Sugata Mitra : Un avenir pédagogique prometteur à partir d’une expérience d’auto apprentissage d’enfants indiens en contact avec un ordinateur

 

« The hole in the wall » : un phénomène émergent

 

Peut-on imaginer qu’un groupe d’enfants indiens illettrés, sans instruction préalable, puisse apprendre l’anglais au contact d’un ordinateur, puis, dans l’année qui suit, acquérir une culture équivalente à celle d’une secrétaire occidentale ? Cela paraît invraisemblable et pourtant cette situation a été observée pendant plusieurs années dans des lieux différents par un chercheur indien, Sugata Mitra, aujourd’hui professeur de technologie de l’éducation à l’université de Newcastle upon Tyne (Grande Bretagne).

Et s’il y avait dans la motivation de ces enfants en contact avec un ordinateur un germe d’avenir qui nous concerne tous ? Laisser les enfants apprendre avec un ordinateur plutôt que de répéter les anciennes méthodes pédagogiques… Désormais l’ordinateur apporte à la fois un savoir polyvalent et un savoir-faire (1). Et s’il y avait dans la rencontre des enfants avec cette dynamique du savoir véhiculée par l’ordinateur, un phénomène émergent porteur d’avenir ?

 

The hole in the wall : une expérience fondatrice

 

En 1999, Sugata Mitra travaille comme responsable scientifique dans une entreprise d’ordinateurs à New Delhi en Inde. Il a une formation de physicien théorique, mais son travail quotidien porte sur les technologies. Comme on lui demande d’explorer le champ de l’usage public de l’ordinateur, l’idée lui vient d’en mettre un à la portée des enfants d’un quartier déshérité, un bidonville (« slum »), en bordure du bâtiment dans lequel il travaille. Alors il perce un trou dans le mur (« hole in the wall », et sans plus d’information, il offre à ces enfants la possibilité d’accéder à un ordinateur. Ces enfants sont pour la plupart illettrés et qui, de plus, à l’époque, n’ont jamais vu un objet de cet ordre. Cependant, ces enfants commencent à explorer cet objet inconnu et, peu à peu, sans information d’aucune sorte, en s’entraidant, ils en découvrent les fonctionnalités comme, en premier, l’usage de la souris. Quels ne sont pas la surprise et l’émerveillement de Sugata Mitra quand il découvre ce processus d’exploration et d’appropriation de l’ordinateur par les enfants et les conséquences qui vont s’en suivre dans leur autoapprentissage de l’anglais et de la culture correspondante. Plus tard, dans un autre lieu, il aura l’idée de mettre à la disposition des enfants, à travers l’ordinateur, un savoir en biologie, et il constatera, à sa grande stupeur, que peu à peu, ils parviennent à décrypter une partie de ce message complètement étranger dans une langue qui leur est extérieure.

Pendant des années, cette expérience d’autoapprentissage a été répétée en différents lieux. Ces observations permettent à Sugata Mitra de pouvoir déclarer qu’en 9 mois, à partir d’une absence de connaissance de la langue anglaise, ces enfants parviennent à un savoir équivalent à celui d’une secrétaire dans un pays occidental.

Parce que cet homme a été inventif, curieux d’esprit, ouvert à l’inconnu, persévérant, un phénomène qui sort de l’ordinaire a été mis en évidence et est aujourd’hui connu sous le terme de « trou dans le mur » (« hole in the wall »), expérience qui a abouti à cette grande découverte (2).

 

Un environnement pour organiser l’autoapprentissage

 

La découverte de Sugata Mitra est reconnue par le dispositif TED (3) qui diffuse les idées nouvelles dans l’univers anglophone à travers des « talks », courtes interventions diffusées en vidéo. Sugata Mitra expose son expérience en 2010 et, en 2013, un prix Ted lui est décerné, accompagné d’un crédit qui va lui permettre d’engager une expérimentation à grande échelle en créant 7 espace propices à cette pédagogie, 2 en Grande- Bretagne et 5 en Inde. Ces espaces sont définis en terme de « Self organising learning environment » (« SOLE »), des environnements pour organiser un auto-apprentissage. Ce sont des lieux confortables (lounge) avec des ordinateurs et des sièges permettant des se regrouper dans le travail. On peut découvrir le concept de SOLE comme la conjugaison d’internet à haut débit, d’une activité collaborative et d’un esprit d’encouragement et d’admiration. A chaque session, on propose aux enfants une question pour susciter leur curiosité et leur désir de recherche. Ainsi, par exemple, « Pourquoi vos dents repoussent une deuxième fois ? ». Les enfants se lancent alors dans une recherche sur ordinateur pour récolter les informations et les rassembler pour en rendre compte dans un texte.  On constate que la collaboration et la curiosité naturelle des enfants catalysent leur apprentissage même si ces enfants vivent dans les endroits les plus pauvres et ne reçoivent aucune instruction.

Une autre innovation vient de renforcer le dispositif. Elle a pour but de soutenir et d’encourager la motivation des enfants vivant dans des régions défavorisés. Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’enseignants qui pourraient tendre à évaluer et à contrôler prématurément, ce sont des personnes capables de sympathiser avec les enfants, d’apprécier leurs découvertes et de les encourager par une expression d’enthousiasme et d’admiration. Et c’est là que l’on découvre encore une fois la créativité de Sugata Mitra. Il a pensé que des grand-mères anglaises, (« grannies ») pourraient, à travers skype, rencontrer chaque semaine un groupe d’enfants indiens et établir avec eux un contact chaleureux, bref un réseau de volontaires aidant les enfants les plus pauvres à apprendre en favorisant leur motivation. Voici un exemple de conversation telle qu’elle est souhaitée dans ce dispositif. La grand-mère manifeste son enthousiasme : « Magnifique ! C’est fantastique ! Comment est-ce que tu as fait cela ? D’où cela vient-il ? Quand j’étais enfant, jamais je n’aurais pu faire une chose pareille. Et l’enfant répond : « O, tu es stupide ! Je vais te montrer ! ». Cette approche des grand-mères exprimant leur admiration comme une force motrice, est originale. Et bien, cela marche. « La présence d’une médiation amicale peut accroître l’autoapprentissage ».

 

(vidéo sous-titrée en français : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr)

 

Laissez-les apprendre ! Un nouvel horizon

 

Cette approche commence à se diffuser dans le monde. Mais elle se heurte aussi à des obstacles dans mes mentalités. On peut se demander si dans des pays « riches », il n’y a pas parfois un manque d’appétit  parce qu’il y aurait satiété (4). On peut s’interroger sur les conditions culturelles  qui interviennent dans ce processus. Des milieux conservateurs peuvent entrer en opposition. Cette nouvelle approche rompt avec des habitudes séculaires. Comme Sugata Mitra le fait observer, pendant des décennies, on a formé les élèves dans la perspective de répondre aux besoins d’un système hiérarchisé dans lequel régnaient discipline, uniformité et interchangeabilité. Il y avait une sorte de machine qui gouvernait le monde. L’école avait pour but de produire les travailleurs correspondants. Les écoles servaient un empire et, si elles ne changent pas, elles vont être démodées. Pour changer le système, il y aujourd’hui une priorité : réformer les examens en y permettant l’accès à internet.

Bref, ce qui importe aujourd’hui, c’est de permettre l’expression de la créativité. A cet égard, deux personnalités se rejoignent dans le monde anglophone : Sugata Mitra et Ken Robinson (5). En France, le développement de « l’éducation nouvelle » s’est longtemps heurté à beaucoup d’obstacles. Mais progressivement les mentalités changent. L’école se transforme. On assiste aujourd’hui à une nouvelle vague qui se manifeste notamment dans « le printemps de l’éducation » (6).

La pédagogie nouvelle, c’est partir des intérêts et des représentations des enfants pour leur permettre d’aller plus loin (7). Une bibliothécaire, Geneviève Patte, a écrit un livre qui montre l’enthousiasme des enfants à qui l’on propose un environnement de livres et un accompagnement chaleureux. Ce livre est intitulé : « Laissez les lire ! » (8). Le mouvement engagé par Sugata Mitra se développe aujourd’hui dans un esprit analogue : « Ce n’est pas provoquer l’apprentissage, c’est laisser l’apprentissage advenir » (« It is not making learning happen. It is about letting him happen ». Laissez les lire ! Laissez les apprendre !

Comme physicien, Sugata Mitra médite sur le caractère inédit de cette entreprise. Il écrit : « Learning can emerge in spontaneous order at the edge of the chaos » : « L’apprentissage peut émerger dans un ordre spontané à la frontière du chaos ». C’est une pensée éclairante qui nous ouvre sur une autre dimension (9).

Au total, dans ce mouvement, nous pouvons ensemble reconnaître l’apparition d’un phénomène émergent qui a été mis en évidence par un homme suffisamment humble pour se laisser surprendre par la nouveauté et suffisamment persévérant et créatif pour poursuivre l’expérience.  Voici un mouvement porteur d’avenir. A nous de savoir observer et écouter.

 

J H

 

(1)            « Une nouvelle manière d’être et de connaître. « Petite Poucette » de Michel Serres ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=820

(2)            On pourra consulter à ce sujet différentes sources :

Tout récemment en 2015, Sugatra Mitra a fait une conférence aux Etats-Unis : « The future of learning » à « L’Association pour le développement des talents » (ATD). On trouvera des notes sur le contenu de cette conférences sur deux sites : « Tubarks : the musings of Stan Skrabut » qui présente également plusieurs vidéos  concernant l’œuvre de Sugata Mitra : https://tubarks.wordpress.com/2015/05/24/atd2015-keynote-sugata-mitra/ et « Cammy Beam » : http://cammybean.kineo.com/2015/05/sugata-mitrathe-future-of-learning.html C’est une documentation de qualité.

Un article très bien informé et, de plus présentant une perspective synthétique, vient de paraître dans le Guardian : Carol Cadwallabr. « The « granny cloud » The network of volunteers helping poorer children learn » 2 aout 2015 : http://www.theguardian.com/education/2015/aug/02/sugata-mitra-school-in-the-cloud… On pourra également entendre Sugatra Mitra dans plusieurs vidéos comme cette courte intervention : « Beyond the Hole in the Wall. AERO conference 2015 : https://www.youtube.com/watch?v=vPjWiZaMtVc

(3)            Histoire et développement de Ted : https://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference) Voir aussi sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1910

Voir l’exposé en vidéo de Sugata Mitra à Ted en 2013 : « Construire une Ecole dans le Cloud » et la transcription de son exposé en français : un texte de base pour des francophones : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud/transcript?language=fr

(4)            On observe chez les enfants des pays pauvres une  belle soif d’instruction : Sur ce blog : «  Sur le chemin de l’école » : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(5)            Sur ce blog : « Une révolution en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(6)            Voir sur ce blog : «  Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

Site du « Printemps de l’éducation » : http://www.printemps-education.org

(7)            Sur ce blog : « Une nouvelle manière d’enseigner : participer ensemble à une recherche de sens. L’approche pédagogique de Britt Mari Barth » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(8)            Sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=523

Dans notre contexte personnel, cette réflexion évoque la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur la création. La pensée théologique de Moltmann est présentée sur le site : « L’Esprit qui donne la vie ». http://www.lespritquidonnelavie.com                                    Nous nous reportons ici à un des derniers livres de Moltmann : Ethics of hope. Fortress Press, 2012  (Evolution and emergence p 124-126) : « Dans l’histoire de la nature, il y a l’irruption de systèmes de matières et de formes de vie et, dans ce processus, de nouveaux ensembles émergent… On en parle comme l’auto-organisation de l’univers et de la vie… L’interprétation théologique donne à cette idée une nouvelle profondeur à travers la vision d’une auto-transcendance… J’interprète personnellement ces signes de la nature comme la présence de l’Esprit divin qui pousse vers la transcendance et, à travers l’apparition de nouveaux ensembles, anticipe le futur de la nature dans le Royaume de Dieu… Nous comprenons le présent, pas simplement comme l’aboutissement d’une évolution passée. Nous comprenons aussi le passé comme un « passé futur », parce que nous comprenons le présent comme le présent de ce qui est à venir et tend vers le futur de Dieu » (Extraits en traduction).  Dans ce registre, nous interprétons le phénomène émergent de l’auto-apprentissage interrelationnel comme une anticipation et comme un « signe des temps ».

Une parole qui encourage

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Apprécier et reconnaître ce qui est bon en chacun

 

En suivant notre fil facebook, nous avons rencontré une parole qui nous a rejoint profondément : « I believe that appreciation is a holy thing, that when we look what is best  in a person  we happen to be at the moment, we are doing what God does. So in appreciating our neighbor, we are participating in something truly sacred » : « Je crois qu’une appréciation positive appartient au registre de la sainteté, et que quand nous reconnaissons ce qui est le mieux dans une personne avec laquelle il nous arrive d’être à un certain moment, nous sommes en train de faire ce que Dieu fait. Ainsi, en appréciant notre prochain, nous participons à une réalité qui est vraiment sacrée ».

 

Fred Rogers, un homme qui, à la télévision, a su parler au cœur profond

 

Qui a exprimé aussi bien la grâce d’une appréciation positive de ce qui est bon et beau dans ceux que nous rencontrons ? C’est un homme mûr, pasteur américain qui, à un moment de sa vie, s’est engagé dans la participation à une émission de télévision à l’intention des enfants : « Mister Rogers Neiborhood » où il a apporté une présence authentique et chaleureuse. C’était un homme âgé qui aimait les enfants. Pour cette œuvre, Fred Rogers s’est vu décerné un prix en 1997. Après avoir été présenté « comme le meilleur des voisins que chacun de nous ait pu avoir », la parole fut donnée à cet homme humble et empathique qui en profita pour demander à l’assistance de prendre avec lui dix secondes pour « penser aux gens qui vous ont aidé à devenir ce que vous êtes, ceux qui ont pris soin de vous et ont voulu pour vous ce qui était le meilleur pour votre vie ». De fait, il en résulta un moment d’intense émotion.

L’article rappelle l’œuvre de Fred Rogers (1) et nous rapporte également dix paroles prononcées par lui. Ces paroles sont bien souvent émouvantes parce que nous ressentons personnellement leur profonde vérité. A partir de l’expression d’une vie en relation, elles font écho en nous. Nous en présentons ici quelques unes.

 

Des paroles qui touchent et éclairent

 

« Nous vivons dans un monde dont nous avons besoin de partager la responsabilité. Il est facile de dire : « Ce n’est pas mon enfant, ma communauté, mon univers. Ce n’est pas mon problème ». Et puis, il y a ceux qui voient le besoin et qui y répondent. Je considère ces gens comme mes héros ».

 

« Qu’est-ce qui pousse toujours plus des gens à vouloir davantage que ce qu’ils pourront utiliser ou avoir besoin ? Je pense tout bonnement que c’est l’insécurité. Comment faire connaître au monde que les signes extérieurs qui font fortune ne sont pas finalement ce qui est important pour être accepté ? »

 

« Comme être humain, notre rôle est d’aider les gens à réaliser combien chacun de nous est vraiment rare et précieux. A l’intérieur de nous, il y a quelque chose d’unique. C’est notre rôle de nous encourager les uns les autres à discerner cet apport original et à trouver les moyens d’en développer l’expression ».

 

« Je pense que chacun aspire à être aimé. Et, en conséquence, la plus grande chose que nous puissions faire est d’aider les gens à savoir qu’ils sont aimés et capables d’aimer ».

 

« Je crois qu’une appréciation positive appartient au registre de la sainteté et que, quand nous reconnaissons ce qui est le mieux dans une personne avec laquelle il nous arrive d’être à un certain moment, nous sommes en train de faire ce que Dieu fait. Ainsi, en appréciant notre prochain, nous participons à une réalité qui est vraiment sacrée ».

 

Chacune de ces réflexions éclaire le potentiel de notre manière d’être en relation . A certains moments, nous avons été encouragés et fortifiés par l’attention et l’affection qui nous ont été portées. Nous savons combien nos paroles peuvent elles aussi être porteuses d’encouragement et favoriser un processus de guérison et de libération. Fred Rogers nous permet d’aller à l’essentiel : un amour reçu et donné, une reconnaissance mutuelle, une appréciation de ce qui est bon et beau. C’est une harmonie à travers laquelle la présence de Dieu se manifeste.

 

J H

 

(1)            « 10 Mr Rogers quotes you need to read » : http://www.relevantmagazine.com/culture/10-mr-rogers-quotes-you-need-read

 

Sur ce blog, autres textes sur ce thème :

 

« Amitié ouverte » (Jürgen Moltmann) : https://vivreetesperer.com/?p=14

 

« La beauté de l’écoute » (Frère Roger) : https://vivreetesperer.com/?p=1219

 

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (Lytta Basset) : https://vivreetesperer.com/?p=1842

 

Dea petits riens de grande portée : la bienveillance au quotidien «  (Odile Hassenforder) : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

« D’une religion enfermante à la vie » (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=1931

Une communauté enfantine fondée sur l’amour

 

 

Comment je suis devenue « maman » de soixante orphelins à Brazzaville

 

Sœur Marie-Thérèse nous raconte comment son amour des enfants l’a conduite à tout quitter pour recueillir des orphelins et enfants des rues à Brazzaville. Au sein de la maison Notre Dame de Nazareth, tous se voient offrir une chance de vivre dans une famille d’adoption régie par l’amour. Sœur Marie-Thérèse nous présente cette grande aventure dans un « talk » diffusée par TEDx Paris (1) : « Comment je suis devenue « maman » de 60 orphelins de Brazzaville ».

 

En effectuant une visite quotidienne en prison, Sœur Marie-Thérèse a rencontré un petit garçon de trois ans, Albert, qui y vivait avec sa maman incarcérée. Bouleversée par cet enfant, elle l’a accueilli et gardé jusqu’à la libération de sa mère. A partir de là, Marie-Thérèse nous rapporte combien elle a été poussée par une forte motivation : « Cette étincelle est devenue en moi un feu dévorant. Ce feu pousse à prendre des décisions déroutantes, voire scandaleuses pour l’entourage, une folie pour les sages. Ce feu est impérieux. Il bannit la peur… Le 5 septembre 1998, pour être plus disponible aux enfants en détresse, j’ai tout quitté. Je suis partie de ma congrégation avec une vingtaine d’enfants. Je n’avais ni maison, ni argent, ni santé. Ma seule richesse était ma confiance en Dieu ».

 

C’est une grande aventure qui commence : « Les enfants et moi, étions au même niveau. Nous sommes toujours au même niveau. Je n’ai pas la fierté, la satisfaction et l’orgueil de celui qui donne. Nous vivons de dons. Ce n’est pas toujours facile, mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour donner de la joie aux enfants ! Aujourd’hui, ils sont une soixantaine, filles et garçons. Ils m’appellent maman ».

 

Cette communauté est organisée dans un esprit d’entraide et de soutien mutuel. « Le travail est le pilier de la maison et notre prière quotidienne en est le ciment ». Il y a quatre groupe de travail qui ont pour tâche : le ménage, la cuisine, la vaisselle, le soin porté aux enfants (toilette et sécurité). « A la tête de chaque groupe, il y a un aîné qui supervise le travail et me donne un compte-rendu. Tous les groupes se permutent chaque semaine de telle sorte que les responsabilités soient partagées en tenant compte des capacités de chacun. Ainsi, personne n’est laissé au bord du chemin. Chacun  a sa place et se sent valorisé ».

 

Cette grande famille est fondée sur la confiance mutuelle : « Il n’y a pas de famille s’il n’y a pas de confiance mutuelle les uns envers les autres. Pour cela, il faut que le dialogue ait une place de choix.  Dans le dialogue, la confiance prend racine. La confiance que je leur fais, peut leur permettre d’avoir confiance en eux. Je pense ainsi travailler à l’autonomie. L’entraide est une vertu cardinale de la maison. Les plus grands aident les plus petits. Ils les consolent quand ils ont des chagrins. Les bien portants aident les malades ».

 

 

Cette famille est une aventure fondée sur l’amour. « Comme toutes les familles, la  nôtre n’est pas parfaite. Il y a beaucoup de problèmes et de soucis. Notre famille est fragile, mais elle est fantastique. Elle est soudée et les aînés donnent le meilleur d’eux-mêmes dans l’adversité, dans la joie comme dans le malheur. Notre famille avance. Elle espère. Elle croit en la vie. Elle remercie. Elle dit toute sa reconnaissance à ceux qui l’aide.

Ce que j’apprend aux enfants lors de leur passage dans la famille est de bien faire ce qu’ils ont à faire et ce, jusqu’au bout, coûte que coûte.

L’amour est le socle de tout sans lequel toute entreprise est vide et stérile ».

 

J H

 

(1)            « Comment je suis devenue « maman » de soixante orphelins de Brazzaville » : un talk en vidéo sur le site de TED x Paris : http://www.tedxparis.com/comment-je-suis-devenue-maman-de-60-orphelins-de-brazzaville/

 

Sur ce blog, voir aussi : « De la décharge publique à la musique » : https://vivreetesperer.com/?p=1603

 

« Sur le chemin de l’école » : https://vivreetesperer.com/?p=1556

 

Plus généralement, sur la question de l’éducation :

« Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

 

 

Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation !

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 Le témoignage d’Antonella Verdiani

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En ce temps de crise, un monde se défait et un autre commence à naître. Nous percevons et nous ressentons les menaces et les pertes, mais nous avons besoin de voir ce qui est en train de germer, la promesse du renouveau. Car c’est ainsi que nous pourrons quitter l’ordre ancien et reconnaître l’avenir auquel nous sommes appelés.

A cet égard, l’éducation est un champ privilégié.

Pour notre part, au long des années, ayant participé à un courant de pensée et d’action militant pour des formes nouvelles d’éducation permettant aux enfants et aux jeunes de grandir dans le respect de leur personnalité et le développement de leur créativité (1), nous pouvons constater les pesanteurs qui font obstacles à la transformation des pratiques éducatives (2). Et pourtant, aujourd’hui, celles-ci sont appelées à changer en fonction de la poussée d’internet (3) et de nouvelles conceptions pédagogiques (4). Une pression accrue s’exerce en faveur du changement en se manifestant dans des aspirations nouvelles.

A cet égard, l’appel d’Antonella Verdiani (5) en faveur d’un « printemps de l’éducation » et le mouvement qui se développe en ce sens, nous paraît un signe prometteur. Mais cet appel prend aussi la forme d’un témoignage émouvant. Antonella Verdiani nous raconte une expérience vécue dans son enfance où elle s’est sentie rejetée par la contrainte des normes culturelles et elle nous rapporte sa recherche sur le sens de l’éducation. « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ! ». Voici une interpellation qui nous touche et nous mobilise. Cette interview (6) a été réalisée dans le cadre d’une conférence locale de « Ted » (7).

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Antonella Verdiani nous présente un épisode qui a marqué sa vie d’enfant. « J’ai dix ans. C’est le jour de l’examen pour entrer à l’école de la Scala de Milan ». Elle nous décrit les lieux : un grand escalier, puis une énorme salle où deux dames, « au sourire assez figé », accueillent une vingtaine de fillettes. Le piano démarre une musique de Chopin. « Vous pouvez danser à votre façon », leur dit-on. Antonella s’élance dans la danse. Elle se sent portée par la musique.  Elle s’exprime avec la passion qui lui est coutumière et dont son professeur de danse l’avait félicité. « Toi, tu as la passion ! ». Et puis, il faut passer une inspection devant les deux dames. L’une d’entre elle regarde ses pieds avec insistance. Elle appelle sa collègue. « Mes pieds sont vraiment bizarres… Je dois être vraiment quelqu’un de bizarre » se dit la petite fille. On passe ensuite dans une salle de classe. Les enfants sont appelées un à un à s’asseoir à gauche ou à droite. Et puis vient la décision. « A droite, les élèves que nous avons sélectionnées. A gauche, celles que nous n’avons pas retenues ». « J’étais à gauche », raconte Antonella qui éclate en sanglots. « Maman, on m’a refusé ! », dit-elle à sa mère. « Le monde magnifique d’une petite fille vouée à la danse s’écroule ». Pendant des années après cet épisode, elle a vécu comme si elle avait perdu le droit d’être heureuse.

Et pourtant, sa joie de vivre n’a pu être brisée. « Un jour, je me suis senti libre du sortilège de l’échec ». « Il n’est pas question d’étaler ma vie », nous dit Antonella. Un incident comme celui là, cela arrive. « C’est normal. C’est banal ». C’est arrivé à moi. Cela peut arriver à vous ou peut-être à vos enfants. Et bien, non, ce n’est pas normal ! « Cet épisode est la manifestation d’une cruauté ordinaire que notre monde, notre système éducatif continue d’infliger aux enfants en tuant leur capacité de rêver. Et moi, je ne veux pas être complice de cela ».

Antonella  a repris des cours de danse, puis elle est entrée à l’université où elle a soutenu une thèse en sciences de l’éducation : « Eduquer à la joie ». Et, dans cette interview, elle nous rapporte sa découverte. En étymologie, le mot joie dérive d’un mot sanscrit : yuj qui signifie : lien, connexion, reliance. Les enfants, quand ils sont en train d’apprendre librement et passionnément, sont dans cet état d’âme. Ils apprennent sans fatigue. Etre reliée, Antonella en a l’expérience. « Pour moi, cette reliance me ramène à ce que j’ai vécu lorsque j’ai dansé sans fatigue. C’était être en contact avec le monde, avec le ciel et la terre, avec les animaux, avec les fleurs, avec les gens, avec vous… ». Et si on commençait à éduquer à partir des dons de chacun ! En « permaculture, une pratique écologique, on cultive à partir de ce que est déjà fertile. « Si on pouvait apprendre à partir de notre richesse, de notre trésor, ce serait révolutionner l’éducation, changer la face du monde ».

Antonella Verdiani nous parle des pionniers qui ont lutté pour changer l’éducation : Maria Montessori, Steiner, Freinet… Leur influence s’est heurtée à bien des obstacles. « La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui de plus en plus d’enseignants, d’éducateurs et de parents inventent de nouvelles pratiques éducatives fondées sur la liberté, le respect des rythmes de l’enfant, la capacité de rêver ». « Ma joie, c’est de connecter… Aussi, avec un groupe de personnes qui savent encore rêver, j’ai fondé une alliance pour le renouveau éducatif. Parce que tout est déjà là… Il faut simplement relier. C’est éduquer à la joie ». C’est le « printemps de l’éducation ». Ce mouvement prend de l’essor à travers un site internet et connecte de nombreuses initiatives (8). Cet appel s’achève sur une ouverture : une parole de Maria Montessori : « La joie d’apprendre est autant indispensable à l’intelligence que la respiration au coureur… » « et au danseur ! », ajoute Antonella.

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Ce témoignage émouvant nous invite à espérer et à agir. Une nouvelle vague de renouveau éducatif apparaît aujourd’hui. Et elle s’inscrit dans une dynamique de connexion. Lien, connexion, reliance, ce sont là des termes que nous avons déjà rencontrés dans la recherche de Rebecca Nye sur la spiritualité des enfants : « Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création ou à un profond sens de l’être intérieur (inner sense of self) » (9). Dans ce contexte, ce mouvement pour une éducation nouvelle nous apparaît comme un signe d’une évolution profonde dans les esprits en cours actuellement. Et oui, nous pouvons recevoir l’appel : « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? » comme une ouverture vers l’avenir et comme une promesse.

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J H

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(1)            Une revue en perspective. Education et développement ? Textes présentés par Louis Raillon et Jean Hassenforder. L’Harmattan, 1998. Inspiration de l’éducation nouvelle et nouvelles approches  pédagogiques.

(2)            Comment le système scolaire français engendre un manque de confiance : Une analyse dans le livre : Algan (Yann), Cahuc (René), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire. Les pistes ouvertes par Yann Algan » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(3)            Sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître. « Petite poucette » » de Michel Serres » : https://vivreetesperer.com/?p=820

« Une révolution en éducation. L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation » : https://vivreetesperer.com/?p=1565

(4)            « Laissez-les lire ! Une dynamique relationnelle et éducative » (Présentation du livre de Geneviève Patte : « Laissez-les lire ») : https://vivreetesperer.com/?p=523 « Une nouvelle manière d’enseigner : Participer ensemble à une recherche de sens : L’approche pédagogique de Britt Mari Barth » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

On doit également mettre l’accent sur une découverte récente : En proposant un ordinateur à des enfants de bidonville, le chercheur indien, Sugata Mitra, a montré comment ces enfants étaient capables d’apprendre des savoirs très complexes en s’entraidant sans assistance extérieure. C’est dire le potentiel d’apprentissage qui réside en chaque enfant. C’est un paradigme révolutionnaire en matière d’éducation. Voir sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Sugata_Mitra et http://fr.wikipedia.org/wiki/Sugata_Mitra Expérimentations et recherches récentes sont présentées sur Ted par Sugata Mitra : « Construire une école dans le Cloud » : https://www.ted.com/talks/sugata_mitra_build_a_school_in_the_cloud?language=fr

(5)            Docteur en Sciences de l’Education, Antonella Verdiani a travaillé plus de 18 ans à l’Unesco où elle était responsable de questions d’éducation. En 2014, elle a publié un livre : « Ces écoles qui rendent les enfants heureux. Expériences et méthodes pour éduquer à la joie » (Actes Sud). Actuellement consultante et formatrice, elle est la fondatrice du collectif : « Le printemps de l’éducation », constitué de représentants de la société civile en France et à l’étranger et qui a pour objectif l’organisation de rencontres entre les acteurs du changement en matière d’éducation. Un article d’Antonella Verdiani sur le site du Huffingtonpost : « Si on éduquait à la joie ? » : http://www.huffingtonpost.fr/antonella-verdiani/eduquer-enfants-joie_b_3643196.html Parcours et vision d’Antonella Verdiani dans une interview sur Moodstep : https://www.youtube.com/watch?v=dAvYhjQSkPI

(6)            Témoignage d’Antonella Verdiani : « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? »

Sur le site : Printemps de l’éducation : http://www.printemps-   education.org/slide/et-si-nous-eduquions-nos-enfants-a-la-joie/

(7)            TED x Vaugirard Road : organisation et contenu des rencontres locales patronnées par TED Vidéos de témoignages  et d’exposés souvent éclairants http://www.tedxvaugirardroad.com/

(8)            Le printemps de l’éducation. Un mouvement pour le renouveau de l’éducation : vision, participants, gouvernance et activités… http://www.printemps-education.org/

Pendant longtemps, en regard des adultes, le statut de l’enfant a été négligeable. Les paroles de Jésus dans les évangiles sur la valeur primordiale des enfants ont été largement méconnues. Au XXè siècle, Maria Montessori joue un rôle de pionnière en mettant en évidence le potentiel du petit enfant. Elle parle de celui-ci en terme d’« embryon spirituel ». Aujourd’hui où le concept de spiritualité est désormais reconnu, la recherche réalisée par Rébecca Nye et David Hay auprès d’enfants britanniques de 6 à 10 ans met en évidence leurs aptitudes spirituelles en terme de « conscience relationnelle » : Voir : Rebecca Nye. Children’s spirituality. What it is and why it matters. Church House Publishing, 2009. Voir sur ce blog : « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340 Nous percevons un lien entre renouveau de l’éducation et approche spirituelle si bien que nous pouvons en parler en terme de : « signe des temps ».