par jean | Déc 6, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
D’un emploi salarié dans les prestations de presse à un métier dans la protection des personnes.
Au long des années, Pierre-Henri Chaix en est venu à s’intéresser de plus en plus à la condition des personnes adultes en difficulté.
Professionnellement, pendant vingt-cinq ans, il a travaillé dans le domaine de la presse et de l’édition, et, dans ces dernières années, à la réalisation de revues de presse numériques. Parallèlement, Pierre-Henri est très actif dans la communauté chrétienne locale, et là, il anime un groupe d’hommes pour la plupart isolés. Il suit également un groupe de personnes qui, présentent un handicap mental. Progressivement, Pierre-Henri s’est intéressé à la question des personnes vulnérables. Et, pour celles avec qui il est en contact, il les a accompagnées parfois chez leurs tuteurs.
On estime aujourd’hui aux alentours d’un million, le nombre de personnes sous protection judiciaire, qui, pour la moitié, sont prises en charge par des tuteurs ou curateurs appartenant à la famille, et, pour l’autre moitié, par des mandataires qui peuvent être, soit des associations, soit des personnes déléguées dans des établissements de santé (hôpitaux, maisons de retraite), soit des mandataires privés. L’encadrement juridique des personnes majeures vulnérables a été remanié par la loi de 2007. Cette loi a mis l’accent sur la protection des personnes alors que les lois antérieures étaient plutôt centrées sur la gestion des biens. « La loi française avant 2007 parlait d’incapables. La nouvelle loi parle d’adultes majeurs protégés » ».
La loi prévoit qu’on puisse mettre en place une mesure de protection judiciaire lorsqu’une personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté ou de la mettre en oeuvre conformément à ses intérêts.
« Par exemple, Clémentine, qui a vingt-neuf ans, réside dans une maison d’accueil spécialisée et elle a un handicap qui l’empêche de s’exprimer oralement. N’étant pas en mesure de travailler, elle perçoit une allocation d’adulte handicapé et bénéficie d’une aide au logement qui lui permettent d’assurer la prise en charge des frais de résidence spécialisée. La justice l’a placée sous tutelle auprès d’une association.
Pierre, qui a quatre-vingt ans, souffre de la maladie d’Alzheimer avec actuellement une dégradation des capacités cognitives. Au stade actuel, son épouse doit prévoir pour lui une situation d’hébergement spécialisé qui l’oblige à vendre sa maison pour faire face au coût. La réalisation de cette vente requiert une mise sous protection judiciaire qui, en l’espèce, sera confiée à l’épouse ».
Pierre-Henri était en transition sur le plan professionnel suite à un licenciement douloureux. Il a commencé à évaluer le marché du travail salarié pour se rendre compte rapidement à quarante-neuf ans de la quasi-impossibilité de retrouver un emploi comparable à celui qu’il avait auparavant : directeur de département. Assez vite, il a acquis la conviction qu’il fallait qu’il se mette à son compte. Assez spontanément, il a cherché à trouver une activité dans son domaine de compétence : la presse, mais cela n’a pas abouti dans des conditions raisonnables. Il a donc bifurqué vers la gestion de patrimoine, mais ces contacts professionnels l’entraînaient vers le grand ouest parisien, très loin de son environnement local. Dans un souci de trouver un bon équilibre sur le plan personnel et sur le plan économique, Pierre-Henri s’est concentré sur ses domaines de compétence. Et naturellement, à partir de l’expérience qu’il avait dans le domaine de l’accompagnement de personnes en difficulté, il a décidé d’en faire son métier. Il a suivi en conséquence une formation professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Il a eu aussi l’occasion de pratiquer le métier dans un hôpital psychiatrique pendant trois mois. « C’est un métier extrêmement prenant parce qu’on est souvent dans une logique d’urgence. Et d’autre part, c’est un métier passionnant parce qu’on est confronté à des personnes très diverses qui affrontent des problèmes très variés. Il y a dans ce métier un défi constant, que j’ai toujours apprécié dans le personnage de Zorro ( !), et on est constamment sur la brèche pour débrouiller des situations inextricables ». Pierre-Henri vient d’obtenir la certification professionnelle de mandataire judiciaire pour la protection des majeurs (MJPM) et met en place son activité professionnelle.
Dans cette profession, le rapport humain est essentiel. « L’écoute est fondamentale. Dans ce domaine, il y a une interaction très forte avec les pathologies. Par exemple, je me suis occupé d’une personne d’une quarantaine d’années qui, de fait, mentait tout le temps, et, pour autant, il fallait quand même arriver à savoir quelles étaient ses aspirations. J’ai déjà évoqué Clémentine qui n’est pas capable de parler, mais, avec de la pratique et de l’expérience, on arrive à comprendre ce qu’elle souhaite et à lui permettre de participer aux décisions qui la concernent. Il est également absolument essentiel, et c’est d’ailleurs devenu une obligation dans la loi de 2007, d’obtenir l’adhésion des personnes, de leur communiquer toutes les informations dès lors qu ‘elles peuvent les recevoir et de les faire participer à leurs mesures de protection ».
Sur le plan économique, ces métiers ne sont pas très rémunérateurs, mais, pour Pierre-Henri, il trouve là une voie qui correspond à ses aspirations. Il a très mal vécu ses dernières années en qualité de salarié, aussi lorsqu’il évoque son nouveau travail, un mot lui vient à l’esprit : « Libéré ! », malgré les difficultés économiques à surmonter.
Contribution de Pierre-Henri Chaix
par jean | Août 26, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
La vision de Jean Viard sur le potentiel français.
Dans un livre récent : « Nouveau portrait de la France. La société des modes de vie » (1), le sociologue Jean Viard, à la suite d’autres travaux témoignant d’une approche originale, nous présente une analyse de la mutation de la société française.
La crise bat son plein et assombrit notre perception de l’avenir, et, on le sait par ailleurs, les enquêtes d’opinion font apparaître chez les français un pessimisme plus marqué que dans d’autres pays. Aussi l’analyse de Jean Viard est bienvenue, car elle apporte des éléments stimulants pour notre réflexion et notre compréhension.
Jean Viard rejoint d’autres analystes qui, au cours des dernières décennies, ont étudié la transformation de la France : Jean Fourastié (2) et Joffre Dumazedier (3), Henri Mendras (4) et Michel Serres (5). Et, comme eux, il met en valeur l’ampleur des changements en cours, mais aussi des acquis considérables que nous avons parfois tendance à oublier.
Ainsi, par exemple, notre espérance de vie a augmenté de vingt cinq ans au XXè siècle. « Cette vie en plus » qui avoisine en moyenne les 40 % par rapport à la génération de 1900 est en partie due à une formidable réduction du travail et de son usure sur le corps » (p 14).
Expansion du temps libre
De fait, une transformation fondamentale s’est opérée dans la répartition du temps. « Là où en 1900, pour la très grande majorité des citoyens, le travail et le sommeil occupaient 70% du temps de la vie, ils n’occupent plus ensemble, en 2011, que 40% » (p 15). L’augmentation de la vie se conjuguant avec la réduction du temps de travail, un genre de vie radicalement différent est apparu. « Nous sommes passé de cent mille heures disponibles, hors sommeil et travail, à environ quatre cent mille pour soi, sa famille, ses temps libres, sa culture, ses engagements et ses voyages… Cette multiplication par quatre du temps disponible, hors sommeil et hors travail, est l’information essentielle. Dans cette dilatation du temps à faible contrainte se tient la révolution temporelle que nous vivons sans en être totalement conscients » (p 32) ;
La culture du temps libre.
Dès lors, la culture du travail demeure, mais perd sa prédominance. Son influence persiste dans certains contextes et dans certains milieux, mais partout, elle doit tenir compte de la culture nouvelle qui s’est développée et se développe dans le temps libre. Cette culture nouvelle engendre une nouvelle manière de vivre et de penser. « Aujourd’hui, la société a deux maîtres : le travail bien sûr, mais aussi à part quasi égale, le temps de non-travail. Ces deux maîtres luttent, s’associent, s’opposent pour construire la société, favoriser la productivité… modifier les codes et les normes, définir les espérances et les exclusives, favoriser telle ou telle région, telle ou telle cité » (p 9). « Si les liens issus du travail sont encore nourris de la culture hiérarchique et collective particulièrement prégnante en France, ils sont appelés de plus en plus à tenir compte de la culture du temps libre où les liens sont auto-organisés et souples » (p 42).
La culture du temps libre qui se déploie dans ce que le sociologue Joffre Dumazedier avait appelé « la civilisation des loisirs » s’inscrit dans une nouvelle répartition des temps sociaux, mais aussi dans le jeu d’une autonomie qui s’exerce dans un ensemble de changements techniques et sociaux qui se traduisent par une grande mobilité.
Ainsi, Jean Viard évoque une « civilisation des vies complètes » où quatre générations évoluent ensemble, une civilisation avec les « vieux présents » et les « bébés vivants ». Cette explosion de l’espérance de vie en trois ou quatre générations est le plus beau progrès des sociétés modernes… »
Notre société est aussi une « société de mobilité des individus dans l’ensemble de leur champ d’activité et d’existence y compris, pour une part, en matière de convictions et d’engagements. Nous sommes devenus multi-appartenants dans un monde qui s’est arraché dans la douleur aux systèmes collectifs d’appartenance » (p 29).
Et, de même, « le lien social se privatise au fur et à mesure que le temps se privatise et que les normes et le valeurs inventées pour vivre ce temps libre réorganisent notre culture. Le lien social lie aujourd’hui des individus autonomes, mobiles, acculturés à l’absence, en risque permanent, il est vrai, de solitude. Mais libres aussi » (p 39).
Cette nouvelle culture du temps libre se manifeste aussi en terme de réseaux. « Nous avons chacun des réseaux de relations multiples intra et extra familiales qui ont, peu à peu, submergé les liens rares et régulés du monde d’hier. Et le cœur de ce réseau de relations, c’est l’affection sous toutes ces formes et le « faire ensemble des chose différentes », ce qui est de plus en plus le modèle de la famille tribu » (p 41).
La culture du temps libre participe à une transformation des représentations, des attitudes, des comportements. C’est une transformation de grande portée. Ainsi, nous dit Jean Viard, cette nouvelle culture « joue également avec le recul de la force comme système de domination du travail, de la politique et des femmes (ce qui est le grand regret des droites extrêmes). Cette nouvelle société est par nature paritaire et métissée, même si elle peine à advenir » (p 50)
L’avènement de la mobilité.
En 1950, une personne parcourait en moyenne chaque jour cinq kilomètres. « Cinq kilomètres, c’est un monde du voisinage, de l’interconnaissance, du contrôle social de chacun… C’est un espace social dense… c’est un groupe fortement uni par un nous dans lequel la bataille de chacun consiste à se créer une parcelle de je… » (p 60-61). Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Une personne parcourt en moyenne chaque jour quarante-cinq kilomètres (p 61). La majorité de ces déplacements est maintenant lié au temps de loisir. « Nous sommes entrés dans une période de « mobilité généralisée ». Des flux migratoires nouveaux apparaissent. Ainsi, beaucoup de jeunes, lorsqu’ils se stabilisent, recherchent une maison avec jardin peu éloignée d’une ville de province. C’est le mode de vie qui est le choix premier. De même, les jeunes retraités sont attirés vers des villes technologiques et culturelles comme Montpellier ou Nantes » (p 67).
Ainsi, nous sommes « face à une mobilité dominante, parfois plus subie que choisie » (p 69). « Demeure une forte part de la société qui n’a pas vécu ce basculement et qui tend à se replier dans des formes d’appartenance traditionnelles » (p 65).
Cette expansion de la mobilité modifie l’usage et la représentation de l’espace. Jean Viard évoque l’importance croissante du logement et les nouvelles requêtes envers celui-ci. « La question du logement est essentielle dans l’évolution des codes sociaux et dans leur démocratisation » (p 71-81).
Et, de même, notre représentation et notre usage du territoire ont complètement changé. C’est un « territoire en réseaux ». La mobilité physique se conjugue avec une « mobilité virtuelle de masse ». Une géographie nouvelle s’est mise en place. La ville a changé de visage. Depuis vingt-cinq ans, « elle se reconstruit comme espace de promenade, de divertissement et de rencontre » (p 92). C’est Paris Plage, le retour des tramways et le Vélib. Mais cette évolution n’est pas réservée à Paris. Elle se manifeste quasiment partout. Et, de même, les rapports entre l’urbanité et le monde vert ont changé (p 100-109). « On ne peut plus penser en terme de société urbaine et société rurale, ni d’ailleurs en terme de Paris et de province » (p 102). Il y a un étalement du tissu urbain. Jean Viard évoque ainsi une « ville nuage ». Les « extra urbains », « les habitants qui ont fait le choix de quitter l’urbain central » (p 102) se multiplient. Ils s’installent dans la France des villages, des campagnes, des bourgs et des petites villes. Alors la taille et la densité de chaque aire urbaine augmente. « Lorsque nous pensons « urbains et extra urbains », écoutons le mouvement, les représentations et les trajets, car tout cela fait système, chaînes et réseaux ».
Une dynamique nouvelle à accueillir et prendre en compte.
Pour progresser, nous avons besoin de prendre conscience des représentations du passé qui nous empêchent de voir le présent dans sa réalité et d’agir en conséquence. Le livre de Jean Viard nous montre combien les dynamiques nouvelles appellent des changements que nous ne pouvons pas mettre en oeuvre lorsque nous sommes prisonniers des représentations du passé. « Trop souvent aujourd’hui, on pense et on agit la société avec une vision issue du monde d’hier » (p 19). Cela vaut pour l’économie comme pour la politique. Dans des champs très variés, Jean Viard ouvre notre regard sur les transformations dont il faudrait tenir compte pour agir avec pertinence. En voici quelques exemples.
Une compréhension des nouvelles orientations du travail fonde une réflexion prospective concernant la politique économique. On ne peut plus confondre aujourd’hui travail et production de biens. « 40% des emplois sont occupés par des gens qui s’occupent des autres : enseigner, soigner, divertir. Là est la vraie novation de nos sociétés. L’énorme investissement en éducation et en santé que nous avons fait au XXè siècle est la cause profonde des nouveaux équilibres à l’œuvre. Ensuite 30% environ des emplois gèrent la logistique de la société (commerce, sécurité, transport, politique et administration), 10% travaillent l’espace (agriculture, urbanisme, logement) et moins de 20% produisent des objets. Autrement dit, 70% des emplois sont liés aux habitants et, donc, accentuent les flux migratoires» (p 174).
Un phénomène nouveau est apparu. La recherche d’un genre de vie attractif est devenue moteur. Les entreprises sont progressivement amenées à suivre le mouvement. « Quand on étudie les migrations nationales en France depuis les années 1960, il ressort nettement que les régions touristiques attirent à la fois plus de nouveaux habitants que les autres, et plus d’entreprises dans les nouveaux secteurs économiques » (p 142). L’économie se déploie vers les zones de consommation et vers les grandes régions de tourisme. « Certaines villes comme Lyon et Lille ont su remarquablement se repositionner dans cette nouvelle géographie… Mais le plus surprenant est la puissance nouvelle des régions du soleil : Nice, Grenoble, Aix, Montpellier, Toulouse… « (p 143-144). « Les régions du sud, puis de l’ouest deviennent des pôles high tech considérables » (p 157)).
Dans cette perspective, « le tourisme est au XXè siècle un des éléments décisifs de restructuration de l’image des territoires et de leur attractivité « post- touristiques ». Et de même, le dynamisme des grandes villes françaises est lié pour une part à leur politique de mise en valeur de leur patrimoine culturel et de leurs ressources touristiques. « Réfléchissons à ce rôle du tourisme si peu étudié dans la mise en désir des territoires. Comprenons qu’après les mines, les usines et l’administration d’état au XIXè siècle, le tourisme est au XXè siècle, un des éléments décisifs de restructuration de l’image des territoires et de leur attractivité « post-touristiques ». (p 84).
La prise de conscience des orientations nouvelles peut guider une politique économique. Elle est indispensable pour concevoir une organisation politique en phase avec la manière dont la vie se déroule aujourd’hui.
Effectivement, on constate l’inadaptation des structures administratives et politiques héritées du passé et, en particulier, de la France rurale. « Les cadres territoriaux et mentaux issus du mythe paysan français ne servent plus qu’aux élus et à l’administration » (p 180). « Si la gestion des villes s’est renouvelée, les difficultés du monde extra-urbain et des banlieues appelle « une réforme territoriale puissante » (p 108). Et, bien sûr, ce qui reste du modèle centralisé et jacobin est complètement dépassé. Il est même parfois court-circuité si l’on constate avec Jean Viard que « le local est maintenant en lien direct avec le global ». « La société locale est immédiatement mondiale, là où le centre post-jacobin est souvent encore empêché dans une logique centre/périphérie qui fleure bon son Richelieu » (p 134).
Jean Viard consacre un chapitre aux « transformations de la cité politique ». Il esquisse un ensemble de propositions. Il nous appelle à un regard nouveau ; « Nous n’avons pas su réorganiser la politique, pour que le gouvernement de la cité soit en harmonie, en écoute des attentes, des individus mobiles… » (p 186). Le danger du repli, du rejet, de l’ethnicisme et du souverainisme est bien là. Nous sommes appelés à « inventer des cadres et des règles pour une cité politique nourrie de liberté individuelle, de multiplicité des objets et des expériences, de discontinuité , de besoin de vie romanesque » (p 186).
Un horizon pour la France.
Ce livre est excellent. Jean Viard pose un diagnostic sur l’état de la France. Il montre les problèmes et les dangers, mais il ne s’y attarde pas, car ses constats et ses analyses nous aident à comprendre les dysfonctionnements. Il met en évidence les transformations radicales qui sont intervenus dans notre pays au cours des dernières décennies. Il nous décrit une dynamique nouvelle qui se manifeste dans des modes de vie différents. Et, face au pessimisme ambiant, Jean Viard esquisse des propositions et montre le potentiel de la France. Il met en évidence les atouts de notre pays : Paris, la grande « ville monde », des villes dynamiques, des ressources touristiques considérables, un art de vie attractif. Jean Viard fait apparaître un ensemble de capacités qui fonde une politique de développement.
Bien sûr, il y a des difficultés, il y a des drames. Oui, il y a la montée du chômage et des inégalités, de la souffrance sociale et de l’exclusion. Mais « la faiblesse de l’analyse de la créativité de la société depuis un quart de siècle a contribué à diffuser dans l’opinion l’idée, fausse, que la pauvreté a augmenté et qu’elle est notre avenir probable… Car si on n’éclaire pas le mouvement de la société, chacun ne voit plus que ce qui se déstructure et, au lieu de mettre son énergie à accompagner, renforcer et diffuser le mouvement, chacun s’enferme dans une vision noire… » (p 197). « Il nous faut sortir des imaginaires de la chute qui nous ont envahis et redécouvrir les forces de vie aussi à l’œuvre dans le présent » (p 22). La France peut entrer dans ce monde nouveau en étant elle-même. « Demandons-nous pourquoi les autres viennent autant chez nous et bâtissons notre position économique dans la mondialisation à partir de ces désirs là » (p 194).
On peut contester tel ou tel point ou estimer que l’analyse néglige certains aspects. Cet ouvrage va-t-il assez loin dans l’analyse de l’origine, du parcours et des conséquences d’une culture traditionnelle individualiste et défensive qui engendre la défiance ? (6). Et comment aider les groupes économiquement et socialement enfermés dans des conditions anciennes de vie à entrer dans une nouvelle étape ? Mais ce livre apporte un message tonique. Il est publié dans une série intitulée : « L’urgence de comprendre ». Oui, il y a urgence de comprendre en sachant que la compréhension engendre ici une intelligence des situations et une vision, source d’encouragement et de dynamisme. Le livre de Jean Viard nous aide à percevoir la réalité sociale dans laquelle nous vivons. Partageons cette lecture qui contribue à éveiller notre intelligence collective.
J H
(1) Viard (Jean). Nouveau portrait de la France. La société des modes de vie. L’aube, 2011 (Monde en cours). Ce livre court (200p) et très accessible peut être l’objet de cercles de discussion. Sociologue, économiste de formation, Jean Viard dirige également les éditions de l’aube.
(2) Economiste, Jean Fourastié a mis en évidence les modalités de mutation économique intervenue après la seconde guerre mondiale : « Les trente glorieuses. La révolution invisible de 1945 à 1976 » (Fayard, 1979) (réédition en livre de poche). A côté de l’évolution du niveau de vie, il a mis l’accent sur la notion de genre de vie et a développé une réflexion philosophique à propos de l’évolution des mentalités.
(3) Sociologue et militant de l’éducation populaire, Joffre Dumazedier a été le pionnier de la sociologie des loisirs. Un classique : « Vers une civilisation des loisirs » (Seuil 1962)
(4) Sociologue de la vie rurale, Henri Mendras a ensuite étudié les transformations de la société française. Il a publié, entre autres, un ouvrage essentiel pour comprendre l’évolution de notre société : « La Seconde Révolution Française : 1965-1984 » (Gallimard, 1988)
(5) Michel Serres est un philosophe réputé qui réfléchit à la mutation de la société. Un essai éclairant comme réflexion sur l’évolution dans le long terme. : « Temps des crises » (Le Pommier, 2009)
(6) Sur le site de Témoins : « Défiance ou confiance. Quel style de relation ? Quelle société ? » http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html
Sur ce blog, on pourra lire également une mise en perspective du livre de Jérémie Rifkin : « La troisième révolution industrielle » : https://vivreetesperer.com/?p=354
par | Juin 13, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Hstoires et projets de vie |
L’expérience d’une orthophoniste.
Marie a fait des études de lettres, puis une formation spécialisée. Elle exerce depuis six ans la profession d’orthophoniste dans le département de la Réunion.
Comment et pourquoi s’est-elle orientée vers cette activité ? « Au départ, je voulais être professeur de français. En étant surveillante en lycée, je me suis rendu compte que la dimension de groupe ne me permettait pas de développer suffisamment une relation approfondie telle que cela est possible dans une communication individualisée. Et j’avais toujours un désir de participer à une activité soignante, par exemple sage-femme. Par ailleurs, les activités que j’avais développées personnellement m’amenaient naturellement à des études d’orthophoniste. J’avais appris la langue des signes telle qu’elle est utilisée dans la communication avec les sourds. Je participais à une chorale. J’étais donc sensible à toutes les formes d’expression et de communication. Je cherchais un travail qui réponde à un véritable besoin et me permette de me sentir ainsi utile ».
Marie s’est donc engagée dans des études nouvelles dans une école d’orthophonie. Ses études en lettres avaient duré quatre ans et voici qu’elle se trouvait en situation d’étudier à nouveau pendant quatre ans. A vue humaine, cette perspective d’un engagement aussi long lui paraissait particulièrement lourd. Marie nous dit à ce sujet que « Dieu m’a donné des forces nouvelles par rapport à cette épreuve et il a aplani le chemin ». Très vite, elle a été enthousiasmée par la découverte de ce champ d’étude. Elle en a apprécié la diversité : « Cela touchait au domaine médical spécialisé comme la neurologie, la voix, mais aussi les apprentissages scolaires comme la lecture, le langage oral. Je découvrais aussi toutes les formes de communication permettant de remédier aux difficultés que rencontrent différents groupes : les sourds, les autistes… Il y avait aussi le rapport avec des groupes d’âge très variés, du nourrisson à la personne âgée ».
Marie exerce maintenant la profession d’orthophoniste dans un cabinet libéral. Son public est très diversifié. Une bonne partie de son travail consiste « à valoriser ce qui fonctionne déjà chez les personnes pour pallier aux difficultés qu’elle peut rencontrer. Cette approche va à l’encontre d’une attitude répandue : pointer les manques, mettre l’accent sur ce qui est anormal, sur ce qui ne va pas ». Au contraire, nous dit Marie, « J’ai pris conscience que j’agissais ainsi dans l’esprit que j’ai découvert dans l’Evangile. Lorsque Jésus guérissait les malades, il ne pointait pas leurs handicaps et leurs péchés, mais il s’appuyait sur ce qu’ils avaient : une grande foi. Et, à partir de cette foi, il pouvait faire quelque chose ». Ce n’est pas toujours facile. « Par définition, je prends en charge des gens qui ne sont pas dans la « norme ». Ensuite, c’est à moi de partir de leur potentiel et de développer ce potentiel. Je vois des changements s’opérer, parfois au- delà de ce que je pouvais imaginer.
Par exemple, je pense à un enfant de trois ans qui n ‘avait aucune communication et qui, après six ans de travail en commun avec la maman, est capable aujourd’hui de commencer à lire, de faire des blagues et de prendre du plaisir à parler.
J’ai aussi dans ma « patientèle », un adulte tétraplégique qui ne peut bouger que son visage et pas le reste du corps. Au départ, il n’arrivait pas à se faire comprendre en parlant. Et maintenant, on arrive à avoir une conversation avec lui.
Je travaille aussi avec un jeune garçon qui, en CM2, ne savait pas lire. J’ai fait avec lui un travail très intense en partant de ce qui l’intéressait : des histoires, des personnages,un jeu, et maintenant, il sait lire et il peut se débrouiller dans un magasin.
La plupart du temps, on ne parvient pas à atteindre la « norme » idéale, mais on réalise un objectif tout à fait essentiel : l’évolution personnelle vers le développement du langage et de la communication ».
Marie nous parle des exigences de ce travail. Elle évoque un verset du Nouveau Testament auquel elle se reporte constamment : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler et lent à se mettre en colère » (Epître de Jacques 1.19). « C’est une activité qui demande de l’écoute, de la patience ». Elle est inspirée également par un autre verset : « C’est dans le calme et la confiance que sera votre force » (Esaïe 30.15) ». «Parfois, on ne voit pas les résultats tout de suite, mais il faut garder confiance en sachant qu’il y a un potentiel chez le patient et que Dieu est à l’œuvre ». Marie est heureuse de voir ainsi « des gens s’épanouir dans la relation à l’autre ».
Contribution de Marie Ménigoz.
par | Juin 3, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Parcours professionnel, choix d’orientation et présence de Dieu
François a d’abord travaillé comme soignant, puis ensuite comme conseiller d’insertion et de probation au sein de l’administration pénitentiaire. A partir de cette double expérience professionnelle, il occupe aujourd’hui un poste de responsable de la santé des détenus dans le cadre d’une direction des services pénitentiaires. A la fin des années 70, François, déjà croyant, a eu une expérience de rencontre personnelle avec Dieu. A partir de cette étape, sa foi s’est approfondie, et par la suite, il a de plus en plus expérimenté son implication chrétienne dans la vie professionnelle.
Au long des années, François a l’impression d’avoir été accompagné par Dieu dans ses orientations de travail et dans la résolution de nombreux problèmes. A plusieurs reprises, il s’est trouvé dans des tournants professionnels où, dans une attitude de confiance, les portes se sont ouvertes devant lui. A chaque fois, il a réalisé qu’il était parvenu à des choix qui ont pu se réaliser grâce à Dieu.
Ainsi, lorsqu’il est entré dans l’administration pénitentiaire, cela s’est fait à la suite d’une démarche qui avait été mûrie et qui est devenue un choix très clair dans une réflexion éclairée par la foi et par la certitude que Dieu allait pourvoir à cette nouvelle orientation. Il avait l’impression que cette démarche allait se concrétiser. Effectivement, François a été le seul choisi sur ce poste en position de détachement à partir de son corps initial d’infirmier de secteur psychiatrique.
Par la suite, après plusieurs années d’expérience, il a cherché à évoluer dans sa carrière. Pour cela, à deux reprises, il s’est présenté à un concours. Mais il n’avait pas l’assurance correspondante, il ne se sentait pas bien et, au total, il a échoué. Depuis un certain temps, d’autres projets se faisaient jour en lui. A un moment critique, il a appris qu’un poste qui correspondait à ses aspirations se trouvait vacant. Pour lui, cette opportunité l’a en même temps fortifié en lui donnant l’assurance qu’il avait la capacité de remplir cette fonction. Effectivement, il a reçu un très bon accueil et le poste lui a été attribué. François voit dans cet événement la manifestation du projet de Dieu à son égard.
Et lorsqu’il repense à sa carrière professionnelle, il est convaincu que, dans certaines circonstances, Dieu lui a ouvert les portes et qu’à ce moment là, rien ne pouvait se mettre en travers, et qu’à d’autres moments, Dieu a fermé des portes car ces choix ne correspondaient pas à ce qu’il y avait de meilleur.
« Je me rends compte des difficultés que beaucoup de mes collègues rencontrent parce qu’ils se sentent emprisonnés dans des tâches répétitives qui limitent le développement de leur potentiel, leur niveau d’aspiration et suscitent chez eux découragement et sentiments négatifs. Moi aussi, j’ai vécu difficilement un certain nombre de situations. Nous nous construisons nous-même des limites, mais Dieu nous permet de dépasser ces limites en nous redonnant confiance en nous-même et en nos capacité, et en nous donnant les moyens d’avancer ».
Contribution de François.
par jean | Avr 2, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
Hélène est professeur. Elle me rapporte les difficultés vécues par une de ses collègues.
Jeune « prof », Isabelle vient d’arriver dans un établissement expérimental qui se veut exigeant. Quelque part, elle ne se trouve pas soutenue. En tout cas, elle se trouve en situation difficile en raison d’un problème de santé. Il y a quelques mois : extinction de voix et laryngite : traitement classique avec antibiotiques, congé de maladie. Rétablissement, puis rechute. Même traitement…et puis encore rechute…Dans ce contexte, sa vie professionnelle est contrariée, sinon compromise.
Hélène est amicale et attentive. Elle encourage Isabelle. Elle cherche à l’aider. Elle sait que sa situation n’est pas facile et qu’elle donne même une occasion à tel ou tel collègue de manifester, à son égard, une forme d’agressivité. Elle ne serait pas à la hauteur ! La présence amicale d’Hélène soutient Isabelle.
Et pourtant, Hélène se rend compte des limites de son aide. En effet, les problèmes de santé que rencontre Isabelle peuvent être envisagés dans différentes dimensions : physique, psychologique, spirituelle. Ils sont liés à un environnement.
D’après de nombreux exemples rapportés aujourd’hui par la presse, on sait combien le stress peut aujourd’hui se manifester dans des situations de travail. L’individu est soumis à de fortes attentes auxquelles il n’est pas toujours capable de faire face. C’est dire la responsabilité de l’encadrement. Qu’en est-il dans l’Education Nationale ?
Il y a aussi une responsabilité de la médecine classique. Trop souvent, elle s’arrête au symptôme et cherche uniquement à y remédier. Une pathologie : un médicament. On oublie la dimension globale de l’organisme. Dans un livre récent sur « la médecine personnalisée » (1), les auteurs donnent un bon exemple : des otites à répétition chez un jeune enfant. Le médecin soigne l’oreille, mais cela ne suffit pas, car la congestion est en lien avec l’état général. On a besoin d’une médecine « holistique », intégrative. Et puis, il y aussi la dimension psychosomatique des troubles de santé. Est-elle vraiment prise en compte ?
Il y a également un lien entre affect psychologique et vie spirituelle. Comme chrétienne, Hélène sait combien la relation avec une présence aimante de Dieu change notre attitude. A maintes reprises, elle a expérimenté l’aide reçue en réponse à la prière. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne sont pas « religieux », mais ils sont en chemin, en attente de découvertes spirituelles. Directement ou indirectement, ils peuvent entendre le témoignage d’Hélène. Mais comment aller plus loin ? Dans quel environnement social, peuvent ils être accueillis dan une vraie convivialité, dans le respect et en toute liberté ? Hélène se rend compte que, dans bien des communautés, les mentalités restent encore très étroites. Et, par exemple, si Isabelle vit en couple avec un compagnon, dans une démarche commune d’amour réciproque, cette situation échappe à la compréhension de certains milieux pour lesquels seul le mariage classique est légitime. Comment pourrait-elle être accueillie dans une communauté de ce type !
Nous vivons dans un monde en pleine mutation culturelle. Dans beaucoup de domaines, les institutions peinent à suivre. C’est ce qu’on peut entrevoir à travers la situation d’Isabelle.
Alors sur tous les plans, entraidons-nous et entraidons-nous en réseau ! Cherchons ensemble les réponses à nos besoins ! Partageons les bonnes ressources, les bonnes adresses, le recours aux personnes dignes de confiance
Qu’il en soit de même sur le plan de la vie chrétienne. « Faisons Eglise » en réseau ! Développons et partageons des expressions nouvelles de la vie en Christ (2). Accueillons-nous les uns les autres en dehors de tout esprit de frontière ! Reconnaissons la dynamique de l’Esprit qui donne la vie ! (3)
JH
(1) Lapraz (Dr Jean-Claude), Clermont-Tonnerre (Marie-Laure de). La médecine personnalisée. Retrouver et garder la santé. Odile Jacob, 2012. Sur ce blog : Médecine d’avenir. Médecine d’espoir.
(2) On trouvera à ce sujet des réflexions et des témoignages sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php… Par exemple : « Au milieu du tumulte de la ville « http://www.temoins.com/innovations/interview-d-eve-soulain.html et « l’expansion actuelle des « fresh expressions » http://www.temoins.com/innovations/l-expansion-actuelle-des-fresh-expressions-en-grande-bretagne-un-phenomene-impressionnant.html. Voir aussi sur ce blog : « Ensemble, en chemin (septembre 2011)
(3) http://www.lespritquidonnelavie.com/