indicateur insiste sur la qualité du tissu social et sur les relations interpersonnelles comme autant de dimensions du développement humain ». Ainsi, des pauvres ‘financièrement’ peuvent être néanmoins tellement entourés qu’ils ne manquent de rien, et inversement. « La relation est finalement plus importante que le seul revenu. Penser en ces termes le développement permet d’accorder de nouveau de l’importance à ce qui est invisibilisé dans les grands récits de développement. Les jardins d’Ales changent le visage d’un quartier et les dynamiques sociales et écologiques d’une ville ». Dans son analyse, Damien Deville se réfère à Michel de Certeau. « Dans son livre maître : « L’invention du quotidien », l’historien et sociologue Michel de Certeau analysait déjà les actes ordinaires comme une production permanente de culture et de partage. Selon lui, les citadins ne se contentent pas de consommer : ils produisent et inventent le quotidien par d’innombrables mécanismes de créativité et par des politiques sociales originales. Pour emprunter l’expression de Claude Levi-Strauss, les citadins « bricolent » avec les espaces qu’ils fréquentent et les contraintes d’un modèle sociétal pour s’inventer un parcours de vie qui participe de leur émancipation. Ils créent de la relation » (p 131).
Un mouvement innovant
« Qu’elle favorise le retour des oiseaux et des hérissons, protège les villes des vagues caniculaires offrant de l’ombre et refroidissant l’air, l’agriculture urbaine a, en nos temps assombris de l’Anthropocène, le vent en poupe » (p 7). En s’inscrivant dans un courant de recherche en plein développement, Damien Deville analyse les fonctions et les configurations de l’agriculture urbaine.
« Laboratoires d’un monde possible, les jardins potagers des grandes métropoles européennes – qui produisent assez peu et se déploient sur des espaces restreints – s’offrent comme des lieux où s’expérimente une éducation renouvelée, plus douce, plus responsable, aux techniques de jardinage et aux arts de la table » (p 8). Cependant, la plupart des jardins répondent à une fonction plus élémentaire, celle de ressource alimentaire. « La Havane, Bobo-Dioulasso, Hanoï ou encore Rabat, autant de villes pour lesquelles les jardins potagers demeurent des greniers participant de l’autonomie alimentaire des familles » (p 8). « Dans les villes du sud de l’Europe, telles qu’Athènes ou Porto, frappées par la crise économique de 2008, des familles ayant subi des pertes économiques importantes ont mobilisé les jardins comme des espaces d’adaptation » (p 14). Récemment, sous l’impulsion de l’association A9 présidé par Rodolphe Gozegba de Bombembe, théologien, des lopins de terre autour des habitations sont mobilisés en jardin potager dans la ville de Bangui, en République Centre-Africaine (5). Dans son livre, Damien Deville étudie particulièrement le rôle des jardins potagers dans des villes moyennes appauvries par la désindustrialisation, en concentrant sa recherche sur l’exemple de la ville d’Alès. A cette occasion, il milite pour « une décentralisation guidée par la diversité des territoires et la qualité des relations que nouent les uns et les autres » (p 135). Si on ajoute le mouvement pour l’agriculture urbaine en vue d’une autonomie alimentaire dans une perspective écologique, on comprendra que le développement des jardins en ville n’est pas un phénomène mineur, mais qu’il s’inscrit dans une recomposition de grande ampleur.
Damien Deville a bien choisi le titre de son livre : la société jardinière, non seulement parce qu’il y étudie, sous toutes ses coutures, le développement des jardins en ville, mais parce que il présente, sous cette appellation, un phénomène de société en y percevant un potentiel d’exemplarité humaine. Oui, la société jardinière, n’est-ce pas une vision d’avenir ?
J H
- Comment les « Incroyables comestibles se sont développés en France ? : https://vivreetesperer.com/incroyable-mais-vrai-comment-les-incroyables-comestibles-se-sont-developpes-en-france/
- En route pour l’autonomie alimentaire : https://vivreetesperer.com/en-route-pour-lautonomie-alimentaire/
- Damien Deville. La société jardinière. Le Pommier, 2023
- Yacouba Sawadogo. Damien Deville. L’homme qui arrêta le désert. Tana éditions, 2022 (Le temps des imaginaires)
- Centre-Afrique : l’agriculture urbaine pour lutter contre la faim : https://www.temoins.com/centrafrique-lagriculture-urbaine-pour-lutter-contre-la-faim/
par jean | Oct 2, 2023 | Emergence écologique |
Dans le mouvement de le transition intérieure, co-créer une culture régénératrice.
Conséquence d’une ambition démesurée de l’humanité en recherche de richesse et de puissance, exploitant sans vergogne les ressources de la planète, malgré des avertissements personnels et collectifs remontant à plusieurs décennies, la crise climatique appelle aujourd’hui un changement de cap, un changement de paradigme, un changement de vision. Ce changement radical requiert une mobilisation des esprits fondée sur une nouvelle manière de voir le monde et débouche sur un changement économique et social. C’est un processus qui s’effectue dans le temps. C’est pourquoi nous devons envisager une transition. Et lorsqu’il s’agit de promouvoir un nouvel état d’esprit, une autre façon de sentir et d’agir, une nouvelle manière d’envisager l’avenir, on peut parler de « transition intérieure ». Michel Maxime Egger, Tylie Grosjean, Elie Wattrelet viennent d’écrire un « Manuel de transition intérieure » (1) publié en 2023 aux Editions Actes Sud en partenariat avec le mouvement Colibris dans la collection ‘Domaine du possible’. Ce livre, de près de 500 pages, est un ouvrage de référence qui se décline en plusieurs séquences : fondements, métamorphoses, intégration, praxis, ressources pour aller plus loin… Et il affiche en premier un titre hautement significatif, le terme : « Reliance ». Comme déjà, à plusieurs reprises (2), nous constatons que tout se tient, tout se relie et nous sommes invités à affronter les perturbations qui compromettent cette unité potentielle, dans un travail de reliance. Ce livre couvre un champ très vaste et nous nous arrêterons ici sur un des aspects: « Une culture du soin pour un monde plus sain ».
Une culture du soin dans un monde plus sain (p 180-181).
Promouvoir la transition intérieure, « implique de remettre le soin au cœur de notre façon d’être au monde en tant qu’individu, collectif et société ». Le mouvement de la transition accorde au soin une grande attention. « Il est alors possible de contribuer à la co-création d’une société de soin, souvent nommée société du care » (3) Pour la politologue féministe, Joan Tonto, « le care est une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». La philosophe Cynthia Fleury évoque également une « société du care ». Assez naturellement, la notion de soin renvoie au secteur de la santé et de tous les métiers associés au « prendre soin ». Cependant, ici on élargit la perspective en englobant toutes les composantes de la société. Et, considérant le courant du développement personnel, on y perçoit une approche trop individualiste « avec pour risque de s’adapter au monde tel qu’il est, sans jamais s’interroger sur son bien fondé, sa légitimité, ses travers et ses conséquences… ». A l’inverse, dans la transition intérieure, les démarches visant à prendre soin de soi, des autres, et du monde, sont clairement indiquées, dans la conscience critique et aussi politique de leur impact sur la toile du vivant ».
Co-créer une culture régénératrice (p 181-183).
Nous vivons dans l’ambiance d’une vie pressée qui ne favorise pas une vie pacifiée. « Une société qui fonctionne en sollicitant exagérément les êtres humains et les écosystèmes qu’elle s’approprie génère forcément des phénomènes d’épuisement. Le consumérisme saisit la biosphère et l’être humain. Il les épuise en excédant leurs limites et capacités de régénération ». Comme nous nous inscrivons dans ce genre de vie, nous sommes influencés par ces travers jusque dans nos efforts pour y remédier. « Le monde de la transition n’échappe pas à cette logique ; si le système nous exténue, nous pouvons aussi nous épuiser à tenter d’en sortir et de créer du neuf ». Comment vivons-nous ces dépressions et pouvons-nous en tirer parti ? « Un grand nombre de transitionnaires vivent leurs burn-out et d’autres soucis de santé comme des signaux d’alarme, des opportunités pour franchir des étapes d’évolution plus radicales. En découvrant ‘le potentiel de métamorphose’ des épuisements, nous pouvons progressivement les accueillir et nous laisser transformer par eux, avec un soutien du collectif ». Cependant, il est important d’envisager également les causes structurelles de ces épuisements : « les logiques de rentabilité et de course à la performance, qui sont inhérentes à nos cultures modernes occidentales. Elles sont aussi à dénoncer et à déconstruire ». Comme l’écrit Martine Simon, « L’enjeu d’obtenir des résultats coûte que coûte domine dans notre culture tandis que l’enjeu de prendre soin est relégué à tenter de réparer les dégâts ». Dans une perspective inspirée par la permaculture, trois orientations : « prendre soin, prendre soin pour obtenir des résultats, et obtenir des résultats qui prennent soin ». Il n’y a pas de travaux de seconde zone. « Prendre la mesure de l’importance du care pour la vie humaine nous rappelle que nous dépendons tous des services d’autrui pour satisfaire des besoins primordiaux ».
Vers un soin de soi juste et engagé (p 183-187)
La conscience de l’importance de ‘prendre soin de soi’ s’est aujourd’hui répandue. Les auteurs envisagent également cette attitude dans une perspective plus large : « ‘Le prendre soin de soi’ doit être envisagé dans ses dimensions politiques ». Certaines personnes y voient une passivité redoutable. « Idéalement, le care intégrerait et transcenderait à la fois la lutte et le repos en démontant ainsi les frontières qui les séparent ». ‘Prendre soin de soi’ peut être vécu de diverses manières. Ce nouvel adage n’est pas sans travers : « Quand nous tentons de maintenir les apparences en renvoyant une image de réussite ou d’individu autonome, quand nous cherchons à nous remettre sur pied pour faire plus de la même chose, nous peinons à créer les conditions pour nous sentir mieux et contribuer à un véritable changement ». Nous voici ici appelés également à un rapport nouveau à l’écoulement du temps. Le militantisme en faveur de la transition peut lui-même être entaché par une excitation dans la recherche d’une rapidité dans l’obtention des résultats. « Dans nos projets novateurs, nous plaçons parfois inconsciemment la même exigence de rentabilité ou la même soif de reconnaissance qu’avant. C’est le cas aussi lorsque nous intégrons les pratiques de transition intérieure avec fébrilité : nous faisons beaucoup de choses pour apprendre à ‘être’ ». « Il n’est pas toujours facile d’accepter que la pacification de notre relation au temps… prenne justement du temps ». Les auteurs évoquent, entre autre, « la notion de temps juste proposée par le journaliste Carl Honoré. On peut notamment explorer différentes formes de ‘slow’ en adoptant des rythmes adaptés à chaque contexte. Cela suppose, à chaque instant, une écoute de plus en plus fine de la vie qui s’exprime en nous et autour de nous. Cela demande aussi de connaître et choisir de consacrer du temps à ce qui nous nourrit et nous régénère ».
Nous entrainer à l’ouverture du cœur (p 188-192)
Etre ouvert de cœur, c’est être attentif aux autres, c’est-à-dire ne pas s’enfermer dans un train de vie fondé sur ses propres forces. C’est donc accepter de reconnaître notre vulnérabilité. « Quand on a appris à se protéger en s’isolant, un lien est à retisser pour se sentir à nouveau en sécurité avec l’autre. Même sans avoir vécu un traumatisme particulier, il importe de transformer les croyances qui associent la vulnérabilité à la passivité et à la faiblesse. Nous découvrons alors très souvent, que son acceptation nous donne de la force. Accepter et reconnaitre notre vulnérabilité nous permet peu à peu d’oser demander du soutien à un entourage de confiance…
Que ce soit au cœur du soin, de la santé, et plus généralement dans une relation avec les autres, Cynthia Fleury (4) nous invite à poser une double exigence : « rendre la vulnérabilité capacitaire et porter l’existence de tous comme un enjeu propre dans toutes les circonstances de la vie ». En défendant une approche plus globale du soin, elle encourage par exemple à prendre en compte la vulnérabilité d’un patient « sans jamais la renforcer, ni la considérer comme synonyme d’incapacité ».
Dans un magnifique témoignage, Pascale Frère, médecin spécialiste en hématologie, explique l’importance d’avoir pu s’ouvrir à sa propre vulnérabilité au fil des épreuves de la vie. Dans ses épreuves, elle a compris que « le cœur ouvert du soignant amenait autant de guérison que la technique d’exécution du geste, car la vie circulant chez le soignant contactait la mienne, cette part de douceur dont j’avais même oublié l’existence ». Ces prises de conscience lui ont permis de « retrouver la voie d’une médecine humaniste, réinvitant dans la relation thérapeutique une qualité de présence tissée d’amour et de compassion ».
Nous rencontrer pour évoluer ensemble vers de nouveaux comportements dans la voie de la transition intérieure requiert une ambiance « d’empathie et de douceur ». Ainsi « la richesse de ce qui est partagé dans la profondeur se met au service tant des personnes que du collectif. L’empathie, cette posture qui nous rend « capable de nous mettre à la place de l’autre », y contribue. L’éloge de la douceur vient nous éveiller à une réalité parfois encore méconnue. « Dans cette société qui dévalorise les enjeux du soin, il peut paraître dérisoire d’encourager la douceur et la tendresse… Comme si ces qualités étaient réservées à la sphère privée… On n’aurait ni le temps, ni les moyens pour le reste du monde ». Pour Anne Dufourmantelle, « être doux avec les choses et avec les êtres… c’est ne pas vouloir ajouter de la souffrance à l’exclusion, à la cruauté et inventer l’espace d’une humanité sensible, d’un rapport à l’autre qui accepte sa faiblesse… ». « Attenter à la douceur est un crime sans nom que notre époque commet souvent au nom de ses divinités : l’efficacité, la rapidité, la rentabilité ». « La philosophe et psychanalyste n’hésite pas à affirmer que le déni du besoin de douceur se manifeste à travers nos dépressions. « Le manque de douceur est endémique. Il a créé un isolement aussi puissant qu’un charme ». « L’angoisse vient dans le corps quand il est déserté par la douceur »… Il y a donc dans la douceur une puissance de vie : « La douceur est une force de transformation secrète prodiguant la vie, reliée à ce que les anciens appelaient justement puissance ».
Stimuler l’entraide et l’altruisme (p 192-194)
La culture de la compétition fait obstacle à la culture du care. Mais, en regard, il apparait aujourd’hui que l’entraide est un processus naturel puissamment répandu dans la nature. Ainsi, à partir de nombreuses recherches, dans un livre innovant, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (5) ont montré que les êtres vivants ont une puissante tendance à s’associer. « L’entraide est non seulement un principe du vivant, mais un mécanisme de son évolution » : « Les organismes qui s’entraident sont ceux qui survivent le mieux ». Les êtres humains n’échappent pas à cette réalité. Ainsi, dans certaines catastrophes, on a pu observer des comportements d’entraide. En plus de l’entrainement à l’entraide au « cœur de l’engagement et de l’action, nous pouvons choisir dans les collectifs, des pratiques transformant ces gestes en réflexion ».
Cette propension à l’entraide peut être envisagée dans la perspective de « reliance » qui est la trame de ce livre. « Quand nous nous appuyons délibérément sur notre connexion à la toile du vivant, nous pouvons de plus en plus prendre soin de nous en prenant soin du monde et prendre soin du monde en prenant soin de nous. Nous cultivons alors des habiletés au service de la vie qui rejaillissent aussi positivement sur nous, même si c’est plus tard et de façon indirecte. Cette loi de la réciprocité au cœur de l’entraide, avec son mouvement cyclique, donner – recevoir – rendre, participe à un équilibre vivant : nous sommes nourris en retour par cette façon d’être au monde. Il devient ainsi possible de co-créer et déployer notre créativité en composant avec les inévitables temps où nos fragilités affleurent ».
Accroitre notre résilience. Promouvoir la santé (p 195-200)
« Le mot « résilience » issu de la physique, de la psychologie et de l’écologie, évoque la capacité à affronter, supporter et traverser des chocs, des crises et des tensions extérieures en gardant son intégrité ». La transition intérieure étudiée dans ce livre implique la résilience.
Développer la résilience, c’est chercher à entretenir un équilibre dynamique, c’est aussi changer notre regard sur la santé.
Nous pouvons considérer une alternance entre des périodes où nous engageons toutes nos forces dans le soin et d’autres où nous prenons soin de nous-même. « L’articulation entre le chemin personnel, l’engagement pour le collectif, et le choix du mode de vie sera d’autant plus fluide qu’elle sera associée à des temps d’intégration et de respiration ». « Selon les moments et les contextes, nous sommes amenés à consacrer plus ou moins de temps et d’attention à l’une ou l’autre voie de restauration des quatre liens à soi, aux autres, au vivant, et au plus grand que soi. L’interconnexion profonde entre ces dimensions fera que chaque porte d’entrée vers un des liens pourra se mettre au service de la guérison des autres. Par ces aspirations, la transition intérieure permet d’évoluer en soutenant la vie en soi et autour de soi, d’une manière qui soit adaptée à chaque contexte et à chaque instant ».
Nous voici également appelés à changer notre regard sur la santé. « Dans la mesure où elle nous invite à prendre soin de la santé conjointe de la psyché humaine et de l’âme de la Terre, la transition intérieure implique un changement de regard sur la santé ».
Au total, nous sommes invités à envisager une approche globale, une approche holistique. « Pour l’Organisation mondiale de la santé, (OMS), la santé est un concept très large, dépendant de nombreuses variables. Plus qu’à l’absence de maladie, elle renvoie à la recherche d’un bien-être à la fois physique, psychique et social – nous ajoutons : écologique. Privilégier une vision holistique permet de s’attacher au lien entre des symptômes : d’aller aux racines, de laisser une place à la psyché, aux systèmes familiaux et sociaux, aux écosystèmes plus ou moins dégradés dont dépend le patient, aux liens corps-âme-esprit. Une approche globale et préventive de la santé ouvre aussi la possibilité de recréer – au besoin avec le soutien de collectifs et de thérapeutes – les conditions d’une bonne hygiène de vie : alimentation saine et respectueuse, exercice physique ou encore qualité de sommeil préservée ».
C’est évidemment « une approche nouvelle en regard d’une médecine classique qui évolue encore souvent dans des champs très étroits ». « La pandémie a mis en évidence les limites d’une approche de santé publique centrée avant tout sur des dimensions techno-industrielles. Non seulement la politique de « tout au vaccin » n’était pas complétée par des invitations à renforcer nos systèmes immunitaires, mais en plus elle rejetait des formes de soins alternatifs ».
Notre époque troublée compromet la santé psychique. « Dans les temps qui viennent, il sera de plus en plus indispensable de prendre soin de notre santé psychique sans recourir à des camisoles chimiques. Un enjeu, durant cette transition, est d’apprendre à composer avec deux tendances qui alimentent des cercles vicieux de mal-être : la pathologisation et la stigmatisation. Quand le mouvement d’alternance propre à la vie n’est pas reconnu parce qu’il ne serait pas dans la norme, ses manifestations spontanées sont volontiers pathologisées ».
N’enfermons pas les gens dans des catégories. Ainsi Anne Dufourmantelle, en parlant des personnes dites « bipolaires », « dénonce à la fois leur stigmatisation par le corps social et le traitement inhospitalier de leur « folie ordinaire » et de leur souffrance morale par la psychiatrie contemporaine… ». La psychanalyste rejoint d’autres praticiens qui s’engagent en faveur d’une éthique médicale et thérapeutique. L’anthropologie clinique met en évidence que « les formes pathologiques sont tributaires des formes symboliques à l’œuvre dans une culture ». De même, si on perçoit aujourd’hui la diversité des fonctionnements neurologiques, « heureusement de plus en plus d’écoles alternatives s’ouvrent aujourd’hui à la notion d’intelligences multiples et proposent des approches éducatives mieux adaptées à ces diversités ».
Cette vision d’une culture du soin débouche sur une réflexion sur les modes d’accompagnement dans les cheminements de la transition intérieure. Comme nous avons pu le constater, cette vision est inspirée par des apports récents de psychologues, de philosophes, de sociologues que nous avons déjà souvent croisés sur ce blog. Ce texte vient donc à nouveau rendre compte d’un mouvement de pensée et d’action qui se manifeste aujourd’hui de plus en plus et qui appelle notre compréhension et notre soutien
J H
- Michel Maxime Egger. Tylie Grosjean. Elie Wattelet. Reliance. Manuel de transition intérieure. Actes Sud Colibris. 2023 (Domaines du possible)
- Tout se tient. Relions-nous ; https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/ La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. La recherche de David Hay : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/ Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient :
- https://vivreetesperer.com/?s=dieu+vivant+dieu+pr%C3%A9sent
- La grande connexion : https://vivreetesperer.com/la-grande-connexion/
- Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
- De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin . Le soin est un humanisme https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
- Face à la violence, l’entraide, puissance de vie dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
Voir aussi :
Des Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/?s=corine+peluchon
Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/
par jean | Sep 9, 2023 | Emergence écologique |
Selon Jeremy Lent
En 2020, l’effroi suscité par l’épidémie de Covid s’est allié aux appréhensions engendrées par d’autres menaces comme le dérèglement climatique. Aujourd’hui, une guerre vient s’ajouter au malheur du temps. Cependant, cette tourmente interpelle. Elle invite les chercheurs et les militants à imaginer et à promouvoir un monde nouveau.
C’est ainsi qu’en 2021, un recueil d’essais est paru aux États-Unis sous le titre : « The new possible » (« Le nouveau possible ») (1). Le sous-titre en précise le contenu : « Visions de notre monde au-delà de la crise ».
Cet ouvrage a été conçu dans le contexte américain, mais il est intéressant de constater qu’il ne se borne pas à mettre en cause de graves dysfonctionnements aux États-Unis, mais envisage les problèmes de beaucoup d’autres pays. Bien plus, le champ du livre s’étend au monde entier. Ainsi, plusieurs personnalités des peuples premiers sont appelées à s’exprimer. Ici convergent une réflexion sociologique et économique, des gestes militants et le recours à différentes traditions de sagesse. Le livre s’ordonne en plusieurs parties : la terre ; Nous ; le changement ; la richesse ; le travail ; la nourriture ; l’éducation ; l’amour ; la communauté, et il rassemble les contributions d’une trentaine d’auteurs.
Nous avons choisi de rapporter un des chapitres de ce livre : « Envisager une civilisation écologique » (« Envisioning an ecological civilization ». L’auteur, Jeremy Lent, a écrit plusieurs ouvrages de synthèse sur l’évolution de la culture humaine et la recherche de sens : « The patterning instinct. A cultural history of humanity. Search of meaning » et « The web of meaning. Integrating science and traditional wisdom to find our place in the universe ». Comment l’humanité a-t-elle évolué dans sa recherche de sens ? Quelle vision émerge aujourd’hui ?
Quitter le néolibéralisme
Jérémie Lent dresse un bilan des dégâts et des injustices engendrés par le néolibéralisme. Ainsi, aux États-Unis, les communautés pauvres ont été davantage atteintes mortellement par la pandémie que les communautés aisées. Il y a bien une origine au mal actuel. Depuis les années 1980, le néolibéralisme propage une conception dangereuse de l’homme selon laquelle « les hommes sont essentiellement individualistes, égoïstes, matérialistes et calculateurs. En conséquence, le capitalisme de marché serait le meilleur cadre pour les entreprises humaines » (p 4). « Le néolibéralisme est logiquement le résultat d’une conception de monde fondée sur la séparation : les gens sont séparés les uns des autres, les humains sont séparés de la nature, et la nature elle-même n’est plus qu’une ressource économique » (p 4).
Menace d’effondrement
Dans la recherche d’un progrès matériel, nous consommons les richesses de la nature plus vite qu’elle ne se reconstituent.
Notre civilisation fonctionne en « consommant 40% des ressources de la terre au-dessus du rythme soutenable » (p 4).
Transformer nos valeurs
Avec Jeremy Lent, faisons d’abord le point : « La description des êtres humains comme des individus égoïstes, la perception de la nature comme une ressource à exploiter, et l’idée que seule la technologie peut répondre à nos plus gros problèmes, voilà de profondes erreurs qui ont conduit notre civilisation vers un désastre »(p 5).
« Nous avons besoin de changer le fondement de notre civilisation : passer d’une civilisation fondée sur l’accumulation des richesses à une autre fondée sur la santé des systèmes vivants, une civilisation écologique » (p 6). Ce sera là une mutation majeure comparable aux deux grands bonds de l’humanité : la mutation agricole qui a commencé il y a 12 000 ans et la révolution scientifique du XVIIe siècle.
Une civilisation écologique
Jérémie Lent met en valeur la vertu de l’entraide. « Les systèmes vivants sont caractérisés à la fois par la compétition et la coopération.
Cependant, les transitions majeures de l’évolution qui ont amené la vie à son état actuel d’abondance, sont toutes le résultat d’un accroissement spectaculaire de la coopération. La clé de ces pas d’évolution – et du fonctionnement efficient de tous les écosystèmes – est la symbiose : le processus dans lequel les deux parties en relation donnent et reçoivent réciproquement… » (p 6). « Les contributions de chaque partie créent un ensemble plus grand que la somme des parties ». La symbiose permet aux écosystèmes de s’entretenir presque infiniment ». « L’interconnection de différents organismes en symbiose se manifeste dans un autre principe fondateur de la nature : l’harmonie ». « L’harmonie apparaît quand les différentes forces d’un système sont en équilibre » (p 6-7). Un tableau apparaît. « Chaque système dépend de la vitalité des autres ».
Cette constatation « nous amène à formuler un objectif ultime de la civilisation écologique : créer les conditions pour que tous les humains puissent fleurir comme une part d’une terre vivante et prospère. Jeremy Lent transpose le phénomène de la symbiose en termes humains : « les principes fondateurs de la justice et de l’équité ». Une civilisation écologique assurera « la promotion de la dignité humaine en fournissant les conditions pour permettre à chacun de vivre en sécurité et en bien-être ». Par ailleurs, la civilisation écologique reconnaitra la diversité dans tous ses registres. « Elle sera fondée sur l’axiome que le plein potentiel d’un système peut être réalisé seulement quand il est intégré – un état d’unité dans la différenciation où la prospérité de chaque constituant contribue au bien-être de l’ensemble » (p 7). Par-dessus tout, une civilisation écologique suscitera une symbiose englobant la société humaine et le monde naturel ».
La civilisation écologique en pratique
Entrer dans une civilisation écologique requiert une transformation fondamentale de l’économie. Entre autres, on passera d’une économie fondée sur la croissance perpétuelle du Produit National Brut à une société mettant l’accent sur la qualité de la vie en développant les indicateurs correspondants. Depuis le début du XIXe siècle, la plupart des économistes ont considéré deux domaines seulement de l’activité économique : les marchés et le gouvernement… Une civilisation écologique prendra en compte ces deux domaines, mais ajoutera deux secteurs : l’économie domestique et les communs. « En particulier, les communs deviendront une part centrale de l’activité économique (3) ». Jeremy Lent rapporte l’origine du terme : la terre partagée par les paysans en Angleterre. Mais dans un contexte plus large, « les communs comprennent toutes les sources de subsistances et de bien-être qui échappent à l’appropriation de la propriété privée et de l’état : l’air , l’eau, la lumière du soleil, et même les créations humaines comme le langage, les traditions culturelles et la connaissance scientifique » (p 8). C’est une richesse commune (« a shared human commonwealth » (p 9). On reconnaitra le droit de chaque être humain à participer à cette richesse commune. Jeremy Lent évoque ici « un revenu de base universel ». Les recherches en ce sens ont montré les aspects positifs d’une telle innovation. Dans cette transformation, quelle attitude vis-à-vis des grandes entreprises internationales ? Elles devront se soumettre à une charte écologique et sociale. La même approche écologique entrainera la transformation de l’agriculture et du tissu urbain. Jeremy Lent envisage également une transformation de la gouvernance vers « un modèle polycentrique où les décisions locales, régionales et globales seront prises aux niveaux où leurs effets se font le plus sentir » (p 10).
En marche
Si cette vision porte un idéal à atteindre, Jérémy Lent nous présente « les innombrables organisations pionnières à travers le monde qui plantent déjà les semences pour une civilisation affirmant la vie » (p 10). L’auteur cite des initiatives aux États-Unis, en Bolivie, en Espagne. Il montre « comment la vision écologique se répand à travers les institutions religieuses et culturelles établissant un terrain commun avec le traditions indigènes qui maintiennent leur connaissance et leur genre de vie pendant des millénaires ». Il évoque la « charte de la terre » initiée à La Haye en 2000 et adoptée depuis par plus de 2 000 organisations à travers le monde auxquelles se sont joints certains gouvernements. Et bien sûr, il cite l’encyclique ‘Laudato si’.
Sur le plan économique et politique, des organisations apparaissent telles que la « Wellbeing Economy Alliance » et la « Global Commons Alliance ». « Peut-être encore plus important, un mouvement populaire affirmant la vie se répand globalement ». (p 11)
Le livre : « The new possible » fait lui-même écho à la transformation en cours.
Ce texte de Jeremy Lent nous apporte une vue d’ensemble sur la mutation en cours. Il en esquisse le sens. De son point d’observation, il vient confirmer l’extension d’un mouvement écologique à travers le monde entier. Ce point de vue vient donc nous encourager et nous affermir.
J H
- Philip Clayton, Kellie M Archie, Jonah Sachs, Evan Steiner, ed. The new possible. Visions of our world beyond crisis. Wipf and Stock Publishers, 2021
- Voir le blog de Jeremy Lent, author and integrator : https://www.jeremylent.com/
- La promotion des communs apparaît récemment au cœur du livre de Gaël Giraud : Gaël Giraud. Composer le monde en commun, Seuil, 2022
par jean | Août 7, 2023 | ARTICLES, Emergence écologique |
Ecothéologie et pentecôtisme
Dans la prise de conscience écologique, une nouvelle vision théologique est apparue au point de porter un nom : écothéologie. Michel Maxime Egger nous en a montré les différents visages (1). Nous savons aussi comment le théologien Jürgen Moltmann a sous-titré son livre : « Dieu dans la création » paru dès 1988 : « Traité écologique de la création » et poursuivi ensuite constamment son œuvre en ce domaine (2). En 2015, le pape François publie dans ce domaine une encyclique retentissante : « Laudato si’ » (3). Dans la dernière décennie, ce mouvement est également apparu dans le champs pentecôtiste, du moins chez certains théologiens anglophones. Sachant l’expansion actuelle du pentecôtisme dans le monde, ce fait est important d’autant que certaines manifestations politiques du pentecôtisme dans certains pays ont pu être contestées. A J Swoboda est pasteur et professeur de théologie, notamment à la faculté Fuller (4). Il se déclare un environnementaliste pentecôtiste : « Le soin porté à la création est un aspect intégral de l’œuvre relationnelle du Saint Esprit dans le monde » (5). A J Swoboda a écrit sur cette questions plusieurs livres qui font référence : « Tongues and trees. Towards a Pentcostal Ecological Theology » (6) ; « Introducing Evangelical Ecotheology. Foundations in Scripture, Theology, History and Praxis ». Aussi a-t-il édité un recueil d’écrits théologiques : « Blood cries out. Pentecostals, Ecology and the Groans of Creation » (Pentecostals, Peacemaking and Social Justice) (7).
Le ‘Jour de la Terre’
L’instauration d’un ‘Jour de la Terre’ aux Etats-Unis en 1970, initiative suivie internationalement, témoigne d’une éclosion de la prise de conscience écologique. C’était un jour de méditation et d’action pour restaurer la relation humaine avec la terre. Le fondateur et le visionnaire du ‘jour de la Terre’ fut John McConnell Jr. Dans son livre : « Blood cries out », (7) A J Swoboda nous décrit cette personnalité dans son parcours spirituel, nous signifiant par là que la préoccupation écologique a pu être présente en quelqu’un fortement marquée par une inscription familiale pentecôtiste. Les parents de McConnell ont été membres fondateurs de la charte des assemblées de Dieu en 1914. Son propre grand-père fut même un participant au grand réveil de la Rue Azuza à Los Angeles en 1906. Ainsi le ‘Jour de la Terre’ a commencé avec de fortes convictions religieuses. McConnell ,voyant la crise écologique à travers sa culture religieuse, « envisageait un jour où les chrétiens pourraient montrer la puissance de la prière, la valeur de leur charité et leur préoccupation pratique pour la vie et les gens de la terre ». Ce rappel historique est une entrée en matière qui légitime une approche théologique pentecôtiste de l’écologie.
Univers écologique et univers pentecôtiste : tout est relation
Brandon Rhodes était étudiant à l’université d’Oregon (Etats-Unis) et il y fréquentait deux univers : l’écologie et le pentecôtisme (6). Dans la communauté pentecôtiste, il se voit proclamer l’importance de la relation : « Le Royaume de Dieu porte entièrement sur les relations ». A travers leur vie ensemble, les étudiants pentecôtistes « apprenaient à voir et à nommer l’œuvre de l’Esprit dans leur vie et dans leurs relations quotidiennes ». Cependant, dans ses études en écologie, Brandon Rhodes s’éveillait à « l’interconnexion de toutes choses, comme les champignons qui s’emploient à constituer un réseau relai entre les arbres de la forêt. Quand un feu, une sécheresse ou une tronçonneuse frappe un arbre, la forêt entière en frisonne de conscience. En écologie, la relation, c’est tout. Cette prise de conscience a profondément influencé la manière dont je voyais la terre ». « La Création brille de vie, de relation et déborde d’un saint mystère ». « Avec le temps, cette résonance entre l’écologie et le pentecôtisme me devint tout-à-fait évidente. Le Royaume de Dieu porte entièrement sur la relation et il en va de même pour l’écologie. Le royaume de Dieu dans l’Esprit est écologique et vice versa. Je le ressentais d’une manière palpable dans cet environnement verdoyant des montagnes de l’Oregon ».
A la recherche d’une rencontre entre la réflexion théologique et l’expérience
Brandon Rhodes constata pourtant que le pastorat pentecôtiste percevait rarement la connexion entre les deux approches, et plus généralement la valeur de l’écologie. Ce fut donc avec joie qu’il accueillit la parution du livre de A J Swoboda, un ouvrage qui établissait un pont par dessus la division entre écologie et pentecôtisme. Et, encore mieux, il rencontra l’auteur habitant dans le même voisinage. Le livre de Swoboda : « Tongues and trees : toward a pentecostal ecological theology » formule sa thèse de doctorat pour un public plus large. Cependant, Brandon Rhodes s’interroge sur le format académique qui peut donner l’impression que le message descend d’en haut vers des réalités sociales qui montent d’en bas. « Le défi majeur pour Swoboda est de transmettre des idées académiques de haut en bas vers une tribu à la base, celle de l’église pentecôtiste. A J Swoboda trace bien quelques pistes comme « imposer les mains à la terre pour sa guérison, ou bien prêcher des eschatologies créationnelles ». Mais Brandon Rhodes reste en partie sur sa faim.
« Un épilogue plus développé en terme de pratiques pentecôtistes, expériences écologiques, incursions liturgiques, comportements mystiques à l’intention de l’église locale aurait idéalement arrondi ce travail ».
Un témoignage et un parcours de recherche
Brandon Rhodes partage avec nous sa vision de foi. « Le pentecôtisme, ce n’est pas seulement une manière de prêcher, chanter, se rassembler et prier. C’est fondamentalement développer des cœurs ouverts à l’activité de l’Esprit. C’est une imagination active se demandant où Jésus peut être à l’œuvre à travers l’Esprit ».
« Cependant ce comportement pentecôtiste tourné vers l’Esprit refuse d’être commodément institutionnalisé, planifié, préemballé pour une consommation ecclésiale ».
« Swoboda semble appeler l’écothéologie à nourrir notre capacité de voir la création comme une arène où se montre la vie de Dieu. Si je le lis fidèlement en pentecôtiste, il désire nous amener à devenir des magiciens verts plutôt que des écothéologiens – des guides mystiques à même de nous faire voir la magie dont ce monde est abreuvé par le Saint Esprit. L’Esprit holistique, baptisant la création, vers où « Tongues and Trees » dirige le pentecôtisme, est vivant et actif dans le monde ». Brandon Rhodes nous appelle « à avoir des yeux pour le voir et à répondre dans la repentance ».
Aperçus
Suite à son analyse, Brandon Rhodes présente un résumé détaillé du livre : « Tongues and Trees ». En voici quelques extraits.
Swoboda présente les apports des différentes dénominations à l’écothéologie. En ce qui concerne le pentecôtisme, il perçoit certaines dispositions favorables. « D’abord, le pentecôtisme met l’accent sur ce que Miroslav Wolf appelle : « la matérialité du salut » ce qui historiquement s’est prêté à une attention pour des questions de justice sociale – une disposition qui s’ouvre tout naturellement à honorer le monde matériel et, dans de nombreux cas, là où la dégradation écologique accroit les injustices existantes. Deuxièmement, l’accent pentecôtiste sur l’Esprit se prête au témoignage biblique de l’Esprit de Dieu vivifiant et même baptisant toute la création. Ainsi nous devons attendre les charismes non seulement de l’église charismatique, mais du reste du royaume de la création.
Swoboda résume son bilan des écothéologies charismatiques en deux points majeurs : « D’abord si l’Esprit de Dieu crée et vit dans la création et le peuple de Dieu, les deux sont en voie de restauration à la relationalité. La relationalité est la force même de la théologie et de la pratique pentecôtiste. Ultimement, c’est la force des théologies Esprit/création. L’accent pentecôtiste sur une église interconnectée – par – l’Esprit, nous enjoint de joindre la ‘conversation’. J’ai trouvé dans mon enseignement de l’écologie l’interconnexion de la terre elle-même. Deuxièmement, Swoboda conclut de cette recherche que notre tâche future est de nourrir une imagination pneumatologique concernant le « care » écologique.
Le développement de l’approche écologique transforme notre vision du monde. Elle nous incite à considérer qu’il y plus grand que nous et que nous nous inscrivons dans un tissu de relations. Cette vision nous invite à entrer dans une vision spirituelle où la Pentecôte apparaît comme une figure privilégiée. On comprend qu’un théologien pentecôtiste assume l’approche écologique en espérant que cette attitude se répande dans sa dénomination comme elle s’étend dans d’autres églises.
Rapporté par J H
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
- Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
- Convergences écologiques :Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, pape François et Edgar Morin : https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/
- A J Swoboda Ph D : https://www.bushnell.edu/faculty/a-j-swoboda/
- A J Swoboda : I am a pentecostal environmentalist : https://faithandleadership.com/aj-swoboda-im-pentecostal-environmentalist
- Book Review, Tongues and trees. Toward a pentecostal ecological theology : https://christandcascadia.com/2014/08/01/book-review-tongues-and-trees-toward-a-pentecostal-ecological-theology/
- A J Swoboda. Blood cries out : https://www.amazon.com/Blood-Cries-Out-Pentecostals-Peacemaking/dp/1625644620
par jean | Août 7, 2023 | Emergence écologique |
Découvrir les merveilles de la forêt à travers un esprit de découverte alliant un savoir ancestral aux découvertes scientifiques les plus récentes
La voix des arbres
Par Diana Beresford-Kroeger
Nous entrons aujourd’hui dans la découverte de merveilles du monde vivant jusque là inconnues. Ainsi, nous portons un regard nouveau sur les animaux, et plus récemment encore sur les végétaux, en particulier le monde de la forêt (1). Certaines personnes peuvent particulièrement nous en entretenir, car, elles-mêmes, sont engagées avec passion dans un chemin de découverte. C’est le cas de Diana Beresford-Kroeger, auteure d’un livre : « To speak for the Tree », traduit et publié en français sous le titre : « La voix des arbres. Une vie au service des arbres, du savoir des druides aux plus récentes découverts de la botanique » (2). Cette œuvre est le fruit d’un parcours original qui nous est résumé ainsi : « Une jeune orpheline en Irlande dans les années 1950 que les femmes de la vallée de Lisheens ont prise sous leurs ailes pour lui transmettre un savoir ancestral. Un esprit brillant, une scientifique accomplie, à la double compétence en biochimie médicale et en botanique. Une amoureuse passionnée de la forêt. Diana Beresford-Kroger est tout cela à la fois, et son itinéraire résolument atypique l’amène à opérer la synthèse de son héritage celte et des connaissances scientifiques actuelles pour réconcilier l’homme et la forêt. Depuis des années, elle consacre toute son énergie à préserver la biodiversité forestière, aussi bien en apportant sa caution scientifique à différentes luttes que dans l’espace de son arboretum canadien ,où elle s’acharne à regrouper et à hybrider des espèces particulièrement adaptées au changement climatique… » (page de couverture).
Harmonie celte. La vallée de Lisheens
Diana a eu un père anglais et une mère irlandaise. Son père et sa mère se séparent. A l’âge de 12 ans, Dina perd sa mère dans un accident. Elle se retrouve seule, orpheline. Elle échappe à la menace, enfermée dans un pensionnat de mauvaise réputation, car un oncle accepte de la prendre sous sa responsabilité jusqu’à sa majorité à 21 ans. La relation avec celui-ci ira en s’améliorant dans le temps. Adolescente, elle bénéficie de la grande bibliothèque de son oncle et une conversation s’établit avec lui. Par ailleurs, sa réputation scolaire va croissante. A la fin de ses études secondaires, elle entrera à l’université. Cependant, Diana fait état des souffrances, de la solitude et de la peur, qui ont marqué ses jeunes années. En contre point, les vacances d’été qu’elle a passées dans la vallée de Lisheens ont été pour elle une planche de salut, car non seulement elle y a trouvé une chaleur affective, mais elle y a accédé à une sagesse, la sagesse celte encore présente dans le refuge de cette vallée.
« Aujourd’hui encore, Liesheens tient un place unique dans le paysage de mon esprit. Une générosité presque tangible y imprégnait l’atmosphère. J’ai eu la chance d’en bénéficier pendant le temps que j’ai passé là-bas avec Nellie (sa grand-tante) et Pat. En matière d’hospitalité, les lois (celtes) des brehons s’appliquaient toujours avec la même vigueur, or, en vertu de ces lois, en tant qu’orpheline, je devenais enfant de tous. Même le plus pauvre des pauvres se devait de me donner quelque chose… Après la mort de mes parents, mes liens avec les habitants de la vallée sont devenus plus profonds. Les gens me regardaient différemment. Ils me saluaient avec une chaleur qui me faisait monter les larmes aux yeux » (p 36-37).
« Pendant mon enfance, cette vallée rurale était peut-être le site le plus riche et le mieux conservé de la culture celte dans tout le pays (p 38). Diana en décrit différents aspects : les artefacts en pierre, l’alphabet ogham, la langue gaélique. « D’habitude, le transfert de savoir d’une génération à l’autre n’avait lieu que dans le cadre de la famille ». Ici, on fit une exception pour Diana. Elle apprit par la voix douce de sa tante le projet de lui donner une éducation celte. « Elle m’a expliqué que j’allais bénéficier de ce qu’elle appelait « une tutelle brehonne », un arrangement grâce auquel on m’enseignerait tout ce que je devais savoir pour être autonome en tant que jeune fille, bientôt femme. J’aurais de nombreux professeurs qui m’enverraient chercher le moment venu. Elle serait la première et nos leçons devaient commencer sur le champ » (p 41).
Effectivement, Nellie emmena Diana dans des chemins et dans des lieux où poussaient de multiples plantes et de multiples fleurs. Elle cueillit une feuille parmi bien d’autres et la présenta à Diana en lui demandant de la sentir, de la mémoriser et en l’appelant par son nom. Elle poursuivit son instruction en lui présentant une plante médicinale « Il s’agit d’un remède important pour de nombreux maux. On s’en sert pour guérir les rhumes en hiver et pour éloigner les insectes ou traiter les piqûres en été. C’est une herbe très ancienne qu’on utilisait il y a bien longtemps dans les cérémonies et dont les propriétés sont puissantes… Elle passa à une autre plante avant de se lancer dans l’exposé de ses propriétés médicinales. C’est ainsi que s’est déroulée une promenade pharmaceutique… » (p 42). Déconcertée au départ, Diana s’est mise à apprendre petit à petit. « Entre les leçons de Nellie, ou à l’occasion celles de Pat, s’intercalaient d’autres leçons avec des professeurs répartis dans toute la vallée. L’effectif final dépassait les vingt personnes et l’infirmière, Madame Creedon, qui connaissait tout le monde à l’entour, était la grande organisatrice de mon planning » (p 43). Les leçons portaient sur différents sujets : poésie, propriétés des ‘simples’, compétences pratiques, psychologie de la vie quotidienne, méditation celte par le silence… Et puis, il y avait l’école de la vue : une relation heureuse avec les animaux de la ferme, et parfois un conseil thérapeutique comme celui qui lui permit de se débarrasser de verrues. Diana recevait des leçons très variées. « Ce n’est qu’en grandissant que certaines leçons ont pris un sens renouvelé pour des raisons diverses. Les unes m’ont appris des vérités profondes sur moi-même, des compétences et des manières d’approcher le monde qui m’ont propulsée vers mes plus grandes réussites. D’autres m’ont montré qu’on pouvait avoir un vision plus globale de la nature… » (p 63). En apprenant l’alphabet oghamique, Diana a découvert que la plupart des lettres portaient le nom d’un arbre. Dans la deuxième parie de son livre, elle entreprend une description des arbres et de leurs qualités en se référant aux lettres de cet alphabet.
« A la fin de la troisième année d’enseignement, Nellie m’a emmenée au cabinet de l’infirmière… Quand nous sommes arrivés, il y avait là tous les gens de la vallée qui avaient contribué à mon éducation au cours de ma tutelle. C’était une cérémonie de fin d’études. Au milieu de la salle et de toutes ces vieilles personnes chères à mon cœur, je me suis sentie enveloppée d’amour, baignée dans une chaleur inouïe. J’étais capable de tout réussir, une certitude dont j’aurais besoin plus tard. Mary Cronin était là pour mettre un point final à ma tutelle en se penchant sur mon avenir. Mary était la prophétesse locale. Le don de clairvoyance se transmettait dans sa famille… A la fin, elle ouvrit les bras pour englober toute la salle et j’ai compris qu’elle m’indiquait ainsi que ces derniers mots venaient de tous les présents, de toute la vallée et de la tradition celte. « Diana, tu as reçu une charge sacrée », a-t-elle dit d’une voix brisée par l’émotion. « Nous sommes vieilles, nous ne vivrons pas éternellement. A notre mort, tu seras la dernière voix de l’ancienne Irlande. Il n’y en aura plus après toi » (p 84).
Une recherche intégrative
Une approche interdisciplinaire prenant en compte les savoirs ancestraux
Scolairement excellente, après ses études secondaires, Diana est entrée à l’Université de Cork. Elle a opté « pour un double cursus en biochimie médicale et en botanique ». Et très vite, elle exprime un grand enthousiasme pour des découvertes qui traduisent un lien entre les savoirs reçus dans son éducation celte et les connaissances botaniques. « Mon deuxième TD de Botanique portait sur Chondras crispus, une algue rouge connue sous le nom de « mousse d’Irlande ». La voir là sur la table du labo, c’était comme tomber sur un vieil ami dans un nouveau décor. Ma grand-tante Nellie m’avait parlé de cette algue à Lisheens… Elle m’avait appris qu’au temps de la grande Famine, au milieu du XIXe siècle, les gens étaient particulièrement exposés à la tuberculose à cause de la malnutrition. Chondras crispus, disait-elle, recelait le remède à ce mal. Il fallait arracher la plante du rocher et la faire bouillir entière, et elle libérait alors un mucilage visqueux aux puissantes vertus curatives efficaces dans le traitement de la tuberculose… En disséquant l’algue, j’ai constaté qu’elle contenait effectivement du mucilage. A la fin du TD, je me suis précipité à la bibliothèque de médecine. Et j’y ai appris que la substance gélatineuse issue du Chondras crispus avait de puissantes propriétés antibiotiques… » (p 89-90).
Ce fut là le premier croisement entre les savoirs reçus par Diana dans la vallée celte et son enseignement universitaire. Et cela a compté pour elle. « Il est difficile de décrire le sentiment que m’a procuré la confirmation des enseignements de Nellie. J’aimais beaucoup mes professeurs de Lisheens, mais je n’avais pas totalement exclu l’idée qu’ils m’avaient transmis de vieilles superstitions. J’avais besoin de vérifier par moi-même ce qu’ils m’avaient appris… Lire dans un volume de la faculté de médecine que Chondras crispus contenait bel et bien des actifs que Nellie avait évoqués, après avoir moi-même tiré de cette algue la substance dont elle m’avait parlé, voilà qui constituait la première preuve irréfutable que les leçons dispensées pendant ma tutelle étaient fondées sur des faits. J’en tirai du soulagement, un sentiment d’accomplissement et la joie que l’on éprouve face à la vérité de la nature ». Diana a compris là quelle serait sa mission. « Le savoir que j’avais reçu à Lisheens se transmettait oralement. Il n’existait sous aucune autre forme. Or, dans la bibliothèque de médecine, je retrouvais ces mêmes connaissances, obtenues et présentées de manière totalement différente, puisque consignées dans un livre. A cet instant, j’ai compris que je pouvais servir de pont entre ces deux mondes, celui de mes ancêtres et le monde scientifique. Cette prise de conscience extrêmement motivante me donna envie de mettre à l’épreuve tout ce qu’on m’avait enseigné à Lisheens (p 91).
Diana s’est donc engagée, au fur et à mesure, dans cette recherche. « Mon double cursus m’a équipée de l’association idéale pour éprouver les connaissances de Lisheens. J’ai pu très tôt déceler les liens entre le monde médical et le monde botanique » (p 92). Diana s’est intéressé aux propriétés biochimiques des plantes et elle a établi un lien avec ses nouvelles connaissances en biochimie humaine. Elle a poursuivi ensuite son approche intégrative expérimentée lors de son premier cycle universitaire. « Le modèle de recherche grossier que j’ai créé pour moi-même au premier cycle est celui dont je me suis servi pendant toute ma carrière universitaire. Les sources de connaissance sur lesquelles il est fondé – les savoirs celtiques ancestraux, la botanique classique et la biochimie médicale – ont façonné ma pensée. Quand j’étudie une plante, mon esprit a tendance à travailler dans deux directions à la fois. A partir de ma compréhension du végétal, je vais vers le corps humain, et à partir de ma compréhension du corps humain, je vais vers le végétal. Je n’ai jamais échoué à trouver un ou plusieurs points où se rejoignent ces deux directions. Chaque plante est intimement liée aux êtres humains et à notre santé. Les gens de Lisheens le savaient aussi bien que d’autres choses encore. De ces toutes premières recherches jusqu’à aujourd’hui, j’ai pu confirmer scientifiquement presque tout ce qu’ils m’ont enseigné lors de ma tutelle. La seule chose qui ait échappé à mon entendement, c’est la télépathie, ces liens invisibles dont ils m’ont dit qu’ils existaient entre les esprits humains. Je travaille encore dessus » (p 93).
Diana réussit brillamment son premier cycle universitaire et elle se pose alors la question de son orientation. Elle en a envisagé deux : « poursuivre vers un diplôme de médecine – la suite logique de ma formation de biochimie – ou passer en maitrise » (p 98). Finalement, « elle a opté pour un master dans la continuité de ses études de biochimie et de botanique. C’était la voie qui m’offrait la vision et la compréhension les plus larges possibles du monde naturel. Mon sujet de recherche portait sur les hormones qui régulent les plantes et sur la résistance au gel de toutes les espèces… Je voulais comprendre les limites du monde végétal et l’une des clés pour cela consistait à comprendre l’action régulatrice des hormones chez les plantes ». Diana développait une vision globale : « La biochimie de l’humanité liée à celle des arbres et des plantes, ce qu’on pouvait voir dans les hormones ». Et, de même, elle a pris connaissance du processus de la photosynthèse et de son rôle crucial dans le maintien de l’équilibre climatique. « Que se passerait-il si les plantes – disons les forêts – disparaissaient de la planète ? La réponse est évidente : la vie s’éteindrait » (p 102-103). Dans les serres de l’université, « Diana a mesuré la taille, la croissance et les proportions d’un vaste éventail d’espèces placées dans différentes conditions environnementales. Elle examinait le plus largement possible la façon dont les plantes réagissent aux modifications de leur environnement… » (p 101). Ces premières recherches terminées en 1965, « ont permis d’identifier des caractéristiques permettant de déterminer les espèces les mieux équipées pour survivre dans un monde en transformation. J’ai moi-même suivi ce guide pour sélectionner et sauvegarder des espèces patrimoniales de plantes et d’arbres rares sur la ferme que j’habite aujourd’hui » (p 105).
Les excellents résultats universitaires de Diana lui permettaient de postuler à de nombreux postes. Elle a accepté une bourse fédérale américaine pour étudier la chimie nucléaire sur le campus de Storrs, université du Connecticut. Ella a choisi ensuite pour son doctorat l’Université Carleton à Ottawa au Canada. Le champ d’étude serait les hormones chez les plantes. « Me basant sur ma compréhension préexistante de la biochimie médicale, j’ai élargi mon champ d’investigation au delà de la botanique et comparé la fonction des hormones chez les plantes et les êtres humains. L’action de ces substances avaient été étudiées chez les hommes, mais leur existence chez les arbres n’était pas connue… J’ai prouvé que ces voies métaboliques existaient chez les plantes, plus chez certaines que chez d’autres, et surtout chez les arbres » (p 211). Ainsi, selon Diana, « les arbres contiennent les mêmes substances que notre cerveau ». Après avoir obtenu son doctorat, Diana a travaillé dans une ferme expérimentale, puis à la faculté de médecine d’Ottawa.
L’itinéraire professionnel de Diana a donc été riche et fécond. Et néanmoins, elle a du « faire face aux frustrations familières à toute femme tentant de s’imposer au milieu professionnel dans les années 1970 et 1980 » (p 115). Cependant elle va s’installer définitivement au Canada. Elle se dit « redevable aux peuples autochtones d’Amérique du Nord qui, globalement, ont gardé intact le continent » ; à son arrivée, le Canada lui est apparu comme « un pays d’une grande beauté où l’eau était abondante… Ici le système botanique était phénoménal. J’avais envie de crier au monde que ce pays était fabuleux… » (p 110). C’est là, dans une soirée à Carleton qu’elle rencontre celui qui va devenir son mari Christian Kroeger. « Nous sommes sortis ensemble, nous avons acheté un terrain, nous nous sommes mariés et nous nous sommes mis au travail, marteau en main, pour construire cette ferme où nous vivons maintenant depuis plus de quarante ans » (p 114).
La voix des arbres et des forêts
Diana va s’installer dans ce lieu et, avec Christian, elle va y réaliser un nouvel écosystème en partant à la recherche d’espèces en voie de disparition pour les accueillir dans cet ensemble. En se libérant de ses contraintes professionnelles, elle va consacrer à cette tâche toute son énergie. « Arrivée à un point où je ne supportais plus la situation à mon travail, je suis rentrée et j’ai dit à Christian que j’en avais assez des brimades, du harcèlement sexuel et de la mesquinerie typique des sciences à l’université. Nous avions déjà construit une maison, et planté des jardins et un verger » (p 115).
Lors de son mariage avec Christian en 1974, Diana s’était vu offrir par ses collègues les fruitiers rustiques qu’elle avait sollicité. Pour le développent du jardin potager, elle avait recours à « un large éventail de semences patrimoniales. « Quand nous avions tous les deux un peu de temps libre, nous nous lancions dans des expéditions pour dénicher des plantes locales dans l’est de l’Ontario… Je voulais des arbres aussi proches que possibles de la forêt primaire. ». Ils recherchaient tout particulièrement les lieux sauvages qui avaient ainsi échappé à l’éradication systématique des colons. « C’est là qu’on trouvait encore des arbres indigènes de qualité ». « Quand Christian et moi cherchions des fruitiers à ajouter à notre verger, nous nous mettions en quête de vestiges de ferme dans des secteurs inhabités identifiés comme des terres agricoles sur de vieilles cartes et toutes mes roses proviennent de boutures prélevées dans des cimetières oubliés… j’ai également créé mon allée de ‘simples’ perdus d’Amérique du Nord. La philosophie biochimique qui préside à ce secteur du jardin est basée sur les aérosols, ou composés organiques volatils, libérés par les plantes, fondement scientifique de bon nombre de vieux remèdes autochtones. Leurs propriétés curatives m’intéressent particulièrement en tant que scientifique… » (p 123).
Diana et Christian ont parlé avec de vieux fermiers. Ils sont partis à la recherche d’espèces d’arbres perdues de vue.
« Toutes les Premières nations connaissaient le Prela trifoliata et s’en servaient dans leur médecine traditionnelle. Cet arbre contient un actif synergique qui stimule les principaux organes et augmente leur métabolisme… » (p 126). Elle a entamé une enquête pour le retrouver. Pas de réponse. « Cet arbre avait autrefois une immense valeur et je pense qu’il pouvait toujours en avoir une pour l’avenir, mais au lieu de cette puissance positive, capable de soigner, nous avons une soustraction, un trou en forme d’arbre – et du remède qui allait avec » (p 127). Cinq ans plus tard, dans une invitation au Texas, Diana a rencontré une riche personne qui possédait des terres au Nouveau Mexique, et notamment des terres rocailleuses. Or Prelea pousse dans la rocaille. Diana lui demanda donc si on pouvait trouver un Prelea dans son domaine. Et finalement, à la grand joie de Diana, on en a effectivement trouvé un au Nouveau Mexique.
Avec son mari, Diana est parvenu à développer un écosytéme bien pensé et bien géré. « Je peux dire aujourd’hui que l’intégralité de nos soixante-cinq hectares est pensée de façon à encourager la vie. Les haies que nous avons plantées en périphérie attirent des oiseaux et des insectes qui trouvent amplement de quoi se nourrir et se loger quand ils arrivent, ainsi qu’un répit face à l’offensive chimique qu’ils subissent presque partout ailleurs. Des détails tels que l’emplacement des nichoirs sur notre promenade des Merles bleus ou la décision de laisser les pics maculés tranquilles, s’inscrivent dans une démarche cohérente. En contemplant le tout, on pourrait facilement croire qu’un plan unique a présidé à l’aménagement de notre ferme. Ce n’est pas faux. Dès le début, le plan consistait à tendre vers le plan inhérent de la nature… J’ai commencé à sauver des espèces parce que je les estimais trop importantes pour qu’on les laisse disparaitre. Quand j’ai choisi d’insister sur les résistances au gel et à la sécheresse, c’est parce que le travail fait pendant mon master m’avait convaincu que la déforestation mènerait tout droit au changement climatique » (p 137).
Un jour, Diana a pris conscience de l’originalité de ce processus. « Un matin, je me suis réveillée devant le spectacle d’un cardinal rouge qui me fixait depuis une branche de l’abricotier couvert de fleurs roses en étoile. J’ai alors vécu un instant d’harmonie, ou j’ai mesuré pour la première fois tout ce que j’avais construit en partenariat avec le monde naturel… J’ai inventé le terme « bioplanification » pour décrire ma démarche… Le « bioplan » est un « schéma directeur de toute l’interconnexion de la vie dans la nature ». C’est la toile visible et invisible qui relie le saule au pic maculé, au papillon, à l’ichneumon, et qui les relie tous à nous… La bioplanification, c’est l’acte de faciliter et d’encourager le bioplan. Dans un jardin ou sur une ferme, cela implique de réaligner le jardin pour faciliter son utilisation comme habitat naturel » (p 138).
Comme nous avons pu nous en rendre compte jusqu’ici, Diana accorde une grande importance aux arbres. Elle en connaît les vertus. Face au changement climatique, elle proclame l’importance des forêts (p 140-141). Diana consacre un chapitre à ce qu’elle appelle l’arbre mère. Elle évoque là de grands arbres qui entretiennent tout un écosystème, des oiseaux qui viennent se poser dans leurs branches jusqu’aux plantes qui poussent à l’ombre de leur feuillage. « Ce sont des points focaux d’activité et de vitalité… Les arbres mères sont des individus dominants dans n’importe quel système forestier. Ils produisent acides aminés, acides gras, protéines végétales et sucres complexes qui nourrissent le monde naturel… Bon nombre d’arbres mères protègent le sol qu’ils occupent en produisant un arsenal de composés allélochimiques qui, dès le printemps, se déversent automatiquement dans la terre. Cela permet à l’arbre de préparer son propre terrain à recevoir les minéraux dont il a besoin. L’arbre mère adulte diffuse dans l’air qui l’entoure des aérosols incitatifs ou dissuasifs. Il peut nourrir et protéger d’autres individus sous sa canopée. Il est un des meneurs de cette communauté que nous appelons forêt, et partout sur terre, les forêts représentent la vie » (p 149).
Un engagement
La vie de Diana se manifeste dans la recherche et dans l’expérimentation, mais aussi dans la promotion d’une vision et dans une action militante. Elle intervient pour protéger la forêt. Elle rend hommage à ceux qui en prennent soin. Ainsi raconte-t-elle comment dans un colloque consacré à la forêt, elle a fait l’éloge des peuples autochtones du Canada, des Premières Nations (p 154).
Cet engagement s’inscrit dans une vision spirituelle.
« J’ai eu la chance immense de naître juste à temps pour recevoir une instruction celtique… C’est armée de cette vision spirituelle de la nature que je suis entrée dans les cercles universitaires et j’ai découvert qu’elle n’y était pas la bienvenue. On m’a dit que la science et le sacré ne faisait pas bon ménage. Chez les universitaires, un scientifique n’est pas censé se fier au savoir des cultures autochtones. C’est cette attitude, entre autres, qui m’a éloignée des institutions scientifiques et éducatives et poussée dans la marge ; j’y ai œuvré de longues années avant de trouver un public avec qui partager ce que j’avais appris, ce que j’avais toujours su et ce que j’avais à dire. A présent, toutefois, je sais que cette foi dans la valeur spirituelle et scientifique des forêts n’est pas condamnée à rester à la marge de notre culture. Un mouvement de masse peut naître… » (p 160).
Ainsi, le livre de Diana s’achève par une vision mobilisatrice. « Une divinité que nous comprenons tous se manifeste dans la nature. Quand on marche en forêt, qu’elle soit petite ou grande, on arrive dans un certain état d’esprit et on en ressort plus calme. On a cette sensation d’arpenter une cathédrale, et on n’est plus jamais le même. On sort du bois en sachant qu’il nous est arrivé quelque chose de plus grand. La science nous permet d’expliquer en partie cette expérience sacrée. Nous savons à présent que les alpha – et le bêta – pinènes produits par la forêt améliorent l’humeur et affectent le cerveau à travers le système immunitaire, que les pinènes libérés dans l’air par les arbres sont absorbés par notre corps, qu’ils nous recentrent et nous inspirent de la pitié par rapport à ceux que nous voyons. Une simple marche en forêt agit comme des vacances sur l’esprit et sur l’âme, et permet à votre imagination et à votre créativité de fleurir. A mon sens, c’est un miracle et il nous reste tant d’autres miracles à découvrir. Nous éprouverons la joie de ces miracles. Nous sauverons les forêts et notre planète… » (p 164).
Un livre original
Ce livre nous présente un parcours particulièrement original puisque, pour une part essentielle, il témoigne du passage d’une civilisation traditionnelle à la culture moderne. La civilisation celte nous apparaît aujourd’hui comme une grande civilisation. Elle a même réussi à se maintenir pendant de siècles à l’ouest de l’Europe. Diana Beresford-Kroeger a pu en recueillir la substance avant qu’elle ne disparaisse sous la pression de la culture scientifico-technique occidentale. Cette dernière cependant entre aujourd’hui dans une crise profonde, parce que ses dérives ont entrainé et entrainent de redoutables dérèglements. Si un courant se lève pour promouvoir un âge de vivant, il se heurte aux crispations de la culture moderne individualiste et à une mentalité technico scientifique analytique et réductionniste. La philosophe Corinne Pelluchon exprime clairement cette réalité : « Le potentiel de destruction attaché au rationalisme moderne doit être examiné ave la plus grande attention… Dans les dérives, Corinne Pelluchon envisage une raison se réduisant à une rationalité instrumentale, oubliant d’accorder attention à la dimension des fins : « ce qui vaut », et un dualisme séparant l’humain du vivant » (3).
De fait, l’approche écologique présente une dimension holistique. Les conceptions du monde qui prévalent dans de nombreuses sociétés, non occidentales, ne s’alignent pas sur la pensée mécaniste qui s’attarde en Occident. A cet égard, le parcours de Diana Beresford-Kroeger est extraordinairement éclairant. En effet, elle nous prouve la validité et la consistance de savoirs ancestraux fondés sur une expérience collective de longue durée et elle nous invite à reconnaître des valeurs spirituelles et éthiques en phase avec une recherche de sens renouvelée. On pourrait croiser cette approche avec celle de certains anthropologues.
Cependant, l’apport de Diana montre également l’efficacité et l’utilité de disciplines scientifiques comme la biochimie et, bien sur, la botanique. Et aujourd’hui, le scientisme est en recul. Comme le montre Vinciane Despret dans son livre : « Le loup habitera avec l’agneau » (4), aujourd’hui, en éthologie, le méthodologies rigides sont contestées. Pionnière de la recherche sur les chimpanzés, Jane Goodhall s’est distinguée par son ouverture, sa reconnaissance du vivant (5) et elle vient de recevoir le prix Templeton ; ce prix, décerné depuis plusieurs dizaines d’années montre que science et spiritualité peuvent faire bon ménage. Diane Beresford-Kroeger évoque « une expérience sacrée » en présence de la forêt. Jane Goodhall éprouvait un sentiment comparable dan la forêt de Gombé. Aujourd’hui, à l’âge du vivant, la spiritualité va de pair avec l’écologie. Ainsi, théologien, sociologue et acteur dans la vie civile, Michel Maxime Egger a écrit un livre intitulé : « Ecospiritualité » (6) : « L’écospiritualité affirme que l’écologie et la spiritualité forment un tout parce que sans une nouvelle conscience et un sens du sacré, il ne sera pas possible de faire la paix avec la Terre ». Et il nous appelle à « réenchanter notre relation avec le vivant » (7).
Le témoignage de Diana Beresford-Krueger apporte une note originale dans cette littérature. C’est d’abord l’histoire d’une vie qui a souffert de sa condition d’orpheline et qui ayant trouvé un réconfort dans une vallée d’Irlande peut nous entretenir de la grandeur de la civilisation celte juste avant qu’elle ne disparaisse. Elle nous lègue ainsi le trésor de ses savoirs et de ses pratiques, mais en en montrant la fécondité et l’actualité grâce aux études scientifiques qu’elle a pu entreprendre et à la recherche de grande ampleur qui s’en est suivie et qui a mis en valeur l’apport des arbres et des forêts
Jean Hassenforder
- Peter Wohlleben. La vie secrète des arbres. Les Arènes, 2017
- Diana Beresford-Kroeger. La voix des arbres. Une vie au service des arbres, du savoir des druides aux plus récentes découvertes de la botanique. Tana éditions, 2023. Les éditions Tana publient des livres concernant la pratique écologique
- Des lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
- Une vision nouvelle des animaux : https://vivreetesperer.com/une-vision-nouvelle-des-animaux/
- Jane Goodhall : Une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
- Réenchanter notre relation avec le vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/
par jean | Avr 12, 2023 | Emergence écologique |
« Quand le loup habitera avec l’agneau »
Selon Vinciane Despret
Dans le contexte de la mutation actuelle qui ramène l’humanité au sein de la nature, des représentations humaines changent en profondeur. Ce changement de représentations, entre autres des femmes, des enfants, et, plus récemment, des animaux, traduit, à l’encontre des malheurs du siècle, une évolution en profondeur de la conscience humaine. Aujourd’hui, on constate un changement spectaculaire de la représentation des animaux. Vinciane Despret, à la fois philosophe et éthologiste, nous propose un récit engagé qui vient nous surprendre et nous étonner au sens le plus fort. Déjà auteur de livres pionniers sur ce sujet, elle nous offre une vision d’ensemble dans son ouvrage le plus récent : « Le loup habitera avec l’agneau » (1).
Certes, il est difficile de rendre compte d’une pensée qui est particulièrement subtile et mouvante, examinant telle proposition et son contraire, et refusant de s’arrêter à telle hypothèse pour en tester d’autres à la recherche d’un juste milieu. Cependant, cette intelligence attire, et, à sa suite, nous y voyons plus clair sur les méandres de la recherche en ce domaine et la manière dont elle sort aujourd’hui des schémas idéologiques du darwinisme social et du behaviorisme. Dépourvue d’expertise en ce domaine, cette présentation a seulement pour but d’attirer notre attention sur un changement majeur dans notre manière de considérer les animaux, et par suite les rapports entre le monde animal et le monde humain. Tout commence par un constat amplement rapporté sur la page de couverture :
« Les animaux ont bien changé au cours des dernières années. Les babouins mâles qui semblaient tellement préoccupés de hiérarchie et de compétition nous disent à présent que leur société s’organise autour de l’amitié avec les femelles. Les corbeaux qui avaient si mauvaise réputation nous apprennent que quand l’un d’eux trouve sa nourriture, il en appelle à d’autres pour la partager. Les moutons, dont on pensait qu’ils étaient si moutonniers, n’ont aujourd’hui plus rien à envier aux chimpanzés du point de vue de leur intelligence sociale. Et, nombre d’animaux qui refusaient de parler dans les laboratoires behavioristes se sont mis à entretenir de véritables conversations avec leurs scientifiques. Ces animaux ont été capables de transformer les chercheurs pour qu’ils deviennent plus intelligents et apprennent à leur poser enfin de bonnes questions. Et ces nouvelles questions ont, à leur tour, transformé les animaux ». Ainsi le changement de représentation des animaux intervient au carrefour du changement de mentalités des humains emportés dans une vision nouvelle et qui se départissent de leur égocentrisme et de leur esprit dominateur, et par suite des projections en ce sens sur les animaux, de fait manipulés, et de la reconnaissance d’une forme de créativité animale qui peut être encouragée par des attitudes nouvelles de la part des humains.
Autour des origines de l’homme
L’humanité s’inscrit dans le continuum du vivant et donc dans un rapport avec la vie animale. Elle en dérive selon la théorie de l’évolution élaborée par Darwin au XIXe siècle. Mais alors, on s’est interrogé sur l’origine de l’homme. « Les occidentaux vont chercher dans la nature celui qui sera leur ancêtre. Le primate non humain en sera l’élu » ( p 39). L’auteure examine comment Darwin a choisi cette option. Son projet a été de « repérer les éléments qui plaident pour la continuité des formes du vivant, pour en retracer l’histoire. Il faut trouver des similitudes et des différences qui permettent de retracer notre histoire selon un ordre cohérent avec l’idée de progrès. Il faut donc montrer que le singe qui deviendra le singe des origines nous ressemble suffisamment sous certains aspects, pour témoigner de la filiation. Or le singe n’est pas le seul en cause dans cette histoire de l’origine. Le sauvage est lui aussi convoqué à témoigner… Il doit se situer entre le primate et l’homme civilisé. Le primitif doit témoigner de son progrès par rapport au premier (le singe), et du progrès du second (l’humain) par rapport à lui-même » (p 45). Or, dans la culture à laquelle appartient Darwin, le sauvage de cette époque est mal famé. Darwin s’est tourné alors vers les primates. Et il perçoit chez eux une vertu : « la régulation de la sexualité – dont la jalousie du mâle devient la garantie » (p 49). Si d’autres représentations de l’animal étaient présentes dans cette culture, Darwin, après avoir beaucoup hésité, a choisi « un animal de conflit, de compétition, de guerre et de jalousie » (p 51). « On pourrait dire que ce mâle belliqueux mobilisé par une compétition sans fin autour des femelles est sans doute tout à fait dans la logique de la théorie darwinienne, puisque la sélection est fondée sur la compétition des individus » (p 44).
Au XXe siècle, ce modèle de la dominance des mâles a encore polarisé l’attention des primatologues dans leurs recherches. Mais depuis quelques décennies, cette approche dominante a été battue en brèche, notamment à travers l’engagement de femmes primatologues. A cet égard, le rôle de Jane Goodhall fut emblématique (2). Une toute autre conception de la vie sociale des primates est apparue.
Sur un autre registre, rappelons que Freud s’est inspiré de la conception darwinienne des origines humaines. « C’est autour d’un extrait de Darwin que la proposition freudienne de l’origine de toute l’histoire s’articule : « Des habitudes de vie des singes supérieurs, écrit Freud, Darwin a conclu que l’homme a lui aussi vécu primitivement en petites hordes, à l’intérieur desquelles la jalousie du mâle le plus âgé et le plus fort empêchait la promiscuité sexuelle » (p 42). Freud envisagera donc notre ancêtre comme « un mâle jaloux et belliqueux » (p 42) à partir duquel il construira un récit des origines, une vision mortifère que dénonce Jeremy Rifkin dans son plaidoyer pour l’empathie (3).
A la fin du XIXe siècle, un naturaliste russe réfugié en Angleterre pour des raisons politiques, c’est à dire pour son adhésion aux thèses anarchistes, Pierre-Alexandre Kropotkine conteste l’accent mis par Darwin sur la compétition des individus comme fondement de la sélection naturelle. Certes, nous dit l’auteure, cette contestation peut être imputée à différents motifs : la philosophie politique de Kropotkine, pour une part, mais aussi parce que la nature est différente en Russie. Mais cette critique se fonde sur une analyse de la vie animale très différente de celle de Darwin. Dans son livre de 1902, « l’Entraide, un facteur de l’évolution », Kropotkine interroge les thèses darwiniennes. Il ne perçoit pas chez les animaux, une lutte de tous contre tous, une compétition féroce, mais « au contraire, des preuves de soutien mutuel, d’amitié et de solidarité : nourrir l’étranger, adopter l’orphelin, aider l’autre en difficulté… (p 53) (4). Si la guerre entre les différentes espèces est un fait, il y a « tout autant ou peut-être même plus, du soutien mutuel, de l’aide mutuelle entre les animaux… Les primates ne contredisent pas ce modèle… On peut affirmer que la sociabilité, l’action en commun, la protection mutuelle et un grand développement de sentiments… caractérisent la plupart des espèces de singe » (p 54).
L’auteure met en valeur l’originalité de la pensée de Kropotkine. « Les singes à qui Darwin demande d’apporter les preuves de la sélection naturelle et de l’évolution viennent chez Kropotkine apporter leurs concours à un autre projet : celui de témoigner de l’évolution de la nature, mais cette fois en rompant avec le régime de la compétition. De la même manière que les primitifs semblent exiger, au fur et à mesure du temps et des recherches, une autre manière de les connaître, la nature enrôle Kroptkine dans une autre histoire » (p 63). Dans l’approche de Kropotkine, l’auteure fait reconnaître une proximité avec sa propre critique des schémas stéréotypés d’une méthode scientifique longtemps dominante. « Comment pourrait-on prétendre rendre compte de ceux qu’on ne se donne pas la peine de connaître et de comprendre ? Comment peut-on prétendre s’intéresser à ceux à qui on ne donne aucune chance de nous mobiliser ? Comment espérer construire un savoir fiable à propos de ceux à qui n’est laissée aucune possibilité de surprendre, d’étonner, de décentrer celui qui s’adresse à eux, et de raconter une autre histoire ? (p 62).
Pourquoi l’approche de Kropotkine a-t-elle été oubliée ensuite pendant des décennies ? Sans doute, sa biologie comme sa pensée politique, sont apparues à son époque, comme « exotique » par rapport à la culture dominante. « Il fut longtemps relégué aux oubliettes de l’histoire naturelle » (p 66). Mais, soixante-dix ans plus tard, les suspicions de Kropotkine réapparaissent dans la contestation du « rôle que l’on a fait jouer, dans l’histoire de nos origines, à un babouin belliqueux et jaloux : la critique de l’idéologie qui marque les mythes des origines ; le rôle décisif d’un nouvelle anthropologie dans la manière d’en interroger les acteurs ; la remise en cause des généralisations hâtives au départ de quelques espèces de primates choisies ; l’exigence d’une autre manière de poser les questions dans une perspective marquée par une conscience politique » (p 66).
Révéler le potentiel de l’animal
Et si nous interrogeons les animaux en les inscrivant dans nos questions, pourrait-on leur donner une chance de s’exprimer en nous instruisant ? Après s’être référé aux ouvrages de Darwin et de Kropotkine, Vinciane Despret nous introduit dans un livre original, trop vite oublié. Au milieu du XIXe siècle, « le naturaliste anglais, Edward Pett Thompson s’attela au superbe travail de mieux faire connaître les animaux à ses contemporains… dans son troisième et dernier ouvrage : « The Passions of animals », publié en 1851, les singes seront des acteurs privilégiés… » (p 68). « Le singes mis en scène par Thompson… ces singes justiciers, espiègles, manipulateurs d’outils, guerriers stratèges, menteurs impénitents ou rois de l’évasion, nous ressemblent. Le choix de ces histoires n’a rien de fortuit : d’abord, ces singes présentent des compétences que nous avons longtemps pensé être exclusivement les nôtres. Non seulement leur intelligence est stupéfiante, leur sens de la coopération édifiant, mais ils semblent aussi partager les mêmes émotions que les nôtres » (p 71). Cependant, l’ambition de Thompson va plus loin : « Ce n’est pas une simple démonstration de compétence qu’il s’agit d’élaborer. Il demande plus au singe : il lui demande certes de l’aider à construire la proximité – « comme il nous ressemble ! » – mais en y prenant la part la plus active possible, en témoignant de sa propre volonté de se conduire en humain » (p 72).
Une perspective évolutionniste implique une continuité entre le monde animal et l’humanité qui apparait à sa suite. Mais Thompson ne s’inscrit pas dans la théorie de l’évolution. Il est créationniste. « La chaine continue des « existants » est une chaine statique agencée telle quelle dès les premiers jours du travail divin ». Pourtant, dans ce contexte, depuis le XVIIe siècle, était apparue une certaine conception : « la théorie de la chaine du vivant ». On y remarqua des intervalles et « nombre de penseurs s’attelèrent à la tâche de les remplir en se mettant à traquer les ressemblances » (p 73-74). Il y donc, dès cette époque, une recherche des ressemblances. Mais, « ce n’est cependant pas dans cette perspective métaphysique que Thompson s’efforce de maximaliser les ressemblances ». Ici, « les singes ne sont mobilisés ni dans un problème de continuité d’une chaine statique, comme ils l’étaient jusqu’alors, ni dans un projet d’évolution comme ils le seront quelques années plus tard… ». C’est un autre projet que Thompson s’est efforcé de réaliser. « L’objectif de ce livre sera de collaborer à la promotion d’une meilleure estimation de la valeur et de l’utilité de la vie animale, en éveillant une attention adéquate et des sentiments de bonté pour les créatures animales, afin d’obtenir pour elles l’admiration et la protection qu’elles méritent » (p 75). Thompson va réfuter la manière dont la réussite des animaux est principalement attribuée à l’instinct. « Il ne s’agit pas de nier le rôle de l’instinct, mais de laisser, parallèlement à l’existence d’invariants, les possibilités pour la variabilité, et surtout pour le changement (p 77). « La critique de l’instinct est une pièce majeure… Si Thompson fait tant d’effort pour démonter ce vieux préjugé de l’instinct, ce n’est pas seulement parce que l’instinct fait de l’animal une sorte de mécanique aveugle… C’est parce qu’il empêche les animaux de changer ; ou plutôt, parce qu’il s’agit surtout d’un malentendu, parce qu’il empêche les hommes de penser que les animaux peuvent changer » (p 81).
Thompson « s’attaque à une autre préjugé : celui qui nous mène à hiérarchiser les animaux selon qu’ils soient domestiques ou sauvages ». Et de même, il conteste la préférence accordée aux herbivores par rapport aux carnivores jugés violents et cruels. Certains carnivores se laissent apprivoiser. « Les carnivores s’attachent à leurs gardiens ». « Les animaux sauvages sont en fait le plus souvent domesticables, pour une raison très simple : ils sont sociaux » (p 82). Thompson incite à une action d’apprivoisement, de domestication. « Ne laissons pas passer notre chance de les arracher à ce qui les rend sauvage ». « Cette chance est pourtant à la portée de notre main : C’est ce dont témoigne le miracle de l’apprivoisement de la hyène, celui des extraordinaires compétences des singes qui vivent en bonne entente avec l’homme et, plus généralement, le miracle de la socialisation des êtres. C’est le miracle de la domestication : faire émerger chez l’animal tout ce qui n’est qu’en puissance chez lui, ce qui tend à s’améliorer : la bonté, la douceur, la sociabilité. « Ils sont maintenant sauvages, mais quand les circonstances qui les contraignent à l’être changeront, la transformation morale deviendra un facteur naturel de la révolution intellectuelle et sociale que les prophètes hébreux prédisent » ( p 85). C’est ici qu’apparait le devenir à long terme et le fabuleux rêve de Thompson : accomplir ce que Dieu a promis : accomplir la plus vieille et la plus belle des prophéties, la prophétie d’Isaïe : « Le loup dormira avec l’agneau… et un petit enfant les conduira par la main » (p 85).
Vinciane Despret vient ici commenter le livre de Thompson et en montrer l’extraordinaire fécondité. A partir de cette prophétie, pourquoi ne pas « anticiper ? ». « Pourquoi ne pas donner à cette révolution annoncée par Esaïe ce qui est le destin de toutes prophéties : l’accomplir ? » (p 85). « Pourquoi ne pas nous transformer afin de pouvoir transformer les animaux ? La chance est à la portée de notre main : si nous nous transformons, si nous nous intéressons à eux, si nous cherchons avec patience tout ce qui n’attend que de s’actualiser, nous pourrons alors réaliser la prophétie » (p 86).
Et, en ce sens, c’est aussi modifier nos savoirs. « Les contraintes qui pèsent sur le savoir des hommes sont importantes. Le monde ne sera intéressant que si nous avons la chance de nous y intéresser. Il ne pourra être transformé que si nous acceptons de passer nous-mêmes par la transformation. Nous avons le monde que nos savoirs méritent » (p 87).Vinciane Desprez précise : si domestication, il y a, « l’arrachement à la nature n’a rien d’un détachement. Il s’agit plutôt d’une « socialisation » par laquelle les animaux entrent dans un monde qui s’efforce de se construire comme monde commun, et sont liés d’une manière nouvelle à ceux qui habitent ce monde… Emanciper, dans la perspective de Thompson, c’est libérer des mauvaises contraintes : ce n’est pas détacher, c’est attacher mieux. C’est trouver, comme le dit si joliment Bruno Latour, « dans les choses attachantes elles-mêmes, celles qui procurent de bons et durables liens ». Ce que Thompson propose en somme, c’est d’attacher mieux : les animaux aux hommes ; les hommes au monde, et le futur aux prophéties » (p 87). C’est une vision dynamique que Vinciane Despret exprime en ces termes : « Il faudra plus de savoirs et plus de pratiques pour créer un bon monde commun : celui dans lequel « le loup habitera avec l’agneau », celui dans lequel se trouvera, chez les enfants des hommes, quelqu’un pour les conduire par la main » (p 88).
Une manifestation nouvelle des animaux
Si la vision de Thompson est longtemps restée sans héritiers, au cours des toutes dernières décennies, le regard sur les animaux est en train de changer (4). Si les animaux ont été maltraités dans une économie industrielle, aujourd’hui, ils sont pris en considération à travers une sensibilité nouvelle. Et, dans la recherche psychologique, on assiste à un retournement spectaculaire des comportements à leur égard. Des lors, on découvre chez eux des qualités qui rejoignent celles que Thomson avait mis en valeur.
Vinciane Despret dresse un bilan. « Nous n’avons toujours pas été enrôlés par les animaux comme Thompson le souhaitait : l’élevage intensif, la disparition de nombreuses espèces, notre envahissement progressif de leurs territoire et, plus généralement le traitement infligé aux animaux témoignent de l’extension massive de contraintes qui ont rarement eu pour effet de « bien attacher ».
Mais des choses ont cependant changé. Certains d’entre nous sont en train d’inventer de nouveaux modes de communication, de nouvelles façons de penser le monde commun, de nouvelles habitudes, des enrôlements inédits. On retrouvera par exemple, du côté des mouvements antispécistes, les mouvements qui contestent le privilège accordé à l’humain, des héritiers tout-à-fait étonnants du projet de Thompson » (p 89).
Cependant, aujourd’hui, la démarche de certains chercheurs rejoint particulièrement l’inspiration de Thompson. « Pour construire la paix, et pour préserver leurs animaux, les éthologistes ont modifié certaines de leurs habitudes. Shirley Strum raconte ainsi que lorsque des bergers se sont trouvé confrontés au problème d’une trop grand prédation de leurs moutons, par les coyotes, des écologistes tentèrent l’expérience de dégouter les prédateurs en leur faisant ingérer une viande de mouton à laquelle avait été ajouté un vomitif puissant… Il s’agit bien de modifier les habitudes pour rendre la paix possible.
Ce qui a changé aussi et qui constituait un des ressorts du projet de Thompson n’a échappé à personne : certains animaux ont réussi à nous mobiliser dans de nouvelles histoires. Ils ont ainsi réussi, avec leur porte-parole humains, non seulement à nous intéresser, à nous donner envie de les connaître, mais aussi à actualiser des compétences inattendues, à être transformés, et à revenir en force depuis le temps où Thomson les convoquait dans ses histoires pour leur demander de nous surprendre… Le corbeau qui s’est lié avec le chien nous reviendra ces dernières années, dans les recherches de Bernd Heinrich… Les babouins qui s’organisent pour piller les jardins obligeront Shirley Strum à modifier ses pratiques… Elle les a « arraché à ce qui les contraignait à être ce qu’ils étaient », c’est-à-dire un problème pour les cultivateurs… Ceux qui ont été observés par Hans Kummer arriveront à convaincre ce dernier qu’il est leur berger » (p 91).
Longtemps, la culture dominante a fait opposition au projet de Thompson. « Tous ces animaux, corbeau amical, orang-outan organisé, singe menteur, babouin coopératif ont du attendre longtemps avant de revenir sur le devant de la scène, avant de réussir à mobiliser notre intérêt, avant que leurs compétences nous mènent à nous adresser à eux » (p 92). Une certaine conception de la science faisait obstacle. Marqués par « des ambitions de « faire science », les scientifiques s’obligeaient à renoncer à la tentation de chercher chez les animaux des traits qui les donnent comme semblables à nous » (p 94). Le « péché d’anthropomorphisme » était inacceptable pour la primatologie et la psychologie animale à cette époque (p 93). Et, d’autre part, l’extraordinaire ne pouvait être pris en compte dans des dispositifs adonnés à la répétition en vue de l’obtention d’une preuve (p 95). L’auteure nous relate ensuite la maltraitance à laquelle les animaux ont été soumis dans les laboratoires. Cependant, une nouvelle pratique scientifique a réussi à dépasser ces égarements. L’auteure nous ouvre la perspective d’une « éthologie » en devenir.
Une recherche respectueuse et ouverte à la nouveauté
Vinciane Despret nous fait part d’un renouvellement de la conception de l’éthologie. « L’éthologie, généralement science des comportements, y renoue avec son étymologie : « ethos », les mœurs, les habitudes ». L’auteure envisage donc l’éthologie comme « pratique des habitudes » (p 126). « En traduisant l’éthologie comme une pratique des habitudes, je peux définir ma recherche comme l’exploration de l’agencement de ces habitudes. Comment les habitudes des chercheurs et celles de leurs animaux ont-elles constitué, les uns pour les autres, des occasions de transformation ? » (p 126). En examinant les habitudes des chercheurs, l’auteur en vient à célébrer « les réussites, lisibles dans les transformations les plus intéressantes dont leurs recherches témoignent : « la politesse de faire connaissance ». Je peux, à la suite de Shirley Strum, définir cette politesse comme l’exigence de ne pas construire un savoir « dans le dos » de ceux à qui elle adresse ses questions. Ainsi Vinciane Despret envisage « l’éthologie qui l’intéresse comme « une pratique polie des habitudes ». « Pour rendre compte du travail des éthologues les plus polis, je peux, comme ils le font pour leurs animaux, chercher « ce qui compte pour eux » (p 126).
Ainsi, dit-elle s’intéresser aux histoires très diverses des éthologistes dans la relation avec leurs animaux. Elle nous rapporte différentes histoires. Par exemple, elle revient sur la recherche concernant les primates. Elle y constate « un regain de politesse de la part des chercheurs ». Les primatologues ont décidé « de s’intéresser à ce qui intéresse ceux qu’ils interrogent ». « Ils ont été enrôlés par les problèmes de ceux à qui ils adressaient leurs questions» (p 136). Une histoire exemplaire fut celle de Jane Goodhal auprès des chimpanzés de Gombé et trouvant chez l’un d’entre eux, David Greybeard, non seulement une personnalité créative, mais aussi « un allié médiateur lui enseignant les règles de politesse et d’hospitalité » (p 142-143) (2).
Vinciane Despret a trouvé chez le philosophe américain William James un accompagnateur dans son approche de recherche. « Cette vertu de l’action pratique que je propose de cultiver sous la forme de « juste milieu », et qui désigne dans ce que j’essaie de faire, une des manières de répondre à l’exigence de politesse du « faire connaissance », me fait en fait rejoindre un des philosophes les plus « polis » de notre tradition : le philosophe William James » (p 137). L’auteure nous dit en quoi elle se trouve confortée par cette philosophie. « Nous ne devons pas nous contenter de chercher chez le seul sujet connaissant les conditions qui rendent possible cet événement : « connaître ». Nous devons interroger aussi et surtout, les possibilités d’être connu dans ce qui se donne à connaître… Nous saisirons que « ce qui réellement existe, ce ne sont pas les choses faites, mais les choses en train de se faire ». (p 138). « Pour bien connaître, « Placez-vous au point de vue du faire à l’intérieur des choses » (p 140). Et, « connaître, ce n’est pas traduire comment nos idées sont pensées, mais comment elles nous font penser ». « Connaître, c’est explorer un régime d’autorisation et de « rendre capable » (p 148). Au total, Vinciane Despret nous invite à explorer « la manière dont les animaux se présentent comme participants actifs dans la constitution de ce qui peut compter comme savoir scientifique : la manière dont ils font faire des choses à leurs chercheurs ». Comme l’écrit si justement, Donna Haraway, « du point de vue des projets des biologistes, les animaux résistent, rendent capables, perturbent, engagent, contraignent et exhibent. Ils agissent et signifient ».
Vinciane Despret nous apprend dans ce livre à envisager de multiples points de vue, de multiples propositions qui se côtoient pour trouver un chemin, un dépassement à travers les oppositions. C’est une école de pensée. Et elle aborde ici la grande question des origines de l’humanité et des rapports entre l’humanité et le monde animal. Les idées à ce sujet ont beaucoup évolué au cours de ces deux derniers siècles. Au cours des toutes dernières décennies, un tournant est apparu : dans des formes diverses, la découverte d’une conscience animale et une reconnaissance progressive de la personnalité des animaux. Il y a là un mouvement culturel de grande ampleur (4). Les éthologues et les primatologues, échappent peu à peu aux préjugés contraignants auxquels ils voulaient soumettre les animaux. L’humanité perçoit de plus en plus aujourd’hui qu’elle s’inscrit dans un continuum avec le monde animal. Elle n’échappe pas à la nature, mais en fait partie. Cependant, nous ressentons aujourd’hui les tourments qui affectent le monde. Nous nous rappelons ici un texte de Paul selon lequel « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Épitre aux Romains). Cependant, dans une perspective chrétienne, en Christ, il y a bien un mouvement en cours vers une terre nouvelle dans la perspective des prophéties bibliques dont fait partie le texte d’Esaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du cabri, le veau et le jeune lion mangeront ensemble. Un petit garçon les conduira » (Esaïe 11.6-10). On peut envisager la montée de la conscience unifiante qui apparaît aujourd’hui, cette exigence de respect et de compréhension avancée par Vinciane Despret comme une étape. Et c’est le terme ‘préfiguration’ qui nous vient à l’esprit.
J H
- Vinciane Despret. Le loup habitera avec l’agneau. Nouvelle édition augmentée. Les empêcheurs de tourner en rond, 2020
- Jane Lindall : une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
- Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin : https://www.temoins.com/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux/
- Nicole Laurin. Les animaux dans la conscience humaine. Questions d’aujourd’hui et de toujours. Théologiques, 2002 : https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n1-theologi714/008154ar/