Une identité qui se manifeste à travers la narration, d’après la philosophie de la reconstruction de Paul Ricoeur : « Soi-même comme un autre »
Comment nous percevons nous, nous-même ? Comment envisageons-nous notre chemin de vie ? Comment l’exprimons-nous ? Quel regard portons-nous sur notre parcours, sur ses défaillances comme sur ses points forts ? Percevons-nous notre vie en termes de moments dispersés et contradictoires ou bien comme orientée dans une même direction. Et, lorsque nous ressentons le besoin de faire le point, au moyen d’une narration, d’un récit, n’est-ce pas là que peut se manifester une conscience du mouvement de notre personnalité et de la vocation que nous y percevons ? Ce peut être ainsi une manière de prendre davantage conscience de nous-même, de ce qui nous nous tient à cœur, de ce à quoi nous nous sentons appelés. Nous pouvons ainsi exprimer une assurance dans le contexte du témoignage, une ‘attestation’ dans le langage du philosophe Paul Ricoeur pour qui l’idéal de vie consiste à ‘vivre bien avec et pour les autres dans des institutions justes’. Cette identité narrative est étudiée dans un livre de la philosophe Corine Pelluchon (1) : ‘Paul Ricoeur, philosophie de la reconstruction. Soin, attestation, justice’ (2). L’auteure y commente un livre majeur de Paul Ricoeur : ‘Soi-même comme un autre’.
A quelles questions ce livre veut-il répondre ? « Comment retrouver notre capacité d’agir quand nos repères s‘effondrent à la suite d’évènements traumatiques ? Quelle conception du sujet rend justice à la dimension narrative de l’identité ainsi qu’au tôle décisif joué par autrui et par les normes sociales dans la constitution de soi ? … » (page de couverture).
Par ailleurs, dépourvu de formation philosophique stricto sensu, nous ne rendrons pas compte de l’ensemble du livre, mais après avoir repris quelques considérations sur l’œuvre de Paul Ricoeur, nous présenterons l’approche narrative, en évoquant en fin de parcours ‘les prolongements de la théorie narrative en médecine et en politique’.
L’œuvre de Paul Ricoeur
Corine Pelluchon nous raconte d’abord comment ce livre est issu d’un séminaire consacré à l’étude de ‘Soi-même comme un autre’ et intitulé ‘Soin, attestation, justice’ dans le cadre d’un parcours en ‘Humanités médicales’. En 2021, l’auteure a approfondi sa réflexion sur Paul Ricoeur. « C’est ainsi qu’est né ce livre dans le but de faire comprendre une œuvre magistrale » (p 9).
Quel est l’esprit de cette œuvre ? « L’œuvre de Paul Ricoeur est une œuvre de reconstruction. Ce mot doit s’entendre de plusieurs manières qui s’entremêlent dans ‘Soi-même comme un autre’. La reconstruction est le fruit de la réflexion entendue comme réappropriation de notre effort pour exister. La réflexion en tant que telle est ressaisie de soi… Par l’interprétation, le sens, reconfiguré, permet au sujet de faire le lien entre le passé, le présent et l’avenir, c’est-à-dire d’affirmer son identité narrative et de pouvoir se poser comme un sujet capable de tenir ses promesses » (p 10). Ainsi, nous entendons la réflexion de Paul Ricoeur comme un aide « à mener une vie bonne dans un monde qui ne l’est pas » (p 11). C’est nous encourager à exister, à surmonter les crises, à poursuivre une action en personne responsable.
Paul Ricoeur adopte une ‘phénoménologie herméneutique’ qui se manifeste dans une approche constructive. Il s’oppose aux ‘herméneutes du soupçon’. « L’ambition de Paul Ricoeur est d’élaborer une philosophie rendant possible l’action d’un sujet soumis à la passivité… mais également capable d’initiatives… Si on ne rend pas justice à cette faculté qu’a l’être humain de se poser comme un sujet et de se reconnaitre dans ses actes, on ne peut plus parler de liberté et de responsabilité » (p 11). « Dans ‘Soi-même comme un autre’, les différents fils de son œuvre se rassemblent autour d’un motif central : bâtir une ontologie de l’agir qui donne du sens à l’action individuelle en dépit des épreuves et aide aussi à penser les conditions d’une revitalisation de l’espace politique sans laquelle les institutions démocratiques ne sont que des coquilles vides » (p 13).
La réflexion de Paul Ricoeur vient nous aider à être nous-même en traversant les crises et en éclairant notre travail de reconstruction. « Pour assumer sa parole et ses actes, être quelqu’un qui ne dit pas seulement « je », mais « me voici », il est indispensable de se penser comme moi, et non pas comme un moi quelconque. Continuer d’exister, se reconstituer après une dépression ayant provoqué l’effondrement du psychisme, rétablir de la cohérence dans une existence marquée par de nombreuses ruptures, penser sans illusion rétrospective que sa vie possède une unité malgré la discontinuité, redéfinir ses priorités, être disponible pour les autres et, de nouveau pouvoir s’engager parce que l’on croit à l’avenir : tel est le sens de l’herméneutique de soi que Paul Ricoeur parachève dans cet ouvrage dont la notion cardinale est celle d’attestation » (p 14).
Le sens d’une vie
Identité narrative et herméneutique de soi
A travers l’expression d’une histoire de vie, de ce récit, de cette narration, on découvre l’originalité, la singularité de sa personnalité, de son identité, ce qui se traduit en une interprétation, une herméneutique de soi.
« Parler d’identité narrative signifie d’abord que la connaissance de soi passe par le fait de se raconter, de tisser les différents évènements de sa vie pour leur conférer une unité et un sens qui n’est pas définitif et n’exclue pas la remise en question. L’identité n’est pas figée, ni à priori ; elle se transforme et se construit à travers les histoires que nous racontons sur nous-mêmes et sur les autres, et elle se nourrit des lectures et des interprétations qui enrichissent notre perception du monde et de nous. Plus précisément, l’identité narrative fait tenir ensemble les deux pôles dont la fiction littéraire présentant des cas-limites soulignent l’écart maximal. En effet, quand on parle de soi et qu’on veut se connaitre ou se faire connaitre à quelqu’un pour être compris de lui, on se raconte en mêlant des éléments reflétant à la fois son caractère (le ‘quoi’) et le maintien de soi, l’ipse (le ‘qui’). Or l’intérêt de la théorie narrative est de détailler les opérations mises en œuvre pour conjuguer l’unité et la diversité de sa vie » (p 120).
L’auteure met l’accent sur la tension entre unité et diversité au cours des vies. « Notre identité se construit par la manière dont nous agençons les évènements et les interprétons, en reconnaissant que certains s’inscrivent dans une certaine continuité avec ce que nous étions (idem), alors que d’autres nous ont poussé à remanier nos valeurs et à procéder à des changements importants de notre ipséité » (p 121) « Alors, la première opération que la théorie narrative met en avant est la configuration : le récit est un art de composition servant à faire le lien entre la concordance et la discordance. Se raconter, se connaitre, s’interpréter, c’est procéder à une synthèse de l’hétérogène… » (p 121).
Cette approche contribue non seulement à permettre à la personne de reconnaître la dynamique de sa vie, d’en bénéficier et, à la limite, de la partager, mais aussi de traverse des crises et d’en ressortir. « La notion d’unité narrative de la vie est essentielle si l’on veut saisir l’effort par lequel un individu tente de se reconstruire après une crise existentielle » (p 123). Dans une perspective qui débouche sur l’engagement de la personne, Paul Ricoeur en privilégie le ressort : une motivation enracinée dans l’histoire de vie : « Parce que l’identité narrative est une étape dans la construction de son concept d’attestation, Ricoeur privilégie la dimension de cohérence sur celle de discordance » (p 126). La crise peut déboucher sur un rebondissement. « Le sujet se rassemble après l’évènement ou les évènements l’ayant brisé. Bien plus, pour pouvoir répondre à l’appel des autres, il doit retrouver l’estime de soi ». (p 126). « Dans le projet d’ensemble de Paul Ricoeur, la notion d’unité narrative est un des éléments de son ontologie de l’agir, qui est une ontologie de l’homme capable, agissant et souffrant. Cette prise en compte de l’existant toujours situé dans un contexte social et géographique et qui a besoin, pour s’épanouir, de s’affirmer dans plusieurs domaines et d’être reconnu, le mène, pour introduire sa conception de l’unité narrative de la vie à distinguer des plans de vie, c’est-à-dire de vastes unités pratiques comme la vie professionnelle, familiale ou associative » (p 127)
La mise en œuvre d’une identité narrative n’est pas sans rencontrer des difficultés auxquelles l’auteure prête attention.
« Ne raconte-t-on pas uniquement ce qui a été métabolisé ou ce qui est métabolisable ? Jusqu’où et à quelles conditions faut-il accorder du crédit à la notion d’identité narrative, qui implique que le sujet appréhende l’unité de sa vie ? (p 123). Elle aborde aussi le cas des personnes atteintes de la maladie d’Alzeimer. En bref, « ces personnes ne se rappellent plus ce qu’elles ont fait et qui elles étaient… La capacité de rassembler sa vie en un tout est compromise par la maladie d’Alzeimer. L’enfermement dans le présent, caractéristique de cette pathologie, semble rendre la notion d’identité narrative totalement inopérante » (p 137) ; cependant, « il serait inexact de dire que la maladie d’Alzeimer prive la personne de son identité ». L’auteure aborde alors les modalités de son accompagnement.
Corine Pelluchon traite également des difficultés ressenties par les personnes ayant vécu une abomination. « Qu’il existe des narrations empêchées parce que le traumatisme n’est pas dicible, ou parce qu’en faire le récit serait s’infliger une peine supplémentaire puisqu’il ne serait pas reçu, souligne en creux l’importance de la narration. Celle-ci ne vise pas forcément à restaurer l’unité de vie, à rendre acceptable ce qui ne l’est pas ou à réparer l’irréparable. Toutefois, le témoignage peut donner un nouveau sens à la vie, comme on le voit dans l’œuvre de Semprun qui a beaucoup écrit, à partir des années 1960, sur la déportation » (p 135). Là, l’auteure souligne que la difficulté de s’exprimer dans une narration n’entame en rien ‘l’importance du récit dans l’existence’. Parfois, « la difficulté de vivre est aussi une difficulté de raconter et de se raconter… Pourtant, le récit existe. Même brisé, il ouvre le possible, puisqu’aucun récit ne clôt le sens, ne serait-ce que parce qu’il est lu par d’autres » (p 136).
Ainsi, Corine Pelluchon en arrive à affirmer le rôle essentiel du récit : « Le récit est un existential, une structure de l’existence. Notre identité est narrative, même si nous ne pouvons totalement nous rassembler et présenter une synthèse de l’hétérogène conférant une unité à notre existence et nous permettant de regarder l’avenir avec confiance. Dire que le récit est un existential signifie qu’il est nécessaire à la compréhension de soi et qu’il permet aussi de tenir bon, même quand il est différé et qu’il s’agit d’un récit qui parle de l’inénarrable ou met en scène la dissolution du soi… Le récit n’est pas seulement nécessaire sur le plan moral pour être un sujet responsable sachant quelles sont ses valeurs et ses priorités. Pour exister comme sujet, il faut pouvoir se raconter, même par bribes ou en confessant que l’on ne parvient pas à supprimer la déchirure » (p 136). L’auteure évoque également la psychanalyse : « Que la narration soit un existential apparait avec force quand on pense aux personnes qui reproduisent le refoulé sous la forme de symptômes et que la mise en récit de soi, comme la psychanalyse, peut aider (p 137).
L’approche narrative en médecine
Corine Pelluchon poursuit son étude de la mise en œuvre de la théorie narrative de Paul Ricoeur dans les champs de la médecine et de la politique.
L’apparition d’une médecine narrative s’inscrit dans un mouvement d’humanisation d’une profession tentée par une technicisation outrancière.
« Née aux Etats-Unis à la fin des années 1990 sous l’impulsion de Rita Sharon, professeur de médecine clinique à l’Université de Columbia, la médecine narrative, qui connait désormais un certain succès en France, répond à deux objectifs. Le premier est d’établir une relation entre médecins et patients qui soit fondée sur l’empathie et l’écoute attentive, afin que les traitements soient adaptés aux personnes et que le malade ne se sente pas objectivé. Le deuxième objectif de la médecine narrative est d’aider les soignants à réfléchir à leur métier, qui les confronte à la souffrance et à la mort, et à s’interroger sur le sens du soin en prenant en compte à la fois la souffrance des personnes et les contraintes économiques et relationnelles.
Bien que Rita Sharon ne se réfère pas à Ricoeur et que ceux qu’elle a inspiré connaissent souvent mal ce philosophe, la médecine narrative illustre ce qu’il écrit sur la narration et son herméneutique de soi éclaire même certains aspects de cette pratique » (p 141). L’auteure nous montre comment la médecine narrative rejoint l’approche de Paul Ricoeur. « La médecine narrative suppose en premier lieu de reconnaitre que les patients ont des histoires à raconter. Pour se connaitre et se faire connaitre à autrui, il faut se raconter, mettre en récit sa vie… Cet aspect est consonant avec la phénoménologie herméneutique de Ricoeur et avec son insistance sur le récit en première personne, qui découvre un sujet incarné et toujours situé… En termes ricoeuriens, on dira que la première compétence que la médecine narrative cherche à développer est la capacité de reconnaitre que le patient a besoin d’énoncer les symptômes motivant sa demande de soins, et de raconter une histoire lui permettant d’insérer l’épisode pathologique, qui est toujours vécu comme une rupture de l’unité – une discordance – dans une unité, une série d’évènements – une concordance. En mettant en intrigue les évènements de sa vie et en situant sa maladie à un certain moment de son existence, le récit aide le malade à reconfigurer le temps et à donner du sens à ce qui lui arrive » (p 142).
« La médecine narrative passe par un travail sur les textes des patients… Cette analyse doit aider le soignant à appréhender le désir du narrateur, c’est-à-dire qu’il doit lui permettre de comprendre le sens que le patient donne à sa maladie. Cette manière de procéder évite de faire disparaitre le malade derrière sa maladie et de réduire celle-ci à sa dimension objective (disease) en négligeant sa dimension narrative (illness) » (p 143). Rita Sharon comme Paul Ricoeur critique le positivisme « Non seulement le vécu du malade ne doit pas être éclipsé par une ontologie de l’évènement, mais, de surcroit, la médecine elle-même est un art de l’interprétation… Le choix des traitements et l’accompagnement supposent de s’appuyer sur le vécu du malade et de chercher le sens global qu’il confère à sa maladie. Ainsi la médecine narrative rejoint-elle la phénoménologie herméneutique pour postuler un certain holisme de la compréhension » (p 144). La compétence narrative ne se borne pas à « reconnaitre les histoires des patients, mais aussi à les absorber, les interpréter et être émus par elles ». « Si les récits sont si éclairants, c’est parce que leurs auteurs ne relatent pas seulement des faits, mais décrivent leur vécu » (p 145). Si « le récit est lu au soignant qui va s’en servir comme d’un support pour élaborer avec le patient une démarche thérapeutique », il contribue également à ce que l’identité de la personne puisse se recomposer (p 146).
Cette approche se développe à l’encontre des dérives technicistes de la médecine. « Affirmer que la compétence première du soignant est une compétence narrative vise à répondre aux reproches adressés à la médecine contemporaine qui, en raison de sa haute technicité, tend à devenir impersonnelle et froide. Les contraintes économiques et l’organisation managériale de la santé aggravent ce phénomène. Le défaut d’écoute est compensé par l’inflation technologique et le soin est réduit à une protocolisation souvent déshumanisante (3). Pour briser ce cercle vicieux, la médecine narrative cherche à développer l’empathie, l’écoute attentive, et la capacité à comprendre les malades… Il s’agit de rééquilibrer le système de santé afin que la médecine, qui est une science et un art, et qui passe par la relation entre une équipe de soins et un sujet toujours singulier, soit plus juste et plus efficace » (p 142-143) (4).
Récit et politique
Corine Pelluchon aborde également le rôle du récit dans la constitution et l’entretien de l’identité d’une communauté politique. On se reportera à sa démonstration.
« En traitant des implications politiques du récit… Paul Ricoeur évoque Walter Benjamin qui, dans ‘Der erzähler’, publié en 1936, rappelle que l’art de raconter est ‘l’art d’échange des expériences’ et que celles-ci désignent, non l’observation scientifique, mais ‘l’exercice populaire de la sagesse pratique’. Ce texte, brièvement mentionné par Ricoeur est d’une grande pertinence quand on s’interroge sur le lien entre récit et politique » (p 153). Corine Pelluchon nous montre en quoi un manque de récit collectif pertinent engendre un désarroi politique : « Il y a un rapport étroit entre les crispations identitaires et l’impossibilité pour les individus de s’insérer dans un tissu d’expériences qui les précédent et les dépassent en les interprétant sans clore le sens. C’est pourquoi l’herméneutique est essentielle à la démocratie et contient la promesse d’une éthique interculturelle. Toutefois, avant de parler des conditions permettant à une communauté de construire un récit collectif qui ne s’apparente pas à une mystification et corresponde à une identité narrative, qui est par définition dynamique et ouverte aux influences étrangères, il importe d’insister sur une des affirmations principales de ‘Soi-même comme un autre’ : pour ‘rencontrer l’autre sans avoir peur de lui ni chercher à l’écraser, il faut savoir qui l’on est’. Pour ‘avoir en face de soi un autre que soi, il faut être un soi’ » (p 154).
N’en va-t-il pas de même collectivement ? Pour entrer pacifiquement en contact avec l’étranger, un peuple a besoin de se sentir lui-même.
« L’identité narrative implique l’ouverture à autrui comme aux autres cultures, mais cela exige que le noyau créateur d’un peuple qui renvoie aux images et symboles constituant un fonds culturel soit exploré et transmis » (p 154). C’est là aussi qu’une approche herméneutique, un travail d’interprétation et de réinterprétation est nécessaire. « Il ne s’agit pas de sacraliser un noyau éthico-mytique, mais de le soumettre à l’interprétation afin qu’une culture, prenant conscience d’elle-même, libère sa créativité. En l’absence d’un travail herméneutique visant à déchiffrer ces images et symboles qui forment ‘le rêve éveillé d’un groupe historique’, on ne peut rendre hommage à la diversité des cultures et s’y rapporter ‘autrement que par le choc de la conquête et de la domination’ » (p 153).
Cependant, nous dit Corine Pelluchon, l’âge moderne est marqué par le déclin du récit : manque de recul et manque de lien. On se reportera à son analyse inspirée par la réflexion de Walter Benjamin (p 156-159). Tout se tient. La reconnaissance des autres, la reconnaissance de l’étranger va de pair avec la connaissance de soi que ce livre présente en terme d’identité narrative.
« La connaissance de soi offre la capacité à aller vers l’autre, le travail sur les signes et les symboles de sa culture étant à la fois une condition de possibilité de l’accueil de l’autre et de l’hospitalité linguistique et leur conséquence » (p 161).
Voici une réflexion qui nous concerne. Comment nous percevons-nous ? Quel rapport entretenons-nous avec notre passé ? Et en quoi, le récit que nous pouvons en établir nous aide-t-il à déboucher sur un sens et sur un engagement ? Un autre philosophe, Charles Pépin envisage notre rapport avec le passé dans un livre : « Vivre avec son passé. Aller de l’avant » (5) Ainsi écrit-il :
« La question de l’identité personnelle est un des problèmes philosophiques les plus passionnants…. Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’individu singulier, nous distingue de tout autre ? Qu’est-ce qui demeure en nous de manière permanente et constitue ainsi le socle de notre identité ? … Si nous nous interrogeons en ce sens, nous sentons bien combien nous pensons notre être, notre personnalité à travers notre histoire personnelle ». Charles Pépin interroge à ce sujet d’autres philosophes, des écrivains. Nous retrouvons là la pensée éclairante de Bergson (6). Ainsi Bergson écrit : « Dans une conférence donnée à Madrid, Henri Bergson synthétise cette idée de ressaisir notre passé pour nous projeter dans l’avenir sous le concept de récapitulation créatrice ». Et, pour notre part, nous aimons la manière dont il envisage un élan vital : « L’élan vital se particularise en chacun de nous… Notre personnalité est plus que la condensation de l’histoire que nous avons vécue depuis notre naissance… Elle est notre identité, mais propulsée vers l’avant, traversée par cette force de vie qui nous pousse à agir, à créer. »
Si nous revenons à la théorie narrative de Paul Ricoeur, à travers le livre de Corine Pelluchon, nous découvrons combien elle est féconde dans un champ très vaste de l’identité personnelle envisagée sous la forme d’identité narrative jusqu’à la médecine et la politique. Voici une approche à même d’éclairer les histoires de vie dont la rédaction s’est multipliée dans les dernières décennies. C’est aussi un apport pour considérer les reconfigurations qui apparaissent dans les témoignages qui abondent aujourd’hui dans le registre chrétien.
J H
- Les lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
- Corinne Pelluchon. Paul Ricoeur, philosophe de la reconstruction. Soin, attestation, justice. PUF, 2022
- Pistes de résistance face à la montée d’une technocratie deshumanisante : https://vivreetesperer.com/pistes-de-resistance-face-a-la-montee-dune-technocratie-deshumanisante/
- Le soin est un humanisme : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
- Mieux vivre avec son passé : https://vivreetesperer.com/mieux-vivre-avec-son-passe/
- Bergson, notre contemporain : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/