par jean | Août 30, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Témoignage d’une enseignante auprès d’étudiants de sections électronique, informatique.
Hélène Delahaye est professeur de culture générale dans un IUT électronique, informatique. Elle a pour mission, d’une part de développer la culture générale des étudiants, et, d’autre part, de les préparer aux grandes demandes de communication de la vie professionnelle, par exemple préparer une synthèse de documents, rédiger une lettre de motivation pour une embauche, préparer une soutenance de stage…etc
Hélène a une formation de professeur de lettres, et, après de nombreuses années dans l’enseignement secondaire, en lycée, elle a accédé à ce poste dans l’enseignement supérieur. Au départ, Hélène a effectué des études de lettres, car elle aime beaucoup la littérature. Elle apprécie tout particulièrement la littérature du XIXè etXXè siècles, notamment le roman qui témoigne de l’évolution sociale depuis deux siècles. « C’est, par exemple, Balzac qui rapporte le passage de l’Empire à la Restauration, la révolution industrielle, l’installation des banques, la construction du monde de l’argent. Au XXè siècle, une femme écrivain, Annie Ernaux, nous parle de la condition des femmes, et, dans un livre récent : « Les années », elle retrace, à travers une sorte d’autobiographie, l’extraordinaire changement de ces trente dernières années ».
Dans l ‘enseignement secondaire, Hélène a beaucoup enseigné dans des sections technologiques. Et donc elle connaissait bien le public de garçons qu’on retrouve dans les IUT. Elle était déjà introduite dans l’université en donnant une formation pour permettre aux non bacheliers d’accéder à l’enseignement supérieur.
Les étudiants en électronique, informatique. Quelle culture ?
Hélène nous décrit le public étudiant dans les sections IUT où elle enseigne. « C’est un public composé majoritairement de garçons issus à la fois du Bac S et du Bac STI (Sciences et techniques industrielles). C’est un public qui est évidemment d’abord motivé par la technologie, et peu concerné par les disciplines littéraires. La culture de ce public est orientée avant tout vers les nouvelles technologies. Il est passionné par tout ce qui est informatique, le progrès technique en général et le sport. On peut y ajouter la musique contemporaine.Certains lisent la presse, mais surtout la presse spécialisée, technique ou sportive.
Ils sont très peu nombreux à lire des livres. Cependant, on trouve dans ce milieu de grands amateurs de science fiction, mais aussi de grands lecteurs de littérature fantastique (« Heroic Fantasy »), par exemple : J K Rowlings (Harry Potter), Tolkien… Ces lecteurs sont en même temps passionnés par l’informatique. Je me rappelle un étudiant assez original venant de STI, excellent en informatique, amateur de « Fantasy », toujours en train de lire entre deux cours et, en même temps, toujours premier dans les concours d’écriture poétique. Souvent ces lecteurs aiment également la philosophie et expriment une réflexion sur le monde et des interrogations sur l’existence. Cette minorité n’est pas négligeable, puisqu’ils représentent du cinquième au quart d’un groupe. J’essaie de m’appuyer sur leurs motivations pour entraîner le groupe, et, de toute façon, ils sont en général tous volontaires pour les exercices de communication et d’expression.
Par ailleurs, l’ensemble des étudiants est très ouvert à la langue anglaise et à la culture anglo-saxonne.. Par exemple, ils regardent beaucoup de films américains en vo et ils connaissent beaucoup de choses sur le cinéma. Et d’autre part, ils écoutent beaucoup de musique anglophone. Plus généralement, ils s’intéressent aussi à la vie politique et économique des Etats-Unis et des pays anglophones. Par exemple, l’année dernière, j’ai étudié avec eux un article sur Steve Jobs et je me suis aperçu qu’ils connaissaient très bien le fonctionnement de la société Apple.
D’autre part, en région parisienne et dans les grandes villes, la moitié des effectifs de ces sections est issue de l’immigration et quelques uns viennent directement de l’étranger (chinois, africains, marocains). Souvent, ils sont très motivés par le sport, notamment le football.
Propositions d’enseignement
Hélène nous dit comment elle oriente actuellement son enseignement.
« Il y a d’abord une réflexion sur le monde actuel et notamment sur leur domaine de spécialité .
Par ailleurs, je cherche à développer toutes les qualités d’expression écrite et orale pour leur donner une meilleure chance professionnelle. Bien sûr, il faut revoir tout ce qui est syntaxe, grammaire, orthographe parce que c’est souvent leurs points faibles .
Par ailleurs, ils sont très doués pour tout ce qui est exercice de créativité. Par exemple, si on fait des exercices de créativité théâtrale, ils sont toujours volontaires et productifs. De même, à l’écrit, quand il s’agit d’écrire de très courts écrits poétiques, ils sont très créatifs. Pourquoi cette créativité ? Peut-être parce que cela a un rapport avec leur interactivité dans la culture internet.
Je les aide également à rédiger des rapports. Un exercice important est la synthèse de documents.
Dans les salles de travaux pratiques, ce public étudiant est habitué à travailler en équipe par deux ou quatre. Et cette capacité de travailler en équipe peut également s’investir dans l’enseignement de l’expression et de la communication. Ils aiment bien travailler en groupes autonomes et rendre ensuite leurs travaux ».
Comment cet enseignement est-il perçu par les étudiants ? « Pour certains, c’est superflu. Pour certains autres, c’est une détente. Mais la majorité des étudiants a conscience que les entreprises demandent, au delà des compétences techniques, de bonnes capacités d’expression écrite et orale. Par ailleurs, les étudiants savent aussi qu’une bonne culture générale et un recul par rapport à la technique est valorisée en entreprise ».
Hélène apprécie son rôle d’enseignante. « Si ce public est parfois assez « remuant », il est aussi très attachant. Il est agréable de communiquer dans ce cadre. C’est un public qui a beaucoup d’humour, qui est souvent jovial, amical. Dans les réunions d’anciens élèves, il est agréable de les revoir et d’évoquer de bons souvenirs.
Contribution d’Hélène Delahaye.
par jean | Août 20, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Eviter les décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents
La contribution de Christian Morel.
Les grands accidents qui engendrent le deuil et le malheur sont-ils une fatalité ? Pourraient-ils être évités ? Dans quelle mesure, les représentations et les comportements des hommes sont-ils en question ? Dans un nouvel ouvrage sur « les décisions absurdes « (1), le sociologue Christian Morel nous apporte des réponses à ces questions. Oui, les grands accidents sont pour une part engendrés par des erreurs humaines. Ces erreurs sont le produit d’un ensemble de dysfonctionnements à la fois dans les modes de pensée et dans l’approche collective des problèmes. Oui, une intelligence collective bien conduite peut nous permettre d’éviter des catastrophes, mais aussi, à fortiori, nous aider à améliorer la vie sociale.
La réflexion de Christian Morel s’appuie sur de nombreuses études de cas qui nous font entrer dans le vécu de situations périlleuses. Ces exemples sont particulièrement évocateurs et les enseignements qui s’en dégagent nous permettent de comprendre de l’intérieur les processus de prise de décision. A partir de cette analyse, Christian Morel peut mettre en évidence de grandes règles, des « métarègles » qui permettent de développer la fiabilité des actions humaines. Il entend par là « des principes généraux d’action ainsi que les processus maîtres et les modes de raisonnements communs qui forment une culture amont, ou modèle, de la fiabilité et sont indispensables à la fiabilité des décisions en aval » (p 13-14). Les erreurs sont fréquentes. L’auteur nous en donne un exemple spectaculaire. « Sait-on qu’aux Etats-Unis, quarante fois par semaine, des médecins se trompent d’individu ou de zone corporelle lors d’une intervention chirurgicale ?… Ce seul exemple en dit long sur la propension à se tromper dans l’exercice des activités humaines » (p 11).
Dans un précédent ouvrage (2), Christian Morel avait déjà identifié et analysé les mécanismes qui conduisent individus et organisations à produire avec constance des erreurs radicales et persistantes ». Derrière ce que l’on attribue trop souvent à la fatalité se cachent en réalité des décisions dont l’homme est seul responsable » (p 13). La bonne nouvelle, c’est que « certains acteurs sociaux ne restent pas inactifs devant leur penchant pour les décision absurdes. Ils cherchent des solutions et les mettent en œuvre ». C’est le cas par exemple de l’aéronautique. Et les chercheurs apportent leur contribution. Ainsi les sociologues de l’école américaine dite des HRO (High reliability organisations : organisations hautement fiables) ont étudié comment fonctionnent les organisations exposées à de très grands risques. « Des catastrophes, telles que celles de Three Mile Island, de Tchernobyl, de la Nouvelle Orléans ou de la navette Columbia après celle de Challenger ont conduit à considérer que le combat livré aux décisions absurdes nécessitait des solutions d’ordre sociologique et non uniquement technique. Des activités de loisir, comme le ski hors-piste confronté aux risques d’avalanche ou l’alpinisme en viennent à adopter des principes de fiabilité de la décision proches de ceux de la culture aéronautique » (p 13). La prise de conscience de ces phénomènes et le mouvement de la recherche ont pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie. Il y a bien sûr de nombreux retards dans les mentalités, mais l’auteur peut dédier son livre « aux femmes et hommes de l’aéronautique, des professions de santé, de la marine, des forces sous-marines, de la protection civile, des sports de montagne, de la production nucléaire d’électricité, des industries mécaniques et de la production théâtrale, dont le retour d’expériences heureuses ou difficiles ont nourri ma réflexion »
Dans cette mise en perspective, nous rapporterons brièvement quelques études de cas présentées par l’auteur et nous ferons part ensuite des méthodes de pensée qu’il nous propose.
Situations en mouvement
Dans la première partie de son livre : des décisions absurdes aux décisions fiables, Christian Morel nous présente l’évolution de la situation de plusieurs secteurs d’activité : l’aviation, la marine nucléaire, la chirurgie, les randonnées en haute montagne, diverses organisations du théâtre du Splendid à Renault.
Pour l’aéronautique, les erreurs de décision se révèlent souvent dévastatrices. « Cela l’a conduite à inventer des modes d’organisation novateurs comme la collégialité dans le cockpit, la non-punition des erreurs et la formation systématique aux facteurs humains » (p 23).
Plusieurs enquêtes ont mis en évidence la manière dont des excès de hiérarchie dans le cockpit pouvaient engendrer des accidents en empêchant un véritable esprit d’équipe de s’exercer ainsi que l’intelligence collective qui en est le produit. A cet égard, les résultats de la recherche sont spectaculaires. Les avions de ligne sont pilotés par un équipage comprenant deux pilotes : le commandant de bord et le copilote. Or, une enquête américaine concernant trente-sept accidents d’avion a montré que dans trente des trente-sept accidents concernés, c’était le commandant de bord et non le copilote qui était le pilote en fonction (p 24). « Bien évidemment, l’explication de ce phénomène n’est pas que les commandants de bord soient moins performants que les copilotes. C’est généralement le contraire. Le mécanisme est d’ordre purement sociologique. Quand le pilote en fonction est le commandant, s’il se trompe, il est difficile au copilote de le lui dire et de rectifier l’erreur. Dans la situation inverse, corriger le copilote ne pose aucun problème au commandant » (p 25). C’est donc le formatage hiérarchique qui fait obstacle à la mise en œuvre d’une intelligence collective capable de résoudre le problème. Ce chapitre sur « la loi du cockpit » met également en évidence d’autres causes d’erreur, mais les excès de la hiérarchie sont un aspect majeur.
Le même phénomène est mis en évidence et pris en compte dans la marine nucléaire. « La fiabilité occidentale ayant pour origine l’exemple de la marine américaine à propulsion nucléaire est le résultat de principes forts et originaux tels que « la hiérarchie restreinte impliquée », « l’interaction éducative permanente » et des processus de mise en débat préalable des décisions majeures » (p 66). Ces principes ont été initiés au départ par une forte personnalité, l’amiral H G Rickover. « Dans les sous-marins nucléaires et sur les porte-avions, on observe une atténuation de la hiérarchie. « A l’organisation hiérarchique classique : forte stratification, ordres non discutés, formalisme, est substituée, dans certains cas, une organisation différente qui voit les experts et les anciens prendre le leadership, la discussion s’imposer et le formalisme disparaître » (p 67). On observe par ailleurs une interaction éducative permanente : « interaction entre tous les acteurs dans tous les sens et un processus de formation intense sur le terrain ». Il y a aussi l’accent mis sur le principe du débat contradictoire. Cette approche a permis à la marine nucléaire américaine de n’enregistrer aucune fuite radioactive depuis sa création alors que la NASA a connu deux catastrophes majeures : la destruction des navettes Challenger et Columbia (p 76).
En comparaison avec l’aéronautique et la marine nucléaire, la chirurgie est très en retard dans le domaine de la fiabilité. Le risque de décès en chirurgie est de un pour mille « ce qui équivaudrait à un crash d’avion de ligne chaque semaine ! » (p 79). On retrouve dans ce secteur le même problème que ceux nous venons d’évoquer. Dans le chapitre concernant le bloc opératoire, Christian Morel traite des questions d’autorité et de communication, ainsi que de l’importance du renforcement linguistique et de la formation des équipes. Une recherche américaine a montré que l’introduction d’une nouvelle technologie dans la chirurgie cardiaque réussissait beaucoup mieux dans les équipes chirurgicales où régnait une expression collective libérée des frontières hiérarchique et professionnelle (p 82). Des actes de renforcement linguistique, tels que la check-list (vérification systématique d’un ensemble de données) produisent également des effets remarquables. Dans une étude comparative sur huit hôpitaux, dans les blocs opératoires où la check-list a été introduite, la mortalité des opérés a chuté de 57% par rapport au groupe ou il n’en a pas été de même. La formation aux facteurs humains a également un grand impact. Le contenu de cette formation s’inspire de celle qui a été mise au point dans l’aéronautique : « travail en équipe, contestation mutuelle des membres de l’équipe quand des risques ont été identifiés, conduite et animation collective des briefings préopératoires et postopératoires, mise en ordre de comportements favorisant la communication relative à la reconnaissance des incidents… » (p 86). Or, d’après une recherche récente, il s’avère que cette formation aux facteurs humains administrée à des équipes chirurgicales a accéléré de 50 % la baisse du taux annuel de mortalité dans les établissements ayant bénéficié du programme de formation (p 86).
Le développement de processus permettant l’interaction et la délibération collective joue également un rôle majeur dans la réduction des accidents d’avalanche dans les randonnées d’hiver en montagne. L’analyse des récits correspondant permet d’analyser la conduite des groupes. Les risques sont réduits lorsque chaque membre du groupe peut prendre part effectivement aux décisions, ce qui implique d’écouter chacun et d’inciter les plus silencieux à s’exprimer. L’expertise n’est pas le seul critère. Loin de là. Lorsque les suisses se sont engagés dans la prise en compte des facteurs humains, ils sont parvenus à susciter une diminution extrêmement nette des accidents mortels d’avalanche.
Principes de pensée et d’action.
Dans une deuxième partie du livre, à partir de ces exemples, Christian Morel expose les « métarègles de la fiabilité ». Celles-ci portent sur différents registres.
Ainsi, notre manière de percevoir et de raisonner est elle-même en question. Est-ce que nous prenons en compte la complexité des phénomènes, la réalité des risques ? Sommes-nous capables de mettre en question nos erreurs de représentation, nos a priori, le biais de « la chose saillante » ? Avons-nous conscience de nos polarisations ? Christian Morel traite ainsi de la « destinationite ». Ainsi, il y a chez beaucoup de pilotes « une fixation sur la destination et à prendre plus de risques quand ils se rapprochent du terrain d’atterrissage que quand ils se trouvent en vol de croisière » (p 231) ;
L’auteur consacre un chapitre au « Dire, connaître et comprendre ». Il met l’accent sur l’importance des problèmes de langage dans la communication. « Une condition impérative pour échapper aux dynamiques de décisions absurdes est ce que j’appelle « le renforcement linguistique et visuel de l’interaction ». Il s’agit d’assurer des communications plus sures à travers des actes de répétition verbale, de rédaction efficace et de standardisation linguistique, tels que check-lists, lexiques… ».
Dans cette mise en perspective, nous avons particulièrement retenu la mise en œuvre de l’intelligence collective. Christian Morel consacre un chapitre à cette approche. A plusieurs reprises, dans les exemples cités, nous avons remarqué les effets pervers de la pression hiérarchique et les initiatives pour y remédier, par exemple ce que Christian Morel appelle la « hiérarchie restreinte ». La « hiérarchie restreinte impliquée » désigne le transfert marqué du pouvoir de décision vers des acteurs sans position hiérarchique, mais détenteurs d’un savoir et en prise directe avec les opérations. A certaines phases du fonctionnement de l’organisation, leurs connaissances et leurs liens avec le terrain justifient qu’ils héritent temporairement du pouvoir de décision sur des choix importants » (p 130).
Et, par ailleurs, cette dimension va de pair avec une collégialité. « La migration du pouvoir vers le bas ne se fait pas en direction d’un individu isolé et en excluant le chef. C’est toute la pyramide, y compris sa pointe qui devient collégiale (p 130) ;
Cependant l’exercice de l’intelligence collective requiert également des dispositions pour permettre l’expression authentique de chacun. Les consensus apparents ou certains membres du groupe se taisent ou ne participent pas réellement à la délibération aboutissent également à de graves erreurs. On doit être très attentif à la dynamique de groupe. L’auteur met en évidence la manière selon laquelle des entraînements collectifs empêchent un véritable débat et suscitent des mauvaises décisions. Il évoque ainsi plusieurs dysfonctionnements comme l’effet de polarisation, le paradigme de Asch, la pensée de groupe, l’illusion de l’unanimité
On notera, par exemple que les « bonnes intentions » ne sont pas toujours bénéfiques. Le désir de privilégier l’harmonie et la cohésion sur l’expression des désaccords et de conflits internes se révèle contreproductif. « Les membres du groupe qui nourrissent des réticences à l’égard du projet de décision préfèrent se taire plutôt que de paraître inamicaux » (p 122). Certaines catastrophes ont directement résulté de décisions perverties par la « pensée de groupe », ainsi le débarquement américain dans la baie des cochons à Cuba en 1961, ou plus récemment, la gestion désastreuse des problèmes de revêtement de la navette Columbia qui a conduit à sa perte. (p 122). Pour éviter tous ces pièges, la délibération doit être conduite en connaissance de cause. L’interaction doit être « construite, organisée, suscitée ».
Nous sommes tous concernés
Le livre de Christian Morel est publié dans une grande collection intitulée : « Bibliothèque des sciences humaines ». L’auteur décrit son approche en ces termes : « Ma démarche est avant tout sociologique, mais comme je cherche à pointer ce qui « marche », je suis en outre normatif… « La « sociologie du vrai » quand elle porte son regard sur les mécanismes humains et collectifs qui réussissent est aussi une « sociologie du bien ». Mais cette « sociologie du bien » n’est pas une construction ex nihilo. Elle s’alimente ici aux sources de la « sociologie du vrai » (p 18).
On pourrait ajouter que l’auteur, dans le même mouvement, cherche à communiquer bien au delà d’un cercle de spécialistes. Son livre, très accessible, s’adresse à nous tous qui nous sentons concernés par les problèmes relatifs aux modes de décision.
Il répond à des interrogations profondes : Les grandes catastrophes sont-elles une fatalité ? Auraient-elles pu être évitées ? Ce sont des questions vitales puisqu’elles concernent l’alternative entre la vie et la mort.
En nous montrant le pourquoi des décisions absurdes, ce livre nous permet également de comprendre comment les éviter. Il propose une « contreculture de la fiabilité » (p 252-254). La plupart des exemples présentés dans ce livre relèvent de grandes organisations. D’autres comme l’exemple des randonnées en montagne se rapprochent de la vie quotidienne. Mais en fait nous sommes tous, peu ou prou, concernés, car si ce livre traite des décisions en rapport avec la fiabilité, il nous éclaire plus généralement sur les processus de décision. Or, dans nos vies professionnelles, mais pas seulement, nous avons bien conscience de l’importance des processus de décision. C’est pourquoi ce livre éveille des échos bien au delà des spécialistes. Ce livre nous permet de percevoir le potentiel de l’intelligence collective. Il nous invite à réfléchir. En exergue de son livre, Christian Morel cite une parole de Léonard de Vinci : « Qui pense peu se trompe beaucoup ». Mais, en fonction de notre expérience, nous savons aussi combien nos représentations influencent nos décisions. Et ces représentations dépendent de notre éthique et de notre spiritualité. Comment nous situons-nous par rapport aux autres ? Quel respect leur portons-nous ? Savons-nous écouter ? Quelle est notre capacité de dialogue ? Un passage du Livre des Proverbes vient à notre esprit :
« C’est par la sagesse qu’on construit une maison
Et par l’intelligence qu’on la rend solide.
C’est grâce au savoir que les chambres se remplissent
De toutes sortes de biens précieux et agréables.
Un homme sage est un homme fort
Et celui qui a la connaissance augmente sa force.
En effet, c’est par une bonne stratégie que tu gagneras la bataille
Et la victoire s’acquiert grâce à un grand nombre de conseillers » (Proverbes 24. 3-6 Traduction Bible Semeur)
Ce texte nous parle de sagesse. Et lorsqu’il nous dit : « La victoire s’acquiert grâce à un grand nombre de conseillers », c’est bien un appel à l’intelligence collective.
Le livre de Christian Morel peut être le départ d’une réflexion partagée. Et pourquoi pas un dialogue sur ce blog à travers l’expression d’expériences et de points de vue ?
J H
(1) Morel (Christian). Les décisions absurdes II Comment les éviter. Gallimard, 2012 (Bibliothèque des sciences humaines) . Interview de l’auteur sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=nh_1JcftRmo
Morel (Christian). Les décisions absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes. Gallimard, 2002 (Bibliothèque des sciences humaines). Collection folio, 2004
par jean | Juil 10, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
Ethique, communication et potentiel humain
Myriam est coach marketing. Elle conseille des entrepreneurs, des coachs, des consultants dans leur démarche marketing.
Sur son site : MonCoachMarketing.com (1), Myriam présente ainsi son approche de travail :
« Ma passion, c’est de collaborer avec mes clients pour les aider à libérer leur potentiel ;
C’est de leur dévoiler comment identifier et communiquer sur leur cœur d’expertise, sur ce qui fait qu’ils sont uniques ;
Ce qui me motive : transmettre cette passion pour communiquer au delà de leurs produits, sur les bénéfices qu’ils ont et ce que perçoivent leurs clients.
C’est de les aider à se connecter de façon crédible, authentique et impactante avec leurs futurs clients et partenaires…
De plus, je m’engage à mettre à votre service, avec excellence, mon propre potentiel, mes dons, mes talents et à toujours agir dans un respect réciproque et en cohérence avec mes valeurs.
Je vous accompagne dans votre démarche marketing. Alliant professionnalisme et valeurs humaines, ma méthode se base sur la capitalisation de vos acquis (tant professionnels que personnels), sur l’identification de vos freins et la définition d’actions concrètes qui nous conduisent sur le chemin de la réussite ».
Les témoignages qui figurent sur le site de Myriam, montrent comment sa démarche est reçue et correspond aux désirs de certains de ses clients :
« Myriam m’a fait réaliser que le marketing, c’est un état d’esprit :
Voilà comment je le résume : Viser la cohérence entre l’identité et l’image que l’on veut envoyer ou encore être au dedans ce que l’on prétend être au dehors. De quoi méditer, n’est-ce pas ?
Le marketing est une étape primordiale. Ce qui, pour moi, était au départ brouillon et confus, est devenu clair et précis en trois rendez-vous.
Sans l’accompagnement marketing, il est évident que j’aurais certainement mis plus de temps à y arriver, voire pas du tout ! »
Oly Auger
« Je croyais réfléchir et faire sérieusement le tour de mes problèmes. J’avais l’impression parfois de tourner en rond, de résoudre un problème pour le voir réapparaître un peu plus tard. J’aurais du me douter que je n’allais pas au fond de certaines choses, mais je ne m’étais pas rendu compte à quel point cela impactait ma manière de faire, donc mes résultats.
Myriam m’a montré comment j’escamotais certaines questions, comment j’évacuais certains problèmes en pensant les avoir traités. Elle ne me l’a jamais dit aussi directement, mais sa façon de revenir à l’essentiel, de toujours me ramener au cœur du sujet, m’a fait voir à quel point il est difficile de se poser à soi même les bonnes questions… et d’y répondre.
Même si j’étais parfois agacé, j’ai beaucoup apprécié son savoir-faire. Elle comprend votre problématique, mais surtout elle sait vous relancer jusqu’à ce que vous vous soyez posé la bonne question et jusqu’ ce que vous ayez apporté la réponse qui vous satisfait (vous, pas elle). Avec Myriam, mon niveau d’exigence est monté de plusieurs crans et grâce à cela, mes résultats se sont nettement améliorés. »
Etienne
Myriam nous dit comment elle s’est acheminé vers ce travail qui la passionne…
Petite, déjà, j’aimais aider les autres. Écouter, aider à trouver des solutions, transmettre… Lorsque j’ai fait mes études aux États Unis, ce qui me passionnait c’était ce qui touchait à l’enseignement et au »counseling » (la relation d’aide). De retour en France, je ne souhaitais pas entrer à l’éducation nationale, et je ne connaissais pas de formation, en 1984, pour continu mes études en relation d’aide…
Je me suis donc dirigée vers une filière plus “traditionnelle” en entreprise. Assistante de direction puis administration des ventes. Au bout de quelques années, je me suis retrouvée dans une entreprise de l’industrie papetière ou j’ai appris le marketing et la communication. J’y suis restée près de 20 ans, et mes expériences de responsable communication et de chef de produit sont aujourd’hui très précieuses pour moi. J’ai également pu suivre une formation longue de formateur.
Lorsque j’ai bénéficié d’un plan social, l’année de mes 40 ans, c’était le bon moment pour faire le point et savoir ce que je voulais vraiment dans la vie… De rassembler ce que je savais faire, ce que j’aimais faire, et surtout de voir comment je pouvais donner un sens a ma vie professionnelle afin qu’elle soit en cohérence avec mes valeurs chrétiennes, mon besoin de servir, mon besoin profond de travailler avec des personnes pour qui l’authenticité est également important. J’avais besoin de sentir que ma contribution faisait une différence dans la vie d’autrui.
La formation, oui, ça en faisait partie. Mais quoi d’autre ? Ca n’était pas suffisant pour moi. J’ai suivi la formation de relation d’aide de Jacques Poujol, pendant 3 ans. Cela m’a beaucoup apporté au niveau personnel, d’autant plus qu’à 40 ans, on n’a pas la même approche de la vie qu’à 20 ans.
Je sentais que je commençais à m’aligner avec moi-même…
Et pendant la 3ème année de cette formation, j’ai également suivi une formation certifiante de coach… Cela m’a permis encore plus de m’aligner avec mes valeurs profondément ancrées dans ma foi en Dieu, dans ce besoin d’aider et me mettre au service d’autrui…
Mais comment faire concrètement ? Comment capitaliser sur 20 ans d’expérience tout en restant cohérente avec ma mission de vie, mes valeurs, le service, la créativité, l’efficacité, l’authenticité ?
Comment donc allier le marketing et le coaching ?
Telle qu’elle présente son travail et telle qu’elle le vit, l’approche de Myriam s’inspire d’un ensemble de valeurs. Comment cette « alchimie » s’est-elle opérée ? Quelle en est la dynamique ?
“Comme le dit Oly dans son témoignage ci-dessus, je l’ai aidée à comprendre que le marketing est un état d’esprit, une attitude qui met le Client au centre. Et si on remplace le mot »client » par »autrui » ??
C’est là ou se trouve l’un des secrets de cette alchimie.
C’est pourquoi j’ai commencé à développer le programme de »marketing de soi ». Je sais, le mot »marketing » est souvent perçu avec un connotation négative. Or tout dépend ce que l’on en fait…
L’approche est justement d’être à l’écoute, d’aller au devant du client (d’autrui :), de connaître ses frustrations et de lui montrer qu’il existe une solution… C’est ce marketing authentique qui me passionne.
Dans »le marketing de soi », que j’ai ensuite décliné en »marketing de l’entrepreneur », »marketing du coach », »marketing du consultant », la démarche est la même : identifier son cœur réel d’expertise, ses valeurs profondes, sa »mission ». Et le communiquer clairement, avec authenticité. Être vrai, rayonner son message…
Libérer son potentiel…
Et communiquer de façon crédible et authentique… “
Contribution de Myriam Vandenbroucque
(1) http://moncoachmarketing.com/
par | Juin 13, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
L’expérience d’une orthophoniste.
Marie a fait des études de lettres, puis une formation spécialisée. Elle exerce depuis six ans la profession d’orthophoniste dans le département de la Réunion.
Comment et pourquoi s’est-elle orientée vers cette activité ? « Au départ, je voulais être professeur de français. En étant surveillante en lycée, je me suis rendu compte que la dimension de groupe ne me permettait pas de développer suffisamment une relation approfondie telle que cela est possible dans une communication individualisée. Et j’avais toujours un désir de participer à une activité soignante, par exemple sage-femme. Par ailleurs, les activités que j’avais développées personnellement m’amenaient naturellement à des études d’orthophoniste. J’avais appris la langue des signes telle qu’elle est utilisée dans la communication avec les sourds. Je participais à une chorale. J’étais donc sensible à toutes les formes d’expression et de communication. Je cherchais un travail qui réponde à un véritable besoin et me permette de me sentir ainsi utile ».
Marie s’est donc engagée dans des études nouvelles dans une école d’orthophonie. Ses études en lettres avaient duré quatre ans et voici qu’elle se trouvait en situation d’étudier à nouveau pendant quatre ans. A vue humaine, cette perspective d’un engagement aussi long lui paraissait particulièrement lourd. Marie nous dit à ce sujet que « Dieu m’a donné des forces nouvelles par rapport à cette épreuve et il a aplani le chemin ». Très vite, elle a été enthousiasmée par la découverte de ce champ d’étude. Elle en a apprécié la diversité : « Cela touchait au domaine médical spécialisé comme la neurologie, la voix, mais aussi les apprentissages scolaires comme la lecture, le langage oral. Je découvrais aussi toutes les formes de communication permettant de remédier aux difficultés que rencontrent différents groupes : les sourds, les autistes… Il y avait aussi le rapport avec des groupes d’âge très variés, du nourrisson à la personne âgée ».
Marie exerce maintenant la profession d’orthophoniste dans un cabinet libéral. Son public est très diversifié. Une bonne partie de son travail consiste « à valoriser ce qui fonctionne déjà chez les personnes pour pallier aux difficultés qu’elle peut rencontrer. Cette approche va à l’encontre d’une attitude répandue : pointer les manques, mettre l’accent sur ce qui est anormal, sur ce qui ne va pas ». Au contraire, nous dit Marie, « J’ai pris conscience que j’agissais ainsi dans l’esprit que j’ai découvert dans l’Evangile. Lorsque Jésus guérissait les malades, il ne pointait pas leurs handicaps et leurs péchés, mais il s’appuyait sur ce qu’ils avaient : une grande foi. Et, à partir de cette foi, il pouvait faire quelque chose ». Ce n’est pas toujours facile. « Par définition, je prends en charge des gens qui ne sont pas dans la « norme ». Ensuite, c’est à moi de partir de leur potentiel et de développer ce potentiel. Je vois des changements s’opérer, parfois au- delà de ce que je pouvais imaginer.
Par exemple, je pense à un enfant de trois ans qui n ‘avait aucune communication et qui, après six ans de travail en commun avec la maman, est capable aujourd’hui de commencer à lire, de faire des blagues et de prendre du plaisir à parler.
J’ai aussi dans ma « patientèle », un adulte tétraplégique qui ne peut bouger que son visage et pas le reste du corps. Au départ, il n’arrivait pas à se faire comprendre en parlant. Et maintenant, on arrive à avoir une conversation avec lui.
Je travaille aussi avec un jeune garçon qui, en CM2, ne savait pas lire. J’ai fait avec lui un travail très intense en partant de ce qui l’intéressait : des histoires, des personnages,un jeu, et maintenant, il sait lire et il peut se débrouiller dans un magasin.
La plupart du temps, on ne parvient pas à atteindre la « norme » idéale, mais on réalise un objectif tout à fait essentiel : l’évolution personnelle vers le développement du langage et de la communication ».
Marie nous parle des exigences de ce travail. Elle évoque un verset du Nouveau Testament auquel elle se reporte constamment : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler et lent à se mettre en colère » (Epître de Jacques 1.19). « C’est une activité qui demande de l’écoute, de la patience ». Elle est inspirée également par un autre verset : « C’est dans le calme et la confiance que sera votre force » (Esaïe 30.15) ». «Parfois, on ne voit pas les résultats tout de suite, mais il faut garder confiance en sachant qu’il y a un potentiel chez le patient et que Dieu est à l’œuvre ». Marie est heureuse de voir ainsi « des gens s’épanouir dans la relation à l’autre ».
Contribution de Marie Ménigoz.
par jean | Juin 3, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
La bonté humaine. Est-ce possible ?
La recherche et l’engagement de Jacques Lecomte.
Quel est notre regard sur l’homme, sur l’humanité ? Comment nous représentons-nous les êtres humains ? Plutôt négativement ou plutôt positivement, plutôt avec méfiance ou plutôt avec confiance ? L’orientation de nos représentations va influer sur nos comportements.
Pour certains, l’homme est plutôt mauvais. Le jugement est sévère. L’attention se porte principalement sur le mal qu’il engendre ou a engendré. Cette condamnation se manifeste dans des théories philosophiques ou religieuses, et jusque dans des approches qui se veulent scientifiques. Dans la vie quotidienne elle-même, une critique généralisée prévaut. Elle débouche sur le cynisme. La défiance l’emporte. Ce pessimisme engendre démobilisation et absence d’espoir.
Pourquoi ce livre,
Bien sûr, dans la réalité humaine, les opinions ne sont pas aussi tranchées, mais il y a bien des orientations dominantes. Le choix que nous faisons en la matière ne relève pas seulement de notre réflexion. Il a des implications majeures pour nous-même et pour les autres. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte intitulé : « La bonté humaine » (1) nous concerne tous. Pour certains, un tel énoncé est presque une provocation. Ils n’y voient qu’idéalisme, voire une idéologie opposée. Pour d’autres, attentifs à voir la bonté autour d’eux, ce titre répond à une attente. De fait, l’auteur nous apporte un éclairage, car il s’appuie sur une approche scientifique pour mettre en lumière : « altruisme, empathie, générosité » dans les comportements humains.
Il nous explique comment il a été amené à écrire ce livre : « Lorsque j’ai parlé autour de moi de ce livre que j’étais en train d’écrire, cela n’a laissé personne indifférent. J’ai globalement suscité deux sortes de réactions. Certaines personnes étaient très enthousiastes… D’autres étaient nettement plus critiques ; « Ah oui, je vois… Vous êtes du genre rousseauiste. Vous ne croyez tout de même pas au mythe du bon sauvage… » (p 10). « Au départ, mon objectif, en écrivant cet ouvrage, était simplement de rééquilibrer la perspective négative souvent exprimée sur l’être humain, en montrant l’autre facette, plus positive. Plus j’avançais dans mes lectures, plus je constatais que le fond de bonté est davantage constitutif de notre être que la tendance à la violence et à l’égoïsme » (p 298).
Jacques Lecomte est docteur en psychologie, chercheur et universitaire, président de l’association francophone de psychologie positive. Son ouvrage repose sur des centaines d’études scientifiques et de très nombreux témoignages. En repoussant à la fois une conception exagérément pessimiste, et une conception exagérément optimiste, l’auteur plaide pour une conception « optiréaliste » : « L’individu ayant une propension fondamentale à la bonté, mais pouvant également se tourner vers la violence, par manque existentiel, il convient de faciliter les situations susceptibles de faire émerger le meilleur de chacun tout en étant lucide sur le fait qu’aucune société ne peut transformer radicalement les individus. Chacun a sa part de responsabilité : les individus comme les institutions » (p 299).
Quel cheminement ?
Le livre se développe en deux temps.
Dans la première partie, l’auteur décrit et explique des situations où l’on s’attendait à ce que la violence et le chacun pour soi dominent alors que c’est le contraire qui se produit : des personnes en sauvent d’autres au risque de leur vie ; des individus violents changent radicalement d’orientation après avoir rencontré des personnes qui ont su reconnaître leur fond de générosité ; d’autres pardonnent des actes de grande violence dont ils ont été victimes… Nous trouvons une description de réalités humaines que nous recevons avec admiration, comme la manière dont beaucoup de juifs ont été sauvés en France durant la seconde guerre mondiale ou encore un phénomène moins connu, mais tout aussi remarquable, comme la fraternisation qui s’est manifestée à certains moments entre les deux camps opposés dans les tranchées de la « grande guerre ». Nous avons lu avec émotion les récits et les témoignages qui abondent dans ces chapitres et qui permettent à l’auteur de nous proposer des réflexions de grande portée. L’une d’entre elles, par exemple, nous invite à considérer que non seulement le pardon est possible, mais que les criminels peuvent s’amender.
Dans la seconde partie, Jacques Lecomte aborde les fondements de ce qui constitue l’être humain à partir d’un ensemble de disciplines : la psychologie du bébé et du jeune enfant, mais aussi la primatologie (l’étude des singes primates) et l’anthropologie (tout particulièrement, l’étude des peuples premiers). D’autres données sont issues de deux disciplines en plein essor : la neurobiologie et l’économie expérimentale. « Une partie importante de ces recherches a été réalisée à partir des années 2000. Autrement dit, je n’aurais pas pu écrire un ouvrage aussi documenté, il y a seulement dix ans » (p 12).
Les nouvelles approches scientifiques.
Effectivement, plusieurs approches convergent dans la mise en évidence d’un potentiel humain.
La psychologie des bébés et des jeunes enfants est, à cet égard, tout à fait révélatrice. « Depuis les années 1980, et plus encore depuis les années 2000, une quantité impressionnante de recherches nous permettent de mieux connaître le fonctionnement relationnel du bébé. Il est génétiquement prédisposé à communiquer très tôt avec autrui et à manifester de l’empathie » (p 224). Ainsi, quelques heures après sa naissance, le bébé commence à entrer en connexion avec ceux qui l’entourent. « Dès sa toute petite enfance, le bébé n’est pas seulement réceptif à l’univers humain qui l’entoure, mais également capable d’amorcer la communication en « espérant » que les autres humains vont réagir à son comportement » (p 227). On peut parler d’ « intersubjectivité innée » selon laquelle le nourrisson naît avec une conscience réceptive aux états objectifs des autres personnes. D’autres observations montrent que les jeunes enfants sont naturellement altruistes. Ils aiment aider. Et de même, ils manifestent naturellement de l’empathie. En avance sur son temps, une grande éducatrice, Maria Montessori (2), avait perçu très tôt le potentiel de l’enfant. Aujourd’hui, la recherche appuie une vision positive de l’éducation. « On a longtemps cru que les pratiques éducatives destinées à développer la gentillesse avaient pour but d’inhiber les tendances égoïste de l’enfant et les remplacer par des attitudes altruistes. Mais les choses ne se passent pas du tout de cette manière. En fait, l’éducation s’appuie sur une prédisposition innée à l’altruisme chez l’enfant, elle développe l’altruisme (ou le réduit), elle ne le crée pas » (p 229).
Deux chapitres portent sur les origines de l’humanité. À chaque fois, l’auteur montre un changement majeur dans les représentations dominantes. Ainsi, dans le passé, certains anthropologues ont pu considérer les ancêtres de l’homme, les hominidés, comme des « bêtes de proie ». C’est la théorie du « grand singe tueur ». Or les recherches actuelles sur les singes montrent que « les relations sociales des primates sont essentiellement pacifiques et coopératives ». Dans ses recherches, le primatologue, Frans de Waal, a mis en évidence chez les primates un potentiel altruiste au point qu’il a pu écrire récemment à leur sujet un livre au titre éminemment significatif : « L’âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire » (3).
Parallèlement, il y a également un changement d’orientation dans l’anthropologie. Jacques Lecomte consacre un chapitre à cette évolution : « De l’accent sur un « peuple féroce » imaginaire à l’étude de peuples plutôt pacifiques ».
Un nouvel horizon s’est ouvert récemment à travers les découvertes de la neurobiologie : « Notre cerveau est prédisposé à l’amour, la coopération et l’empathie ». Ainsi, l’auteur rapporte le rôle d’une hormone, « l’ « ocytocine », qui favorise l’empathie et la générosité. Les centres de récompense mis en évidence dans le cerveau sont activés par le plaisir de souhaiter du bien aux autres au point que des équipes de chercheurs se sont « intéressées à une forme de méditation, appelée « méditation bonté » qui vise à augmenter le sentiment d’affection et d’attention envers soi et envers autrui. Assise dans une position relaxée, la personne pense positivement à quelqu’un qu’elle apprécie. Elle élargit ensuite ces sentiments. On observe en retour de multiples effets bénéfiques… Ses relations avec les autres s’améliorent ainsi que sa santé physique et psychique… » (p 255).
Il y a également la mise en évidence d’un potentiel d’empathie chez l’homme. Les observations psychologiques peuvent maintenant se fonder sur une découverte récente de la neurobiologie, celle des « neurones miroirs ». « Ces cellules nerveuses s’activent non seulement quand un individu accomplit une action, mais quand il voit un autre individu la réaliser… Elles nous permettent non seulement de reconnaître et de comprendre le sens des actions d’autrui (empathie cognitive), mais également ce que ce dernier ressent (empathie émotionnelle » (p 262).
Jacques Lecomte consacre enfin un chapitre à l’économie expérimentale. Les recherches actuelles menées dans cette discipline toute récente montrent qu’on ne peut fonder les sciences économiques sur une conception étroite de l’être humain appelé « homo oecomenicus » qui serait essentiellement individualiste, rationnel et égoïste. Pendant longtemps, la pensée économique dominante a été peu ouverte à l’expérimentation. « Mais, depuis une vingtaine d’années, l’économie expérimentale est en plein essor. Ce courant de recherche a clairement montré que les individus fondent leurs décisions sur la coopération, la confiance, le sentiment de justice et d’empathie plutôt que sur l’égoïsme intéressé. Ce qui est exactement à l’opposé des prédictions des théories économiques officielles » (p 277). Malheureusement, « les convictions des économistes néoclasssiques fonctionnent souvent comme des « prophéties autoréalisatrices ». Elles deviennent « vraies » par le simple fait de se diffuser dans la population » (p 290). En regard de cette idéologie, l’auteur se propose de montrer dans un prochain ouvrage « qu’une économie fondée sur la confiance en autrui et sur la coopération fonctionne plus efficacement qu’une économie fondée sur la compétition et la cupidité ». En réhabilitant « les valeurs fondamentales », il ouvre ainsi pour nous un horizon.
Un nouvel horizon.
La manière de percevoir l’orientation de l’être humain vers le bon ou le mauvais est une représentation qui s’inscrit dans l’histoire des mentalités et dans l’évolution des cultures. On constate autour de nous des perceptions très différentes à ce sujet. « Pourquoi certains croient-ils si fort à la méchanceté humaine ? ». L’auteur examine successivement le rôle des média, notre propre fonctionnement psychologique, la culture, l’imprégnation idéologique. Le lecteur trouvera dans ce chapitre des éléments de réponse.
La perception de la positivité et de la négativité de la personne humaine s’inscrit elle-même dans un climat social et culturel. Ainsi d’après les enquêtes internationales, le pessimisme est plus fort en France que dans d’autres pays comparables. La défiance est présente. À la question : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on n’est jamais assez méfiants », 21 % des français estiment que l’on peut faire confiance, contre 66 % en Norvège et en Suède. Sur 26 pays étudiés, la France se trouve au 24è rang » (p 325) (4).
Si la réponse à la question d’une prédisposition de l’homme au bien ou au mal est influencée par la manière de percevoir la vie sociale, elle s’inscrit également dans le temps. Ainsi, on peut émettre l’hypothèse d’une relation entre l’agressivité, la violence, la répression correspondante d’autre part, les frustrations engendrées par la faim, la maladie, la misère d’autre part. Si le bonheur apparaît comme une idée neuve en Europe au XVIIIè siècle, il y a bien un rapport avec une amélioration des conditions de vie.
Il y a une influence réciproque entre les mentalités et les visions du monde. Ainsi, en théologie, « la conception du péché originel, qui signifie que chaque être humain naît avec un penchant fondamental au mal », apparaît dans le contexte d’une Eglise qui reprend et poursuit le règne impérial. Elle se répand à partir des écrits d’Augustin d’Hippone (saint Augustin) et elle va conditionner les mentalités tout au long de la chrétienté. Or, selon Georges Minois, auteur d’un ouvrage de référence sur ce sujet, « l’idée d’une chute primordiale dont tous les hommes partageraient la culpabilité est absente de l’Ancien Testament et des Evangiles. C’est une création tardive de théologiens qui voulaient renforcer l’édifice doctrinal » (p 327). Il y a donc des interrelations entre les idéologies et les représentations. Ainsi, au XXè siècle, les sciences humaines ont elles-mêmes été imprégnées par des idées selon lesquelles l’homme se caractérise par l’égoïsme et une propension à la violence. Dans ces chapitres sur l’anthropologie, la primatologie, la psychologie, Jacques Lecomte montre combien certains auteurs ont écrit dans ce sens au point que leurs conclusions apparaissent aujourd’hui comme caricaturales. À cet égard, l’idéologie matérialiste de Freud a projeté sur l’enfant des représentations extrêmement négatives. « L’enfant est absolument égoïste. Il ressent intensément ses besoins et aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier face à ses rivaux, les autres enfants » (p 230). À cet égard, on se reportera également à l’analyse circonstanciée de Jérémie Rifkin dans son livre « Vers une civilisation de l’empathie » , il montre comment pendant plusieurs décennies, la pensée de Freud a handicapé le développement de la psychologie de l’enfant.
Vers un nouveau paradigme…
Aujourd’hui, dans la crise que nous traversons, on perçoit, en arrière plan, une grande mutation. Mais si les menaces sont bien présentes, il y a aussi des prises de conscience qui suscitent des actions. Et ces prises de conscience peuvent s’inscrire dans une transformation de la vision du monde comme c’est le cas dans le domaine de l’écologie. On peut aller plus loin dans l’interprétation ; au delà de la réaction à la menace, n’y aurait-il pas une émergence, l’anticipation d’un autre avenir ?
La revue « Sciences humaines » a publié récemment un dossier sur « le retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide ». La responsable de ce dossier, Martine Fournier, note un changement dans les préoccupations et les orientations (5). Cette évolution est internationale comme en témoigne l’ouvrage de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (6).
Le livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » s’inscrit dans le même mouvement. Ainsi peut-il évoquer : « Un changement de paradigme porteur d’implications sociales et politiques » (p 295). « Ce nouveau millénaire voit se réaliser sous nos yeux ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique, c’est-à-dire une période historique exceptionnelle au cours de laquelle se modifient les convictions des spécialistes. » Le changement s’accélère. « Une partie importante des découvertes citées dans ce livre ont été faites depuis les années 2000. Conclusion : les théoriciens de l’homme égoïste et violent sont des gens du passé, du siècle et même du millénaire passé » (p 297). Une vision nouvelle est en train d’apparaître.
En commentaire : une esquisse de réflexion spirituelle.
On observe parallèlement des transformations profondes dans la vie spirituelle et religieuse.
Un chercheur britannique, David Hay, a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle » avec Dieu, la nature, les êtres humains et soi-même (7). Dans le même mouvement, des recherches récentes ont mis en évidence la spiritualité des enfants (8). Tout ceci est en cohérence avec les études que nous venons de mentionner.
Par rapport aux séquelles d’un héritage, celui d’une théologie répressive centrée sur le péché originel, dont on mesure aujourd’hui les conséquences négatives, nous sommes appelés à revenir tout simplement à l’enseignement de Jésus au cœur duquel se trouve l’amour, le pardon, le non jugement. « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mat 5. 16). Cette parole de Jésus ne signifie-elle pas que non seulement ceux qui le suivent sont appelés à être bons, mais qu’il y a chez les hommes une capacité de reconnaître ce qui est bon parce que, à leur mesure, ils ont déjà une expérience de ce que cela signifie, et que dans le même mouvement, ils peuvent entrer dans ce courant de vie jusque dans la louange et la reconnaissance de la bonté de Dieu. Ainsi, les disciples de Jésus sont appelés à permettre la reconnaissance de ce qui est bon : prédisposition à la bonté ou manifestation de celle-ci.
Des théologiens comme Jürgen Moltmann nous aident à percevoir aujourd’hui l’œuvre de l’Esprit de Dieu à la fois dans la transcendance et dans l’immanence, ce qui germe et grandit dans la création. En Christ mort et ressuscité, une nouvelle création est en marche et Dieu nous appelle à l’espérance. Par rapport à la théorie classique de l’évolution qui procède à partir des seuls évènements du passé, Moltmann montre une dynamique où nous anticipons un avenir qui se manifeste déjà. Il a exprimé cette pensée dans plusieurs livres, mais il y revient, en termes très accessibles, dans un ouvrage tout récent paru en 2012 : « Ethics of hope » (Une éthique de l’espérance) (9). Ainsi écrit-il : « Le concept de l’évolution nous permet de comprendre comment ce qui existe aujourd’hui s’est réalisé, mais non comment cela aurait pu être et peut aujourd’hui devenir possible » (p 125). Et il met en évidence les théories nouvelles de l’émergence. « Il y a dans l’histoire de la nature des processus dans lesquels de nouveaux ensembles, de nouvelles formes émergent… Dans le jeu du hasard et de la nécessité, il y a une tendance vers des formes de plus en plus complexes… » (p 126). Cette tendance a été désignée comme une auto organisation de l’univers (self-organisation) ou « une auto organisation de la vie »… L’interprétation théologique ne contredit pas cette perspective. Au contraire. Elle donne à cette idée une profondeur nouvelle à travers l’idée d’une « auto transcendance » (Karl Rahner) sur la base de l’immanence et de la transcendance de l’Esprit Divin » (p 126). Dans ce grand mouvement, « l’Esprit de Dieu libère et unit en anticipant la nouvelle création ». Puisque l’humanité participe à cette dynamique, elle ne va pas s’aligner sur la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence, mais au contraire mettre en avant le principe de la coopération. Ainsi Moltmann met en évidence les recherches qui se développent aujourd’hui, comme par exemple la découverte des neurones miroirs. Déjà, dans son livre : « Dieu dans la création (10), Moltmann avait écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître « l’accord général » (p 25). « Etre vivant signifie entrer en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion » (p 15).
On pourrait reprendre ici la pensée de Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte, converge ». Ici, une théologie innovante entre en phase avec les transformations qui se manifestent dans un courant de pensée et qui inspirent Jacques Lecomte lorsqu’il évoque un nouveau paradigme. Son ouvrage sur « la bonté humaine » nous introduit dans une vision en plein devenir. Ce livre est passionnant, émouvant. Il ouvre des voies nouvelles qui vont au delà des relations interpersonnelles puisqu’elles tracent également un chemin pour des transformations sociales à travers le projet de l’auteur d’écrire un livre pour une nouvelle manière d’envisager l’économie. Cette lecture éveille espoir et dynamisme.
J H
(1) Lecomte (Jacques). La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Odile Jacob, 2012.
(2) Montessori (Maria). L’enfant. Desclée de Brouwer, 1936 (édition originale).
(3) De Waal Frans). L’âge de l’empathie. Leçons de nature pour une société plus solidaire. Les liens qui libèrent. 2010.
(4) Un article à ce sujet : « Défiance ou confiance. Quel style de relations ? Quelle société ? » http://www.temoins.com/culture-et-societe/societe/345-jean-hassenforder-defiance-ou-confiance-.html
(5) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier, p 32-51, in : Sciences Humaines, N° 223, février 2011. Voir sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=191
(6) Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Voir sur ce blog : « La force de l’empathie » http://www.vivreetes.com/?p=137 et, sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/816-vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux.html
(7) Hay (David). Something there. The biology of the human spirit. Darton, Longman, Todd, 2006. Voir sur ce blog : « Expériences de plénitude » https://vivreetesperer.com/?p=191. Sur le site de Témoins : « La vie spirituelle comme une conscience relationnelle » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes/672-la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r.html?showall=1
(8) Sur ce blog : « l’enfant, un être spirituel » https://vivreetesperer.com/?p=340 Sur le site de Témoins : « Découvrir la spiritualité des enfants. Un signe des temps » http://www.temoins.com/recherche-et-innovation/etudes.html
(9) Moltmann (Jürgen). Ethics of hope. Fortress Pres, 2012
(10) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Voir sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766