Le souci de l’autre et le soin au fondement de la vie humaine
Une approche anthropologique des questions sociales et politiques
En 1982, dans un livre pionnier : « In a different voice », Carol Gilligan a porté un nouveau regard sur la manière de formuler des jugements moraux, en écoutant autrui et en prenant en compte cette expérience. Cette attention à l’autre ouvre la voie à une sollicitude à son endroit. A partir de ce changement de regard, un mouvement nouveau va apparaître et se développer rapidement : le mouvement du « care », du « prendre soin ».
Dans un livre sur « l’éthique du care », Fabienne Brugère commente cette nouvelle approche morale et sociale (1) :
« La voix différente » de Carol Gilligan, nous dit-elle, « inaugure un problème à la fois philosophique, psychologique, sociologique et politique, celui du « care ». Il existe une « caring attitude », une façon de renouveler le problème du lien social par l’attention aux autres, le « prendre soin », le « soin mutuel », la sollicitude et le souci des autres. Ces comportements adossés à des politiques, à des collectifs ou à des institutions s’inscrivent dans une nouvelle anthropologie qui combine la vulnérabilité et la relationalité, cette dernière devant être comprise avec son double versant de la dépendance et de l’interdépendance » (p 3).
Théïa Lab : « Une agence associative de recherche-action en anthropologie » (2)
« Le souci de l’autre et le soin » apparaît sur le site : Théïa Lab comme une des principales thématiques du groupe de recherche qui se présente dans les termes d’une « Agence associative de recherche- action en anthropologie » avec cette belle devise : « Comprendre par l’attention. Agir dans la relation ». Plus précisément, Théïa Lab se définit comme « une agence d’études et d’expertise en sciences sociales tournée plus particulièrement vers l’anthropologie. Composée de professionnels issus des mondes de la recherche et de la création, elle est spécialisée dans la recherche appliquée et la recherche-action, l’innovation sociale et environnementale.
Une approche anthropologique
« L’anthropologie consiste étudier l’humain du passé comme du présent. Le mot vient du grec : « anthropos » (humain) et « logia » (étude). Elle se subdivise en plusieurs spécialité » (3).
L’équipe de Théïa Lab nous explique pourquoi elle adopte une approche anthropologique. « L’anthropologie est une discipline particulièrement pertinente pour répondre aux enjeux qui sont les nôtres… Sa spécialisation sur les méthodes de terrain, les approches qualitatives, autant que sur son sens de l’itération entre local (et même micro-local) et les dynamiques globales, universelles, font d’elle une discipline scientifique ancrée dans une tradition déjà ancienne, et simultanément, parfaitement adaptée aux défis du monde contemporain… Ces convictions nous amènent tout particulièrement à privilégier les missions d’utilité publique, les réflexions qui conduisent à un mieux-être de tous en général, et des plus vulnérables en particulier… Pour agir, notre orientation est double : rendre visible, intelligible / éduquer et mettre en place des actions dans le cadre de politiques publiques et de projets ».
Le souci de l’autre et le soin
Théïa Lab nous présente les grandes thématiques dans lesquelles son activité se déploie : habiter le monde en commun ; individuation et citoyenneté ; création artistique et droits culturels ; l’éducation par l’attention ; le souci de l’autre et le soin. Cette dernière thématique : « le souci de l’autre et le soin » rejoint nos partages précédents sur ce blog autour du care (1), du soin tel que Cynthia Fleury l’approche dans sa publication : « Le soin est un humanisme » (4), la réflexion philosophique de Corine Pelluchon sur la vulnérabilité et la relation à autrui en terme de considération (5).
L’équipe de Théïa Lab aborde le thème de soin dans toute son ampleur et dans toutes ses dimensions : « « Le souci de l’autre » et le soin au fondement de la vie humaine dans l’écosystème global ».
La réflexion commence par la reconnaissance de la vulnérabilité humaine telle qu’elle est soulignée par Cynthia Fleury et Corine Pelluchon :
- « La vulnérabilité est une vérité de la condition humaine, partagée par tous, et pas uniquement par ceux qui font l’expérience plus spécifique de la maladie » Le soin est un humanisme, de Cynthia Fleury.
- « La reconnaissance de notre vulnérabilité est une clef pour avoir de la considération envers les autres êtres sensibles ». Ethique de la considération de Corine Pelluchon.
« A l’heure où nous prenons conscience de nos propres vulnérabilités, la question du soin ou du care prend une dimension tout à fait inédite : le care, souvent traduit par soin, mais aussi par sollicitude, attention, ne se limite plus au domaine privé ou professionnel du soin, et ce changement d’échelle apparaît comme salvateur, fécond. En effet, à l’heure de l’anthropocène-capitalocène, la vulnérabilité se révèle de plus en plus à nous comme déterminante de notre condition humaine, et même de notre condition de vivants ».
L’attention portée au soin entraine d’autres prises de conscience :
« Prendre en compte l’autre dans sa vulnérabilité, mais aussi la complexité de son existence, de son rapport au monde, est la promesses d’accéder à d’autres univers : prendre soin, c’est d’abord reconnaître l’autre dans son altérité, pour pouvoir le protéger, respecter son intégrité pour garantir celle-ci, et aider cet autre à s’épanouir dans une cohabitation féconde. Cette relation d’attention et de soin est le fondement d’une vie « en commun », et d’une attention portée aux « communs ».
Nous sommes donc tous impliqués dans le prendre soin. Prendre soin n’est pas attribué à une seule catégorie souvent méconnue. Et, au delà de l’autonomie, nous prenons conscience que « nous sommes tous reliés : humains, animaux, plantes, pris dans un vaste écosystème terrestre vis à vis duquel nous sommes responsables… Nous avons tous la responsabilité éthique de prendre soin de nous-mêmes, des autres qui nous entourent et auxquels nous sommes reliés… c’est-à-dire, in fine, à la planète entière ».
Ainsi, la perspective s’élargit : « le care est posé en véritable éthique comme un projet politique et social ; il permet de concevoir une nouvelle manière d’organiser la société… Partager par exemple la charge du care plus équitablement : les hommes et les femmes, les nationaux et les étrangers, les diplômés et les non /peu qualifiés, etc. Toujours dans cette perspective, le care permet d’entrevoir des sociétés fondées sur l’attention et l’entraide, l’intelligence collective aussi plutôt que sur la performance et la compétition. Cette responsabilité est éminemment porteuse d’émancipation et de créativité. Elle est source d’épanouissement et de capacité de faire relation avec les autres… ».
Dans cette perspective, on voit bien l’importance de la recherche pour susciter des conditions propices au care. La recherche peut éclairer les situations où le care est appelé à se développer. Les chercheur(e)s de Théïa Lab mettent en évidence les apports de la recherche en ce domaine : « L’anthropologie, les science humaines, ou les arts sont à même de rendre visible ce qui est habituellement invisibilisé, les liens qui nous définissent et nous permettent de vivre ensemble, d’en révéler la beauté en même temps que la valeur éthique.
L’ethnographie porte son attention sur le quotidien, sur le « banal », mais aussi sur l’exceptionnalité de nos conditions individuelles et collectives, sur leur « irremplaçabilité » (Cynthia Fleury). Elle contribue à rétablir de la dignité là où il y a de la négligence et de l’oubli… Et seule la reconnaissance de cette dignité peut restituer aux individus le droit d’être considérés, aidés, réparés, protégés, et finalement leur permettre d’exister pleinement ». En « rendant visible, intelligible, l’empathie », la recherche sur « les pratiques, les routines, les représentations et les affects » peut contribuer à « la susciter ».
Aujourd’hui, nous assistons ainsi à une prise de conscience à la fois de la nécessité et de la réalité du care, du souci de l’autre et du soin. Cette prise de conscience s’inscrit dans le mouvement plus vaste d’une attention portée au vivant et à la terre entière. Pour nous, nous reconnaissons là une inspiration christique, évangélique, reconnaissant dans ce mouvement une œuvre de l’Esprit qui relie, réconcilie, relève et dignifie.
Rapporté par J H
- Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
- Théïa Lab : https://theialab.fr
- La société canadienne d’anthropologie : https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie
- De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin : https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/
- Les Lumières à l’âge du vivant : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/