Un message de Robert Waldinger, directeur de la « Harvard study of adult development »
Qu’est ce qui contribue le plus à notre bonheur ? C’est une question qui se pose à tout âge, et aussi dans les jeunes générations qui s’interrogent sur leur devenir. On peut entendre parfois un désir de richesse, de célébrité ou bien l’éloge d’un travail acharné. Une recherche menée à l’Université de Harvard éclaire singulièrement notre réponse à ces questions. Directeur du projet » Harvard study ofadult development », dans un exposé à Ted X (1), Robert Waldinger nous décrit une enquête exceptionnelle parce qu’elle s’effectue dans une longue durée. « Pendant 75 ans, nous avons suivi les vies de 724 hommes, année après année », en les interrogeant sur toutes les dimensions de leur vie : travail, vie de famille, santé…. Ainsi, depuis 1938, les chercheurs enquêtent auprès de deux groupes initiaux : « Le premier est entré dans l’étude alors que les jeunes gens étaient dans la deuxième année d’Harvard. Le deuxième était un groupe de garçons d’un des quartiers les plus pauvres de Boston ». Aujourd’hui, 60 de ces 724 hommes sont encore vivants. Les trajectoires de ces personnes sont extrêmement diverses. « Ils ont grimpé toutes les marches de la vie. Ils sont devenus ouvriers, avocats, maçons, docteurs… Certains ont grimpé l’échelle sociale du bas jusqu’au sommet et d’autres ont fait le chemin dans l’autre sens ». Répétée tous les deux ans, la recherche menée auprès d’eux a permis de collecter un ensemble de données approfondies et variées depuis des interviews en profondeur jusqu’à des informations médicales.
Quelles sont les données qui résultent des dizaines de milliers de pages d’information qui ont été ainsi recueillies ? A partir de là, Robert Waldinger peut répondre à la question portant sur les conditions qui favorisent le bonheur. « Le message le plus évident est celui-ci : les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure forme. C’est tout ». Ainsi, « les connexions sociales sont vraiment très bonnes pour nous et la solitude tue. Les gens qui sont les plus connectés à leur famille, à leurs amis, à leur communauté, sont plus heureux, physiquement en meilleure santé et ils vivent plus longtemps que les gens moins bien connectés ». L’isolement est vraiment un fléau.
Mais on peut aller plus loin. « Il y a une deuxième leçon que nous avons apprise. On peut se sentir seul dans une foule ou dans un mariage. Ainsi, ce n’est pas le nombre d’amis que vous avez ou que vous soyez engagé ou non dans une relation, mais c’est la qualité de vos relations proches qui importe ». Cette qualité de la relation ressort également d’une autre démarche de la recherche. « Une fois que nous avons suivi les hommes jusqu’à leur quatre-vingtième année, nous avons voulu revenir vers le milieu de leur vie, vers la cinquantaine » et voir si nous pouvions prédire ce qu’ils deviendraient plus tard. « Nous avons rassemblé tout ce que nous savions sur eux à cinquante ans. De fait, ce n’est pas le taux de cholestérol qui prédit comment ils allaient vieillir. C’est le niveau de qualité de leurs relations ». « Les gens qui étaient les plus satisfaits de leurs relations à cinquante ans étaient également ceux qui étaient en meilleure santé à quatre vingt ans ». Robert Waldinger ajoute un troisième observation. « les bonnes relations ne prolongent pas seulement la santé, mais aussi l’état du cerveau. La mémoire de ces gens restent en forme plus longtemps. »
Cependant, en conclusion, Robert Waldinger commente ainsi sa recherche. Ne recherchons pas le spectaculaire. C’est tout un processus qui est en cause, une attitude « tout au long de la vie ». « Cela ne finit jamais ». « Les gens de notre étude qui étaient les plus heureux dans leur retraite, étaient ceux qui ont activement remplacé leurs collègues de travail par de nouveaux amis ». « Les possibilité sont pratiquement sans fin. Ce peut être quelque chose d’aussi simple que de remplacer le temps d’écran par du temps vécu avec des gens, ou raviver une vieille relation en faisant quelque chose de nouveau ensemble, ou rappeler ce membre de la famille à qui vous n’avez pas parlé depuis des années.. »
Le bienfait des bonnes relations ; c’est « une sagesse qui estvieille comme le monde ». « Une belle vie se construit avec de belles relations ».
Cette recherche nous apprend beaucoup sur les fondements d’une vie humaine accomplie. Dans la conscience croissante de l’interconnection qui prévaut dans l’univers, c’est seulement dans la relation que l’être humain peut s’épanouir. Et d’ailleurs, la spiritualité a pu être définie comme une « conscience relationnelle » (2) avec soi, avec les autres, avec la nature et avec Dieu. L’emploi croissant du terme « reliance » (3) est également significatif.
Cependant, cette importance primordiale de la relation telle qu’on peut la constater dans cette recherche, nous paraît s’inscrire dans une dimension plus vaste. Nous nous référons ici à JürgenMoltmann, un théologien qui nous invite à reconnaître l’œuvre de l’Esprit dans la communauté de la création. « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est… « la collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ». « Au commencement était la relation » (Martin Buber) (4). A la fin de son exposé, « Robert Waldinger évoque « une sagesse qui est vieille comme le monde ». Dans l’Evangile, Jésus nous invite à nous aimer les uns les autres.
A une époque où se manifeste à la fois un progrès de l’individualisation et un désir de relation, Jürgen Moltmann évoque « la multiplicité dans l’unité ». « Les créatures font l’expérience de la « communion de l’Esprit Saint » aussi bien sous la forme de l’amour qui nous unit que sous celle de la liberté qui permet à chacune d’advenir à elle-même selon son individualité propre ». Il y a en nous, les humains, un besoin profond de relation et la recherche menée à Harvard confirme l’importance vitale de ce besoin. Jürgen Moltmann exprime bien cette réalité et l’inscrit dans une perspective plus vaste.
« Il n’y a pas de vie sans relations…. Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme et qui ne peut pas être partagée, est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt… La vie naît de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. Instaurer la communauté et la communion est manifestement le but de l’Esprit de Dieu qui donne la vie dans le monde de la nature et dans celui des hommes » (5).
La recherche menée à Harvard nous montre le bienfaits d’un vécu en relation. Bien sûr, ce vécu dépend de plusieurs variables. Certains peuvent le désirer et ne pas y parvenir pour diverses raisons. Mais l’objectif est pertinent.
Dans certains contextes, pour vivre pleinement en relation, il y a des obstacles à surmonter (6). C’est pourquoi nous sommes appelés à susciter des environnements propices à cette dimension essentielle de la vie (7). Les conclusions que Richard Waldinger tire de la « Harvard study of adult development » sont pour nous un éclairage et un encouragement.
(3) Origine et évolution du terme sur Wiktionnaire : https://fr.wiktionary.org/wiki/reliance Céline Alvarez, dans un remarquable livre sur « Les lois naturelles de l’enfant » (Les Arènes, 2016) consacre un chapitre entier sur les bienfaits de la reliance dans une classe d’école maternelle mettant en œuvre une pédagogie d’inspiration montessorienne confirmée scientifiquement : « La puissance de la reliance » (p 353-374)
(4) Jürgen Moltmann . Dieu dans la création. Traité écologique de la création . Cerf, 1988 (p 25)
(5) Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 ( p 298)
(7) Rappelons ici le chapitre du livre de Céline Alvarez sur la reliance qui se réfère également à la recherche que nous venons de présenter. Sur ce blog, voir aussi : « Un environnement pour la vie » : https://vivreetesperer.com/?p=2041 et une méditation de Guy Aurenche : « Briser la solitude » . https://vivreetesperer.com/?p=716
Aujourd’hui, la recherche spirituelle s’accompagne d’un besoin de partager parce qu’on a besoin d’admirer et de s’émerveiller avec d’autres, de mettre en commun nos découvertes, et de vérifier la pertinence de notre orientation. En analysant la manière dont la quêtespirituelle s’exerce dans la société d’aujourd’hui, la sociologue Danièle Hervieu-Léger met en évidence l’importance des échanges : « Pour construire un récit, les gens ont besoin de rencontrer des personnes qui leur disent : « Cela fait sens pour toi. Cela fait sens aussi pour moi ». Ils ont besoin d’une relation de reconnaissance. D’ailleurs, n’est ce pas à travers la reconnaissance que l’on peut se construire comme être humain ? » (1).
Dans le partage de la bonne nouvelle de l’Evangile, le Nouveau Testament nous apprend le rôle majeur de petites communautés. Et, par exemple, la rencontre d’Emmaüs ne peut-elle pas être envisagée dans ce même processus de recherche et de reconnaissance partagée, décrite par Danièle Hervieu-Léger. Clairement, Jésus met en valeur les petits groupes lorsqu’il déclare : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18.20).
On peut entendre que, dans les petits groupes, les effets de pouvoir sont plus réduits et que la confiance peut s’établir dans une relation interpersonnelle. Dans son livre : « the divine dance », Richard Rohr nous introduit dans la vie du Dieu Trinitaire qui est communion. Lorsque trois s’entendent, il en résulte une vraie communauté. « Il faut une personne pour être un individu. Il faut deux personnes pour faire un couple. il faut au moins trois personnes pour faire une communauté. Trois (« trey ») crée la possibilité pour les gens d’aller au delà de leur intérêt personnel. C’est le commencement d’un bien commun, d’un projet commun au delà de ce qui correspond aux intérêts personnels. Parce que la réalité ultime de l’univers révélée dans la Trinité est une communauté de personnes en relation les unes avec les autres, nous savons que trois (« trey ») est la seule possibilité pour les gens de se relier les uns aux autre avec l’individualité de chacun, la réciprocité de deux, lastabilité, objectivité et subjectivité de trois » (2).
Il y a vingt ans déjà, la sociologue Danièle Hervieu-Léger évoquait la crise des grandes institutions religieuses : « Les grandes églises ne sont (plus) en mesure de fournir des canaux, des dispositifs d’organisation des croyances…. Fondamentalement, ce qui est jugé important, c’est l’engagement personnel du croyant, c’est la manière dont il met en œuvre une quête de sens spirituel… » (1). En 2016, une journée d’étude organisée par Témoins a porté sur « les parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (3).
Cette crise des institutions religieuses engendre un recours croissant à de nouvelles formes de vie spirituelle. Ce peut être des rassemblements épisodiques dans des lieux hospitaliers (4). Aujourd’hui, Taizé en est sans doute la meilleure illustration. C’est aussi, et depuis longtemps un tissu de petits groupes. En voici un témoignage personnel qui date des années 1970, mais reste significatif. Dans ces années là, certains commençaient à ne plus se reconnaître dans ce qui était perçu au niveau des paroisses comme des formes imposées, répétitives et impersonnelles. Déjà, les réunions en petit groupe était le mode de rencontre privilégié dans les mouvements. A l’époque, quelques amis ont donc décidé de se réunir chaque mois pour partager leurs joies, leurs problèmes et leurs questions en s’appuyant sur une lecture biblique et sur la prière. Ils trouvèrent un lieu hospitalier auprès d’une petite communauté religieuse dans la Beauce. Diversifié dans ses origines, ce petit groupe découvrit de nouvelles sources de vie spirituelle, en l’occurrence différents courants charismatiques. Ce fut la source d’une grande bénédiction qui est rapportée dans le livre d’Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie », très présente sur ce blog (5). Et, par ailleurs, ce petit groupe garda son indépendance et déboucha sur un groupe de prière chrétien et interconfessionnel. Ce fut ensuite la rencontre avec un autre petit groupe chrétien né dans un lycée : le Comité d’Action Chrétienne qui aboutit à la création de l’association : Témoins.
Ce n’est là qu’une histoire parmi beaucoup d’autres. Parce qu’elle entretient l’entraide fraternelle et un partage authentique, la rencontre en petit groupe est une forme spirituelle privilégiée qui apparaît dans des cadres très divers depuis les groupes de maison organisés par certaines églises jusqu’à des formes très informelles. C’est là que la recherche spirituelle se déploie et qu’une recomposition chrétienne peut s’esquisser.
Aujourd’hui, le changement spectaculaire introduit par internet dans la communication permet une extension des rencontres en petits groupes, leur développement dans un tissu interconnecté en réseau. Bornons-nous ici à évoquer le potentiel de skype qui permet une rencontre visuelle des personnes à travers l’écran
Nous pouvons rapporter ici deux expériences récentes.
La première nous est racontée par Hélène dans un article sur le site de Témoins : « L’apport de la culture numérique à un parcours de foi en marge des cadres institutionnels » (6). Avec de chers amis, Hélène, « à partir de l’automne 2014, a initié un rendez-vous hebdomadaire qui perdure encore aujourd’hui. Chaque mercredi, Timothée depuis Londres, Emilie et Clément depuis Toulouse, et moi depuis Lyon, nous nous retrouvons sur skype. Nous partageons nos joies, nos peines, nos questionnements, nous prions, nous louons Dieu ensemble. Il n’y pas de schéma établi, de contenu décidé à l’avance….. Il faudrait un article dédié pour raconter tout ce que nous avons découvert, vécu et expérimenté ensemble et avec Dieu au cours de ces quatre dernières années …».
Tout récemment, Michel, nous a raconté la vie d’un petit groupe de prière qui se réunit sur skype. « Aujourd’hui, on se réunit tous les lundi soir à 20h 30 par l’intermédiaire de skype et aussi du téléphone. Nous sommes quatre couples et une célibataire ayant en commun une relation familiale. Les participants se connaissent bien. C’est une réunion de prière-intercession. A tour de rôle, on donne des sujets de reconnaissance et de prière. Puis on prie et on termine par un chant commun. Ce groupe a été créé à l’initiative des participants en octobre 2017. C’est un groupe de maison qui permet d’avoir un suivi. Comme on se connaît bien en même temps, appartenant à une grande famille (parents et enfants), nous pouvons partager ensemble des sujets très personnels. Nous sommes reconnaissants pour les exaucements. Il se trouve que nous avons également la possibilité un autre jour de regarder un culte sur internet. La nouveauté de skype : être rassemblés malgré la distance : Antony, La Ferrière aux champs, La Rochelle, Thann, et, en même temps, très présents les uns avec les autres ».
Nous savons bien combien les formes du passé, et notamment, des rassemblements imposés et répétitifs s’effritent aujourd’hui. Nous savons combien l’individualisme peut engendrer l’isolement et l’égocentrisme. En regard, il est important d’entrevoir les voies nouvelles qui s’esquissent aujourd’hui et les potentialités qui les favorisent. Les petits groupes sont aujourd’hui un mode de rencontre privilégié. Un outil nouveau est à leur disposition : la communication par internet, et entre autres, par skype. C’est une opportunité pour la vie spirituelle, un bienfait pour la vie chrétienne.
« La guerre des civilisations n’aura pas lieu » de Raphaël Liogier
Dans son nouveau livre : « La guerre des civilisations n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIè siècle » (1), Raphaël Liogier, sociologue et philosophe, poursuit son exploration du nouveau monde en voie d’émergence, recherche qui a déjà donné lieu à d’autres ouvrages de sa part, comme : « Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? » (2). Dans cet essai, l’auteur traite des conflits internationaux actuellement au devant de la scène. A travers la mise en évidence de tendances de fond, il nous permet de les situer et aussi d’en comprendre les limites. Notre monde est en mutation. Des transformations profondes sont en cours. Et bien sur, la crise actuelle appelle des changements majeurs dans la gouvernance mondiale.
Si certains, inquiets des méfaits du terrorisme djihadiste, sont tentés de valider la thèse d’un conflit inéluctable entre les civilisations, Raphaël Liogier nous met en garde contre ce piège. Tout d’abord, il met en évidence l’unification croissante du monde qui va à l’encontre d’un éclatement de celui-ci. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de ressemblances dans les modes de vie. « Dans le monde global, aucune société ne peut plus se représenter comme le centre du monde. La figure de l’autre ne se profile plus au delà des frontières qui, désormais, ne sont plus étanches. L’Autre circule partout, se mêle à nous : immigré ou touriste. Il n’est plus dès lors totalement autre. Dans cette situation nouvelle, se configure un système global régi par de nouvelles logiques au delà des apparences du chaos : un système auquel participent intensément des forces religieuses, pourtant réputées discordantes » (p 7).
Rapport entre les civilisations
Certes, la violence qui s’exerce aujourd’hui au Moyen Orient, le terrorisme djihadiste, suscite une crainte qui se nourrit également d’incompréhension. En regard, Raphaël Liogier développe une analyse des ressorts de cette situation qui nous paraît particulièrement éclairante. Remontant à l’épisode de la crise dite du canal de Suez, il nous montre à la fois les frustrations engendrées par une longue période de domination européenne dans les pays arabo-musulmans et les craintes suscitées encore aujourd’hui dans les nations européennes par la perte de leur positionnement privilégié. Il en résulte une crise d’identité qui peut se traduire dans une fixation sur une éventuelle menace de l’Islam.
L’insécurité est un terrain favorable pour la réception des idées de Samuel Huntington sur le choc des civilisations. Raphaël Liogier retrace l’histoire des idées qui, depuis le XIXè siècle, appuient cette option conflictuelle. C’est « le courant du « différencialisme », qui postule l’existence de différences infranchissables entre certains groupes humains » (p 8). La thèse de Samuel Huntington aboutit effectivement à « un retranchement sur son monde propre, y compris et surtout pour l’Occident qui, pour sa sauvegarde, « doit passer par le renouveau de son identité occidentale » (p 53). Parallèlement, certaines formes d’immigration sont considérées avec méfiance.
Importance et transformation du religieux dans la civilisation planétaire
La deuxième partie de ce livre porte sur « le religieux dans la civilisation planétaire ». L’auteur met en évidence l’importance du religieux dans la vie sociale et politique. Il nous apprend à percevoir une transformation profonde de la vie religieuse dans le monde : « Il existe aujourd’hui une nouvelle dynamique mythique générale, un métarécit émergent en phase avec la globalisation, « l’individuo-globalisme », qui allie « souci de soi et conscience du monde » et refond progressivement les traditions religieuses dans son moule imaginaire » (p 89).
Dans le cadre de cette dynamique, l’auteur distingue trois phénomènes religieux majeurs : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme.
Le courant spiritualiste renvoie à un ensemble diversifié de pratiques et de croyances qui visent au développement de l’intériorité, à une unification psychocorporelle, à une harmonie avec la nature, à une ouverture à plus grand que soi. Cette culture, nourrie pour une part, par des apports des pays d’Asie (yoga, reiki, qi gong), s’est répandue dans les sociétés industrielles avancées. Elle est bien présente aussi en France comme le montre Jean-François Barbier- Bouvet dans son enquête sur les « chercheurs spirituels » (3). L’auteur la perçoit comme un « spiritualisme rationnel ». Elle prospère dans les milieux dotés d’un « capital global à la fois économique et symbolique ».
Le courant charismatique se caractérise par une dynamique collective tournée vers le transcendant avec une forte tonalité émotionnelle. Présent dans différentes variantes confessionnelles, ce courant est particulièrement actif dans le pentecôtisme latino-américain, africain et coréen. Il prospère particulièrement dans des milieux à faible capital économique.
Comme tous les mouvements réactionnaires, le fondamentalisme vise à protéger « la tradition contre un mal omniprésent » (p 98). « Le fondamentalisme se déploie chez des fidèles en déficit de capital symbolique, chez ceux, autrement dit, qui sont en manque de reconnaissance, que ce manque caractérise des sociétés entières comme celles qui composent le monde arabe, ou qu’il caractérise des communautés minoritaires vivant au milieu de cultures dont elles se sentent exclues » (p 99). Là où il prospère, le fondamentalisme engendre l’exclusion et la violence.
« Les frontières religieuses classiques sont brouillées par ces nouvelles tendances qui, non seulement sont transnationales, mais aussi transconfessionnelles. Ces forces croyantes… traversent les religions traditionnelles qui ne peuvent que leur résister ou les amplifier » (p 95). « Il ne s’agit pas de nier qu’il existe des catholiques français, des luthériens suédois ou des orthodoxes russes attachés à leur foi traditionnelle. Mais ces populations, numériquement en baisse constante, ne sont plus au coeur des dynamiques religieuses contemporaines… » (p 142). Cependant, « si les postures sont multiples, le schéma croyant varie peu. Il n’y a donc pas de dérégulation, mais configuration de nouvelles régulations, de nouvelles règles du jeu à l’échelle planétaire… Les spécificités traditionnelles des grandes religions s’en trouvent atténuées…» (p 143). Les trois courants : spiritualisme, charismatisme, fondamentalisme se retrouvent dans les différentes religions, mais aussi elles les traversent. Par exemple, « un néo-soufi musulman sera souvent plus proche d’un bouddhiste occidentalisé que d’un musulman salafiste » (fondamentaliste) (p 13). L’auteur nous décrit la vitalité du religieux qui se déploient à l’échelle mondiale à travers de nombreuses organisations internationales. Des solidarités nouvelles apparaissent.
Face au déni du religieux qu’on peut observer dans certains milieux en France (4), Raphaël Liogier nous permet d’en percevoir toute l’importance dans le monde actuel. Il nous ouvre à la compréhension de son apport pour la vie des hommes d’aujourd’hui et nous permet d’en analyser les perversions avec plus de pertinence (5).
Pour une compréhension mutuelle
La troisième partie du livre porte sur « Guerres et paix dans la civilisation globale ». Raphaël Liogier nous décrit à grands traits, la nouvelle culture qui se vit à travers le monde global. Vivre ensemble dans ce nouveau monde, c’est refuser l’esprit d’exclusion, si néfaste dans l’histoire de l’humanité. A cet égard, « le différencialisme » est bien un pas en arrière. Quelles logiques permettent d’aller vers plus de compréhension mutuelle ? L’auteur en mentionne deux : celle du « décalage », traitant les différences non comme des différences de nature, mais comme des différences de degré » et la logique du « fondement » qui va plus loin en postulant que les régimes de vérité humains, aussi divers soient-ils, ont les mêmes fondements » (p 211). Cette seconde approche implique nécessairement « un accord sur des principes universels permettant de lire ensuite nos différences comme des variations et non comme des oppositions » (p 212).
Dans l’introduction du livre, Raphaël Liogier nous a dit comment une compréhension mutuelle peut advenir dans ce nouveau monde : « Il est urgent de penser la perméabilité des frontières et ainsi, la disparition de la figure de l’Autre radical, l’étranger, le barbare qui se situait jadis au delà de notre horizon existentiel, séparé de notre espace de vie. Comment les identités individuelles et collectives peuvent-elles se définir et coexister dans un monde sans frontières ? Lorsqu’aucun autre, n’est complètement autre. Lorsque les attentes sont forcément relatives » (p 17).
Pour une gouvernance mondiale
Pour parvenir à ce nouveau vivre ensemble, des changements institutionnels profonds sont également nécessaires. « Alors que les problèmes à résoudre ainsi que les grands défis sont aujourd’hui mondiaux, les centres de décisions majeurs restent nationaux » (p 217) et, dans ce nouveau monde, la logique de l’Etat-nation ne correspond plus au mouvement qui déborde un cadre devenu trop étroit. « L’Etat-nation alimente des logiques contradictoires, se balançant dangereusement entre la logique identitaire exclusive et la logique utilitariste inclusive, nourrissant alternativement l’une, puis l’autre, jouant l’une contre l’autre et inversement. Seule la perspective universaliste, s’appuyant sur la logique du fondement humain commun, est positive et capable de contrebalancer à la fois les tendances identitaristes et utilitaristes… » (p 220). Raphaël Liogier nous dit « l’urgence d’un gouvernement global » et il nous propose une approche pour y parvenir.
Appel à une compréhension renouvelée
Si nous sommes en présence aujourd’hui d’une grande mutation comme beaucoup s’entendent pour le dire (6), comment avancer dans l’étape actuelle ? Différentes disciplines peuvent contribuer à notre réflexion. Les sciences économiques, par exemple, sont souvent sollicitées, car l’économie est un aspect majeur de notre vie commune. Raphaël Liogier a choisi une autre approche qui s’appuie principalement sur la sociologie de la culture. Dans un champ aussi vaste, l’information ne peut pas être égale et quelques unes des schématisations peuvent prêter à discussion. Mais ce livre nous paraît tout à fait remarquable à la fois par l’esprit de synthèse qui nous permet d’apprécier les mouvements en cours et par l’originalité de la pensée qui ouvre des horizons. C’est un livre qui nous offre une carte pour aller de l’avant en traversant des tempêtes. Cet ouvrage affine notre compréhension du monde. Comprendre la dynamique culturelle du monde globalisé, percevoir les courants porteurs autant que les blocages à dépasser, c’est créer les conditions pour un vivre ensemble de l’humanité.
J H
(1) Liogier (Raphaël). La guerre de civilisation n’aura pas lieu. Coexistence et violence au XXIème siècle. CNRS éditions, 2016
(2) Liogier (Raphaël). Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? Armand Colin, 2012
(4) Sur ce blog : « Un silence religieux. En regard d’un manque qui engendre le pire, quelle dynamique d’espérance ? » : https://vivreetesperer.com/?p=2290
(6) Un monde en mutation. Sur ce blog : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? Jean-Claude Guillebaud. Une autre vie est possible » : https://vivreetesperer.com/?p=937 « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance. La guérison du monde selon Frédéric Lenoir » : https://vivreetesperer.com/?p=1048
Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants.
« Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants » (1), c’est le livre de Christina de Stefano.
« C’est une biographie fascinante d’une pionnière du féminisme, des pédagogies nouvelles et des recherches sur le cerveau de l’enfant » (page de couverture).
Aujourd’hui, à un moment où l’humanité est confrontée à de graves menaces, il est bon de penser au mouvement de fond qui se poursuit depuis plus d’un siècle : une reconnaissance grandissante de la conscience des êtres humains et des êtres vivants jusque là méconnue par l’égocentrisme patriarcal, des femmes, des enfants et, à la limite, du règne animal. Mais, il n’y a pas de doute, la prise de conscience du potentiel du petit enfant, l’accompagnement respectueux de son développement, constitue une émergence de paradigme, une véritable révolution. A cet égard, Maria Montessori est la grande pionnière, tout en s’inscrivant dans le vaste mouvement de l’éducation nouvelle tel qu’il est apparu et se manifeste encore aujourd’hui comme un « printemps de l’éducation » (2).
Maria Montessori est celle qui, au début du XXe siècle, a dépassé les obstacles des conditions et des mentalités qui barraient la route à la reconnaissance d’une voie nouvelle, en proclamant et en démontrant que « l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir ». Reconnaître le potentiel de l’enfant, c’est ne pas lui imposer, d’en haut, une instruction stéréotypée, des méthodes contraignantes, mais observer et accompagner son développement, son mouvement dans une approche personnalisée et la proposition d’un environnement matériel et social approprié. Reconnaître la dimension de l’enfant, c’est apprécier également sa dimension spirituelle. Le petit enfant est un « embryonspirituel ».
Si la pédagogie Montessori n’a pas occupé tout le champ de l’éducation et reste pionnière, sa présence s’est étendue : 200 écoles en France suite à une forte croissance dans les dernières décennies, et 20 000 dans le monde. Maria Montessori a écrit plusieurs livres. Son ouvrage : « l’enfant » fut pour nous une révélation (3), et, sur le web, il y a maintenant de nombreux sites qui présentent la pédagogie Montessori (4).
La pédagogie Montessori est toujours inspirante aujourd’hui. Dans le champ de l’éducation nouvelle, elle inspire des innovations comme celles de Céline Alvarez (5) retracées sur ce blog. Des recherches récentes, impliquant les neurosciences rejoignent les constats de Maria Montessori sur la dimension spirituelle de l’enfant. « L’enfant est un êtrespirituel » (6). Depuis la fin du XXe siècle, la pédagogie Montessori a même inspiré une nouvelle approche de la catéchèse chrétienne : « Godly Play » (7). On peut ajouter que l’éducation Montessori, à travers certaines de ses caractéristiques : l’attention à la dimension sensorielle, l’écoute, le respect commencent à inspirer aujourd’hui la communication entre adultes (8).
Ce livre de Christina de Stefano est un ouvrage de référence bien étayé, appuyé sur des notes et une bibliographie abondante. Et c’est aussi un livre très accessible réparti dans une centaine de courts chapitres et se déroulant en cinq parties : la construction de soi (1870-1900) ; la découverte d’une mission (1901-1907) ; les premiers disciples (1908-1913) ; la gestion du succès (1914-1934) ; l’éducation cosmique (1934-1952). En constant mouvement, dans des contextes différents d’un pays à un autre, de l’Italie aux Etats-Unis, de l’Espagne aux Pays-Bas et jusqu’à un long séjour en Inde, la personnalité de Maria Montessori apparaît dans sa complexité. Nous nous centrerons sur l’élaboration de « la méthode Montessori » fondée sur l’observation des enfants, ce que nous appellerons : l’inventionmontessorienne. Cette invention est la résultante de la formation d’une personnalité originale, une forte personnalité qui tranche avec la société dominante de l’époque. Il y a eu là toute une période de préparation. L’invention montessorienne a ensuite suscité des échos, si plus particulièrement dans certains pays, de fait dans le monde entier. Maria Montessori a communiqué sa vision et répandu son message en suscitant l’engagement et le dévouement d’un grand nombre de personnes. C’est une période de diffusion et d’expansion.
La préparation
Née en 1870, Maria Montessori a grandi comme fille unique dans une famille de la classe moyenne italienne, chérie par ses parents. « Son père travaille au ministère des Finances, sa mère se consacre à son éducation. Elle lui inculque les valeurs de la solidarité et lui fait tricoter des habits chauds destinés à des œuvres de bienfaisance. Elle l’encourage à s’occuper des pauvres et à tenir compagnie à une voisine handicapée par sa bosse. Peut-être, est-ce pour cela que la fillette caresse l’idée de devenir médecin » (13).
Maria supporte très mal l’école élémentaire. A cette époque, « immobile à son pupitre, on écoute la maitresse pendant des heures et on répète la leçon en chœur » (p 11). « Cette fillette extravertie est, malgré son jeune âge, dotée d’un grand charisme » (p 11). Elle poursuit ensuite ses études dans une école technique où elle réussit sa scolarité. Son père voudrait qu’elle s’inscrive à l’école normale pour devenir institutrice. Mais elle s’y refuse et déclare vouloir devenir ingénieur. « C’est un choix insolite, car les rares jeunes filles qui poursuivent leurs études le font pour enrichir leur culture avant de se marier ou, à la rigueur, pour entrer dans l’enseignement » (p 17).
Mais, encore plus surprenant à l’époque, elle voulut s’engager dans des études de médecine. Si l’esprit progressiste de sa mère la soutient, son père y est défavorable. « A l’époque, dans les milieux bourgeois, on protège jalousement les filles à marier, qui ne sortent jamais de chez elles sans être accompagnées. Il est donc proprement inouï d’imaginer une fille assise seule au milieu d’étudiants de sexe masculin » (p 19). Cependant Maria Montessori parvient à surmonter la barrière sociale et culturelle et à franchir les obstacles. Après avoir accompli des études préparatoires, en février 1992, elle intègre la faculté de médecine. A l’époque, certains professeurs ont des personnalités fortes et des idées avancées. Ils sont engagés dans une action médicale en milieu populaire. Maria les accompagne dans ce bénévolat. « Ayant grandi dans un environnement bourgeois et protégé, Maria n’était pas préparée à ce qu’elle découvre… C’est son « approche du peuple » (p 31). Très marquée par les cours d’un professeur sur la relation entre éducation et folie, elle décide de faire une thèse en psychiatrie sous sa direction. « Entre les cours, l’internat, dans les hôpitaux et l’étude des patients de la clinique psychiatrique en vue de sa thèse, la dernière année d’université de Maria est très intense. Elle obtient son diplôme en juillet 1896 » (p 34).
Maria Montessori va donc entrer dans un univers médical. Elle est assistante dans un hôpital. Et, tous les jours, en sortant de l’hôpital, « elle continue à faire du bénévolat auprès des déshérités de la ville. C’est au contact des enfants pauvres, qui sont les derniers de la société, que nait son attention à l’égard de l’enfance » (p 39).
Il lui arrive de fréquenter l’asile d’aliénés de Rome. C’est un endroit où règne la violence. Au cours de l’une de ses visites, elle découvre les enfants de l’asile. « Jugés incurables et donc enfermés à vie, ces enfants représentent peut-être ce que ce lieu épouvantable a de plus terrible » (p 44). « Maria comprend qu’elle a trouvé là une cause pour laquelle se battre ». Elle s’interroge à partir de la réaction d’une servante. « Si la réaction des enfants ne dépendait pas tant de leur désir de manger que celui d’interagir avec quelque chose » (p 44).
« Jusqu’alors, Maria a été une jeune femme médecin engagée dans les causes sociales et féministes. A partir de là, elle empruntera une voie qui la conduira très loin à parcourir le monde et à prêcher une nouvelle approche de l’enfant. Dans cette salle d’asile de Rome, son intuition lui dit que les petits déficients ont besoin d’un traitement spécifique qui les stimule et les élève » (p 45). Elle demande à en emmener quelques-uns hors de l’asile pour faire des expériences avec eux.
Elle s’intéresse à la pédagogie. « C’est ainsi quelle découvre le travail d’ Edouard Seguin, un français qui, au milieu du XIXe siècle, a mis au point une éducation particulière aux résultats surprenants… Seguin est le grand inspirateur de Maria Montessori et le créateur du matériel didactique à partir duquel elle a élaboré sa méthode » (p 45).
Edouard Seguin a été assistant du Docteur Itard devenu célèbre pour sa tentative d’éduquer « l’enfant sauvage de l’Aveyron ». Itard a pris en charge cet enfant en mettant en œuvre une méthode expérimentale, « faite de patience, d’observation et d’une grande créativité » (p 47). Dans ce sillage, Seguin se voit confier en 1840, ce qui est sans doute la première classe spécialisée de l’histoire, un groupe de jeunes déficients internés à l’asile de Paris. « Débordant d’enthousiasme, Seguin travaille, jour et nuit, pour essayer de communiquer avec eux. Il a décidé de bâtir une éducation complète, systématique, qui part de la sollicitation des sens pour ensuite s’étendre au développement des idées et des concepts abstraits… Pour ce faire, il invente tout un matériel éducatif… ». (p 48). En 1846, il publie un livre qui rapporte son travail. En raison de l’opposition manifestée par le milieu médical français, il émigre aux Etats-Unis.
A la fin des années 1890, un tournant majeur intervient dans la vie de Maria Montessori. Ce fut une rencontre amoureuse avec un collègue médecin Giuseppe Montesano. « Elle, socialiste, dans un sens, lui avec une éthique juive, son important sens moral, sa rigueur… elle trouva dans la douceur de Montesano l’élément complémentaire à son tempérament fort » (p 42). Ils travaillent ensemble. Mais Maria n’envisage pas un mariage. A cette époque, « la condition de la femme mariée est incompatible avec un travail hors du foyer » (p 52). Maria Montessori perçoit le mariage comme un assujettissement. Or elle tombe enceinte. La situation est critique. « A cette époque et dans son milieu, une grossesse hors mariage détruirait sa carrière et sa réputation » (p 51). Finalement à l’initiative de sa mère, les deux familles s’entendent pour masquer l’incident. L’accouchement a lieu à domicile le 31 mars 1898. L’acte de naissance indique que l’enfant est né de père et de mère inconnus. Il est confié à une nourrice éloignée. Maria Montessori accepte donc de se séparer de son nouveau-né. Elle demande au père, Giuseppe Montesano de « prendre soin de leur enfant à distance et de promettre de ne jamais se marier » (p 54 ). Ce dernier manifeste de la bonne volonté, mais il subit les pressions de sa famille et la situation se dégrade. « Tout a basculé en l’espace de quelques semaines. Le 29 septembre 1901, Giuseppe reconnaît légalement son fils. Le 6 octobre 1901, il épouse une autre femme » (p 74). Ce fut un grand chagrin pour Maria. « Ses proches évoquent un moment terrible : elle reste couchée par terre, en pleurs, pendant des jours (p 75)… Elle met fin à tout contact avec Montesano, notamment sur le plan professionnel. « Pour Maria Montessori, commence une longue traversée du désert, au terme de laquelle sa mission lui apparaitra clairement. Celle-ci la conduira à parcourir le monde en tant que théoricienne d’une nouvelle vision de l’enfant » (p 76).
En conséquence de ce grand choc, la vie de Maria Montessori s’est profondément transformée. Elle s’est abreuvée dans une foi intérieure. Cette intériorisation ne l’a pas détournée de ses engagements les plus avancés, sa grande activité au service du féminisme. Et elle a patiemment reconstruit sa situation professionnelle. Ainsi, quelques années plus tard, en 1907, elle a pu développer une grande expérience pédagogique qui va engendrer une nouvelle vision de l’éducation et de la pédagogie, « La Maison des enfants » à San Lorenzo, un quartier démuni de Rome.
En 1901, « plongée dans un silence profond, Maria Montessori traverse un grand moment de crise » (p 79) : un grand chagrin et la perte d’un premier enracinement professionnel. C’est dans ce contexte que Maria Montessori développe « une grande foi ». « La foi catholique, qui, jusque là, faisait simplement partie de sa culture, devient un refuge et une nouvelle manière de regarder la vie, une dimension qui explique et éclaire tout, y compris la souffrance » (p 79). Maria fait de longues retraites spirituelles et fréquente une congrégation religieuse. « Cette période de ferveur religieuse l’aide à contenir sa peine et à rassembler ses forces. Pendant un certain temps, elle mène « une vie de recueillement absolu ». « J’étais animée par une grande foi, et bien qu’ignorant si je pourrais un jour expérimenter la vérité de mon idée, j’abandonnais toute autre activité comme si je me préparais pour une mission inconnue » se souviendra-t-elle par la suite (p 80). Si sa foi s’exprime dans un contexte catholique, elle garde un caractère personnel. Elle inspire son engagement pédagogique et n’exclut pas une confrontation avec les idées conservatrices, tant sur le plan social que sur le plan religieux « En elle, coexistent un profond sentiment religieux, la conviction d’avoir une mission personnelle, le militantisme féministe, un esprit progressiste et indigné, ainsi que la curiosité à l’égard de toute idée nouvelle » (p 98).
Durant des années, l’engagement féministe de Maria Montessori ne s’est pas démenti. En 1906 déjà, elle est choisie comme déléguée italienne au Congrès international des femmes à Berlin. Très engagée dans l’action sociale, « Maria Montessori était devenue la secrétaire de l’association : « Per la donna »(Pour la femme) crée par un groupe de militantes pour promouvoir un programme très radical : éducation populaire, suffrage féminin, loi pour la recherche de paternité, égalité salariale entre les hommes et les femmes. Comme délégué, Maria a le profil idéal : elle est jeune ; elle est une des première femme médecin en Italie ; c’est une bonne oratrice » (p 35). En 1899, elle représente l’Italie au Congrès international de femmes à Londres. Cependant, après le grand choc qu’elle a subi dans sa vie personnelle, son activité en ce domaine ne se tarit pas. « Elle est en première ligne pour le droit de vote des femmes… Maria dit toujours ce qu’elle pense, y compris quand elle est en désaccord avec les positions de l’Eglise » (p 95).
Au cours de ces années, Maria Montessori reconstruit patiemment son insertion professionnelle. Ainsi, en septembre 1902, elle présente sa candidature pour enseigner l’anthropologie à l’université. « Elle imagine un cours où l’anthropologie serait appliquée à l’éducation, dans le but de fonder une pédagogie réellement scientifique. Au cœur de son projet se trouve un projet révolutionnaire : la classe comme laboratoire d’observation » (p 82).
Elle entreprend de nouvelles études à l’université. Et, à partir d’une nouvelle recherche, elle se qualifie pour enseigner l’anthropologie à la faculté des sciences (p 89). En 1906, elle est appelée à enseigner à la Scuola Pedagogica (École pédagogique) à Rome. « Dans le cours qui lui est confié, intitulé : « anthropologie pédagogique », Maria continue d’expliquer ses idées novatrices sur l’école : la classe laboratoire, l’enfant au centre, l’enseignant comme un scientifique qui observe ». Son inspiration spirituelle apparaît : « Ce qui fait véritablement un enseignant, c’est son amour pour l’enfant. Car c’est l’amour qui transforme le devoir social de l’éducation en conscience plus élevée d’une mission » (p 91).
L’invention montessorienne
Ainsi, à travers les expériences, les rencontres, les réflexions, la pensée de Maria Montessori a muri. Elle va pouvoir l ’exercer dans une expérience fondatrice, la création d’une école expérimentale dans un des quartiers les plus mal famés de Rome : San Lorenzo (p 101). En 1904, un organisme nouveau intervient dans ce quartier. Il fait assainir l’ensemble, achève la construction des immeubles, installe des fontaines. Il attribue les appartements et suit leur entretien. Cependant, dans la journée, en l’absence des parents, les immeubles restent aux mains des tout jeunes. « Abandonnés à eux-mêmes, ces derniers se déplacent en bandes et font des dégâts partout où ils passent » (p 102). Talamo, le directeur du plan de rénovation, « pense résoudre le problème en créant un réseau d’écoles maternelles où les jeunes enfants seront accueillis jusqu’au retour de leurs parents, du travail, et de leurs frères et sœurs plus âgés, de l’école ». Il demande à Maria Montessori de coordonner et de diriger ce projet. Elle accepte à condition de disposer d’une liberté totale. « Elle veut transformer le défi de San Lorenzo en une occasion d’expérimenter ses idées sur des enfants qui n’ont encore jamais été en contact avec l’école… En l’absence d’argent, l’école n’est pas organisée comme une école traditionnelle. Pas d’estrade, pas de pupitres, pas d’institutrices qui appliquent les principes appris à l’école normale. Cette école sera d’une nouveauté absolue, où Maria pourra tout structurer à sa manière. Elle décide d’appliquer la leçon de Seguin aux enfants normaux et d’observer ce qui se passe » (p 104).
En l’espace de quelques semaines, elle met le projet sur pied en s’appuyant sur différents courants de la société romaine. Le 6 janvier 1907, Maria Montessori inaugure la première école qui accueille une cinquantaine d’enfants de deux à six ans. C’est un grand jour. Inspirée, Maria évoque une parole biblique : « Lève-toi, sois éclairée ; car ta lumière arrive, et la gloire de l’Eternel se lève sur toi » (Esaïe 60.1). L’école est au rez-de-chaussée de l’immeuble. Elle est formée d’une grande pièce, de sanitaires et d’une cour. Au début, elle est aménagée avec des meubles de récupération… Très vite, Maria fait fabriquer des meubles adaptés à la taille des enfants. « Chaque détail est pensé pour leur autonomie ». « Une amie de Maria, invitée à visiter l’établissement s’est écrié avec enthousiasme : « Mais c’est la maison des enfants ». Ainsi, nait le nom qui, en quelques années, fera le tour du monde et évoquera, à tous, la méthode Montessori » (p 106).
« Maria choisit la fille de la concierge comme institutrice. Elle lui dit de se contenter d’observer et de lui rapporter chaque événement. Elle veut que, dans ce laboratoire pédagogique, tout se révèle de manière naturelle… Les enfants doivent avoir une liberté de mouvement totale… ». « S’appuyant sur l’observation et sur son instinct, elle identifie chaque fois un nouvel élément » (p 107). Ainsi, un jour présentant aux enfants un nouveau né paisible et silencieux, elle les invite à un exercice de silence qui devient un des rituels de la maison des enfants. « Maria Montessori n’élève jamais la voix, elle n’impose pas son autorité. Elle s’assied et attend que les enfants viennent vers elle. Elle répète qu’il faut tout respecter chez eux, y compris le fait que leur corps leur appartient. (p 108). « Dans la Maison des enfants, le corps n’est pas seulement respecté, mais valorisé. Les enfants peuvent déplacer les chaises et les tables tout seuls et aller et venir dans la classe comme bon leur semble. A l’époque, cette approche est révolutionnaire. Maria a l’intuition, confirmée un siècle plus tard, que le mouvement fait partie du processus d’apprentissage » (p 109).
Pour reproduire le matériel de Seguin, Maria Montessori doit trouver les bons artisans. « C’est la première fois qu’elle utilise le matériel didactique avec ces enfants normaux. Les enfants normaux, eux, travaillent seuls. Cette différence représente une première innovation fondamentale vis-à-vis de Seguin » (p 110). « Elle adopte une position proche de celle d’une observatrice extérieure. Cela lui permet de revoir l’ensemble, de repenser la manière d’interagir avec les enfants. Cette étape cruciale la conduira très loin de Seguin, à une nouvelle approche de l’esprit enfantin. Elle montre le matériel et son fonctionnement aux enfants, elle les laisse travailler, tout en les observant ou mieux, comme elle aime le dire, en méditant… Peu à peu, les éléments de sa future méthode prennent forme… deux éléments centraux apparaissent : la nature différente du maître, qui dirige sans s’imposer et la nature différente de l’enfant qui travaille sans se fatiguer (‘Étudier n’use pas, ne fatigue pas, au contraire cette activité nourrit et soutient’) » (p 111). Elle découvre certains aspects de l’activité enfantine comme le rangement. La vie quotidienne entre dans la classe comme l’hygiène et le repas.
Sans cesse, Maria Montessori observe les enfants. Une réalité lui apparaît ; « Elle sent que les enfants recèlent une énorme capacité d’attention qui se manifeste dès qu’on lui place un cadre pensé pour eux et non pour les adultes. Grace à cet état particulier de son esprit, l’enfant apprend de manière plus profonde et définitive ». (p 115). Dès lors, « le pivot fondamental de l’éducation consiste à aider l’enfant à révéler sa véritable nature habituellement enfouie parce qu’elle est opprimée par une école pensée pour les adultes » (p 115). De fait, les enfants travaillent naturellement pour apprendre. Cet apprentissage est actif et intense. Ainsi, lorsque les enfants sont placés dans un environnement adapté, « ils cessent en peu de temps d’être agités et bruyants et se transforment en personnes paisibles, calmes, heureuses de travailler » (p 136). Un siècle plus tard, nous dit l’auteur, les neurosciences « confirment ces observations en identifiant « des fonctions exécutives » : contrôle inhibiteur, mémoire de travail, flexibilité cognitive (p136). Placé dans de bonnes conditions, plus personne n’a besoin de forcer l’enfant à se concentrer en classe. « Quand vous avez résolu le problème de la concentration de l’enfant, vous avez résolu le problème de l’éducation en entier » (p 136). C’est la voie d’une « auto-éducation ». L’auteure met en évidence la conjugaison d’une approche scientifique et d’une approche spirituelle chez Maria Montessori : « Sa conception métaphysique de la vie passe directement dans son approche de l’enfant, être spirituel par excellence, mais aussi dans son attitude en classe. Quand elle est avec les enfants, elle semble être en méditation, observatrice attentive à toutes les surprises… » (p 137).
La réussite de la Maison des enfants est saluée dans la presse. Maria Montessori poursuit le mouvement en créant une deuxièmeMaison des enfants. Elle choisit une jeune maitresse à laquelle elle donne le nom de directrice. Car elle demande à celle-ci « d’enseigner peu, d’observer beaucoup, et, par dessus tout, de diriger les activités psychiques des enfants et leur développement physiologique » (p 119). Par ailleurs, ce mouvement pédagogique est aussi un mouvement social. Ces écoles « participent à la libération des femmes qui travaillent ».
Dans les premières maisons des enfants, Maria Montessori ne s’est pas préoccupée de la lecture et de l’écriture parce que ces enseignements ont lieu à l’école élémentaire. « Ce sont les enfants de San Lorenzo qui, au bout de quelques mois passés à travailler avec le matériel sensoriel, en demandent plus. Ayant grandi dans un environnement analphabète, ils sentent que les mots écrits sont une clé pour leur avenir » (p 121). Maria développe une initiative. Elle fabrique des lettres mobiles en papier émeri. L’enfant peut suivre la lettre rugueuse du doigt, et ce faisant, il apprend le geste de l’écriture avant même de savoir ce qu’il signifie » (p 122). Les enfants de San Lorenzo accueillent les lettres rugueuses avec enthousiasme. Ils aiment crier le nom de chaque lettre. Ils passent des journées entières sur les lettres en carton. « Ils y travaillent pensifs, concentrés, suivant de leur doigt les lignes rugueuses, murmurant les sons à voix basses, mettant les lettres côte à côte » (p 122). A Noël 1907, deux mois après le début du travail avec les lettres rugueuses, il advient à San Lorenzo l’événement que Maria Montessori baptisera « l’explosion de l’écriture ». Un enfant invité à dessiner une cheminée avec une craie, poursuivit soudain en écrivant un mot. Un grand enthousiasme personnel, puis collectif, accompagna cette prise de conscience. La lecture vint donc en second. Selon Maria Montessori, l’apprentissage précoce de l’écriture représente seulement la partie émergée d’un processus bien plus large : la mise en lumière de la capacité naturelle d’auto-éducation des enfants quand ils se trouvent dans l’environnement adapté ». « L’explosion de l’écriture attire l’attention du monde et transforme en quelques années le système appliqué dans un quartier pauvre de Rome en un phénomène planétaire » (p 126).
Réception et diffusion
Aujourd’hui, la pédagogie Montessori est largement connue. Encore relativement peu pratiquée, elle gagne du terrain et, pour beaucoup, elle est source d’inspiration. La biographie de Maria Montessori, réalisée par Christina de Stefano nous permet de comprendre comment cette pédagogie a pu émerger dans une culture au départ peu propice, à travers l’œuvre pionnière d’une personne qui a initié à la fois une nouvelle pratique éducative et une nouvelle vision de l’enfant. Cette innovation, en rupture avec la culture dominante, constitue une « invention » sociale. C’est l’invention montessorienne. A partir de la création de la Maison des enfants de San Lorenzo, la diffusion de l’innovation va se poursuivre et s’étendre dans le monde entier à travers la diffusion de la vision et de la méthode par Maria Montessori. Ce livre se poursuit en relatant la campagne engagée par Maria Montessori pendant des décennies jusqu’à son décès en 1952.
Après un compte-rendu approfondi des chapitres montrant l’émergence de la pédagogie Montessori, nous nous bornerons à donner un bref aperçu de la campagne pour sa promotion à laquelle l’auteure consacre une bonne partie de ce livre.
Au cours des années, Maria Montessori a rencontré et attiré un grand nombre de personnes. Si bien que la troisième partie du livre est intitulé : « Le premiers disciples ». Et ce fut le cas en Italie et très vite à l’international. L’auteure nous décrit les éducatrices qui se sont engagées avec une passion militante. Maria anime un réseau. Elle y sera ensuite accompagnée par son fils Mario avec lequel elle a pu renouer une relation maternelle à partir de 1913 (le fils retrouvé : p 178-181). D’année en année, de pays en pays, les rencontres de Maria témoignent du potentiel d’attraction de l’idéal montessorien. Maria Montessori développe une œuvre de formation. Elle suscite la production d’un matériel éducatif. Cette dernière activité engendre parfois des conflits d’intérêt. Selon l’auteur, la forte personnalité de Maria Montessori peut lui attirer des reproches d’autoritarisme.
Le livre retrace un parcours international. L’action de Maria Montessori s’est exercée en Italie, et, pendant un temps, en Catalogne. Sa vision se répand dans le monde entier et elle est particulièrement bien accueillie dans certains pays. Ce fut le cas aux Etats-Unis durant un long séjour en 1914-1915, et à l’autre bout, en Inde, où elle réside pendant plusieurs années durant la seconde guerre mondiale.
Dans la poursuite de son action, Maria Montessori s’adapte aux différents terrains. Ainsi composa-t-elle avec le fascisme italien à ses débuts. Elle s’est impliquée dans la religion catholique pendant des années tout en gardant une distance vis-à-vis des conservatismes. Elle entretient des relations avec des personnalités très variées quant à leurs convictions philosophiques et religieuses. Dans certaines situations, elle recherche et conjugue les appuis de milieux différents, de congrégations catholiques à une franc-maçonnerie progressiste. Son grand voyage en Inde a été sollicité par le courant théosophique.
« Avec le temps, la vision de Maria Montessori s’élargit de plus en plus. Il ne s’agit plus seulement de changer l’école, mais aussi la société et donc le monde » (p 295). « Pendant les années 1930, Maria Montessori cesse d’être seulement une éducatrice, quoique géniale et très en avance sur son temps, pour devenir philosophe. » (p 297). « C’est à cette époque qu’elle commence à évoquer le concept d’éducation cosmique – éduquer à une vision d’ensemble grandiose, où chaque homme est lié aux autres et à la planète entière – qu’elle développe dans la dernière phase de sa vie » (p 295). « Son côté mystique n’a pas disparu, tant s’en faut, depuis qu’elle a renoncé à chercher le soutien des autorités catholiques. Il trouve d’autres voies d’expression, plus personnelles et plus libres et converge toujours vers une vision extrêmement respectueuse de l’enfant » (p 296). Sa foi chrétienne est toujours là : « Nous dépendons de l’enfant ; toute notre personnalité vient de lui. Plus que cela, il s’agit, pour ceux qui peuvent le comprendre, d’une réalisation chrétienne, car la supernature de l’enfant nous guide vers le Royaume de cieux. Premier citoyen de ce royaume, il le fut seulement dans les lignes de l’Evangile, sans que cela pénètre l’esprit, la conscience des chrétiens » (p 312).
Durant les dernières années, après un long séjour en Inde où elle fut accueillie comme « la Grande Âme », (p 302-304), elle s’établit aux Pays-Bas où elle continue à répondre aux sollicitations en provenance du monde entier.
Jusqu’à son départ, Maria Montessori est toujours en mouvement. Sur tous les plans, elle traverse et dépasse les frontières comme dans sa réponse à une question dans laquelle on lui demandait quelle était sa patrie : « Mon pays est une étoile qui tourne autour du soleil et qui s’appelle la terre » (p 315).
Au terme de cette lecture, on constate combien l’auteure de cette biographie, Christina de Stefano a su nous restituer le parcours de Maria Montessori dans sa dynamique et sa complexité. Elle a bien tiré parti « d’une correspondance inédite et de témoignages directs ». Elle nous rapporte une œuvre géniale tout en gardant son esprit critique. Ce livre est ainsi un ouvrage de référence sur Maria Montessori. Et dans une succession de chapitres courts, il se lit d’un trait.
Cependant, ici, nous avons centré notre analyse : mieux comprendre l’émergence de la pédagogie montessorienne. Nous pouvons suivre effectivement une maturation. L’éclosion de la « Maison des enfants est précédée par la redécouverte de Seguin par Maria Montessori et par ses expériences auprès d’enfants déficients. Elle est la résultante d’un engagement social précoce et constant. Elle témoigne d’un esprit d’observation qui s’inscrit dans un parcours scientifique.
Cependant la Maison des enfants est une innovation qui tranche avec la réalité éducative de l’époque. On y voit le surgissement d’une pratique éducative nouvelle. Cette pratique est la conséquence directe d’une nouvelle représentation de l’enfant, le fruit d’un état d’esprit propice à l’émerveillement et empreint de bienveillance et de respect. Ainsi, dans ces premières années, nous assistons à une véritable invention sociale.
On assiste là à un changement de regard. Ce changement permet de découvrir la vraie nature de l’enfant. C’est une vision psychologique et une vision spirituelle. Apprenons à observer, apprenons à regarder, apprenons à nous émerveiller.
J H
Christina di Stefano. Maria Montessori. La femme qui nous a appris à faire confiance aux enfants. Les Arènes, 2022.
Maria Montessori. L’enfant. Ce livre, fréquemment réédité est une belle introduction à la pensée de Maria Montessori. Il fut pour nous comme une révélation
Gilles Babinet, un guide pour entrer dans ce nouveau monde.
En ce temps de crise, la France est atteinte par le pessimisme et une perte de confiance. On voit bien le mal, mais on peine à distinguer les changements qui commencent à ouvrir des voies nouvelles. Cependant, il y a bien des analyses qui nous permettent de nous orienter.
Parmi ceux qui nous apportent une meilleure compréhension de la situation actuelle, on compte un jeune entrepreneur, engagé dans la pratique du numérique, et, en fonction de son expérience, appelé à exercer un rôle dans la vie publique comme premier président du Conseil national du numérique, puis comme représentant de la France auprès de la Commission européenne pour les enjeux du numérique. Cette compétence a permis à Gilles Babinet de publier un livre : « L’ère numérique. Un nouvel âge pour l’humanité. Cinq mutations qui vont bouleverser notre vie » (1).
Cependant, cet ouvrage n’est pas seulement le fruit d’une expérience de terrain. Il témoigne d’une culture historique et économique à même de situer et d’interpréter les développements en cours à partir d’une collecte d’informations particulièrement significatives. L’auteur sait aussi nous entraîner dans la compréhension des nouveaux processus avec beaucoup de pédagogie. Ce livre peut éclairer à la fois les décideurs et les acteurs. Accessible à tous, il met à la disposition de chacun une synthèse dynamique qui permet de prendre conscience de la dimension et de la portée de la révolution numérique comme une mutation en voie de transformer radicalement l’économie et la société.
« Gilles Babinet démontre que nous sommes, bien qu’au paroxysme de la crise, à l’aube d’une révolution de l’innovation sans précédent, d’un changement de paradigme majeur pourl’humanité. Il identifie cinq domaines dont l’évolution en cours, intrinsèquement liée au numérique, va changer toute notre vie : la connaissance, l’éducation, la santé, la production, l’Etat. Pour chacun d’eux, il explique les enjeux des changements et en précise les contours, nous invitant à retrouver foi dans l’innovation et la raison, nos meilleures chances de rebond, et peut-être de salut » (page de couverture).
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Evolution et croissance de la productivité.
Pour situer l’originalité et l’ampleur de la révolution numérique, l’auteur nous présente une rétrospective de l’évolution économique en mettant en évidence les aspects les plus significatifs. Ainsi consacre-t-il, à juste titre, un chapitre à l’étude de la productivité.
Pendant des siècles, celle-ci a stagné, mais depuis la première révolution industrielle au XVIIIè siècle, la productivité s’est accrue très rapidement. « On estime que, lors de la production d’une casserole, les gains de productivité se sont accrus de 150 à 500 fois entre le milieu du XVIIè siècle et l’époque actuelle » (p 43).
L’auteur retrace les grandes étapes de cette évolution. Ainsi, l’accès à l’énergie est un facteur important. La prospérité de l’Empire romain a dépendu d’une main d’œuvre asservie. « Avec la première révolutionindustrielle, on a trouvé un véritable substitut à la force de l’être humain en tant que source d’énergie. Ce substitut est le charbon ou, plus précisément, la houille utilisée pour alimenter la machine à vapeur, inventée en 1769 » (p 43). La seconde révolution industrielle est fondée sur l’électricité et le pétrole. Gilles Babinet nous rapporte l’épopée des inventions techniques qui se sont succédées pendant cette période.
Et, pour l’histoire récente, ilévoque la période des « Trente Glorieuses », les années de croissance économique qui ont suivi la seconde guerre mondiale et ont été appelées ainsi par Jean Fourastié, un grand économiste, qui, lui-même, a mis en évidence l’importance de la productivité et analysé la progression du niveau de vie, débouchant sur une transformation du genre de vie. Cette période de prospérité s’est achevée en raison du renchérissement du prix dupétrole, une tendance de fond liée à l’accroissement de la demande et qui se révèle avecacuité en 1973 à l’occasion de la guerre du Kippour et l’augmentation du prix du baril par l’Opep. Les années qui ont suivi ont pu être dénommées les « Trente Piteuses », caractérisées notamment par l’apparition et la persistance du chômage.
Gilles Babinet analyse finement les causes de cette crise, qui ne tiennent pas uniquement au coût de l’énergie. Il met en évidence un recul des gains de productivité. Le développement de l’informatique à partir des années 70 n’a pas eu d’effets immédiatement visibles.
De fait, on constate par ailleurs que les innovations techniques ne produisent pas immédiatement leurs effets en terme d’amélioration de la productivité. Cependant, la révolution numérique actuelle est si puissante que son impact se manifeste plus rapidement. « Dès que nous sommes entrés dans l’ère de l’ordinateur personnel et que l’on a commencé à connecter tous ces ordinateurs entre eux, à peu près au milieu des années 1990, il a été possible d’observer un accroissement de la productivité et de la croissance américaine » (p 65).
Aujourd’hui, en 2011, « les gains de productivité observés sont au plus haut niveau connu aux Etats-Unis » (p 67).
Le monde entier est désormais engagé dans la révolution numérique. « Qu’il s’agisse de paysans travaillant dans les campagnes reculées de pays en voie de développement ou de chercheurs de sciences fondamentales, tous vont connaître dans les années qui viennent un bouleversement de leurs méthodes de travail… La révolution numérique n’est qu’à ses prémisses et le rythme des innovations va progressivement s’accélérer » (p 67).
Quel horizon pour l’économie et la société ?
Nous sommes au courant des menaces qui se dessinent aujourd’hui, parmi lesquelles celles qui ont rapport ave les équilibres naturels. Cependant, Gilles Babinet met en évidence les difficultés de la prévision. « La complexification croissante de l’information disponible diminue notre capacité de séparer le signal du bruit » (p 31). Tout doit être fait pour réduire les risques, mais l’accélération du changement ne devrait pas induire une peur irraisonnée de la catastrophe.
« La thèse défendue dans cet ouvrage est que la révolution digitale va représenter une rupture de paradigme majeur pour l’ensemble de l’humanité » (p 33). Mais, « si l’histoire rencontre parfois des scenarii de rupture aux conséquences catastrophiques (la première guerre mondiale ), elle présente plus souvent que l’on ne veut bien l’accepter des ruptures de paradigme positives : l’invention de l’électricité, du moteur à explosion, du téléphone, de la pénicilline, des antibiotiques » (p 33). L’accroissement de la durée de vie est redevable aux nouveaux médicaments, mais aussi à la diminution de la pénibilité du travail.
La révolution numérique n’est pas un changement parmi d’autres. Elle concerne tous les registres de l’activité humaine. Après l’invention de l’écriture, puis de l’imprimerie, elle transforme radicalementla communication de l’information, mais entraîne également de nouvelles formes de production et une nouvelle manière de vivre en société. En étudiant, dans cinq chapitres, l’impact de la révolution numérique sur la connaissance,l’éducation, la santé, l’industrialisation et la production, l’Etat, Gilles Babinet nous montre, à travers des exemples concrets, l’ampleur et la portée des changements en cours et à venir. En lisant ces chapitres, on découvre avec émerveillement un potentiel immense. Les risques ne doivent pas être négligés, mais il y a là un horizon fabuleux. L’auteur évoque les opportunités d’une « société de la connaissance » (p 217-133).
Questions pour aujourd’hui
A travers l’histoire, on sait combien la réalisation de certaines innovations a entraîné des souffrances pour ceux qui n’ont pu s’y adapter et y participer. Aujourd’hui, on voit aussi combien tous ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires pour entrer dans les nouvelles pratiques sont menacés. Il y a donc un immense besoin de formation et d’accompagnement. Et, parallèlement, comme le souligne l’auteur, il est nécessaire de ménager des transitions. « La transition, la mue sera complexe et potentiellement très douloureusedans certainssecteurs. On ne peut pas, du jour au lendemain, changer la fonction publique ou l’outil productif et mettre en chômage des millions de gens. Et, à contrario, ne rien faire, c’est l’assurance d’un décrochage massif et le risque d’une sortie de l’histoire du progrès » (p 229).
C’est pourquoi Gilles Babinet propose des « régulations transitoires ». « Le principe de ces régulations serait d’offrir un délai raisonnable aux industries traditionnelles pour s’adapter au nouveau monde numérique, délai qui serait défini par avance » (p 230). A pluslong terme, c’est toute l’organisation sociale qui est appelée à changer. « La raréfaction du travail, conséquence des gains de productivité, va nous imposer de repenser avec une grande radicalité notre modèle social… » (p 229).
Cependant, une autre question est posée : la France va-t-elle entrer dans cette transformation, sans une longue et coûteuse résistance ? « La France est un pays qui reste bloqué dans le modèle de la seconde révolution industrielle, initiée il y a cent trenteans. Une ère de cycle long, au cours duquel nos institutions, nos grands corps ont été particulièrement adaptés. La thèse de cet ouvrage est que cette ère a commencé à se refermer, il y a près de quarante ans, avec la fin du plein emploi et le début de la crise énergétique. Une autre ère s’ouvre, qui n’a que peu à voir, en terme de codes, avec celle que nous quittons » (p 23).
Pour aller de l’avant, une impulsion politique est nécessaire. Mais, on se heurte ici à l’héritage d’un passé séculaire : un pouvoir centralisé, une société hiérarchisée (2).« La France est un pays jacobin, centralisé et les institutions de la République n’en sont pas moins néo-monarchistes. L’idée que la société civile puisse être, à l’instar de ce que l’on observe dans les pays scandinaves, largement associée à la marche de l’Etat, semble avoir du mal à faire son chemin » (p 22-23)
Gilles Babinet, un guide pour entrer dans un nouveaumonde.
Au début de son livre, Gilles Babinet nous raconte comment il a été appelé à devenir président du Conseil national du numérique et comment il a été alors confronté aux pesanteurs des institutions. On peut y voir un conflit entre une culture de l’authenticité et une culture du formalisme, une culture de la créativité et des formes répétitives. De plus, « D’une façon générale, l’ensemble du corps institutionnel n’a qu’une très faible idée de ce qui peut être faitavec lenumérique » (p 23). Voilà une des raisons qui a incité Gilles Babinet à écrire ce livre : « Faire comprendre à l’ensemble de ce corps, mais aussi à autant de décideurs que possible, que nous ne sommes pas condamnés au déclin, voire à l’effondrement » (p 22).
Nous recommandons tout particulièrement au lecteur les chapitres thématiques qui, à travers des études de cas et des histoires de vie, montrentune imagination créatrice à l’œuvre avec un impact considérable. Sur ce blog, nous avons évoqué la manière dont la révolution numérique permettait de mettre en œuvre une nouvelle manière d’enseigner, une nouvelle éducation (3). Nous rejoignons le mouvement décrit dans le chapitre sur l’éducation (4).
Dans sa globalité, ce livre nous apparaît comme un guide qui nous permet de comprendre les changements en cours et d’entrer dans une nouvelle dimension. Ainsi, face à la crise actuelle, nous voyons mieux les chemins pour en sortir. A cet égard, nous avions déjà trouvé un éclairage stimulant dans le livre de Jérémie Rifkin sur « La Troisième Révolution Industrielle » (5). Les angles d’approche de ces deux ouvrages sont différents, mais ils nous paraissent complémentaires. Et ils se rejoignent sur certains points, par exemple dans l’évocation de la raréfaction à terme du travail et l’avènement d’un nouveau modèle de société.
Il y a quelques mois, nous avons découvert et lu avec enthousiasme le livre de Anne-Sophie Novel et de Stéphane Riot : « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative ». (6). A partir de la présentation de très nombreuses innovations qui sont fondées sur la mise en oeuvre de la collaboration et du partage sur le web, les deux auteurs peuvent écrire : « La bonne nouvelle, c’est que le temps est venu : la révolution à laquelle nous croyons est une révolution du cœur. Une révolution de l’ « être ensemble » qui peut rendre hommage à la société conviviale imaginée dans les années 70 par le père de la pensée écologiste : Ivan Illich ». Ces deux auteurs mettent ainsi un accent sur les valeurs quiirriguent ce courant nouveau en rapide progression. Cependant, le champ couvert par Gilles Babinet est beaucoup plus vaste, et dans ce cas, la réalité est plus complexe, plus contradictoire, plus diversifiée. Et pourtant, Gilles Babinet, lui aussi, à partir de la présentation d’études de cas (7), peut écrire : « D’une façon générale, la collaboration est devenue consubstantielle de l’internet. Elle s’y trouve au cœur » (p 85). Pour notre part, nous réjouissant de la réalité de ce mouvement, nous pouvons l’interpréter dans les termes de la pensée d’un théologien : Jürgen Moltmann : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’accord général ». « Au commencement était la relation (M Buber) » (8).
Gille Babinet termine son livre par des remerciements. On peut lire en premier : « Je voudrais remercier avant tout Jimmy Wales, lefondateur de Wikipedia. Sans lui, ce livre n’aurait peut-être pas vu le jour, tant les sources, presqu’illimitées, qu’il m’a procurées via sa plateforme, ont été précieuses. (p 235). Ainsi, cette étude sur la révolution numérique s’inscrit, elle-même, dans la transformation de nos modes de travail. Et elle participe à une intelligence collective à laquelle nous sommes convié. Gilles Babinet nous ouvre un nouvel horizon.
J H
(1)Babinet (Gilles). L’ère numérique. Un nouvel âge de l’humanité. Cinq mutations qui vont bouleverser notre vie. Le Passeur, 2014
(2)Voir : Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylberberg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2015. Présentation sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire.Les pistes ouvertes par Yann Algan » https://vivreetesperer.com/?p=1306 Comment internet ébranle les structures hiuérarchiques : Clay (Shirky). Here comes everybody. The power of organising without organisation.Allen Lane, 2008. Sur le site de Témoins : « Le pouvoir d’organiser sans organisation. Les structures hiérarchiques en question » http://www.temoins.com/publications/le-pouvoir-d-organiser-sans-organisation.-les-structures-hierarchiques-en-question./toutes-les-pages.html
(3)Voir le livre de Michel Serres : Serres (Michel). Petite poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes). Présentation sur ce blog : « Une nouvelle manière d’être et de connaître » https://vivreetesperer.com/?p=820Sur ce blog : « Une révolution en éducation. L’impact d’internet pour un nouveauparadigme en éducation » https://vivreetesperer.com/?p=1565
(4)Le modèle de l’enseignement français correspond à l’ère industrielle aujourd’hui dépassée. Aujourd’hui, dans le mouvement de la révolution numérique, des innovations surgissent dans le monde et montrent une nouvelle voie. Gilles Babinet nous présente des études de cas particulièrement impressionnantes. En 2011, SebastianThrun, jusque là professeur à Stanford, crée : Udacity, y met en ligne un cours sur l’intelligence artificielle auquel 135 000 étudiants s’inscrivent, alors que le même enseignement était suivi par 200 étudiants à Stanford. Salman Khan, ayant aidé sa nièce à apprendre les mathématiques à travers des vidéos, constate que, mises en ligne sur You tube, ces vidéos sont consultées chaque jour par milliers. Il crée un organisme d’enseignement : la « Khan academy » qui diffuse aujourd’hui près de 5 000 vidéos (pour beaucoup, traduites en plusieurs langues). « Le plus frappant reste sans doute les commentaires qui accompagnent la plupart des vidéos. On y trouve d’innombrables histoires d’élèves qui s’estimaient incapables et qui ont retrouvé espoir grâce à ces vidéos ». Un chercheur indien en informatique, Sugatra Mitra lance en 1999 une expérimentation dans la banlieue sud de Delhi. Il met un ordinateur et un clavier connectés à internet à la disposition d’enfants de rue et d’eux seuls. Neuf mois après, il constate avec stupéfaction que ces enfants ont appris l’anglais. C’est la réussite d’une éducation informelle. Gilles Babinet évoque le fait que de nombreux entrepreneurs de l’économie de la connaissance aux Etats-Unis ont fait un passage dans des écoles de type Montessori qui privilégie l’éveil plutôt que le taux de réussite aux examens. « Un enseignement qui vient d’en haut » n’est plus reçu et Gilles Babinet dessine une « deuxième révolution éducative ».
(5)Rifkin (Jérémie). La Troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. LLL Les liens qui libèrent, 2012. Présentation sur ce blog : « Face à la crise, un avenir pour l’humanité. La troisième révolution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354
(6)Novel (Anne-Marie), Riot (Stéphane).Vive la Co-révolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (Manifeste). Présentation sur ce blog : « Une révolution de « l’être ensemble ». La société collaborative : un nouveau mode de vie ». https://vivreetesperer.com/?p=1394
(7)A partir de nombreux exemples, Gilles Babinet nous montre un développement de la coopération. Dans les pays en voie de développement, les changements introduits par le téléphone mobile sont spectaculaires. Les télécommunications rendent de multiples services. « Aujourd’hui, pour quatre milliards d’êtres humains, les smartphones représentent un moyen d’accès à internet. Leur vie en est changée… Il s’agit d’une révolution qui, en ce qui concerne l’accès à la connaissance, ne ressemble à rien de comparable dans toute l’histoire de l’humanité ». Ces possibilités nouvelles de communication renforcent le lien social. Dans son chapitre sur la connaissance, Gilles Babinet présente aussi les multiples innovations qui entraînent un développement de la collaboration : « Connaissance collective, crowd et cocréation. Crowd et gaind’opportunité dans le monde de la finance. Data et big data… ». Dans son chapitre sur l’industrialisation, en regard du développement de robots concentrés dans des usines où les hommes sont de moins en moins nombreux, Gilles Babinet décrit le développement des « fablabs » (laboratoires de fabrication) qui permettent de « distribuer massivement les moyens de conception, mais aussi de production et de les rendreaccessibles à tous ». Là aussi, la logique est celle de la collaboration.
(8)Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 (citation p 25). La pensée théologique de JürgenMoltmann est présentée sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/