Un message de Robert Waldinger, directeur de la « Harvard study of adult development »

 

Qu’est ce qui contribue le plus à notre bonheur ? C’est une question qui se pose à tout âge, et aussi dans les jeunes générations qui s’interrogent sur leur devenir. On peut entendre parfois un désir de richesse, de célébrité ou bien l’éloge d’un travail acharné. Une recherche menée à l’Université de Harvard éclaire singulièrement notre réponse à ces questions. Directeur du projet » Harvard study of adult development », dans un exposé à Ted X (1), Robert Waldinger nous décrit une enquête exceptionnelle parce qu’elle s’effectue dans une longue durée. « Pendant 75 ans, nous avons suivi les vies de 724 hommes, année après année », en les interrogeant sur toutes les dimensions de leur vie : travail, vie de famille, santé…. Ainsi, depuis 1938, les chercheurs enquêtent auprès de deux groupes initiaux : « Le premier est entré dans l’étude alors que les jeunes gens étaient dans la deuxième année d’Harvard. Le deuxième était un groupe de garçons d’un des quartiers les plus pauvres de Boston ». Aujourd’hui, 60 de ces 724 hommes sont encore vivants. Les trajectoires de ces personnes sont extrêmement diverses. « Ils ont grimpé toutes les marches de la vie. Ils sont devenus ouvriers, avocats, maçons, docteurs… Certains ont grimpé l’échelle sociale du bas jusqu’au sommet et d’autres ont fait le chemin dans l’autre sens ». Répétée tous les deux ans, la recherche menée auprès d’eux a permis de collecter un ensemble de données approfondies et variées depuis des interviews en profondeur jusqu’à des informations médicales.

 

 

Quelles sont les données qui résultent des dizaines de milliers de pages d’information qui ont été ainsi recueillies ? A partir de là, Robert Waldinger peut répondre à la question portant sur les conditions qui favorisent le bonheur. « Le message le plus évident est celui-ci : les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ». Ainsi, « les connexions sociales sont vraiment très bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectés à leur famille, à leurs amis, à leur communauté, sont plus heureux, physiquement en meilleure santé et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectés ». L’isolement est vraiment un fléau.

Mais on peut aller plus loin. « Il y a une deuxième leçon que nous avons apprise. On peut se sentir seul dans une foule ou dans un mariage. Ainsi, ce n’est pas le nombre d’amis que vous avez ou que vous soyez engagé ou non dans une relation, mais c’est la qualité de vos relations proches qui importe ». Cette qualité de la relation ressort également d’une autre démarche de la recherche. « Une fois que nous avons suivi les hommes jusqu’à leur quatre-vingtième année, nous avons voulu revenir vers le milieu de leur vie, vers la cinquantaine » et voir si nous pouvions prédire ce qu’ils deviendraient plus tard. « Nous avons rassemblé tout ce que nous savions sur eux à cinquante ans. De fait, ce n’est pas le taux de cholestérol qui prédit comment ils allaient vieillir. C’est le niveau de qualité de leurs relations ». « Les gens qui étaient les plus satisfaits de leurs relations à cinquante ans étaient également ceux qui étaient en meilleure santé à quatre vingt ans ». Robert Waldinger ajoute un troisième observation. « les bonnes relations ne prolongent pas seulement la santé, mais aussi l’état du cerveau. La mémoire de ces gens restent en forme plus longtemps. »

Cependant, en conclusion, Robert Waldinger commente ainsi sa recherche. Ne recherchons pas le spectaculaire. C’est tout un processus qui est en cause, une attitude « tout au long de la vie ». « Cela ne finit jamais ». « Les gens de notre étude qui étaient les plus heureux dans leur retraite, étaient ceux qui ont activement remplacé leurs collègues de travail par de nouveaux amis ». « Les possibilité sont pratiquement sans fin. Ce peut être quelque chose d’aussi simple que de remplacer le temps d’écran par du temps vécu avec des gens, ou raviver une vieille relation en faisant quelque chose de nouveau ensemble, ou rappeler ce membre de la famille à qui vous n’avez pas parlé depuis des années..  »

Le bienfait des bonnes relations ; c’est « une sagesse qui est vieille comme le monde ». « Une belle vie se construit avec de belles relations ».

 

Cette recherche nous apprend beaucoup sur les fondements d’une vie humaine accomplie. Dans la conscience croissante de l’interconnection qui prévaut dans l’univers, c’est seulement dans la relation que l’être humain peut s’épanouir. Et d’ailleurs, la spiritualité a pu être définie comme une « conscience relationnelle » (2) avec soi, avec les autres, avec la nature et avec Dieu. L’emploi croissant du terme « reliance » (3) est également significatif.

Cependant, cette importance primordiale de la relation telle qu’on peut la constater dans cette recherche, nous paraît s’inscrire dans une dimension plus vaste. Nous nous référons ici à Jürgen Moltmann, un théologien qui nous invite à reconnaître l’œuvre de l’Esprit dans la communauté de la création. « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est… « la collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation »   (Martin Buber) (4). A la fin de son exposé, « Robert Waldinger évoque « une sagesse qui est vieille comme le monde ». Dans l’Evangile, Jésus nous invite à nous aimer les uns les autres.

A une époque où se manifeste à la fois un progrès de l’individualisation et un désir de relation, Jürgen Moltmann évoque « la multiplicité dans l’unité ». « Les créatures font l’expérience de la « communion de l’Esprit Saint » aussi bien sous la forme de l’amour qui nous unit que sous celle de la liberté qui permet à chacune d’advenir à elle-même selon son individualité propre ». Il y a en nous, les humains, un besoin profond de relation et la recherche menée à Harvard  confirme l’importance vitale de ce besoin. Jürgen Moltmann exprime bien cette réalité et l’inscrit dans une perspective plus vaste.

« Il n’y a pas de vie sans relations….  Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut pas être partagée, est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie naît de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. Instaurer la communauté et la communion est manifestement le but de l’Esprit de Dieu qui donne la vie dans le monde de la nature et dans celui des hommes » (5).

La recherche menée à Harvard nous montre le bienfaits d’un vécu en relation. Bien sûr, ce vécu dépend de plusieurs variables. Certains peuvent le désirer et ne pas y parvenir pour diverses raisons. Mais l’objectif est pertinent.

Dans certains contextes, pour vivre pleinement en relation, il y a des obstacles à surmonter (6). C’est pourquoi nous sommes appelés à susciter des environnements propices à cette dimension essentielle de la vie (7). Les conclusions que Richard Waldinger tire de la « Harvard study of adult development » sont pour nous un éclairage et un encouragement.

 

J H

 

(1)            What makes a good life ? Lessons from the longest study on happiness. Sur You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=8w9QwRAumBA         Sur Ted. Ideas worth spreading : https://www.ted.com/talks/robert_waldinger_what_makes_a_good_life_lessons_from_the_longest_study_on_happiness

(2)            « La vie spirituelle comme « une conscience relationnelle ». Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui » : http://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/

(3)            Origine et évolution du terme sur Wiktionnaire : https://fr.wiktionary.org/wiki/reliance  Céline Alvarez, dans un remarquable livre sur « Les lois naturelles de l’enfant » (Les Arènes, 2016) consacre un chapitre entier sur les bienfaits de la reliance dans une classe d’école maternelle mettant en œuvre une pédagogie d’inspiration montessorienne confirmée scientifiquement : « La puissance de la reliance » (p 353-374)

(4)            Jürgen Moltmann . Dieu dans la création. Traité écologique  de la création . Cerf, 1988 (p 25)

(5)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 ( p 298)

(6)            « Solidaires face à la solitude » : https://vivreetesperer.com/?p=561

(7)            Rappelons ici le chapitre du livre de Céline Alvarez sur la reliance qui se réfère également à la recherche que nous venons de présenter.                                                                       Sur ce blog, voir aussi : « Un environnement pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2041 et une méditation de Guy Aurenche : « Briser la solitude » . https://vivreetesperer.com/?p=716

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