L’usage d‘internet a transformé entièrement notre genre de vie dans la plupart de secteurs de notre activité du travail et de commerce à l’information aux loisirs. On pourrait énumérer les cas où il s’est révélé ou se révèle indispensable. Cependant, on peut sans doute se demander s’il n’y a pas là aussi un revers de la médaille. Effectivement, on redoute aujourd’hui la dépendance que l’usage d’internet peut susciter jusqu’à un effet d’addiction. C’est la crainte exprimée par Sophie Lavault, docteure en neurosciences et psychologie clinique. « L’hyper connectivité nous procure tant de shoots de dopamine qu’elle nous coupe du lien authentique avec nous-mêmes et avec les autres ; sous l’emprise de nos écrans, nous ne prenons plus le temps de ressentir, ni d’observer. Déconnectés de notre propre corps, nous le sommes de notre environnement naturel au point de détruire plutôt que de préserver ». Aussi a-t-elle écrit un livre qui engage à « revenir à soi » (1). De même, si on peut reconnaitre, pour une part, dans la montée des réseaux sociaux , une extension des liens sociaux et  une émergence de conscience commune, on peut également redouter  y voir apparaitre la formation de clans, une agressivité mimétique, une violence numérique, une manipulation de l’information. Nous sommes interpellés.

On connait aujourd’hui l’extension et la répartition des réseaux sociaux dans le monde. Si Facebook est le réseau social le plus fréquenté dans le monde avec près de 3000 milliards d’utilisateurs actifs mensuels en 2023, en France, il totalise 40 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Si il est en perte de vitesse parmi les plus jeunes, passant au cinquième rang des réseaux fréquentés chez les 18-24 ans, il continue une légère progression chez les plus âgés (2).

Dans ce grand nombre d’usagers, chacun est singulier dans sa fréquentation. Comme les interpellations vis-à-vis de l’utilisation d’internet s’adresse à tous, chacun peut également y apporter une réponse personnelle. Nous nous sommes interrogés sur notre propre usage de Facebook.

 

Contexte de notre présence sur Facebook

Facebook se présente ainsi : « Facebook est un réseau social grand public. Il permet à ses utilisateurs de rester en contact avec leurs amis, familles, connaissances, en interagissant grâce à des publication, des commentaires, des likes, de participer à des groupes en fonction de leurs intérêts ».  Nous sommes entrés sur Facebook, il y a une douzaine d’années, engagé dans une recherche personnelle se traduisant par une écriture pour un blog : « Vivre et espérer », et, à l’époque, la mise en valeur de l’œuvre du théologien ; Jürgen Moltmann dans un autre blog : « L’Esprit qui donne la vie ». Parallèlement, depuis des années, nous participions au site de Témoins, association chrétienne interconfessionnelle.  En entrant dans Facebook, nous souhaitions y trouver, pour une part, un espace de dialogue. Dans une condition de veuvage, pouvoir élargir mon éventail de relations était également un souhait. Cependant, je ressentis très tôt ma particularité d’arrivant relativement isolé. De nombreux participants fréquentaient Facebook avec un réseau bien constitué, y partageant les apports de leurs loisirs, notamment de leurs vacances, parfois des réflexions ou des émotions. J’en étais un spectateur bienveillant et reconnaissant pour la vie bonne qui s’y exprimait. Progressivement, je découvris la vie des uns et des autres et à travers les « j’aime », une attention plus ou moins mutuelle put s’instaurer.  A travers les demandes, le public s‘élargit puisqu’il compte aujourd’hui 530 amis. On doit dire ici également que mon savoir-faire dans l’usage de Facebook est limité. Par exemple, je ne recours pas à la messagerie : Messenger.

Aujourd’hui, depuis quatre ans, relégué dans un Ehpad, à la suite d’un covid, puis de l’épidémie et de l’impossibilité de retrouver mon genre de vie initial, mon isolement s’est accru. Mais Facebook s’avère alors véritablement secourable par l’accès ouvert sur la nature et sur l’art par de magnifiques photos et par une ambiance bienveillante. Et il continue à être une source d’information très efficace où je puise abondamment tant pour mes choix de livres que pour ma participation à Témoins. A plusieurs reprises, j’ai relaté sur ce blog, mon usage de Facebook (3). Ce furent des étapes dans  l’expression de mon ressenti.  Je réitère ici avec un peu plus de recul.

 

Une ouverture à la beauté

Comment est-ce que je perçois les principaux apports de mon fil Facebook?

Un des apports majeurs, c’est une ouverture à la beauté au moins sous un double aspect : la beauté de la nature et la beauté des œuvres d’art.  Nombreux sont les ami(e)s qui partagent des photos de paysage, aujourd’hui entre autres, L P , JM T ,  F S , N H , L P…Plus largement, ce sont des photos de nature, comme des fleurs. Je pense actuellement à de superbes photos de montagne. On peut admirer aussi des photos d’un auteur de livres publiant de sublimes photos de paysages méridionaux, de la Drome notamment, D Massivement, les organismes de tourisme de toutes les régions de France diffusent de magnifiques photos de paysage. Je revisite ainsi un pays que j’ai aimé et admiré:  le golfe du Morbihan. Cependant circulent aussi de nombreuses peintures de paysage. J’ai découvert ainsi le grand nombre et la variété des peintures de Claude Monet, ébloui par l’expression de son ressenti, une beauté toujours actuelle. Mais la proposition est variée et je trouve des perles dans les multiples expressions actuelles de l’art naïf. Certains nous font connaitre des peintures peu connues d’autres pays européens ( P S)

 

Expressions de vie

Le philosophe et sociologue, Charles Taylor, nous a montré comment nous sommes entrés dans un âge de l’authenticité (4). « Les historiens et sociologues s’accordent pour reconnaitre un tournant majeur dans la vie sociale et culturelle des pays occidentaux dans les année 60…L’individualisme s’est désormais déplacé sur un axe nouveau sans abandonner les anciens pour autant. En plus de l’individualisme moral/spirituel et instrumental se répand désormais un individualisme « expressif ». Cette expressivité, cette expression de soi est très présente sur Facebook. Certes, elle prend des formes différentes. Certains sont discrets, d’autres expriment leurs états d’âme.  Cependant, communiquer sur Facebook, c’est évidemment exprimer ce qui vous tient à cœur sur différents registres. Mais cette expression est tournée vers le partage. Pour certains, cette expressivité se manifeste dans une manifestation de leur vie personnelle. Ainsi, une « amie » anglaise J E , partage non seulement de belles contributions picturales, mais elle nous associe à sa vie quotidienne et à son histoire familiale.   Sensible au visage de l’humain, elle aime partager des photos de ceux qui l’entourent.  D’autres expressions sont plus discrètes. Ainsi, MF R nous fait découvrir la beauté dans sa campagne, mais exprime aussi sa vision de la vie. Et P S  ne nous entretient pas seulement de la vie de sa province, mais il participe à un site protestant et, de temps à autres, laisse transparaitre ses opinions politiques.

 

Propositions spirituelles et religieuses

La part des relations chrétiennes, catholiques et protestantes ou autres, est ici importante au point où il est difficile de toutes les mentionner. Il y a donc des commentaires journaliers d’évangile ( J T et M CT), de nombreux commentaires bibliques (Reg P,  Prot B,  L P), des messages d’ouverture chrétienne (C C  M J) des textes engagés concernant la vie des églises ( R P,  C P,  A S, Conf bapt, , H L… ) Bien sûr, il se trouve des réflexions théologiques (  Transcend , P L , J C,  DF)  de libres expressions (M M, J C S,  MH M C, H RG ),  des témoignages d’acteurs engagés ( R G , B C) On peut ajourer à ce groupe des acteurs spirituels comme Hum N et ses interviews en vidéo,  D GQ et ses dialogues en quête spirituelle ou encore JP O.. On ajoutera ce qui tient aux relations entre psychologie et spiritualité.  La poésie est également très présente, notamment dans écrits de Christian Bobin et de Jean Lavoué.  Ajoutons à cette énumération très vaste et qui parait fastidieuse en l’absence des noms et des contenus, l’apport de B C qui se manifeste en terme d’un flux de vidéos et de textes qui concernent à la fois le religieux et le politique . L’offre est conséquente et, dans cet ensemble, des affinités peuvent s’établir.  De temps à autre, une lueur vient nous éveiller De plus, nous pouvons recueillir là nombre d’informations pour le site de Témoins

 

Vie sociale, économique et politique

La vie sociale, économique et politique apparait à travers la contribution de quelques ami(e)s et quelques publicités d’organisme. Sur notre fil, ce secteur a une place seconde. Parmi les thèmes abordés, l’écologie occupe une place majeure. Les grands évènements se répercutent très vite, notamment l’information concernant les décès de grandes personnalités. Il me semble que les questions politiques se manifestent très différemment selon les périodes. Actuellement, leur présence ne me parait pas à la mesure des enjeux. Notons à nouveau la richesse du flux de vidéos et de textes communiqués par B C. C‘est un apport précieux.

 

Les vidéos

Facebook comporte également une rubrique vidéos, mais celles-ci ne sont pas choisies par des « ami(e)s. Elles sont très variées quant à leurs origines et à leurs sujets. Ainsi elles concernent-elles la vie des animaux, les relations humaines, la psychologie, la philosophie, les sciences, le message chrétien dans ses différentes formes, voire un message musulman. La tonalité induit fréquemment des sentiments positifs : les vidéos de Thomas d’Ansembourg se proposent de nous aider à comprendre notre manière de vivre en relation., les courts interviews réalisées par Human Nadj  auprès de personnes témoignent d’un humanisme psychologique et spirituel dans une sphère où la culture musulmane est bien représentées, des vidéos  nous montrent une entraide chez des humains ou des animaux, la présentations d’initiatives humaine innovantes (Brut), des messages chrétiens de différents origine, notamment d’origine africaine entre autres l’Église méthodiste de Cote d’Ivoire,  le récit d’expériences spirituelles, des messages qui nous apportent des visions nouvelle sur la conscience, la santé, l’histoire africaine.. C’est un espace de découverte. En ce moment, pourtant crucial, cette rubrique manifeste une grande discrétion sur le plan politique

 

Diversité

Notre description est incomplète .  En présentant notre fil, nous avons choisi d’énoncer les noms par des initiales par discrétion et dans l’impossibilité d’une exhaustivité. Il y a des thèmes présents de temps en temps sur notre fil, notamment à travers des publicités d’organisme, comme la santé par exemple.

 

Facebook comme cadeau

A l’heure où les critiques se multiplient contre les réseaux comme propagateur de fausses nouvelles ou porteur de ségrégation sociale, notre expérience personnelle nous permet de mettre en évidence la diversité des situations

Il y a bien un premier enseignement qui apparait. Si le dispositif du réseau prédispose, l’usage personnel de chacun est déterminant.

Si Facebook encourage finalement une interaction positive à travers l’usage prédominant des « like », est-ce que nous-même, nous sentons-nous heureux de manifester abondamment notre attention, notre estime, notre sympathie. Tout en gardant une volonté de sincérité, j’ai choisi cette attitude, même si elle me semble peu payée de retour. A travers ce que les gens disent d’eux-mêmes et de leurs activités sur le fil Facebook, nous finissons par les connaitre pour une part. Et nous pouvons leur être reconnaissant, car, en s’exposant, ils nous accordent une part de confiance dans le partage de leurs joies et parfois de leurs inquiétudes et de leurs peines. Cela me fait penser au coq d’un livre d’enfant qui de son clocher, disant aux gens du village : « je t’ai vu ». Et bien à nous de faire le choix de la sympathie.   Nous nous rappelons ici une pensée d’Antonio Spadaro dans son livre : « Quand la foi passe par le réseau ». Il nous appelle, dans un esprit de convivialité et de fraternité à faire évoluer le net d’un lieu de « connexion » à un lieu de « communion ». « La connexion en soi ne suffit pas à faire du Net un lieu de partage pleinement humain. Travailler en vue d’un tel partage est la tâche spécifique du chrétien » (5). Il y a la une exigence qui m’interpelle et qui m’invite à grandir spirituellement.

Cependant, il y a également dans l’offre de Facebook des propositions qui suscitent L’admiration, l’émerveillement, la « awe » (6) et, en conséquence, la reconnaissance, e la gratitude (7). Ce sont là deux réalités éminemment spirituelles et également bienfaisantes   Certains paysages, certaines peintures nous paraissent admirables. Pour moi, cette admiration peut déboucher sur la louange et la reconnaissance. C’est la parole d’un psaume : « Que tes œuvres sont grandes, O Éternel. Et je chante avec allégresse l’ouvrage de tes mains » (Ps 92).

Cette offre est d’autant plus précieuse lorsqu’on vit dans un isolement relatif et qu’elle vient compenser des manques comme une accession difficile à la nature

On peut ajouter que Facebook permet aussi d’esquisser une forme de dialogue à travers des commentaires. C’est un germe de réflexion partagée

 

En manque

Certes, de nombreux messages appellent la réflexion.  D’autres suggèrent une méditation. Mais, au total, sur notre fil, nous voyons peu de réflexions étayées, construites Nous y portons des extraits de textes des différentes rubriques de Vivre et espérer : histoires et projets de vie, expérience de vie et relation, culture et société, émergence écologique, vision et sens.  Et nous abondons en même temps, notre page Facebook : Vivre et espérer.   Dans ces textes, nous nous sommes donnés pour but d’apporter, de la manière la plus accessible possible, un éclairage qui puisse contribuer à rendre plus justes , plus pertinentes, nos représentations, en pensant que ces représentations ont ensuite des effets sur nos actes. Ainsi présentons-nous des livres français et étrangers qui s’appuient sur l’expérience de leurs auteurs, mais aussi sur des apports sociologiques, psychologiques, scientifiques, philosophiques et théologiques. Nous remercions les quelques-uns qui marquent leur appréciation de cet apport, souvent ou de temps à autre. Notre regret est que ces textes ne suscitent davantage d’attention dans un public qui, au total, apparait plutôt comme cultivé et spirituel.  En regard, nous nous réjouissons de l’attention que certains portent aux photos de nature extraites de notre collection de photos flickr

 

Se remettre en question

Lorsque Sophie Lavault nous met en garde vis-à-vis de l’hyperconnectivité et, en conséquence un danger d’addiction et de déconnexion avec soi-même, lorsqu’on y réfléchit, c’est notre propre usage d’internet qui est mis en question.  Je m’interroge sur mon usage de Facebook.  Certes, dans ma condition, il m’apporte un lien essentiel avec la nature et avec la vie sociale. Il suscite des sentiments qui fondent la vie comme la sympathie, l’émerveillement, la gratitude. Le danger réside dans une consultation accélérée : passer d’un post à un autre sans prendre le temps suffisant pour le gouter.   Il y a un risque de banalisation qui entrainerait un émoussement de notre émerveillement. ou de notre attention. Lorsque Saint-Exupéry écrit le « Petit Prince », il nous montre combien l’édification d’un lien requiert un apprivoisement lequel requiert du temps. Si nous passons trop rapidement d’une perle à une autre, il y a danger de banalisation. « Ralentir pour sentir », c’est l’expression qui sert d’identifiant à un « ami » de Facebook.  Je me suis rendu compte combien il était bienfaisant de m’attarder sur une belle photo et de la contempler. La même attitude vaut pour notre attention aux moments de vie qui nous sont présentés sur Facebook et sur les sentiments qui y sont évoqués. Dans quelle mesure, ma louange ou ma prière sont-elles mobilisées ?

A deux reprises, sur ce blog, je me suis interrogé sur mon usage de Facebook (3) Sans doute, la perception de cet usage varie selon la condition du moment. Aujourd’hui, je mesure le cadeau qui m’est fait, et qui, quelles qu’en soient les limites, m’appelle à en faire un sage usage et à en prendre soin.

J H

 

  1. Sophie Lavault. Revenir à soi Comment le numérique nous déconnecte de nous-mêmes. Albin Michel. 2023
  2. Facebook : les chiffres essentiels : https://blog.digimind.com/fr/agences/facebook-chiffres-essentiels
  3. Mon expérience de Facebook 2017 https://vivreetesperer.com/mon-experience-de-facebook/            Facebook en question  2020 :  https://vivreetesperer.com/facebook-en-question/
  4. L’âge de l’authenticité : https://www.temoins.com/lage-de-lauthenticite/
  5. Cyberespace et théologie : https://www.temoins.com/cyberespace-et-theologie/
  6. Ebloui par l’émerveillement : https://vivreetesperer.com/ebloui-par-lemerveillement/  Comment la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimées par le terme de « awe » peut transformer nos vies : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
  7. La gratitude, un mouvement de vie : https://vivreetesperer.com/la-gratitude-un-mouvement-de-vie/

 

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