De la décharge publique à la musique

Au Paraguay, des jeunes forment un orchestre à partir d’instruments fabriqués à partir de déchets.

Quel contraste ! Dans une banlieue d’Asuncion, la capitale du Paraguay, au bidonville de Cateura, un lieu envahi de détritus qui y sont rejetés, un orchestre formé par des jeunes est né.  C’est le « Landfill Harmonic ». Le processus de dégradation a été retourné. Une vidéo (1) retrace pour nous une histoire émouvante de la manière dont des instruments de musique ont été fabriqués à partir du recyclage de déchets apportant ainsi une espérance à des enfants, à des jeunes dont l’avenir auraient été, sans  cela dépourvu de sens. Quel élan de vie ! « Le monde nous envoie des ordures. Nous lui renvoyons de la musique ».

Cette expérience a commencé, il y a cinq ans. Favio Chavez, musicien, joueur de clarinette et de guitare, avait commencé à développer un petit orchestre dans un autre lieu. C’est alors qu’il trouve un nouvel emploi à Cateura : un travail d’animateur dans une association environnementale en vue d’apprendre aux ramasseurs de détritus (« garbage collectors ») à se protéger eux-mêmes. Favio Chavez reprend alors son activité d’animation musicale auprès des jeunes. Mais pour cela, il a besoin d’instruments de musique. Favio Chavez en parle à un ramasseur de détritus, Nicolas Gomez, qui découvre dans la décharge un  ancien tambour, puis le répare. De fil en aiguille, comme il a été charpentier, il se met à l’ouvrage et fabrique une guitare à partir de matériaux trouvés dans la décharge. Bientôt, d’autres instruments vont apparaître. Alors, Favio Chavez peut créer un orchestre formé par des jeunes qui vont commencer à jouer de la musique de grande qualité, de Beethoven et Mozart à Henry Mancini et les Beattles.

Et l’orchestre « Lanfill Harmonic » part maintenant en tournée dans d’autres pays d’Amérique Latine. Aujourd’hui, sa prestation est connue bien au delà, notamment aux Etats-Unis comme en témoignent les articles de presse paru sur un site qui soutient cette remarquable initiative et la préparation d’un film à son sujet (2), et le visionnement de la vidéo sur You Tube et Vimeo par plus d’un million d’internautes.

Combien l’enthousiasme manifesté par les jeunes sur la vidéo est capable des nous émouvoir. « Quand j’entend le son d’un violon, je sens comme des papillons qui s’envolent en moi. C’est un sentiment que je ne peux expliquer », déclare une jeune adolescente. « Sans la musique, ma vie serait sans valeur », nous dit une autre. Cette initiative ne change pas seulement la vie de ces jeunes. Elle transforme également, par osmose, la vie de leur famille, la vie de la communauté locale. Ainsi, a-t-on pu voir tel parent renoncer à la drogue ou tel autre reprendre des études.

Ici, l’harmonie n’est pas seulement un effet de la musique. C’est aussi une harmonie entre les cœurs. Sympathie, émerveillement : une œuvre de l’Esprit.

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J H

(1)            Landfill Harmonic : la vidéo présentant cette initiative : http://www.youtube.com/watch?v=fXynrsrTKbI  « Landfill » peut être traduit en français par : décharge publique. Les ramasseurs de détritus (« garbage collectors ») travaillent pour une réutilisation, un recyclage des ordures. L’orchestre : « Landfill Harmonic » a pu être appelé l’orchestre du recyclage.

(2)         Sur le site : Kickstarter, qui soutient, entre autres, cette initiative et la préparation d’un film à son sujet, une vaste information sur « landfill harmonic », notamment à travers un renvoi à  des articles de presse : http://www.kickstarter.com/projects/405192963/landfill-harmonic-inspiring-dreams-one-note-at-a-t

Une révolution en éducation

L’impact d’internet pour un nouveau paradigme en éducation.

Désir d’apprendre, désir de connaître, désir de comprendre, désir de participer à un univers de sens qui nous dépasse. A travers l’histoire, on peut suivre le mouvement qui en est résulté.

Et, dans les derniers siècles, le désir s’est investi dans le développement de l’école qui a permis l’accès au savoir du plus grand nombre. Et, dans la vie des élèves, cet attrait s’est traduit dans une mobilisation de l’être. Il est des pays où cette mobilisation est particulièrement visible comme en témoigne le film : « Sur le chemin de l’école » (1). Mais, dans cette histoire, il y a deux faces bien différentes. En effet, si l’école, et plus largement l’institution scolaire dans ses différentes étapes, ont suscité un élan, on peut la considérer  également sous un autre jour. En effet, aujourd’hui, elle apparaît également comme un système imposé en fonction d’un double héritage : la hiérarchisation de la société traditionnelle où le pouvoir s’exerce d’en haut à travers de multiples relais ; l’organisation qui a longtemps prévalu dans la société industrielle en terme de production de masse et de normes peu propices à la prise en compte des spécificités industrielles.

Des évolutions et leurs limites.

Ainsi, lorsque le développement progressif de l’autonomie dans les genres de vie a rejoint un idéal de respect de l’enfant et de prise en compte de l’ensemble de son potentiel longtemps refoulé par la culture dominante, alors le système scolaire dans sa forme la plus commune a été de plus en plus interpellé et contesté. On peut retrouver ce mouvement dans le cadre plus général d’une évolution sociale où autonomie et désir de participation sont devenus des réalités majeures. Ce mouvement est international, mais il est plus ou moins précoce et vigoureux selon les pays.

En France, il s’est manifesté dans l’enseignement à travers des pionniers qui sont à l’origine d’expériences novatrices dans ce qu’on a appelé le mouvement de l’Education Nouvelle. De grands noms marquent cette inspiration : Maria Montessori, Decroly, Freinet, Cousinet (2). Dans la seconde moitié du XXè siècle, l’esprit de réforme se répand en se manifestant plus particulièrement dans certaines périodes. Ainsi, juste après la guerre, des « classes nouvelles » apparaissent dans l’enseignement secondaires. L’élève est respecté dans son potentiel et dans son cheminement. Et le travail d’équipe est encouragé. Cependant, la remise en cause du système prend toute son ampleur dans les décennies 60 et 70 dans la foulée de la transformation de notre société qui a été décrite par le sociologue  Henri Mendras dans les termes d’une « Seconde Révolution Française » (3). Il y a à la fois l’accès des milieux  populaires à la scolarisation dans l’enseignement secondaire et le développement de l’autonomie dans les comportements sociaux et culturels qui apparaît dans la jeunesse dès les années 60. Les cadres rigides du système scolaire apparaissent comme une barrière et sont remis en cause. A cet égard, le Colloque d’Amiens est emblématique dans son orientation réformatrice. Quelques mois plus tard, la révolte étudiante en mai 1968 ébranle les institutions, ce qui induit des transformations, mais aussi des résistances en retour. La décennie 70 sera propice aux innovations pédagogiques. Mais la pesanteur du système hiérarchisé et massifié impose des limites.

Dans notre parcours professionnel inspiré par le modèle de la bibliothèque publique (4) qui permet l’accès au savoir à travers de libres cheminements, et plus généralement par le développement des centres documentaires qui favorisent l’autonomie et l’initiative des apprenants (5), nous avons milité pour un changement des processus pédagogiques dans des établissements, eux-mêmes appelés à se départir d’une organisation issue du XIXè siècle (6). Et par ailleurs, dans le même mouvement, l’enseignement des plus jeunes est considéré comme une étape dans une éducation permanente, un processus d’apprentissage tout au long de la vie (« Life-long learning »).

Un constat d’immobilisme.

Dans un regard rétrospectif, nous percevons quelques effets de la mouvance militante et de la volonté réformatrice. Mais nous voyons aussi la puissance de conservation dans les structures et les comportements. La pertinence du système scolaire par rapport aux aspirations et aux besoins ne s’est pas accrue. Et aujourd’hui, nous pouvons constater avec Yann Algan la pesanteur d’un système qui handicape l’ensemble de la société française. Dans un livre récent : « La fabrique de la défiance » (7), Yann Algan, professeur d’économie à Sciences Po, dresse un constat accablant sur la manière dont le système scolaire français induit un manque de confiance chez les élèves.

 Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien, à l’école que les enfants des autre pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire situation  de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, dans les pays méditerranéens ou dans les pays anglo-saxons (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition. Et d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Pisa et Tims) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ».

 Il y a bien aujourd’hui des enseignants et des chercheurs qui militent pour un changement pédagogique et enseignent autrement. (8) On voit aujourd’hui la mise en œuvre d’une réforme des rythmes scolaires. Les signes d’une prise de conscience apparaissent dans les sphères dirigeantes de l’Education Nationale. Il reste que la recherche de Yann Algan et de ses collègues, à partir de données qui ne sont pas anciennes, montrent l’ampleur du chemin à parcourir. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de progrès lents et ponctuels. Si la situation actuelle de l’enseignement français est inacceptable, la mutation actuelle des moyens de communication va la rendre insupportable.

Vers un nouveau paradigme d’éducation.

Aujourd’hui, le monde change à vive allure. Ce changement porte une révolution dans le domaine de l’éducation. Si la France est dans une situation particulièrement difficile, une prise de conscience est également en train d’advenir à l’échelle internationale. Dans le domaine de l’enseignement, nous sommes tous appelés à changer de paradigme. Et, s’il nous semble que les pays anglophones, sur certains points, sont davantage en phase avec une évolution qui s’esquisse depuis des décennies, on peut entendre avec d’autant plus d’attention, la voix d’une personnalité britannique, résidant aujourd’hui en Californie, Sir Kenneth Robinson, lorsqu’il dénonce les effets uniformisateurs et réducteurs du système scolaire. Ken Robinson est un auteur et conférencier anglais, expert dans l’éducation artistique, longtemps professeur dans cette discipline à l’université de Warwick (1986-2001). Il est célèbre pour ses allocutions sur le thème de l’éducation, prononcées avec beaucoup de conviction et d’humour dans le cadre du centre de conférences TED (Technology, Entertainment and Design), et puissamment diffusées sur le web. En 2010, dans un exposé s’appuyant sur un dessin animé réalisé à son intention  par la « Royal Society for the encouragement of art… », il réclame un changement de paradigme en éducation (9). En mai 2013, cette vidéo diffusée sur le web a été visionnée par plus de 10 millions d’internautes.

« L’école », nous dit-il, « nous introduit dans un voie standardisée et annihile la créativité que chaque enfant porte en lui à la naissance ». Déjà, dans les années 60, le chercheur américain, Torrance, avait mis en évidence le concept de créativité. Nous avions relayé ses découvertes en France. Ken Robinson se réfère à une recherche plus récente concernant la « pensée divergente », cette aptitude à formuler un grand nombre de réponses à une même question,  une imagination  créatrice qui permet de résoudre de nombreux problèmes. A partir de la passation d’un test, on a constaté que l’expression de cette faculté est quasi universellement répandue chez les enfants fréquentant des classes maternelles. Mais elle baisse ensuite de plus en plus avec la montée en âge. Le taux de réussite passe ainsi de 98% à 5 ans  à 30% à 10 ans et à 10% à 14 ans. Ken Robinson attribue cet effondrement à l’influence d’une école qui exclut ou limite la coopération et une recherche ouverte.

Ken Robinson nous montre comment le système scolaire actuel est le produit d’une autre époque où un intellectualisme individualiste issu du XVIIIè siècle s’est combiné à une organisation industrielle associant uniformisation, standardisation et division du travail. Aujourd’hui, nous avons besoin de passer d’un « processus mécanique » à un « processus organique ». Les nouveaux modes de communication changent la donne et permettent le changement.

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 La révolution portée par internet.

Effectivement, comme Michel Serres nous l’a remarquablement expliqué dans son livre : « Petite Poucette » (10), à travers l’expansion d’internet, nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle manière de communiquer et d’apprendre.

 A cet égard, une vidéo réalisé par un entrepreneur d’avant-garde, Oussama Ammar, à travers un titre humoristique : « Les barbares attaquent l’éducation » (11) met en lumière la révolution qui est en train de se réaliser dans le domaine de l’enseignement. Lui aussi parle en terme de changement de paradigme et il le fait à partir des innovations qui se développent aujourd’hui à toute allure et bouleversent les conditions de l’enseignement. Oussama Ammar a fondé plusieurs entreprises, codirige « The family », un organisme qui se consacre à l’accélération de la progression des start up, enseigne à Sciences-Po Paris et à l’Université Lyon II. Franco-libanais d’origine, il vit aujourd’hui à l’échelle internationale dans des villes comme San Francisco, Hong Kong, Sao Paulo et Paris.

On peut débattre à propos de quelques unes de ses affirmations préliminaires. Mais ses critiques du modèle actuel rejoignant celles de Ken Robinson, à partir cette fois d’une analyse du fossé qui se creuse entre l’enseignement traditionnel et la nouvelle manière de communiquer. Pour nos parents et grands parents, l’école était « un endroit formidable », mais aujourd’hui, « des millions d’enfants s’y sentent aliénés ». Et il cite des données impressionnantes de l’enquête Pisa, dont nous avons déjà entendu parler par Yann Algan, qui montrent que l’intérêt des « bons élèves » pour l’école est aujourd’hui, depuis cinq ans, en voie de s’effondrer. Et, dans ce cas, ce n’est pas une exception française. Le même phénomène se produit dans de nombreux pays, de l’Allemagne à la Corée. Oussama Ammar associe diagnostic et témoignage. Ainsi, il a connu la période de transition où la prédominance des nouveaux moyens de communication ne s’était pas encore imposée. Des professeurs critiquaient Wikipedia sans se rendre compte de la puissance du processus de production en cours puisque, dans sa version anglophone, il y avait déjà vingt-cinq millions d’articles en ligne. Oussama converge avec Ken Robinson sur la nécessité d’encourager la créativité.

Cependant l’apport de cette vidéo ne se limite pas à une analyse de la situation. Elle nous rapporte le dynamisme impressionnant des innovations dans un champ où l’apprentissage et l’enseignement (« learning and teaching »), se réalisent maintenant sur le web. Les réalisations se multiplient à vive allure dans une véritable épopée qui est aussi une révolution pédagogique.

 Oussama nous parle des Mooc (« Massive Open Online Course »), ces cours mis en ligne par de grandes universités, et en particulier par de prestigieuses universités américaines de Harvard et du MIT à Stanford et Princeton.  En quelques années, le public de ces cours s’est étendu à travers le monde entier et  il comprendrait aujourd’hui 17 millions d’utilisateurs actifs dont le tiers aurait moins de 18 ans. On pourra sur le web visiter les différents sites qui diffusent ces cours (vidéos et exercices) et assurent la certification de ceux qui les ont suivi avec succès. Le phénomène est issu d’initiatives qui se sont développées à partir de grandes universités américaines. Ainsi Edx communique à partir d’Harvard, du MIT et de Berkeley (12). Coursera s’appuie sur Stanford, Princeton et un réseau d’universités qui commence aujourd’hui à s’étendre au delà des Etats-Unis en incluant quelques institutions européennes, ainsi, dans le monde francophone l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et, en France, l’Ecole Polytechnique, l’Ecole Centrale et l’Ecole Normale Supérieure.  Fondée il y a deux ans, Coursera s’est développé avec une rapidité fulgurante. Aujourd’hui, elle dessert 5 300 000 inscrits et diffuse 535 cours réalisés par 107 universités et grandes écoles partenaires (13).

Une autre institution remarquable consiste dans la diffusion sur le web de vidéos communiquant de courts exposés réalisés par des penseurs originaux. Après une période ponctuée par de grandes conférences aux Etats-Unis, le forum TED (Technology, Entertainment and Design) a commencé, à partir de 2007, à diffuser sur le web de courts exposés sur une vaste gamme de sujets dans la recherche et la pratique en science et en culture (14). « Nous croyons passionnément dans le pouvoir des idées pour changer les attitudes, les vies et finalement le monde. Aussi nous développons une « clearinghouse » qui offre libre savoir et inspiration, en provenance des penseurs mondiaux les plus inspirés et aussi une communauté d’esprits curieux (« curious souls ») qui s’impliquent dans les idées et aussi les uns avec les autres ». A partir de 2009, un programme de traduction à partir de l’anglais a commencé à se développer. En juillet 2012, 1300 exposés avaient été mis en ligne et de 5 à 7 nouveaux entretiens paraissaient chaque semaine. En janvier 2007, l’ensemble des vidéos avait été visionné, au total 50 millions de fois, en janvier 2011, 500 millions de fois, en novembre 2012, 1 milliard de fois.

  Comment ne pas reconnaître l’importance d’un tel phénomène ? Oussama Ammar nous décrit un contexte en pleine effervescence. Des enseignants doués s’installent sur le web et se trouvent à même d’attirer rapidement de vastes audiences (Ainsi,Salman Khan, dont les milliers de productions commencent à être traduites en français par la Khan academy (bibliothèques sans frontières). Ainsi, nous dit Oussama, en citant des exemples, « n’importe qui peut enseigner ».

Parallèlement, on observe de brillantes performances chez certains enfants qui, en tirant parti des connaissances désormais accessibles réalisent des dispositifs complexes. C’est, par exemple, Didier Focus, un enfant nigérian, qui, à quatorze ans, permet à son village d’accéder à l’électricité et gagne de surcroit un prix du MIT.

A travers l’ordinateur, une éducation informelle se développe dans les pays pauvres. Ainsi, en Inde, après avoir placé un  ordinateur en libre accès dans un bidonville, on constate quelques mois plus tard, que son usage a suscité de nouveaux savoirs comme par exemple l’apprentissage de l’anglais ou de la programmation. Les jeux permettent également le développement de nouvelles compétences.

Une révolution en éducation.

Dans « Petite Poucette » (10), Michel Serres, lui-même professeur dans l’enseignement supérieur, évoque brillamment le changement qu’internet a introduit dans le comportement des étudiants. Les mentalités ont changé. « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà partout sur la toile, disponible, objectivé … Le transmettre à tous ? Voilà, c’est fait ! » (p 19). Cette mutation interpelle les rapports sociaux traditionnels. Mais elle entraîne également un changement profond dans les usages du savoir. « Libéré des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes musicales de sa voix » (p 52). Le « collectif » laisse sa place au « connectif » (p 65). Le nouveau mode d’accès à la connaissance s’accompagne d’une transformation de notre maniement de celle-ci. « Entre nos mains, la boite ordi contient et fait fonctionner ce que nous appelions jadis nos facultés. Que reste-t-il ? L’intuition novatrice et vivace. Tombé dans la boite, l’apprentissage laisse la joie d’inventer » (p 28).

Ainsi, si les pratiques traditionnelles résistent encore, elles ont perdu leur emprise. Pendant des décennies, le changement en éducation a dépendu de la mise en oeuvre d’un idéal, d’une compréhension, et puis, dans la seconde moitié du XXè siècle, de la montée progressive d’aspirations nouvelles fondées sur l’apparition et le développement d’un nouveau genre de vie. Nous avons participé aux actions engagées pour modifier le cours de l’enseignement et de l’éducation. Mais l’innovation se heurtait aux pesanteurs des structures et des comportements. Et les données toutes récentes rassemblées par Yann Algan dans son livre : « La fabrique de la défiance »  montrent combien l’immobilisme a longtemps prévalu. Et bien, aujourd’hui, le développement d’internet et des nouveaux modes de communication a changé la donne. Quelque soient les obstacles systémiques ou les résistances culturelles, la transformation a commencé et le mouvement est irréversible. Cette évolution est internationale.Nous sommes engagés dans une révolution de l’éducation. Un nouveau paradigme est en voie de se manifester. Nous nous dirigeons vers une offre permettant la personnalisation de l’éducation et son accompagnement tout au long de la vie. La transmission des savoirs par internet est une composante essentielle de cette évolution qui implique par ailleurs le développement de la vie relationnelle et de la convivialité. Et, certes, là comme ailleurs, le changement est dans durée, mais nous savons quel est le sens de cette transformation.

En écoutant Oussama Ammar nous décrire les innovations en cours dans le sillage d’internet, nous éprouvions une forme d’émerveillement en prenant conscience de la puissance du mouvement en cours et de l’horizon qui s’ouvre aujourd’hui à nous. Dans ce temps de crise où les périls abondent, nous voyons là une ouverture parmi d’autres. Ce phénomène nous apparaît comme une émergence. Nous entendons à ce sujet la parole du théologien Jürgen Moltmann lorsqu’il écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est la collaboration et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (15). Nous voyons là un principe qui éclaire notre regard, induit notre discernement et motive notre action.

Aujourd’hui, un avenir se construit sous nos yeux.

J H

(1)            Sur le chemin de l’école : Film documentaire de Pascal Plisson. Voir la présentation sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1556

(2)            On trouvera une abondante documentation et réflexion sur les mouvements d’éducation nouvelle et les innovations mises en oeuvre dans les décennies 60 et 70 dans la revue Education et Développement parue de 1964 à 1980. Voir le livre : Une revue en perspective : Education et développement. Textes présenté par Louis Raillon et Jean Hassenforder. L’Harmattan, 1998 (Série références).

(3)            Mendras (Henri). La Seconde Révolution Française 1965-1984. Paris, Gallimard, 1988 (actuellement en poche : folio).

(4)            Hassenforder (Jean). Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXè siècle (1850-1914). Paris, Cercle de la Librairie, 1967. Edition numérique en ligne : http://barthes.enssib.fr/travaux/Caraco-Hassenforder-dvpt-compare-bib-publiques.pdf

(5)            Hassenforder (Jean), Lefort (Geneviève). Une nouvelle manière d’enseigner. Pédagogie et documentation. Les cahiers de l’enfance, 1977 (Collection éducation et développement).

(6)            Hassenforder (Jean). L’innovation dans l’enseignement. Un avenir qui se construit sous nos yeux. Casterman, 1972 (poche).

(7)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Voir une mise en perspective sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(8)            Cercle de recherche et d’action pédagogique : Un mouvement d’enseignants qui œuvre pour une éducation nouvelle et un changement dans l’école et la société depuis plusieurs décennies notamment à travers la publication d’une revue : Les Cahiers pédagogiques. Site : http://www.cahiers-pedagogiques.com/ Sur ce blog, la recherche pédagogique de Britt-Mari Barth : « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(9)            Site de Ken Robinson en français : http://www.kenrobinson.fr/ On trouve sur ce site des liens avec les différentes vidéos des interventions de Ken  Robinson, notamment celle de 2010 sur le paradigme en éducation présentant un commentaire interactif  avec une illustration (RSA animate) et un sous-titrage en français. http://www.kenrobinson.fr/voir/ Cette vidéo est présentée par ailleurs en français : Créa. Apprendre la vie : Du paradigme de l’éducation (en regrettant cependant l’absence de la mention d’origine) : http://www.youtube.com/watch?v=e1LRrVYb8IE

(10)      Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes). Mise en perspective sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître » : https://vivreetesperer.com/?p=820

(11)      The family. Oussama Ammar. « Les barbares attaquent l’éducation » : http://www.youtube.com/watch?v=FoOAEIoJrjc

(12)      Edx. Take great courses of the world’s best universities. https://www.edx.org/

(13)      Coursera. Education for everyone : http://www.youtube.com/user/courses

(14)      TED : http://www.ted.com/ Histoire et situation actuelle de TED sur wikipedia anglophone : http://en.wikipedia.org/wiki/TED_(conference)

(15)      Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 (citation p 25). Voir sur ce blog : « Dieu suscite la communion » : https://vivreetesperer.com/?p=564

Pour une société collaborative

 

Un avenir pour l’humanité  dans l’inspiration de l’Esprit.

#Pippa Soundy est une amie anglaise qui, au long des années, a effectué un parcours spirituel qu’elle poursuit actuellement comme pasteure-prêtre dans l’Eglise anglicane, constamment en recherche des émergences positives. Pippa a pris connaissance du livre de Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot : « Vive la Co-révolution. Pour une société collaborative », en lisant, sur ce blog, la présentation de cet ouvrage (1). Dans une dimension internationale, elle en perçoit toute l’originalité. Pour elle, cette perspective prend tout son sens dans la vision d’un Dieu lui-même communion. Elle répond ici à quelques questions.

#Pippa, peux-tu nous décrire brièvement ton parcours ?

#J’ai été une enfant studieuse et c’est au cours de mes années d’études à l’université d’Oxford que j’ai connu le Christ comme personne vivante. Depuis lors, j’ai été membre de plusieurs églises et cela fait six ans que j’exerce un ministère. Au départ, je considérais l’Église comme la « société alternative » inaugurée par Jésus, un peu à part de la société en général. Mais ces dernières années, je suis devenue plus consciente que l’Esprit de Dieu agit à travers toutes sortes de personnes et d’institutions et, aujourd’hui, je me considère moins comme ‘leader d’église’ que comme facilitateur de communauté et je pense que le partenariat est la clé d’une transformation de la société.

#Pourquoi t’intéresses-tu particulièrement aujourd’hui aux changements culturels et aux innovations sociales ?

#Le monde change plus vite aujourd’hui qu’à tout autre moment de l’histoire de l’humanité et la culture change aussi, à la fois au niveau mondial et local. Il est urgent que nous trouvions des solutions innovantes et créatives aux problèmes rencontrés sur toute la planète et cela m’intéresse de réfléchir à la façon dont nous, chrétiens, permettons à notre relation avec Dieu de donner forme à notre engagement dans ce processus de changement. Je pense que c’est un « impératif évangélique » et je suis donc partie prenante pour tenter « d’éveiller » l’Église aux mouvements de changement culturel et d’innovation sociale. En termes de mission, nous vivons un moment extrêmement favorable.

#Tu connais bien aujourd’hui la littérature internationale. Ce livre : « Pour une société collaborative » te paraît apporter une contribution originale. En quoi ?

#Je pense que ce qui met ce livre à part, c’est la reconnaissance d’une science intuitive et communautaire – « soyons davantage en prise avec notre cœur ». Cela va au-delà de l’utilitarisme et suggère l’émergence d’un « sens du bien commun » qui transcende l’individualisme et la compétition. La plupart des ouvrages séculiers que j’ai lus présument que nous ne pourrons jamais sortir de nos tendances individualistes et donc que toutes les solutions devront en fin de compte faire appel à notre désir de gain personnel, laissant beaucoup moins d’espoir pour une vraie collaboration.

#Quelle avancée vois-tu dans le mouvement vers une société collaborative ?

#Je le vois d’abord dans l’attitude de la génération montante. J’observe que les jeunes qui grandissent dans ce monde émergent attachent de l’importance à l’amitié au-delà des frontières nationales, raciales, religieuses et économiques, et cette amitié est facilitée par les média sociaux. Il en ressort que tandis que ma génération d’Occidentaux cherchait « comment puis-je améliorer ma vie », la génération montante semble comprendre que la façon d’améliorer notre propre vie est de chercher à améliorer celle des autres. Peut-être cette prise de conscience augmente-t-elle du fait que nous acceptons que notre être-même a besoin des autres. Un article récent du Huffington Post était intitulé « Comment améliorer votre vie (Petit tuyau : Cela commence par améliorer la vie des autres » (http://huff.to/1fSfsn5).

La révolution de l’information nous met davantage au courant des problèmes du monde qu’auparavant (spécialement les problèmes de justice). La popularité des campagnes internationales lancées sur la toile par des mouvements comme Avaaz (http://avaaz.org) montrent que les gens ne sont pas indifférents à la souffrance des autres, mais ont une approche instinctive de la façon dont le monde pourrait et devrait marcher, dans une optique de collaboration. On pense de plus en plus qu’il est important de faire preuve « d’intelligence du cœur » autant que « d’intelligence de la raison », même si je ne suis pas sûre que notre système éducatif ait encore pris ce tournant.

De la même façon, les mouvements concernant l’environnement, qui ont été tant marginalisés au XXe siècle, prennent de l’importance sur le terrain, même si nos leaders politiques continuent à se battre sur les accords internationaux. Certains de ces mouvements proposent avec succès une collaboration directe – ainsi l’Alliance Pachamama (http://www.pachamama.org) qui a commencé avec comme objectif les forêts primaires d’Amazonie et tente d’aider les gens à comprendre l’interconnexion de la vie sur notre planète et à prendre des mesures concrètes pour le changement.

Nous observons aussi l’effondrement des hiérarchies intellectuelles. Les gens n’ont plus peur des « experts » et l’expertise concerne de plus en plus l’expérience plus que le savoir. Cela fournit une excellente base pour la collaboration, avec des échanges qui s’opèrent sur un fond de connaissances communes et porteurs d’idées créatives plus que d’information pure. Au niveau universitaire, l’école Martin à Oxford (http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk) met en oeuvre une approche interdisciplinaire pour essayer de s’attaquer aux problèmes les plus importants de ce XXIe siècle, dans l’espoir d’une fertilisation croisée des idées, d’une collaboration concernant des scientifiques de haut niveau, mais aussi le grand public. On y fait l’hypothèse que chacun peut apporter une contribution valable au débat, quel que soit son niveau de formation.

Si l’on considère la société du Royaume uni aujourd’hui, la crise économique (avec la réduction significative des budgets publics) entraîne une meilleure collaboration entre les secteurs salariés et bénévoles et des partenariats sans précédents, par exemple entre les pouvoirs locaux (les institutions locales) et les églises. Nous le voyons dans la création de toutes sortes de services communautaires, y compris l’éducation, les bibliothèques, les refuges pour les sans abris et les banques alimentaires et, à l’occasion de toutes ces opportunités nouvelles, les églises et différents groupes de fidèles commencent à collaborer comme jamais ils ne l’avaient fait.

#Pour toi, comment cette perspective fait-elle écho à ta manière de te représenter Dieu et son œuvre ?

#h bien, à partir de mes 33 ans d’expérience comme chrétienne et spécialement de mon étude de la Trinité ces dernières années, j’ai compris que Dieu était une relation d’amour mutuel et que les êtres humains avaient le privilège de participer à cet amour. Nous ne vivons à l’image de Dieu que si nous sommes en relation avec Dieu et les autres et nous sommes tellement faits pour la relation, la vie ensemble, que nous sommes incapables de refléter Dieu en étant des individus séparés. En d’autres termes, une société collaborative commence à refléter un Dieu qui est Collaboration dès avant le Commencement. J’ai montré le Dieu Trinité comme Celui qui prend soin, l’Incarné et l’Esprit co-créateur et notre collaboration à l’image de ce Dieu comprend le renouveau de notre pensée, de notre corps et de notre esprit dans l’aide que nous nous apportons mutuellement de tant de façons.

De même que la Trinité a exprimé son amour dans la Création, nous sommes aussi invités à participer ensemble au renouveau de notre environnement et, bien que nous puissions chacun faire quelque chose, la taille même de notre monde implique que nous travaillions ensemble de plus en plus. L’importance croissante des mouvements environnementaux témoigne du fait que nous et notre monde sommes sauvés ensemble. Le salut est un exercice de collaboration ! Depuis que l’Esprit du Christ a été répandu sur tous, une invitation a été lancée à tous de se joindre à l’œuvre divine de re-Création et je considère que ce mouvement de collaboration est une preuve de l’Esprit dans le monde d’aujourd’hui.

#Comme chrétienne, quelle inspiration reçois-tu en ce sens ?

#D’abord je reçois l’espérance. Au cœur de la bonne nouvelle du Christ il y a la restauration des relations et la fin du besoin de nous détruire mutuellement (ou notre monde) psychologiquement, économiquement ou corporellement. Lorsque je vois des gens qui vivent à l’image de Dieu dans une société collaborative, je me souviens que le Royaume de Dieu est là et que je n’ai pas à attendre la mort pour commencer à jouir de la Terre nouvelle que Jésus est venu inaugurer.

#Interview de Pippa Soundy

Traduction par Edith Bernard

 #(1) Sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». La société collaborative : un nouveau mode de vie »

https://vivreetesperer.com/?p=1394

Voir aussi le livre publié sous la direction de Carine Dartiguepeyrou : « La nouvelle avant-garde. Vers un changement de culture » où se manifeste un nouveau courant de pensée qui allie : sciences, arts et spiritualité. Sur le site de Témoins (sept. 2013) : « Emergence d’une vision du monde « évolutionnaire ». Un changement de culture au Club de Budapest » http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1029&catid=4

Sur ce blog, on pourra lire aussi : « Une vision de la liberté » : https://vivreetesperer.com/?p=1343

La vision mobilisatrice de Martin Luther King : « I have a dream »

Un parcours : 1963-2013

Des figures, des évènements issus du passé, éclairent encore notre présent. Des noms comme ceux de Gandhi ou de Martin Luther King sont associés à de grands mouvements de libération pacifique et s’inscrivent dans la mémoire des hommes épris de justice.

Ainsi, la proclamation : « I have a dream », « Je fais un rêve », point d’orgue du discours de Martin Luther King dans la grande manifestation qui rassembla à Washington en 1963 des centaines de milliers d’américains en lutte pour les droits civiques des noirs (1) , est aujourd’hui encore un appel qui résonne dans les consciences.

Cet événement vient d’être commémoré le 28 août 2013, cinquante ans après. On peut se remémorer aujourd’hui cet événement fondateur. Une foule immense, des noirs, mais aussi des blancs, est rassemblée dans cette lutte pour l’égalité raciale. Au pied du monument commémorant le grand président américain, Abraham Lincoln, qui, cent ans plus tôt, avait libéré les noirs de l’esclavage, Martin Luther King commence son discours au moment où s’achève le chant qui magnifie la lutte non violente et persévérante de tout un peuple : « We shall overcome ». Ainsi, tous ceux pour qui les « negro sprirituals » expriment la communion d’un peuple, la foi en l’action divine et une espérance irrépressible, se reconnaissent dans cette manifestation et dans ce discours qui se termine par les paroles d’un chant bien connu : « Free at last » : « Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout puissant, merci, nous sommes enfin libres ! ».

Le plaidoyer de Martin Luther King s’enracine dans une histoire. C’est bien sûr la mémoire de la lutte du peuple afro-américain, mais c’est aussi le grande tradition de liberté des Etats-Unis. Car cette nation s’est construite dans un mouvement d’affirmation des droits fondamentaux face aux oppressions religieuses ou monarchiques du vieux continent. Et, au  XVIIIè siècle, elle a formalisé cette affirmation dans une Déclaration d’Indépendance et une Constitution. C’est à cette aspiration, à ce rêve américain que Martin Luther King fait appel lorsqu’il déclare : « Quand les architectes de notre république écrivirent les textes magnifiques de la Constitution et de la Déclaration d’Indépendance, ils signèrent un billet à l’ordre de chaque américain. C’était la promesse que chacun, oui les noirs autant que les blancs, serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté, à la recherche du bonheur ».

Ici, cette proclamation, qui précède celle qui va émerger lors de la Révolution Française sous la forme des droits de l’homme et du citoyen, rejoint  l’ inspiration prophétique, celle qui, dans la Bible, appelle et entraîne le peuple juif à sortir de l’oppression, des grands empires tyranniques et du mal qui le ronge de l’intérieur. « Let my people go ! » comme le proclame un negro spiritual ! Cette marche est éclairée par une espérance mobilisatrice, par la vision d’un monde nouveau fondé sur la justice.  Ainsi Martin Luther King reprend la dynamique du prophète Esaïe (Esaïe 40/4-5) lorsque celui-ci proclame : « Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne soit aplanie, que les endroits rudes soient transformés en plaines, que les endroits tortueux soient redressés, que la gloire du Seigneur soit révélée et que tous les vivants le voient tous ensemble ».

Ici donc, on ne se résigne pas à « la vallée de larmes ». On ne se berce pas dans une échappée des âmes. On regarde en avant à l’appel d’un Dieu qui suscite et inscrit dans l’histoire des images mobilisatrices à réaliser dans un processus de libération et de construction. Tout est mouvement. Et le mouvement se prouve en marchant. De moment en moment, jusqu’à la victoire finale où apparaîtra « un nouveau ciel et une nouvelle terre » (Apocalypse 21/1), Dieu appelle les êtres humains à entrer dans sa justice, à se laisser conduire en conscience  dans l’édification d’une société plus humaine à l’aune d’un homme créé à l’image de Dieu et exprimé, à la perfection, par Jésus dans sa communion avec le Père Céleste, une préfiguration de ce qu’Il réalisera à la fin des temps.

Lorsque Martin Luther King achève son discours par sa grande invocation, « Je fais un rêve », cette invocation nous rejoint, nous émeut aujourd’hui encore. Le combat de Martin Luther King n’a pas été vain. Au cours des dernières décennies, les afro-américains ont conquis leur droit de cité aux Etats-Unis. A cet égard, l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a manifesté un grand changement (2). Avec d’autres personnalités engagées, Barack Obama est intervenu dans la commémoration du 28 août 2013 (3). Il a rappelé la portée incomparable de l’intervention de Martin Luther King qui « a offert le salut aux opprimés comme aux oppresseurs ». Parce ce qu’un grand nombre de gens ont participé à ce mouvement, il y a eu de grands progrès : « Parce qu’ils ont marché, des conseils municipaux ont changé, des parlements des états ont changé, le Congrès a changé, et, enfin de compte, la Maison Blanche a changé ». Mais il reste des pesanteurs. La transformation des mentalités s’opère lentement.  Il y a encore des injustices à combattre. Barack Obama a donc appelé à la vigilance : « Que ce soit pour lutter contre ceux qui érigent de nouvelles barrières au vote ou faire en sorte que la justice fonctionne de manière équitable pour tout le monde et ne soit pas simplement un tunnel entre écoles sous-financées et prisons surpeuplées, il faut de la vigilance ». Aujourd’hui, d’autres causes se font entendre et peuvent s’appuyer sur une inspiration analogue à celle qui a mis en mouvement Martin Luther King, un homme qui, s’inscrit aujourd’hui dans le « patrimoine de l’humanité » et, pour les chrétiens, fait partie de la « nuée de témoins » dont nous parle le Nouveau Testament (Hébreux 12/1). Sa voix s’adresse aujourd’hui encore à chacun de nous.

J.H.

(1)            Sur le site de Témoins (Novembre 2008) : « Réflexion sur le rêve américain de Martin Luther King » http://www.temoins.com/societe/reflexion-sur-le-r-ve-americain-de-martin-luther-king.html . Ecrit à la demande de l’association Agapé, la rédaction de ce texte avait été éclairée par la vidéo de la manifestation qui, à l’époque, était disponible sur le Web. Elle a pu s’appuyer sur une excellente étude disponible sur Wikipedia anglophone : « I have a dream » http://en.wikipedia.org/wiki/I_Have_a_Dream

(2)            Sur ce blog : « Obama,un homme de bonne volonté » https://vivreetesperer.com/?p=1000  et, sur le site de Témoins :« Le phénomène Obama : Un signe des temps » http://www.temoins.com/societe/le-phenomene-obama.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html

(3)            Sur le site : Le monde : « L’hommage d’Obama à Martin Luther King (texte accompagné de vidéos) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/08/28/cinquante-ans-apres-la-marche-sur-washington-obama-sur-les-traces-de-martin-luther-king_3467545_3222.html

Questions sur la bonne gouvernance

En passant par la Toscane au XIVème siècle

Les fresques d’Ambogio Lorenzetti sur le bon et le mauvais gouvernement

La Toscane est une province italienne dont on sait la beauté des paysages  et des œuvres d’art. Elle est jalonnée par des villes réputées : Florence, Sienne.  Des amis ayant récemment visité cette région, à leur retour, je leur ai demandé s’ils pouvaient nous communiquer des échos de cette beauté. Au cours d’une conversation  avec Etienne Augris, professeur d’histoire et géographie dans un lycée lorrain (1), j’ai découvert qu’il avait tout particulièrement apprécié une œuvre d’art qui se situe dans le « Palazzo Pubblico » de Sienne. Ce sont des fresques réalisées entre 1337 et 1340 par Ambrogio Lorenzetti pour représenter en allégories le bon et le mauvais gouvernement et, sur un registre réaliste, les effets qui s’en suivent (2).

#Si ces fresques sont considérées aujourd’hui comme un chef d’œuvre et commentées comme tel (3), leur sujet même nous paraît particulièrement original. Certes, il correspond aux questions qui se posaient dans des cités indépendantes  où le pouvoir émanait des notables, une situation qui ouvrait le champ des interrogations sur l’exercice de celui-ci. Dans un univers où les rivalités et les conflits abondaient, la paix et la guerre étaient étroitement liées aux décisions des dirigeants. Ainsi ces fresques mettent en évidence les effets du bon et du mauvais gouvernement . On peut se demander quel message ces figures artistiques peuvent nous apporter encore aujourd’hui. On se rappellera alors que le thème de la bonne gouvernance est toujours d’actualité. Des recherches récentes (4) ont montré que le développement économique des pays pauvres dépend largement de l’exercice du pouvoir politique.

 L’attention se portera ici sur les caractéristiques de la bonne gouvernance telle qu’elle nous est représentée par ces fresques. Qu’est-ce que les gens de cette époque ont à nous dire sur les valeurs, les attitudes et les comportements qui fondent une bonne gouvernance ? Comme historien, mais aussi comme citoyen, Etienne Augris  nous donne quelques pistes pour comprendre le message de ces fresques.

Rencontre avec les fresques d’Ambrogio Lorenzetti

Ressenti et réflexion d’un historien 

Interview d’Etienne Augris

Etienne, qu’as tu apprécié durant ton voyage en Toscane ?

J’ai apprécié une certaine douceur de vivre, une sérénité qu’on ressent notamment à la vue des paysages.  Et par ailleurs, je suis très sensible à la richesse historique et patrimoniale de cette région, en particulier dans les villes. Dans certaines villes, on a même l’impression que le temps s’est arrêté. Pour moi qui suis historien, j’apprécie le sentiment d’une présence du passé, aujourd’hui.

Pourquoi et en quoi, les fresques de Lorenzetti à Sienne t’ont-elles particulièrement impressionné ?

Ce qui frappe en premier, c’est la beauté de ces fresques dans le contexte même de leur création, un lieu très important puisqu’il était le siège d’un des principaux pouvoirs de la ville. Avant toute chose, ce qui a accroché mon regard, c’est la couleur, et, en particulier, la couleur bleue. Ce qui m’a plu aussi, c’est la dimension historique. C’est un véritable document.

Quelles sont les principales caractéristiques de ces fresques ?

Les fresques sont particulièrement répandues en Italie et le mot : fresque est lui-même issu de l’italien : « fresco ». Ces fresques sont une commande publique passée par les autorités de la ville à un artiste réputé : Ambrogio Lorenzetti. Et cet artiste est lui-même un citoyen engagé au service de la république. Ne disposant pas du contrat, on ne sait pas dans quelle mesure Lorenzetti était entièrement libre dans sa représentation. Ces fresques couvrent trois des quatre côtés d’une grande salle. Cette salle accueillait la réunion du conseil des 9, des notables désignés temporairement pour diriger la ville dans la première moitié du XIVème siècle.

Peux-tu nous décrire ces fresques telles que tu les vois ?

#Ces fresques s’étendent sur trois murs.

#Lorsqu’on rentre dans la salle, on voit d’abord l’allégorie et les effets du mauvais gouvernement. Sur ce mur, le personnage principal est une sorte de diable qui incarne la tyrannie. Il est entouré par la représentation de nombreux vices. Ces vices évoquent des travers sociaux et politiques plutôt que des péchés individuels : l’orgueil, l’avarice, la vanité. Au pied de la tyrannie, se trouve la justice ligotée. On retrouve ce thème omniprésent de la justice dans les autres fresques. Elle figure dans les inscriptions qui accompagnent les personnages, soit pour regretter son absence, soit pour louer sa présence, son règne. On voit également sur ce mur les effets du mauvais gouvernement dans une ville et une campagne entièrement dévastées sur lesquelles règne la peur.

Lorsqu’on poursuit dans le sens de la lecture, on trouve ensuite l’allégorie du bon gouvernement.

Et on commence par la représentation de la justice sur un trône. Elle est inspirée par un petit personnage au dessus de sa tête qui symbolise la sagesse. Chacune de ses mains tient les plateaux d’une balance. La justice punit. La justice rétribue.

En dessous de la justice, se trouve la concorde. Elle rassemble les fils qui viennent de la justice pour former une seule corde qui est transmise à la procession des notables qui représentent les habitants de Sienne, unis par ce lien de la concorde.

Cette corde remonte ensuite vers un personnage majestueux, aux couleurs de la ville et qui représente le bien commun. Ce fil est attaché à son poignet. Ce personnage est entouré de nombreuses allégories qui représentent des vertus. Il y a de nouveau la justice.  Et puis, il y a la paix : une femme semi allongée qui a l’air très sereine. Elle est au centre du mur, une de celles qui attirent le plus le regard par sa clarté et son rayonnement.  Au dessus de la tête du bien commun, il y a les trois vertus théologales : foi, charité, espérance. C’est une des seules références religieuses directes dans cette fresque. Parmi les vertus, il y a des vertus actives et des vertus passives. Et elles sont placées en alternance, par exemple : justice et tempérance.. C’est sur ce mur que figure la signature de Lorenzetti.

#Le troisième mur qui fait face à celui évoquant le mauvais gouvernement représente les effets du bon gouvernement comme en miroir. On y représente la ville de Sienne identifiée par la présence de la cathédrale et de symboles de la ville. La campagne environnante est également représentée. Sur cet espace, la ville et la campagne, règne l’allégorie de la sécurité qui permet une vie quotidienne paisible, animée et ponctuée de réjouissances : mariage, danses. C’est une ville dont la construction se poursuit. La campagne est pleine de richesses. Le paysage qui est décrit ressemble beaucoup au paysage actuel de la Toscane caractérisée par des collines où on cultive des céréales, la vigne et les oliviers.

Dans cette salle, Lorenzetti fait appel aux représentations de son époque. Mais il est un des seuls à en rassembler autant dans un tel agencement. Sur ces murs, on a à la fois des allégories et des représentations réalistes.

#Cette œuvre nous parle de gouvernance. Quel message cette œuvre envoie aux gens de cette époque ?

C’est un message destiné à ceux là même qui siègent dans la salle et plus généralement à la ville de Sienne et à sa population. La ville et la campagne qui subissent la tyrannie ne sont pas des espaces étrangers, mais pourraient eux-mêmes être la ville de Sienne et ses environs.  C’est donc un rappel permanent des risques qui guettent la cité. Le régime qui est mis en avant, est clairement républicain par opposition à la tyrannie. Mais cette république était comprise au sens de l’époque et non comme une démocratie au sens moderne du mot.  Rappelons que tous les habitants de la ville ne participent pas à la désignation des dirigeants réservée à une élite fortunée.

Cette république met en avant des principes et non des intérêts  individuels. Dans cette république, on craint la personnalisation du pouvoir. Les membres du Conseil des 9 eux-mêmes ne sont désignés que pour deux mois. Le fil conducteur de cette fresque, c’est la justice qui est représentée, à plusieurs reprises, et qui apparaît comme l’élément indispensable d’une bonne gouvernance. La concorde elle-même puise sa source dans la justice et permet aux citoyens de cette république de travailler ensemble pour le bien commun. Parce qu’il y a la justice et aussi la concorde, les intérêts individuels sont compatibles avec le bien commun.

Cette fresque est également complexe. Pour moi, elle témoigne de la complexité du gouvernement de cette république et de la fragilité de ses équilibres. Dans la réalité historique, on sait que les périodes de paix ont souvent été éphémères.  Quelques années après la réalisation de ces fresques, une nouvelle période de troubles politiques, de guerres, d’épidémies, s’est ouverte. Le gouvernement des 9 lui-même a disparu et a laissé place à une nouvelle forme de gouvernement. Si la situation est aussi fragile, c’est parce que les pouvoirs sont multiples. Ainsi, et à côté du pouvoir qui était exercé par le Conseil des 9, il y avait aussi le pouvoir de l’évêque et celui du représentant de l’empereur. L’équilibre était fragile, et, à cette époque, les rapports de force changeaient régulièrement.

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Qu’est ce que ce message peut nous apprendre aujourd’hui encore ?

La question de la gouvernance tourne aujourd’hui autour de l’idée de la démocratie et de son exercice. Ces fresques nous apprennent que le bon gouvernement est une réalité fragile qui peut être menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le problème ne vient pas en premier des ennemis extérieurs, mais des faiblesses internes.

La démocratie n’est pas nécessairement établie pour toujours, mais c’est un processus permanent et jamais achevé. La question de la justice est centrale. Elle conditionne l’adhésion des citoyens à cette démocratie. Un citoyen qui constate l’injustice dans un régime dit démocratique n’aura sans doute pas la volonté de s’engager en faveur de la démocratie.

         Dans la fresque, on commence par voir la situation qu’on ne veut pas pour arriver à celle qu’on souhaite. Et on propose effectivement un ensemble de principes positifs et aussi un état d’esprit.

         Les questions, que se posaient les habitants de Sienne autrefois, se posent aussi à nous aujourd’hui. Comment passer d’une indignation face à l’injustice et à la tyrannie à la mise en avant de principes et d’un état d’esprit permettant une bonne gouvernance ?

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Contribution d’Etienne Augris.

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Notes 

(1) Professeur d’histoire et géographie, Etienne Augris a créé un   blog concernant l’enseignement de ces disciplines : histoire-géographie terminales….. http://histoire-geo-remiremont.blogspot.fr/

(2) Sur wikipedia, « les effets du bon et du mauvais gouvernement » https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Effets_du_bon_et_du_mauvais_gouvernement  « The allegory of good and bad government » http://en.wikipedia.org/wiki/The_Allegory_of_Good_and_Bad_Government.  On trouvera des photos des fresques d’Ambrogio Lorenzetti sur la « Web gallery of art » : « Frescoes of the good and bad government »  http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/l/lorenzet/ambrogio/governme/index.html; Cette galerie apporte des ressources considérables en reproductions d’œuvres d’art. C’est la source des quelques photos illustrant cet article (parmi un ensemble de 19 auquel on pourra se reporter)

(3) Ces fresques sur le bon et le mauvais gouvernement sont remarquablement commentées en anglais dans une vidéo présentée sur YouTube parmi une série de productions réalisée par  « Smart history » en vue de développer l’éducation artistique. Les lecteurs pourront apprécier cette vidéo à laquelle nous donnons accès sur ce site. http://www.youtube.com/watch?v=jk3wNadYA7k

(4) Sur ce blog, voir : « Pour réformer la finance ». Dans cet article, James Featherby mentionne plusieurs livres qui mettent l’accent sur l’importance du rôle de l’état pour la promotion du bien commun . « Dans un livre intitulé : « Why nations fail » (Pourquoi des nations échouent), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent » https://vivreetesperer.com/?p=882

Une révolution de « l’être ensemble »

La société collaborative : un nouveau mode de vie.

 « Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative »

Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot

Dans  ces temps difficiles où tant de gens subissent les effets d’une crise économique et financière inégalée depuis plusieurs décennies et où l’Europe se débat dans un manque de vision et de détermination, les frustrations accumulées se traduisent en agressivité sociale. Pour certains, le pessimisme l’emporte et l’horizon paraît bouché. Et pourtant, on peut envisager la crise elle-même comme un temps passager correspondant à une période de profonde mutation. A cet égard, de Michel Serres  (1) à Jérémie Rifkin (2), plusieurs grands chercheurs nous aident à y voir plus clair. « Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible . Il faut inventer du nouveau », écrit Michel Serres en mettant en évidence les profondes transformations en cours. Ce sont des mouvements de grande amplitude. Car, si nous considérons les maux éprouvés par l’humanité dans son histoire, les souffrances endurées dans les siècles passés, des chemins nouveaux apparaissent aujourd’hui. Si les risques sont avérés, déclarés, ils peuvent aussi être affrontés. La crise elle-même induit des changements dans les mentalités. On prend conscience de la vanité de la consommation à outrance et des méfaits engendrés par un excès d’individualisme. De plus en plus de gens sont à la recherche d’un nouveau genre de vie.

Des chercheurs nous aident à percevoir les aspirations qui se font jour actuellement dans une évolution qui s’accomplit dans la durée. Ainsi, avec Jérémie Rifkin, nous percevons les progrès de l’empathie (3). Le changement dans les comportements est lié à une évolution de nos représentations. La vision nouvelle met en évidence l’importance de la relation, de l’interconnexion, de la prise en compte de la globalité, d’une approche holistique. Ces évolutions s’inscrivent dans la réalité socio-culturelle puisqu’on peut en percevoir l’apparition et le développement  dans de nouveaux courants comme « les créatifs culturels » (4) et une correspondance dans le domaine de la spiritualité comme le montre Frédéric Lenoir dans son livre : « La guérison du monde » (5). Ce changement de regard se manifeste dans tous les domaines. Ainsi la réflexion sociale et politique commence aujourd’hui à prendre en compte une vision nouvelle des relations humaines en terme de convivialité (6), au point qu’un « manifeste convivialiste » (7) vient d’être publié récemment.

« Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative »

Ce préliminaire nous a paru nécessaire pour présenter le livre récent intitulé : « Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative » (8).  En effet, cette pratique de la collaboration est bien une nouveauté sociale. Le précédent exposé nous a permis d’en montrer toute l’originalitéen regard d’une histoire longue, mais aussi dans un présent assombri par la crise économique et également marqué  par une défiance  largement répandue dans la société française (9). Et, en même temps, cette émergence d’une société collaborative s’inscrit dans une transformation des mentalités qui a progressé dans le temps et qui s’est accélérée au cours des deux dernières décennies, particulièrement dans les jeunes générations.

 Aujourd’hui, Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot (10), deux

auteurs qui sont à la fois des chercheurs et des acteurs dans ces nouvelles pratiques, peuvent dresser un bilan déjà impressionnant des réalisations en cours, et, dans le même temps, communiquer la vision qui inspire la société collaborative.

Parce que l’idéal de la collaboration se répand dans des registres différents de la vie sociale et économique, le champ de ce livre est très vaste : « Cet ouvrage décrypte le phénomène du partage collaboratif. Il valorise différents exemples et cas d’école et illustre l’impact profond de ces nouvelles pratiques sur nos organisations (groupes humains, associations, collectivités, entreprises etc). Au moment où l’émergence du web participatif facilite la mise en réseau et encourage la transparence des échanges, cette logique imprègne peu à peu notre façon de penser,d’agir, de consommer (mouvement de « consommation collaborative » qui nous incite à covoiturer, cotravailler, « louer citoyen », « couch surfer »-préter son canapé, etc), mais aussi d’entreprendre (dépasser la logique de compétition), de militer et de manager (recours à l’intelligence collective et au management participatif) » (page de couverture).

Ce livre est un excellent vecteur d’information.  Il nous fait connaître ces nouvelles pratiques dans des contextes très variés (11). Il renvoie aux sites correspondants si bien qu’on peut entrer dans le vécu de ces réalisations. Et, bien souvent, on s’émerveille lorsqu’on en perçoit la portée comme la créativité et l’ingéniosité qui ont permis leur mise en œuvre. Dans une interview en vidéo (12), Anne-Sophie Novel présente l’apport de ce livre plus particulièrement pour un public travaillant en entreprise, tout en présentant l’approche dans sa généralité. Nous- même, dans cette mise en perspective, nous voudrions mettre l’accent sur la vision de la société collaborative qui nous est présentée dans ce livre par Anne-Marie Novel et Stéphane Riot.

Quelle démarche ? Quelle approche ?

Les deux auteurs nous expliquent leur  démarche. Alors qu’ils travaillent tous les deux dans le même champ, Stéphane dans le développement durable, et Anne-Sophie comme économiste et actrice sur le web, un déclic a eu lieu en 2009 lorsque Anne-Sophie lit un article sur le site américain : « Worldchanging » dans lequel est évoqué le concept de « collaboration radicale ». « Anne-Sophie fait le lien : la consommation collaborative, l’économie du partage, la coopportunité, l’économie du nous, la néo-économie, l’économie humaine, l’économie servicielle, le capitalisme partagé, etc sont autant de nouveaux termes qui s’ajoutent progressivement aux notions déjà répandue d’économie circulaire, d’économie de fonctionnalité, d’économie coopérative, de convivialisme, d’économie sociale et solidaire… ces notions sont proches et elles reflètent les différentes facettes d’un seul et même phénomène que nous avons baptisé co-révolution » (p 20).

Aujourd’hui, effectivement, dans le contexte d’une conscience écologique grandissante, les attentes des consommateurs sont en train de changer. « Ainsi croyons nous en l’émergence d’une économie… protectrice de l’homme et de la nature, une économie de la connaissance relocalisée et relocalisante. Ce changement de paradigme est en cours et l’espérance peut désormais être exprimée dans un autre langage que celui de l’anticapitalisme… » « La bonne nouvelle, c’est que le temps est venu : la révolution en laquelle nous croyons est une révolution du cœur. Une révolution de « l’être ensemble » qui peut rendre hommage à la société conviviale imaginée dans les années 1970 par le père de la pensée écologiste : Ivan Illich. Nous possédons aujourd’hui les outils qui nous permettent de nous affranchir du « toujours plus » pour aller vers les vraies richesses » (p 22).

Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot déclinent ensuite les différents aspects de cette révolution : « Tous connectés avec une mentalité 2.0.  Tous concernés face aux enjeux du développement durable. Tous mobilisés, pour un autre possible. Tous reliés en mode « système D ». La corévolution sauvera le monde ». Cette introduction, en terme de manifeste,  met en scène des éclairages nouveaux. Et, par exemple, elle met en évidence, les changements de mentalité suscités par l’expansion du web participatif. Cette nouvelle façon d’être ainsi relié, « modifient en profondeur notre façon d’appréhender les autres et contribue à l’émergence d’une nouvelle façon de voir et d’être dans le monde ». Ainsi, « les liens que nous tissons par ce biais des technologies mobiles développent notre confiance envers les interlocuteurs avec lesquels nous échangeons régulièrement… ». « La révolution provoquée  par le « pair-à-pair » change nos relatons sociales, mais aussi nos modèles économiques, nos formes d’organisation et peut-être même notre paysage politique… » Les auteurs savent choisir des faits significatifs et s’appuient sur des penseurs qui ouvrent notre horizon.

 Quelle vision ?

La conclusion est, elle aussi, animée par un mouvement quasi-épique, qui s’appuie sur le innovations et les transformations en cours . « Au carrefour de la débrouille et de l’entraide, du « Do it yourself au « Do it with others », la consommation collaborative se situe à la croisée de l’économie domestique, solidaire et capitaliste , les modes d’échanges collaboratifs retricotent le lien social en insufflant à nos sociétés une forme de convivialité perdue dans nos sociétés occidentales en déclin.  Le « vivre-ensemble » et le « faire-société » n’ont jamais eu autant d’opportunités de s ‘exprimer à nouveau » (p 221).

Les auteurs sont bien conscients des obstacles et, par exemple, de la lenteur dans l’évolution de la perception officielle du monde. Mais rien  ne peut empêcher les émergences et les convergences. Un nouvel état d’esprit est en train d’apparaître. « Soyons plus à l’écoute de notre cœur, de notre biosphère, observons les additions et les contradictions de notre monde et améliorons, ensemble, tout ce qui peut servir l’Être et donc l’avenir de notre civilisation » (p 228).

Un nouvel horizon

Ce petit livre, accessible, convivial, enthousiasmant ouvre notre regard sur ce nouveau monde qui est entrain d’apparaître.

La conclusion est ouverte par une citation d’un chercheur américain : Charles Eisenstein. « La logique du cœur se réveille actuellement, nous incitant à rendre service aux autres. Cette évolution de la conscience qui inspire de belles choses est universelle et se réveille chez les gens de différentes manières.  L’amour, c’est l’expansion du moi pour inclure l’autre.  C’et une révolution d’un nouveau genre, il n’y a personne contre qui se battre » (p 220).

Pour nous, nous pouvons interpréter cette évolution dans les termes d’une œuvre de l’Esprit telle que Jürgen Moltmann l’exprime dans son livre : « Dieu dans la création. Traité écologique de la création » (13) : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber). 

Dans le puzzle de notre société, le livre d’Anne-Marie Novel et de Stéphane Riot, nous permet de découvrir une figure qui fait sens. Un nouveau mode de vie est en train d’émerger . Cette découverte est impressionnante. Elle suscite l’émerveillement. Et nous sommes en mouvement. Car, comme l’écrit Patrick Viveret, cité au début du livre : « Pour que progresse la qualité de conscience de l’humanité, il faut aussi que progresse sa qualité de confiance : un réseau pensant certes, mais aussi un réseau un peu plus… aimant ». Nous voici sur un chemin d’espérance.

J. H.

(1)            Serres (Michel). Temps des crises. Le Pommier, 2009. En sous-titre : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. il faut donc inventer du nouveau ».

(2)            Rifkin (Jérémie). La troisième Révolution Industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. Les Liens qui libèrent, 2012.  Mise en perspective sur ce blog : « Face à la crise,un avenir pour l’économie » https://vivreetesperer.com/?p=354

(3)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011.  Mise en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html  Sur ce blog : « La force de l’empathie » https://vivreetesperer.com/?p=137

(4)            « Voir : « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html

(5)            Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012 Mise en perspective sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance ». https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines » http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4  Une réflexion sur et pour le développement de la convivialité dans notre société : Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir.  La Découverte, 2011

(7)            Manifeste convivialiste. Sur le site : Reporterre : http://www.reporterre.net/spip.php?article4356

(8)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (manifestô)

(9)            Algan (Yann), Cahuc (Piere), Zylberberg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire. Les pistes ouvertes par Yann Algan » https://vivreetesperer.com/?p=1306

(10)      Anne-Sophie Novel est docteure en économie, journaliste et fondatrice du blog collectif : Ecoloinfo.com. Stéphane Riot, fondateur de Nova Terra est expert en accompagnement du changement par le facteur humain, conseiller en développement durable.

(11)      Le livre : « CO-révolution ! Pour une société collaborative » nous apporte une riche information sur les innovations actuelles  en nous permettant, à travers les liens correspondants, de nous informer plus avant. On pourra également consulter : Munier (Bénédicte). Un million de révolutions tranquilles. Travail/Argent/ Habitat/ Santé/ Environnement. Comment les citoyens changent le monde. Les Liens qui libèrent, 2012. Ce livre couvre les différents continents.

(12)      Interview de Anne-Sophie Novel auprès de l’Université Hommes-entreprises : http://universitehommesentreprises.com/cooperation/interview-danne-sophie-novel-co-auteur-de-vive-la-co-revolution

(13)            Moltmann  (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 . Citation p 25. La pensée théologique de Jürgen Moltmann  est présentée à l’intention d’un vaste public, sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/