par jean | Sep 2, 2022 | Vision et sens |
Bergson, notre contemporain. Selon Emmanuel Kessler
A une époque où les menaces abondent, mais où un mouvement profond, la conscience du vivant est en cours, de temps à autres, nous parviennent des échos de grands penseurs qui peuvent nous éclairer. Henri Bergson, un grand philosophe, célèbre à la « belle époque », puis dans l’entre deux guerres, nous a laissé une œuvre qui parle à notre temps. Dans ce premier XXe siècle, si marqué par de grands bouleversements dont la mémoire s’impose encore à nous, une pensée active a ouvert de nouvelles pistes. Déjà un dialogue s’esquissait au sein de la science et Albert Einstein et Henri Bergson se sont rencontrés. Nous avons rapporté la rencontre entre Henri Bergson et deux grands scientifiques visionnaires : Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski (1). En 2007, Bergson est l’auteur d’un livre si innovant qu’il rencontre un accueil retentissant : « L’évolution créatrice ». Ce titre résonne encore pour nous aujourd’hui lorsque nous sommes à la recherche d’une philosophie de la vie. Et, plus tard, dans l’entre-deux guerres, dans un livre : « Les deux sources de la morale et de la religion », Bergson expose une vision de la société qui reste aujourd’hui instructive. Ainsi, a-t-il mis l’accent sur la tension entre sociétés fermées et sociétés ouvertes. Et il affirme la valeur de la démocratie. Si célébrée fut la carrière de Bergson que sa renommée connut une éclipse après la seconde guerre mondiale dans un contexte social et intellectuel différent. Mais aujourd’hui, alors que l’on prend conscience des logiques destructives qui ont engendré la crise climatique, la pensée de Bergson paraît de nouveau attractive. Son œuvre est à nouveau reconnue et commentée. Philosophe, directeur adjoint de l’Ecole Normale Supérieure, président de la société des amis de Bergson, Philippe Worms (2) a dirigé la première édition critique du philosophe aux PUF (2007-2012). Cet intérêt renouvelé pour Bergson se confirme dans la récente publication du livre : « Bergson, notre contemporain » (3). L’auteur, Emmanuel Kessler est « normalien en philosophie, journaliste politique et économique », acteur dans certains medias. Ce livre est le fruit d’un cheminement. Au cours de ses études, l’auteur se dit avoir été « fasciné » par Bergson. Dans la maturité, le voici nous offrant une belle présentation du grand philosophe : « Bergson, philosophe de la conscience écologique au style incomparable, ardent défenseur de la démocratie, acteur politique majeur, penseur optimiste surtout, qui a su croire à la liberté et à l’action. Dans une langue accessible et vivante, Emmanuel Kessler nous livre le récit, biographique et philosophique de cette vie hors du commun, de cette pensée en mouvement, de cette richesse de fond et de forme, de cette « préparation à bien vivre » qui rendent Bergson éternellement contemporain » (page de couverture).
Pourquoi relire Bergson ?
Emmanuel Kessler vient nous expliquer pourquoi relire Bergson aujourd’hui. A une époque où les idéologies se bousculent et font du bruit, « n’y aurait-il pas un immense profit à retrouver toute l’actualité d’un penseur qui refusera toujours d’enfermer le monde dans lequel nous vivons, dans des catégories toutes faites, dans des « ismes » qui figent une réalité multiple et mouvante… « Je n’ai pas de système », a-t-il déclaré dans une de ses rares interviews… Un penseur qui ne prétend pas avoir réponse à tout, voilà une première raison de redécouvrir Bergson !
Dans un univers de plus en plus complexe nourri de contradictions et de tensions de plus en plus vives, les philosophes de la nuance (4)… méritent de retrouver leur retentissement. Bergson est dans l’histoire de la philosophie, le tout premier d’entre eux ! Un philosophe de l’incertitude et de l’ouverture » (p 14).
Autre indice de son actualité. « Bergson est avant tout un philosophe de la nouveauté. Sans doute, à son époque, la révolution industrielle bat son plein. Mais, aujourd’hui encore, avec la révolution du numérique, nous ressentons ce mouvement qui nous attire et nous inquiète. Avec Bergson, nous allons prendre conscience que le changement, ce n’est pas maintenant, c’est tout le temps ! Nous allons pouvoir le sentir comme une source créative. Je vais donc vous emmener dans les pages qui suivent à la découverte du philosophe de la durée, c’est à dire de ce qui change à chaque instant » (p 14-15). Alors qu’à première vue, la philosophie, depuis Platon, cherche les permanences solides au delà des apparences trompeuses, bref ce qui demeure dans ce qui change, les idées éternelles, Bergson, lui renverse la table : le vrai, c’est justement ce qui change. Il a transformé la philosophie en préférant le nouveau à l’éternité. Ce qui mérite toute notre attention n’est pas ce qui est figé, mais ce qui nait, car c’est ce qui vit… Essayons d’appréhender, d’accompagner et d’enclencher à notre échelle humaine, et selon sa formule « la création continue d’imprévisibles nouveautés qui semblent se poursuivre dans l’univers » (p 15).
Emmanuel Kessler s’arrête sur le mot d’imprévisible (5). « C’est le mot qui nous parle le plus en ce moment ». Bergson est, comme personne avant lui, le philosophe de l’imprévisible » (p 16). Cette démarche correspond à la perception de l’auteur. « Que, pour le pire parfois, mais aussi pour le meilleur, jamais le monde ne se déroule selon « des lois mathématiques ». Un enchainement totalement nécessaire… Voici le cœur de la philosophie bergsonienne. Quoiqu’il arrive, rien ne se passe comme prévu. Le déterminisme n’existe pas. « L’avenir est réellement ouvert, imprévisible, indéterminé » (p 18).
La vie d’Henri Bergson
Bien qu’Henri Bergson se soit refusé à une exposition biographique, alléguant que sa pensée ne devait pas être confondue avec sa vie, Emmanuel Kessler nous présente ici les étapes et les facettes de la vie d’Henri Bergson. Ce fut une vie exceptionnelle : « l’itinéraire d’un enfant d’une modeste famille juive immigrée qui devient à moins de quarante ans le plus célèbre des philosophes de son temps, qui obtient au cours de sa carrière tous les honneurs et toutes les distinctions de la République » (p 20).
Bergson vient au monde le 18 octobre 1859 dans une famille juive immigrée dont il est le deuxième enfant. Dans ses études secondaires, il se révèle exceptionnellement doué. Il opte pour la préparation du concours d’entrée à Normale lettres alors qu’il est également doué en mathématiques et en sciences. Ce choix est décisif et révélateur. C’est le choix de la philosophie. Emmanuel Kessler commente ainsi : « Il pressent qu’il y a au-delà de la science mathématique qu’il voit régner en maitre, une connaissance plus complète encore » (p 27). En 1878, Bergson entre à l’Ecole Normale Supérieure dans la même promotion que Jaurès (6). Il entre ensuite dans une carrière d’enseignant dans le secondaire, d’abord en province. Un tournant majeur intervient en 1889. C’est la soutenance de deux thèses à la Sorbonne dont Emmanuel Kessler distingue le caractère révolutionnaire. EN 1892, Henri Bergson se marie. Il va mener à Paris une existence bourgeoise qui lui permet de se concentrer sur son activité philosophique.
En 1900, il est nommé à titre définitif au prestigieux Collège de France. Il y rencontre un grand succès et sa renommée s’étend. « Les années Collège de France qui se poursuivent jusqu’en 1914 sont marquées par un phénomène totalement inédit dans l’histoire de la philosophie. Le succès de son cours vaut à Bergson un engouement et une renommée considérable » (p 53), une renommée non seulement française, mais internationale. « La réputation de Bergson s’étend au delà de la France. Le phénomène est mondial. Jusqu’à la consécration du prix Nobel qu’il reçoit en 1928 et qui fait de lui un des français les plus connus du monde » (p 59). L’auteur met l’accent sur un atout de Bergson. « Il parle la langue de tout le monde ». « Une raison de fond a contribué à ce que sa philosophie se répande avec une telle ampleur… C’est son style » (p 61).
En 2007, paraît un livre fondateur de la pensée de Bergson : « L’évolution créatrice ». « L’objet de « L’évolution créatrice » – titre qui porte en lui-même une ouverture et une marche en avant – consiste précisément à appliquer à la vie en général, celle des espèces dont l’homme bien sûr, ce qu’il avait mis à jour en explorant la vie psychique : la durée qui « signifie à la fois continuité indivisée et création » (p 68). Tout n’est pas écrit et déployé à l’avance. « L’évolution répond à un mouvement dynamique et ouvert. Bergson va le nommer en utilisant un image : « l’élan vital » (p 69).
En 1914, un cataclysme intervient : la grande guerre. Henri Bergson prend parti pour son pays dan un élan patriotique que l’on peut juger excessif. Il ira en ambassade aux États-Unis susciter leur intervention militaire dans le conflit. Plus tard dans une perspective plus universaliste, il participera à la Société des Nations.
Dans l’entre-deux guerres, de nouvelles menaces apparaissent. C’est alors qu’Henri Bergson publie en 1932 une œuvre majeure : « les deux sources de la morale et de la religion ». « Bergson n’est plus ici le psychologue qui explore en notre moi intime les « données » de la conscience. Il se mue en sociologue, pour poser un diagnostic sombre sur l’état de notre civilisation et nous proposer un remède à ses maux » (p 149). « Il ne s’agit plus d’introspection, mais de politique ». Bergson dégage deux sources, deux directions, deux attitudes opposées capables d’orienter les comportements humains : la clôture et l’ouverture. On peut observer cette direction à la fois dans la société et dans la morale. Il y a des sociétés closes et des sociétés ouvertes. Et de même, il y a une religion statique et une religion dynamique. « Le texte des « Deux sources » nous met d’emblée face aux ambiguïtés les plus profondes du fait religieux » (p 155). Sur le plan politique, « il existe un régime qui répond à l’aspiration à l’ouverture. C’est la démocratie » (p 158).
A partir de 1925, Bergson est atteint de rhumatismes articulaires qui l’empêchent de se déplacer. Il continue à beaucoup travailler et séjourne à Paris. Tenté par le catholicisme à une époque où il sent monter l’antisémitisme, il reste dans le judaïsme, ayant vécu toute sa vie sans affinité avec celui-ci et hors de toute pratique. Il a pu ressentir la persécution du régime de Vichy juste avant de mourir en janvier 1941.
L’évolution créatrice
« L’Évolution créatrice », paru en 1907, a présenté une nouvelle vision. Il prend en compte les théories de l’évolution de Darwin et de Spencer. « Bergson intègre cette avancée scientifique, mais il ne s’en satisfait pas… Car on ne peut faire comme si tout était écrit et déployé d’avance » (p 68). « Pour être créatrice et traduire le fait que l’on retrouve dans la nature la durée qui a été mise à jour dans la conscience, l’évolution va répondre à un mouvement dynamique et ouvert… Bergson va le nommer en utilisant une image « l’élan vital… c’st une force, un courant qui porte la vie en général à travers le temps, la développe et l’enrichit… La réalité est « jaillissement ininterrompu de nouveautés dont chacune n’a pas plutôt surgi pour faire le présent qu’elle a déjà reculé dans le passé… Cet élan est l’« impulsion initiale » qui donne à la vie son évolution et permet de dire que « l’univers n’est pas fait, mais se fait sans cesse ». L’élan vital apparaît comme une « poussée intérieure » qui crée des formes nouvelles à chaque instant » (p 69). « Le monde devient ainsi « une création continuelle et continuée » (p 70). Mais comment envisage-t-il Dieu ? « Si la création est un événement qui s’est produit une fois pour toute à l’origine des temps, Bergson est bien anti-créationniste », explique un de ses meilleurs commentateurs, Vladimir Jankélévitch. Mais, poursuit-il, « il est créationniste et plus que créationniste, si il est vrai que la continuation elle-même est pour lui création, création continuelle et temporelle » (p 70). « Bergson nous propose une évolution créatrice qui commence en continuant » (p 70). C’est une vision dynamique. Mais Bergson a bien conscience des obstacles. « Dans cette période de changement, il nous invite à accorder aux transitions, c’est à dire aux mouvements, autant d’attention, sinon plus, qu’aux états figés » (p 73). Et il envisage les résistances : « L’évolution n’est pas seulement un mouvement en avant ; dans beaucoup de cas, on observe un piétinement sur place, et plus souvent encore une déviation ou un retour en arrière » (p 75).
Les deux sources de la morale et de la religion
Paru en 1932, le livre : « Les deux sources de la morale et de la religion » intervient dans une civilisation en crise. La guerre de 1914-1918 est passée par là. Et les menaces totalitaires sont désormais puissantes en Europe. Henri Bergson aborde la question en mettant en évidence deux attitudes opposées : clôture et ouverture. « Clôture et ouverture s’affrontent dans trois domaines : la société, la morale, la religion » (p 150). Emmanuel Kessler nous montre combien cette tension : « clôture- ouverture » est présente dans notre société aujourd’hui. Et cette même dualité se retrouve dans la morale.
« La morale close qui fédère les membres d’une société sert d’alibi à toutes les turpitudes… Face à cette morale close, se dresse une morale… ouverte. Comme une voix qui surgit de la conscience… La morale ouverte et qui vaut pour tous, dépasse le particulier pour atteindre l’universel » (p 154). « La lecture des « Deux sources » nous met d’emblée face aux ambiguïtés les plus profondes du fait religieux telles que nous les vivons encore aujourd’hui. Henri Bergson oppose cette fois la religion « statique » à la religion « dynamique » (p 155). Bergson souligne le rôle éminemment social de la religion. Il porte attention au christianisme « qui a porté plus haut, selon lui, l’aspiration morale à l’amour de l’humanité (p 157). Dans le même esprit, Bergson étudie également le fait politique. Et, selon lui, la forme de régime politique qui répond à l’aspiration à l’ouverture, c’est la démocratie. « De toutes les conceptions politiques, c’est en effet… la seule qui transcende, en intention au moins, les conditions de la « société close ». Elle attribue à l’homme des droits inviolables » (p 158). « A un ciment social générateur de violence et de haine dans la société close, Bergson oppose une ouverture démocratique définie par la « fraternité humaine » (p 159).
En quoi Bergson nous concerne-t-il ?
C’est une forte motivation qui a incité Emmanuel Kessler à écrire ce livre sur Bergson. Il s’en explique dans la conclusion : « Ce qui m’a conduit à retrouver le parcours d’un Bergson vivant et intensément présent de tous les temps plus encore que de son temps, c’est la conviction que les lignes de force de sa philosophie constituent non des réponses, mais des interpellations indispensables et fécondes ».
Bergson nous propose une prise en compte du réel, une philosophie de l’action. Le « bergsonisme » est un état d’esprit. Emmanuel Kessler en dégage quelques lignes de force.
« Restons ouvert ! La plus grande actualité du bergsonisme, c’est la distinction qu’il est le premier à opérer entre le clos et l’ouvert » (p 224). Effectivement aujourd’hui, cette distinction induit notre discernement. Face aux dérives actuelles, une société pacifique ne peut se constituer dans le paradigme de la clôture. L’ouverture s’impose.
« Le deuxième message concerne la science et la technologie. Bergson, et cela explique le choc qu’il a provoqué à son époque, est arrivé comme une protestation face à la croyance en la toute-puissance de la science et à la confiance absolue dans les vertus émancipatrices de la technique. La fin du XIXe siècle marque le triomphe d’un « positivisme » scientiste que Bergson conteste. La science est nécessaire, mais elle n’a pas, elle non plus, toutes les réponses… La science est faite d’incertitudes… La technique la plus sophistiquée remplacera jamais l’humain et sa capacité inventive » (p 225-226).
Emmanuel Kessler est également porté par l’attitude de Bergson vis-à-vis de la vie : « l’enthousiasme pour la vie, pour l’action vécue, pour l’obstacle surmonté » (p 226). C’est une « philosophie du oui » et même une « philosophie de la joie » (p 227). Bergson écrit ainsi : « Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie… La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire… Partout là où il y a joie, il y a création : plus grande est la création, plus profonde est la joie » (p 227). L’auteur rebondit sur cet esprit de joie en évoquant la joie de la mère, de l’artiste, du savant, du commerçant, du chef d’entreprise. « Des différences de degré peut-être, mais une joie de nature commune et communicable, ouverte au partage, joie qui consiste à « avoir appelé quelque chose à la vie » (p 227).
Cette dynamique a retenti chez Emmanuel Kessler : « Hymne au nouveau, hymne à la joie, hymne à la vie : mon esprit m’avait guidé à l’issue de mes études de philosophie vers le journalisme par le goût du présent, de l’inédit, curiosité pour saisir ce mouvement qui sans cesse anime les sociétés humaines… » (p 228). Il rappelle le grand succès du livre de Bergson sur « le Rire » et il évoque en regard les films de Charlie Chaplin qui illustrent « la définition bergsonienne du comique » (p 229). Et par ailleurs, « avec le Chaplin des « Temps modernes », puis celui du « Dictateur », le rire devient l’arme du vivant pour résister à une mécanique implacable » (p 230). C’est sur cette note de liberté que l’auteur achève son éloge de Bergson.
Un état d’esprit partagé
La pensée d’Henri Bergson nous rejoint dans sa perspective de mouvement et d’ouverture.
Sa vision d’une évolution créatrice fut pionnière se heurtant aux rigidités religieuses ou matérialiste. Aujourd’hui, avec le théologien Jürgen Moltmann, dans son livre : « Dieu dans la création. Traité écologique de la création » (1988), nous pouvons envisager une « création continuée » (7). « La théorie de l’évolution appartient au lieu théologique de la création continuée « creatio continua »… Les formes de la conservation, du maintien, de la transformation et de l’accélération divines de la création doivent être présentées dans son histoire ouverte sur l’avenir, ce concept théologique de l’ouverture vers l’avenir reprenant et dépassant le concept d’ouverture de la théorie des systèmes… La théologie doit partir de l’idée que la création n’est pas encore achevée et n’a pas encore atteint son but ».
Le thème de l’ouverture est constamment présent dans l’œuvre de Bergson. Son livre : « Les deux sources de la morale et de la religion », nous offre une clé de compréhension de la vie sociale dans la dualité : clôture-ouverture. Cette tension est particulièrement marquée dans le monde d’aujourd’hui. Comme l’écrit Moltmann : « L’espérance eschatologique ouvre chaque présent au futur de Dieu. « Portes, ouvrez vos linteaux ; haussez-vous, portails éternels pour que le grand roi fasse son entrée. (Psaume 24.7) ». On imagine que cela puisse trouver sa résonance dans une société ouverte. Les sociétés fermées rompent la communication avec les autres sociétés. Les sociétés fermées s’enrichissent au détriment des sociétés à venir. Les sociétés ouvertes sont participatives et elles anticipent. Elles voient leur futur dans le futur de Dieu, le futur de la vie et le futur de la création éternelle » (8). Nous envisageons le processus de l’ouverture dans une dynamique spirituelle.
En nous présentant la vie et l’œuvre de Bergson, Emmanuel Kessler nous fait entrer dans un état d’esprit, ce qu’il exprime par ces mots : « Une philosophie du oui… Un hymne nouveau, un hymne à la joie, un hymne la vie ». C’est une vie en marche et nous la rejoignons dans une perspective d’espérance selon cette expression : « La vie dans l’espérance n’est pas une vie à moitié sous condition. C’est une vie pleine qui s’éveille aux couleurs de l’aube de la vie éternelle » (8).
C’est un éloge, lorsque nous disons de quelqu’un que c’est une personne ouverte. Après avoir lu ce livre, nous comprenons mieux pourquoi… Remercions Emmanuel Kessler pour sa lecture tonique d’Henri Bergson.
J H
- Un horizon pour l’humanité, la Noosphère : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
- Frédéric Worms : https://philomonaco.com/intervenant/frederic-worms/
- Emmanuel Kessler. Bergson. Notre contemporain. Editions de l’observatoire, 2022. Interview vidéo d’Emmanuel Kessler sur son livre : https://www.youtube.com/watch?v=uZ1cahRaCak et : https://www.youtube.com/watch?v=r_9u_sr0-hc
- Le courage de la nuance : https://vivreetesperer.com/le-courage-de-la-nuance/
- Comprendre la mutation actuelle de notre société requiert une vision nouvelle du monde https://vivreetesperer.com/comprendre-la-mutation-actuelle-de-notre-societe-requiert-une-vision-nouvelle-du-monde/
- Jean Jaures : Mystique et politique d’un combattant républicain : https://vivreetesperer.com/jean-jaures-mystique-et-politique-dun-combattant-republicain-selon-eric-vinson-et-sophie-viguier-vinson-2/
- Jürgen Moltmann : Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Chapitre VIII/II Evolution ou création ? http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon7/moltmann.htm
- Le Dieu vivant et la plénitude de vie. Eclairages apportés par la pensée de Jürgen Moltmann : https://vivreetesperer.com/le-dieu-vivant-et-la-plenitude-de-vie/
par jean | Août 2, 2022 | Vision et sens |
Pour un engagement chrétien authentique
Dans une méditation sur le site du « Center for action and contemplation », Richard Rohr nous enseigne que nous pouvons nous engager dans de nouvelles manières de vivre si nous parvenons à un certain degré de détachement vis-à-vis des systèmes en place.
Non-idolâtrie
« Le fondement du programme social de Jésus est ce que j’appellerai une non-idolâtrie, c’est à dire un retrait des passions pour tous les royaumes excepté le Royaume de Dieu. C’est bien meilleur que de ressentir le besoin d’attaquer les choses directement. Le non-attachement (la liberté par rapport à des dépendances à des systèmes humains de domination) est le meilleur moyen que je connaisse de protéger les gens du fanatisme religieux et de toute forme de pensée et de conduite marquée par un antagonisme. Il n’y a pas à se mobiliser contre. Juste à se concentrer sur la Grande Chose vis à vis de laquelle nous sommes pour »
Les églises comme inspiration d’un genre de vie alternatif
C’est en ce sens que Richard Rohr envisage les églises. « Paul essaie de créer des genres d’aides audiovisuelles pour ce Grand Message qu’il a appelé des « églises » (un terme que Jésus a utilisé seulement deux fois et seulement dans un évangile (Matthieu 16.18 et 18.17). Paul a besoin de modèles visibles et vivants du nouveau genre de vie qui rend évident que les gens de Christ suivent un chemin différent de la conscience de masse. Ce sont des gens qui sont dépourvus de méchanceté (innocent) et authentiques… et qui brillent comme des étoiles dans un milieu trompeur et sournois » ( Philippiens 2.15). Aux gens qui demandaient : pourquoi devrions nous croire qu’il y a une nouvelle vie meilleure possible ? Paul pouvait dire : regardez à ces gens. Ils sont différents. Il y a un nouvel ordre social : « En Christ, il n’y a plus de distinction entre les juifs et les grecs, les esclaves et les hommes libres, les homme et les femmes, mais vous êtes tous un en Christ Jésus (Galates 3.28).
Une société alternative
Richard Rohr met ainsi en évidence une nouvelle vision. « Dans la pensée de Paul, nous sommes supposés vivre à l’intérieur d’une société alternative, presque une utopie, et, à partir d’une telle plénitude, d’aller vers le monde. Au lieu de cela, nous avons créé un modèle où les gens vivent presque entièrement dans le monde, entièrement investis dans les attitudes du monde vis-à-vis de l’argent, de la guerre, du pouvoir et du sexe, et quelquefois, « aller à l’église ». Cela ne semble pas marcher. Des groupes comme les amish, les communautés anabaptistes du Bruderhof, les Eglises noires, et des membres de quelques ordres religieux catholiques, ont probablement une meilleure chance d’entretenir réellement une conscience alternative. La plupart d’entre nous semble bien finir par penser et par agir comme notre culture environnante ».
Nouvelles pistes
Et c’est là que Richard Rohr, dans cette analyse et dans cette perspective, met en évidence de nouvelles pistes aujourd’hui en voie d’émergence.
« Beaucoup de gens aujourd’hui mettent leur confiance dans des think tanks, des groupes d’entraide, des groupes de prière, des groupes d’étude, des projets de construction de logements, des cercles de guérison ou des associations à but communautaire. Peut-être, sans toujours le reconnaître, nous nous dirigeons souvent dans la bonne direction. Quelques études récentes indiquent que les chrétiens ne sont pas tant quittant le christianisme que se réalignant dans des groupes qui vivent les valeurs chrétiennes dans le monde – au lieu de se rassembler à nouveau pour entendre des lectures, réciter une confession de foi et chanter des chants le dimanche. Jésus n’a pas besoin de nos chants. A la place, nous avons besoin d’agir comme une communauté. Aujourd’hui, un comportement chrétien pourrait grandir plus que nous le réalisons. Le comportement, c’est quelque chose de très différent de l’appartenance ».
« Rappelez-vous… Ce n’est pas la marque publicitaire qui compte ».
J H
par jean | Juil 4, 2022 | Vision et sens |
Jean Lavoué : une œuvre spirituelle
En réponse à notre quête spirituelle, un livre vient de paraitre : « Un poème à venir. Pour une spiritualité des lisières » (1). Si, au premier abord, le titre peut paraître insolite, il convient au départ d’entendre la voix qui s’y exprime, le parcours de l’auteur. Celui-ci, Jean Lavoué, est un écrivain, éditeur et poète breton. On peut en lire ici et là la biographie. Mais la meilleure entrée nous paraît une interview de Magali Michel parue dans La Vie : « De l’absence jaillit la présence » (2).
Très tôt porté à l’écriture, Jean Lavoué s’engage dans une expression poétique. C’est un atout pour faire face aux embuches de la vie et approfondir un chemin de libération spirituelle où il sera aidé par un prêtre atypique, Jean Sulivan. Son parcours professionnel s’exerce dans l’éducation surveillée et dans la sauvegarde de l’enfance.
Cependant, à partir des années 2000, Jean Lavoué, constamment en activité poétique, commence à écrire des livres portant sur des auteurs avec lesquels il se trouve en affinité. Cette œuvre littéraire va aller en croissant. En 2007, Jean Lavoué crée un blog, baptisé : « l’enfance des arbres » ( http://www.enfancedesarbres.com ).
En 2017, il ouvre une petite maison d’édition. C’est dire combien, à tous égards, l’écriture tient une place centrale dans la vie de Jean Lavoué. « L’écriture finalement se déploie dans le temps, pourvu qu’on persiste, même s’il n’y a pas beaucoup d’écho au départ ».
Dans cette interview, Jean Lavoué nous fait part aussi de sa vie spirituelle. « J’aime lire la Bible avec d’autres. L’Ecriture est d’une grande poésie. Dans la vie professionnelle, comme dans la vie intérieure, j’apprécie la fécondité des petits groupes de parole. Avec Anne, ma femme, nous participons à plusieurs d’entre eux. Mon enracinement ecclésial s’inscrit dans cette modalité peu visible, mais bien plus répandue que l’on ne le croit ».
Les deux livres les plus récents de Jean Lavoué témoignent de son parcours spirituel : « les clairières en attente » où il évoque notamment l’apport des petits groupes de partage : https://www.youtube.com/watch?v=9Jm5hkO3TAM
et « Le Poème à venir ? Pour une spiritualité des lisières » où « il explore la dimension christique du Poème en élargissant la conception et la montrant également à l’œuvre dans l’ensemble des autres spiritualités humaines » : https://www.youtube.com/watch?v=5K01-5KffYk
Sur le chemin de l’expression d’une vision
En introduction du livre : Le Poème à venir
Dans l’introduction de son livre : « Le Poème à venir », Jean Lavouè nous fait part de son cheminement et de la manière dont celui-ci débouche sur une nouvelle approche.
Ne ressentons nous pas plus ou moins des raideurs et des pertes dans l’annonce ecclésiale de l’Evangile ? « Les mots ont trop servi. Ils semblent usés » (p 10). « Il faut désempierrer la source pour tenter de la retrouver. J’ai choisi pour ma part le mot : Poème pout tenter de dire ce qu’avec d’autres, je cherche à tâtons… ».
Mais pourquoi ce mot nouveau ? Quelle en est la signification ? Jean Lavoué nous en explique l’origine. « Poiêsis » pour les grecs, signifie création… Pour Platon, l’art poétique est rattaché à l’ « enthousiasme ». Dans la Bible, le poète est le prophète. Pour les philosophes de l’Orient, la poésie rejoint la contemplation du sage ». Dans quelle acception, Jean Lavoué a-t-il adopté le mot ? « Il peut recouvrir ces différentes définitions, même si la source de mon questionnement concerne, de manière plus spécifique, ce qui touche à une réception encore inédite de l’annonce christique des évangiles, ce désir du Royaume, cet engendrement qui se sont entièrement saisi de la personne que l’on nomme Jésus. De ce Verbe, de cette Parole, de ce Logos qui, diront les écrivains de la Bonne Nouvelle, se sont emparés de lui » (p 12).
Mais l’auteur envisage un mouvement dans un horizon plus vaste : « Le Poème tel que je l’envisage, ne se réduit pas à lui. Il recouvre une réalité encore plus vaste. Certes, cet homme Jésus ne mit aucun obstacle à l’avènement en lui de cette réalité qui le dépassait. Toutefois, il ne cessa d’affirmer selon les évangiles synoptiques, qu’il n’était pas lui-même cette réalité. Mais, selon l’évangile de Jean, il va jusqu’à dire que le Père lui ne font qu’un… Pour tous ces témoins, il est indéniable qu’il se laissa entièrement envahir par le Souffle saint lui inspirant chacune de ses paroles et chacun de ses gestes » (p 12).
Jean Lavoué ouvre l’horizon : « C’est en fait le dynamisme créateur de cette Vie partout à l’œuvre dans l’univers que nous avons voulu traduire dans ce récit méditatif par le mot : Poème. La Vie, nul ne l’a jamais vue, mais elle se fait connaître par cette puissance créatrice qui ne cesse de tirer l’univers tout entier vers un accomplissement toujours plus complexe, toujours plus harmonieux. Et cela, malgré les pesanteurs et les ombres, voire les impasses qui semblent s’accumuler aujourd’hui sur le devenir de l’humanité (p 12).
L’auteur rappelle la conception grecque du Logos. Mais, à l’époque, ils avaient « une vision stable du cosmos, cohérente, hiérarchique et aux contours bien délimités ». Ce n’est plus cette vision qui est la notre aujourd’hui. « Les théories de l’origine de l’univers, de l’évolution, de la connaissance de la matière nous ont conduits à une nouvelle conception totalement interactive, systémique, de ce qui est, depuis les choses inanimées jusqu’aux êtres vivants. Tout et relié à tout. Tout est mouvement permanent, croissance, devenir. C’est cette immensité transformatrice et créatrice à l’œuvre partout dans le monde que nous appelons Poème. Son origine, nous la nommons Source ou Vie… » (p 13).
Jean Lavoué envisage la vie et l’œuvre de Jésus dans ce grand mouvement. « L’homme Jésus fut habité comme nul autre par le Poème. On pourrait dire aussi par le Souffle créateur qui agit en tout et en tous, mais qui s’empara de manière singulière de son être » (p 13). Dans l’immédiat, ce fut exprimé dans la culture de l’époque : « Les mots qui étaient à leur disposition étaient ceux de Logos pour ceux qui étaient de culture grecque, ou de Messie, c’est à dire de Christ, pour ceux qui s’inspiraient de la grande tradition hébraïque et biblique. Tout l’effort des théologiens des premiers siècles fut de tenter de définir en quoi et à quel point, cette dimension christique de Jésus, cette incarnation en lui du Logos, se confondait avec l’Etre créateur, avec Yahvé, avec Dieu » (p 13).
Le Poème, envisagé par Jean Lavoué correspond à la dimension « Christ » de Jésus telle que nous la reconnaissons dans la culture judéo-chrétienne. Mais, le dynamisme créateur de la Vie, dont ce mot est le signe, ne saurait se réduire à cette culture. Nous sommes à l’âge planétaire où nous prenons la mesure de la pluralité des formes d’expression spirituelle. Nous découvrons que notre destin est lié à celui de tous les êtres vivants et à l’ensemble de l’écosystème dont nous sommes les hôtes » (p 13).
Jean Lavoué plaide pour une réception plus universelle de ce dynamisme créateur. « Puisque chrétien et enraciné dans la tradition biblique, nous éclairerons cette compréhension pour nous du Poème… essentiellement à partir des éléments tirés de ce lieu exceptionnel de réalisation que constitue le témoignage évangélique. Mais nous essaierons aussi de faire en sorte que ce que nous exprimerons du poème, à partir de cet ancrage dont la vie de Jésus fut la terre d’accueil, puisse aussi éclairer bien d’autres espaces culturels et spirituels traduisant à leurs manières plurielles et différentes leur coopération avec le dynamisme du Souffle créateur » (p 14)
« Si l’homme Jésus devint souffle lui-même au yeux de ses disciples, n’est-ce pas le fait de cette confiance et de cette foi vitales qu’il éveillait en chaque être, en chaque chose, en chaque événement. C’est d’abord de cela qu’ils furent témoins. C’est pour les avoir eux-mêmes relevés, les avoir fait participer de manière très personnelle et intime, au dynamisme créateur du Poème de la Vie qu’ils le reconnurent. C’est ainsi qu’ils le définirent avec les termes qui se trouvaient à leur disposition comme ‘Christ’ : Oint en cette Source vitale par la grâce du Poème. C’est en cela qu’il accepta d’être, saisi qu’il fut par le Souffle saint, l’homme par excellence de la Parole : celui qui fait lever autour de lui les germes du Royaume… » (p 14-15).
« Pour relier tous ceux qu’il rencontrait, disciples ou inconnus, à cette même origine de la Vie, il aimait donner à cette dernière, le nom de Père, Abba : et avec ces deux premières lettres de l’alphabet hébraïque : alpha, bêta, il révélait déjà tout ce qui reliait le visible à l’invisible… Tous se trouvaient issus de la même source, plongés dans les mêmes eaux transformatrices du Poème… Dans d’autres traditions et dans d’autres cultures, cette vision de la Source originaire fut traduit par d’autres mots : Allah pour les uns, Atman pour les autres, Terre-Mère ou Gaia encore pour d’autres. Ces visions différentes ne sont pas exclusives les unes des autres » (p 16).
Jean Lavoué nous explique le but de son livre et la motivation qui l’a porté. « C’est cette puissance de nouveauté universelle que je cherche à honorer par ce livre – poème. Aujourd’hui encore, elle vient à toute femme, à tout homme, à l’humain en général, quelque soit le Dieu, la Source, la Vie, l’Energie auxquels il se réfère ou pas. C’est cela que nous voudrions avant tout suggérer » (p 16).
L’auteur nous dit alors comment il a réalisé son livre. « Il est le fruit d’intuitions, nourries par des lectures et vendangées dans les celliers du cœur. Des auteurs m’auront mis en chemin » (p 16). Jean Lavoué mentionne alors des théologiens et des auteurs spirituels dans une vaste gamme de Christoph Theobald, Raphaël Picon à Teilhard de Chardin et Richard Rohr. L’auteur précise également son usage du mot Poème. Ainsi, en faisant référence à l’homme Jésus, il nous dit « préférer au terme de Christ, qualifiant la manière spécifique dont il s’abandonna à la puissance agissante de son Père, celui de Poème, le faisant participer à une place singulière et unique, au dynamisme transformateur et créateur initié par le Souffle de la Vie dans la totalité de l’univers » (p 18).
Ce livre porte en sous-titre : « Pour une spiritualité des lisières ». Mais qu’entend-il par lisière ? La lisière c’est le lieu où « l’humain s’ouvre à l’infini qui le dépasse, un lieu mystérieux d’interaction et de transformation réciproque où l’un et l’autre communiquent et s’apprivoisent. De cet échange intime où se nouent la rencontre entre souffles divin et humain, toute spiritualité est l’expression singulière ; même si chacune d’elle attribue au mystère autour duquel elle gravite des noms différents voire si elle ne le nomme pas du tout comme c’est le cas pour une grande part de la quête contemporaine » (p 18). « C’est de la lisière dont l’Evangile est le signe dont il sera principalement question ici. Mais cela de manière non exclusive de telle sorte que la « spiritualité des lisières » pourrait aussi correspondre à une volonté de chercher à faire tomber tous les murs autant entre notre propre vérité et celle des autres qu’entre le divin et nous-mêmes » (p 18).
Paysages
Le Poème à venir nous appelle à une promenade où nous découvrons sans cesse des paysages nouveaux. Tandis que les chapitres se déroulent, tant de paragraphes nous appellent à une lecture méditative Voici donc quelques extraits de ce livre pour entrer dans cette lecture.
Un Père qui venait de l’avenir…
« Un homme, un poète, voici ce qu’il était. Il était venu, il y deux mille ans dans un bout de Palestine. Dans sa courte existence, il n’avait cherché qu’à incarner dans chacune de ses paroles, chacun de ses gestes, le souffle du Poème. Il affirmait que celui-ci venait de son Père. Et quand il parlait ainsi, on sentait bien que ce n’était pas pour lui un père biologique, un père du passé. Non, plutôt un Père qui venait de l’avenir. Une force qui le tirait en avant, qui l’entrainait dans les voies les plus risquées, le plus improbables pour annoncer, disait-il, un Royaume qui viendrait. Et il était d’ailleurs déjà là : son être tout entier rayonnait de cet amour qui refluait sur lui telle l’annonce d’un printemps » (p 22).
Le Souffle saint qui ne cherche qu’une chose : Leur permettre à tous de choisir la Vie.
« Quand le « poète » mourut, tous crurent que c’en était fini de son histoire. Or, celle-ci ne faisait au contraire que commencer. Ou plutôt , elle ne pourrait désormais que se prolonger. Car s’il incarna plus que tout le poème, il avait la vive conscience de ne pas en être l’origine. A cette Source, il donna le nom de Père. Et, n’est-ce pas celle-ci, aujourd’hui encore, qui œuvre en toute femme et tout homme de bonne volonté cherchant l’harmonie entre les peuples de la terre : quelque soient leurs croyances, leurs dieux, leurs fois, leurs cultures, leurs raisons. Sans tous ces particularismes, le Poème ne serait pas. Mais il les transcende tous. Comme ceux-ci n’existeraient pas sans lui.
Pourtant chacun croit pouvoir lui donner un nom, une forme, une assignation bien à eux, opposés à ceux revendiqués par les autres hommes. Mais, ce faisant, ils oublient le Souffle saint qui ne cherche qu’une chose, à travers toutes leurs langues, leurs cultes, leurs dialectes : les arracher au chaos et à la destruction ; leur permettre à tous de choisir la Vie » (p 23).
Porter secours à la planète, c’est porter secours à l’humain, à Dieu lui-même…
« Porter secours à la planète en feu, c’est porter secours à l’humain, à Dieu lui-même. Voilà ce qu’il leur faut entreprendre. Notre maison commune est aussi celle du Poème en nous. Notre seule résidence sur la terre. Notre seule chance de nous laisser habiter par lui. De l’inviter chez nous. De le laisser y faire sa demeure. Rien qu’il n’ait désiré d’un plus grand désir : laisser sa parole créatrice se déployer en tout être, en toute chose. Tandis que l’homme au contraire s’est dressé face à elle. Ce qu’ils avaient imaginé de puissance menaçante et de défi chez cet hôte qui n’était pourtant que bienveillance à leur égard, ils se l’approprièrent pour eux-mêmes. Ainsi devinrent-ils une menace le uns pour les autres ainsi que pour la planète dont ils se croyaient être à jamais les maîtres ». (p 28).
Ce Poème en avant de nous
« C’est l’un de ses amis qui écrivit un jour le prologue de notre propre vie. Et depuis, nous n’avons cessé de voir ce Poème en avant de nous. Souvent, entendant une nouvelle fois ce récit, nous croyions le connaître par cœur. Alors qu’il surgissait toujours neuf de l’horizon. Ceux qui restaient tournés vers le passé finissaient par l’oublier. Leur vie cessait soudain de chanter au rythme de son pas. Tandis que tout un peuple, par ailleurs, grandissait, se mettait en marche, s’élançait par les brèches ouvertes de sa promesse » (p 35).
Fondés dans la confiance et l’espérance
« Et c’est alors qu’ils s’éprouveraient « jubilescents ». Fondés dans la confiance et l’espérance que toute mort est vaincue. Qu’ils participent, de l’avènement d’une Vie qui n’a jamais cessé de venir vers eux pour être-avec-eux ressource d’espérance, soutien dans leurs avancées obscures. Pour être au plus fragile de leur humanité et dans toute l’épaisseur de leur finitude et de leur précarité, le signe d’une tendresse qui ne leur ferait jamais défaut. Et cela par la grâce d’un avenir ouvert qui ne leur a jamais manqué » (p 38).
Voici donc un livre qui nous propose une vision plus vaste de la dynamique évangélique, une vision plus fraiche à travers de nouveaux mots et de nouvelles images. Cette proposition peut éveiller quelques questionnements théologiques. Cependant, ce chant nouveau nous éveille et nous porte. C’est le murmure de l’eau vive. Le mouvement de Dieu en Jésus s’exprime dans un Souffle créateur. C’est « une puissance de vie universelle » que Jean Lavoué « cherche à honorer à travers son livre Poème » (p 16).
J H
- Jean Lavoué. Le Poème à venir. Pour une spiritualité des lisières. Préface de François Cassingena- Tréverdy. Mediaspaul, 2022 . Une superbe présentation du livre : « Pentecôte : le souffle des lisières » : https://www.golias-editions.fr/2022/06/02/pentecote-le-souffle-des-lisieres/
- Jean Lavoué. De l’absence jaillit la présence. Interview de Magali Michel dans La Vie : https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/jean-lavoue-de-labsence-jaillit-la-presence-3127.php
par jean | Juin 1, 2022 | Vision et sens |
Selon Patrice Van Eersel
Les crises se succèdent. Les menaces grandissent. L’horizon parait bouché. Nous voyons le climat se dégrader, la diversité des espèces se réduire. Nos repères se fragilisent. Il semble que l’ordre naturel est ébranlé. Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ?
L’humanité elle-même nous paraît de plus en plus instable. Le rythme de la vie sociale s’accélère, s’emballe. Dans cette ambiance préoccupante, la solidarité vacille. Des forces s’entrechoquent. Des monstres, bien réels ou imaginaires apparaissent. Dans ce tohu-bohu, certains se désespèrent et envisagent la fin du monde, un grand effondrement. Ce catastrophisme est dévastateur. Il sape les élans de vie.
C’est dans ce contexte que Patrice Van Eersel, journaliste et écrivain (1), connu pour ses études pionnières dans la découverte de réalités hors du commun, d’expériences transcendentales, a décidé de répondre au pessimisme ambiant en écrivant un livre intitulé : « Noosphère » (2). Il trace une piste décrivant le processus intellectuel qui a commencé au début du XXè siècle et a mis en évidence la perspective de l’émergence d’une conscience collective.
Ce livre est présenté ainsi dan la page de couverture.
« Comment croire en l’avenir quand on a trente ans et la conviction de vivre l’effondrement de la planète – réchauffement global, dégradation de la biodiversité, pollution généralisée, le tout aggravé par une crise sanitaire mondiale ?
En remontant le temps, répond l’auteur de ce récit à son jeune interlocuteur, Sacha, en s’inspirant du concept de Noosphère, forgé dans les années 1920 par deux hommes, le français Teilhard de Chardin et le russe Vladimir Vernadski qui désignaient ainsi la conscience collective planétaire. Ayant compris le rôle crucial de l’action humaine sur la biosphère – ce que l’on appelle aujourd’hui l’anthropocène – ces visionnaires, convaincus du caractère « cosmique » de la vie biologique, considéraient le triomphe de la « Noosphère » comme la prochaine et irrésistible étape de l’Évolution, condition sine qua non de notre survie sur la terre ».
L’auteur a agencé son récit en fonction d’interlocuteurs imaginés : le fils d’un ami décédé, Sacha, un jeune homme en pleine dépression parce qu’il s’attend à un effondrement de la société et, en conséquence, s’est réfugié dans un refus du travail, et, autour de lui, une constellation familiale, sa mère, sa compagne, mère d’une petite fille, séparée de lui et elle aussi, portée à des idées extrêmes. Et donc, le récit se développe en phase avec des questionnements et des ressentis. Dans cette disposition de l’ouvrage, l’auteur engage un dialogue avec toute une jeunesse en recherche. Et, en même temps, l’auteur nous présente une réflexion complexe au carrefour de considérations scientifiques, philosophiques et même théologiques. Dans un déroulé historique, attentif à la vie des personnalités évoquées, le récit suscite une attention soutenue. Patrice Van Eersel a écrit là un livre fondé sur de nombreuses enquêtes et lectures. C’est un ouvrage important, en 400 pages. Il ne peut donc être question ici d’en résumer le contenu. Nous chercherons simplement à en présenter quelques étapes, quelques parties saillantes.
Une approche de l’effondrement : la collapsologie
Puisque son jeune ami, Sacha, est obsédé par la menace de l’effondrement, Patrice Van Eersel va lui ménager un contact avec ceux qui, eux aussi, se focalisent sur cette question de l’effondrement. Ainsi, il entre en contact avec des scientifiques innovants qui, en fin de compte, se sont engagés dans l’exploration de cette hypothèse. Depuis quelques années, Patrice connaissait un chercheur belge, Gauthier Chapelle, spécialiste de biomimétisme : comment reconnaître les inventions de la nature et en tirer parti ? Avec un autre chercheur, Pablo Servigne, Cauthier Chapelle avait participé à la rédaction d’un livre particulièrement innovant : « L’entraide. L’autre loi de la jungle » (3). Cependant, les années passant, Gauthier Chapelle avait rejoint son collège et ami, Pablo Servigne dans son regard pessimiste sur l’avenir de l’humanité. Ce dernier avait écrit un livre : « Pourquoi tout peut s’effondrer ». Pablo Servigne et un petit groupe de chercheurs avec lui s’étaient engagés dans un recherche sur l’effondrement en adoptant le terme de : collapsologie. « Ce que ces jeunes chercheurs s’escrimaient à étudier en détail, c’était le « processus systémique » par lequel une société s’emballe dans une série de spirales devenant folles et qui, tendant vers l’infini à partir de certains seuils, résonnent si bien les unes avec les autres qu’elles font exploser l’ensemble » (p 18). Gauthier Chapelle ayant donc facilité une rencontre entre Patrice van Eersel et Pablo Servigne, celle-ci déboucha sur une discussion concernant la perspective de l’effondrement. Pablo Servigne suggéra à Patrice de faire bénéficier son groupe de son expérience sur l’approche de la mort apprise d’« Elisabeth Kubler Ross, psychiatre américano-suisse, initiée au feu de l’ouverture des camps de concentration en Pologne, puis projetée dans l’univers des grands hôpitaux américains » (p 23). Dans son pessimisme, Pablo Servigne a choisi néanmoins de « rester humain quoiqu’il arrive » et il s’est installé avec ses enfants dans la campagne de la Drome (p 24-25). En emmenant Sacha avec lui, Patrice Van Eersel lui rend visite dans son nouveau lieu de vie. La conversation s’oriente vers la puissance de l’entraide qui « concerne tous les êtres vivants depuis quatre milliards d’années ». « Les groupes qui s’entraident survivent beaucoup plus longtemps ». Cette puissance de l’entraide a été mise en valeur par la pensée pionnière de Kropotkine, géographe et anarchiste, et le courant russe de l’anarchisme mystique. « On débouche sur un engagement social d’essence éthique et, même, finalement sur une voie philosophique étroitement spirituelle » (p 135-136). Tout en envisageant le pire, Pablo Servigne poursuit sa recherche sur les manières de l’affronter. « Les humains ont besoin de grands récits. Or ceux qui ont nourri le monde moderne depuis la Renaissance, en particulier le récit de la liberté individuelle ou de la technoscience, sont maintenant épuisés. Et Pablo énonce des pistes d’action : « Schématiquement, je vois trois possibilités : bâtir des réseaux d’entraide, motivés par le bien commun ; s’entrainer à recevoir l’imprévisible, le pire et le meilleur… et puis ouvrir des horizons, rêver ensemble, tisser de grands récits ! » (p 140).
Chercheurs artistes américains
Éclaireurs pour une nouvelle vision du monde
L’auteur a réalisé de nombreuses enquêtes aux Etats-Unis. « L’Amérique est un pays si contradictoire qu’il peut vous dégouter autant que vous inspirer. Du nord au sud et de la côte ouest à la côte est, j’y avais rencontré des dizaines de chercheurs artistes et de scientifiques ouvreurs de voies » (p 32). Dans ces rencontres, il a mesuré la dimension historique de l’anthropocène. « Tout d’abord, ces gens, bien qu’en général d’idéologie libertaire, m’ont lavé d’une première grande illusion. Ce n’est pas la finance digitalisée, ni le capitalisme, ni la révolution industrielle qui ont commencé à foutre en l’air la biosphère terrestre. Le mal a débuté bien plus tôt, au minimum au Néolithique c’est à dire à l’âge où les humains se sont peu à peu sédentarisés, élevant des animaux domestiques et cultivant des plantes » (p 32-33). Et, dès cette époque, ces scientifiques « prétendaient inventer des façons concrètes de pacifier ce qu’on s’entend à appeler ‘anthropocène’ aujourd’hui ». Ainsi Patrice Van Eersel a rencontré la microbiologiste Lynn Margulis. « Cette grande spécialiste des bactéries, qui était aussi une artiste visionnaire, fut à l’origine, avec le climatologue James Lovelock, de « l’hypothèse Gaïa » selon laquelle la biosphère qui enveloppe notre planète se comporterait comme un seul gigantesque être vivant » (p 34).
Lynn Margulis a écrit un essai magistral : « L’univers bactériel ». Les bactéries ont joué un rôle majeur dans le développement de la vie. « Elles ont fait de cette planète non seulement leur nid, mais leur chose, leur production, leur création collective » (p 34). Les bactéries ont traversé ainsi plusieurs épisodes très difficiles de la vie terrestre. Aujourd’hui, à nouveau, une crise a éclaté. « L’humanité et ses langages ont secrété une technosphère constituée de toutes nos techniques… Quand est survenue la révolution industrielle, le processus mortifère s’est accentuée dans des proportions démentes… » (p 36-37). Ici Lynn Marjulis a ouvert un nouvel horizon à Patrice Van Eersel : « le défi est colossal , mais clair. Si nous voulons que la technosphère humaine cesse d’agresser la biosphère qui l’a engendrée et constitue sa matrice, il faut que s’impose une sphère nouvelle. Il faut d’urgence renforcer la Noosphère » (p 37). La Noosphère, « c’est la sphère de la conscience. En grec, « noos » signifie « esprit, conscience ». L’intelligence collective des humains est impressionnante, mais elle n’est encore que très partiellement consciente… Seul un colossal saut collectif dans la conscience, donc dans la responsabilité, peut rendre les techniques humaines biophiles et non plus antibiotiques ». (p 38). Lynn Margulis va orienter Patrice Van Eersel vers les pionniers de cette vision. Ce sont « deux grands chercheurs du début du XXè siècle… deux savants prophétiques sans exagération : le plus vieux était russe et s’appelait Vladimir Ivanovitch Vernadski. L’autre était français et s’appelait Pierre Teilhard de Chardin. Venant de philosophies très différentes – immanentiste pour le russe et transcendantaliste pour le français – ils tombèrent d’accord pour dire deux choses. D’une part que la Noosphère émergeait de la nature même du monde matériel, d’autre part que l’on pouvait voir en elle l’avenir même de l’univers ». Lynn Margulis encouragea Patrice à enquêter sur ces deux hommes.
Pierre Teilhard de Chardin
Une vision émergente
Patrice Van Eersel est donc parti à la découverte de Teilhard de Chardin. Celui-ci est aujourd’hui une personnalité célèbre, qui a donné lieu à des biographies et dont l’abondante production est maintenant éditée (4). Il existe même une association des Amis de Teilhard de Chardin (5). Dans plusieurs chapitres successifs et en fonction de son auditoire imaginaire, Patrice Van Eersel poursuit un récit du parcours de Teilhard de Chardin. Il retrace les grands moments de sa vie, c’est à dire le contexte dans lequel sa vision a grandi depuis les affres de la grande guerre jusqu’à son intense recherche paléontologique. Prêtre jésuite, sa vision s’est heurtée au pouvoir de la hiérarchie catholique et s’est diffusée sous le manteau à travers un réseau d’amis et grâce à des amitiés féminines. Cette vision a fait irruption après sa mort avec la publication d’un livre clé : « le Phénomène Humain ».
L’auteur nous relate la vie de Pierre Teilhard de Chardin tout au long de la grande guerre comme brancardier et « dans la fureur et le sang » (p 41-54). Très particulièrement exposé en fonction du courage qu’il manifeste au secours des blessés et en fonction de sa haute taille, il échappe à la mort quasi miraculeusement. A travers les massacres qui l’environnent, il garde le cap et dans les moments de répit, il écrit passionnément. « Profitant de la moindre accalmie, hanté par une recherche de sens d’autant plus déraisonnable que le contexte est fou, le prêtre paléontologue écrit des centaines de pages » (p 86) qu’il envoie ensuite à sa cousine Marguerite.
La vision de Teilhard se développe en tension avec le malheur ambiant. « Sous la pression de sa mission assumée de caporal brancardier œuvrant dans les tranchées, le docteur en paléontologie voit un ordre supérieur jaillir du chaos… » (p 95). Il écrit : « L’effet du séjour dans le danger est de purifier le goût de spéculations… L’âme est sensibilisée par l’effort moral, bandée aussi dans toutes ses énergies spéculatives, longtemps comprimées. Sitôt qu’une éclaircie se fait dans l’existence des tranchées, l’homme se retrouve lui-même et au dessus de lui-même, parce que désintéressé dans ses vues et agrandi dans ses facultés (aiguisées et affamées) » (p 101). La dynamique du chercheur se poursuit et s’intensifie ; L’évolution lui apparaît de plus en plus comme « une réalité omniprésente et universelle ».
Après la guerre, Teilhard va pouvoir s’engager dans la recherche. « A partir du printemps 1923, la Chine va devenir la destination favorite de Teilhard, sa « seconde patrie » où il va creuser la piste du Sinanthrope ou homme de Pékin, l’ancêtre chinois d’Homo Sapiens ». En Chine, son regard s’élargit. Sa vision est « de plus en plus globale ».Dans une lettre, il écrit : « Je rêve d’une espèce de Livre de la Terre où je me laisserais parler non comme Français, ni comme élément d’un compartiment quelconque, mais simplement comme homme ou comme ‘Terrestre’ » (p 167).
Dans ses allées et venues qui vont se poursuivre toute sa vie, Teilhard rentre de Chine à la fin de l’été 1924 avec plusieurs tonnes de fossiles et d’échantillons de toutes sortes destinés au Muséum. Et là, il va rencontrer un autre paléontologue l’abbé Breuil et un philosophe Edouard Le Roy qui vient d’être choisi par Henri Bergson pour lui succéder à la chaire de philosophie grecque et latine du Collège de France. (p 177). « Catholique convaincu , mais très attaché à la laïcité, Edouard Le Roy, ce mathématicien philosophe n’a pas hésité à résister au Vatican. Les conversations entre Teilhard et Le Roy vont être très constructives. Le Roy est un élève et un ami de Bergson, auteur de « l’Evolution créatrice » et de « L’Energie spirituelle ». Et les intuitions de Teilhard et de Bergson vont pouvoir se rejoindre sur un point essentiel : «Toutes deux saisissent dans un même mouvement l’Être et le Devenir – et l’idée d’évolution irréversible constitue une clé majeure pour l’un comme pour l’autre. L’Être se révèle dans le devenir parce que l’évolution est création » (p 181).
Ultérieurement, Teilhard de Chardin va passer une bonne partie de sa vie en Chine. L’auteur nous fait part du développement de sa réflexion sur la Noosphère qui va de pair avec un idéal de vie exigeant. « Seule vaut l’action fidèle, pour le Monde, en Dieu. Pour arriver à voir cela et à en vivre, il y a une sorte de pas à franchir ou de retournement à faire subir à ce qui paraît l’habitude générale des hommes. Mais, ce geste un fois exécuté, quelle liberté pour travailler et pour aimer » (p 321).
Dans son livre emblématique : « Le Phénomène Humain », Teilhard envisage le processus qui débouche sur l’éclosion de la Noosphère.
« Besoin d’une religion à la mesure de la terre nouvelle », de fait le christianisme renouvelé. Et il envisage « un processus de recherche, de tentatives et de tâtonnements multiples ». Et il écrit : « Ce n’est que par le libre choix, la découverte et le développement, par chaque segment national et culturel de l’humanité de sa forme singulière de liberté, que pourront être assurées la convergence et la structuration de cette multitude dans un système planétaire uni » (p 223). Et il appelle à une « poussée du tous ensemble ».
L’auteur déroule la pensée de Teilhard de Chardin telle qu’elle s’exprime dans le Phénomène Humain. C’est « la vision spatiotemporelle d’un monde fibreux (chaque nouvelle émergence constituant un fibre à l’intérieur d’une nappe évolutive) et toute la techtonique psycho-matérielle de l’univers s’enroulant sur lui-même suivant la loi de la complexité-conscience. Une complexité-conscience croissante qui ayant abouti à l’avènement de l’humain… a engendré ipso facto une Noosphère : une conscience réfléchie de plus en plus socialisée, prise dans un tissage de plus en plus collectif » (p 348).
Le parcours d’un géologue russe : le professeur Vernadski
La chercheuse américaine Lynn Margulis avait également orienté l’auteur vers un géologue russe : le professeur Vernadski. Le parcours de celui-ci s’est développé dans un tout autre contexte : un milieu scientifique russe qui va être entrainé au XXè siècle dans une grande tourmente politique. Vernadski est l’élève de grands savants russes ; En 1884, il est appelé à décrypter l’histoire du sol ukrainien, le tchernozium, au fil de l’évolution géologique. « En observant la terre mère d’Ukraine, coupe de sol après coupe de sol, il avait observé un mélange unique d’humus et d’argile… Et il n’avait pu faire autrement que d’admirer l’inextricable tissage de vie recelé par ce sol. Un réseau d’une densité et d’une variété inouïes où se mêlait dans un enchevêtrement et un grouillement éblouissants tout ce que la vie biologique avait pu inventer depuis les champignons jusqu’aux mammifères… sans parler des bactéries… Camouflée sous le silence apparent de la terre, s’offrait à ses yeux une véritable frénésie… admirablement organisée, telle une étoffe relationnelle ultracomplexe. (p 61-62). « De là, l’énorme hypothèse qui avait peu à peu émergé dans son esprit : la vie biologique ne mettrait-elle pas en branle, par son intelligence propre des flux de matière et d’énergie infiniment supérieurs à ceux engendrés par la seule géologie minérale ? Dit plus abrupt, la biologie n’accélérait-elle pas tous les processus terrestres dans des proportions extravagantes constituant de la sorte la force biologique numéro un de la surface de notre planète ? » p 62). « En quelques années, sa propre intuition l’amena à se poser une question encore plus folle pour un scientifique rigoureux comme lui : ne fallait-il pas considérer la vie biologique comme une entité en soi impossible à réduire à ses éléments chimiques inertes ? Ne fallait-il pas, peut-être, parler d’elle comme d’une force cosmique spécifique, dont la physique ne tenait pour l’instant aucun compte ? » (p 63). Vernaski en vint à se demander si la richesse minérale faramineuse de la terre n’était à mettre en relation avec l’existence de la biosphère… c’est à dire avec la matière vivante, prémonition que les recherches scientifiques n’allaient cesser de valider jusqu’au XXIè siècle » (p 65).
A partir des années 1990, Vernaski grimpa rapidement dans la hiérarchie universitaire et académique russe et multiplia les voyages auprès de chercheurs de premier plan en Europe. Il introduisit dans le corpus de son enseignement, l’idée totalement nouvelle et transdisciplinaire d’une « biogéochimie ». « Tous les êtres vivants, avançait-il, forment une sorte d’entité géante qui, nourrie des corps chimique inertes, sculpte, malaxe, cristallise et fait transmuter la surface de la terre à sa guise » (p 65).
Patrice Van Eersel déroule la biographie de Vladimir Ivanovitch Vernadski dans plusieurs chapitres de son livre. Vernadski ne fut pas seulement un grand savant visionnaire, mais aussi un homme engagé socialement et politiquement. Ainsi, dans les années prérévolutionnaires, il a participé à « une organisation apte à accueillir les idéaux humanistes et démocratiques et à en permettre la mise en œuvre ». « Avec plusieurs camarades, ils avaient donc créé une fraternité comme c’était alors la coutume » (p 69). Foncièrement démocrate, il se heurte à la dictature issue de la Révolution d’Octobre, mais sa réputation scientifique l’aide à traverser cette tourmente. Et elle va l’aider à composer avec le régime soviétique.
Sa réflexion philosophique assise sur sa recherche scientifique va donc se poursuivre. Réfugié en Ukraine, puis en Crimée juste après la Révolution d’octobre, déjà atteint par la tuberculose, fin 1919, il tombe gravement malade du typhus. Or, dans cet état, il va connaître un genre d’expérience mystique. « Hospitalisé et mis sous perfusion, le savant se retrouve pendant plusieurs semaines dans « un état de conscience modifiée », une forme de délire qui, peu à peu, va se transformer en visualisation claire et limpide… Vision de la suite à donner à ses recherches jusque dans ses détails théoriques les plus abstraits et les conditions expérimentales correspondantes (p 121). « J’ai clairement vu de quelle façon il faudrait m’y prendre pour faire progresser et aboutir en particulier mon idée de « matière vivante ». Il est profondément impressionné par « l’esthétique des choses et des êtres. La faramineuse beauté de la nature, son harmonie, sa prodigalité, mais aussi la beauté des êtres humains et de leurs trouvailles, m’ont fait atteindre une extase que j’aurais du mal à décrire avec des mots » (p 123). Il projette la création d’un « Institut de la matière vivante ». PatriceVan Eersel nous relate dans le détail la maturation de la pensée de Vernadski, son hommage aux naturalistes anglais et australiens du XIXè siècle (p 125) et un approfondissement de sa conception de l’émergence du vivant. « Depuis son avènement il y a des centaines de millions d’années, la vie biologique a constitué la force biologique et atmosphérique numéro 1 de la surface de notre planète. Cependant, depuis beaucoup moins longtemps, c’est l’humanité qui, de tous les êtres vivants, constitue la force de transformation matérielle la plus puissante… Après la biosphère, nous nous trouvons donc en présence d’une « humanosphère » (p 128).
La Noosphère : Le concept émergeant d’une grande rencontre : Olivier Le Roy, Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadski
En 1922 le professeur Vernadski arrive en France et y poursuit son activité scientifique. En automne 1924, un dialogue s’engage entre lui, Olivier Le Roy, disciple de Bergson et Pierre Teilhard de Chardin. A partir de textes existants, Patrice Van Eersel reconstitue et restitue leur conversation où se manifeste une reconnaissance commune de la Noosphère. Olivier le Roy déclare ainsi : « Je vous propose l’hypothèse de travail suivante qui découle directement de vos travaux respectifs. Ne pourrait-on pas dire que la biosphère, ayant atteint l’ère anthropozoïque dont nous parle de façon très immanentiste le professeur Vernadski (le concept de céphalisation, p 215), et « se retournant sur elle-même », comme le propose dans une perspective transcendentale, le père Teilhard, qui me parlait récemment « d’une incarnation planétaire de l’esprit », doit à présent accoucher d’une Noosphère pleine et entière, c’est à dire d’une conscience collective intégrale ». Ainsi l’évolution cosmique pourrait passer au stade suivant » (p 222). PatriceVan Eersel précise que Teilhard et Vernadski ont été aussi portés, aussi bien l’un que, à utiliser le terme de noosphère et que Vernadski en attribue l’expression à Olivier Le Roy. (p 224).
Vernadski aussi bien que Teilhard ont été confrontés aux massacres guerriers. Ils ont conscience des dangers encourus par l’humanité. Il y a cent ans déjà, l’humanité se sentait menacée.
Face aux régimes totalitaires, Teilhard voit dans la noosphère un espace de personnalisation. « Si, sous la pression considérable du processus de complexification cosmique appelée « évolution », les consciences individuelles se rapprochent les une des autres, les individualités ne disparaissent pas. Elles transcendent leurs limites et resplendissent » (p 217). Et de même, dans cette conversation, différents obstacles sont évoqués : l’individualisme exacerbé, la tentation de faire machine arrière, la peur de la mort… A chaque fois, des réponses apparaissent. Selon Teilhard, nous devons être spirituellement amoureux de la matière. « L’idéal noosphérique contredit en tous points aussi bien l’isolationnisme du spiritualiste coupé du monde dans l’attente d’un au delà que l’idéal du petit-bourgeois claquemuré derrière son confort » (p 228). Vernadski évoque le refus d’aller de l’avant. « Cela ne nous est pas possible ou alors seulement en disparaissant. Si l’humanité veut continuer d’exister, elle est contrainte de chercher à transformer le monde et à se métamorphoser elle-même. Sinon elle disparaît purement et simplement » (p 229). Face à la mort, Teilhard pense qu’à travers nous, se manifeste une présence que rien ne peut éteindre. La biologie seule, même si elle résiste, finirait dispersée par l’entropie. Seule l’émergence de l’humain change définitivement la donne : pour moi, ce qui sera définitivement conservé, c’est l’énergie humaine, c’est-à-dire la Personne » (p 234). Il y a des forces qui interviennent face au totalitarisme oppresseur. Vernadski évoque la puissante forte de l’entraide à l’œuvre dans le monde vivant et mise en évidence par le savant russe, de conviction anarchiste, Kropotkine (p 236) et Teilhard, dans une inspiration chrétienne, évoque « une conspiration d’amour » animée par les forces de la sympathie » (p 235).
La Noosphère : quelle actualité ?
La vision de la noosphère a émergé il y a un centaine d’années dans un contexte où l’humanité était déjà confrontée à de grands maux. Aujourd’hui, cette vision est toujours éclairante et des réalités nouvelles comme l’expansion du web viennent l’illustrer.
Comme d’autres chercheurs, Patrice Van Eersel évoque le besoin d’un grand récit fédérateur répondant aux questionnements de beaucoup de nos contemporains. Ainsi évoque-t-il « l’utilité vitale, reconnue par tous, d’inventer de nouveaux grands récits pour tirer en avant l’humanité menacée de désespérance » (p 291).
Dans plusieurs chapitres, l’auteur dialogue avec la jeune génération telle qu’il la représente dans quelques personnages. Il évoque ainsi des réalités bien documentées, mais aujourd’hui largement méconnues. Ainsi, il apparaît qu’à long terme, dans la vie quotidienne, la violence recule. Et il fait appel à de nombreuses recherches qui montrent l’influence potentielle de la pensée et de la méditation sur des réalités sociales. Des interrelations nouvelles apparaissent. On découvre ainsi que « nos volontés et nos actions influent sur nos corps… Nos cerveaux sont beaucoup plus malléables que l’on ne croyait. Nos réseaux neuronaux se reconstruisent en permanence. Et même, mis en relation avec quelqu’un, nous fonctionnons littéralement en wifi. Et cela nous transforme. Nous nous transformons physiquement les uns les autres en fonction de nos interactions… » (p 267). Sur un autre registre, le concept d’imaginal est avancé. « Ce sont des mondes et des niveaux de conscience différents, mais bien réels » ; certains disent même plus réels que le réel… Pour les mystiques de toutes les traditions, on pourrait dire que l’imaginal représente le monde intermédiaire entre le réel physique et l’Être ineffable et absolu » (p 271).
Un des interlocuteurs présents dans ce livre s’exprime ainsi : « Je suis persuadé que Vernadski et Teilhard visualisaient la Noosphère comme une dimension bien réelle, mais habitée par des humains ayant suffisamment cultivé leurs mondes intérieurs – et résolu leurs névroses – pour pouvoir s’échapper à volonté dans l’imaginal » (p 272). Patrice Van Eersel se rend compte que pendant longtemps il a réfléchi à la Noosphère « en terme d’extériorité, beaucoup plus rarement en terme de vie intérieure – qui est bien autre chose que le flux psychologique des images et des pensées qui nous traversent à chaque instant… Pourtant, chacun à sa façon, les personnages de mon récit, Teilhard de Chardin comme Vernadski ou Le Roy, n’avaient jamais cessé d’insister sur le va-et-vient indissoluble entre le dehors et le dedans » (p 273)…
« Pourrait-on donc imaginer que l’évolution d’Homo Sapiens ait atteint un stade limite où s’ouvrirait soudain en nous l’urgence vitale d’ouvrir une porte inédite vers un « ailleurs » ? Ou plutôt une porte aussi ancienne que l’être humain des origines, mais oubliée depuis des siècles par quasiment toute l’humanité à l’exception de minuscules minorités d’initiés, une porte qui signalerait une transition vers un être humain non pas « augmenté », mais « métamorphosé » ? (p 274).
Cet ouvrage volumineux de Patrice Van Eersel se lit de bout en bout, car il y a un dynamisme dans ce récit et un appel constant à la découverte. C’est un univers tant il est vaste dans le thème abordé et l’approche empruntée. Ce livre est également constamment orienté vers une recherche de sens. La vision suggérée et proposée de la Noosphère est envisagée non seulement dans son émergence, mais dans sa réception. Une piste est tracée et elle est accueillie dans un dialogue incessant entre l’auteur et des interlocuteurs imaginés exprimant les angoisses, les interpellations et les attentes d’une nouvelle génération. Ce livre est un univers. Il ne rapporte pas seulement la vie et l’apport de grands chercheurs, mais il aborde également des recherches et des innovations plus récentes. Une abondante bibliographie en témoigne. Nous avons essayé de proposer quelques aperçus de ce livre, sachant que nous ne pouvions rendre compte de toute sa diversité. Il y a, dans ce livre, une dynamique à la fois intellectuelle et humaine. C’est aussi un ouvrage qui met, à la portée de tous, une ouverture de sens pour nos contemporains. Une incitation à la lecture.
J H
- Biographie de Patrice Van Eersel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Van_Eersel
- Patrice Van Eersel. Noosphère. Eléments d’un grand récit pour le XXIè siècle. Albin Michel, 2021
Interview de Patrice Van Eersel sur son livre : Noosphère : https://www.youtube.com/watch?v=WCV7TOnoScA
- Face à la violence, l’entraide dans la nature et dans l’humanité : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-lentraide-puissance-de-vie-dans-la-nature-et-dans-lhumanite/
- Il existe de nombreuses études sur la vie et l’œuvre de Pierre Teilhard de Chardin. Ici : Patrice Boudignon. Teilhard de Chardin. Sa biographie par sa correspondance : https://www.canalacademies.com/emissions/au-fil-des-pages/teilhard-de-chardin-sa-biographie-par-sa-correspondance Plus précisément, en rapport avec le sujet de cet article : Noosphère podcast : de la conscience individuelle à la conscience collective, par François Euvé : https://www.youtube.com/watch?v=09WRgOQAc24
- Association des amis de Teilhard de Chardin : https://teilhard.fr/
par jean | Avr 6, 2022 | Vision et sens |
Si Dieu ne se laisse pas enfermer dans une représentation. S’il échappe à nos catégories humaines, êtres humains, nous avons besoin pour nous adresser à lui, d’une image guide en lien avec notre affectivité et notre intelligence. Ainsi, dans le « Notre Père », Jésus nous invite à accéder à Dieu en terme de Père et, plus précisément, de Abba, papa, notre bon père céleste. Dieu nous appelle à l’amour, et, s’il est lui-même amour, il entend que son évocation puisse éveiller en nous l’amour. Une prière qui s’adresse à Dieu, en terme d’ami, mobilise tout ce que ce mot éveille en nous.
Le grand Ami
Dans le message qui nous est communiqué dans le livre : « Dieu appelle » (1), une voix se fait entendre en ce sens (p 180-181). « Ce que l’on entend par « conversion », n’est souvent que la découverte d’un Grand Ami. Ce que l’on entend par « religion » est la connaissance de ce Grand Ami. Ce que l’on entend par la « sainteté » est l’imitation de ce Grand Ami… La perfection, cette perfection à laquelle j’ai appelé tous les hommes : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait (Math 5-48), consiste en somme à être comme votre Grand Ami, afin de devenir à votre tour un ami semblable pour les autres ». « Je suis votre Ami. Songez un peu à tout ce que signifient les termes d’Ami et de Sauveur. Un ami est toujours disposé à venir en aide. Il prévient vos besoins, s’avance la main tendue pour soutenir et encourager, ou pour écarter le danger. Sa voix est celle de la tendresse… Pensez à ce qu’est pour vous un tel ami et tachez de vous représenter ce que doit être l’Ami Parfait, celui que rien ne décourage, qui se donne sans réserve, qui a triomphé de tout et qui peut tout. Je suis pour vous cet Ami. Je le suis même au delà de ce que peut attendre votre cœur » (p 180-181).
Méditation biblique
Dans les méditations publiées journellement sur le site : « Center for action and contemplation », Richard Rohr nous apporte un message qui s’étend bien au delà de l’expression franciscaine qui l’accompagne. Richard Rohr récemment consacré une séquence hebdomadaire au thème de « la rencontre de Dieu à travers la Bible » (Encountering God through the Bible). Et une des méditations inscrites dans ce cycle s’intitule : « Pouvons-nous être amis avec Dieu ? » (2). Cette méditation est un texte de Diana Butler Bass issu de son livre : « Freeing Jesus. Rediscovering Jesus as Friend, Teacher, Savior, Lord, Way and Presence » (3). L’auteure se réfère à différentes images de Jésus et, entre autres, elle s’inspire de celle où prévaut l’amitié. Ainsi, « l’auteure et la chercheuse Diana Butler Bass décrit quelque chose qui est la marque d’une foi mure, échappant ainsi à des préjugés populaires. « Effectivement, l’amitié avec Dieu est au cœur de l’histoire biblique ».
L’amitié avec Dieu au cœur de l’histoire biblique
« La Bible nous raconte une histoire originale sur l’amitié avec Dieu, particulièrement dans les écritures hébraïques. L’amitié n’a rien d’une immaturité ; elle est un don de sagesse. « Dans chaque génération, la sagesse passe dans les âmes saintes et elle les rend amies de Dieu et des prophètes (Sagesse de Salomon 7.27). Deux des plus grands héros d’Israël, Abraham, le père de la foi, et Moïse, le prophète libérateur, sont appelés spécifiquement amis de Dieu. En Esaïe (41.8), Dieu envisage Abraham comme « mon ami », une tradition qui entre dans le Nouveau Testament (Jacques 2.23). De Moïse, l’Exode déclare : « Le Seigneur avait l’habitude de parler à Moïse face à face, comme on parle à un ami (31.11), une intimité très rare, car une telle proximité divine impliquait d’habitude la mort (33.20).
Le point essentiel est que l’amitié avec Dieu fonde l’alliance et qu’Israël est libéré de l’asservissement pour entrer dans une famille nouvelle à travers la loi donnée par Moïse. L’amitié avec Dieu n’est pas une histoire biblique secondaire. Plutôt, elle est centrale dans les promesses et la foi d’être un peuple appelé, dans lequel tous sont amis, compagnons, intimes, frères et sœurs et être aimés.
Les premiers chrétiens qui étaient pour la plupart des juifs, savaient tout cela et ont étendu à Jésus cette idée d’une amitié divine. Le Nouveau Testament rappelle intensément la proximité régnant dans le cercle d’amis de Jésus, hommes et femmes transformés à travers leur relation avec lui.
Le Notre Père
Diana Butler Bass comprend la prière du Notre Père apportée par Jésus comme conduisant à une amitié mutuelle avec Dieu.
« Jésus enseigne à ses amis de prier Abba (comme nous assumons qu’il priait lui-même), un terme le plus souvent traduit en anglais par père, mais qui contient des notes de sens indiquant l’intimité et la familiarité, incluant celle d’une relation fraternelle comme « frère » et « compagnon ». Ce terme est relié au mot hébreu désignant un ami (ahab), utilisé pour décrire Abraham ».
Ainsi Jésus présente ses amis (les disciples) à son autre ami (Dieu) dans la prière quotidienne connue comme le « notre Père », peut-être dans ce qui peut être le mieux compris comme « Notre Père-Ami » ou simplement « notre Ami ». Cette idée de « Notre Ami a était une idée révolutionnaire comme Jésus intervenant comme médiateur du compagnonnage divin, abolissait une distance sacrée entre Dieu et nous ».
L’amitié est lié à l’amour, un amour vrai : compassion, empathie, aide, aller au delà de ce qu’on estime possible. C’est le commandement de l’amour. Si nous nous rejoignons dans l’amour, l’amitié est le résultat, même l’amitié avec Dieu. L’amitié est mutuelle… C’est un rapprochement incessant l’un de l’autre qui nous fortifie et nous donne la joie.
Une amitié ouverte
Théologien, dans « L’Esprit qui donne la vie », Jürgen Moltmann nous fait entrer dans une amitié ouverte (4). « Tout simplement, un ami, c’est quelqu’un qui t’aime bien ». « De cette amitié ouverte qui partage et qui libère, Jésus nous donne l’exemple. Son attitude tranche avec celle des religieux de son temps. « Il a été dit de lui : Il est l’ami des pécheurs et des publicains » (Luc 7.34). « La raison profonde en était sa joie débordante en raison de la proximité du Royaume de Dieu. C’est pourquoi, il célébrait le repas messianique avec ces exclus… ». L’amitié est présente dans le témoignage de Jésus. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis… Je ne vous appelle plus serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maitre, mais je vous ai appelé ami parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jean 15. 13-15). Le don que Jésus fait de lui-même est présenté comme amour pour ses amis. Les disciples sont les amis de Jésus… « Dans le don que Jésus fait de lui même, Dieu devient l’ami des hommes, de même ceux qui croient deviennent par-là amis de Dieu. Déjà Abraham dans son chemin de foi avait été appelé lui aussi : ami de Dieu » (Jacques 2.23).
Ressentir l’amitié de Dieu, « c’est participer également à une amitié divine et cosmique qui précède l’amitié personnelle et qui nous y invite. Dans une communauté de la création ressentie comme amicale, nous nouons une amitié ouverte. Celui qui croit en la communauté de la création dans l’Esprit de Dieu qui donne la vie, découvre la « sympathie de toutes choses » et s’y inscrit de façon consciente ».
J H
(1) Dieu appelle. A la Baconnière. « A l’écoute d’une voix bienfaisante » : https://vivreetesperer.com/a-lecoute-dune-voix-bienfaisante/
(2) « Can we be « Friends » with God ? » : https://cac.org/can-we-be-friends-with-god-2022-02-02/
(3) Diana Butler Bass. Freing Jesus ; Recovering Jesus as Friend, Teacher, Savior, Lord, Way and Presence. Harper one, 2021
(4) Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999.
« Vivre une amitié ouverte » : https://lire-moltmann.com/vivre-une-amitie-ouverte/
par jean | Mar 14, 2022 | Vision et sens |
La vie divine
S
elon Bertrand Vergely
« Dieu veut des dieux » : ce titre d’un nouveau livre de Bertrand Vergely (1) est dérangeant. Il échappe à toute raison raisonnante, et, en même temps, il peut être rejeté par des croyants inquiets de ces prétentions. Il ne va pas de soi chez des gens en quête spirituelle, mais il peut y activer des questionnements. Aujourd’hui, dans les incertitudes de l’époque, on peut s’enfermer dans une orthodoxie rigide, ou, au contraire, s’ouvrir, écouter, entendre. L’Esprit souffle où il veut, nous a dit Jésus. Personnellement, à ce point, un souvenir est remonté : la chanson « Fabulettes » d’Anne Silvestre : « J’ai une maison pleine de fenêtres, pleine de fenêtres en large et en long… » (2).
A plusieurs reprises sur ce site, nous avons rapporté la pensée forte et suggestive de Bertrand Vergely (3). Qu’est-ce que celui-ci a-t-il à nous dire aujourd’hui dans son cheminement philosophique et théologique ? Et bien, il s’en explique dans une interview rapportée dans une vidéo de la Procure (4). Cet homme a reçu de sa mère une ouverture spirituelle se manifestant à travers une foi du cœur vécue dans la confession orthodoxe. Et dans l’université française, il a appris la rigueur de pensée et il a réalisé un beau parcours philosophique. Ses nombreux livres témoignent d’une grande créativité, d’un esprit brillant, d’une maitrise de l’écriture et d’une connaissance encyclopédique. Toute sa vie, Bertrand Vergely a cherché à conjuguer ses deux cultures, la religieuse et la philosophique. Et ainsi, nous le voyons amoureux de la Grèce, du monastère orthodoxe du Mont Athos où il s’est rendu à de nombreuses reprises et de la philosophie de la Grèce antique qu’il connaît de bout en bout. Le livre : « Dieu veut des dieux » est issu de cet univers. La « theosis » (5), l’œuvre de Dieu qui divinise l’homme à son écoute, est enseignée par les Pères grecs du premier christianisme, et aujourd’hui par le christianisme orthodoxe : « La Theosis peut être définie comme une communion-participation avec Dieu. Elle est la grâce par laquelle un fidèle, libre de faute, s’emplit de la lumière divine, s’unissant à Dieu, dès cette vie, et en plénitude, lors de la résurrection des morts ». La démarche de Bertrand Vergely s’inscrit, en même temps, dans un monde familier. Ainsi nous rapporte-t-il son expérience d’une rencontre avec une habitante d’un village grec, sensible comme lui à la beauté du lieu associée à un effet de la grâce divine.
Si Dieu, en Occident, a parfois été reçu et vécu comme insensible et lointain, un mouvement profond est apparu dans les dernières décennies qui, dans la reconnaissance de la dynamique trinitaire et de l’œuvre de l’Esprit, de la marche vers un nouveau monde dans lequel Dieu sera « tout en tous », proclame « Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » (6). A de nombreuses reprises, nous avons rapporté la pensée à ce sujet, du grand théologien Jürgen Moltmann (7), du franciscain américain, Richard Rohr (8) et de l’historienne américain, Diana Butler Bass (9).
« Dans la communion avec le Dieu vivant » écrit Jürgen Moltmann, « notre vie mortelle et finie, ici et maintenant, est une vie interconnectée, pénétrée par Dieu, et ainsi, elle devient immédiatement une vie divine et éternelle… » Et Richard Rohr nous communique un message comparable : « La révolution trinitaire en cours révèle Dieu, comme toujours avec nous dans toute notre vie. Cette évolution a toujours été active comme le levain dans la pâte. Mais aujourd’hui, on comprend mieux la théologie de Paul et celle des Pères orientaux, à l’encontre des images punitives plus tardives de Dieu qui ont dominé l’Eglise occidentale ». La pensée de Bertrand Vergely s’inscrit ainsi dans un continuum où il apporte ici sa note originale, son accent sur la « theosis ».
Le livre de Bertrand Vergely se développe en trente chapitres répartis en trois parties : le principe divin, l’homme divin, la vie divine. Nous ne nous sentons pas à même de réaliser une présentation ordonnée de cet ouvrage parce que nous ne disposons pas d’une culture philosophique adéquate. A vrai dire, pour nous, cette lecture ne va pas de soi. Ce style, riche en hyperboles, n’est pas le notre. Mais nous trouvons dans ce livre des éclairages qui engendrent un nouveau regard. Il y a des passages fulgurants. Ce sont des fenêtres qui s’ouvrent. A deux reprises, nous avons pu constater sur facebook l’audience suscitée par des passages de ce livre de Bertrand Vergely. Cette expérience nous encourage à partager ici quelques brefs extraits. Notre choix a été commandé par notre degré de compréhension immédiate et notre accessibilité personnelle.
Consentement d’être
« L’être a une caractéristique. Il est ce qu’il est. Etant ce qu’il est, il est harmonieux. Il est harmonie. Faisons l’effort d’être en vivant ce que nous vivons par le fait d’être présent à ce que nous vivons. On ressent une joie débordante. L’harmonie parle parce qu’on la laisse parler. Epicure a appelé cette joie « plaisir ». Ce terme est trompeur. Il fait penser à une satisfaction sensuelle. Il ne parle pas du consentement d’être, consentement divin » (p 101).
Il est divin de respirer
« Il est divin de respirer. Il est divin de faire respirer. On guérit en respirant. On guérit le monde. On respire tellement mal ! On étouffe tant ! Dieu est Esprit. Il est Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est souffle. On ne voit pas assez Dieu comme Esprit qui souffle, et qui, en soufflant, fait respirer et guérir » (p 130).
Vivant pour vivre
« Lorsqu’on s’arrête pour vivre ce que l’on vit, un événement foudroyant se produit. Vivant pour vivre, l’existence n’est plus seulement l’existence. Elle est l’existence qui est. L’être vient se mêler à l’existence qui, en retour, vient se mêler à l’être. La coïncidence entre l’existence et l’être a un effet fulgurant. Une lumière jaillit. L’existence peut être de l’être. Le divin peut se faire vie. On est dans le Christ, dans le Dieu fait homme, dans le divin fait vie » (p 184).
La mort est un passage
Pensons qu’après la mort, tout n’est pas fini. Posons qu’il y a autre chose. Arrêtons-nous sur cette phrase : « Ce n’est pas fini ». Méditons la. La mort existe. En outre, elle n’existe pas comme néant. Elle existe comme passage. La mort se met à exister. Ni escamotée, ni néant, elle est un passage. C’est ce que signifie la résurrection qui a lieu lors de Pâques, la fête des passages. La mort existe et elle n’est pas sans fin. Le néant est terrassé. Il s’agit là d’un événement nouveau. Vivons avec cette conscience. La vie change. Le corps change. Nous n’avons pas l’habitude de penser que nous allons vers une vie autre… Tout est bien plus vivant que nous le pensons. Nous sommes du plus que vivant qui s’ignore et non du vivant qui est condamné » (p 203-204).
Qui est donc l’homme ?
« Qui est donc l’homme pour que tu t’en souviennes ? » interroge les Psaumes (Ps 8.5). L’homme a beau être peu de choses dans l’univers matériel. Il a conscience de l’univers. Cela change tout. Grâce à lui, l’univers est un univers conscient. D’où la profondeur de cette parole chantée par le chœur dans Antigone de Sophocle : « Parmi toutes les merveilles, l’homme est la plus grande merveille ». Comme le dit Pascal, l’homme possède une dignité infinie du fait qu’il pense.
Il faut que l’homme en prenne conscience. Il y a quelque chose non seulement de royal, mais de divin en lui… Dans les Évangiles, c’est ce qu’enseigne le Christ quand il lance à ceux qui veulent le lapider parce qu’il se dit fils de Dieu : « Vous êtes des dieux » (Jean10.34-36). Parole qu’il convient de bien comprendre : tous ceux à qui la Parole de Dieu est destinée sont des dieux. Ce sont les Psaumes qui le disent (Ps 81.6)… » (p 12).
L’homme ne se fabrique pas. Il se reçoit
On se trompe quand sous prétexte de s’affranchir du dogmatisme, on pense en avoir fini avec l’être ainsi qu’avec Dieu. Eliminons Dieu et l’être de la pensée. Eliminant l’idée que la réalité va bien plus loin que l’on pense ou voit, on l’appauvrit, quand on ne l’assèche pas. Dieu ainsi que l’être renvoient à la vie divine et pas simplement à un dogmatisme. Ne croyons pas qu’elle a dit son dernier mot. L’aspiration à la plénitude qui inspire le fond du cœur humain n’a jamais dit son dernier mot. La liberté que donne la vie divine non plus ne s’efface pas. La postmodernité croit que tout se fabrique. Tout ne se fabrique pas. L’homme ne se fabrique pas. Il se reçoit. Ce qui fait qu’il est et qu’il sera toujours plus beau que l’homme qu’on prétend fabriquer (p 236).
Dieu veut que le vivant vive
« Dieu est vivant. Etant vivant, il veut que le divin vive. Voulant que le divin vive, il le fait vivre en le semant dans la profondeur des choses, des êtres, du monde, de la vie, des hommes et de l’histoire. Dans la Genèse, ce divin en expansion s’appelle l’arbre de vie (Gen 2.9). Dans l’Evangile de Jean, il s’appelle le Verbe (Jean 16.20). Il y a du divin en l’homme. Il faut le dire. C’est en ayant conscience de sa valeur divine qu’il cesse de délirer et de faire n’importe quoi. C’est en entreprenant de vivre divinement qu’il se met à vivre et à faire vivre la vie la plus humaine qui soit » (p 13).
Je suis
Le peuple d’Israël est en exode. Il souffre. Il attend d’être libéré de l’asservissement qu’il subit. Pour le délivrer, Moïse a l’idée de demander son nom à Dieu. Le nom qui dit l’identité intime permet de remonter à la source de ce qui est et de ce qui fait être. Si Israël connaît le nom de Dieu, muni de l’énergie divine, il pourra se libérer. Le nom que Dieu révèle à Moïse est Je Suis, en hébreu YHVH. Je suis renvoie à la réalité fondamentale de Dieu qui est, comme le dit l’Apocalypse, « Celui qui est » (Ap 1.4). Je suis renvoie par ailleurs à notre existence. Je suis renvoie enfin à la relation entre notre existence et l’existence divine. Glorieuse nouvelle. Il est possible de se libérer de l’esclavage. Il suffit de dire Je suis. L’existence se met en relation avec l’existence divine et son énergie inépuisable. On comprend que Dieu soit alors le rocher de l’homme (Ps 18.2), son repos (Ps 61.2) » (p 23).
Le Christ est dit l’arbre de vie
« Les arbres qui recouvrent la terre, font de la terre une terre vivante qui respire. Si le ciel est une enveloppe d’air qui permet à la terre de respirer, l’arbre est un ciel actif sur la terre qui la fait respirer.
Le Christ est dit médiateur. En reliant Dieu à la vie sensible et la vie sensible à Dieu, il est le médiateur entre la vie invisible et la vie visible. Le Christ est dit être l’arbre de vie. Cette image est confirmée par la relation qu’il a avec le Père. En faisant de lui un Dieu vivant, il le fait respirer comme l’arbre fait respirer la terre. On peut dire qu’il est le poumon de Dieu… Le Dieu vivant relie le visible à l’invisible. Il relie aussi l’invisible au visible en étant cette énergie invisible qui permet au visible de croitre et multiplier… » (p 165-166).
Théosis
« Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » enseigne saint Athanase. « Dans les temps antérieurs, on disait bien que l’homme avait été fait à l’image de Dieu, mais cela n’apparaissait pas, car le Verbe était encore invisible… Lorsque le Verbe s’est fait chair, Il a fait apparaître l’image dans toute sa vérité. Il a établi la ressemblance de façon stable ».
Au IIIè siècle, Irénée de Lyon exprime la notion de théosis. Il le fait dans un contexte où la Gnose pense que le monde est mauvais… Elle espère la destruction du monde afin de voir advenir sa rénovation… Il faut parler de Dieu, pense Irénée, mais autrement. Le monde et l’homme n’ont pas besoin d’être détruits pour être rénovés. Pour l’expliquer, Irénée commence à rappeler que la création est bonne. C’est dans cette perspective qu’il importe de comprendre la doctrine de la déification. Si la création est bonne, l’existence humaine l’est aussi… L’existence humaine est tellement bonne que Dieu veut que l’homme lui ressemble. Voulant que l’homme lui ressemble, il n’hésite pas, si l’on ose dire, à ressembler à l’homme en se faisant chair par le Christ. Enfin l’existence humaine est tellement bonne que l’homme peut devenir Dieu. Nul besoin de violence pour le réformer. L’homme peut par cette vie de présence absolue qu’est la vie de prière devenir une pure présence comme le Père.
Le message d’Iréné est le suivant : Faisons de la création une création qui est bonne et de l’humanité une création tout aussi bonne. On rend possible une harmonie entre Dieu et l’homme. La vie peut devenir divine. Le monde peut devenir divin. L’homme peut devenir divin… » (p 214-215).
Le ciel est bleu
« Le ciel est par dessus le toit, si bleu, si calme », écrit Verlaine. Des toits. Au dessus des toits, le ciel. Au dessus du ciel, le bleu. Au dessus du bleu, le grand calme, le grand calme. Dans le monde des hommes, le toit est ce qui clôt l’espace humain. Le ciel par dessus les toits vient montrer que l’espace n’est pas clos. L’homme n’est pas condamné à vivre dans un espace bouché.
Le ciel est une leçon d’espérance et avec elle de pensée. Un monde sans espérance est un monde où tout est fermé non seulement au départ, mais une fois pour toutes. Le tragique est l’expression d’un tel monde. La vie y est condamnée… : « Ne cherchez pas une issue. Il n’y en a pas… C’est la mort qui a le dernier mot. Elle l’a toujours eu et elle l’aura toujours. Derrière la mort, c’est le néant qui est la vérité ultime… ». La vie n’est pas tragique. Nous ne sommes pas voués à la violence, à la mort et au néant. Verlaine dans son poème le montre. Derrière le ciel, il y a le bleu. Derrière le bleu, il y a le calme, le grand calme. Il y a nous, nous quand nous sommes comme le ciel… (p 149-150).
Apprendre à respirer comme le ciel
Lorsqu’on a l’âme bleue, lorsqu’on a le blues, comme le souligne Trinh Xuan Thuan, il suffit de regarder le ciel pour que le bleu céleste chasse le bleu mélancolique. Si il y a les coups de la vie qui provoquent des bleus à l’âme, il y a la grande liberté du ciel qui murmure à travers ses brises de partir au large. Pourquoi s’en faire ? on s’en fait trop… Nous sommes. Nous existons. Il y a de l’être en nous. Là est notre trésor… On ne respire pas. Le ciel lui respire. Il faut apprendre à respirer comme lui… (p 153)
L’homme céleste
Entre l’inspire et l’expire, il y a le grand fleuve de la vie qui continue de couler inlassablement en déversant la vie. On touche là à l’inspiration continuelle de l’être… Dans l’Evangile de Jean, (dans l’entretien du Christ avec Nicodème (Ch 3.1-18), on entend que l’esprit est comme le vent : nul ne sait d’où il vient, nul ne sait où il va. On est libre quand on respire. On respire quand on est inspiré. On est inspiré quand on est comme le vent dont nul ne sait d’où il vient et où il va. On est libre quand ce n’est plus nous qui parlons, mais la vie… L’être qui fait respirer le monde est céleste. Céleste, il n’est plus tout à fait de ce monde. Il est étranger à nos passions étouffantes. Il faut que l’homme céleste se mette à exister pour que le monde reprenne son essor… » (p 154).
Au fil de passages significatifs, nous avons rapporté plusieurs aspects de ce livre et de cette pensée. Beaucoup d’autres auraient pu être mis en avant. Cette expérience de lecture nous a permis et permet aux lecteurs d’apprécier la vivacité de cette pensée tant à travers son expression que dans la profondeur des réflexions. Ces aperçus ouvrent des fenêtres et apportent des éclairages bien souvent inattendus. A coup sur, ce livre nous apporte une pensée originale. Ces extraits suscitent une envie de s’y plonger ou de s’y replonger. On y apprend à reconnaître notre être et sa relation avec l’Etre divin. Une spiritualité émerge . C’est « la spiritualité de l’être » telle que Pierre Lebel l’a mis récemment en évidence » (10)
J H
- Bertrand Vergely. Dieu veut des Dieux. La vie divine. Mame, 2021
- Anne Silvestre. J’ai une maison pleine de fenêtres ; https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=J%27ai+une+maison+pleine+de+fenètres&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&safe=images&as_filetype=&tbs=
- Avant toute chose, la vie est bonne :https://vivreetesperer.com/avant-toute-chose-la-vie-est-bonne/ Avoir de la gratitude : https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/ Dieu vivant : rencontrer une présence : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-rencontrer-une-presence/ Le miracle de l’existence :https://vivreetesperer.com/?s=le+miracle+de+l%27existence&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
- Entretien vidéo avec Bertrand Vergely à la Procure : https://www.youtube.com/watch?v=_iVWcwCCXvM
- Théosis : https://fr.orthodoxwiki.org/Théosis
- Dieu vivant, Dieu présent, Dieu avec nous dans un monde où tout se tient : https://vivreetesperer.com/dieu-vivant-dieu-present-dieu-avec-nous-dans-un-univers-interrelationnel-holistique-anime/
- Jürgen Moltmann. The living God and the fullness of life : https://vivreetesperer.com/?s=The+living+God+and+the+fullness+of+life+
- Richard Rohr. The divine dance : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
- Diana Butler Bass. Grounded. https://vivreetesperer.com/une-nouvelle-maniere-de-croire/
- Pierre LeBel. La spiritualité de l’être : https://www.temoins.com/la-spiritualite-de-letre/