Actualités
[custom-facebook-feed]
[custom-facebook-feed]
Reconnaitre les expériences de révélation en dehors de l’Eglise
Selon Robert K Johnston
En ce début du XXIè siècle, la recherche a commencé à mettre en évidence des expériences puissantes d’émerveillement en reprenant, pour les qualifier le terme de « awe », jadis employé pour exprimer une « crainte révérentielle » (1). Ces expériences sont vécues par des hommes et des femmes de toutes conditions, de pays différents, de convictions religieuses ou philosophiques variées. Ces expériences traduisent une reconnaissance de transcendance.
Elles pourraient et elles devraient être envisagées sous un angle théologique. A cet égard, la publication du livre de David Hay : « Something there » (2) ne faisait pas seulement apparaitre le phénomène à partir d’une collecte de données d’une grande ampleur, il en faisait ressortir la portée spirituelle. C’est un éclairage théologique sensible, documenté et argumenté que nous apporte à ce sujet le théologien Robert K Johnston dans un livre intitulé : « God’s wider présence. Reconsidering general revelation » avec un arrière-titre particulièrement significatif : « Finding God outside the church » ( Trouver Dieu en dehors de l’église ) (3). Il s’agit donc bien ici de ro-reconnaitre un phénomène souvent méconnu : la révélation divine dans de nombreuses expérience en dehors de tout cadre d’église. L’auteur : Robert K Johnston est professeur de théologie et de culture au Séminaire théologique Fuller, une faculté évangélique en Californie. Ces thèses innovantes reçoivent l’approbation d’un autre théologien évangélique enseignant dans la même faculté : Amos Yong :
« God’s wider presence » porte la dynamique de l’Esprit qui transfigure
les espaces et les temps à travers lesquelles toutes les créatures vivent, se déplacent, et ont leur existence. Un nouveau point de départ pour une réflexion théologique au XXIè siècle sur le domaine important concernant l‘expérience humaine et sa rencontre avec Dieu ». Voilà donc une importante avancée. Ce livre examine en profondeur tous les aspects de son objet .il met en évidence le phénomène, sa prise en compte ou sa méconnaissance par la théologie, la manière dont celle-ci interprète les textes bibliques à ce sujet, le renouvellement de la problématique par la théologie de l’Esprit (John V Taylor, Elizabeth Johnson, Jürgen Moltmann), la prise en compte de cette approche dans une théologie des religions. Nous nous bornerons ici à présenter la manière dont Robert K Johnston présente le phénomène et en dégage une interprétation théologique.
La plus grande révélation de Dieu
L’auteur met en évidence un travers de la théologie depuis l’époque des Lumières . Livre après livre, s’écrit comme un dialogue entre livres sur le même sujet. « Peu d’attention est prêtée à la source Originelle de leurs réflexions. Tout parait d’un second ordre…. Plutôt qu’envisager la théologie comme « connaissant Dieu », ce que quelques-uns appellent aujourd’hui « spiritualité », au cours des derniers siècles, nous avons, à la place, défini la théologie comme « une connaissance au sujet de Dieu ». Plutôt que de réfléchir sur notre expérience personnelle avec la Transcendance, nous nous sommes trop souvent dirigé vers une conviction intellectuelle fondée sur une argumentation philosophique » ( p 1-2) Cela a mené à une impasse dans le domaine de la théologie concernant la révélation générale. Aujourd’hui, le temps est venu de proposer une « théologie expérientielle, bibliquement fondée, concernant la plus grande présence de Dieu se révèlant » ( p 2).
Pour commencer, quelques histoires
« Comme la modernité touche à sa fin et que nous entrons toujours plus profondément dans la post-modernité, l’usage de témoignages de premier ordre devient de plus en plus important ». Il en va de même en théologie. Ainsi, si pour étudier la pensée théologique de Paul Tillich, beaucoup se réfèrent à sa méthode des corrélations comme une clé pour la comprendre, d’autres ont justement noté une expérience qu’il a eu étant jeune adulte et qui s’est révélée fondamentale pour sa théologie. Vivant dans l’horreur de la première guerre mondiale comme aumônier militaire sur le front, Tillich se vit accorder une permission. Retournant à Berlin, il entra pour une pause dans un musée d’art. Il vit là une peinture de Boticelli appelé : « Madone et enfant avec des anges qui chantent ».. Tillich compara l’évènement à un baptême. Il dit que l’expérience avait transformé son esprit. Il l’appela « presque une révélation ». l’ouvrant à une expérience humaine lui offrant « un analogique puissant » pour parler plus généralement de l’expérience religieuse. Il a dit que cela avait ouvert une percée. Tillich a appelé cette première expérience avec le tableau de Boticelli une « extase révélatrice » Il a écrit : « Un niveau de réalité « s’est ouvert à moi » (p 2). Robert K Johnston voit dans cette expérience primitive de la présence de Dieu par Paul Tillich une fondation pour ses réflexions théologiques ultérieures.
L’auteur nous apporte un autre exemple. On ne peut comprendre la théologie de CS Lewis sans lire son autobiographie : « Surprised by joy » (surpris par la joie). Dans ce livre, CS Lewis décrit une série d’expériences sporadiques qui sont advenues dans sa jeunesse » ( jeu, lecture, relation, écoute etc ). La lecture de « Phantasies » de George McDonald fut très importante pour lui. Ces expériences le surprirent de « joie ». Il évoque « une voix avec lui, dans ma chambre ou dans mon
corps ou derrière moi. Si elle m’avait échappé dans sa distance, elle m’échappait maintenant par sa proximité ». L’auteur commente : « Ce qui est à noter ici, c’est que ces rencontres avec le divin qui advinrent en dehors de l’Eglise et sans référence explicite à Jésus-Christ furent cruciales pour sa compréhension de la théologie » ( p 3).
Tiilich appela plus tard cette plus grande Présence de Dieu un « sentiment de préoccupation ultime »
(« feeling of ultimate concern ». Lewis parle de « joie ». L’auteur évoque également Friedrich Schleiermacher qui parle de « sentiment d’absolue dépendance « et Rudolf Otto qui décrit ses expériences comme « mysterium tremendum et fascinans » (un mytère qui est empli de crainte révérentielle et cependant attrayant »). Cependant Robert K Johnston montre que ces expériences fondatrices et transformantes ne concernent pas seulement des théologiens. Elles sont vécues aussi par des artistes.
Ces ressentis d’expériences de Révélation sont nombreux et importants
L’auteur cite de nouveaux exemples. Ainsi, « un des caractères du film d’ingmar Bergman : « Fanny and Alexander » (1982) parle des arts comme offrant des « frémissements surnaturels ». Einstein a dit à
un violoniste Yehudi Menuhim ; « Merci, monsieur Menuhim. Vous m’avez à nouveau prouvé qu’il y a un Dieu dans les cieux »…. A travers un sondage en 2000, on a trouvé que 20% des américains se tournaient vers les médias, les arts et la culture comme leur premier moyen d’expérience et d’expression spirituelles et le pourcentage a augmenté depuis » ( p 4). « Si la réalité des « médias, arts et culture » comme premier lieu de signification spirituelle dans la société occidentale est un stimulus pour reconsidérer notre théologie de le Présence révélatrice de Dieu en dehors de l’église et d’une référence directe à Jésus-Christ, nos rencontres de plus en plus fréquentes avec des adhérents d’autres religions en est un second. Qu’allons-nous faire des vues de foi et des expériences numineuses de ceux que nous rencontrons et qui ne sont pas chrétiens ? Le témoignage à une plus grande présence révélatrice de Dieu dans la vie est le témoignage de beaucoup, peut-être de la plupart des gens » ( p 4). C’est là que, pour appuyer son propos, Robert K Johnston puise dans la recherche de David Hay et Kate Hunt en Angleterre présentée depuis longtemps dans un article publié sur le site de Témoins (2). A partir d’un échantillon national en Angleterre, en 2000, tandis que seulement 10% des sondés allaient à l’église, 76% rapportaient avoir eu une expérience spirituelle de quelque manière et ces 76% rapportant une expérience spirituelle dépassait le nombre de ceux ayant une culture chrétienne. Hay et Hunt font observer que leurs résultats correspondent avec une évidence en religion comparative où on ne trouve, si il y en a, que très peu de limitations à la manière dont où et quand des moments d’éveil spirituel adviennent.
L’auteur confirme cette extrême diversité des modes d’expérience à partir de ses relations. Un tel s’est converti à Christ dans un temple bouddhiste. Tel autre a vécu une expérience de transcendance en regardant un film, tel autre en lisant Milton ( p 5)..
« Dans mon enseignement sur la théologie et les arts, c’était pour moi une expérience commune d’entendre des étudiants relater des expérience de transcendance qu’ils avaient eu regardant un film ou en lisant un livre » ( p 6).
Robert K Johnston récapitule ainsi : « Les expériences ne viennent pas seulement des arts, ni elles ne sont seulement une réponse à la rencontre de la nature, ou à la poursuite d’une bonne action. Ne pouvant être contraintes, elles viennent au hasard, mais, d’une façon persistante à travers la création, la conscience et la culture… Ce sont trois lieux de de la plus grande Présence de révélation divine » ( p 6). Q
Quelles questions à partir de ce phénomène,
Robert K Johnston, en théologien, énonce des questions soulevées par ce phénomène, auxquelles il répondra au long de son livre : « God’s wider presence ».
« Qu’allons-nous faire théologiquement des descriptions répétées de ces profondes expériences de vie qui sont comprises par les participants comme révélant Dieu ? Comment allons-nous comme chrétiens comprendre de tels moments divins qui semblent ne pas être premièrement destinés à notre salut… ( excepté, naturellement, dans le sens le plus large que toute activité de Dieu est ultimement interconnectée), mais plutôt centrés sur la grâce et la rencontre ? Comment allons-nous comprendre ces expériences théologiques de Dieu qui trouvent leurs racines trinitaires dans la pneumatologie (la théologie de l’Esprit) et non dans la christologie ? De telles expériences de révélation ne paraissent pas pouvoir être déduites par la raison humaine comme nous observons les empreintes (footprints) de Dieu dans la création bien qu’une telle déduction de trace, empreinte, vestige (que Luther appelait la connaissance naturelle) puisse avoir une validité très limitée. Non plus ces expériences sont-elles produites par un effort humain, bien qu’elles puissent être invitées et que certains aspects de la création, de la conscience et de la culture soient plus propices à leur réception ( un coucher de soleil plus qu’un parking en béton …). Non, les expériences que beaucoup considèrent comme une révélation sont plus que la réception d’un écho d’une activité passée de Dieu ou une projection humaine de ce qui est transcendanr à nous-même. Plutôt, ces rencontres avec la « awe », cette plus grande présence de la révélation divine sont toujours heureuses, quelque chose qui se tient au-delà d’un agenda ou d’une sagesse de l’homme, mais qui néanmoins a une valeur inhérente et, par moments, transformante pour ceux qui en font l’expérience » ( p 6)
Pourquoi méconnait-on la révélation de Dieu en dehors des églises ?
Autant il en a prouvé la réalité, Robert K Johnson nous montre la méconnaissance des expériences de la révélation divine. Reprenant l’expression selon laquelle « il y un pont entre le ciel et la terre, l’expérience humaine et le transcendant », Robert K Johnston écrit « Cependant les chrétiens ont largement ignoré ce pont quand il se manifestait en dehors de la communauté chrétienne et sans référence directe à Jésus-Christ. Ils ont trop souvent été méfiants vis-à-vis de la plus grande présence de la révélation divine » (7). L’auteur décrit quelques ressorts de cette attitude. Il dresse un bilan du petit nombre d’études publiées depuis cinquante ans au sujet de la « Révélation générale ».
Richard K Johnston va donc rechercher les raisons de silence : une définition trop étroite ; une compréhension biblique trop limitée ; une perception trop pessimiste de l’humanité.
« Plutôt que comprendre la Révélation générale comme toute rencontre avec le Transcendant qui advient en dehors de la communauté croyante et qui n’est pas directement en rapport avec la rédemption, beaucoup l’ont réduit à tort à un plus petit commun dénominateur, limitant la « Révélation générale » à ces vérités générales qui sont communiquées par Dieu à toutes les personnes, dans tous les temps et en tout lieu… C’est une révélation générée divinement, imposée à l’ensemble de l’humanité et impossible à éviter. Ainsi définie, la révélation général reste largement une abstraction – quelque chose que les déistes pourraient affirmer, mais qui est loin de la merveille qui est générée pour certains, par moments, à travers un coucher de soleil ou la réalité transformante d’une nouvelle naissance » ( p 9).
Une meilleure description de la révélation « générale » reconnaitrait que Dieu se révèle lui-même pas seulement à travers l’Ecriture et la communauté croyante, mais aussi à travers la création, la conscience et la culture. Voilà une meilleure manière de voir l’engagement gracieux et continu de Dieu dans et à travers l’Esprit…. Le contenu de cette révélation est bien plus qu’une simple connaissance. Plutôt que de communiquer une nouvelle information qui est ensuite ignorée, la révélation générale comprend une rencontre numineuse qui est souvent transformatrice » ( p 9).
Mieux reconnaitre l’amplitude de la présence de Dieu en dehors des cadres ecclésiaux requiert une compréhension de ka Bible plus large et plus ouverte. La lecture de ka Bible est souvent centrée exclusivement sur l’histoire du salut .
L’auteur se demande si nous ne négligeons pas certains éclairages et certains textes. « Qu’en est-il par exemple des textes de la Bible centrés sur la création ? « L’attention se porte sur certains textes, Romains 1 et 2 par exemple et moins sur d’autres comme Actes 17. « Que fait-on de certaines expériences rapportées dans les Ecritures, des expériences d’hommes et de femmes en dehors de la communauté de l’Alliance et qui ont cependant fait l’expérience de la Révélation de Dieu : Melchisedech ? Abimelech ? le roi Néco ? le roi Lémuel ? Balaam ?… Le biais de la théologie en faveur de la rédemption plus que de la création et plus vers la proposition que vers la narration est peut-être une seconde explication pour la relative pauvreté de la pensée théologique sur le révélation générale.
Une troisième cause de la méconnaissance de la révélation générale réside dans une vision pessimiste de l’humanité. « Le péché aurait tellement troubler et déformer la réceptivité humaine à la révélation divine que la révélation générale est de peu de valeur… Lorsque la révélation générale est reconnue, l’effet du péché est considéré si dévastateur jusqu’à exclure tout contribution positive de la présence continue de Dieu parmi nous…La grandeur et la gloire de Dieu ne serait plus observée par un humanité perdue… Mais est-ce que cela est vrai ? Qu’allons-nous faire du témoignage répété à la grandeur et à la gloire de Dieu que ceux en dehors de l’église rendent à Dieu, fondé sur leur expérience de la création, de la conscience et de la culture ? Comment comprendrons-nous le témoignage répété de l’humanité aux expériences de révélation d’un « mysterium » qui est simultanément « tremendum » et « fascinans » ? Comme chrétiens, comment allons-nous réconcilier notre théologie avec les expériences du numineux ou du sacré que chrétiens et non-chrétiens décrivent pareillement ?
En réponse, Robert K Johnston nous propose une approche herméneutique.
Une herméneutique théologique
Robert K Johnston rapporte « l’histoire de Galilée rapportée par Moltmann : Galilée désirait montrer les satellites de Jupiter à ses opposants. Mais ceux-ci refusèrent de les regarder à travers le télescope. Ils croyaien comme Berthold Brecht le met dans leurs bouches dans sa « vie de Galilée » qu’on ne peut pas trouver de vérité dans la nature – seulement dans la comparaison entre les textes. Et Moltmann écrit à cet égard : « Il n’y a pas de paroles de Dieu sans expérience humaine de l’Esprit de Dieu… ».
L’auteur explique que sa pensée rhéologique résulte d’un dialogue entre plusieurs sources. « Comme théologiens, nous lisons (1) le texte biblique faisant autorité, (2) de notre communauté croyante (3) à la lumière des siècles de la pensée et de la pratique chrétienne (4) comme quelqu’un nourri par une culture particulière (5) qui a un ensemble unique d’expériences. Un tel processus n’est pas linéaire comme la description peut le suggérer, mais en dialogue, avec de multiples perspectives et en continu » ( p 14). Et, récusant une herméneutique du soupçon, l’auteur appelle « une herméneutique qui inclut non seulement l’Ecriture et la tradition de l’église, mais aussi la réceptivité culturelle et nos expérience personnelles . Une conversation robuste, à double sens, est nécessaire ».
Et revenant sur le thème de sa réflexion, l’auteur précise : « C’est à travers la création, la conscience et la culture que nous pouvons observer comment Dieu agit et l’entendre parler Chaque domaine contient la possibilité d’être réellement le lieu d’une rencontre avec l’Esprit de Dieu . C’est, dans les mots de Jürgen Moltmann, une « Transcendance immanente ».
Robert K Johnston apporte un exemple de texte où deux perspectives coexistent. C’est le psaume 19. « Les cieux disent la gloire de Dieu.. » Il n’y a pas de parole, ni de mots… Cependant leur voix s’exprime à travers toute la terre Puis, à la louange de la gloire de Dieu dans la création succède la louange pour la révélation de Dieu dans la Parole, la loi ( Ps 19. 7-10) (Ps 19.1-6). Dans la première séquence, on se réfère à Elohim ; le nom générique pour le Dieu de l’univers. Dans la seconde séquence, on se réfère à Yahweh, le Dieu de la révélation à son peuple et de l’alliance avec lui. Dieu est loué à la fois comme Créateur et comme Rédempteur. ( p 16).
Une approche existentielle
Le psaume 19 s’appuie sur l’expérience. « C’est la même approche existentielle qui offre aujourd’hui le meilleur potentiel pour une théologie robuste de la Révélation générale ». Robert K Johnston va donc poursuivre sa démarche théologique dans les chapitres suivant de ce livre. Il y entendra notamment d’autres théologiens. Et c’est ainsi qu’au Chaotre 7, il consulte John V Taylor, Jürgen Moltmann et Elisabeth Johnson. « Ils l’aideront à explorer le rôle que l’Esprit joue dans la Révélation générale. C’est l’Esprit qui est la Présence révélatrice de Dieu dans le monde.. Ce n’est pas la Christologie, mais la pneumatologie ( la théologie de l’Esprit) qui inspire notre première démarche. Si nous sommes véritablement trinitarien dans notre théologie à l’égard de la révélation de Dieu au-delà des murs de l’église, sommes-nous ouvert aussi à nous mouvoir de l’Esprit à la Parole dans notre pèlerinage théologique, aussi bien que de la Parole à l’Esprit ? Et plus particulièrement, sommes-nous ouvert au témoignage de l’Esprit de Vie dans et à travers la création, la conscience et la culture aussi bien qu’à l’œuvre de l’Esprit du Christ dans la rédemption ? C’est le même Esprit » ( p 17).
C’est dans la même perspective théologique que Richard K Johnston pose la question : « Comment allons- nous comprendre la Présence révélatrice de Dieu ( God’s revelatory Presence) dans et à travers les traditions religieuses ? Ainsi esquisse-t-il, en fin de parcours, une approche de théologie des religions ( p 199-211)
Un nouvel horizon
En Grande-Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, un Centre de recherche aborde les questions spirituelles à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti d’unité et de reliance, d’amour et de lumière. C’est à partir de ces recherches que David Hay a pu écrite son livre pionner : « Something there » (2). Et encore récemment, un chercheur travaillant dans ce centre, Jack Hunter, a écrit un livre sur le rapport entre ces expériences et l’écologie (4). Nous sommes ici dans le champ de la création. D’autres auteurs abordent le champ de la culture. C’est le cas d’Alexandra Puppinck Bortoli dans son livre « Invitation à la spiritualité » (5) puisqu’elle s’y propose d’y aborder « les expériences sensibles que nous offrent. la poésie, la musique, la beauté, l’art, le sacré, le souffle, la lumière ». Si on voyait là l’œuvre de l ’Esprit, on pouvait s’interroger sur la manière dont ces phénomènes étaient interprétés par les théologiens. La découverte du livre de Richard K Johnston : « God’s wider presence » fut donc pour nous une belle ouverture. Il ne nous montre pas seulement la signification de ce phénomène, mais il nous apprend à y distinguer le mouvement de l’Esprit au grand large, au-delà des frontières des églises. Un de ses collègues à la Faculté Fuller, Richard Peace, résume bien l’apport du livre de Richard K Johnston : « Johnston a écrit là un livre pionnier (seminal book), un livre qui élargit grandement notre compréhension des multiples voies dans lesquelles Dieu est présent dans ce monde. « God’s Wider Presence » ouvre nos yeux nous menant aux espaces de la « awe » et nous aide à interpréter les rencontres porteuses de mystère. Il a le pouvoir de nous rendre conscient des voies jusque-là inaperçues dans lesquelles Dieu est présent dans nos propres vies » (page de couverture)
J H
Cet Au-delà qui nous fait signe
Par Lytta Basset
Nous sommes confrontés à la mort. Nous pouvons nous interroger sur notre sort personnel. Mais le problème est crucial lorsqu’advient le départ d’un proche. Dans la séparation, c’est la communication qui est rompue. L’amour se manifestait dans le dialogue. Et soudain, celui-ci s’interrompt. Notre proche aurait-il disparu à jamais ? Dans cette épreuve, on cherche une réponse. Certains contextes ne s’y prêtent pas. Il y a des empêchements dans les mentalités environnantes : matérialisme ou prescription religieuse de la séparation entre les vivants et les morts. Et, parfois dans les dédales, on doit rechercher un passage, c’est-à-dire un éclairage fondé. Ce fut le cas dans le récit rapporté dans l’article : « Cette vie qui ne disparaît pas » (1). L’issue, à tonalité biblique, ce fut la théologie de Jürgen Moltmann (2), à travers son livre : « In the end, the beginning », traduit ensuite en français : « De commencements en recommencements ». A l’époque, on pouvait avoir accès également à un témoignage existentiel de Lytta Basset : « Ce lien qui ne meurt jamais » (3). Or, théologienne, accompagnatrice spirituelle et auteure de nombreux livres appréciés (4), Lytta Basset vient d’expliciter son premier témoignage dans un livre qui vient bouleverser la représentation dominante de la relation avec les défunts, esquissant en même temps un nouveau paysage spirituel : « Cet Au-delà qui nous fait signe » (5).
« Dans « Ce lien qui ne meurt jamais », Lytta Basset racontait comment elle avait fait l’expérience de contacts avec son fils ainé Samuel mort par suicide à l’âge de vingt- quatre ans. Mais la théologienne protestante, à la fois par discrétion et parce que sa formation ne l’avait pas préparée à de tels aveux, n’avait pas alors tout dit des circonstances qui l’avaient amenée à témoigner. Quinze ans plus tard, elle ose révéler ce qu’elle appelle « l’événement improbable » qui l’a « remise dans le courant de la vie ». Loin de toute motivation sensationnaliste, si elle s’est décidée à prendre la parole, c’est pour aider ceux qui traversent le deuil d’un enfant à ne plus se dire qu’on « ne s’en remet jamais ». Validant l’existence des VSCD – « vécus subjectifs de contact avec un défunt » – elle relit la littérature sur ces questions délicates, en faisant toujours le lien avec les différents récits évangéliques autour de la Résurrection » (page de couverture).
Ce texte n’est pas seulement un témoignage émouvant et réfléchi ouvrant la voie à un nouveau regard sur le rapport avec les défunts. C’est également, dans le même temps, un bilan des études portant sur notre appréhension de l’au-delà qui se sont multipliées au cours des dernières décennies depuis le livre pionnier de Raymond Moody, « La vie après la vie » en 1975. Il y a là, maintenant, un corps de connaissances considérable. Des termes nouveaux sont apparus comme : EMP (expérience de mort provisoire), VSCD (vécu subjectif de contact avec un défunt), TCH ( Trans communication hypnotique). Les expériences de mort provisoire sont aujourd’hui innombrables et le phénomène est universel. Nous découvrons dans ce livre l’importance du « vécu subjectif de contact avec les défunts ». « Le VSCD est rapide, crée un effet de sidération, comme si on ne pouvait y croire, puis de joie car le contact est direct. Il touche directement le cœur. On le reçoit comme une évidence » (p 19).
Cependant, si ce livre dresse un bilan de tout le savoir qui s’accumule depuis des décennies sur le rapport avec l’au-delà, il nous rend également un grand service en offrant une interprétation chrétienne de ces phénomènes. Or cela n’allait pas de soi. Les différentes églises ont bien une doctrine concernant la vie de l’au-delà. Mais ces doctrines palissent dans la conjoncture nouvelle. Pour certaines d’entre elles, elles véhiculent une conception menaçante du jugement, répartissant les destinées dans des cases, l’une d’entre elles entretenant un malheur perpétuel. D’autres érigent un mur de séparation entre les vivants et les morts. Le mouvement actuel disqualifie de telles croyances. Or, femme d’expérience, mais aussi théologienne, Lytta Basset corrige ces représentations et nous offre une vision chrétienne de la vie après la vie. Et de plus, elle sait parler à nos contemporains en quête existentielle. Plutôt que d’employer un vocabulaire théologique, elle parle de « la Vie », d’« expériences de la Vie » et de « perception du Vivant ». « Parce que un tel langage est plus accessible à notre société occidentale sécularisée, mais aussi parce qu’en réalité c’est aussi un langage biblique » (p 10). Elle s’adresse à tous ; c’est pourquoi, plutôt que le terme : « vie éternelle », elle emploie l’expression : « vie de toujours » (p 11). Elle se déclare marcher « vers ma propre vie de toujours, cette vie qui commence dès ici et n’a pas de fin » (p 11).
Comment recevoir ce grand courant de découverte d’une vie par delà la mort dans un vécu chrétien ? La réponse de Lytta Basset est d’autant plus précieuse qu’elle se fonde sur une grande culture biblique et sur une compétence de théologienne. Aussi envisage-t-elle ces phénomènes dans « le droit fil de la tradition chrétienne » (p 87). « Au gré de nombreuses lectures, aucune incompatibilité avec les témoignages du Nouveau Testament ne m’a sauté aux yeux. Quant à l’Evènement improbable, je n’ai à aucun moment pensé, imaginé ou cru qu’il puisse être en contradiction avec mon identité chrétienne. Bien au contraire, il m’a fait saisir l’ampleur illimitée de l’événement de Pâques » (p 88). Bien sûr, Lytta Basset se réfère aux paroles de Jésus, mais aussi aux enseignements de Paul et de Jean. Elle évoque des commentaires éclairants comme celui d’un pasteur au début du XXè siècle, P Valloton ou bien celui d’un expert canadien A Myre. P Valloton déclarait déjà que « Les faits physiques et psychiques sont les mêmes aujourd’hui qu’au temps d’Abraham, de Moïse, d’Elie, d’Elisée, d’Esaïe, de Jésus et, après lui, des apôtres ». Tout un chapitre est consacré ainsi à une interprétation des Ecritures, par exemple en terme de « langage corporel ». « L’apôtre Paul est certainement l’auteur du Nouveau Testament qui parle le plus de la vie invincible, et de la manière la plus explicite dans sa première lettre aux Corinthiens. Il s’agit de mourir aux forces de mort pour se préparer à vivre vraiment, et pour cela, il emploie dix-neuf fois le verbe « se réveiller » (p 93). Lytta Basset ouvre des correspondances entre les textes du Nouveau Testament, les connaissances issues des recherches sur l’univers de l’invisible et son expérience du deuil. « Un verset de Paul me touche particulièrement : « Vous avez été, dit-il, mis au tombeau – avec lui par l’immersion dans laquelle vous avez été réveillés – avec lui par la confiance dans l’énergie de Dieu qui l’a réveillé d’entre les morts. Je reconnais bien là le parcours rocailleux de mon deuil. Comme tant d’autres, j’ai eu le sentiment d’être mis au tombeau ave Samuel, d’être immergée et noyée dans sa mort… et de m’être laissée éveiller en faisant confiance en l’énergie divine – littéralement, ce « travail du dedans » que poursuit en moi le Vivant à mon insu » (p 94). Au total, Lytta Basset exerce un discernement. Elle prône le respect du parcours de chacun. Elle met en valeur l’importance de l’expérience et sa théologie en tient le plus grand compte.
Certes, on peut se demander comment le mouvement actuel s’inscrit dans l’histoire du monde et la diversité des cultures qui y participent, mais comme l’exprime Lytta Basset, il est urgent de répondre à la quête spirituelle qui se manifeste aujourd’hui. Et, par rapport à la reconnaissance de ce mouvement, il reste aujourd’hui, deux freins considérables.
« Celui des Églises d’abord ». « Je vois de l’intérieur, combien le protestantisme, traditionnellement, est peut-être encore le plus fermé… L’Eglise investie par une théologie rationaliste avait fermé la porte de l’au-delà » (p 249). Aujourd’hui, les mentalités évoluent. L’autre frein est sociétal. On entend de sombres affirmations qui sont infondées. (p 250).
Ce livre se clôt par une magnifique citation d’Esaïe : « l’Eternel sera pour toi la lumière de toujours ».
Un langage universel pour dire la vie
Cet ouvrage comporte de multiples facettes. Pour en donner un aperçu, nous choisissons ici un aspect de l’univers spirituel tel qu’il se dégage du chapitre : « Un langage spirituel pour dire la Vie » (p 171-189). « Un langage universel pour dire la Vie » : c’est Dieu qui nous parle. Comme l’auteure le rappelle, il nous a parlé à travers les prophètes, et, bien sûr, par le message du Nouveau Testament. Il ne cesse de nous parler par de multiples voies et dans des contextes variés. Si Lytta Basset met l’accent ici sur la communication autour de la mort, ce n’est qu’un aspect de l’expression divine qui se manifeste dans de nombreuses expériences de transcendance (6) telles que celles qui ont été recensées par Alister Hardy en Angleterre et ont été rapportées par David Hay dans son livre : « Something there » (7).
Le langage qui se manifeste ainsi parle également de Celui qui en est l’auteur. Le message « au nom du Vivant » (p 171), parle du Vivant, de son Être, de l’univers qu’il anime. Si Dieu est le Créateur de l’univers et que cette création est source d’émerveillement et de louange, Il anime également un monde invisible. Lytta Basset évoque ce monde à travers ce que le langage divin, « le langage universel pour dire la vie », y fait écho. Tout un paysage apparaît ainsi et il résulte d’une convergence dont Lytta Basset nous fait part. « J’ai été frappée, par mes lectures, par la convergence entre les expériences des prophètes bibliques et celles de nos contemporains. Les auteurs le répètent à l’envie : si cela arrive à n’importe qui, c’est que nous avons tous des « antennes », un « sixième sens », une « conscience intuitive extraneuronale »… qui se trouve plus ou moins développée ou étouffée en fonction des réactions de l’entourage. Ne nous croyons pas à l’abri de tels touchers divins. les témoignages concernent tous les âges, sexes, classes socio-professionnelles, religions, appartenances philosophiques… » (p 172) (8). C’est donc une expérience universelle, sans frontières. « Les témoins se sentent unis à Dieu, donc encore distincts et en même temps ne faisant qu’un avec lui. Même constat paradoxal pour leur relation à l’univers. Une personne a fait le rapprochement avec la parole de Jésus : « Moi et le Père nous sommes uns ». Lytta Basset met l’accent sur le rôle du corps dans la réception. « Si le langage de la Vie est intelligible pour tous, n’est-ce pas parce qu’il passe essentiellement par le corps ? Ou plutôt qu’il parle au corps ? » (p 173). Elle évoque la sensibilité des enfants. « Le langage de l’invisible est accessible d’emblée aux petits enfants ». (p 173). Nous voici en présence d’une réalité qui se manifeste dans des expériences multiples. « Le docteur R Moody s’est demandé comment comprendre que la sagesse des tibétains, les connaissances théologiques, la visions de Paul, les mythes platoniciens, les révélations du scientifique E Swedenborg, les témoignages des mourants et de ceux ayant vécu une EMP pouvaient se recouper si parfaitement entre eux. J’ai envie de dire : parce qu’il n’existe, au fond, qu’une Réalité d’où émane la multiplicité des formes de vie » (p 174-175).
Lytta Basset nous décline ensuite les caractéristiques communes qu’elle a relevées dans ces écrits et récits : l’omniprésence de la Lumière ; une lumière aimante ; la beauté de la vie ; une connaissance totale ; les retrouvailles avec un être aimé.
La lumière n’est-elle pas le symbole le plus universel pour dire cet Invisible sans lequel rien n’existe ? Le mot Dieu vient du sanscrit Dyau qui signifie précisément « jour, brillant, lumière, divinité ». Pour les tibétains, c’est la Luminosité fondamentale. Or cela revient dans de nombreux récits de mourants de la tradition orthodoxe, et déjà dans la littérature patristique : des visions de lumière, des apparitions de Jésus, de Marie, des saints et des apôtres « dans une lumière éclatante » et d’Anges très lumineux – rien à envier aux témoignages rassemblés par R Moody. Le théologien orthodoxe V Lossky note avec une grande justesse : « Si Dieu est appelé lumière, c’est qu’il ne peut rester étranger à notre expérience ». Une expérience qui ne date pas d’hier : la Bible hébraïque, notamment les Psaumes évoquent déjà l’omniprésence de la Lumière, par exemple le psaume 139.12 » (p 175). Lytta Basset nous rappelle également le témoignage de Paul dans ses récits de son vécu de l’apparition de Jésus dans une grande lumière. « Dans la ligne de l’inspiration paulinienne… les Pères grecs ont deviné que notre union au Vivant pouvait nous transformer sur terre et au delà. Car au delà du temps et de l’espace, nous ne formons qu’un seul être… ». Et elle rappelle les expériences, avec le ressenti de « ne faire qu’un avec tout l’univers ». Le message de l’évangéliste Jean est également significatif : « Dieu est lumière et de ténèbres, il n’y en a aucune en lui ». N’est-ce pas exactement ce qu’il a vu de ses propres yeux sur la montagne de la transfiguration ? » (p 177). « Clarté divine visible dans le corps d’un être humain, tel est le vécu des témoins de la transfiguration comme du réveil de Jésus le matin de Pâques »… Une lumière appelée à se répandre : Jésus déclare à es disciples : « Vous, vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut être cachée, située en haut d’une montagne ». Notons que R Moody a écrit que « les expérienceurs de tradition chrétienne identifiaient l’Être de lumière au Christ » (p 178).
Le deuxième élément omniprésent dans les récits, c’est qu’il s’agit d’une « lumière aimante ». « Une lumière aimante – d’un amour sans fin, sans limites et sans conditions. Est- ce un hasard si, pour Jean, non seulement « Dieu est lumière », mais « Dieu est amour » ? Ainsi rapporte-t-on que la lumière céleste rencontrée dans les expériences de mort provisoire est « une lumière totalement aimante et compatissante » (p 180). « Il suffit d’une fois et cela s’inscrit dans votre corps ». Cette affirmation résulte d’un constat de Lytta Basset elle-même puisqu’elle écrit « avoir vécu une expérience unique de l’amour de Dieu, il y a quarante ans » (p 180). « Plus fort que la lumière, l’amour pour moi qui en émanait reste indicible ». Lytta Basset cite ensuite des témoignages d’EMP qui vont dans le même sens : « C’est une lumière au delà de notre description. Et lorsque nous nous en approchons, elle nous enveloppe d’un amour inconditionnel » (p 181).
« Langage universel encore : la beauté de la Vie ». Les visions portent en effet une magnificence, notamment à travers de splendides paysages. Lytta Basset cite un témoignage : « L’amour exprime la beauté en couleurs… Tout est couleurs autour de moi et des nuances à l’infini… Les couleurs deviennent sonores et bientôt apparaissent des fleurs. C’est une plénitude de Lumière animée… Une symphonie vivante de couleurs de sons et de formes… La Grande Énergie Créatrice y est tempérée de douce beauté et tout y procède de l’amour » (p 182). Lytta Basset rapporte ainsi des visions de l’au-delà. Cependant, il existe également sur terre des expériences de transcendance dans laquelle la nature est perçue dans une forme d’extase (9). On entrevoit ici un fonds commun.
L’auteure nous parle également de « connaissance totale ». « La personne qui connaît fait partie de l’objet connu. Il n’y a pas l’extérieur et l’intérieur. On y est tout de suite ». (p 184). En commentaire, « Nous faisons déjà partie du Vivant – mais, redisons-le, sans jamais perdre notre identité, notre conscience individuelle ». Ici encore, ce même mode de connaissance globale apparaît également dans les expériences de transcendance au sein de la nature (9).
Lytta Basset termine cette revue par le thème de son livre : « Les retrouvailles avec un être aimé ». « Voilà une des questions les plus brulantes que se posent les personnes endeuillées : Est-ce que je le ou la reverrai ? La réponse est oui que ce soit par un VSCD ou une EMP, une TCH ou autrement, on retrouve ses proches, des ancêtres qu’on n’a pas connus sur terre, et même d’autres personnes qu’on rencontre pour la première fois. A en croire le visionnaire de l’Apocalypse, il n’y a pas de limites : au royaume de la vie invincible, la famille humaine est inépuisable » (p 186). Lytta Basset nous invite à écouter les paroles de Jésus : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures » (p 188).
En commentaire
La parution de ce livre s’inscrit dans une évolution. A partir d’une expérience inattendue, cet « événement improbable » qui a transformé la vie de Lytta Basset, une expérience aussi interpellante qu’émouvante, ne répond pas seulement aux questionnements des endeuillés, il vient bouleverser des représentations dominantes tant séculières que religieuses. Lytta Basset le sait bien puisqu’elle écrit dans son introduction, le mouvement qui l’encourage à écrire : « C’est que l’évolution des mentalités est perceptible. Une plus grande ouverture à l’Au-delà, aux réalités invisibles » (p 7). Cette évolution ne se manifeste pas seulement à travers un courant d’expériences et de témoignages, mais il apparait aussi dans des livres de chercheurs qualifiés psychologiquement et philosophiquement. C’est ainsi que Vinciane Despret, philosophe et anthropologue à l’Université de Liège, également pionnière dans la recherche sur la conscience des animaux, publie, en 2015, un livre intitulé : « Au bonheurs des morts. Récits de ceux qui restent » (10). « Elle a mené une enquête sur la manière dont les morts entrent dans la vie des vivants. L’auteure s’est laissée instruire par les manières d’être qu’explorent les vivants, ensemble ». Elle a recueille ainsi une expression tâtonnante, mais très copieuse. Et elle rompt avec une théorie du deuil, dominatrice dans certains milieux psychologiques athées. « On doit faire le travail de deuil ». Fondé sur cette idée que les morts n’ont d’autre existence que dans la mémoire des vivants, elle enjoint à ces derniers de détacher les liens avec les disparus. Et le mort n’a d’autre rôle à jouer que de se faire oublier. Toutefois, cette conception laïque, « désenchantée » a beau avoir réussi à occuper le devant de la scène et à alimenter les discours savants, il n’en reste pas moins que d’autres manières de penser et d’entrer en relation avec les défunts continuent, certes sur des modes plus marginaux à nourrir des pratiques et des expériences » (p 12-13).
Un livre de Marie de Hennezelle paru en 2021 : « Vivre avec l’invisible » (11) vient confirmer l’évolution de l’état d’esprit dans l’opinion. Psychologue, Marie de Hennezelle est également l’auteure du livre : « les forces de l’Esprit » où elle raconte son accompagnement du président François Mitterrand jusqu’à sa mort. Elle présente ainsi son nouvel ouvrage : « Qui n’a pas déjà eu ce sentiment d’être guidé par une force invisible ? Avons-nous alors hésité à en parler, par crainte de ne pas être compris, d’être jugé… ou pire ? Sachez que vous n’êtes pas seuls à avoir vécu cette expérience. En s’appuyant sur de nombreux témoignages, des récits édifiants et sa propre réflexion de psychanalyste, Marie de Hennezelle dévoile l’universalité du lien que nous entretenons avec l’invisible. Un lien intime, parfois poétique et qui prend bien des formes. Intuitions, rêves prémonitoires, synchronicités, dialogue avec un ange gardien ou une présence protectrice… les chemins vers la prescience d’un ailleurs, d’une possible proximité avec l’au-delà, sont innombrables » (page de couverture).
Le livre de Lytta Basset : « Cet Au-delà qui nous fait signe » s’inscrit ainsi dans une évolution des mentalités. Celles-ci cependant nous montrent un contexte assez éloigné des conditions d’un milieu potentiellement croyant tel que Lytta Basset l’entrevoit. Cependant, il existe aujourd’hui un puissant courant de recherche sur les expériences vécues en relation avec l’au-delà. La prise de conscience correspondante est en train de s’étendre rapidement, et, comme en témoigne certains sondages, elle commence à atteindre l’opinion. Le bilan dressé par Lytta Basset est bienvenu. Cependant, il est vrai que ce problème est complexe et plonge ses racines dans une histoire contrastée. Les forces religieuses existantes sont tentées par un immobilisme doctrinal et par une obstruction à tout universalisme. Une évolution théologique se manifeste à travers un théologien comme Jürgen Moltmann qui évoque la communauté des vivants et des morts. Dans son livre sur l’au-delà Lytta Basset n’apporte pas seulement une réponse existentielle dans la sensibilité extrême qui est la sienne avec ses atouts comme avec ses limites, elle fonde une réflexion théologique chrétienne prenant en charge les découvertes sur l’activité des défunts. Comme nous avons cherché à en rendre compte dans cet article, elle nous communique une vision sur l’au-delà en phase avec l’inspiration chrétienne. Ce livre est pionnier.
J H
Éclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann
Dans son livre : « The living God and the fullness of life » (Le Dieu vivant et la plénitude de vie » (1), Jürgen Moltmann nous parle de la puissance de vie, active dans le message du Christ qui se déclare « La résurrection et la vie », une force présente chez les premiers chrétiens et qui peut tout autant se déployer dans le monde d’aujourd’hui. Jürgen Moltmann exprime également une vision du monde en ce sens. Voici, à ce sujet, quelques brefs extraits de son livre, que, sans expertise d’une traduction professionnelle, nous avons rapporté en français, en espérant que ce livre sera bientôt traduit et publié dans notre langue. En lisant ces passages, on se reportera au texte anglais.
Le livre de Jürgen Moltmann est très riche et très dense. Ces quelques passages ne sont pas représentatifs de l’ensemble. Simplement, ils ont été retenus ici comme une invitation à la réflexion et à la méditation.
J H
Dieu vivant, Dieu trinitaire
Le Dieu vivant ne peut être nul autre que le Dieu trinitaire. Le Dieu trinitaire vit une vie éternelle comme un amour mutuel au sein de Dieu. L’histoire du Christ est son histoire de vie pour nous, parmi nous et avec nous. Dans l’Histoire du Christ, sa vie éternelle absorbe en elle notre vie finie. Et, ceci étant, cette vie mortelle est alors déjà une vie éternelle. Nous vivons dans sa vie éternelle même quand nous mourrons. (p 69)
Plus forte est la résurrection
Pourquoi le christianisme est-il uniquement une religion de la joie, bien qu’en son centre, il y a la souffrance et la mort du Christ sur la croix ? C’est parce que, derrière Golgotha, il y a le soleil du monde de la résurrection, parce que le crucifié est apparu sur terre dans le rayonnement de la vie divine éternelle, parce qu’en lui, la nouvelle création éternelle du monde commence. L’apôtre Paul exprime cela avec sa logique du « combien plus ». « Là où le péché est puissant, combien plus la grâce est-elle puissante ! » (Romains 5.20). « Car le Christ est mort, mais combien plus il est ressuscité » (Romains 8.34. Trad. de l’auteur). Voilà pourquoi les peines seront transformées en joies et la vie mortelle sera absorbée dans une vie qui est éternelle.
« Tout ce qui venait de la souffrance s’évanouissait rapidement
Et ce que mon oreille entendait n’était rien d’autre qu’un chant de louange » ( Werner Bergengruen) (p 100-101).
La vie éternelle nous est donnée
Si nous cessons de considérer la fin temporelle de la vie humaine, mais à la place, regardons à son commencement éternel, alors la vie humaine est entourée et acceptée par le divin et le fini fait partie de l’infini. Cette vie actuelle, cette vie joyeuse et douloureuse, aimée et souffrante, réussie et infructueuse, est vie éternelle. Dieu a accepté cette vie humaine et l’a interpénétrée, réconciliée et guérie, qualifiée en immortalité. Nous ne vivons pas seulement une vie terrestre et, pas seulement une vie humaine, mais simultanément, nous vivons aussi une vie qui est divine, éternelle et infinie.
« Celui qui croit a la vie éternelle » (Jean 6.47). Mais ce n’est pas la foi humaine qui acquiert la vie éternelle. La vie éternelle est donnée par Dieu. Elle est présente dans chaque personne humaine, mais c’est le croyant qui la perçoit. On la reconnaît objectivement et on l’absorbe subjectivement comme vérité dans sa propre vie. La foi est la joie dans la plénitude divine de la vie. Cette participation à la vie divine présuppose deux mouvements qui traversent les frontières : l’incarnation de Dieu dans cette vie humaine, et la transcendance de la vie humaine dans la vie divine. (p 73-74)
Dieu présent et proche
La foi chrétienne n’est pas tournée vers un Dieu lointain, mais elle se vit dans la présence de Dieu qui nous entoure de tous côtés.
« Tu m’entoures par derrière et par devant. Tu mets ta main sur moi. Une science aussi merveilleuse est au dessus de ma portée. Elle est trop élevée pour que je puisse la saisir » (Psaume 139. 5-6). Il est vrai que nous ne pouvons voir Dieu. Cependant, ce n’est pas parce que Dieu est si loin, mais parce qu’il est si près… « Dieu est plus près de nous que nous ne pouvons l’être de nous-même », déclare Augustin. « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17.28).
Mais cela n’est pas seulement vrai pour nous-même. Cela s’applique à tout ce que Dieu a créé. Il n’y a rien là dedans qui échappe à la présence de Dieu. Nulle part, nous ne pourrions ne pas rencontrer Dieu. En conséquence, nous rencontrerons toute chose avec révérence… Alors nous voyons toute chose dans la présence de Dieu et la présence de Dieu en toute chose…
Au moment où nous croyons cela, une spiritualité cosmique commence. Nous commençons à voir toute chose avec étonnement et nous sommes saisis par une profonde révérence envers la vie… Dieu nous attend en toute chose qu’Il a créée et nous parle à travers elles. Celui qui a des yeux pour voir le voit. Celui qui a des oreilles pour entendre l’entend. La création entière est un grand et merveilleux sacrement de la présence de Dieu qui y réside. (p 170-171)
Marcher dans l’espérance
L’espérance ne signifie pas se fixer sur l’attente d’un temps meilleur dans le futur. C’est une attente tendue vers le jour nouveau. L’espoir d’une vie en plénitude nous rend curieux et ouvre nos sens à ce qui vient nous rencontrer. En vertu de cette espérance, nous sommes ouverts à l’étonnement et nous nous ouvrons à l’émerveillement à chaque nouvelle journée. Nous nous éveillons parce que nous savons que nous sommes attendus. Dans la force de l’espérance, nous ne capitulons pas face à la puissance de la mort, de l’humiliation et de la déception. Nous poursuivons la tête haute parce que nous voyons au delà du jour actuel. La personne qui abandonne l’espoir dans la vie et se désespère se tient aux portes de l’enfer au sujet duquel Dante a écrit : « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez ici ». La personne qui garde l’espoir dans la vie est déjà sauvée. Cette espérance la garde en vie. Cette espérance la rend capable de vivre à nouveau. (p 169)
Une vision du futur
L’espérance eschatologique appelle le futur de Dieu « qui est à venir » (Apocalypse 1.4) dans le présent, qualifiant ainsi le présent pour être un présent de ce futur, en conformité avec le Christ, « Celui qui est venu dans ce monde » comme l’exprime la confession de foi de Marthe (Jean 11.27). La proclamation de l’Evangile aux pauvres, la guérison des malades par Jésus, et les béatitudes du Sermon sur la montagne sont des signes de la présence du futur de Dieu dans ce monde. « Le royaume de Dieu est au milieu de vous ».
D’autre part, l’espérance eschatologique ouvre chaque présent au futur de Dieu. « Portes, relevez vos linteaux ; haussez-vous, portails éternels pour que le grand roi fasse son entrée. » (Psaume 24.7).
On imagine que cela puisse trouver sa résonance dans une société ouverte au futur. Les sociétés fermées rompent la communication avec les autres sociétés. Les sociétés fermées s’enrichissent au dépens des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur dans le futur de Dieu, le futur de la vie et le futur de la création éternelle…
La vie dans la joie est déjà une anticipation de la vie éternelle. La bonne vie est déjà le commencement d’une vie rayonnante là-bas. La plénitude de la vie ici pointe au delà d’elle-même à la plénitude de la vie là-bas. Dans la joie, en perspective de ce qui est espéré dans le futur, nous vivons ici et maintenant, nous pleurons avec ceux qui pleurent et nous nous réjouissons avec ceux qui se réjouissent (Romains 12.15). La vie dans l’espérance n’est pas une vie à moitié sous condition. C’est une vie pleine qui s’éveille aux couleurs de l’aube de la vie éternelle. (p 189-190)
Liberté : une attente créatrice
Si la foi chrétienne est une foi en la résurrection, alors elle est tournée vers l’avenir et peut être énoncée comme la passion créatrice pour une vie future éternellement vivante. Ainsi elle transcende les limitations du présent et elle traverse la réalité actuelle pour entrer dans les potentialités de l’avenir…
L’espérance chrétienne n’est pas une simple attente ou le fait d’ « attendre et voir ». C’est une attente créatrice des choses que Dieu a promis par la résurrection du Christ. Ceux qui attendent quelque chose avec passion se préparent à cette intention, eux et leur communauté. Dans cette préparation, le chemin de Celui qui vient est préparé à travers des essais pour correspondre à ce qui est anticipé, avec toutes les capacités et les potentialités dont on dispose.
Ces correspondances avec l’avenir que Dieu a promis, sont des anticipations du futur. La personne qui espère un monde de liberté désirera ici et maintenant une libération par rapport à la répression politique et l’exploitation économique…La personne qui espère une vie éternellement vivante, sera déjà saisie, ici et maintenant, par cette vie « unique, éternelle et rayonnante » et rendra la vie vivante partout où elle peut. La liberté n’est pas une conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), c’est une conscience de la potentialité (« insight into potentiality »). La liberté n’est pas une harmonie des formes actuelles de pouvoir. C’est leur harmonisation avec ce qui est à venir, comme l’annonce le prophète Esaïe : « Lève toi. Sois éclairée, car ta lumière arrive. Et la gloire de l’Eternel se lève sur toi » (Esaïe 60.1). (p 115)
Prier en liberté
Jürgen Moltmann évoque diverses attitudes corporelles mises en œuvre dans certains milieux pour la prière (s’agenouiller, courber la tête, fermer les yeux) dont il s’interroge sur le conception de Dieu et du rapport à lui qu’elles expriment. En regard, il décrit l’attitude des premiers chrétiens.
Nous découvrons une attitude d’adoration complètement différente parmi les premiers chrétiens tels qu’ils sont décrits dans les catacombes de Rome et de Naples. Ils se tiennent droits avec la tête levée et les yeux ouverts. Leurs bras sont étendus, leurs mains ouvertes et tournées vers le haut (1Timothée 2.8). C’est une attitude qui dénote une grande attente et une ouverture à embrasser l’autre avec amour. Ceux qui s’ouvrent à Dieu de cette manière sont manifestement des hommes et des femmes libres… Cette attitude était traditionnellement utilisée dans les prières pour la venue de l’Esprit Saint. C’est l’attitude des prêtres orthodoxes dans l’épiclèse de l’Esprit. Le mouvement pentecôtiste moderne l’a adoptée dans son culte. Cela devient aussi l’attitude des personnes qui sont remplies par une espérance messianique et qui font face aux incertitudes de leur temps. « Redressez-vous et relevez la tête parce que votre délivrance approche » (Luc 21.28).
Dans le Nouveau Testament, prier n’est jamais mentionné d’une façon isolée, mais toujours en lien avec : observer, faire attention : « observer et prier » (« watch and pray »). Aussi, en termes métaphoriques, prier n’est jamais tourné seulement vers le haut, mais toujours en même temps dans un regard en avant. Ici, Dieu n’est pas craint comme celui qui a le pouvoir suprême, mais il est perçu comme le grand espace (« broad place ») dans lequel une personne entre en prière et peut se développer (Psaume 31.8 et 18.19). La première attitude chrétienne dans l’adoration et la prière montre que le christianisme est, dans sa forme sensorielle, une religion de liberté. La posture debout devant Dieu est étonnante et incomparable. Les personnes qui prient, prient alors dans un esprit qui s’appelle : liberté. C’est la liberté en Dieu. (p 203)
La foi, participation à la puissance créatrice de Dieu
Dans la foi chrétienne, la liberté ne signifie pas la conscience de la nécessité (« Insight into necessity »), ni un pouvoir indépendant et souverain de l’individu sur lui-même et ses capacité. Juste comme la foi d’Israël est ancrée dans le Dieu de l’Exode, la foi chrétienne est ancrée dans la résurrection du Christ. A travers la foi, hommes et femmes prennent conscience de leur libération et entrent dans le vaste espace divin. A travers la foi, ils participent à la puissance créatrice de Dieu. « A Dieu, tout est possible » (Mat 19.26). Car « Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9.23). La personne qui fait confiance à un Dieu qui libère et ressuscite des morts, participe à travers l’Esprit de Dieu à l’abondance des potentialités de Dieu. Paul met cela en évidence à partir de l’exemple d’Abraham qu’il décrit comme un modèle pour une vie vécue dans la foi. « Il est notre père devant Dieu auquel il a cru, le Dieu qui rend la vie aux morts et fait exister ce qui n’existait pas… Il crut, espérant contre toute espérance » (Romains 4.16-18). Face au non être, la liberté de Dieu se révèle une puissance créatrice, et, en face de la mort, elle se montre une force qui donne la vie… Dans la foi, les êtres humains correspondent au Dieu créateur, au Dieu qui donne la vie, et, dans le respect de Dieu, participent aux énergies divines. Cela va bien au delà des limites de ce qui paraît humainement possible, comme l’indique la parole : « Tout est possible à celui qui croit ». Dans leur liberté limitée, empreinte de finitude, les êtres humains découvrent en Dieu des possibilités insondables. Ainsi la liberté de l’homme ne peut être limitée par Dieu, mais, dans le nom de Dieu, elle se révèle sans limites. (p 108)
(1) Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life. World Council of Churches publications, 2016
Sur ce blog, voir aussi : « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267
Et un renvoi aux articles de ce blog se référant à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/?s=Moltmann
Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue, engendrant une nouvelle psyché humaine et le bouleversement du monothéisme traditionnel ?
« When did Jesus become God ?” par Ilia Delio
Dans notre monde en mutation, notre culture en pleine transformation, nous cherchons une nouvelle compréhension de notre état religieux et spirituel qui prenne en compte ce bouleversement. Dans cette recherche, il est bon de conjuguer une réflexion théologique et une compétence scientifique. Or, il y a bien des lieux où cette recherche est en cours, entre autres au ‘The Center for Christogenesis’ (1) animé, aux Etats-Unis par Ilia Delio (2), une sœur franciscaine hautement diplômée et qualifiée dans le domaine de la biologie et des neurosciences et théologienne notamment inspirée par Teilhard de Chardin. Délivrée des arcanes d’un catholicisme traditionnel, elle travaille dans un espace irrigué par une avancée scientifique et technologique spectaculaire et la conscience d’une transformation des mentalités. Nous présentons ici un des essais publié sur son site : « When did Jesus become God ? » (3). Dans d’autres textes, son approche des enseignements induits par la révolution scientifique et technologique en cours donne lieu à controverse. Mais ici, sa réflexion théologique, fondée sur une approche historique et psychologique à partir du Nouveau Testament, nous parait éclairante. Elle nous montre comment la prise de conscience de la divinité de Jésus dans les premiers temps va de pair avec la transformation de la psyché humaine qui s’est réalisée à l’époque. Cette analyse est une porte ouverte pour nous aider à reconnaitre aujourd’hui le transcendant divin à l’intérieur de nous : « recognize the transcendant divine ground within us ».
En avant-propos, Ilia Delio nous indique le sens de sa démarche : Dieu est un autre nom pour désigner la personne. La mutation chrétienne est le développement de la personnalité dans la liberté et l’amour ( « God is another name for personhood. The christian mutation is the development of personhood in freedom and love »).
L’émergence de la dévotion envers Jésus dans l’Église primitive.
Ilia Delio commence par nous inviter à mesurer combien la divinité de Jésus n’était pas évidente au départ dans le groupe de ses premiers disciples. A ce sujet, elle cite une théologienne australienne Anne Hunt : « Être chrétien avec la conviction de foi chrétienne que Jésus est divin et que Dieu est trinitaire, tend à voiler le caractère profondément révolutionnaire et radical qu’a représenté le développement de la conscience divine de Jésus pour ses disciples. Comme ceux-ci, Jésus était juif. Fidèles à leur tradition, ils tenaient une notion monothéiste exclusiviste de Dieu et de la dévotion à Dieu. Cependant leur expérience de Jésus suscitait chez eux un changement vraiment incroyable dans leur conscience de Dieu et une réinterprétation radicale de leur foi en un Dieu unique qui en viendrait éventuellement à s’exprimer dans la doctrine chrétienne de la Trinité ».
Ilia Delio trouve qu’il y a là « un mouvement vraiment fascinant ». « Comment est-ce qu’une compréhension de Dieu entièrement nouvelle a-t-elle émergé dans la vie d’un jeune homme juif, du nom de Jésus de Nazareth ? Les chercheurs s’accordent sur le fait que la mentalité religieuse des premiers chrétiens étaient façonnée par la tradition juive et que les disciples cherchaient à comprendre la signification de la vie de Jésus dans la relation à l’ancien Testament. La mort de Jésus et l’expérience de la résurrection de Jésus a conduit les disciples à proclamer que Jésus est Seigneur.
Quelle a été l’expérience psychologique transformante des premiers disciples ?
Ilia Delio fait appel à la recherche d’un chercheur bénédictin Sebastian Moore qui a cherché à déchiffrer l’expérience psychologique des premiers disciples.
« Ce qui comptait dans cette nouvelle expérience de la conscience de Dieu en la personne de Jésus, c’était une conscience nouvelle qui ne pouvait refléter plus longtemps un strict monothéisme (un Dieu), mais une nouvelle compréhension de la puissance de Dieu, une puissance partagée exprimée dans une perspective binitarienne (le Père et le Fils), qui éventuellement évoluerait vers la doctrine de la Trinité ». Ilia Delio se réfère ensuite à un chercheur spécialisé dans le Nouveau Testament tardif, Larry Hurtado : « Les premiers disciples ont vécu une mutation de conscience qui les a mené à chercher un fondement scripturaire pour la révolution chrétienne. Tandis que l’Ancien Testament utilise l‘imagerie d’un agencement divin tel qu’en Psaume 110.1 : « l’Éternel a déclaré à mon Seigneur : « Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que j’ai fait de tes ennemis ton marchepied » et le Livre de Daniel 7.14 : « On lui donna la domination, la gloire et le règne et tous les peuples, les nations et langues le serviront… » et ainsi aussi les écrits du Nouveau Testament tels que Romains 1.4 utilisent l’agencement divin pour décrire la divinité de Christ, « né de la postérité de David selon la chair et déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté par la résurrection d’entre les morts ». De même, en Actes 2.36, la résurrection de Jésus est conçue comme impliquant son exaltation à une position céleste d’importance majeure dans le plan de rédemption de Dieu. Essentiellement, comme Hurtado le souligne, Jésus de Nazareth a été associé à l’agencement divin que Paul a hérité du premier cercle de chrétiens juifs palestiniens et qu’il a lui-même élaboré partir de sa propre réflexion sur la signification de Christ ».
Le changement est apparu également dans les modes de dévotion. Selon Hurtado, « la dévotion chrétienne précoce a constitué une mutation significative dans le monothéisme juif. Il y a eu là une émergence d’une association étroite entre Dieu et Jésus-Christ et d’un mode monothéiste binitarien d’adoration et de prière ». « Les disciples ont fait l’expérience d’une présence énergétique nouvelle de Dieu en la personne de Jésus. Et une nouvelle conscience religieuse de la puissance d’amour de Dieu a jailli en eux. La transition du Jésus juif à Jésus- Christ, fils de Dieu, a fait irruption soudainement et rapidement et non graduellement et tardivement ». A partir de son origine, elle s’est rapidement étendue.
Une conscience nouvelle de la présence de Dieu
Ilia Delio nous parle ici en terme d’expérience spirituelle. « Si les disciples ont eu une conscience unique de Jésus comme Dieu, c’est parce que Jésus lui-même a manifesté une conscience nouvelle de la présence de Dieu. Comme Carl Jung l’a noté, Jésus est parvenu à un niveau supérieur, un niveau nouveau de la conscience de Dieu à l’intérieur de lui-même, réalisant un processus d’individuation et atteignant un niveau nouveau de liberté et ainsi un nouveau sens de mission. Selon Jung, les religions monothéistes ont évité la dimension psychique de le personnalité humaine, ce qui a conduit à une conception rétrécie de Dieu ». En ce sens, Ilia Delio pousuit : « Les chrétiens, en particulier, ont exclu la dimension psychique de la vie de Jésus de toute considération doctrinale, alors que c’est exactement ce qui distingue Jésus de Nazareth, une conscience nouvelle de la présence de Dieu qui l’a mené à ses actions radicales d’inclusivité, de guérison, de compassion et ultimement de sacrifice de soi.
L’expérience d’une nouvelle expérience immanente de Dieu est à l’origine de la dévotion à Jésus ». En suivant l’analyse de Sebastian Moore, Ilia Delio retrace trois étapes dans le développement de cette dévotion. La première étape fut « un éveil du désir lorsque les disciples firent l’expérience d’une joie et d’une extase dans leur interaction avec Jésus en Galilée, un sens nouveau et captivant de Dieu, un sens de Dieu délivré du fardeau du péché et de la culpabilité, le sens d’un Dieu ni éloigné, ni dominateur, mais une présence aimante et compatissante ». Cependant, au cours d’une deuxième étape marquée par la mort terrible de Jésus, les disciples ont fait « l’expérience de la désolation et du sentiment que tout était perdu. La mort de Jésus les a précipité dans une profonde crise spirituelle marquée par le désespoir, la honte et la confusion… Au sens jungien, les disciples subissait la mort de l’ego ».
Une troisième étape a suivi. « Moore suggère que la mort de Jésus a créé un sentiment de la mort de Dieu chez les disciples et que, avec l’apparition de Jésus ressuscité, ils ont fait l’expérience de Jésus ressuscité comme rien de moins que l’expérience renouvelée de Dieu en leur sein. Le Dieu de Jésus, le Père qui était mort avec Jésus et qui maintenant déclare son amour dans la résurrection de Jésus, Le Dieu qui est l’auteur de ce plan aimant et donneur de vie, réémergeait dans une puissance nouvelle ». Ils ressentaient que Jésus était Dieu. « Au début, ce fut un déplacement de la divinité vers Jésus qui devint le centre de leur nouvelle conscience de Dieu. Cependant, les disciples ne pouvaient appréhender cette extension de la divinité à Jésus sans que quelque chose prenne place à l’intérieur d’eux-mêmes. C’est au niveau de la conscience personnelle que cette nouvelle réalité a émergé. Selon Moore, c’est le mystère pascal de la mort et de la résurrection de Jésus qui a été la clef de la transformation radicale de la conscience de Dieu, une transformation qui a commencé avec leur expérience de Jésus dans son ministère terrestre et qui a été purifiée par la mort et la résurrection de Jésus ».
Une révolution théologique
Ilia Delio met en valeur le rôle majeur de la résurrection dans la transformation de la vision des disciples. « Pour eux, Dieu a émergé à nouveau vivant dans la personne même de Jésus, vivant comme jamais avant, avec une nouvelle compréhension d’eux-mêmes et de Jésus, radicalement transformée, libérée, énergisée ». C’est ainsi qu’une nouvelle vision théologique a émergé. « La mutation chrétienne a été une révolution théologique et une évolution de la personne humaine. La puissance du Dieu monothéiste a été éveillée dans la personne humaine comme la puissance d’une vie nouvelle révélée en Jésus et énergétisée par l’Esprit. Le langage de la Trinité a été une sténographie de la puissance partagée de l’amour, étendue dans la création par la Divinité… La transition du monothéisme au théisme binitarien, puis au théisme trinitarien, est une évolution de la conscience religieuse qui a des implications radicales pour une présence nouvelle de Dieu dans le monde et un nouveau genre de personne dans la montée d’un nouvel ordre mondial ».
Ultérieurement, une grande déviation théologique
La politisation de Dieu au Concile de Nicée en 325 et le mariage entre Athènes et Jérusalem ont mené à une héllénisation de la doctrine qui a provoqué une abstraction du langage philosophique dépouillé de sa dimension psychique. Le langage de la nature divine, essence, être et substance, devint une sémantique logique. La mutation chrétienne était avortée et la révolution de la puissance divine introduite par Jésus de Nazareth ne murit jamais. Au lieu d’une nouvelle puissance divine d’amour agissant dans le monde à l’intérieur de la personne humaine et à travers elle, ce qui a émergé, c’est l’internalisation du pouvoir divin exprimé dans un Dieu patriarcal… Comme la doctrine était institutionalisée, l’accent est passé de l’orthopraxie à l’orthodoxie. Le triomphe de l’institution patriarcale a supprimé la psyché humaine et a rendu impuissante la mutation chrétienne ».
Ilia Delio met en évidence l’ampleur du désastre. « Si la mutation chrétienne avait échappé à la politique de puissance et à la main-mise du patriarcat…, nous aurions probablement une église et un monde entièrement différents. Mais le nouveau mouvement était trop jeune et trop fragile pour y échapper : l’institutionnalisation du christianisme lui donna le pouvoir de modeler le premier millier d’années de la civilisation occidentale donnant naissance à une psyché sans Dieu et une humanité sans aucun vrai projet collectif ».
La primauté de l’expérience
Quelle est la portée de formulations doctrinales si elles ne s’appuient pas sur l’expérience ? Ilia Delio exprime la primauté de l’expérience : « Il me semble qu’à notre époque, le premier besoin théologique est que le psychologique assure la médiation du transcendant ». Elle précise : « Le seul vrai but du christianisme est d’éveiller le transcendant divin au niveau de la psyché. Tout le reste est mortel. La divinité de Jésus ressuscité et la nature trinitaire de l’être divin ne sont pas seulement des doctrines théologiques, mais des réalités profondément psychologiques. L’expérience des mystères à un niveau profondément psychologique est nécessaire avant leur expression dans la prière et la dévotion et avant l’articulation à une doctrine. La tâche de porter la foi et le sens religieux à la conscience contemporaine demande une médiation expressément psychologique, un éveil profondément personnel par lequel l’histoire de Jésus rencontre et transforme notre propre histoire personnelle »
Un enjeu majeur
Ilia Delio n’est pas seulement une théologienne, elle est également une scientifique qui suit de près l’avancée des sciences et des technologies. Elle est attentive à l’évolution du monde et à la mutation en cours de celui-ci. C’est dans cette perspective qu’elle situe la requête spirituelle et l’offre de la foi chrétienne. « Nous sommes aujourd’hui dans une étape de vie entièrement nouvelle au sein d’un univers en expansion. Nous en savons beaucoup plus sur la matière et l’esprit et nous avons une opportunité de changer le cours de l’histoire en portant la mutation chrétienne en alignement avec la science moderne et la cosmologie. Si nous ne le faisons pas, nous serons confrontés à des conséquences désastreuses. Aussi longtemps que la psyché humaine demeure évincée de son foyer naturel en la divinité, nous, humains, sommes des coquilles vides à la recherche de notre fondement de sens le plus profond. C’est le moment de reconnaitre en nous un terreau divin et transcendant et d’entrer dans une mutation qui peut mener à une réalité plus riche de la vie planétaire, pleinement vivante dans la gloire de Dieu ».
Cet texte d’Ilia Delio nous parait remarquable, car il éclaire notre expérience de foi, en la situant à l’image d’une première expérience, celle des disciples eux-mêmes inspirés par l’expérience de Jésus.
J H