Au cours des dernières décennies, on a pu observer dans chaque génération, des styles différents se marquant dans les aspirations, les représentations, les comportements. S’il y a bien un mouvement dans la durée où se marque une orientation globale, il y a une dominante particulière dans chaque génération. Et certaines d’entre elles, comme la génération qui a participé aux évènements de la fin des années 1960, à travers le moment de 1968, est perçue comme une génération innovante par les sociologues et les historiens (1). Dans la perspective des mutations en cours dans nos sociétés (2), le mouvement se poursuit. Assurément, la mondialisation, la révolution numérique, la prise de conscience écologique ne peuvent pas se développer sans marquer les esprits. Et c’est ainsi qu’on parle aujourd’hui d’une génération Y qui rassemble les jeunes nés dans les années 1980 et 1990 (3). Les changements de mentalité sont rapides et on évoque déjà une prochaine génération Z. Cependant, notons d’emblée que si les enquêtes mettent bien en évidence des inflexions, la jeunesse n’est pas homogène dans ses conditions sociales et son rapport à la société, et donc dans ses comportements. Si cette réalité appelle la prudence dans les généralisations, il n’en est pas moins vrai qu’on peut constater des changements de mentalité sensibles dans certaines portions des jeunes générations, particulièrement dans le groupe le plus instruit.

Les aspirations nouvelles interpellent les institutions. Elles font irruption dans la vie professionnelle où elles remettent en question les cadres dominants et les institutions établies. Ainsi la génération Y manifeste une recherche de sens et un désir d’accomplissement. La génération suivante poursuit le mouvement vers une recherche accrue d’autonomie et d’initiative.

Emmanuelle Duez n’est pas seulement observatrice. Elle est actrice sur ce terrain jusque dans la création et le développement d’une entreprise directement concernée. Dans une vidéo rapportant une intervention au « Positive Economy Forum » (Le Havre, 2015) (4), elle exprime ainsi une perspective militante. Le titre de la vidéo annonce la couleur : « Cette vidéo va changer votre manière de voir les jeunes (génération Y et Z) » (5). Si on ne lui demande pas comme à un sociologue de nuancer ses propos, son intervention ouvre tout grand un nouvel horizon et nous appelle à réfléchir. Vague après vague, une nouvelle manière de vivre apparaît dans un monde en pleine mutation. Elle n’est pas sans limite, mais à nous d’en voir les promesses et d’y participer.

 

Première génération d’un nouveau monde

La génération Y, issue des naissances durant les années 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalités correspondantes rompent avec des habitudes bien installées. Ainsi au départ, peut-elle éveiller une inquiétude chez les plus anciens. Cependant, la génération Y est bien la première d’un nouveau monde.  Emmanuelle Duez définit la génération Y comme « la génération première fois » :

° La première génération mondiale

° La prochaine grande génération (La moitié de la population mondiale a moins de trente ans)

° La première génération numérique (Michel Serres définit la révolution numérique comme la troisième révolution anthropologique de l’humanité (6)). C’est la raison pour laquelle on appelle la génération Y, la génération « Digital native ».

° La première génération postmoderne à l’aube d’une nouvelle ère. Tous les grands modèles qui ont sous tendu la conception de notre société actuelle sont à réinventer.

° La première génération omnisciente grâce à l’usage d’internet (résumé de l’intervention (7))

Ainsi cette génération répandue dans tous les continents, est en mesure d’exercer un rôle déterminant : « La génération Y est une génération  massive et globalisée qui arrive dans un monde à réinventer avec un pouvoir dans ses mains : le numérique.

Ces nouveaux comportements interpellent les différentes institutions politiques, scolaires, religieuses. Intervenant dans un forum d’économie positive, Emmanuelle Duez montre l’impact de ce changement de comportement dans la vie des entreprises.

« Le sujet Y ne comprend pas et ne reconnaît pas le système de management actuellement en vigueur dans les entreprises.

Le sujet Y préfère partir ou « débrancher la prise » (C’est à dire se désengager).

On assiste à un turn over en hausse parmi ces jeunes malgré une situation économique compliquée.

Ils croient qu’autre chose est possible et portent un regard différent sur l’entreprise.

Ils font plusieurs paris :

Faire passer le pourquoi avant le comment

Faire passer la flexibilité avant la nécessité

Faire passer l’exemplarité avant le statut

Avoir l’ambition de s’accomplir avant de réussir ».

Emmanuelle Duez esquisse ensuite un regard sur la génération suivante en train d’apparaître. C’est la génération Z. Très critique et consciente des changements à venir, les jeunes appartenant à cette génération manifestent une attitude d’autonomie et s’attachent à leurs parcours de formation. « Ainsi, la génération Z estime devoir apprendre ses métiers d’une manière révolutionnaire par rapport aux générations passées : demain, on apprendra de soi, de l’entreprise et de l’école (D’après une enquête, seulement 7% des sujets interrogés estiment que les compétences professionnelles seront apprises à l’école) ».

 

 

La mixité : une nouvelle manière de travailler ensemble

Emmanuelle Duez évoque la génération Y dans différentes instances et elle en aborde toutes les facettes. Dans une intervention au forum Café Solidays (8), elle met en évidence une autre caractéristique de cette génération : une familiarité avec la mixité. Au départ, elle cite Françoise l’Héritier : « La grande révolution qu’on est en train de vivre, ce n’est pas le numérique, c’est le fait que les femmes n’ont jamais été si puissantes ». « Evidemment, il y a de grandes différences selon les cultures. Evidemment, il y a encore énormément à faire. Mais il y a énormément qui a été fait. Aujourd’hui, il y a des générations entières d’hommes  qui pensent que la femme est l’égale de l’homme. Et cela, c’est révolutionnaire, car, jusqu’à présent, cela n’avait jamais encore été le cas. Ici aussi, la génération Y, c’est la génération « première fois ».

Nos mères ont été la première génération de femmes à travailler, et donc elles ont élevé leurs enfants, et notamment leurs garçons, avec l’idée qu’évidemment les femmes sont l’égale de l’homme, évidemment je dois pouvoir travailler en entreprise de manière équilibrée. Il y a donc une nouvelle génération d’hommes qui disent : En fait, je ne vois pas en quoi il y a une différence. Et si la pierre angulaire des combats féministes des dernières années a été la recherche d’un équilibre de vie, c’est quelque chose que je revendique pour moi-même. J’ai 25 ans. Je sors d’une grande école. Je sors d’une université  Je sors de nulle part. J’aspire à avoir une vie équilibrée. C’est un glissement très important. Car on adopte là une revendication « féminine » majeure. Cette revendication là n’est pas seulement française. Elle est mondiale »

 

Une action qui porte les valeurs de le génération Y : les innovations conduites par Emmanuelle Duez : WoMen up et le boson project

Consciente du changement actuel des mentalités, active pour les promouvoir, Emmanuelle Duez a engagé des initiatives innovantes.

Il y a cinq ans, c’est la naissance de « WoMen up », « la première association d’Europe qui travaille à la fois sur le genre et la génération. C’est une association qui repose sur une conviction très forte : aujourd’hui, lorsqu’on parle du travail dans les entreprises, le combat pour la mixité et celui pour un bon équilibre de vie se rejoignent. On s’appuie sur la génération nouvelle favorable à la mixité comme levier pour transformer l’entreprise et y promouvoir des valeurs « féminines » comme un travail différent et une vie plus équilibrée.

Comment fait-on ? On fait des appels de candidature. Et pendant un an, on accompagne des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont des jeunes actifs en dernière année d’étude à qui on donne des rôles modèles, c’est à dire des gens qui incarnent tout ce que je viens de raconter : oui, il n’y a pas de différence entre les genres. Oui, on a le droit d’assumer la volonté d’avoir un équilibre de vie. On a le droit de sortir des sentiers battus même lorsqu’on est un homme, car, paradoxalement, aujourd’hui, c’est plus difficile. On essaie de transformer ces jeunes en ambassadeurs. On essaie de faire en sorte qu’ils s’engagent sur le long terme afin que les hommes soient les libérateurs du potentiel féminin et que les femmes continuent sur leur lancée parce que les femmes sont en mouvement pour écrire leur propre histoire ».

La deuxième innovation, c’est une start up qui s’appelle le « boson project ». « The boson  project » est une start up composée d’entrepreneurs engagés à faire bouger les lignes dans les entreprises en mettant les collaborateurs au cœur des processus de transformation, notamment les plus jeunes. Cabinet de conseil d’un nouveau genre, nous abordons la problématique cruciale de la mutation des organisations, depuis des structures rigides-processées très hiérarchisées, lourdes, parfois inertes, parfois même contreproductives dans leurs modes de fonctionnement actuels, vers des structures fluides, transversales, transparentes, interconnectées, flat et nécessairement engagées par et pour le capital humain » (9).

« La génération Y entre dans un modèle qui n’a pas été bâti à notre époque. Elle rentre dans un modèle avec des hiérarchies, des strates, des silos. On a oublié que c’était le capital humain qui était au cœur de tout. Le vrai sujet, ce n’est pas une histoire de jeunesse et de génération. Ce qu’on essaye de faire là, c’est de transformer ces jeunes collaborateurs qui se cognent la tête à des logiques qu’ils ne comprennent pas en ambassadeurs d’une autre manière de voir les choses parce qu’on pense qu’ils sont intimement et inconsciemment porteurs d’un autre modèle d’entreprise.

On essaie de passer d’une société de contrôle à une société de confiance. Avec « WoMen up », on transforme les hommes et les femmes en ambassadeurs de la mixité. Avec le « boson project », on essaye de transformer des collaborateurs en « corporate hackers » : « Engagez-vous pour transformer les entreprises de l’intérieur » ».

 

 

Un appel à s’engager

Dans ses différentes interventions, Emmanuelle Duez appelle ses auditeurs à s’engager dans cette grande transformation. Ici, elle évoque la manière dont elle a rencontré des gens qui s’engageaient radicalement jusqu’au sacrifice : les forces spéciales de la Marine.

En regard, « l’engagement, c’est facile ». Elle s’adresse à la jeune génération : « On a une chance extraordinaire. On a moins de trente ans. On a le pouvoir entre nos mains. On a besoin de nous. Ce serait trop simple de dire : je regarde les choses se faire. Si on ne s’engage pas, on va regretter les choix que d’autres générations auront fait pour nous, car les trente prochaines années, ce sont les nôtres ».

 

Génération Y : changer les institutions !

Conscients de la grande mutation en cours, nous savions que la jeunesse y était sensible dans ses représentations, dans ses comportements et dans ses choix. Mais les interventions d’Emmanuelle Duez éclairent singulièrement la situation et les enjeux. Sa réflexion s’appuie sur celle des chercheurs. Elle s’appuie sur une expérience engagée tout-à-fait exceptionnelle. Si sa vivacité peut déranger certains, dans son enthousiasme, elle nous ouvre un nouvel horizon.

De fait la transformation en cours ne concerne pas seulement les entreprises, mais les institutions dans leur ensemble, politiques, scolaires, religieuses. Bien souvent, ces institutions redoutent le changement, et, d’une façon ou d’une autre, elles temporisent et cherchent à l’éviter. Mais parfois, des brèches s’ouvrent. Ainsi, récemment, on voit une jeune génération accéder à la députation dans le sillage de la République en marche. L’écart entre les aspirations de la génération Y et beaucoup d’institutions religieuses est également considérable. Des recherches anglophones montrent en quoi et pourquoi la génération Y se détourne de pratiques qui n’ont plus de pertinence pour elle, « irrelevant ». A entendre les attitudes et les valeurs de la génération Y, on imagine l’écart avec des églises hiérarchisées et patriarcales. En regard, des innovations apparaissent particulièrement dans le courant de l’Eglise émergente (10).

Nous sommes engagés aujourd’hui dans une grande mutation. Nous en percevons les processus. Nous en apprécions les dimensions. Emmanuelle Duez nous rappelle cette dynamique. C’est un espace de grande opportunité. Mais si celle-ci peut être saisie par ceux qui y sont le mieux préparés, cette situation est aussi source d’inquiétude et de crainte pour beaucoup (11). Ainsi il est bon d’entendre Emmanuelle Duez nous introduire dans la manière dont une nouvelle génération entre dans la scène du changement et les valeurs qu’elle entend promouvoir. Ces valeurs, ce sont aussi celles que beaucoup d’entre nous avons portées pendant des années et qui se traduisent aujourd’hui par l’avancée de La génération Y, issue des naissances durant les années 80 et 90, a grandi dans un monde en pleine mutation si bien que les mentalités correspondantes rompent avec des habitudes bien installées. Ainsi au départ, peut-elle éveiller une inquiétude chez les plus anciens. Cependant, la génération Y est bien la première d’un nouveau monde.  Emmanuelle Duez définit la génération Y comme « la génération première fois ». Ainsi, pouvons nous apprécier le projet de la génération Y dans ses aspects positifs. C’est une bonne nouvelle.

 

Jean Hassenforder

 

(1)            Sur le site Témoins : « La crise religieuse des années 1960. Quel processus pour quel horizon ? » : http://www.temoins.com/la-crise-religieuse-des-annees-1960-quel-processus-pour-quel-horizon/

(2)            Sur les mutations en cours : « Quel avenir pour le monde et pour la France ? » (Jean-Claude Guillebaud) : https://vivreetesperer.com/?p=945 « La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance » (Frédéric Lenoir) : https://vivreetesperer.com/?p=1048 « Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde » : https://vivreetesperer.com/?p=2373

« Un monde en changement accéléré (Thomas Friedman) : https://vivreetesperer.com/?p=2560

(3)            La génération Y est l’objet de nombreuses études et recherches. Présentation générale sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Génération_Y

(4)            Premier forum sur l’économie positive au Havre en septembre 2012 : https://vivreetesperer.com/?p=880

(5)            Intervention d’Emmanuelle Duez sur la génération Y au forum d’économie positive au Havre (2015) : https://www.youtube.com/watch?v=gkdvEg1kwnY

(6)            « Une nouvelle manière d’être et de connaître » (« Petite Poucette » de Michel Serres : https://vivreetesperer.com/?p=836

(7)            Sur le site Adozen. fr, mise en ligne de la même vidéo : « Cette vidéo va changer votre manière de voir les jeunes » avec un résumé des propos d’Emmanuelle Duez que nous avons repris ici pour une part : http://adozen.fr/video-generations-y-et-z/

(8)            Intervention d’Emmanuelle Duez au Forum café Solidays : « Génération Y : l’opportunité de réinventer le monde » : https://www.youtube.com/watch?v=Y1wY6RiGrP4

(9)            « The boson project » : https://www.thebosonproject.com/le-boson

(10)      L’Eglise émergente : sur le site de Témoins : http://www.temoins.com

(11)      Dans une intervention à Ted X Marseille, Emmanuelle Duez décrit les inquiétudes et les craintes et, en regard, exprime une dynamique : « Du poids des maux à la responsabilité des idées : https://www.youtube.com/watch?v=1oKk4i6aOtU

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