Agir et espérer. Espérer et agir
L’espérance comme motivation et accompagnement de l’action.
Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Et notre motivation elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance. Quel rapport entre espérance et action ? Cette question concerne tous les registres de notre existence. Jürgen Moltmann apporte une réponse théologique à cette question dans l’introduction à son dernier ouvrage qui porte sur l’éthique de l’espérance (Ethics of hope ») (1)
Qu’est-ce que nous pouvons espérer ? Que pouvons-nous faire ? Un espace pour l’action.
L’espérance, nous dit Moltmann, suscite notre motivation. Peut-on agir si nous avons l’impression de nous heurter à un mur ? A un certain point, le volontarisme trouve sa limite. Dans l’histoire, on a vu des groupes se déliter parce qu’ils avaient perdu une vision de l’avenir. Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. « Nous devenons actif pour autant que nous espérions », écrit Moltmann. « Nous espérons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilités futures. Nous entreprenons ce que nous pensons être possible ».
Ce regard inspire nos comportements sur différents registres, dans la vie quotidienne, mais aussi dans la vie en société. « Si, par exemple, nous espérons que le monde va continuer comme maintenant, nous garderons les choses telles qu’elles sont. Si, par contre, nous espérons en un avenir alternatif, alors nous essaierons dès maintenant de changer les choses autant que faire se peut ».
Que dois-je craindre ? Qu’est-ce que je peux faire ? L’action : une nécessité.
« Nous pensons à l’avenir, non seulement en fonction d’un monde meilleur, mais aussi, et peut-être plus encore, en fonction de nos anxiétés et de nos peurs ». Il est important et nécessaire de percevoir les dangers. Nos peurs interviennent alors comme une alerte.
La peur affecte également nos comportements. L’anxiété attire notre attention sur les menaces. Nous faisons face au danger avec d’autant plus d’énergie que nous percevons l’efficacité de notre action. « Une éthique de la crainte nous rend conscient des crises. Une éthique de l’espérance perçoit les chances dans les crises ».
Espérance chrétienne. D’un monde ancien à un monde nouveau.
Dans les textes apocalyptiques juifs et chrétiens, la fin des temps est évoquée dans des scénarios catastrophiques, « mais, en même temps, la délivrance à travers un nouveau commencement divin est proclamé avec d’autant plus de vigueur ». Ainsi, « rien de moins que l’Esprit de Dieu sera répandu pour que tout ce qui est mortel puisse vivre ». (Joël 2. 28-32. Actes 2 16-21). Porté par l’Esprit divin, la nouvelle création de toutes choses commence lorsque le monde ancien s’efface . Motmann cite le poète Friedrich Hölderlin : « Là où est le danger, la délivrance croit aussi ». « L’éthique chrétienne de l’espérance apparaît dans la mémoire de la résurrection du Christ crucifié et attend donc l’aube du nouveau monde suscité par Dieu dans l’effacement de l’ancien ». C’est une forme de métamorphose. La transformation est déjà en cours. « L’espérance chrétienne est fondée sur la résurrection du Christ et s’ouvre à une vie à la lumière du nouveau monde suscité par Dieu. L’éthique chrétienne anticipe, dans les potentialités de l’histoire, la venue (« coming » universelle de Dieu ».
Prier et observer.
Si l’on espère, la prière s’inscrit dans une attente et, en conséquence, elle s’accompagne d’une observation de ce qui se passe et va se passer : prier et observer. « En observant, nous ouvrons nos yeux et reconnaissons le Christ caché qui nous attend dans les pauvres et les malades (Matthieu 25. 37)… L’attention à l’éveil messianique se manifeste à travers les signes des temps dans lesquels le futur de Dieu est annoncé de telle façon que l’action chrétienne inspirée par l’espérance, devienne anticipation du royaume qui vient, dans lequel justice et paix s’embrassent mutuellement ».
Attendre et se hâter.
« Dans l’espérance de l’avenir divin, tous les théologiens de Coménius à Blumhardt ont mis l’accent sur ces deux attitudes : attendre et se hâter ». Attendre ne veut pas dire adopter une attitude passive, mais au contraire regarder en avant : « La nuit est avancée. Le jour est proche » (Romains 15.12). Attendre, c’est aussi s’attendre. « La venue de Dieu, Dieu qui vient, engendre une puissance de transformation dans le présent ». « Dans la tension de l’attente, nous nous préparons à l’avenir divin et cet avenir gagne en force dans notre présent ».
Et aussi, nous ne nous résignons pas à l’injustice et à la violence. Les gens qui attendent la justice de Dieu ne peuvent plus supporter la réalité actuelle comme un fait obligé « parce qu’ils savent qu’un monde meilleur est possible et que des changements sont aujourd’hui nécessaires ».
L’attente s’exerce dans une foi fidèle : « L’espérance ne donne pas seulement des ailes à la foi. Elle donne aussi à cette foi le pouvoir de tenir ferme et de persévérer jusqu’au bout ».
Il y a aussi un double mouvement : attendre et se hâter. « Se hâter dans le temps signifie traverser la frontière entre la réalité présente et la sphère de ce qui est possible dans l’avenir ». En traversant cette frontière, nous anticipons l’avenir que nous espérons. « Ne pas prendre les choses comme elles sont, mais les voir comme elles peuvent être dans l’avenir et amener dans le présent cette potentialité, ce pouvoir être, c’est nous ouvrir à l’avenir ». Le présent apparaît comme une transition entre ce qui a été et ce qui sera.
« Regarder en avant, percevoir les possibilités et anticiper ce que sera demain, tels sont les concepts fondamentaux d’une éthique de l’espérance. Aujourd’hui, attendre et se hâter dans la perspective du futur signifient résister et anticiper ».
Jean Hassenforder
(1) Moltmann (Jürgen). Ethics of Hope. Fortress Press, 2012. Ce livre a été traduit par Margaret Kohl à partir de la première édition publiée en allemand en 2010 : Ethik der Hoffnung. Dans cet ouvrage, Jürgen Moltmann fait le point sur sa pensée après plusieurs décennies de réflexion théologique. Ce texte est écrit à partir de l’introduction à laquelle les citations sont empruntées (p 3-8).
Sur ce blog , d’autres articles sur la pensée de Jürgen Moltmann :
« Le Dieu vivant et la plénitude de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2697
https://vivreetesperer.com/?p=2413
« Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » https://vivreetesperer.com/?p=2267
« L’avenir inachevé de Dieu. Pourquoi c’est important pour nous ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1884