Quelle espérance ?

Un espoir pour l’avenir humain

Le Royaume de Dieu en train de venir.

Selon quel horizon vivons-nous ? Réduisons-nous plus ou moins notre vision à notre condition présente jusqu’à ce que nous passions à un autre état ? Ou nous sentons-nous en marche vers un univers nouveau où Dieu sera tout en tous ? En route dans le Royaume de Dieu, percevons-nous l’œuvre de l’Esprit en nous, autour de nous et dans le monde ? Comment faisons-nous la relation entre  l’œuvre vivifiante de l’Esprit et notre présence dans le monde ? Vivons-nous plus ou moins sur la défensive dans un monde relativement clos ou, au contraire, avançons nous librement et avec empathie dans un espace ouvert en sachant que l’Esprit de Dieu nous conduit dans l’espérance ?

« Puisse le Dieu de l’Espérance vous remplir de toute joie et toute paix dans la foi, de telle manière que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espérance, écrit Paul aux Romains (Romains 15-13).

Jürgen Moltmann nous montre combien cet accent est original, unique parmi les différentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associé à un espoir humain pour l’avenir… Le futur est un élément essentiel de la foi, qui est spécifiquement chrétien. C’est la foi de Pâques.. La foi signifie vivre dans la présence de Christ ressuscité et nous mouvoir dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expérience de la vie quotidienne prend place dans une attente créative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espérons et nous endurons, nous prions et observons, nous sommes à la fois patients et curieux. » (p. 87-88).

 La vision chrétienne de l’espérance nous parle de Jésus-Christ et de l’avenir qu’il nous ouvre. A ce point, il est important d’avoir une juste représentation. « Si nous parlons uniquement de la « seconde venue » du Christ, le présent est vide et tout ce qui nous est laissé est d’attendre quelque jugement final… Mais si nous parlons de Christ qui vient, il est déjà  dans le processus de venir, et, dans la puissance de l’espérance, nous nous ouvrons nous-même aujourd’hui avec tous nos sens aux expériences qui marquent sa venue » (p. 89).

 Ce sont des « paraboles du royaume de Dieu en train de venir » (p.92). Nous pouvons connaître déjà ici et maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes choses que nous attendons dans l’avenir. Dans son royaume, Dieu commence à se manifester sur la terre »

Et si nous partagions notre regard sur ce que nous percevons de l’œuvre de Dieu dans le monde d’aujourd’hui ?

 J. H.

        

Source :

Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. Fortress Press, 2004

Chapitre : The living power of hope. p. 87-95

Ce livre vient d’être traduit en français : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012

 

Le texte intégral : www.laparolequidonnelavie.com

Pour réformer la finance

Pour réformer la finance, il faut changer les finalités et créer des institutions nouvelles incarnant le bien commun.

D’après le livre de James Featherby: « Of markets and men ».

Comment faire face aux dérives et aux ravages du système financier dominant ? Comment refonder la finance ?

Une voix britannique vient nous répondre. James Featherby, membre de l’équipe du « London Institute for Contemporary Christianity (LICC)  » (Institut de Londres pour le Christianisme Contemporain), juriste pendant trente ans dans une grande firme de la « City » de Londres, vient d’écrire un livre passionnant à ce sujet : « Of markets and men. Reshaping finance for a new season » (1). (Des marchés et des hommes. Réorganiser la finance pour une nouvelle époque »). Et il nous fait part de son approche dans un article qui vient de paraître sur le site du LICC (2).

En passant en revue les travaux de plusieurs chercheurs, James Featherby met l’accent sur l’importance des institutions. Dans la série de conférences de Reith (Ecosse), en 2012, Niall Ferguson affirme que le plus grand danger pour l’Occident réside dans son autosatisfaction (« complacency ») vis à vis des institutions (3). Dans « The origins of political order » (Les origines de l’ordre politique) (4), Francis Fukuyama déclare que la soumission de l’état aux règles de droit est fondamentale. Dans un livre intitulé : « Why nations fall » (Pourquoi des nations échouent » (5), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent. Dans un ouvrage : « To change the world » (Changer le monde) (6), James Davison Hunter appelle les chrétiens à une « présence loyale » (« faithful presence ») dans les institutions civiques, en se consacrant en premier à l’accompagnement du changement culturel.

Face aux dérives actuelles, « la « bonté » (« goodness » a besoin de s’incarner dans des institutions si nous voulons que des cultures et conduites positives se maintiennent et grandissent.  De bonnes institutions, me semble-t-il, peuvent à la fois conduire (« channel ») nos énergies positives et limiter nos excès. L’alternative est claire ».

James Featherby propose quatre démarches radicales pour institutionnaliser le bien (« goodness » dans l’économie et la finance :

° Changer le contrat social entre les grandes entreprises (« large business ») et la société en leur assignant un but civique autant qu’un but privé.

° Défaire le mécanisme par lequel une dette excessive a été créée dans la vie collective et personnelle.

° Réduire les opérations spéculatives dans les marchés financiers sans rapport avec l’économie réelle.

° Donner aux épargnants et aux retraités la capacité de mettre en oeuvre leur capital pour une fonction productive plutôt que d’avoir en vue seulement un rendement financier maximum.

« Si nous ne changeons pas les finalités des entreprises (« corporate objectives of the business ») qui contrôlent la manière dont nous vivons, incluant les structures bancaires, mais sans nous limiter à celles-ci, alors le volume de leurs budgets de publicité et la puissance de leurs plans continueront à accabler (« overwhelm ») à la fois ceux qui travaillent pour elles et le reste d’entre nous ».

Il est bon d’entendre cette voix qui, à partir d’une expérience professionnelle au sein même du système financier actuel, s’élève pour proclamer la nécessité d’un changement majeur dans les finalités et le fonctionnement du système financier et économique.

« Notre finance reflète notre philosophie. Nous avons besoin de penser et d’agir d’une manière qui soit plus relationnelle, holistique, en proximité, audacieuse, humble, inspirée par des finalités et des principes, tout cela en harmonie avec une vision biblique de la vie. Et puis, nous avons besoin de réorganiser nos institutions pour qu’elles reflètent notre nouvelle philosophie. Nous l’avons fait dans le passé. Nous pouvons le faire encore ».

Cette voix converge avec d’autres, entre autres, celles qui nous parlent aujourd’hui d’économie positive (7) ou d’économie solidaire (8) . Le chantier de la réforme est en train de se mettre en route.

J H

 

(1)            Featherby (James). Of markets and men. Reshaping finance for a new season. Tomorrow company, 2012. http://www.licc.org.uk/shop/product/of-markets-and-men-reshaping-finance-for-a-new-season

(2)            James Featherby. Reshaping finance for a new season. http://www.licc.org.uk/engaging-with-culture/connecting-with-culture/business/reshaping-finance-for-a-new-season-1389

(3)            Niall Ferguson.The rule of law and its Enemies. Reith lectures, 2012  http://www.bbc.co.uk/podcasts/series/reith

(4)            Francis Fukuyama. The origins of political order. From prehuman times to the French Revolution. Profile books, 2011. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846682575/

(5)            Daron Acemoglu, James A. Robinson. Why nations fail. The origins of power, prosperity and poverty. Profile books, 2012. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846684296/

(6)            James Davison  Hunter. To change the world. The irony, tragedy and possibility of Christianity in the late modern world. Oxford University Press, 2010  http://ukcatalogue.oup.com/product/9780199730803.do#.UFTcza7j5Zp

(7)            Voir sur ce blog : « Changement dans les esprits. Nouvelles finalités, nouvelles approches. L’économie positive ».

Voir sur le site de Témoins : « L’économie sociale et solidaire. Ses valeurs et ses enjeux »  http://www.temoins.com/en-bref/leconomie-sociale-et-solidaire-ses-valeurs-et-ses-enjeux.html

Espérer, c’est voir l’amour divin à l’œuvre

Dans un temps où l’on a souvent du mal à trouver des raisons d’espérer, ceux qui mettent leur confiance dans le Dieu de la Bible ont plus que jamais le devoir de « justifier leur espérance devant ceux qui (leur) en demande compte » (1 Pierre 3,15). A eux de saisir ce que l’espérance de la foi contient de spécifique, pour pouvoir en vivre.

 

Or, même si, par définition, l’espérance vise l’avenir, pour la Bible elle s’enracine dans l’aujourd’hui de Dieu. Dans la Lettre 2003, frère Roger le rappelle : « (La source de l’espérance) est en Dieu qui ne peut qu’aimer et qui nous cherche inlassablement » (1)

 

Dans les Ecritures hébraïques, cette Source mystérieuse de la vie que nous appelons Dieu se fait connaître parce qu’il appelle les humains à entrer dans une relation avec lui : il établit une alliance avec eux. La Bible définit les caractéristiques du Dieu de l’alliance par deux mots hébreux : hased et emet (par ex : Exode 34,6 ; Psaume 25,10 ; 40, 11-12 ; 85, 11). En général, on les traduit par « amour » et « fidélité ». Ils nous disent, d’abord, que Dieu est bonté et bienveillance débordantes pour prendre soin des siens et, en deuxième lieu, que Dieu  n’abandonnera jamais ceux qu’il a appelés à entrer dans sa communion.

 

Voilà la source de l’espérance biblique. Si Dieu est bon et s’il ne change jamais son attitude ni ne nous délaisse jamais, alors, quelles que soient les difficultés –si le monde tel que nous le voyons est tellement loin de la justice, de la paix, de la solidarité et de la compassion- pour les croyants, ce n’est pas une situation définitive ; dans leur foi en Dieu, les croyants puisent l’attente d’un monde selon la volonté de Dieu ou, autrement dit, selon son amour.

 

Dans la Bible, cette espérance est souvent exprimée par la notion de promesse. Quand Dieu entre en rapport avec les humains, cela va de pair en général avec la promesse d’une vie plus grande. Cela commence déjà avec l’histoire d’Abraham : « Je te bénirai, dit Dieu à Abraham. Et par toi se béniront toutes les familles de la terre » (Genèse 12, 2-3).

 

Une promesse est une réalité dynamique qui ouvre des possibilités nouvelles dans la vie humaine. Cette promesse regarde vers l’avenir, mais elle s’enracine dans une relation avec Dieu qui me parle ici et maintenant, qui m’appelle à faire des choix concrets dans ma vie. Les semences de l’avenir se trouvent dans une relation présente avec  Dieu.

 

Cet  enracinement dans le présent devient encore plus fort avec la venue de Jésus le Christ. En lui, dit Saint Paul, toutes les promesses de Dieu sont déjà une réalité (2 Corinthiens 1,20).  Bien sûr, cela ne se réfère pas uniquement à un homme qui a vécu en Palestine il y a deux mille ans. Pour les chrétiens, Jésus est le Ressuscité qui est avec nous dans notre aujourd’hui . « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin de l’âge » (Matthieu 28.20.

 

 

Un autre texte de saint Paul est encore plus clair.

« L’espérance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Romains 5, 5). Loin d’être un simple souhait pour l’avenir sans garantie de réalisation, l’espérance chrétienne est la présence de l’amour divin en personne, l’Esprit Saint courant de vie qui nous porte vers l’océan d’une communion en plénitude.

 

Texte publié sur le site de Taizé

 

(1)            Cette réflexion sur l’espérance chrétienne est la première partie d’un texte sur l’espérance publié sur le site de Taizé : http://www.taize.fr/fr_article1080.html  .  Nous avons pensé la comuniquer sur ce blog, car elle est formulé en termes très accessibles, et nous y trouvons une consonance avec certains accents de la théologie de l’espérance qui est proposée par Jürgen Moltmann et appréciée dans ce blog . Les accentuations en gras ont été ajoutées par l’animateur de ce blog.

Une nouvelle manière d’être et de connaître / 4

Un regard nouveau pour un monde nouveau

« Petite Poucette » de Michel Serres.

On mesure, à la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons à ce livre. En effet, en présence d’une réalité qui change, il nous aide à changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un  changement limité. De fait, nous sommes engagé dans une mutation qui induit et requiert une révolution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un épistémologue, connaisseur des méthodes et des résultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude à la sympathie. Il sait voir avec le cœur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension épique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensée interpelle les acteurs dans différents champs d’activité.

Dans bien des domaines, nous sommes confrontés aux blocages et aux résistances des mentalités. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s découvre à travers le livre de Michel Serres.  En politique, il y a bien quelques figures pionnières qui évoquent la démocratie participative et l’intelligence collective.  On pense, par exemple, à Ségolène Royal. Il y a un long chemin à parcourir.

Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelées par l’héritage du passé : hiérarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymétrique. La mentalité patriarcale est encore prégnante. Alors, là aussi des voix  s’élèvent pour libérer le message  de vie porté par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermé. On entend bien Michel Serres lorsqu’il évoque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delà l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, répétitives, impératives, sans lien avec la vie et enfermées sur elles-mêmes sont de plus en plus contestées. Un nouvel entendement apparaît et se répand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme après la religion » (1). Elle met en évidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en évidence le développement d’une « foi expérientielle »  Cette valorisation de l’expérience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut évoquer ici la démarche pionnière du théologien Jürgen Moltmann. Dès les années 1970, il a écrit un livre intitulé « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de liberté. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices, jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec Héraclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et là. C’est un royaume de l’enfant ». Cet éloge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excès de la pensée analytique.

Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite à aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous décrit l’émergence d’une « nouvelle manière d’être et de connaître » . C’est un phénomène nouveau et de grande ampleur. « Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensée de Jürgen Moltmann nous apporte en écho un éclairage théologique. « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elle font connaître « l’accord général »… Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)

Bien sûr, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a écrit également un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dépérir et un nouveau monde en train de naître. Comme les institutions censées nous apporter du sens sont elles-mêmes engoncées dans l’héritage du passé, c’est le message initial qui se rappelle à nous en écho à la révolution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la Pentecôte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent à parler dans différentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier.  Pour nous, il y a une analogie entre cette expérience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres décrit en ces termes : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).

J H

(1)            Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de Témoins : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html

(2)             Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). Réédité .

(3)            Vie et œuvre de Jürgen Moltmann  d’après son autobiographie : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(4)             Jürgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thème de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntées au livre : Dieu dans la création  (p 25 et p 15)

(5)            Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)

(6)            Cette recherche de nouveauté est en cours selon les compétences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus… », où il met l’accent sur les dégradations et les menaces, et notamment sur les incidences néfastes de la montée des inégalités au cours des dernières décennies. Son appréciation d’internet est mitigée (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les conséquences fâcheuses de la prédominance du modèle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde en réenchantant le travail, en remettant à plat les frontières du gratuit et du payant, en repensant la coopération internationale, à commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012.  Nous renvoyons également ici à la vision prospective et dynamique de Jérémie Rifkin  dans son livre : « La Troisième Révolution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354     Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne méconnaît pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte à la fois d’une histoire de longue durée et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.

Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.

Vivre en harmonie avec la nature

Écologie, théologie et spiritualité

 

Face aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur la nature, une conscience écologique est apparue et se développe aujourd’hui. Ce mouvement appelle et comporte une dimension spirituelle. Car la crise que connaît la nature est liée aux comportements humains et donc aux représentations qui en sont l’origine.

 

Dans un entretien entre le Dalaï Lama et Stéphane Hessel récemment publié sous le titre : « Déclarons la paix ! Pour un progrès de l’esprit. » (1), le problème est abordé d’emblée. Stéphane Hessel exprime le malaise occidental dans une interprétation du facteur religieux : « Dans la foi chrétienne et juive, Dieu a donné pour mission aux êtres humains de nommer les objets de la nature, de dire : ceci est une forêt, cela est un arbre… Je ne crois pas que ce soit la bonne approche. L’homme n’est pas le maître de la nature. Il en est seulement une composante. Et, à  partir de là, on peut penser que l’esprit qui prévaut dans le monde n’est pas seulement l’esprit de l’homme. L’homme peut le capter en partie, mais l’esprit ne lui appartient pas à lui seul » (p 11).

Ce questionnement nous amène à nous interroger sur la manière dont les textes bibliques ont été interprétés à travers le temps et quelle est leur véritable signification. C’est la tâche qui a été entreprise depuis plusieurs décennies par le théologien Jürgen Moltmann (2) qui a trouvé en France un « passeur » et un médiateur, en la personne d’un écologiste chrétien, Jean Bastaire, à travers la publication d’une anthologie de textes intitulée : « Le rire de l’Univers. Traité de christianisme écologique » (3).

Comment vivre en harmonie avec la nature ? Dans un livre récent : « Ethik der Hoffnung » (2010), traduit et publié en anglais en 2012 sous le titre : « Ethics of hope » (4) (Éthique de l’Espérance), Jürgen Moltmann nous présente une réflexion éthique dans la vision de l’Espérance chrétienne. Ce livre consacre trois grandes sections à l’éthique de la vie, à l’éthique de la terre et à l’éthique de la paix.

Dans son approche des rapports de l’homme et de la nature, il nous appelle à passer « de la domination à la communauté » (p 66-69).

 

Sortir de la domination.

        

         « La crise que nous vivons n’est pas seulement une crise écologique. Elle ne peut être résolue seulement par la technologie. Une inversion dans nos convictions et nos valeurs fondamentales est nécessaire tout comme une inversion dans notre manière de vivre ».

Il importe d’examiner et de corriger les déviations qui sont intervenues dans nos représentations religieuses en provoquant des effets néfastes sur nos manières de vivre et sur nos comportements.

En effet, « En Europe occidentale, depuis la Renaissance, Dieu a été envisagé de plus en plus à sens unique comme le « Tout puissant ». L’omnipotence est devenue un attribut prééminent de la Divinité. Dieu est le Seigneur et maître, le monde est sa propriété et Dieu peut y faire tout ce qu’il lui plait. Dans la tradition occidentale, Dieu est entré de plus en plus dans la sphère de la transcendance et le monde a alors été perçu comme purement immanent et terrestre. Le monde a perdu le mystère qui entoure la création divine… Cette révolution a entraîné la sécularisation du monde et de la nature ».

Ce changement dans la représentation dominante de Dieu a engendré une transformation de la représentation de l’homme dans son rapport avec la nature : « Comme image de Dieu sur la terre, l’être humain a été amené à se voir lui-même en correspondance comme maître et seigneur, à s’élever au dessus du monde devenu un objet passif et à le subjuguer ».

Or, de fait, l’humanité fait partie de la création. Le monde humain s’inscrit dans une dimension cosmique plus large dont la vie sur la terre dépend et dans l’évolution de tous les êtres vivants » (p 139).

Notre appréciation des rapports entre l’humanité et la nature dépend ainsi pour une large part de la représentation que nous avons de Dieu.

 

Entrer dans une communauté.

 

Jürgen Moltmann nous appelle à entrer dans une représentation de Dieu « trois en un » (« triune ». « Ce Dieu là n’est pas un Dieu solitaire et dominateur qui assujettit toute chose. C’est un Dieu relationnel et capable d’entrer en relation, un Dieu en communion (« fellowship God »). Comme dit la Parole : « Dieu est amour ». L’ancienne doctrine de la Trinité était une interprétation de cette expérience

Dans cette perspective, les comportements humains vont changer en conséquence : « Les êtres humains vont également entrer en communion (« fellowship »). L’image de Dieu sur terre n’est plus un individu solitaire, mais une vraie communauté humaine. Ce ne sont plus des éléments de la création pris individuellement qui reflètent la sagesse et la beauté de Dieu. C’est la communauté de la création dans son ensemble ».

Dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (5), Jürgen Moltmann a montré l’œuvre créatrice accomplie par l’Esprit de Dieu. « La perception de l’Esprit divin en toutes choses engendre une vision nouvelle du monde. Si l’Esprit de Dieu est engagé dans toute la création, alors l’Esprit divin oeuvre en faveur de l’unité et de la communauté de toutes  les créatures entre elle et avec Dieu. La vie est communauté. La trame des relations mutuelles est suscitée par l’Esprit divin qui, à cet égard, peut aussi être appelé l’ « Esprit cosmique ».

Nous voici devant une compréhension renouvelée de la nature, une compréhension écologique. « C’est un paradigme nouveau de la communauté, de la culture et de la nature dans une communication caractérisée par la réciprocité ». « Dans l’eschatologie chrétienne, telle que nous la trouvons dans l’épître aux Éphésiens et l’épître aux Corinthiens, l’œuvre de Dieu en Christ, la christologie unit ensemble le destin de l’humanité avec le destin du cosmos dans la vision de la nouvelle création ».

 

Ainsi, tel que Jürgen Moltmann l’expose dans le chapitre 9 de « Ethics of hope », consacré à la dimension écologique, nos combats actuels pour la protection de la nature (6) et pour le développement de l’écologie s’inscrivent dans une grande perspective et dans une grande vision. Apprenons à vivre en harmonie avec la nature.

J H

 

(1)            Dalaï-Lama,  Stéphane Hessel. Déclarons la pais ! Pour un progrès de l’Esprit. Indigène éditions, avril 2012.

(2)            On trouvera une présentation de la vie et de la pensée de Jürgen Moltmann, ainsi que des textes introduisant à certains aspects de cette pensée sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(3)            Moltmann (Jürgen). Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique. Anthologie réalisée et présentée par Jean Bastaire. Cerf, 2004. Les textes sont issus de grandes œuvres de Moltmann parues au Cerf : Dieu dans la création ; Trinité et Royaume de Dieu ; Jésus, le Messie de Dieu ; La venue de Dieu.  Voir sur le site : l’Esprit qui donne la vie, une présentation de la pensée de Moltmann sur la création : « Dieu dans la création » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766

(4)            Moltmann (Jürgen). Ethics of hope. Fortress Press, 2012

(5)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999 « La possibilité de reconnaître l’œuvre de Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu a pour fondement théologique la compréhension de l’Esprit de Dieu comme puissance de création et comme source de vie. « C’est le souffle de Dieu qui m’a fait, l’inspiration du Puissant qui me fait vivre » dit Job (Job 33.4). (p 60)

Sur le blog : Vivre et espérer : « Pour une conscience écologique. Une expérience de terrain » https://vivreetesperer.com/?p=694