Quelle est notre image de Dieu ?

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« A la recherche du désir de Dieu au plus profond et au plus vivant de mon désir ».

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         Aujourd’hui, les croyances, qui prédominaient jusqu’ici,  ne  sont plus fondées sur une évidence sociale. Les uns et les autres nous sommes appelés à nous interroger personnellement sur le sens de notre existence. Et, en réponse à cette recherche, si la foi chrétienne garde toute sa pertinence, les formes dans lesquelles elle s’exprime, sont à réexaminer, car elles sont parfois marquées par des représentations perturbantes issues d’un héritage social et culturel, elles-mêmes en décalage ou en contradiction par rapport à la dynamique originelle de cette foi. 

         Ainsi, une analyse de nos représentations s’impose. « Notre vie spirituelle, notre mode de relation avec Dieu, dépendent pour une part de nos représentations, et, évidemment, en premier lieu de notre représentation de Dieu. Et à cet égard, un discernement s’impose… Selon les milieux, selon les époques,  des représentations collectives circulent. Elles viennent parfois d’un passé lointain et sont issues de la culture correspondante. Elles sont codées, reproduites, diffusées à travers des systèmes de pensées. Les historiens peuvent nous dire que certaines de ces croyances ont eu pour effet la peur, la domination, et, en retour, par opposition, des réactions parfois excessives jusqu’à l’incrédulité et à l’athéisme » (1a). Sur ce blog,  nous cherchons à répondre aux questions correspondantes en ayant recours à différentes ressources, comme la pensée théologique de Jürgen Moltmann (1).

         Nous avons découvert dans le blog : « Au bonheur de Dieu »  réalisé par Sœur Michèle (2), une prise en compte analogue de l’importance des représentations dans la vie spirituelle et une recherche pour développer des représentations à même d’engendrer la joie et la paix, les bons fruits à travers lesquels on reconnaît le bon arbre.  Dans un article publié sur son blog (3), Sœur Michèle nous rapporte une rencontre organisée au Centre Spirituel du Cénacle qui  met en évidence combien il est indispensable de développer une bonne image de Dieu. Nos inconscients sont souvent imprégnés à leur insu par des représentations négatives issues du passé et qui s’expriment jusque dans notre interprétation des textes bibliques. Ainsi, les propos de Sœur Michèle sont particulièrement bienvenus et ils touchent notre cœur parce qu’ils répondent à nos aspirations profondes dans lesquelles l’Esprit de Dieu se manifeste.

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J.H.

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Soirée avec Thierry Bizot.

( aubonheurdedieu-soeurmichele. Jeudi 16 févier 2012)

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         Vendredi dernier, au Centre Spirituel du Cénacle de Versailles, nous avons proposé une soirée pour des étudiants et des jeunes pro, pour écouter le témoignage de Thierry Bizot. Il est l’auteur du livre : « Catholique anonyme » d’où a été tiré le film : « Qui a envie d’être aimé ? » (4)

         Ce fut une superbe soirée. J’ai été particulièrement intéressée par une de ses réflexions, car elle rejoint ma propre expérience. Thierry Bizot pose la question suivante : le succès du livre et du film montre bien que beaucoup sont travaillé-es par la question de Dieu. Pourquoi si peu font-ils le pas de la conversion ? A cette question, il répond : « Parce que les gens ont peur de Dieu. ». Peur d’un Dieu qui demanderait forcément des choses à l’opposé de leurs désirs. Donc, on reste à distance pour ne pas entrer dans cette opposition.

         Thyerry Bizot répond que cette image est fausse. Dieu est au contraire celui qui nous aide à découvrir et à réaliser nos vrais désirs. Je signe mille fois cette réponse.

C’est cela que j’ai découvert en faisant les Exercices spirituels de St Ignace de Loyola. Cette expérience m’a permis de libérer mon désir profond. Ensuite, je n’ai pas cessé d’aider les gens que j’accompagne dans des retraites ou dans la vie, à découvrir cela.

         Cela rejoint la question de la fausse compréhension de la volonté de Dieu. Elle n’est pas à rechercher en dehors de soi. Comme si Dieu aurait écrit dans un grand livre ce que je dois faire. C’est terrible cette image, car comment découvrir ce qui y serait écrit ? Mais aussi quelle image de Dieu cela véhicule !: Un tyran qui décide à notre place.

         Non, l’expérience de Dieu m’aide à aller au plus profond de moi pour découvrir ce qui me fera le plus vivre à plein, libère les désirs les plus profonds, les plus humains, les plus vivants qui vont me permettre de bâtir ma vie.

Ce n’est donc pas un conflit entre mon désir et le désir de Dieu, mais la recherche du désir de Dieu au  plus profond, au plus fort et au plus vivant de mon désir.

Un épisode de l’Evangile le montre très bien. C’est en Marc au chapitre 1 verset 40 à 45. Un lépreux vient vers Jésus et lui dit : « Si tu le veux, tu peux me guérir » et Jésus répond : « Je le veux, sois guéri ». Le désir de Jésus est le même que le désir de cet homme.

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Sœur Michèle

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(1)            Un blog permettant d’accéder à la pensée théologique de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie http://www.lespritquidonnelavie.com/  . La citation est empruntée à la présentation de ce blog : http://www.lespritquidonnelavie.com/?page_id=641   Dans le même sens, nous faisons également appel au témoignage et à la réflexion d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (Empreinte, 2011. Voir sur ce blog : « Confiance ! Le message est passé » : https://vivreetesperer.com/?p=1246

(2)            aubonheurdedieu-soeurmichele http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/ En présentant des pistes de lecture et des commentaires à propos de textes évangélique, souvent utilisés pour une animation de retraites, ce blog nous apparaît comme un lieu de ressourcement dans une dynamique de Vie. Ainsi, commentant la parole de Marthe à Jésus, Sœur Michèle écrit : « L’écouter, le regarder pour qu’il nous soit donné de quitter nos fausses images de nous-même et de Dieu et pouvoir confesser que Dieu est Seigneur de vie et de liberté »

         (3)            sur le blog aubonheurdedieu-soeurmichele : jeudi 16 février 2012

Le Journal 7. Soirée avec Thierry Bizot

 

L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous !

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Interview de Jürgen Moltmann

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Dans son œuvre théologique inspirée par la parole biblique et en phase avec les questionnements de notre temps, Jürgen Moltmann répond à beaucoup de nos interrogations et c’est pourquoi sa pensée est très présente sur ce blog (1). L’œuvre de Moltmann est considérable (2). Dans cette interview, il répond à des questions qui  lui sont posées en prélude à une conférence nationale théologique organisée par le « Trinity College » aux Etats-Unis (3).

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moltmann
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Pour entrer plus profondément dans la pensée de Jürgen Moltmann, on se reportera au livre : « De commencements en recommencements. Une dynamique de l’espérance » (4). Nous renvoyons également au blog : « L’Esprit qui donne la vie » qui se donne pour but de présenter la pensée de Moltmann en termes accessibles à tous (5).

Nous présentons ici les grands thèmes de son interview dans une transposition en français qui cherche à rendre compte de l’orientation de sa pensée à partir d’extraits de ses propos.

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Dans la fin, un commencement

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Les derniers mots de Dietrich Bonhoeffer, avant d’être conduit à la potence, ont été : « C’est la fin. Pour moi, le commencement de la vie ». Dans la fin, il y a un commencement nouveau. Si vous cherchez un nouveau commencement, il viendra à vous. Je suis convaincu que, dans la fin, il y a un nouveau commencement qui est caché. J’ai fait cette expérience dans ma vie à ses débuts dans le gigantesque incendie de Hambourg et le camp de prisonniers où j’étais détenu. Dans la fin, vous devez regarder en avant et ne jamais abandonner.

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L’eschatologie : la puissance de vie de l’espérance.

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L’eschatologie est un mot qui peut paraître étrange. En fait, ce mot traduit la puissance de vie de l’espérance, une force qui permet de se relever après une défaite et de recommencer. Jürgen Moltmann montre un culbuto : ce petit bonhomme qui se redresse à chaque fois qu’on le met par terre.

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L’eschatologie, un regard vers l’avenir

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L’eschatologie ne concerne pas seulement l’avenir, mais elle porte aussi sur la présence actuelle de cet avenir. Si l’avenir, c’est la nouvelle création et la résurrection des morts, alors cette présence est déjà remplie par l’expérience de la résurrection. Nous expérimentons cette présence de vie avant la mort dans l’esprit de la résurrection : être né à nouveau dans une espérance vivante selon le Nouveau Testament. Cela nous donne la certitude de ressusciter après la mort. Ainsi ce n’est pas une spéculation. Ce n’est pas un désir non fondé, une imagination issue de notre désir (« wishful thinking ». C’est le pouvoir de tenir bon.

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Non au catastrophisme

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Si nous nous attendons à une catastrophe à la fin du monde, comment pourrions-nous sauvegarder le monde d’aujourd’hui ? Après nous, le déluge ! Nos attentes modèlent toujours notre expérience du présent et les décisions que nous prenons. C’est pourquoi l’attente apocalyptique d’une catastrophe à la fin de l’Histoire est particulièrement dangereuse, car elle détruit ce qui doit être préservé au nom de Dieu, ici et maintenant.

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Une espérance à l’œuvre dans l’histoire humaine.

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Les aspirations humaines à un épanouissement de l’humanité constituent une attente ancienne qui est importante parce qu’elle représente un pont entre l’histoire humaine et la nouvelle création du monde. L’espérance chrétienne s’inscrit dans l’Histoire : travailler pour un monde meilleur ici et maintenant. Il y a un but dans l’Histoire parce que l’unicité  de Dieu s’incarne en Christ. Christ est le royaume de Dieu en personne. Il ne vient pas dans le temps, il le transforme. Suivre Christ, c’est travailler pour le royaume, partager sa mission messianique d’apporter l’Evangile aux pauvres, de guérir les malades, de libérer les opprimés.

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Comment Jürgen Moltmann lit la Bible

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Dans la Bible, il y a la présence de la Parole de Dieu dans un langage humain. Je ne dirai pas que chaque mot dans la Bible est une parole de Dieu. La Bible est un témoignage humain à la présence de la Parole de Dieu. Je lis et j’écoute ce que disent les psaumes, les prophètes, les apôtres et les évangélistes. J’y pense. Je compare. Puis je converse avec les auteurs pour trouver une solution à mes problèmes. J’ai un grand respect pour la présence de Dieu dans la Bible. J’ai aussi du respect pour ma conscience et le travail de mon intelligence. Je cherche une solution par rapport à mes questions.

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Comment Jürgen Moltmann élabore sa pensée théologique.

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La première vertu théologique est la curiosité. Quand je réfléchis sur un thème, par exemple l’espérance, j’applique cette perspective à différents sujets. Par exemple : A quoi ressemble la création dans une perspective d’espérance ? Ou bien  comment envisager l’histoire humaine sur ce registre ? Et comment considérer l’être humain sous cet angle ? C’est une approche un peu centrée, mais elle permet de découvrir de nouvelles choses. De même si vous pensez à la souffrance de Christ et de Dieu sur la croix, vous pouvez, à partir de là, explorer le thème de la souffrance. Dix ans plus tard, j’ai développé une doctrine sociale de la Trinité. La vie sociale, la sociabilité humaine devraient refléter l’image de Dieu comme un Dieu relationnel, trois en un, trine .

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La représentation du temps

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Notre expérience du temps est celle d’un temps qui passe, un temps transitoire qui s’écoule nous laissant dépourvu. C’est ce que l’on désigne par le terme de « chronos » Mais Christ ne vient pas dans le temps. Il vient pour transformer le temps. Il transforme le temps en « kairos », une vie pleine, un temps qui dure en sa présence. Nous faisons l’expérience de chronos. Ce que nous attendons dans l’Esprit de Dieu, c’est kairos. Ce que nous attendons, c’est une vie éternelle .En Christ, nous expérimentons un passage de chronos à kairos. Chronos est en train de s’éloigner. Kairos est en train de venir.

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Le Royaume de Dieu : une réalité holistique.

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Dans le Royaume de Dieu, le divin et l’humain, le céleste et le terrestre s’entrelacent et s’interpénètrent. C’est la vision des prophètes d’Israël et des apôtres. Aucun aspect de la vie n’est séparé de Dieu. Si on se focalise sur le salut de l’âme, alors on néglige le salut social et le salut de la nature. Nous avons besoin d’une compréhension holistique du Royaume de Dieu qui est présent partout. « Voici, je fais toutes choses nouvelles », peut-on lire dans le chapitre 21 de l’Apocalypse. C’est la promesse d’une nouvelle création.

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Le jugement dernier

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Dans le Nouveau Testament, il y a deux courants de pensée à propos du jugement. D’une part, Matthieu et Marc, d’autre part l’apôtre Paul. Ce dernier a globalement une pensée universaliste. A la fin, « toutes langues confesseront que Jésus est Seigneur à la gloire de Dieu le Père ». Face à ces différences d’appréciation, on doit donc se former son propre jugement. Je pense que le jugement final n’a pas grand chose à voir avec le Bien et le Mal, ou les bons et les méchants mais bien plus avec les victimes et les bourreaux. Nous devrions attendre ce jugement final avec joie parce que ce sera la victoire de la justice de Dieu. Cette justice, n’est pas une dénonciation : ceci est bon et ceci est mauvais, mais c’est une justice créatrice. Elle apporte la justice à ceux qui ont souffert de la violence et elle apporte la justification aux pécheurs pour transformer les pécheurs en personnes justes. C’est un grand chantier théologique que de christianiser la représentation du jugement final.

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Nous ne sommes pas étrangers sur cette terre.

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L’espérance chrétienne, ce n’est pas d’aller au ciel, mais c’est la « résurrection de la chair et la vie du monde à venir ». Le monde à venir, c’est une nouvelle terre et un ciel nouveau, une situation où la terre et le ciel se rencontrent. Cette espérance, ce n’est pas quitter le monde pour aller au ciel, parce que cette conception détache les gens de la terre, de ce qui se passe ici et maintenant. Si notre patrie, notre « chez moi », n’est pas dans ce monde, mais au ciel, nous n’avons plus à nous soucier de la terre. Nous sommes des hôtes de passage, des étrangers sur cette terre. Alors nous pouvons faire ce que nous voulons : exploiter la terre, détruire la terre. Cela n’est pas l’espérance chrétienne. C’est une autre religion.

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Le christianisme : non pas la condamnation, mais la vie

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Qui sommes-nous pour condamner quelqu’un ? Est-il possible de dire à propos d’un fils incrédule: malheureusement, il ira en enfer. Je ne suis pas universaliste, car il y a quelques personnes que je n’aimerais pas retrouver. Mais Dieu peut l’être. Naturellement, il ne va pas abandonner une de ses créatures, même si elle est pervertie. Il ne va pas abandonner sa créature, mais la transformer. La religion chrétienne, ce n’est pas la condamnation. C’est la vie, la puissance de la vie, la puissance de l’amour.

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Une bonne nouvelle

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Nous recevons ces propos de Jürgen Moltmann comme une bonne nouvelle. Dans un monde religieux où, dans telle ou telle configuration, on peut percevoir de l’étroitesse de vue et de la violence, ces propos nous proposent une vision unifiante, pacifiante, une dynamique d’espérance et de vie.   « Que le Dieu de l’Espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi pour que vous abondiez en espérance par la puissance du Saint-Esprit ! ». Jürgen Moltmann évoque cette citation de l’épître aux Romains (15, 13) au début d’un chapitre de son livre : « De commencements en recommencements ». Il écrit : « L’avenir n’est pas un aspect du christianisme mais l’élément de la foi qui se veut chrétienne…La foi est chrétienne lorsqu’elle est la foi de Pâques. Avoir la foi, c’est vivre dans la présence du Christ ressuscité et tendre vers le futur royaume de Dieu. C’est dans l’attente créatrice de la venue de Christ que nous faisons les expériences quotidiennes de la vie… La foi qu’un autre monde est possible rend les chrétiens durablement capables de se tourner vers l’avenir » (6).

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J H

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(1)            Pourquoi ce blog ? https://vivreetesperer.com/?page_id=2  Sur ce blog, articles en rapport direct avec la pensée théologique de Jürgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/?tag=jurgen-moltmann

(2)            On pourra suivre le développement de la pensée théologique de Moltmann dans son autobiographie : « A broad place ».  Mise en perspective de ce livre : « Une théologie pour notre temps » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(3)            Interview de Jürgen Moltman dans une vidéo présentée par le « Trinity Institute » à l’occasion d’une 37è conférence théologique nationale aux Etats-Unis : « God’s unfinished future. Why it matters now » : http://www.trinitywallstreet.org/video/gods-unfinished-future-jurgen-moltmann-interview  Cette interview, réalisée au domicile de Jürgen Moltmann dans son cadre familier  n’exprime pas seulement quelques réflexions profondes. Elle nous permet aussi d’entrer en contact avec une personnalité empathique.

(4)            Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. Présentation sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance »  https://vivreetesperer.com/?p=572

(5)            Voir le blog : « L’Esprit qui donne la vie. Réfléchir et méditer avec Jürgen Moltmann » : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(6)            In : « De commencements en recommencements » p 110

Jean Jaurès : mystique et politique d’un combattant républicain, selon Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson

Une vision spirituelle, dans et pour le monde

 A certains moments dans l’histoire, de grandes personnalités émergent. Elles portent une cause et vivent un idéal. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean Jaurès. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont écrit à leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : «  Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain » (2). « Tout le monde croit connaître Jean Jaurès, icône républicaine qui demeure encore dans les mémoires, cent ans après sa mort (en 1914), le père du socialisme français, le fondateur de « l’Humanité », l’historien de la Révolution Française, l’inlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, le pacifiste assassiné à la veille de la Grande Guerre (3).  Mais d’où lui venait ce souffle qui l’habitait, quel était le fondement de son élan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson décrivent et analysent ici la pensée philosophique, métaphysique de Jean Jaurès dans le contexte de son époque.

Voilà une recherche qui nous concerne. A certains moments de l’histoire, dans telle conjoncture, l’accès à une inspiration religieuse peut être entravé parce que l’institution correspondante s’enferme, s’éloigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXè siècle, l’Eglise catholique s’érigea en pouvoir hostile aux acquis de la Révolution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il être vécu, lui, qui, en France, avait été associé, pour une part importante, au catholicisme ? Comment l’inspiration évangélique allait elle contribuer à irriguer la société française ? Lorsque l’eau vive se heurte à un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans  notre humanité, il nous faut explorer et reconnaître les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourd’hui, au cours des dernières décennies, un écart s’est creusé entre les institutions religieuses, accusé pour certaines, moindre pour d’autres, et une nouvelle manière de vivre et de penser. Aujourd’hui encore des scandales apparaissent qui témoignent de l’inadéquation et de la faillite de tel système religieux Alors, pour que l’inspiration spirituelle, l’inspiration évangélique, puissent continuer à irriguer notre société, il est important que des pensée et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversité, une offre renouvelée. La question s’est posée à la fin du XIXè siècle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourd’hui.

Voilà pourquoi, le livre d’Eric et de Sophie Vinson nous paraît important, car il nous montre, entre autres, comment, à cette époque, Jean Jaurès a fondé son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision s’est exprimée dans une dimension philosophique.  « Jean Jaurès est non seulement un philosophe, normalien, agrégé, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si l’on néglige sa thèse sur « la réalité du monde sensible », si l’on passe à côté de sa spiritualité- qui s’oppose au pouvoir temporel de l’Eglise catholique, mais reconnaît en l’homme la présence du divin-, on ignore les principes mêmes qui ont guidé toute son action » (2a).

 

La réalité du monde sensible

 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensée de Jaurès telle qu’elle se déploie dans sa thèse principale de philosophie : « De la réalité du monde sensible » éditée en 1891 et rééditée quasiment à l’identique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « présenter cette philosophie en elle- même, à partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est décrit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons à quelques notations.

En affirmant la « réalité du monde sensible », Jaurès s’oppose d’une part au « subjectivisme qui réduit le monde sensible, matériel, au sujet », et, d’autre part, « au matérialisme qui réduit le sujet au monde matériel » (p 68). Et il dépasse « le divorce du sujet et de l’objet, grâce à la notion d’être, ce grand « englobant » métaphysique injustement oublié par les deux courants rivaux : subjectivisme et matérialisme (p 55).

Ce qu’affirme Jaurès, c’est « l’unité dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons qu’il y a  dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indépendante de tout organisme étroit et éphémère, qu’elle est présente partout sans être enchainée nulle part, qu’elle n’a d’autre sens que l’infini lui-même, et qu’ainsi toutes les manifestations de l’infini, l’espace, la lumière, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie d’éternelle réalité »  ( p 57). Et c’est dans cette perspective que Jaurès envisage la divinité : « Dieu ne doit pas être pensé sur notre modèle, seulement plus grand. Il est la réalité elle-même… ». « La conscience absolue n’est pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciences… » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensée. « Ce Dieu-conscience absolue » semble être en quelque sorte l’« intériorité » profonde  – autrement dit le « cœur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vérités rationnelles. Présent en eux au tréfonds, Il ne se réduit pas à eux et les dépasse qualitativement de manière infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule présence, « unité de toutes les unités ». Actif au cœur de toutes les réalités finies, Lui, l’infini divin, il les contient ainsi toutes d’un certain point de vue…Et cela constitue l’ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et même inaperçu par la plupart ». A deux reprises, Jaurès cite textuellement le discours de Paul devant l’aéropage (Actes 17. 28) : « En la Divinité, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (p 64).

A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thèse vient nous éclairer en rejoignant notre expérience quotidienne : « Précisément parce que c’est la conscience  absolue qui fait la réalité du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur réalité familière et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mêlant au monde, n’y répand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens… Dans la conscience absolue et divine, ce n’est pas seulement le ciel grandiose et étoilé qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison où, outre la table de famille et le foyer, l’homme, avec ses humbles  outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .

Dans un chapitre : « Du panthéisme à la « Philosophia Perennis », les auteurs s’emploient à situer la pensée de Jaurès parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de l’immanence divine… mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont également distincts et dans un rapport « hiérarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde… C’est un point de vue qui peut être reconnu comme panenthéiste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu… mais tout n’est pas Dieu au sens où la réalité divine excède infiniment la réalité perceptible qu’il habite néanmoins intimement et qui ne saurait être sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann vient aujourd’hui éclairer cette dimension panenthéiste dans sa théologie de la création (4) .

 

Reliance spirituelle à travers l’histoire

 En cette fin du XIXè siècle, l’institution catholique s’oppose au mouvement des idées et s’enferme dans la défense d’un système dominateur . Et, à l’opposé, s’affirme une conception athée et matérialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean Jaurès exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre qu’il n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un courant de pensée, vaste et diversifié. C’est dire que, face aux enfermements, il y a là beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. L’inspiration chrétienne peut y trouver sa place.

« Comme l’a montré Paul Bénichou, dans sa monumentale étude sur les « Romantismes français », l’intelligence et les lettres françaises sont travaillées par une question fondamentale : après l’ouragan de la Révolution, le catholicisme peut-il encore incarner l’autorité spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ?  Et si l’Eglise doit perdre le mandat du Ciel » en même temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?

Les auteurs évoquent ensuite de nombreuses personnalités, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espérait « protestantiser » la France pour établir durablement la démocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur l’impact de la problématique religieuse en matière de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs d’un « socialisme chrétien ». Ils évoquent de nombreux courants : «  les effusions politico-religieuses de 1848, la montée des idéaux démocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un ésotérisme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poète français, conscience morale de la République naissante, prophète d’un avenir démocratique et social » sans compter presque tous les grands écrivains français d’alors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et l’ésotérisme » (p 103-105).

On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idées à l’échelle française, mais plus largement à l’échelle européenne. Et, à cet égard, Jean Jaurès s’est également inspiré de la pensée germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de Jaurès sur le poème de Victor Hugo, intitulé « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystère et, comprise à fond, elle révèle Dieu, ou plutôt, elle est l’expression même de Dieu… La nature est embrasée d’esprit et l’esprit, sans sortir de l’ordre naturel et de ses lois, peut prétendre à de prodigieux développements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité à l’ordre, à la justice, à la joie.  En ce sens aussi, Dieu est agissant… Je vous assure qu’il se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et l’idéal dans le réel. En même temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les âmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXè siècle, on peut penser qu’il éveille un écho dans  notre société en recherche de sens, d’un nouveau rapport avec la nature et d’une dimension écologique.

La spiritualité de Jaurès fut, à l’époque, méconnue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourd’hui, il en est de même. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru à la fois, en tout cas hors d’un contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement écologique qui se développe aujourd’hui, une vision nouvelle de la nature apparaît . Certains  y reconnaissent la présence du divin . Une théologie de la création se manifeste. Des articles parus sur ce blog témoignent de cette évolution (5). En 1988, paraît en France un livre pionnier de Jürgen Moltmann : « Dieu dans la création », intitulé, dès cctte époque : Traité écologique de la création » (4). L’œuvre de l’Esprit y est mise en évidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa création. Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies et des possibilités de l’Esprit cosmique. C’est pourquoi, il faut comprendre toute réalité créée de façon énergétique, comme possibilité réalisée de l’Esprit divin. Grâce aux possibilités et énergies de l’Esprit, le Créateur lui-même est présent dans sa création . Il ne s’oppose pas à elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en même temps immanent » (p 22-23). En se reportant à la pensée de Jean Jaurès dans sa thèse : « De la réalité du monde sensible », il y a une proximité dans les deux approches.

 

Une inspiration pour notre temps

 Dans leur livre sur Jean Jaurès, Eric et Sophie Vinson expriment  « l’urgence démocratique actuelle de trouver une voie – d’entendre une voix – pour relier, dynamiser, concrétiser la quête de sens individuelle et collective, en pleine faillite du désordre établi » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources à l’appui, un fil conducteur stimulant, original dans le dédale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi à travers les principales facettes – de faits inséparables et quasi simultanés – de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilité pour nous,  qui errons dans un monde sans repères en plein bouleversement. Revisiter l’ouverture jaurésienne, c’est se poser les questions des rapports entre spiritualité et démocratie, entre mystique et politique, entre métaphysique et socialisme, entre éthique et pouvoir, entre conviction et responsabilité… » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensée dans notre  avancée écologique.

Conscients de ce besoin de sens et d’inspiration, Eric et Sophie Vinson  envisagent la personnalité de Jean Jaurès parmi d’autres figures historiques qui leur paraissent présenter des ressemblances. C’est ce qu’ils appellent « la famille des « spirituels engagés » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le Dalaï Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si l’étude de ces spirituels engagés, à commencer par Jaurès si typiquement français, nous permettait d’entrevoir l’aube d’un nouvel humanisme en politique… » ( p 26).

Cependant cette aspiration s’inscrit dans une durée historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision d’un monde qui n’est pas abandonné à une destinée aveugle, mais habité par la présence du divin. C’est l’approche de Jean Jaurès dans sa thèse sur « la réalité du monde sensible ».   Aujourd’hui, c’est aussi celle de Jürgen Moltmann dans sa théologie de l’espérance. Une nouvelle vision de la création émerge et accompagne la prise de conscience écologique. Ainsi, on peut redire avec Jean Jaurès : « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité, à l’ordre, à la justice, à la joie » ( p 108).

 

J H

  1. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
  2. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014 2a quatrième de couverture   Nous n’avons abordé ici qu’une partie limitée de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean Jaurès, ce « prophète ». C’est une lecture particulièrement fructueuse.
  3. Un fait marquant dans la lutte de Jaurès pour la paix : « Un été pas comme les autres. Le début de la grande guerre et l’assassinat de Jaurès. Un édito vidéo d’Antoine Nouis dans Réforme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
  4. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1998 « Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
  5. « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                    « Convergences écologiques : « Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » :  https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/         La publication de l’encyclique Laudato Si’ par le Pape François est un moment important dans la montée d’une théologie écologique.

 

 

Jean Jaurès : mystique et politique d’un combattant républicain, selon Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson

Jean Jaurès le prophète - Albin MichelUne vision spirituelle, dans et pour le monde

A certains moments dans l’histoire, de grandes personnalités émergent. Elles portent une cause et vivent un idéal. Ce fut le cas de Mandela et de Gandhi (1). En France, ce fut le cas de Jean Jaurès. Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson ont écrit à leur sujet. Et nous revenons ici sur un de leurs livres : «  Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain » (2). « Tout le monde croit connaître Jean Jaurès, icône républicaine qui demeure encore dans les mémoires, cent ans après sa mort (en 1914), le père du socialisme français, le fondateur de « l’Humanité », l’historien de la Révolution Française, l’inlassable combattant dreyfusard, le champion parlementaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, le pacifiste assassiné à la veille de la Grande Guerre (3).  Mais d’où lui venait ce souffle qui l’habitait, quel était le fondement de son élan humaniste et en quoi croyait-il ? » (2a). Eric et Sophie Vinson décrivent et analysent ici la pensée philosophique, métaphysique de Jean Jaurès dans le contexte de son époque.

Voilà une recherche qui nous concerne. A certains moments de l’histoire, dans telle conjoncture, l’accès à une inspiration religieuse peut être entravé parce que l’institution correspondante s’enferme, s’éloigne de la vie, adopte une posture dominatrice . Au XIXè siècle, l’Eglise catholique s’érigea en pouvoir hostile aux acquis de la Révolution Française. Ce fut « la guerre des deux France ». Mais alors comment le christianisme pouvait-il être vécu, lui, qui, en France, avait été associé, pour une part importante, au catholicisme ? Comment l’inspiration évangélique allait elle contribuer à irriguer la société française ? Lorsque l’eau vive se heurte à un barrage, elle prend de nouveaux chemins. Dans  notre humanité, il nous faut explorer et reconnaître les formes nouvelles qui viennent compenser un manque. Aujourd’hui, au cours des dernières décennies, un écart s’est creusé entre les institutions religieuses, accusé pour certaines, moindre pour d’autres, et une nouvelle manière de vivre et de penser. Aujourd’hui encore des scandales apparaissent qui témoignent de l’inadéquation et de la faillite de tel système religieux Alors, pour que l’inspiration spirituelle, l’inspiration évangélique, puissent continuer à irriguer notre société, il est important que des pensée et des formes nouvelles apparaissent en apportant, dans toute sa diversité, une offre renouvelée. La question s’est posée à la fin du XIXè siècle. Dans une autre contexte, elle se pose aujourd’hui.

Voilà pourquoi, le livre d’Eric et de Sophie Vinson nous paraît important, car il nous montre, entre autres, comment, à cette époque, Jean Jaurès a fondé son action politique et sociale sur une vision spirituelle. Cette vision s’est exprimée dans une dimension philosophique.  « Jean Jaurès est non seulement un philosophe, normalien, agrégé, un auteur rivalisant avec Bergson, mais aussi un authentique spirituel. Si l’on néglige sa thèse sur « la réalité du monde sensible », si l’on passe à côté de sa spiritualité- qui s’oppose au pouvoir temporel de l’Eglise catholique, mais reconnaît en l’homme la présence du divin-, on ignore les principes mêmes qui ont guidé toute son action » (2a).

 

La réalité du monde sensible

 Eric et Sophie Vinson nous exposent la pensée de Jaurès telle qu’elle se déploie dans sa thèse principale de philosophie : « De la réalité du monde sensible » éditée en 1891 et rééditée quasiment à l’identique en 1902. « Nous voulons », disent-ils, « présenter cette philosophie en elle- même, à partir de sa dimension spirituelle ». Dans ce bref article, nous ne pouvons suivre le fil du raisonnement qui nous est décrit dans ce livre auquel on se reportera. Nous nous bornerons à quelques notations.

En affirmant la « réalité du monde sensible », Jaurès s’oppose d’une part au « subjectivisme qui réduit le monde sensible, matériel, au sujet », et, d’autre part, « au matérialisme qui réduit le sujet au monde matériel » (p 68). Et il dépasse « le divorce du sujet et de l’objet, grâce à la notion d’être, ce grand « englobant » métaphysique injustement oublié par les deux courants rivaux : subjectivisme et matérialisme (p 55).

Ce qu’affirme Jaurès, c’est « l’unité dynamique de tout ce qui est » (p 64). « Nous constatons qu’il y a  dans toutes les consciences individuelles , une conscience absolue et indépendante de tout organisme étroit et éphémère, qu’elle est présente partout sans être enchainée nulle part, qu’elle n’a d’autre sens que l’infini lui-même, et qu’ainsi toutes les manifestations de l’infini, l’espace, la lumière, le son, trouvent en elle, leur centre de ralliement et une garantie d’éternelle réalité »  ( p 57). Et c’est dans cette perspective que Jaurès envisage la divinité : « Dieu ne doit pas être pensé sur notre modèle, seulement plus grand. Il est la réalité elle-même… ». « La conscience absolue n’est pas un moi comme les autres, elle est le moi de tous les mois, la conscience de toutes les consciences… » ( p 65). Les auteurs nous expliquent les ressorts de cette pensée. « Ce Dieu-conscience absolue » semble être en quelque sorte l’« intériorité » profonde  – autrement dit le « cœur » – des mois particuliers, des consciences individuelles comme des vérités rationnelles. Présent en eux au tréfonds, Il ne se réduit pas à eux et les dépasse qualitativement de manière infinie. Mais Il les rassemble aussi par Sa seule présence, « unité de toutes les unités ». Actif au cœur de toutes les réalités finies, Lui, l’infini divin, il les contient ainsi toutes d’un certain point de vue…Et cela constitue l’ ordre ordinaire des choses simples, simplement incompris et même inaperçu par la plupart ». A deux reprises, Jaurès cite textuellement le discours de Paul devant l’aéropage (Actes 17. 28) : « En la Divinité, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (p 64).

A la suite de ce raisonnement, la conclusion de la thèse vient nous éclairer en rejoignant notre expérience quotidienne : « Précisément parce que c’est la conscience  absolue qui fait la réalité du monde, tous les individus, toutes les forces du monde gardent leur réalité familière et leurs devoirs familiers . Dieu, en se mêlant au monde, n’y répand pas seulement la vie et la joie, mais aussi la modestie et le bon sens… Dans la conscience absolue et divine, ce n’est pas seulement le ciel grandiose et étoilé qui trouve sa justification, mais aussi la modeste maison où, outre la table de famille et le foyer, l’homme, avec ses humbles  outils, gagne pour lui et les siens, le pain de chaque jour » (p 66) .

Dans un chapitre : « Du panthéisme à la « Philosophia Perennis », les auteurs s’emploient à situer la pensée de Jaurès parmi les grandes tendances philosophiques. Nous retiendrons ceci : « Dieu et le monde sont un de point de vue de l’immanence divine… mais du point de vue de la transcendance divine, Dieu et le monde sont également distincts et dans un rapport « hiérarchique » puisque Dieu ne se limite pas au monde… C’est un point de vue qui peut être reconnu comme panenthéiste » : Dieu est partout, en tout et tout est en Dieu… mais tout n’est pas Dieu au sens où la réalité divine excède infiniment la réalité perceptible qu’il habite néanmoins intimement et qui ne saurait être sans Lui » (p 75). Dans le mouvement de la théologie chrétienne, Jürgen Moltmann vient aujourd’hui éclairer cette dimension panenthéiste dans sa théologie de la création (4) .

 

Reliance spirituelle à travers l’histoire

En cette fin du XIXè siècle, l’institution catholique s’oppose au mouvement des idées et s’enferme dans la défense d’un système dominateur . Et, à l’opposé, s’affirme une conception athée et matérialiste. Dans ce contexte, nous avons vu combien Jean Jaurès exprime une vision spirituelle. Eric et Sophie Vinson nous montre qu’il n’est pas isolé. Il s’inscrit dans un courant de pensée, vaste et diversifié. C’est dire que, face aux enfermements, il y a là beaucoup de chercheurs qui oeuvrent pour une ouverture spirituelle. L’inspiration chrétienne peut y trouver sa place.

« Comme l’a montré Paul Bénichou, dans sa monumentale étude sur les « Romantismes français », l’intelligence et les lettres françaises sont travaillées par une question fondamentale : après l’ouragan de la Révolution, le catholicisme peut-il encore incarner l’autorité spirituelle ? Au prix de quelles adaptations ?  Et si l’Eglise doit perdre le mandat du Ciel » en même temps que la monarchie, par quoi, par qui et comment la remplacer ? » ( p 109) ?

Les auteurs évoquent ensuite de nombreuses personnalités, parmi lesquelles nous retiendrons ici : « Edgar Quinet qui espérait « protestantiser » la France pour établir durablement la démocratie, Alexis de Tocqueville qui initia une longue « tradition sociologique » de recherche sur l’impact de la problématique religieuse en matière de transformation sociale et de transformation du lien social, Lamennais, Lacordaire et Ozanam, pionniers de la question sociale venus du catholicisme, Pierre Leroux et Philippe Buchez, porteurs d’un « socialisme chrétien ». Ils évoquent de nombreux courants : «  les effusions politico-religieuses de 1848, la montée des idéaux démocratiques et sociaux dans la franc-maçonnerie, le « socialisme utopique » français,  un ésotérisme, le courant occultiste, Victor Hugo, « le plus grand poète français, conscience morale de la République naissante, prophète d’un avenir démocratique et social » sans compter presque tous les grands écrivains français d’alors (Balzac, Stendhal, Flaubert, Georges Sand etc) chez lesquels on peut trouver des passages ou des livres entiers, en rapport avec le spirituel et l’ésotérisme » (p 103-105).

On ne doit pas seulement envisager le mouvement des idées à l’échelle française, mais plus largement à l’échelle européenne. Et, à cet égard, Jean Jaurès s’est également inspiré de la pensée germanique, en particulier de la « Naturphilosophie » (p 106). Les auteurs citent un article de Jaurès sur le poème de Victor Hugo, intitulé « Dieu » : « Si tout est nature, il faut comprendre la nature dans sa profondeur et dans son mystère et, comprise à fond, elle révèle Dieu, ou plutôt, elle est l’expression même de Dieu… La nature est embrasée d’esprit et l’esprit, sans sortir de l’ordre naturel et de ses lois, peut prétendre à de prodigieux développements » ( p 107-108). Cette vision du monde se traduit en action. « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité à l’ordre, à la justice, à la joie.  En ce sens aussi, Dieu est agissant… Je vous assure qu’il se fait en ce moment dans les esprits un travail immense pour retrouver Dieu dans la nature et l’idéal dans le réel. En même temps que les foules souffrantes aspirent vers le juste, les âmes pensantes font effort vers le vrai et vers le divin. Il y a dans le socialisme aussi des ferments mystiques : les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo, sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps » ( p 108-109). Si ce texte date de la fin du XIXè siècle, on peut penser qu’il éveille un écho dans  notre société en recherche de sens, d’un nouveau rapport avec la nature et d’une dimension écologique.

La spiritualité de Jaurès fut, à l’époque, méconnue par ceux qui ne voulaient pas la voir. Et aujourd’hui, il en est de même. Selon les auteurs, le terme de « Dieu » serait devenu « pesant et incongru à la fois, en tout cas hors d’un contexte confessionnel » . Cependant dans le mouvement écologique qui se développe aujourd’hui, une vision nouvelle de la nature apparaît . Certains  y reconnaissent la présence du divin . Une théologie de la création se manifeste. Des articles parus sur ce blog témoignent de cette évolution (5). En 1988, paraît en France un livre pionnier de Jürgen Moltmann : « Dieu dans la création », intitulé, dès cctte époque : Traité écologique de la création » (4). L’œuvre de l’Esprit y est mise en évidence : « Le Dieu trinitaire inspire sans cesse toute sa création. Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies et des possibilités de l’Esprit cosmique. C’est pourquoi, il faut comprendre toute réalité créée de façon énergétique, comme possibilité réalisée de l’Esprit divin. Grâce aux possibilités et énergies de l’Esprit, le Créateur lui-même est présent dans sa création . Il ne s’oppose pas à elle par sa transcendance, mais entre en elle et lui demeure en même temps immanent » (p 22-23). En se reportant à la pensée de Jean Jaurès dans sa thèse : « De la réalité du monde sensible », il y a une proximité dans les deux approches.

 

Une inspiration pour notre temps

 Dans leur livre sur Jean Jaurès, Eric et Sophie Vinson expriment  « l’urgence démocratique actuelle de trouver une voie – d’entendre une voix – pour relier, dynamiser, concrétiser la quête de sens individuelle et collective, en pleine faillite du désordre établi » (p 24).  « Leur essai propose, textes sources à l’appui, un fil conducteur stimulant, original dans le dédale de cette existence remarquable. Ce fil conducteur ? Le spirituel suivi à travers les principales facettes – de faits inséparables et quasi simultanés – de cet homme-fleuve. Un fil conducteur spirituel qui pourrait, en outre, avoir quelque utilité pour nous,  qui errons dans un monde sans repères en plein bouleversement. Revisiter l’ouverture jaurésienne, c’est se poser les questions des rapports entre spiritualité et démocratie, entre mystique et politique, entre métaphysique et socialisme, entre éthique et pouvoir, entre conviction et responsabilité… » (p 25-26). On peut ajouter la pertinence de cette pensée dans notre  avancée écologique.

Conscients de ce besoin de sens et d’inspiration, Eric et Sophie Vinson  envisagent la personnalité de Jean Jaurès parmi d’autres figures historiques qui leur paraissent présenter des ressemblances. C’est ce qu’ils appellent « la famille des « spirituels engagés » ou des « mystiques militants » parmi lesquels ils rangent M K Gandhi, Nelson Mandela (1), Martin Luther King, le Dalaï Lama pour ne citer que les plus connus. « Et si l’étude de ces spirituels engagés, à commencer par Jaurès si typiquement français, nous permettait d’entrevoir l’aube d’un nouvel humanisme en politique… » ( p 26).

Cependant cette aspiration s’inscrit dans une durée historique. A travers le temps, nous voyons ainsi un fil conducteur dans la vision d’un monde qui n’est pas abandonné à une destinée aveugle, mais habité par la présence du divin. C’est l’approche de Jean Jaurès dans sa thèse sur « la réalité du monde sensible ».   Aujourd’hui, c’est aussi celle de Jürgen Moltmann dans sa théologie de l’espérance. Une nouvelle vision de la création émerge et accompagne la prise de conscience écologique. Ainsi, on peut redire avec Jean Jaurès : « Si Dieu est, c’est à dire qu’il y a un foyer idéal et réel tout ensemble de la nature et de la conscience, nous pouvons sans contradiction tenter d’élever la nature et toutes les consciences à l’unité, à l’ordre, à la justice, à la joie » ( p 108).

J H

 

  1. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vison. Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? Albin Michel, 2018 Mise en perspective : « Non violence. Une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/non-violence-une-demarche-spirituelle-et-politique/
  2. Eric Vinson. Sophie Viguier-Vinson. Jaurès le prophète. Mystique et politique d’un combattant républicain, Albin Michel, 2014 2a quatrième de couverture   Nous n’avons abordé ici qu’une partie limitée de ce livre remarquable qui couvre tous les aspects de la vie de Jean Jaurès, ce « prophète ». C’est une lecture particulièrement fructueuse.
  3. Un fait marquant dans la lutte de Jaurès pour la paix : « Un été pas comme les autres. Le début de la grande guerre et l’assassinat de Jaurès. Un édito vidéo d’Antoine Nouis dans Réforme » : https://www.temoins.com/un-ete-pas-comme-les-autres-le-debut-de-la-grande-guerre-et-lassassinat-de-jean-jaures-un-edito-video-dantoine-nouis-dans-reforme/
  4. Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1998 « Si on comprend le créateur, la création et son but de façon trinitaire, alors le créateur habite par son Esprit dans l’ensemble de la création et dans chacune de ses créatures et il les maintient ensemble et en vie par la force de son Esprit » ( p 8)
  5. « Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie-2/ « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/                    « Convergences écologiques : « Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » :  https://vivreetesperer.com/convergences-ecologiques-jean-bastaire-jurgen-moltmann-pape-francois-et-edgar-morin/         La publication de l’encyclique Laudato Si’ par le Pape François est un moment important dans la montée d’une théologie écologique.

Lorsque Dieu nous parle de bonheur

L’association de ces deux mots : Dieu et bonheur est sans doute différemment reçue selon l’histoire de chacun, la manière dont il a vécu dans tel ou tel milieu, les représentations qu’il a de Dieu. Dans l’Evangile, nous découvrons la personnalité de Dieu à travers Jésus et sa relation avec  un père proche et aimant. Un texte de l’Evangile de Matthieu, souvent connu sous les termes de « béatitudes » nous rapporte ce que Jésus nous dit du bonheur.

Parce qu’à travers une guérison, Odile Hassenforder a reçu en même temps l’amour et la bonté de Dieu pour vivre ensuite, au long des années, dans le même esprit, elle a toujours aimé se rappeler et nous rappeler que « Dieu fait pour nous des projets de bonheur et non de malheur » (Jérémie 29.11). Dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (1), elle nous parle de la manière dont elle perçoit les béatitudes : « Les béatitudes « à ma façon » (p 113-116) . Ses paroles sont l’expression de son ressenti, de son observation et de sa réflexion. En voici quelques extraits :

 « Joie pour les doux, les humbles

Il s’agit de ceux qui ne revendiquent pas. Ils possèdent une force intérieure, une autorité calme. Ils vivent, goûtent la vie dans la justesse des choses, dans le calme, la tranquillité, la confiance… Alors ils peuvent accueillir tous les bienfaits de Dieu et en jouir sur cette terre. En cela, ils héritent (possèdent) de toute la création à leur disposition alors que les violents essaient d’arracher ce qui leur manque au lieu d’accueillir, recevoir, voir au-delà.

 Purs, droits, sincères

Ceux-là réaliseront la nature de Dieu, car vivre de la justice de Dieu signifie qu’en soi coule la sève de la vigne. Même chez ceux qui ne connaissent pas Dieu, mais ressentent en eux ce qui est juste, conforme à une vie juste, sans le savoir, circule en  eux la vie divine. A plus forte raison… ceux qui ont la révélation du Dieu vivant, réalisent, discernent de plus en plus qui est Dieu, car la vie divine circule en eux et ils désirent de plus en plus demeurer en Dieu, recevoir la présence de Dieu qui transforme leur vie comme le soleil illumine la nature.

 Heureux ceux qui répandent la paix autour d’eux.

J’aime cette traduction avec les mots : « répandre autour d’eux ». En effet, pour moi, toute personne peut être atmosphère de paix…C’est son attitude, sa manière d’être que l’entourage ressent comme une atmosphère paisible qui fait du bien…

 Ces béatitudes sont le reflet de la nature de Dieu, révélée par Jésus. Créée à l’image de Dieu, toute personne y aspire. C’est par grâce que nous pouvons y accéder si nous le décidons. Ceux qui ne connaissent pas Dieu et cherchent à le faire reçoivent cette grâce de Dieu et connaissent aussi cette joie, sans doute à moindre dose, car ne connaissant pas la source, ils ne peuvent remercier, louer Dieu, ce qui a un effet multiplicateur.»

Partageons nos expériences sur la manière dont nous ressentons le bonheur intérieur et comment nous le percevons dans ceux qui nous entourent.

JH

(1)         Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, 2011. www.editions-empreinte.com. Présentation sur le site de Témoins : Sa présence dans ma vie.