L’homme, la nature et Dieu

 Tous interconnectés dans une communauté de la création

La menace qui pèse sur la nature nous réveille d’une longue indifférence. Nous prenons conscience non seulement qu’elle est condition de notre vie, mais aussi de ce que nous y participons dans une vie commune, dans un monde de vivants. Nous retrouvons l’émerveillement que l’homme a toujours éprouvé par rapport à la nature et qui risquait de s’éloigner. Aujourd’hui, une nouvelle approche se répand. C’est celle d’une écologie qui ne s’affirme pas seulement pour préserver les équilibres naturels, mais aussi comme un genre de vie, un nouveau rapport entre l’humanité et la nature.

On connaît les dédales par lesquels une part du christianisme avait endossé la domination de l’homme sur la nature (1). Aujourd’hui, on perçoit à nouveau combien cette nature est création de Dieu, un espace où les êtres vivants communiquent, un don où l’humain participe à un mouvement de vie. C’est donc un nouveau regard qui s’ouvre ainsi et qui trouve inspiration dans la vision de théologiens comme Jürgen Moltmann (2) et le Pape François (3).

Aux Etats-Unis, un frère franciscain, Richard Rohr, a créé un  « Centre d’Action et de Contemplation » où, entre autres, il intervient en faveur d’une spiritualité de la création. Nous présentions ici deux de ses méditations journalières mises en ligne sur internet (4).

 

La nature est habitée

Avec Richard Rohr, nous découvrons une merveilleuse création.

« Par la parole du Seigneur, les cieux ont été créés » (Psaume 35.6). Ceci nous dit que le monde n’est pas advenu comme un produit du chaos ou de la chance, mais comme le résultat d’une décision. Le monde créé vient d’un libre choix… L’amour de Dieu est la force motrice fondamentale dans toutes les choses créées. « Car tu aimes toutes les choses qui existent et tu ne détestent aucune des choses que tu as faites, car tu n’aurais rien fait si tu les avais détestées » (Sagesse 11.24) (Pape François Laudate Si’ 77).

En Occident, nous nous sommes éloigné de la nature. « Pour la plupart des chrétiens occidentaux, reconnaître la beauté et la valeur intrinsèque de la création : éléments, plantes et animaux, est un déplacement majeur du paradigme. Dans le passé, beaucoup ont rejeté cette vision comme une expression d’animisme ou de paganisme. Nous avons limité l’amour de Dieu et le salut à notre propre espèce humaine, et, alors, dans cette théologie de la rareté, nous n’avons pas eu assez d’amour de reste pour couvrir toute l’humanité !… ».

Notre spiritualité s’est rétrécie. « Le mot « profane » vient du mot latin « pro » voulant dire « au devant » et « fanum » signifiant « temple ». Nous pensions vivre « en dehors du temple ». En l’absence d’une spiritualité fondée sur la nature, nous nous trouvions dans un univers profane, privé de l’Esprit. Ainsi, nous n’avons cessé de construire des sanctuaires et des églises pour enfermer et y contenir un Dieu domestiqué… En posant de telles limites, nous n’avons plus su regarder au divin… Notez que je ne suis pas en train de dire que Dieu est en toutes chose (panthéisme), mais que chaque chose révèle un aspect de Dieu. Dieu est à la fois plus grand que l’ensemble de l’univers, et, comme Créateur, il interpénètre toutes les choses créées (panenthéisme) ».

Toute notre représentation du monde en est changée. Nous vivons en communion. « Comme l’as dit justement Thomas Berry : « Le monde devient une communion de sujets plus qu’une collection d’objets ». « Quand vous aimez quelque chose, vous lui prêtez une âme, vous voyez son âme et vous êtes touché par son âme. Nous devons aimer quelque chose en profondeur pour connaître son âme. Avant d’entrer dans une résonance d’amour, vous êtes largement aveugle à la signification, à la valeur et au pouvoir des choses ordinaires pour vous « sauver », pour vous aider à vivre en union avec la source de toute chose. En fait, jusqu’à ce que vous puissiez apprécier et même vous réjouir de l’âme des autres choses, même des arbres et des animaux, je doute que vous ayez découvert votre âme elle-même. L’âme connaît l’âme ».

 

La nature comme miroir de Dieu.

Hildegarde de Bingen (1098-1179), proclamée, en catholicisme, docteur de l’Eglise, en 2012, « a communiqué spirituellement l’esprit de la création à travers la musique, l’art, la poésie, la médecine, le jardinage et une réflexion sur la nature. « Vous comprenez bien peu de ce qui est autour de vous parce que vous ne faites pas usage de ce qui est à l’intérieur de vous », écrit-elle dans son livre célèbre : « Schivias ».

Richard Rohr nous entraine dans la découverte du rapport entre le monde intérieur et le monde extérieur. La manière dont Hildegarde envisage l’âme est très proche de celle de Thérèse d’Avila. « Hildegarde perçoit la personne humaine comme un microcosme avec une affinité naturelle pour une résonance avec un macrocosme que beaucoup appellent Dieu. Notre petit monde reflète le grand monde ». Ici la contemplation prend tout son sens. « Le mot-clé est résonance. La prière contemplative permet à votre esprit de résonner avec ce qui est visible et juste en face de vous. La contemplation élimine la séparation entre ce qui est vu et celui qui voit ».

Hildegarde utilise le mot « viriditas ». Ce terme s’allie à des mots comme : vitalité, fécondité, verdure ou croissance. Il symbolise la santé physique et spirituelle comme un reflet du divin (5). Richard Rohr évoque « le verdissement des choses de l’intérieur analogue à ce que nous appelons « photosynthèse ». Hildegarde reconnaît l’aptitude des plantes à recevoir le soleil et à le transformer en énergie et en vie. Elle voit aussi une connexion inhérente entre le monde physique et la présence divine. Cette conjonction se transfère en une énergie qui est le terrain et la semence de toute chose, une voix intérieure qui appelle à « devenir ce que nous sommes », « tout ce que nous sommes »… C’est notre souhait de vie (« life wish ») ».

Nous pouvons suivre l’exemple de Hildegarde. « Hildegarde est un merveilleux exemple de quelqu’un qui se trouve en sureté dans un univers où l’individu reflète le cosmos et où le cosmos reflète l’individu ». En regard, Richard Rohr rapporte la magnifique prière d’Hildegarde à l’Esprit Saint : « O Saint Esprit, tu es la voie puissante dans laquelle toute chose qui est dans les cieux, sur la terre et sous la terre, est ouverte à la connexion et à la relation (« penetrated with connectness, relatedness). C’est un vrai univers trinitaire où toutes les choses tournent les unes avec les autres ». Ici, Richard Rohr rejoint la vision de Jürgen Moltmann dans  « L’Esprit qui donne la vie » (6).

Hildegarde a entendu Dieu parler : « J’ai créé des miroirs dans lesquels je considère toutes les merveilles de ma création, des merveilles qui ne cesseront jamais ». « Pour Hildegarde, la nature était un miroir pour l’âme et pour Dieu. Ce miroir change la manière dont nous voyons et expérimentons la réalité ». Ainsi, « la nature n’est pas une simple toile de fond permettant aux humains de régner sur la scène. De fait, la création participe à la transformation humaine puisque le monde extérieur a absolument besoin de se mirer dans le vrai monde intérieur. « Le monde entier est un sacrement et c’est un univers trinitaire », conclut Richard Rohr.

 

Une oeuvre divine

Et, dans cette même série de méditations, Richard Rohr évoque la vision d’Irénée (130-202). « Irénée a enseigné passionnément que la substance de la terre et de ses créatures portait en elle la vie divine. Dieu, dit-il, est à la fois au dessus de tout et au dedans de tout. Dieu est la fois transcendant et immanent. Et l’œuvre de Jésus, enseigne-t-il, n’est pas là pour nous sauver de notre nature, mais pour nous restaurer dans notre nature et nous remettre en relation avec la tonalité la plus profonde au sein de la création. Dans son commentaire de l’Evangile de Jean dans lequel toutes choses sont décrites comme engendrées par la parole de Dieu, Irénée nous montre Jésus, non pas comme exprimant une parole nouvelle, mais comme exprimant à nouveau, la parole première, le son du commencement et le cœur de la vie. Il voit en Jésus, celui qui récapitule l’œuvre originale du Créateur en articulant ce que nous avons oublié et ce dont nous avons besoin de nous entendre répéter, le son duquel tout est venu. L’histoire du Christ est l’histoire de l’univers. La naissance de cet enfant divin-humain est une révélation, le voile soulevé pour nous montrer que toute vie a été conçue par l’Esprit au sein de l’univers, que nous sommes tous des créatures divines-humaines, que tout ce qui existe dans l’univers porte en soi le sacré de l’Esprit ».

En lisant ces méditations, on ressent combien nous nous inscrivons dans une réalité plus grande que nous. Nous faisons partie de la nature et nous y participons. Dieu est présent dans cette réalité et nous pouvons le reconnaître en nous et en dehors de nous. Cette reconnaissance et cette adhésion sont source d’unification et de paix. Ces méditations nous ouvrent à un nouveau regard.

J H

 

(1)            « Vivre en harmonie avec la nature. Ecologie, théologie et spiritualité » : https://vivreetesperer.com/?p=757

(2)            Jürgen Moltmann est un théologien qui a réalisé une oeuvre pionnière dans de nombreux domaines. Paru en français dès 1988, son livre : « Dieu dans la création » (Cerf) porte en sous titre : « Traité écologique de la création ». La pensée de Jürgen  Moltmann, très présente sur ce blog, est pour nous une référence théologique. Voir aussi le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(3)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltman, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(4)            Center for action and contemplation

« Nature is ensouled » : https://cac.org/nature-is-ensouled-2018-03-11/ « Nature as a mirror of God » : https://cac.org/nature-as-a-mirror-of-god-2018-03-12/ Et enfin : « The substance of God » : https://cac.org/the-substance-of-god-2018-03-13/

(5)            Un blog de Claudine Géreg : « Viriditas » inspiré par Hildegarde de Bingen : https://viriditas.fr

(6)            Sur ce blog, voir notre précédent article : « Un Esprit sans frontières. Reconnaître la présence et l’œuvre de l’Esprit » (d’après le livre de Jürgen Moltmann : L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999).

Un Esprit sans frontières

 Reconnaître la présence et l’œuvre de l’Esprit

Si on reconnaît de plus en plus l’interconnexion qui caractérise notre univers et à laquelle nous participons, il y a dans cette prise de conscience un potentiel d’ouverture par rapport à la perception d’une force transcendante, à l’écoute d’une voix d’amour. C’est pourquoi, dans la société d’aujourd’hui, la présence de l’Esprit peut davantage être reconnue.

En christianisme, en terme d’Esprit saint, l’Esprit est reconnu  comme un acteur personnel de la communion divine et comme catalyseur et inspiration de l’Eglise. Mais si ces termes sont approximatifs avec l’intention de parler à tous, n’est-ce pas dire ainsi combien nous avons besoin de mieux connaître et reconnaître l’Esprit divin. Nous trouvons cet éclairage dans un livre que Jürgen Moltmann, le théologien de l’espérance, a consacré à l’Esprit saint sous un titre significatif : « L’Esprit qui donne la vie » (1).

Ce livre est pour nous une source d’inspiration qui éclaire notre existence. Comme l’œuvre de Jürgen Moltmann dans son ensemble, cet ouvrage ouvre des horizons multiples. Dans ce texte et selon Moltmann, nous nous interrogeons sur les barrières qui ont fait obstacle à la reconnaissance de la place et de l’œuvre de l’Esprit. Découvrons ces barrières pour les dépasser et entrer dans un processus bienfaisant. « L’auteur cherche à élaborer une théologie de l’Esprit susceptible de dépasser la fausse alternative, souvent réitérée dans les Eglises entre la Révélation divine qu’elles ont pour mission de sauvegarder et les expériences humaines de l’Esprit. Il entend ainsi mettre en valeur les dimensions cosmiques et culturelles de l’Esprit « créateur et recréateur » qui transgresse toutes les frontières établies » (page de couverture).

 

Par delà les barrières

L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans l’expérience humaine par delà les exclusivismes institutionnels. Il n’est pas seulement l’Esprit de la rédemption, mais aussi l’Esprit de la création. Il se déploie malgré les limites érigées par des institutions inquiètes. L’histoire récente nous montre cette tension. « Il ne peut être question d’un « oubli » de l’Esprit aux Temps modernes ; au contraire, le rationalisme et le piétisme des Lumières furent tout aussi enthousiastes que le christianisme pentecôtiste aujourd’hui. Ce furent les craintes des Eglises établies à l’égard de « l’esprit de liberté » religieux aussi bien qu’irréligieux, du monde moderne qui conduisirent à une réserve de plus en plus grande en matière de doctrine de l’Esprit saintSeul fut déclaré « saint » cet Esprit qui est lié à la médiation ecclésiale et institutionnelle… » (p 17). Encore aujourd’hui, dans certains cercles, on peut observer cet exclusivisme. « Dans la théologie et la piété protestante, comme dans la théologie et la piété catholique, il existe une tendance qui consiste à concevoir l’Esprit Saint uniquement comme l’Esprit de la rédemption  dont le lieu est l’Eglise et qui donne aux hommes la certitude de la béatitude éternelle de leur âme. Cet Esprit sauveur est mis à l’écart de la vie corporelle comme de la vie naturelle » (p 25).

 

Esprit de rédemption. Esprit de création

L’Esprit Saint n’est pas seulement rédempteur, mais aussi créateur. « Si l’Esprit Saint était seulement l’Esprit de l’Eglise et de la foi, cela restreindrait « la communion de l’Esprit Saint » et aurait pour conséquence que, dans son expérience de l’Esprit, l’Eglise deviendrait incapable de communiquer avec le monde ».

Pourquoi cette conception réduite de l’œuvre de l’Esprit ? Elle tient également à une focalisation sur les expériences intérieures de l’âme dans une attitude marquée par l’influence de la philosophie platonicienne. C’est la perspective, non pas chrétienne, mais gnostique d’une âme, à la mort, « libérée de cette vallée de larmes et de cette enveloppe corporelle caduque, et introduite dans le ciel des bienheureux ». En regard, l’Eglise ancienne a adopté la résurrection de la chair. « Or, si la rédemption est la résurrection de la chair  et la création nouvelle de toutes choses, alors l’Esprit du Christ qui sauve ne peut être un autre esprit que l’Esprit créateur qu’est la « Ruah Yahweh » selon une expression hébraïque »… Il y a une unité entre l’agir de Dieu dans la création, la rédemption et la sanctification de toutes chosesL’Esprit rédempteur est aussi l’Esprit de la résurrection et de la création nouvelle de toutes choses… ».

Ainsi, « l’expérience de la résurrection et la relation à la puissance divine ne conduisent pas à une spiritualité qui exclut les sens, qui est tournée vers l’intérieur, hostile au corps et séparée du monde, mais à une vitalité nouvelle de l’amour de la vie » (p 27).

 

Transcendance et immanence

Les représentations de Dieu ont naturellement une grande influence. Certaines représentations peuvent avoir une influence  très négative. Et on peut s’interroger en se souvenant de la personne de Jésus : «On reconnaît l’arbre à ses fruits ». Ainsi, si on croit en un Dieu si transcendant qu’il en devient inaccessible, on ne peut percevoir l’Esprit de Dieu dans l’expérience humaine. Dans un contexte de débat théologique, pour le théologien Karl Barth, « II n’y avait pas de continuité  entre la créature et le créateur, pas même dans le souvenir qu’a l’âme humaine de son origine, comme le disait Augustin » (p 22). La révélation vient d’en haut et s’impose à l’homme. Jürgen Moltmann s’interroge sur cette discontinuité entre l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’homme. « Je ne parviens pas à percevoir d’alternative de principe entre la révélation de Dieu à des hommes et l’expérience de Dieu faite par des hommes. Comment un homme pourrait-il parler d’un Dieu si Dieu ne se révèle pas ? Comment un homme pourrait-il parler d’un Dieu dont il n’existe aucune expérience humaine ? » (p 22). Et il nous invite à percevoir la présence de Dieu en terme d’immanence et de transcendance. « C’est voir l’immanence de Dieu dans l’expérience humaine et la transcendance de l’homme en Dieu. Parce que l’Esprit de Dieu est en l’homme, l’esprit de l’homme dans son autotranscendance est orienté vers Dieu. Celui qui schématise révélation et expérience en en faisant une alternative aboutit à des révélations qui ne peuvent faire l’objet d’une expérience et à des expériences dépourvues de révélation » (p 24).

 

Pour une théologie de l’expérience

L’affirmation constante du lien de l’Esprit à l’institution ecclésiale « a conduit à l’appauvrissement des communautés, à la désertion des Eglise et à l’émigration de l’Esprit vers les groupes spontanés et vers les expériences personnelles …Les hommes ne font pas l’expérience de l’Esprit de façon extérieure  seulement dans leur communauté ecclésiale, mais de façon intérieure dans l’expérience qu’ils font d’eux-mêmes à savoir dans le fait que « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit saint… (Romains 5.5). Cette expérience personnelle de l’Esprit, beaucoup de personnes l’expriment par de simples mots : « Dieu m’aime ». Ainsi Jürgen Moltmann est amené à développer une théologie de l’expérience (p 37).

« Il n’y a pas de paroles de Dieu sans expériences humaines de l’Esprit. C’est pourquoi les paroles de la Bible et les paroles de la prédication de l’Eglise doivent être référés également aux expériences des hommes d’aujourd’hui pour que ceux-ci ne soient pas seulement des auditeurs de la Parole (K Rahner), mais deviennent eux-mêmes des locuteurs de la Parole… Mais cela n’est possible que si l’on voit la Parole et l’Esprit dans leur rapport mutuel et non pas comme une voie à sens unique » (p 18).

 

Une dimension cosmique

« Les recherches nouvelles conduisant à une « théologie écologique », à une « christologie cosmique », et à la redécouverte du corps ont pour point de départ la compréhension hébraïque de l’Esprit de Dieu…. L’expérience de Dieu qui donne vie et qui est faite dans la foi du cœur et dans la communion  de l’amour conduit d’elle-même au delà des frontières de l’Eglise vers la redécouverte de ce même Esprit dans la nature, les plantes, les animaux et dans les écosystèmes de la terre ».  Ainsi notre vision s’élargit jusqu‘à une dimension cosmique. «L’expérience de la communauté de l’Esprit conduit nécessairement la chrétienté par delà d’elle-même, vers la communauté plus grande de toutes les créatures de Dieu. La communion de la création, dans laquelle toutes les créations existent les unes avec les autres, les unes pour les autres,  les unes par les autre set les unes dans les autres,  est la communion de l’Esprit saint » » (2). C’est une interpellation pour les Eglises. « Face à la menace d’une « fin de la nature », les Eglise découvriront la signification cosmique du Christ et de l’Esprit ou bien  se feront complices de la destruction  de la création terrestre de Dieu. » . C’est un nouveau regard. « La découverte de l’ampleur cosmique de l’Esprit conduit au respect de la dignité de toutes les créatures dans lesquelles Dieu est présent par son Esprit » (p 28).

 

La personnalité de l’Esprit

Bien entendu, nous nous posons la question : comment l’Esprit saint s’inscrit-il dans la réalité divine ? C’est une question qui a suscité de grands débats théologiques. Elle ne peut être exprimée ici en quelques lignes d’autant que nous sommes dépourvus d’expertise théologique. On se reportera donc au chapitre de Jürgen Moltmann consacré à l’expérience trinitaire de l’Esprit  (p 90-113).

Dans son livre le plus récent : « The living God and the fullness of life » (3), Moltmann décrit ainsi cette expérience trinitaire de Dieu : « La foi chrétienne est une vie en communion avec Christ. Jésus, le fils de Dieu, appelle Dieu : Abba, cher père ». D’autre part, en communion avec Christ, nous ressentons un encouragement à vivre, une puissance de guérison. Nous savons que nous sommes consolés et nous sommes en phase avec le grand oui de Dieu à la vie. Nous recevons ainsi les énergies de l’Esprit de Dieu. L’Esprit qui donne la vie « entre à flots dans nos cœurs » (Rom 5.5)… (p 61). Nous faisons ainsi l’expérience de ces trois dimensions dans la communion avec Christ. Nous vivons avec Jésus, le Fils de Dieu et avec Dieu, le Père de Jésus-Christ et avec Dieu, l’Esprit de vie. Ainsi, nous ne croyons pas seulement en Dieu, nous vivons en Dieu, c’est à dire dans l’histoire trinitaire de Dieu avec nous » ( p 62).

Mais où voyons-nous l’unité de Dieu ? « Elle émerge de la relation interne entre Dieu le Fils, Dieu le Père et l’Esprit de Dieu ». En chaque personne divine, nous voyons la présence des autres. Elles sont ainsi tellement interreliées qu’elles ne peuvent être séparées.  Cette vérité est exprimée par Jésus lorsqu’il dit : « Le Père et moi, nous sommes un » (Jean 16-30). Ce n’est pas seulement une unité de vouloir, c’est aussi une interrelation : « Afin qu’ils puissent être un. Comme toi, Père, est en moi, et moi en  toi » (Jean 17-20). C’est une inhabitation réciproque, un don mutuel. « L’idée israélite de la « Shekinah » et le concept patristique de la « perichoresis » sont des représentations de ces inhabitations réciproques ». Cette communion s’étend à nous. « L’amour est la vraie force qui dépasse les frontières. Celui qui vit dans l’Esprit de Dieu vit en Dieu et Dieu en lui ou elle » (p 63). Au total, si on perçoit l’Esprit saint à travers ce qu’il opère, sa personnalité ne se comprend qu’à partir de ses relations au Père et au Fils. « Car l’être-personne est toujours être-en-relation. Les relations qui constituent l’être-personne de l’Esprit doivent être cherchées dans la Trinité » (L’Esprit qui donne la vie p 30).

 

Vers un monde nouveau

Les prophètes d’Israël, Ezéchiel et Jérémie, mettent en évidence l’action transformatrice de l’Esprit. Ainsi Jérémie écrit : « Des jours viennent où je conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda, une nouvelle alliance… Je déposerai la loi au fond d’eux-mêmes l’inscrivant dans leur être. Je deviendrai Dieu pour eux et eux, ils deviendront mon peuple. Ils ne s’instruiront plus entre eux, répétant : « Apprenez à connaître le Seigneur », car ils me connaitront tous, petits et grands » (Jérémie 31.31-33). « Ici la connaissance médiatisée cède la place à la connaissance immédiate, et le vouloir de Dieu médiatisé cède la place au vouloir qui va de soi. Cela suppose un avenir dans lequel Dieu lui-même est manifesté de façon immédiate et universelle et dans lequel l’Esprit de Dieu pénètre également les profondeurs du cœur de l’homme et leur donne vie » (p 87-88). Cette vision se réalise dans l’expérience de la Pentecôte (4). « Les dons de l’Esprit sont répandus sur le peuple entier si bien que sont abolis les privilèges traditionnels des hommes par rapport aux femmes, des maitres par rapport aux serviteurs et des adultes par rapport aux enfants »… « Quand Dieu deviendra définitivement présent par l’Esprit, le peuple tout entier deviendra un peuple prophétique ». Et, comme il est aussi écrit, « Je répandrai mon Esprit sur toute chair », cette expression « toute chair » va au delà du genre humain et induit tout ce qui est vivant …L’effusion de l’Esprit de Dieu conduit par conséquent à la nouvelle naissance de toute vie et de la communauté de tout ce qui est vivant sur la terre » (p 88) .

C’est ainsi que Jürgen Moltmann peut nous ouvrir un horizon qui nous transporte dans un espace où les barrières s’effacent et ou une communion universelle apparaît.

« L’expérience de Dieu qui est attendue de la venue de l’Esprit est

1 Universelle. Elle n’est pas particulière, mais se rapporte à toute chair selon les dimensions de la création.

2 Totale. Elle n’est plus partielle, mais opère dans le cœur de l’homme, dans les profondeurs de l’existence humaine

3 Permanente. Elle n’est plus historique et passagère,  mais évoquée comme le « repos » et « l’habitation » de Dieu

4 Immédiate. Elle n’est plus médiatisée par la révélation et la tradition, mais fondée sur la révélation de Dieu et sa gloire » ( p 88).

Au terme de ce parcours, nous pouvons demander comment il sera reçu non  seulement par les lecteurs croyants, mais aussi par les lecteurs en attente. En effet, chez certains de nos contemporains, nous pouvons observer un  désir de communion et d’unité, une recherche de transformation intérieure dans l’amour allant de pair avec une reconnaissance du vivant dans la nature.

Dans ce texte, nous voyons comment la pensée théologique de Jürgen Moltmann dépasse un héritage de divisions pour relier des réalités jusque là séparées, dans une perspective d’unification à la lumière d’un Dieu, communion d’amour et puissance de vie. L’Esprit saint est un Esprit qui donne la vie. Il échappe à tout exclusivisme clérical. En tant qu’Esprit de création, il est à l’œuvre dans tous les êtres vivants,  dans tous les humains. Dieu n’est pas lointain et inaccessible. L’Esprit de Dieu se manifeste dans l’expérience humaine. Il ne nous détourne pas de notre vie humaine, mais il nous encourage à vivre pleinement. Dans la relation avec le Christ, il nous invite à entrer dans une vie nouvelle et dans la dimension de la résurrection. C’est une spiritualité qui induit les sens et conduit à la vitalité nouvelle de l’amour de la vie. A une époque où l’on prend conscience de la menace qui pèse sur la nature. Jürgen Moltmann pointe sur la présence de l’Esprit dans les animaux, les plantes, les écosystèmes de la terre. C’est une invitation à vivre en harmonie avec les êtres vivants et à respecter leur dignité. La vision de l’Esprit saint, telle que nous la propose Jürgen Moltmann, est celle d’un Esprit qui communique la vie. C’est une vision qui répond à nos profondes aspirations. C’est une vision qui porte une dynamique en écho à ce chant présent dans notre mémoire : « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit… Au fond de mon cœur, le Saint Esprit agit… » (5)

Jean Hassenforder

 

(1)            Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie Une pneumatologie intégrale. Cerf, 1999

(2)            « Convergences écologiques : Jean Bastaire, Jürgen Moltmann, Pape François et Edgar Morin » : https://vivreetesperer.com/?p=2151

(3)            Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life. World Council of Churches, 2016.  Présentation : https://vivreetesperer.com/?p=2697

(4)            « La Pentecôte : une communauté qui fait tomber les barrières » : https://vivreetesperer.com/?p=2390

(5)            « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit… » https://www.conducteurdelouange.com/chants/consulter/70

 

Voir aussi ce témoignage d’Odile Hassenforder, paru dans « Sa présence dans ma vie » : « Dieu, puissance de vie » : https://vivreetesperer.com/?p=1405

 

Alexandre Gérard : chef d’entreprise, pionnier d’une « entreprise libérée »

 Le travail est bien une composante majeure de notre vie. Ainsi, les conditions dans lequel il s’effectue, influent sur notre état d’âme,  sur toute notre existence. En héritage des siècles passés, le travail est souvent ressenti comme une charge et, au sein de la majorité des entreprises, il est généralement vécu dans un encadrement hiérarchique. Cependant, dans la culture actuelle où les employés, particulièrement les jeunes générations (1) désirent communiquer et s’exprimer et sont en quête de sens, le système hiérarchique paraît de plus en plus inapproprié et en porte à faux. Face à ce malaise, des entreprises pionnières apparaissent et s’organisent en terme de collaboration. Ce mouvement est bien décrit par Jacques Lecomte dans son livre sur « les entreprises humanistes » (2). Il s’expérimente également dans le courant des « entreprises libérées » (3). Dans ces entreprises, les salariés ne sont plus assujettis à un contrôle hiérarchique. Ainsi ils peuvent réaliser leurs tâches dans un esprit d’initiative et de travail d’équipe. Dans un exposé à Ted X Saclay (4), un chef d’entreprise, Alexandre Gérard, nous dit pourquoi et comment il a engagé son entreprise dans cette voie nouvelle.

 

 

Une entreprise témoin : Chronoflex

 On sait qu’un climat nouveau commence à apparaître dans les entreprises investies dans la culture digitale. Mais ce nouvel état d’esprit est également en train d’émerger dans des entreprises plus classiques. Effectivement, Alexandre Gérard est PDG de Chronoflex, une entreprise qui est consacrée au dépannage et à la réparation des flexibles hydrauliques sur site. Alexandre Gérard a créé cette entreprise en 1995 et elle compte aujourd’hui 300 salariés. En 2009, cette entreprise est frappée par la crise de plein fouet et contrainte à de nombreux licenciements économiques. En 2010, Alexandre Gérard décide de reprendre les choses en main et d’adopter un management libérateur. Cette aventure est relatée sur le site : « Oser entreprendre. Agir pour libérer les hommes et les organisations » (5). La rencontre avec Isaac Getz et JF Zobriot, respectivement théoricien et praticien de l’entreprise libérée a inspiré Alexandre Gérard. « Même si cet échange l’a déstabilisé, il y a trouvé les moyens et l’énergie pour instaurer un modèle similaire chez Chronoflex ». « Dans un premier temps, Chronoflex a arrêté de manager en fonction des 3% qui ne respectaient pas les règles. On part du constat que la plupart des règles sont établies dans l’organisation par rapport aux 3% des salariés qui auraient tendance à enfreindre la règle (vol, dégradation) contraignant les 97% autres. Il décide alors de donner la parole à ses salariés, de coopter l’action collective, de laisser faire et surtout de faire confiance à l’autre. « Avant, j’utilisais un seul cerveau pour prendre des décisions, le mien, maintenant, j’en utilise 300 et ça va mieux ». Après un bref chaos dans son organisation, de nouvelles règles ont été définies et les effectifs dits « perturbateurs » sont partis d’eux-mêmes. Et une autre organisation est apparue.

° Les équipes se sont regroupées pour construire une vision commune et des valeurs partagées : assurer la performance par le bonheur, cultiver l’amour des clients, constituer des équipes respectueuses et responsables et enfin conjuguer esprit d’ouverture et ouverture d’esprit.

° Les managers ont pratiqué la stratégie des petits cailloux. Ils ont demandé aux collaborateurs de rapporter tous problèmes liés à l’exercice de leurs fonctions pour les en délivrer.

° Enfin ils ont supprimé tous les signes de pouvoir au sein de l’organisation pour un meilleur sentiment d’équilibre, d’équité et d’égalité. Plus de bureau fixe, plus de place de parking. Comme tous ses salariés, Alexandre Gérard se gare sur le parking là où il y a de la place ».

 

Entreprise libérée. Pourquoi ? Comment ?

Dans son intervention à Ted x Saclay, Alexandre Gérard nous communique sa vision et les fondements de son inspiration.

« Durant quinze ans, j’ai été le patron d’une entreprise classique. En 2010, ma vie entière a changé. Je venais de rencontrer le chemin des entreprises libérées. Entreprises libérées, organiques, humanistes… Ce n’est pas l’appellation qui importe. Ce qui est important, c’est ce que nous tentons d’en faire. Conjuguer de notre mieux la confiance et la liberté. A la clef, des personnes plus engagées, mieux dans leur peau et une organisation plus performante. Bien sûr, le manager est le manager, mais son rôle est différent. A la manière du jardinier, il est là pour créer un environnement favorable à la créativité des personnes. Les managers sont là pour permettre aux équipes de grandir, de se réaliser. Ce mouvement fédère actuellement des centaines d’entreprises ».

Cette nouvelle approche requiert une transformation des croyances. Alexandre Gérard nous propose trois clés de lecture.

La première s’inscrit dans la psychologie sociale. C’est la prophétie auto-réalisatrice, bien connue sous le nom d’effet Pygmalion. « Robert Rosenthal (6), psychologue américain, confie des rats à ses élèves. L’objectif : faire traverser un labyrinthe le plus rapidement possible. La première équipe reçoit des rats dits exceptionnels ; la seconde équipe, des rats dits peu agiles. Ils les entrainent et les résultats arrivent. Ce sont les rats exceptionnels qui vont gagner l’épreuve très haut la main. En réalité, les rats ont été affectés de façon totalement aléatoire. On constate ainsi que le regard de la société, du manager sur une équipe influe directement sur le résultat de l’équipe ». Et il en va de même dans une seconde expérience. Des enfants réputés très doués alors qu’ils sont dans la moyenne sont remarqués et encouragés bien davantage par les professeurs si bien qu’ils réussissent beaucoup mieux. « Bienvenue dans le monde des prophéties auto-réalisatrices. Notre regard sur les autres les change ».

La seconde clé de l’histoire nous est donné par Douglas McGregor, professeur au MIT dans les années 50 (7). Dans son livre sur la dimension humaine de l’entreprise, « McGregor nous explique que, derrière le modèle de l’organisation dominante, c’est à dire l’organisation pyramidale, il y a une croyance. Cette croyance, c’est que les gens n’aiment pas travailler, c’est qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour l’éviter. Et c’est pour cela que l’on va mettre des managers pour expliquer aux gens ce qu’ils doivent faire. Et si le boulot est bien fait, carotte, récompense. Et si il est mal fait, bâton, sanction. McGregor nous révèle qu’il existe d’autres types d’entreprise fondés sur d’autres croyances. On y croit que le travail est aussi naturel que le loisir. Ces entreprises vont mettre l’humain en leur cœur et faire place à la performance collective. Ces entreprises deviennent plus agiles et, sur le long terme, plus performantes ».

Mais, dans le modèle dominant actuellement, comment se répartissent les attitudes vis à vis du travail ? C’est la troisième clé de lecture. Alexandre Gérard rapporte une enquête de Gallup. Les gens au travail se répartissent en trois catégories. Les engagés sont enthousiastes, heureux de travailler. Mais ils ne représentent que 13% de l’échantillon. Les désengagés ne s’impliquent pas. Pour eux, la vraie vie commence en dehors du travail. Ils constituent la grande majorité des sondés : 63%. Enfin, il y a un autre groupe : les « activement désengagés », ceux qu’on pourrait considérer comme toxiques pour l’organisation. Ils constituent 24% de l’échantillon.  « Imaginez un bateau avec des rameurs qui se comporteraient de la même manière… Les organisations pyramidales peuvent s’interroger ».

Alors comment créer une entreprise alternative ?

« Isaac Getz, l’auteur de « Liberté et compagnie » (8), aujourd’hui un best-seller, a théorisé le leadership libérateur. Dans ces organisations, le rôle du patron est au fond celui du jardinier. Et comme le jardinier doit garantir l’accès à l’eau, à la lumière et aux nutriments pour ses plantes, le patron doit garantit trois choses : La première, c’est l’égalité intrinsèque… Je ne parle pas d’égalitarisme surtout à la française. Simplement, c’est une philosophie du management. Le second ingrédient, c’est la possibilité donnée à tous de se réaliser, par exemple de se former, de construire son parcours de vie au sein de cette organisation. Le troisième ingrédient : faire que chacun, quelque soit son rôle, puisse prendre toutes les décisions nécessaires au projet de l’entreprise, sans avoir besoin de l’autorisation d’un chef ou de la procédure 414. Voilà : c’est ce regard positif que nous allons poser sur  chacun de nos équipiers qui, parfois, va lui permettre de se réaliser, parfois même de se révéler ».

 

Changer soi-même pour que l’organisation change

 « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » déclarait Gandhi. La conviction qu’il y a un lien étroit entre changement personnel et changement collectif s’est répandue dans un vaste courant de pensée et d’action. « Changer soi-même pour que le monde change », inspire encore aujourd’hui un mouvement comme Initiatives et changement » (9). Cette prise de conscience s’étend et elle apparaît maintenant à certains non seulement comme une évidence existentielle, mais comme une nécessité pratique.  Alexandre Gérard nous le dit : Si le regard porte le changement autour de soi, comment changer son regard ? « Il a fallu d’abord que j’aille regarder à l’intérieur de moi. Grâce à mon coach Jean-Luc et à de nombreux mois de travail, j’ai pu travailler mon lâcher-prise. Je croyais, par exemple, que si je n’étais pas au cœur de la bataille à prendre toutes les décisions dans l’entreprise, il ne pouvait rien se passer de bien. Imaginez ce que j’ai pu ressentir quand, après un an de voyage en famille autour du monde, je reviens et je me rends compte que l’entreprise marche mieux que quand j’étais là. J’ai pu apprivoiser ma vulnérabilité. Quand je suis dans le doute, je mets inconsciemment en place des mécanismes de contrôle très puissants qui découragent mes équipiers. J’arrive aujourd’hui en partie à partager avec eux ces difficultés. J’ai pu aussi découvrir ma part d’ombre, vous savez cette partie de chacun d’entre nous qu’on passe une partie de notre temps à essayer de masquer aux autres. Chez moi, cette partie pourrait être moins humble que je le voudrais, avoir envie de convaincre et de convaincre à tout prix… Nous avons besoin de nous aligner, cerveau, cœur et tripes.

 

Un mouvement significatif

Avec Alexandre Gérard, nous découvrons une entreprise différente de la représentation que beaucoup lui attribuent : un lieu nécessaire, mais contraignant et parfois opprimant. Cette représentation procède d’une expérience encore largement répandue, mais dans sa puissance d’évocation, plus encore peut-être, elle est issue d’un héritage historique. Dans une certaine tradition religieuse, le travail était perçu comme une punition. Et, par la suite, l’entreprise a été vécue comme un lieu d’exploitation. Certes, la réalité historique est beaucoup plus complexe. Mais la représentation de l’entreprise  puise à la fois dans le passé et dans le présent. Et aujourd’hui, on le sait, nous vivons en France dans une société où, à l’inverse de la situation dans beaucoup de pays étrangers, la confiance peine à s’affirmer (10). Il y a quelque part une agressivité latente. Cependant une évolution est en cours. Ainsi perçoit-on aujourd’hui le rôle des entreprises comme force de développement économique. Le progrès des « entreprises humanistes » (2), l’apparition des « entreprises libérées » (3) s’inscrivent dans un changement profond de mentalités.

L’intervention d’Alexandre Gérard s’appuie sur une expérience vécue : le passage de l’entreprise Chronoflex d’une forme classique à une dynamique fondée sur la collaboration et la créativité. Beaucoup, parmi nous travaillent encore dans des structures traditionnelles, en ressentent les contraintes et expriment leur morosité. Alors, c’est une bonne nouvelle d’apprendre qu’on peut travailler autrement, qu’une autre forme d’entreprise est possible. Oui, c’est possible et le témoignage d’Alexandre Gérard nous dit pourquoi et comment.

Cependant, l’aspiration au changement ne se limite pas au travail dans les entreprises. Elle se manifeste dans toutes les organisations. C’est la recherche d’un nouveau modèle privilégiant la participation, la collaboration, l’intelligence collective. Cet état d’esprit germe dans les administrations (11). Et on peut observer les mêmes attentes confrontées aux mêmes résistances dans beaucoup d’institutions.

Alexandre Gérard met en évidence l’importance du regard que nous portons sur les humains. Ainsi, tout dépend de notre attitude ! Quelle responsabilité ! Quel potentiel ! Quel appel au changement personnel et à la transformation intérieure ! Or voici qu’on observe aujourd’hui un courant en faveur de l’empathie, de la bienveillance, de la psychologie positive (12). Les sciences humaines s’allient à la spiritualité. Et, certaines composantes religieuses apportent leur contribution (13). Car, ce qui est en cause nous concerne tous. C’est le choix du respect, de la sympathie, de la confiance en l’autre. Cette confiance en l’autre ne requiert-elle pas plus généralement une adhésion implicite ou explicite à une vision positive de notre destinée commune dans le monde et à une dynamique relationnelle ? (14)

J H

 

(1)            « Génération Y : une nouvelle vague pour une nouvelle manière de vivre » : https://vivreetesperer.com/?p=2652

(2)            « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318

(3)            Wikipedia : entreprise libérée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise_libérée

(4)            TED x Saclay : au service du vivant : jeudi 30 novembre 2017 : Alexandre Gérard : Entreprise libérée : la patron qui a osé changer son regard sur les autres » :

https://www.youtube.com/watch?v=EW2xjH2Py2s

Autre vidéo sur TED x Rennes : https://www.youtube.com/watch?v=VebUucpwAZc

Par ailleurs, Alexandre Gérard est auteur d’un livre : « Le patron qui ne voulait plus être chef ».

(5)            « Alexandre Gérard a libéré l’entreprise Chronoflex et ses 300 salariés » sur le site : « Oser entreprendre. Agir pour libérer les hommes et les organisations » : http://www.oser-entreprendre.fr/alexandre-gerard-a-libere-lentreprise-chronoflex-et-ses-300-salaries/

(6)            Wikipedia : « Robert Rosenthal » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Rosenthal

(7)            Wikipedia : « Douglas McGregor » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Douglas_McGregor

(8)            Wikipedia : « Isaac Getz » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Getz

(9)            « Interview de Myriam Bertrand, volontaire du service civique, à « Initiatives et changement » : https://vivreetesperer.com/?p=1780

(10)      « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(11)      Des initiatives personnelles témoignent du changement d’esprit. « Pour un processus de dialogue en collectivité. Un chemin vers l’intelligence collective » : https://vivreetesperer.com/?p=2631

(12)      « Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode » https://vivreetesperer.com/?p=2639

(13)      « Lytta Basset : Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Non-violence : une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/?p=2739

« La rencontre entre le président Obama et le pape François » : https://vivreetesperer.com/?p=2192

(14)      Voir le monde qui se construit en terme de relations : « L’« essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’« accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber). (Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Cerf, 1988). Pouvoir, dans l’espérance, nous inscrire dans la dynamique d’un nouveau monde en préparation, pour le chrétien, en Christ ressuscité, la venue d’un monde réconcilié où Dieu sera tout en  tous (Jürgen Moltmann. La théologie de l’espérance).