Dieu à travers le Web

Par sa configuration même, le cyberespace induit de nouveaux comportements. Tout espace a une forme et il invite à des réponses spécifiques.. Chercheuse à Edimbourg, Lavinia Byrne ouvre pour nous un horizon particulièrement stimulant : « Maître, où demeures-tu ? » ont demandé deux disciples à Jésus (Jean 1.38). Dieu suscite et guide notre quête dans le  nouvel espace qui s’offre à nous.

Dans le passé, dans des catégories mentales marquées par les connaissances de l’époque et progressivement remises en question par le développement de la science, on pouvait se demander où Dieu résidait, s’interroge Lavinia Byrne. Aujourd’hui, l’inadaptation des vieux modèles ne porte plus à conséquence, car une nouvelle dimension apparaît. A côté du monde matériel, un univers parallèle se développe en offrant un nouvel imaginaire. « La réalité virtuelle nous fournit une puissante métaphore dans laquelle le monde digital est associée à la réalité spirituelle ».

C’est une réalité où prévaut l’interrelation, l’interconnection.  Dieu n’est pas éloigné et distant. Il est présent. Il y a maintenant un espace où nous pouvons aller à la recherche de Dieu. « Le web nous offre une métaphore nouvelle pour comprendre Dieu en train de prendre soin de notre monde et de le tenir en existence dans un tissu de communication » (1). L’Esprit de Dieu s’exprime à travers des hommes. Nous pouvons aller à sa rencontre sur le web. Partageons nos expériences.

JH

(1)         Conférence de Lavinia Byrne dans le cadre d’un projet : « media et théologie » à Edimbourg. Voir sur le site de Témoins : www.temoins.com:  Les chrétiens et internet: une nouvelle dimension

Sur la terre comme au ciel

Jadis, et aujourd’hui encore, dans certaines civilisations, il y a comme une proximité entre les vivants et les morts. Cette proximité peut être vécue comme une atteinte à l’autonomie et à l’initiative des vivants. Contre cet excès, il y a eu un mouvement de bascule en sens inverse. Aujourd’hui, dans le tohu bohu d’une vie trépidante, on oublie facilement ceux qui ont quitté l’univers terrestre. A cet égard, le terme de disparition, s’il  peut être entendu dans des sens différents, évoque néanmoins une rupture des contacts et des liens. Cette représentation s’oppose à ce qui, dans les liens affectifs, appelle une continuité, quelque soient les transformations évidemment nécessaires.

Cependant aujourd’hui, une nouvelle représentation de l’univers apparaît . Dans le passé, une approche analytique a souvent prévalu en mettant davantage l’accent sur ce qui sépare que sur ce qui relie. Aujourd’hui, une pensée holistique se développe comme en témoigne le progrès de l’écologie . On perçoit de plus en plus les interrelations, les interconnexions qui caractérisent notre univers. Internet exerce une influence sur tous les registres, y compris nos représentations. On a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle ». La présence d’une « conscience supérieure » dans l’univers peut ainsi être perçue comme ce qui porte une montée de la reliance et s’oppose à une chute dans la dispersion et le néant.

 

Dans une perspective chrétienne, telle que nous la présente Jürgen Moltmann, un grand théologien qui sait entrer en phase avec le mouvement de notre culture, une « nouvelle pensée trinitaire » met l’accent sur une représentation de Dieu comme une communion d’amour entre les personnes divines. De même, la réjouissance des êtres humains en Dieu est partagée. « Les hommes se réjouissent de Dieu et Dieu est heureux de son peuple » (Esaïe 65.19). Cette réjouissance n’est pas destinée à être vécue solitairement. « La communion directe avec Dieu conduit à une communion directe des êtres humains entre eux… »

Dans cette perspective, les êtres humains recueillis par Dieu après leur mort participent à une communion en Christ. Et, par delà, il  y a « une communion entre les vivants et les morts ». La communion du Christ s’étend à la fois aux vivants et aux mort. « C’est pour être Seigneur des morts et des vivants que Christ est mort et qu’Il a repris vie » (Romains 14.91). Ainsi, il n’y a pas de barrière entre les vivants et les morts. La communion du Christ comprend en quelque sorte deux demi cercles : d’un côté la communauté des vivants, de l’autre côté, celle des morts. L’espace de vie des vivants a des frontières ouvertes comme celui de l’espace des morts. « Il y a bien une communion « infrangible et indestructible » entre les vivants et les morts. Celle-ci s’exerce en Christ, « non pas une communion dans l’expiation, mais une communion dans la même espérance…En Christ ressuscité, il existe une présence des morts avec nous les vivants ». Il n’y a pas de barrière entre les « humains terrestres » et les « humains célestes » selon une appellation qui nous vient comme suggestive.

Et comment cette proximité des morts peut-elle se manifester ? Elle se déploie dans la communion en Christ. « Chaque fois que l’amour inconditionnel de Dieu nous devient proche, les morts que nous aimons nous sont proches aussi. Plus nous devenons proches du Christ, plus nous entrons dans la communion avec les morts ».

Et, ensemble, vivants et morts, nous sommes en marche avec le Christ, dans le processus qui mène à l’avènement du Royaume de Dieu, à la seconde création.

 

A l’expérience, on constate que le message apporté sur ce thème par différents milieux chrétiens est parfois brouillé par les séquelles d’un héritage où le pouvoir religieux a érigé des représentations de l’au-delà et les a utilisé à son profit, où des camps opposés ont dressé des barrières, où une culture de la peur s’est imposée à travers les mentalités. C’est pourquoi, en réponse à des aspirations vitales, une question majeure de sens, une question de vie ou de mort, la clarification théologique apportée par Jürgen Moltmann, nous paraît bienfaisante. A partir des textes bibliques, il nous introduit ainsi dans la signification de la résurrection. La vie éternelle ne se définit pas en opposition avec la vie terrestre. « Résurrection des morts » signifie que cet être mortel revêtira l’immortalité (1 Corinthiens 15.54). Les termes les plus proches de la résurrection dont il est question dans le Nouveau Testament sont « transformation » (1 Corinthiens 15.54). et « transfiguration ». La résurrection signifie alors qu’un être humain trouve en Dieu, sa guérison, sa réconciliation et son accomplissement »

 

Nous sommes, ensemble, en chemin, vers un univers renouvelé, une seconde création où Dieu sera tout en tous  (1 Corinthiens 15.28).

 

JH

 

Les sources sont mentionnées dans l’article : « La vie par delà la mort » publié sur la site : « l’Esprit qui donne la vie »

http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=822Il Il s’agit notamment du livre : Moltmann (Jürgen). La venue de Dieu. Eschatologie chrétienne. Cerf, 1997.

Face à la détresse du monde

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Veiller et guetter.

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Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

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         Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? Dans un conte de Charles Perrault (1), c’est la question désespérée que la femme de Barbe bleue attendant du secours pose à sa sœur Anne alors que son mari s’apprête à l’exécuter. Et cette question figure aujourd’hui dans notre mémoire collective.

         Quel avenir existe-t-il encore pour nous lorsque nous vivons dans la tourmente ? Nous pouvons nous poser cette question à un moment particulièrement difficile de l’histoire, mais c’est aussi une question existentielle pour tous ceux d’entre nous qui se sentent menacés. Peut-on attendre un secours, lequel et quand va-t-il venir ?

         Dans une courte vidéo (2) intitulée : « Sœur Anne ne vois-tu rien venir ? », Nadine Heller répond à notre attente dans l’esprit des évangiles. Dieu nous appelle à veiller et guetter. Il nous appelle à une espérance active. En phase avec nos sentiments, nos questionnements, nos aspirations, avec une grande justesse de ton et beaucoup de simplicité, Nadine Heller nous invite à regarder au loin « pour voir l’aube qui pointe » et « être des semeurs de vie, des porteurs de vie, pour choisir la vie (3) ».

         Dans ce message, Nadine Heller partage avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre une dynamique d’espérance et de vie. Nous voyons bien aujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieu  nous offre un horizon qui va au delà. Ecoutons les propos de Nadine.

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         « Vous entendez cette rumeur qui enfle. Toutes ces voix que le monde entier court à sa perte, que tout fout le camp, que l’être humain est devenu fou. Oui, bien sûr, nous les entendons ces voix. Et si, dans nos moments de silence, nous entendions tous les cris de détresse qui, de par le monde entier, montent vers le ciel,  nous deviendrions fou.

         Alors que faire ? est-ce qu’il faut nous boucher les oreilles ? Est-ce qu’il faut-il fermer les yeux ? Est-ce qu’il faut-il s’isoler ? Les  évangiles eux nous invitent à tout autre chose. Dieu nous invite à veiller et à guetter. Un peu comme si nous étions appelés à être des sentinelles qui doivent monter sur une tour de guet pour regarder au loin, non pas pour regarder les catastrophes qui vont arriver, mais pour regarder au loin l’aube qui pointe. Un peu comme ce que nous pouvons lire dans le livre de l’Apocalypse au Chapitre 21 : « Oui, voici ce que je vois. Un ciel nouveau, une terre nouvelle. J’entend une voix forte qui vient du siège et qui dit : Maintenant, la maison de Dieu est au milieu des hommes. Il va habiter avec eux. Ils seront ses peuples. Dieu lui-même sera avec eux et Il sera leur Dieu. Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. La mort n’existera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni larmes, ni souffrance ».

         Quelle espérance ! Mais cette espérance ne fait pas de nous des utopistes ou des doux rêveurs. Au contraire, c’est une espérance qui nous invite à être actifs comme des guetteurs qui guetteraient le moindre signe de lumière dans ce monde. Et aussi une espérance active qui nous invite, vous, moi, à être des porteurs de lumière, à être de ceux qui sèment sans compter la paix, l’amour, la justice au nom du Christ…qui les fait vivre, à être des semeurs de vie, à être des porteurs de vie, à choisir la vie, car, vous et moi, nous sommes invités à choisir la vie et à ensemble porter l’espérance ».

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         Dans cette conversation, Nadine Heller a partagé avec nous un passage de l’Apocalypse qui ouvre pour nous un horizon de vie . Nous voyons bien  aujourd’hui quelle est la puissance du mal et de la mort. Mais Dieu nous ouvre un horizon qui va au delà.

         « Puisse le Dieu de l’Espérance vous remplir de toute joie et de toute paix dans la foi de telle manière que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espérance, écrit Paul aux Romains (Romains 15.13). Un grand théologien, Jürgen Moltmann (4),  nous montre combien cet accent est original, unique, parmi les différentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associé à un espoir humain pour l’avenir. Le futur est un élément essentiel de la la foi de Pâques. La foi signifie vivre dans la présence de Christ ressuscité et nous nous mouvons dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expérience de la vie quotidienne prend place dans une attente créative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espérons et nous endurons, nous prions et nous observons. Nous sommes à la fois curieux et patients » (5) . 

         Cette approche rejoint celle qui nous est proposée par Nadine Heller, pasteure de l’Eglise protestante Unie de Saint-Chamond, dans le cadre de la chaine : « Pasteur du dimanche » (6). Avec   des mots justes, elle aussi nous invite à vivre  dans une espérance active, une dynamique de vie. Ensemble et chacun de nous, choisissons la Vie.

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J H

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(1)            « Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? », une adjuration célèbre issue d’un conte de Charles Perrault : La Barbe Bleue paru dans « les contes de ma mère l’Oye » en 1697. Voir Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sœur_Anne  Le texte : http://www.alalettre.com/perrault-oeuvres-barbe-bleue.php

(2)            Vidéo de Nadine Heller : « Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? » dans la chaine : pasteurdudimanche » ( décembre 2013) sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=mYV_UUujPQ4&feature=youtu.be

(3)            « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie afin que tu vives » (Deutéronome 30.19) . Cette parole biblique va droit à l’essentiel pour notre vie. Il y a dans ce monde, y compris l’héritage religieux, tant de déformations qui peuvent nous éloigner de la vie. Aussi, on se  réjouit de voir que l’équipe de « pasteurs du dimanche » ait pris comme devise  : « Choisis la vie ».

(4)            Jürgen Moltmann figure parmi les plus grand théologien de notre temps . En phase avec les grands questionnements de notre époque, il a commencé par écrire une théologie de l’espérance. On trouvera une mise en perspective de son itinéraire et de son œuvre dans une présentation de son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695. Un blog : « L’Esprit qui donne la vie », présente sa pensée au public francophone : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(5)            Sur ce blog : « Quelle espérance ? Un espoir pour l’avenir humain. Le Royaume de Dieu en train de venir » : https://vivreetesperer.com/?p=890 ? Le passage sur l’espérance ici mentionné est issu du livre : « Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. Fortress Press, 2004. Récemment traduit en français : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte temps présent, 2012 (Voir le chapitre : la force vitale de l’espérance). Présentation de  ce livre sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572. Bien sûr, en ce temps de Noël, la naissance de Jésus manifeste le début du processus de libération.

(6)            Quelques pasteurs de l’Eglise Protestante Unie ont choisi de s’entendre pour proposer chaque dimanche une courte vidéo (2 à 3 minutes) qui s’adressent à nous dans une parole d’ouverture, de partage et de conviction en alliant une réflexion sur la vie et l’actualité et l’éclairage d’un passage biblique dans son originalité pour aujourd’hui. « L’objectif de « pasteurdudimanche.fr » est de proposer une parole courte sur une actualité et un texte biblique qui invite à aller plus loin ».Il y a là le désir manifeste de s’adresser à un public qui dépasse de loin les seuls pratiquants protestants. La première vidéo a été réalisée par Joël Dahan en octobre 2011. Aujourd’hui, le site : « pasteurdudimanche.fr » renvoie à plus de 90 vidéos !  Naturellement, certains messages nous touchent plus que d’autres, mais un désir de convivialité et d’authenticité se manifeste dans chaque vidéo. Ce site est devenue une ressource importante pour la vie et l’expression chrétienne. http://www.youtube.com/playlist?list=PL6F0WgMatbJUxPNorU-tyfYon2NQBXsRG

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Sur ce blog, d’autres textes sur ce thème :

« Confiance. Le message est passé ! Le livre d’Odile Hassenforder : « Sa présence dans ma vie ». http://www.youtube.com/playlist?list=PL6F0WgMatbJUxPNorU-tyfYon2NQBXsRG

« Espérer, c’est voir l’amour divin à l’oeuvre ». https://vivreetesperer.com/?p=870

« Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection ». https://vivreetesperer.com/?p=744

« En eau profonde ». https://vivreetesperer.com/?p=409

« Sur la terre comme au ciel » http:/www.vivreetesperer.com/p=338

La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique

Selon un article de Jack Forster : Religious experience and ecology

 Nous subissons aujourd’hui les conséquences du manque de respect porté à la nature et de la maltraitance à son égard qui en est résulté. La crise écologique actuelle résulte de l’imposition d’une culture humaine dominatrice et manipulatrice à l’égard du vivant. En regard, une prise de conscience écologique apparaît aujourd’hui. Elle requiert un changement de genre de vie. Elle appelle une transformation des mentalités. Au total, nous avons besoin d’une nouvelle vision du monde. Cette mutation exige un renouvellement des connaissances et la prise en compte de nouvelles approches. Ainsi la dimension spirituelle s’affirme dans une écospiritualité » (1). Celle-ci a des visages multiples.

En Grande- Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, il existe un centre de recherche qui aborde la question spirituelle à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti mystique d’unité et de reliance, d’amour et de lumière ; c’est le « Alister Hardy Religious Experience Research Center » fondé en 1969 par Alister Hardy, un grand biologiste. Nous avons rapporté le rôle pionnier de ce centre en présentant un livre de David Hay, membre de la même équipe : « Something there » (2). Aujourd’hui, Jack Hunter, chercheur lui aussi au Centre de recherche sur l’expérience religieuse de l’Université du Pays de Galles, publie un livre où il s’interroge sur ce qu’une nouvelle approche des phénomènes paranormaux avec ses conséquences sur l’appréhension du monde peut apporter à la prise de conscience écologique : « Greening the paranormal. Exploring the ecology of extrordinary experience » (3). Le même auteur, Jack Hunter, vient de publier l’éditorial d’un numéro spécial du « Journal for the Study of Religious Expérience » (2021 N°2) intitulé : « Religious experience and ecology » (expérience religieuse et écologie » (4). Nous nous appuierons ici sur cet article.

 

Une personnalité emblématique : Alister Hardy, biologiste des environnements marins, puis chercheur sur l’expérience religieuse et spirituelle

Au départ, Jack Forster rend hommage au fondateur du Centre de recherche sur l’expérience religieuse, Sir Alister Hardy, en écrivant combien le thème du rapport entre écologie et expérience religieuse aurait été cher à son cœur. En effet, Alister Hardy a d’abord été un grand biologiste dans le domaine marin où il est reconnu pour ses recherches sur le plancton et les nombreuses connections que celui-ci entretient avec les écosytèmes marins. Il a été également l’inventeur du « continuous plankton recorder » (enregistreur continu du plancton) qui sert à suivre les niveaux de plancton dans l’océan, un dispositif qui est encore couramment utilisé dans ce domaine. Pendant plusieurs décennies, Sir Alister Hardy (1896-1985) a poursuivi une carrière académique avec des titres divers : professeur de zoologie et d’océanographie à Hull, professeur d’histoire naturelle à Aberdeen, et enfin, professeur de zoologie et d’anatomie comparée à Oxford.

Lorsqu’il prend sa retraite, il s’engage dans une nouvelle orientation de recherche gardée jusque là en veilleuse. En 1969, il fonde la « Alister Hardy Religious Experience Research Unit », devenu « Alister Hardy Religious Experience Research Centre » (5). Il entreprend là un travail particulièrement original : la collecte et l’analyse de récits sur les expériences spirituelles et religieuses. La question configurant la demande de récit était la suivante : « Vous est-il arrivé d’avoir conscience d’une présence ou d’une puissance (ou d’être influencée par elle) que vous l’appeliez Dieu ou non et qui est différente de votre perception habituelle ? ». Plus de 6000 documents de première main ont ainsi été recueillis et sont aujourd’hui accessibles.

Ainsi, dans la vie d’Alister Hardy, deux passions se sont conjuguées. « Dans ses notes autobiographiques, Hardy rapporte avoir eu dans son enfance des expériences dans la nature, des expériences puissantes et transformatrices. Celles-ci auront une influence significative sur le déroulement de sa vie et de son œuvre ». Jack Forster poursuit : « Alister Hardy rapporte comment étudiant, il lui arrivait de rêver en observant la conduite des papillons et d’avoir des moments d’extase en marchant le long des bords de la rivière près de son école à Oundle dans le Nottinghamshire ». Il écrit : « Il n’y a pas de doute que, comme jeune garçon, j’étais en train de devenir ce qui pourrait être décrit comme un mystique de la nature. Quelque part, je sentais la présence de quelque chose qui était au delà et cependant faisait partie de toutes les choses qui me ravissaient : les fleurs sauvages et vraiment aussi les insectes. Je rapporterais quelque chose que je n’ai jamais dit à quelqu’un auparavant, mais maintenant que je suis dans ma 88ème année, je pense que je puis l’admettre. Juste à l’occasion, quand j’étais sûr que personne ne pouvait me voir, je devins si impressionné par la gloire de la scène naturelle, que pendant un moment ou deux, je tombais à genoux dans la prière, non pas une prière pour demander quelque chose, mais une prière pour remercier Dieu que je sentais très réel pour moi, pour les gloires de son Royaume et pour m’avoir permis de les ressentir ». La conjugaison d’une expérience mystique et d’une mentalité scientifique chez Alister Hardy nous rappelle le même rapprochement rapporté par Jane Goodhall (6). Il y là un témoignage pour aujourd’hui.

 

Les  expériences extraordinaires de transcendance et la nature

Le philosophe W.T. Stace (1886-1967) a considéré que le mysticisme de la nature était une des formes principales du mysticisme. Les expériences correspondantes sont extraverties, tournées vers l’extérieur. « Elles sont suscitées par le paysage extérieur et le transfigure, induisant fréquemment un sens de l’unité sous-jacente du monde naturel ».

« Dans les archives du Centre Alister Hardy, il y a de nombreux récits analogues d’expériences transcendantes et extraordinaires apparemment induites par une immersion dans des systèmes écologiques vibrants ». Dans son étude pionnière des compte-rendus recueillis : « The spiritual nature of man » (1979) (la nature spirituelle de l’homme), Alister Hardy identifie « la beauté naturelle » comme un des déclencheurs les plus ordinaires des expériences religieuses, plus fréquents que l’adoration religieuse, en suggérant ainsi une corrélation importante entre les environnements naturels et les expériences extraordinaires ». Jack Forster cite Paul Marshall, auteur d’un livre récent sur la relation entre le monde naturel et les expériences mystiques. « Ces expérience sont importantes, car elles constituent un des principaux genres d’expériences prises en compte par les chercheurs ». Et, souligne Jack Forster, ces expériences jouent en faveur de la relation entre l’homme et la nature et d’une attitude pro-environnementale.

 

Phénoménologie et écologie : unité et diversité 

Les expériences extraverties dans des environnements naturels sont souvent associées à un sens d’unité (oneness) et de communion avec la nature, une caractéristique qui relie ces expériences avec les expériences mystiques du genre classique telles que celles qui sont vécues dans beaucoup de traditions mystiques du monde.

Jack Forster nous rapporte un exemple de récit (7) parmi ceux recueillis au centre Alister Hardy.

« Il y a une douzaine d’années, j’avais quatre grands ormes sur la pelouse de mon jardin. J’étais fortement attirée vers ces arbres et j’avais l’habitude de caresser leur tronc et de leur parler. Je sentais toujours leur réponse à travers une forte vibration à travers mes mains, puis à travers mon corps entier. Cela me donnait la conviction que j’étais Un avec tous les Êtres. Le même flux vital qui coule à travers mon corps, coule à travers toute végétation, les animaux, les oiseaux, les poissons, les minéraux, sous le sol et sous la mer, et même les pierres sur lesquelles nous marchons. Chaque chose animée ou inanimée est maintenu ensemble avec les atomes qui appartiennent à l’Être divin ».

Une conscience de l’unité de la nature apparaît dans ce témoignage. Mais il y en a d’autres où se manifestent tout autant la complexité et la diversité. L’auteur nous en propose un :

« Plus j’allais vers le village, plus les alentours paraissaient devenir vivants. C’était comme si quelque chose, qui avait été dormant quand j’étais dans le bois, venait à la vie. J’ai du dériver ver un état d’exaltation.

La lune, quand je la regardais, semblait être devenue personnalisée et observatrice comme si elle était consciente de ma présence. Une douce senteur remplissait l’air… La rivière me faisait entendre qu’elle m’avait déjà vu auparavant. Le sentiment que j’étais en train d’être absorbé dans un environnement vivant, gagnait en intensité et était en voie d’atteindre son apogée. Cela semblait sortir du ciel dans lequel des harmonies majestueuses résonnaient. La pensée que c’était la musique des sphères fut immédiatement suivie par une irruption de corps lumineux : météores ou étoiles circulant dans leurs courses prédestinées en émettant à la fois de la lumière et de la musique ».

« Des expériences comme celles-ci pourraient  être perçues comme des expressions d’une vision animiste, une réalisation de ce que Graham Harvey a éloquemment écrit : « Le monde est plein de personnes parmi lesquelles seules quelques unes sont humaines ….  ». Dans l’expérience ci dessus, un dialogue s’établit entre l’expérienceur et la rivière, la lune et les arbres. Mais ces voix multiples sont juste un prélude à l’apogée de l’expérience : l’harmonisation symphonique de voix diverses et nombreuses de la nature en un ensemble conçu comme « la musique des sphères ».

Ainsi Jack Forster peut déclarer : « Alors, les expériences religieuses extraverties révèlent une image du monde qui est à la fois fondamentalement « unitaire et interconnectée » et « diverse, complexe et multiple ». Jack Forster nous renvoie en regard à la manière dont des chercheurs se représentent les écosystèmes. Ainsi, le biologiste végétal, Frédéric Clements (1874-1945), « envisageait les écosystèmes comme des organismes à grande échelle, consistant en une multitude d’organismes plus petits inrerconnectés (plantes, animaux etc). Ces écosystèmes avaient tendance à se développer vers une complexité accrue et de plus grands niveaux de diversité et d’interconnection ». Il voyait là comme une progression finalisée vers un écosystème entrevue comme une apogée, « un organisme ou un superorganisme avec sa propre histoire de vie ayant suivi des voies téléologiques prédéterminées, allant constamment dans la direction d’une plus grande biodiversité et de la stabilité et de l’harmonie globale d’un superorganisme ». Cette conception des écosystèmes « résonne avec les expériences mystiques de la nature décrites plus haut ». Ces expériences spirituelles extraverties tournées vers la nature « peuvent être comprises comme des instances où l’expérienceur ne perçoit plus de séparation entre lui-même et les écosytèmes qui l’entourent, en devenant simultanément conscient de la diversité et de l’interconnectivité de la vie aussi bien que de son unité sous-jacente, lui-même imbriqué dans cet ensemble ». Jack Forster ouvre ainsi un horizon : « En ces moments où l’expérience est en harmonie avec la réalité écologique, nous pourrions dire que l’expérienceur est entré dans un état de « conscience écologique » ou qu’il a développé une conscience de son « soi écologique ».

 

L’expérience extraordinaire et le soi écologique

Le concept de « ecological self », le soi écologique provient des écrits du philosophe norvégien, Arne Naess (1912-2009). Celui-ci suggérait qu’à travers le processus de réalisation de soi, les êtres humains passeraient ultimement de conceptions égotiques du soi (bornées, individualistes) à un soi écologique. Le soi écologique émerge quand des personnes en viennent à s’identifier avec l’environnement dans la mesure où elles réalisent que la conservation du monde naturel est en même temps un acte d’auto-préservation. Au fond, « c’est la conscience qu’il n’y a pas de frontière solide et imperméable entre le soi et l’écosystème, que le soi est profondément imbriqué dans cet écosystème, qu’il fait partie d’un système écologique plus vaste et est connecté à tous ses autres aspects ». La science de l’écologie met l’accent sur les interrelations. Le soi écologique se construit à partir de cette conscience de l’interconnection.

Jack Hunter s’avance ensuite dans un champ plus vaste et plus conjecturel. En effet, il considère, dans une commune attention, les expériences religieuse et spirituelles et la gamme des expériences paranormales. Il y perçoit un certain nombre de similarités phénoménologiques comme « par exemple, le rôle de la lumière dans beaucoup d’expériences extraordinaires aussi bien que des similarités dans leurs effets postérieurs ». Les différents genres d’expériences extraordinaires sont « associés avec l’émergence d’une plus grande identification avec le monde naturel ». Jack Hunter envisage différentes expériences comme les expériences de sortie du corps ou les expériences proches de la mort. « Est-ce une coïncidence que les expériences paranormales, religieuses et autres extraordinaires soient associées avec une conception étendue du soi et un sens accru de la connectivité naturelle ? ». A la recherche d’explications, Jack Hunter envisage que ces expériences, bouleversant les expérienceurs, les écartent de leurs modèles d’interprétation habituels, les ouvrant ainsi à la conscience qu’ils font partie d’un monde vivant beaucoup plus large, d’un vaste « écosystème invisible ».

 

Décoloniser la recherche sur les expériences religieuses

Dans cet article, Jack Hunter aborde également un problème méthodologique. Le cadre actuel de la recherche sur les expériences religieuse s’étend-t-il suffisamment au delà de son point de départ occidental ? On imagine les gains qui pourraient advenir en sortant d’un cadre culturellement et méthodologiquement limité. C’est élargir l’horizon.

 

Une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique

Il y a bien une affinité entre les expériences spirituelles et religieuses et la conscience écologique. C’est la conclusion de Jack Hunter.

« Pour résumer brièvement, il y a, de longue date, une reconnaissance de la relation entre l’expérience religieuse, mystique et spirituelle et le monde naturel. Vraiment, la fascination de Sir Alister Hardy pour ces deux champs découle de ses propres expériences religieuses extraverties durant son enfance. Les expériences religieuses extraverties paraissent révéler une relation dynamique entre l’unité et la diversité dans la nature. Certaines mettent l’accent sur l’unité sous- jacente de la nature tandis que d’autres mettent en valeur la complexité et la multiplicité. Cette relation dynamique se manifeste aussi dans les perspectives qui ont émergé de la science écologique qui considère les écosystèmes comme des entités holistiques constituées par de nombreuses parties prenantes interactives.

Les expériences religieuses extraverties sont des moments où les expérienceurs deviennent conscients et font eux-mêmes l’expérience de faire partie de ces vastes systèmes complexes ».

Cet  article nous parait particulièrement important. Le grand mouvement de la prise de conscience écologique n’appelle-t-il pas, en soutien, une mobilisation spirituelle et n’induit-il un nouveau regard sur le monde : le vivant, l’humain et le divin ? En correspondance, comment ce nouveau regard est-il accueilli et exprimé dans la théologie chrétienne ? Sur ce blog, on trouvera des réponses dans les approches de Jürgen Moltmann (8), de Richard Rohr et de Michel Maxime Egger.

JH

  1. Ecospiritualité. Une approche spirituelle : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/ On notera l’abondance et la diversité de la littérature anglophone sur le thème de la « spiritual ecology », du rapport entre écologie et spiritualité. Par exemple : Ecology and spirituality. Research Oxford encyclopedias. 2019 : https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-95
  2. La vie spirituelle comme une conscience relationnelle. Une recherche de David Hay sur la spiritualité d’aujourd’hui : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
  3. Jack Hunter. Greening the paranormal. Exploring the ecology of extraordinary experience. 2019 https://www.amazon.fr/Greening-Paranormal-Exploring-Extraordinary-Experience/dp/1786771098
  4. Jack Hunter. Religious experience and ecology. Editorial : https://rerc-journal.tsd.ac.uk/index.php/religiousexp/issue/view/11
  5. Alister Hardy Religious Experience Research Center : https://www.uwtsd.ac.uk/library/alister-hardy-religious-experience-research-centre/
  6. Jane Goodhall : une recherche pionnière sur les chimpanzés, une ouverture spirituelle, un engagement écologique : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/ Richard Rohr nous introduit dans une démarche expérientielle dans sa séquence : Contempler la création (voir l’expérience de Sherri Mitchell) : https://vivreetesperer.com/contempler-la-creation/
  7. Expériences de plénitude : https://vivreetesperer.com/experiences-de-plenitude/
  8. Et sur le site : l’Esprit qui donne la vie : Un avenir théologique pour l’écologie selon Jürgen Moltmann : https://lire-moltmann.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie/ En voici quelques extraits significatifs : « Les humains sont des êtres créés au sein de la grande communauté de la vie et ils font partie de la nature. Selon les traditions bibliques, Dieu n’a pas infusé l’Esprit divin seulement dans l’être humain, mais dans toutes les créatures de Dieu… Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu est dans la création… »

Pour une vision holistique de l’Esprit

Avec Jürgen Moltmann et Kirsteen Kim

Selon les chemins que nous avons parcouru, le mot Esprit peut évoquer une résonance différente. Ce peut être l’évocation d’un groupe de prière où l’Esprit porte le désir de vivre en harmonie avec Jésus, avec Dieu et d’entrer dans un mouvement de louange. Pour d’autres, c’est ce qui est dit du Saint Esprit dans la vie d’une église. Et puis, pour ceux qui se disent « spirituels et pas religieux », ce peut être reconnaitre une présence au delà de la surface des choses, une expérience de vie. Quoiqu’il en soit, dans une perspective chrétienne, il y aujourd’hui une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Et on sort des sentiers battus. L’Esprit Saint n’est plus seulement  observé dans l’Eglise. On le voit à l’œuvre dans l’humanité, dans la nature, dans toute la création.

Partager le mouvement actuel de la théologie qui dépasse les cloisonnements et les barrières et met en évidence l’œuvre de l’Esprit, c’est nous aider à reconnaître la présence divine dans le monde, dans l’univers, porteuse d’amour, de vie, de libération. Cette prise de conscience d’une présence active de l’Esprit, bien au delà des frontières des églises est relativement récente. Dans cette transformation du regard, un rôle majeur a été exercé par le théologien, Jürgen Moltmann, à travers la publication de son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1). Sa pensée est présente sur ce blog (2). Pourquoi donc revenir ici sur ce thème ? De fait, Moltmann ayant ouvert la porte d’une théologie de l’Esprit (3). Celle-ci se développe aujourd’hui à l’échelle mondiale. Un livre vient à nous informer à ce sujet en mettant en valeur des mouvements significatifs. Là aussi, c’est un dépassement des frontières. Ce livre : « Holy Spirit in the world. Global conversation » (4) est écrit par Kirsteen Kim ; une théologienne dont l’itinéraire est lui-même international puisqu’elle-même, anglaise, s’est mariée à un coréen, a enseigné en Corée et en Inde, et, de retour en Angleterre, a été invitée à enseigner à la faculté Fuller aux Etats-Unis.

Le livre de Moltmann sur l’Esprit est paru d’abord en allemand en 1991 : « Das Geist des lebens. Eine Ganzheiliche pneumatologie », puis en anglais : « Spirit of life. An universal affirmation » (1992), enfin en 1999 en français : « L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intégrale » (1). Le terme : pneumatologie, bizarre à priori pour le non spécialiste, est issu de « pneuma », en grec, esprit. Les différents titres, dans leur spécificité linguistique rendent compte du contenu de l’ouvrage. Nous retenons ici le terme : « ganzheitlich » qui peut être traduit en terme de : « holistique », une approche globale, unifiante. Cette démarche est mise en valeur par Kirsteen Kim lorsqu’elle écrit : « Moltmann élargit la théologie de l’Esprit lorsqu’il associe l’Esprit avec la vie, non pas « la vie contre le corps », mais « la vie qui apporte la libération et la transfiguration du corps » et en considérant le rôle de l’Esprit dans toutes ses dimensions de salut : libération, justification, renaissance, sanctification, puissance charismatique, expérience mystique et fraternité. En reliant tout ceci au politique aussi bien qu’au personnel, au matériel aussi bien qu’au spirituel, il essaie de montrer le caractère holistique de la théologie de l’Esprit, un point qui est mis en valeur par le sous-titre de l’édition allemande originale » (p 61).

 

L’Esprit qui donne la vie

https://m.media-amazon.com/images/I/41Y7SDSBMGL.jpg De fait, cette dimension holistique est également exprimée dans le descriptif du livre : « L’Esprit qui donne la vie ». La pensée de Moltmann est une pensée qui relie. « Se plaçant dans une perspective oecuménique, Moltmann intègre les apports de la théologie orthodoxe, mais également les expériences « pentecostales » des jeunes églises. Il entend honorer l’expérience du sujet et de son expérience à l’époque moderne ainsi que les préoccupations écologiques d’aujourd’hui… L’auteur cherche à élaborer une théologie de l’Esprit Saint susceptible de dépasser la fausse alternative souvent réitérée dans les Eglises, entre la Révélation divine qu’elles ont pour mission de sauvegarder et les expériences humaines de l’Esprit. Il entend mettre ainsi en valeur les dimensions cosmiques et corporelles de l’Esprit « créateur et recréateur » qui transgresse toutes les frontières préétablies ».

Déjà dans la « Théologie de l’espérance », Moltmann avait réalisé une œuvre pionnière en mettant en phase plusieurs courants de pensée. A nouveau, dans « L’Esprit qui donne la vie », il abaisse des frontières et permet de nouvelles synthèses. Ce mouvement est décrit et mis en valeur par D. Lyle Dabney dans un remarquable article : « L’avènement de l’Esprit. Le tournant vers la théologie de l’Esprit dans la Théologie de Jürgen Moltmann » (3). Lyle Dabney nous permet de comprendre le chemin de libération suivi par Moltmann. Jürgen Moltmann a pris progressivement conscience que la théologie occidentale, catholique et protestante, était dans une impasse historique par la méconnaissance de la personnalité propre de l’Esprit. Celui-ci était envisagé en situation de subordination par rapport au Père et au Fils. Dans son livre sur la Trinité et le Royaume (paru en 1980 dans sa version anglophone), Moltmann fait mouvement pour sortir de cette subordination. « Nous voyons une théologie qui s’éloigne de la subordination illégitime de la pneumatologie à la christologie qui a marqué la tradition occidentale » et il en résulte que, pour la première fois, la théologie peut sérieusement considérer l’Esprit comme « un sujet de l’activité divine à coté du Père et du Fils ce qui permet une compréhension nouvelle ». « L’histoire de Jésus est aussi incompréhensible sans l’action de l’Esprit qu’elle ne le serait sans le Dieu qu’il appelle mon Père ». On entre ainsi dans une vraie théologie trinitaire. Cinq ans plus tard dans « La théologie de la création », Moltmann parle de l’Esprit de Dieu présent dans toute la création. Il sort d’une théologie qui met en contradiction Dieu et le monde et oppose la rédemption et la création. « L’Esprit de Dieu n’est pas actif seulement dans la rédemption, mais dans la création ». « Si l’Esprit cosmique est l’Esprit de Dieu, alors l’univers ne peut être conçu comme un système fermé. Il doit être considéré comme un système ouvert, ouvert à Dieu et à son futur ». Dans son livre suivant, « Le chemin de Jésus-Christ », Moltmann met en évidence combien la vie de Jésus-Christ est interconnectée au Père et à l’Esprit. Finalement Moltmann écrit « L’Esprit qui donne la vie », consacrant ainsi un livre entier à la théologie de l’Esprit. C’est une exploration qui récapitule également tous les acquis de l’évolution antérieure.

 

Le Saint Esprit dans le monde

 Si Moltmann a ainsi ouvert la voie à la fin du XXe siècle, le livre de Kirsteen Kim : « The Holy Spirit in the world » (4) paru au début du XXIe témoigne d’une expansion rapide de la théologie de l’Esprit à travers une « conversation » internationale comme le suggère le sous-titre : « A global conversation ». Mais à quoi tient donc l’engagement de Kirsteen Kim ? Elle nous le dit dans sa préface. L’inspiration initiale provient de son expérience du renouveau charismatique dans sa jeunesse : « La première chose que j’ai compris de la théologie de l’Esprit a été celle-ci : quand Dieu nous appelle à suivre Jésus, il n’est pas seulement attendu de nous que nous reproduisions la conduite d’une figure historique lointaine en « étant bon », mais il nous est donné le pouvoir de devenir comme Jésus. L’Esprit me semblait une énergie invisible et un genre de moyen surnaturel qui me connectait à Dieu et à mes amis chrétiens » (p V). Cependant, son entourage a généralement été réfractaire à cette vision. Plus tard, Kirsteen a entendu différentes interprétations de l’Esprit. Puis elle s’est mariée à un coréen, et en Corée dans son église, elle a découvert une grande confiance dans la puissance de l’Esprit. Au cours de son séjour en Inde, elle a rencontré un grand intérêt pour la spiritualité et a pu se référer à des théologiens indiens dont la pensée sur l’Esprit est en phase avec la culture indienne. Puis, de retour en Angleterre, elle a constaté une ouverture nouvelle aux expériences spirituelles de tous genres. Mais, dans l’université, le monde semblait se réduire à la matière et à l’humain. « Ce livre est donc une conséquence de mon effort pour faire apparaître le sens de ces expériences variées de l’Esprit et la signification du concept correspondant. C’est aussi l’expression du désir que, dans l’Occident actuel, nous puissions être capables de porter le message de l’Evangile d’une façon plus significative en nous appuyant sur l’Esprit… N’est-ce pas le rôle de l’Esprit de préparer le monde pour recevoir Christ ?» (p VI).

Ce livre nous entraine donc dans une présentation de la théologie de l’Esprit et de son développement durant la précédente quinzaine d’années. Il expose les fondements exégétiques, la pensée des théologiens, la conversation sur l’Esprit dans le mouvement œcuménique, la manière d’envisager l’Esprit dans la Mission, la théologie de l’Esprit telle qu’elle s’est développée dans deux pays d’Asie, l’Inde et la Corée, en phase avec leur culture. Kirsteen Kim nous invite à une réflexion théologique internationale. A cet égard, la contribution de l’Inde et de la Corée est particulièrement instructive.

 

La théologie de l’Esprit en Corée : diversité et ouverture

 Lorsqu’on apprend à connaitre la théologie en Corée, on en perçoit une grande originalité. Elle apporte des réponses aux questions que nous pouvons nous poser sur la manière dont nous envisageons de rôle du Saint Esprit. Nous avons découvert la théologie coréenne à travers des publications de Kirsteen Kim accessibles sur internet, telle que : « Le passé, le présent, le futur de la théologie coréenne. Perspectives pneumatologiques » (5). Nous nous sommes ensuite reporté à son livre sur « le Saint Esprit dans le monde » et au chapitre correspondant sur la Corée. Ces textes très informés et très denses ne peuvent être résumés ici. Nous chercherons simplement à répondre aux questions suivantes : Quel est le contexte de cette théologie ? Quelle en est l’originalité ? En quoi, nous pouvons y trouver des enseignements fondamentaux ?

Le christianisme a commencé à prendre son essor en Corée au début du XXe siècle. Cependant, le paysage religieux coréen est marqué par des influences historiques. En arrière plan, il y a le chamanisme et sa relation avec les esprits. Venues à travers la Chine, il y a deux grandes civilisations religieuses : le bouddhisme et le confucianisme. On peut reconnaître des influences culturelles de ces pratiques religieuses dans des courants du christianisme coréen. Ainsi on pourra dire que tel courant a un mode paternel parce qu’il se meut socialement et culturellement dans une dimension patriarcale issue du confucianisme et que telle autre a un aspect maternel et féminin en y percevant un héritage du chamanisme. La théologie reflète également ces influences.

Le christianisme coréen s’inscrit dans l’histoire politique et économique de la Corée. Pendant les premières décennies du XXe siècle, la Corée a subi la tutelle dominatrice du Japon. Les chrétiens coréens ont participé activement à la lutte pour l’indépendance nationale. Ce fut le cas lors du « réveil », du mouvement dans l’Esprit en 1907. Aujourd’hui le grand problème est celui de la division entre les deux Corées, la Corée du Nord étant sous une domination communiste totalitaire. Les chrétiens coréens participent activement aux tentatives de dialogue et de réconciliation. Aujourd’hui, la Corée du sud est un des pays du monde les plus développés technologiquement et économiquement. Ce remarquable essor est intervenu dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout au long de ce dernier siècle, l’image des chrétiens a été associée à la modernisation.

Il y a eu également une participation importante des chrétiens dans les luttes pour le progrès social, ce dont témoigne la théologie Minjung.

En 2005, 30% de la population coréenne est chrétienne, dans une version protestante ou catholique, la version protestante étant quelque peu majoritaire. Au début du XXe siècle, les chrétiens étaient très peu nombreux. Cet essor rapide du christianisme, exceptionnel en Asie, est donc remarquable. Dans la première moitié du siècle, il s’est opéré à travers de grands mouvements dans l’Esprit, des « réveils ». L’histoire du christianisme coréen est marquée par l’inspiration de l’Esprit et une dimension pentecôtisante. Aujourd’hui, une des plus grandes églises en Corée se réclame directement du pentecôtisme : l’Église Yoido Full Gospel, dont la figure réputée est celle de David Yonggi Cho, une megachurch avec plusieurs centaines de milliers de membres. Mais ce n’est là qu’une des manifestations, dans une expression spécifique, du dynamisme suscité en Corée par l’inspiration de l’Esprit.

Dans ce contexte, la théologie témoigne d’une réflexion riche et diverse qui s’est développée tout au long du XXe siècle. En fonction du rôle joué par l’inspiration de l’Esprit dans la vie des églises en Corée, « la ‘ pneumatologie ’ est centrale dans la théologie coréenne ». C’est ce que nous décrit Kirsteen Kim : « C’est parce que le réveil coréen de 1907, qui est généralement considéré comme le point où le protestantisme est devenu une religion coréenne, est presque toujours interprété comme l’œuvre du Saint Esprit qui a été déversé sur la Corée, une Pentecôte coréenne. Le réveil a doté le protestantisme coréen d’un sens profond du mouvement dynamique de l’Esprit dans l’histoire et le monde matériel qui constitue une matrice pour la réflexion théologique en Corée. Bien plus, les théologiens coréens ont, dans beaucoup de cas, réfléchi au delà des restrictions portant sur l’œuvre de l’Esprit chez leurs homologues occidentaux. Ils ont vu l’importance du développement de la théologie de l’Esprit dans le contexte de la reconnaissance des nombreux esprits des différentes religions et de l’expérience de vivre dans le troisième âge de l’Esprit. Ils apprécient l’importance du discernement de l’Esprit et la pertinence de la pneumatologie dans la vie politique, la subsistance, la culture et le genre » (5) (p 9-10).

Kirsteen Kim nous expose les courants actuels de la théologie en Corée dans une description qui en montre la richesse et la profondeur ; Nous rapportons ici son exposé introductif. «A partir des années 1960, la théologie coréenne a commencé à s’épanouir comme une fleur de lotus et s’est développée en plusieurs courants. Cela incluait une aile conservatrice qui peut être considérée comme la continuation d’un évangélisme « mainstream ». Les nouveaux mouvements ont été une théologie progressiste mettant l’accent sur la libération politique et centrée sur les problèmes socio-historiques qui s’est fait connaître sous l’appellation de la théologie Minjung ; un courant pentecôtiste connu comme le mouvement du plein Évangile ; un courant libéral qui pense chercher à inculturer l’Évangile en Corée en dialogue avec les autres traditions religieuses de la nation ; et une combinaison radicale de théologie féministe et d’éco-théologie ». Kirsteen Kim nous montre comment ces différentes théologies sont fondamentalement pneumatologiques. Chacune d’elles s’appuient sur les différentes significations bibliques de l’Esprit dans la tradition coréenne. Suh a dans l’esprit « Ki », la force de vie (Genèse 1.2) ; Cho est centré sur « shin », Dieu, le Grand Esprit (Actes 2 ; Mathieu 12.28) ; Ryu pense à « ol », l’âme primordiale du peuple (Genèse 2.7) et Chung traite avec le monde de « kuishin », les esprits (Romains 8.19-23)(5) (p 12).

En regardant vers l’avenir, Kirsteen Kim s’interroge sur les apports potentiels de la théologie coréenne à la conversation théologique internationale. Elle identifie quatre domaines dans lesquels la contribution des théologiens coréens serait importante : « la réconciliation, la cyberthéologie, la théologie de la puissance et la théologie du pluralisme » (p 15). On se reportera à ses analyses. A partir de ce qu’on sait maintenant de l’œuvre de l’Esprit en Corée, on imagine combien l’expérience chrétienne coréenne dans une société plurielle et les tensions qu’elle comporte peut nous éclairer dans les voies de la réconciliation. Différents approches se manifestent : humanisation, guérison, harmonisation… C’est un esprit de paix qui se manifeste aussi dans le discernement des esprits, une reconnaissance de ceux-ci qui ne débouche pas sur les confrontations brutales qui sont, un moment, apparues en Occident, dans les proclamations de Peter Wagner et John Wimber. Ici le discernement s’allie à un esprit de paix et à une approche thérapeutique (5) (p 19-20).

Grace à la recherche et à la réflexion de Jürgen Moltmann dans « L’Esprit qui donne la vie », et de Kirsteen Kim dans ses nombreuses publications et particulièrement celles sur la Corée, nous avons maintenant accès à une théologie de l’Esprit. Cette théologie a le grand mérite de nous prémunir contre les tendances sectaires, les enfermements dans un individualisme spirituel, les idéologies fondamentalistes que l’on peut observer dans certains milieux. Mais, plus encore, elle nous ouvre un horizon non seulement par la confiance nourrie en nous par la présence active de l’Esprit, mais aussi par une vision holistique en phase avec une théologie de l’espérance.

J H

  1. Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999
  2. « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
  3. « D Lyle Dabney. The advent of the Spirit. The turn to pneumatology in the theology of Jürgen Moltmann (The Ashbury theological journal. Spring 1993) : https://place.asburyseminary.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.fr/&httpsredir=1&article=1474&context=asburyjournal
  4. Kirsteen Kim. The Holy Spirit in the world. A global conversation. SPCK, 2007. Kirsteen Kim est également l’auteure avec son mari, Sebastian Kim du livre : « Christianity as a world religion. Bloomsbury, 2016 (2e éd).
  5. Kitsteen Kim. The Past, Present and Future of Korean Theology. Pneumatological perspectives. 2010 (Kirsten Kim a été coordinatrice de la recherche à la conférence d’Edinbourg, en centième anniversaire de la première conférence mondiale missionnaire en 1910) : http://www.pcts.ac.kr/pctsrss/js_rss/zupload/학술발표3-커스틴김(영어).pdf