L’effondrement est-il fatal, ou bien, au contraire, rien n’est joué.
La science contre les théories de l’effondrement.
Aujourd’hui, face aux menaces du dérèglement des équilibres naturels engendré par un accroissement effréné de la production industrielle, la prise de conscience écologique se développe et elle s’accompagne de la mise en évidence des dangers encourus. Certes, une mobilisation est en cours pour développer de nouvelles pratiques économiques et un nouveau genre de vie. Cependant, autant l’alarme est nécessaire pour favoriser cette mobilisation, autant elle peut se prêter à des excès qui engendrent la peur au point que celle-ci débouche sur le désespoir, le fatalisme, la résignation. C’est ainsi qu’au cours des dernières années, s’est développé un courant de pensée influant qui envisage l’avenir en terme d’effondrement. Dans un livre : « « Comment tout peut s’effondrer », des chercheurs, par ailleurs reconnus, Pablo Servigne et Raphaël Stevens se proposent d’aborder dans une perspective scientifique l’effondrement systémique global de la civilisation industrielle et des grands équilibres des écosytèmes, en désignant cette approche sous le vocable de « collapsologie ». Si l’alarme nécessaire vis-à-vis des menaces de dérèglement des équilibres naturels, peut susciter une eco-anxiété et, en réponse, un nouveau mode de pensée (1), elle peut dégénérer en se focalisant sur la crainte d’un effondrement, car une telle fascination engendre le fatalisme. C’est pourquoi, un chercheur, bien connu sur ce blog, Jacques Lecomte, vient d’écrire un livre où il s’élève contre ‘l’effondrisme’ : « La science contre les théories de l’effondrement ». Le titre principal, ‘Rien n’est joué’ (2) manifeste son refus du fatalisme. Expert français en psychologie positive, Jacques Lecomte a appris comment la focalisation sur le négatif entrainait un enfermement dans ce registre. Et à l’inverse, il y a une dynamique du bien. C’est pourquoi Jacques Lecomte a écrit un beau livre sur « la bonté humaine » (3). Par la suite, il a mis en évidence les expériences positives des « entreprises humanistes » (4 ). Et enfin, désirant encourager la confiance, il a publié en 2017,un livre visant à enrayer le pessimisme collectif : ‘Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez’ (5). On comprend donc pourquoi aujourd’hui Jacques Lecomte s’attelle à la tâche de réfuter les thèses de « l’effondrisme ».
Jacques Lecomte partage notre souci de sauvegarder la Terre. Il n’est pas climatosceptique. Au contraire, « c’est précisément parce que l’état de notre environnement me préoccupe fortement que je m’intéresse aux solutions déjà existantes. Car il y a urgence face au réchauffement climatique d’origine humaine, à la destruction de la nature et à de nouvelles formes de pollution ». Mais, selon l’auteur, « les effondristes contemporains affirment au contraire qu’il n’y a pas de solutions aux problèmes, que les seules actions envisageables consiste à s’adapter à une situation environnementale insoluble » (p 10). « L’objectif de ce livre est d’évaluer la qualité scientifique de ce courant de pensée ». Pour Jacques Lecomte, cette intervention n’allait pas de soi. « J’ai pour habitude, dans mes écrits, conférences et formations de valoriser des informations positives, non de critiquer. De plus, en commençant l’écriture de ce livre, j’étais embarrassé de contester les propos de personnes dont je partage la préoccupation environnementale et l’aspiration à une société plus fraternelle. Mes lectures m’ont cependant amené progressivement à cette conviction : le discours effondriste est non seulement scientifiquement faux, mais il a de plus des effets néfastes psychologiques, politiquement et environnementalement. Comprendre cela a été pour moi l’argument décisif. S’il pouvait limiter la vague actuelle d’éco-anxiété et redonner de l’espoir et l’envie d’agir fortement pour améliorer notre monde, j’en serais ravi. La première raison d’être de ce livre est donc de montrer à celles et ceux qui le liront que rien n’est joué, qu’il est encore possible d’agir efficacement » (p 11).
Jacques Lecomte a donc entrepris un travail considérable d’analyse des textes en les confrontant avec d’autres recherches et avec les données pouvant être mises en évidence. Et par exemple, la prédiction de telle pénurie de matières premières à telle date s’est-elle réalisée ?
Le livre se compose de deux parties : la critique des points fondamentaux de l’approche effondriste ; une analyse des modes de pensée entrainant des dérives dans les conclusions. Nous nous limiterons ici à une courte présentation de la remise en cause de conclusions effondristes.
Les pionniers de l’effondrisme. Prophéties ratées et cruauté politique
Quels sont les auteurs auxquels les penseurs de l’effondrisme se référent et dont ils s’inspirent ? En quoi leurs théories sont-elles profondément critiquables ?
« Nous ne pouvons comprendre les effondristes contemporains que si nous analysons en premier lieu les pensées et les actes des précurseurs dont ils se disent héritiers. Ces auteurs sont généralement présentés par les effondristes comme des sources scientifiquement et moralement fiables. Il s’agit principalement de Thomas Malthus, Paul Ehrlich, Garrett Hardin, Denis Meadow et ses collègues, Jared Diamond » (p 21). Jacques Lecomte nous montre à travers des citations de personnalités effondristes combien ils sont influencés par la pensée Malthusienne. Le livre majeur de Malthus, publié en 1798, est intitulé : « Essai sur le principe de population ». L’idée centrale de ce livre est que « la population humaine augmente à un rythme bien plus rapide que notre capacité à produire l’alimentation nécessaire ». Jacques Lecomte rappelle les incidences cruelles de la pensée malthusienne qui impute leur sort aux pauvres et n’hésite pas à considérer la mortalité comme un moyen de limiter la population. Sa théorie a inspiré des mesures grossièrement antisociales dans l’Angleterre du XIXe siècle. A partir des données existantes, Jacques Lecomte réfute les thèses de Malthus : « Il n’y a pas augmentation exponentielle de la population… La production alimentaire suffit à nourrir la population mondiale… Les famines ne résultent pas des pénuries alimentaires, mais de choix politiques… C’est la pauvreté qui entraine la croissance démographique, non l’inverse… L’aide sociale n’incite pas les pauvres à se reproduire… » (p 26-28). L’auteur décrit « les terribles conséquences des pratiques malthusiennes » comme la grand famine en Irlande (1845-1850) et la grande famine en Inde (1876-1875) (p 30-31).
Ce tableau est si sombre qu’on peut se demander comment des auteurs peuvent aujourd’hui évoquer son inspiration « Malthus a été le premier auteur à introduire la notion de rareté en économie. C’est surtout à ce titre qu’il est suivi par des auteurs contemporains qui s’affirment malthusiens ou néo-malthusiens… » Les emprunts à sa pensée varient également. « Malthus se préoccupait surtout de la production alimentaire tandis que les continuateurs actuels soulignent que les ressources naturelles sont limitées. C’est l’interprétations que soulignent Pablo Servigne et Raphaël Stevens… en nous rappelant que nous ne pouvons pas croître indéfiniment dans un monde fini ». Mais, nous dit Jacques Lecomte : « On ne peut présenter Malthus comme un écologiste avant l’heure, alors que sa préoccupation était toute autre, et ses propositions particulièrement brutales » (p 24).
Lorsqu’on s’oppose à une croissance sans frein génératrice du désordre naturel, on considère souvent le rapport Meadows, le rapport du Club de Rome publié en 1972 ; les ‘limites de la croissance’ comme un avertissement précurseur. Jacques Lecomte nous montre en quoi le rapport Meadows est cependant critiquable. « Certes les auteurs du rapport Meadows décrivent des impacts néfastes de l’action humaine (déchets nucléaires, pollution de l’eau et de l’air, pesticides), mais cela reste secondaire dans l’ouvrage. L’alerte environnementale constitue moins d’un dixième du propos. Comme beaucoup d’autres écrits effondristes contemporains, ce document met essentiellement en garde contre le risque de proche effondrement de notre société industrielle par manque de matières premières… » (p 47). Cependant, on constate maintenant que les prévisions du rapport ne se sont pas réalisées. « Les dates prévues de pénurie de matières premières devant conduire à l’effondrement se sont toutes révélées fausses » (p 49). De fait, on peut voir de ‘multiples biais méthodologiques’ dans ce rapport (p 60-55). Les erreurs de prévision ne sont pas sans conséquences. « Le fondement malthusien du rapport conduisait à dire qu’il y a sur terre trop de personnes, comparé aux ressources restreintes de la planète ». Un chercheur chinois a propagé cette vision en Chine et « la politique de l’enfant unique » en a été une « tragique application » (p 62-63).
Jacques Lecomte évoque un autre auteur qui est maintenant renommé et exerce une influence auprès des auteurs effondristes. Jared Diamond est devenu célèbre en publiant en 2005 un ouvrage intitulé ‘Effondrement’ dans lequel il affirme que « plusieurs facteurs expliquent la disparition ou la fragilisation de certaines civilisations telles que les Incas, les habitants de l’Ile de Pâques, les Vikings… Ces causes sont principalement des dommages environnementaux, des changements climatiques, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux et les réponses apportées par chaque société à ces problèmes. Le sous-titre ‘Comment les société décident de leur disparition ou de leur survie’ précise bien les intentions de l’auteur » (p 64). Ce livre a rencontré un grand succès. « Il est devenu un best-seller mondial très souvent cité par les auteurs catastrophistes qui insistent sur les dommages environnementaux comme source d’effondrement ». Or, ces explications sont maintenant contestées. « Des dizaines d’experts, des centaines de pages ont remis en question l’ensemble de l’édifice élaboré par Diamond. En 2010, un groupe d‘universitaires s’est réuni à l’université de Cambridge pour analyser le concept d’effondrement en histoire et en archéologie. Un consensus a émergé selon lequel l’effondrement sociétal est un concept fuyant qui résiste à tout tentative de définition simple et les vrais effondrements sociaux sont rares. Ce que constatent les spécialistes, ce sont plus des déclins et des transformations que des chutes brusques. Certes, ces chercheurs ne nient pas que des désastres surviennent, mais ils notent une considérable résilience des peuples en réponse à toutes sortes de difficultés et changements environnementaux » (p 64). « La résilience est la règle plutôt que l’exception lorsque ces sociétés ont dû faire face à des problèmes extrêmes » (p 65). Jacques Lecomte étudie ensuite le cas emblématique de l’Ile de Pâques dans le Pacifique. « Diamond affirme que les habitants de l’île ont pratiqué un « écocide » en détruisant leur forêt ce qui a conduit à leur propre destruction » (p 66). Or, d’autres chercheurs ont contesté les arguments de Diamond. Ainsi, ce n’est pas le transport des grandes statues de l’Ile de Pâques qui a nécessité et entrainé la déforestation. Et l’effondrement de la population n’a pas eu lieu avant l’arrivée des européens. Ces critiques sont trop souvent ignorées par les medias qui continuent à faire l’apologie du livre de Diamond (p 66-70).
En conclusion de ce chapitre, Jacques Lecomte réitère sa critique du rapport Meadows en s’inspirant d’un autre modèle, celui du rapport Bariloche, qui, à l’encontre d‘une croissance zéro, met en évidence les besoins des pays non occidentaux. « Les problèmes les plus importants que le monde moderne doit affronter ne sont pas d’ordre physique, mais sociopolitique et proviennent d‘une distribution inégale du pouvoir tant sur le plan international qu’au sein des pays eux-mêmes » (p 72). « Une autre vision – humaniste – du monde est possible » conclut Jacques Lecomte (p 71).
Une autre composante de l’effondrisme : une annonce de la pénurie de matières premières
Jacques Lecomte consacre un chapitre à réfuter la thèse d’une pénurie imminente de matières premières : « La pénurie imminente de matières premières constitue la pièce maîtresse de l’effondrisme. Enlevez pétrole, charbon, gaz, métaux et minerais, et notre civilisation moderne s’effondre… Le pic de matières premières, c’est-à-dire le moment où la production mondiale atteint son maximum, puis décline, est donc au cœur de ce discours. Or affirmer que nous sommes au bord d’une pénurie mondiale de matières premières résulte d’une lecture biaisée des données scientifiques existantes ». L’auteur peut ainsi relever un grand nombre de prédictions alarmistes qui se sont révélées fausses. « Depuis 1860, on observe de multiples alertes sans fondement ». Bien plus, Jacques Lecomte renverse cette perspective : une gestion économe des ressources est un moyen de lutter contre une croissance effrénée. « Le vrai problème n’est pas que nous allons manquer de pétrole et de minerais, mais que nous en avons beaucoup trop à disposition. L’enjeu majeur n’est dons pas l’imminence de la pénurie de matières premières, mais la décision de laisser dans le sol des quantités considérables de ces produits » (p 75-76). Les nombreuses analyses de ce chapitre se fondent sur des études de cas particulièrement documentées. L’approche est logique : « Croire ou se faire croire à la pénurie imminente de matières premières, c’est perpétuer le système actuel. Un monde reposant essentiellement sur une énergie carbonée et c’est inacceptable d’un point de vue environnemental » (p 102). « La transition énergétique par contrainte liée au pic des matières premières est un mythe. En revanche, l’essor de cette transition par décision est possible… » (p 103).
Le climat. « Comment les effondristes maltraitent les rapports du GIEC et se trompent sur les peuples du sud ».
Nous voici en présence du problème majeur : la menace d’un bouleversement climatique. Sur ce point, nous avons tous besoin d’un éclairage objectif et porteur d’un espoir mobilisateur. L’apport de Jacque Lecomte va se révéler précieux.
« Le changement climatique est le problème environnemental majeur. Nous sommes alertés depuis plus de trente ans par les rapports successifs du CIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution de climat), ce réseau international d’experts, dont la mission est d’évaluer et de diffuser l’état des connaissances sur le réchauffement climatique et ses conséquences » (p 105). Les travaux du GIEC sont devenus de plus en plus précis et assurés. « Le consensus scientifique sur l’origine humaine du réchauffement climatique est aujourd’hui impressionnant ». On peut constater que la plupart de ses prédictions climatiques se révèlent exactes (p 106). Jacques Lecomte remarque alors que les messages du GIEC peuvent être déformés aussi bien par les effondristes que par les climatosceptiques. Il sait critiquer certains articles envisageant «une terre bientôt inhabitable » (p 111-117) en montrant combien leurs références sont peu fiables et en mentionnant les oppositions qui leur sont faites. Dans certains cas, Jacques Lecomte redresse quelques images catastrophiques qui viennent alimenter notre eco-anxiété telles qu’un probable engloutissement du Bangladesh ou des îles des océans Indien et Pacifique sous les eaux.
« Le Bangladesh est l’un des pays les plus sujets aux catastrophes naturelles, indépendamment même du changement climatique. Environ 80% du Bangladesh est composé de l’immense delta du Bengale alimenté par trois fleuves… Chaque année, entre un cinquième et un tiers du pays est inondé et ce taux peut s’élever jusqu’à 70%. Il s’agit d’inondations temporaires. La plus grande partie du pays est située à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer et les vastes zones côtières à moins de 1 mètre… » (p 118). Toutefois, ces inondations sont à la fois destructrices et productrices en dépôt d’alluvions. Selon le GIEC, la mer s’élèvera de 26 cm à 98 cm en 2100. Mais les conséquences sont évaluées différemment selon les auteurs. Jacques Lecomte réfute un scénario dramatique. Il se réfère à un géographe anglais expert du Bengale, Hugh Brammer. « Selon lui, la géographie physique et la zone côtière du Bangladesh sont plus diverses et dynamiques qu’on ne le pense généralement. C’est une erreur de penser que cette élévation va submerger la côte » (p 119). Et, en raison des alluvions apportés par les fleuves, on note même des gains de terre au long des années. Par ailleurs, les habitants de ce pays ne sont pas passifs. On peut constater de nombreuses innovations. Et, par exemple, « de vastes bâtiments sur pilotis en béton ont été construits ». Ils servent de refuge en cas d’inondation. En même temps, les services d’alerte sont perfectionnés. On observe dans ce pays une grande ingéniosité. On y compte, par exemple, de multiples innovations agricoles comme des variétés de riz résistantes à la salinité… Una attention particulière est portée aux « charlands », ces iles qui se forment grâce à l’accumulation des sédiments. « Lorsque le « charland » est stabilisé, l’État met en place un système permettant à des familles de devenir propriétaires du lieu qu’elles occupent. La gestion des ressources naturelles est communautaire ». A la lecture de cette description, notre représentation change. « En parlant de 60 millions de Bangladais privés de terre, les effondristes nous les présentent comme une masse indifférenciée et impuissante, alors qu’il s’agit de personnes actives et efficaces, généralement structurées en communautés solidaires. Confrontés à l’adversité depuis toujours, les Bangladais ont su faire preuve de créativité et obtiennent de remarquables résultats » (p 124).
Jacques Lecomte nous permet également de reconnaitre le potentiel de résistance des îles du Pacifique menacées par la montée du niveau de la mer. De fait, les phénomènes naturels ne comportent pas uniquement des aspects négatifs. Ainsi « les vagues transportent, puis déposent sur la côte du sable, du gravier, et des parties de coraux… ». D’autre part, les coraux sont des organismes réactifs. Un expert peut écrire : « L’accumulation de données scientifiques montre que les îles réagissent à l’élévation du niveau de la mer. De nombreuses possibilités d’adaptation permettent aux habitants des îles de continuer à mener une bonne vie. Le défi est de savoir comment y arriver, ce qui est politique… » (p 128). « On ne doit pas minimiser l’importance de la résilience et des actions des communautés locales » souligne Jacques Lecomte.
Au total, ce chapitre nous parait analyser en profondeur les problèmes en recherchant, en même temps, les voies de solution. Ainsi, intitule-t-il son dernier texte ‘Face aux mythes déprimants et stigmatisants, une réalité porteuse d’espérance’. Là encore, il apporte un exemple positif. Face aux tensions et aux conflits suscités par le problème du partage de l’eau, il nous décrit « les fréquents exemples de diplomatie de l’eau ». C’est par la négociation et la coopération que les problèmes partagés ont le plus de probabilités d’être réglés » (p 150).
La biodiversité. Dramatiser la crise est aussi néfaste que la nier
« La nature est en danger. C’est incontestable ». « Une partie de la biodiversité est clairement en grande difficulté ». L’auteur en donne quelques exemples : « la réduction des écosystèmes sauvages » ; « l’effondrement de nombreuses espèces d’amphibiens » ; « le déclin des insectes » ; « le déclin des oiseaux communs d’Europe et d’Amérique du Nord ». Comment Jacques Lecomte envisage-t-il la situation ? « Tout cela est préoccupant. Il n’y a donc nul besoin de noircir le tableau pour en percevoir la gravité. C’est malheureusement ce qui est souvent fait, que ce soit par des experts, des militants, ou des journalistes. J’analyse dans les pages qui suivent des arguments fréquemment mis en avant par des partisans d’une vision catastrophique. L’information objective sur les problèmes diffère nettement de l’extrémisme catastrophique » (p 165). L’auteur critique notamment la prédiction d’une prochaine « extinction ce masse ». Il y a un immense écart entre les prédictions catastrophiques d’espèces devant s’éteindre (jusqu’à un million) et la réalité (quelques centaines en plusieurs siècles) (p 166). De fait il y a des espèces perdantes, mais aussi des gagnantes grâce à l’action militante » (p 169). Ainsi, si il y a une perte massive de certains oiseaux familiers en Europe ( alouette, étourneau, moineau domestique), il y aussi des espèces rares et menacées qui se portent mieux. « Par exemple, la population des grues cendrées a été multipliée par 5. Les oiseaux rares européens sont en pleine renaissance. De forts progrès qui consacrent des années d’efforts des naturalistes et des politiques de protection » (p 171). Au total, « il n’y a donc pas un effondrement généralisé de la biodiversité, mais plutôt trois situations. Une majorité d’espèces sont stables. Il y a le groupe minoritaire des espèces perdantes et les espèces gagnantes » (p 170). L’auteur fait apparaitre des biais dans l’examen des espèces menacées. Ainsi, « lorsqu’une espèce entre dans la catégorie ‘préoccupation mineure’, elle ne peut plus jamais s’améliorer, même si sa population augmente considérablement » (p 184). En France, de nombreux mammifères sont en grande augmentation, tels les chevreuils, les cerfs, les chamois, les castors, les sangliers. Les castors se sont multipliés par 100 en un siècle (p 185). Sur de nombreuses pages, l’auteur procède à un examen détaillé des informations sur des pertes jugées catastrophiques. Par un travail minutieux, la confrontation de recensements, il met en évidence des abus de dramatisation. Il montre notamment les réussites des législations protectrices, par exemple dans le cas des rhinocéros d’Afrique et des loutres de mer (p 204-208).
Ainsi apparait un tableau moins sombre que celui qui nous est présenté par les médias.
On peut se demander si cette moindre dramatisation ne risque pas d’engendrer une démobilisation. Jacques Lecomte s’est posé cette question et il y répond. « Pour ma part, en écrivant ce chapitre, ne serais-je pas en train de tirer contre mon propre camp, celui des amoureux de la nature ? Je ne le pense pas pour trois raisons ; d’objectivité et de crédibilité, d’efficacité ; de vision existentielle. » (p 211). « Si on nous donne l’impression que la situation est désespérée, on pensera qu’il est trop tard pour changer de cours. Ce qui est faux. Quand on prend des mesures énergiques, on obtient des résultats… Les recherches en sciences humaines montrent que la communication par les expériences positives et l’espoir est plus efficace que la communication par la catastrophe. Informer prioritairement sur la baisse de la biodiversité, voire sur les risques d’extinction d’espèces, était certainement utile, il y a une cinquantaine d’années, et cette démarche a conduit à prendre des mesures, dont certaines se sont révélées très efficaces. Mais la situation n’est plus la même aujourd’hui, car, à côté des menaces pesant sur la nature, nous disposons d’une histoire riche de multiples succès, qu’il est nécessaire de faire connaitre pour les multiplier » (p 211). « Une dernière raison pour laquelle j’assume pleinement l’orientation de ce chapitre est existentielle. Je considère que s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens à la vie bien plus puissante que d’être obnubilé par sa destruction » (p 213). Le chapitre se conclut par une réflexion stratégique. Comment améliorer la conservation de la nature et la protection de la biodiversité ? De plus en plus, en partageant les expériences de réussite des actions entreprises.
Comment se produisent les déformations dans l’appréhension du réel qui abondent dans la pensée effondriste ?
Jacques Lecomte consacre la seconde partie de son livre à une confrontation avec la pensée effondriste et, en d’autres termes, avec la collapsologie. On se reportera particulièrement au chapitre sur les biais cognitifs. Une citation de Karl Popper exprime bien les intentions qui instruisent ce chapitre : « Si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous désirons ; nous rechercherons, et nous trouverons la confirmation ; nous éviterons et nous ne verrons pas tout ce qui peut être dangereux pour nos théories favorites. De cette façon, il n’est que trop aisé d’obtenir ce qui semble une preuve irrésistible en faveur d’une théorie qui, si on l’avait approché d’une façon critique, aurait été réfutée ».
Ce livre porte sur des questions fondamentales. Comment faire face aux menaces vis-à-vis de la poursuite de notre humanité dans son environnement naturel ? Et donc comment évaluer cette menace et développer de bonnes stratégies ? Dans cette recherche, ce livre est très original dans sa quête d’objectivité et son approche positive. En s’affrontant à la collapsologie et à la pensée effondriste, il nous prémunit vis-à-vis de la tentation du défaitisme, il vient nous encourager dans l’espérance. Oui, « s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens à la vie ».
Cependant, ce livre se caractérise par un travail considérable dans la confrontation des données et la recherche des sources. il nous apprend à évaluer l’information dans un monde où cette démarche est difficile. Et, à cette intention, il mobilise une immense documentation. A cet égard, c’est un outil de travail pour tous ceux qui travaillent dans les médias. Il y a trop d’idées toutes faites dans une fascination de la dramatisation. Cet ouvrage est donc un livre de référence. Ici, Jacques Lecomte poursuit son œuvre qui est de nous éclairer dans une approche positive.
J H
- L’espérance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/
- Jacques Lecomte. Rien n’est joué ; La science contre les théories de l’effondrement. Les Arènes, 2023
- La bonté humaine : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/
- Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
- En 2017, Jacques Lecomte avait déjà publié un livre visant à introduire un regard positif dans l’observation des réalités contemporaines : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » : https://vivreetesperer.com/et-si-tout-nallait-pas-si-mal/