Appel à la fraternité

Pour un nouveau vivre ensemble.

La France traverse aujourd’hui un passage difficile. Affectées par un chômage massif, des populations sont affectées par le précarité et le mal être. Les frustrations engendrent l’agressivité et la défiance. Dans un univers mondialisé, le manque de point de repères, la perte de cadres de vie stables, une fragmentation du tissu social engendrent l’insécurité qui se mue en crainte de l’autre, en peur de l’étranger. Tout est donc aujourd’hui en question : une économie qui peine à se renouveler, mais aussi les séquelles d’un passé, celui d’un pays hiérarchisé, marqué par la longue opposition des deux France issues de la Révolution française. Des personnalités et des associations viennent d’appeler à une mobilisation pour une société plus fraternelle (1). C’est une juste intuition. Sans vision, un peuple meurt (2). Pour permettre le vivre ensemble, nous avons besoin de référents nouveaux en terme de valeurs et de récits, et de pratiques nouvelles en terme d’attitudes et de comportements.

Mais nous dira-t-on, dans les conditions actuelles, appeler à la fraternité, en promouvant une dynamique, n’est ce pas faire preuve  d’un idéalisme éthéré ? On peut déjà répondre. La fraternité n’est pas un simple supplément d’âme, c’est une inspiration qui, en fin de compte, fonde la vie sociale. En effectuant pour cet article, une recherche documentaire sur internet, nous avons visionné une courte vidéo qui relate la fête de la fraternité organisée par Ségolène Royal, le 29 septembre 2008 (3). Le temps était dur puisque la crise économique venait d’éclater. Cette fête était mal perçue dans les arènes politiques. C’était une initiative à contre courant. C’était un pari d’espérance et aujourd’hui on peut en redécouvrir le caractère pionnier. Nous avons noté ainsi cette parole de Ségolène Royal : « On commence à comprendre qu’il faut changer radicalement de système autour de la fraternité. La fraternité pour moi, c’est encore mieux que la solidarité parce que c’est la fraternité qui la fonde et qui lui donne le sentiment d’humanité sans lequel la politique serait un simple métier sans âme, une simple transaction entre des intérêts bien compris. Parce que ce qui arrive de mauvais à l’autre où qu’il soit, finit par générer quelque chose de mauvais pour soi-même et aussi parce  que ce qui arrive de bon à l’autre, finit par créer du bonheur chez soi ».

Si notre société traverse aujourd’hui un passage difficile, l’appel à la fraternité témoigne d’une prise de conscience qui s’appuie sur la vitalité du tissu associatif et humanitaire en France, mais qui s’inscrit aussi dans un mouvement en profondeur à l’échelle internationale.

Ces évolutions en cours sont parfois bien visibles. D’autres sont en germination comme des « signaux faibles » (4) qui demandent attention. Dans son livre : « Chemin de guérison » (5), Frédéric Lenoir traite des différentes étapes de l’individualisme dans les sociétés modernes. Après la montée de l’autonomie dans des sociétés encore structurées, on est entré pendant quelques décennies dans une période où s’est affirmé un individualisme égocentré. Aujourd’hui, une nouvelle phase apparaît : de plus en plus, l’exercice de l’autonomie s’inscrit dans un désir croissant de relation, d’interrelation. Des études sociologiques mettent en  évidence le développement d’une culture nouvelle où la convivialité est désormais une pratique et une aspiration. Ainsi apparaît la notion de « Tiers lieu », un espace nouveau entre la vie institutionnelle et la vie privée. Des milieux conviviaux et informels apparaissent dans différents domaines (6), dans une dynamique internationale. Ce mouvement se répand et il y a aujourd’hui sur facebook, un  groupe intitulé : « Tiers lieu. Open source » (7). Dans le contexte du web qui permet le partage à grande échelle, dans les années récentes en France, à partir de nombreuses initiatives, un mouvement en faveur de l’économie collaborative (8) grandit rapidement. On peut ainsi apprécier l’essor rapide d’une communauté comme « OuiShare » (9). Cependant, il semble bien que les esprits bougent à tous les niveaux. Ainsi les sciences humaines sont plus attentives aux sentiments altruistes (10). La notion d’empathie, bien mise en évidence dans un grand panorama historique et sociologique de Jérémie Rifkin (11) gagne du terrain dans les consciences. Ces différents signes témoignent d’une évolution dans l’esprit du temps. Voici un contexte favorable pour la réception d’un appel à la fraternité.

« Dimanche 11 janvier s’est exprimée dans un immense élan collectif la prise de conscience qu’une société désunie est une société désarmée. Mais ce mouvement, pour être durable, doit s’organiser et impliquer chacun d’entre nous, bien au delà de notre conception actuelle de la démocratie qui privilégie l’action politique en négligeant l’action citoyenne. C’est pourquoi si l’on ne veut pas décevoir, le moment est venu de changer de paradigme en faisant de l’action politique le levier de l’action citoyenne comme nous y invite le pacte républicain qui projette la liberté et l’égalité vers la fraternité… C’est pourquoi nous appelons les plus hautes autorités de l’Etat, mais aussi les responsables locaux à affirmer avec force leur intention d’inscrire le volet fraternité de la République dans leurs toutes premières priorités… L’objectif est notamment de favoriser toutes les dynamiques individuelles, associatives et institutionnelles aptes à construire de nouvelles relations d’écoute, d’entraide et de respect entre les cultures, les âges et les territoires… Pour illustrer au plus vite cette ambition, il pourrait par exemple, comme le propose également l’observatoire de la laïcité, être organisé dès cette année, une semaine nationale de la Fraternité… » (1). On lira avec un particulier intérêt la liste des premiers signataires qui témoigne d’une grande diversité des participants et d’un engagement important du mouvement associatif dans ses différentes composantes (12).

Dans le même esprit, le journal « Libération » à publié une tribune (13) de deux personnalités : Abdennour Bidar, philosophe, spécialiste de l’Islam et Patrick Viveret, philosophe et sociologue. Ce texte va plus loin dan une analyse philosophique et spirituelle de l’enjeu. « Le défi de notre société est de se donner à elle-même un grand cap, un horizon d’espérance et d’action collective, une direction porteuse d’un véritable projet de civilisation et d’une véritable vision de l’homme. Au beau milieu de tous ces gouffres qui s’élargissent, un abime plus immense encore s’est ouvert qui menace de nous engloutir tous : celui de la différence entre les conceptions du sacré… Nous devons tout faire pour apprendre d’urgence à cultiver ensemble le sens et la jouissance concrète d’un sacré partageable. D’un sacré constitué et enrichi par tous nos héritages, que l’on soit croyant ou non croyant. Notre chance est que ce sacré partageable a déjà un premier nom, un visage dessiné, celui de la fraternité… La fraternité est une valeur républicaine et une valeur religieuse et une valeur ancienne et une valeur moderne, et une valeur à réinventer, dont il faut avoir enfin collectivement l’audace ».

Comment vivre ensemble entre êtres humains ? A travers l’histoire, on peut observer la mise en oeuvre de l’inspiration de l’Evangile telle que Michel Clévenot nous la rapporte dans sa série historique : « Les hommes de la fraternité » (14). Si, en Occident, le thème de la liberté a été moteur, aujourd’hui il mérite d’être explicité. Sur ce blog (15), le théologien Jürgen Moltmann nous fait entrer dans une dimension plus vaste de cette valeur. « Dans une perspective historique, on constate que la liberté s’est affirmé fréquemment en terme de lutte pour le pouvoir. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Cela a été le  cas dans la société antique. La liberté apparaît comme une « maîtrise ». Celui qui comprend la liberté comme maîtrise ne peut être libre qu’au détriment des autres hommes… Au fond, il ne connaît que lui-même et ce qu’il possède. Il ne voit pas les autres comme des personnes… » . Mais la liberté peut être conçue différemment comme participation. « C’est le concept de la liberté communicative. C’est dans l’amour mutuel que la liberté humaine trouve sa réalité. Je suis libre et me sens libre lorsque je suis respecté et reconnu par les autres et lorsque, de mon côté, je respecte et reconnais les autres… Si je partage ma vie avec  d’autres, l’autre n’est plus la limite, mais le complément de ma liberté… La vie est communion dans la communication. Nous nous communiquons mutuellement de la vie… ». C’est bien là que la liberté rejoint la fraternité. Il y a des moments de l’histoire française où la fraternité a été prise en compte. Ce fut le cas en 1848.    Aujourd’hui, c’est la tempête en politique, mais nous sommes appelés à voir plus loin. L’appel à la fraternité est un point de repère qui se manifeste à partir de la société civile comme une aspiration à un autre genre de vie et comme une interpellation au monde politique pour une autre manière de faire société.

J H

 

(1)            Appel : Maintenant, construisons la fraternité : http://odas.net/IMG/pdf/appel_fraternite_2015_-.pdf

(2)            Proverbes 29.18

(3)            Sur youtube : Fraternité avec Ségolène Royal : https://www.youtube.com/watch?v=sOx5i95wPGM

(4)            Sur wikipedia : « En intelligence économique, les signaux faibles sont les éléments de perception de l’environnement, opportunités ou menaces qui doivent faire l’objet d’une attention anticipative, appelé veille.. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Signaux_faibles

(5)            Frédéric Lenoir. Chemin de guérison. Fayard, 2012

Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Emergences d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place ») et nouveaux mode de vie » : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/recherche-et-innovation/etudes/emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie

(7)            Tiers lieux. Open source francophone. Sur facebook : https://www.facebook.com/groups/tilios/

(8)             A propos de l’économie collaborative : « Une révolution de l’être ensemble » (« Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative : Anne-Sophie Novel et Stéphane Rioux ») : https://vivreetesperer.com/?p=1394

« Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

(9)            « Ouishare. communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866

(10)      « Quel regard sur la société et sur le monde » : https://vivreetesperer.com/?p=191

(11)      « Vers une civilisation de l’empathie. A propos du livre de Jérémie Rifkin » : http://www.temoins.com/etudes/recherche-et-innovation/etudes/vers-une-civilisation-de-lempathie-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkinapports-questionnements-et-enjeux

(12)      Sur le site de l’Observatoire national de l’action sociale délocalisée, liste des premiers signataires qui montre l’étendue du champ couvert : http://odas.net/L-Odas-soutien-l-appel-a-la-fraternite-lance-par

(13)      Sur le site de Libération : « Le 11 mars, faites de la    fraternité ! » (Abdennour Bidar, Patrick Viveret) : http://www.liberation.fr/societe/2015/03/10/le-11-mars-faites-de-la-fraternite_1218112 Patrick Viveret est l’auteur d’un recueil intitulé : « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir ». Et un « Manifeste convivialiste » est paru en 2013 (Voir : note 15)

(14)      Michel Clévenot : les hommes de la fraternité. Voir : « Un historien de la fraternité » : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1993_num_19_2_2101

(15)      « Une vision de la liberté… La liberté comme maîtrise… La liberté comme participation… La liberté comme avenir… Egalité, liberté, fraternité… Vers une civilisation conviviale » : https://vivreetesperer.com/?p=1343

 

Voir aussi, sur le site de Témoins, la vision de Guy Aurenche : « La fraternité sauvera le monde » : http://www.temoins.com/societe/culture-et-societe/societe/la-fraternite-sauvera-le-monde.html

 

Une parole qui encourage

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Apprécier et reconnaître ce qui est bon en chacun

 

En suivant notre fil facebook, nous avons rencontré une parole qui nous a rejoint profondément : « I believe that appreciation is a holy thing, that when we look what is best  in a person  we happen to be at the moment, we are doing what God does. So in appreciating our neighbor, we are participating in something truly sacred » : « Je crois qu’une appréciation positive appartient au registre de la sainteté, et que quand nous reconnaissons ce qui est le mieux dans une personne avec laquelle il nous arrive d’être à un certain moment, nous sommes en train de faire ce que Dieu fait. Ainsi, en appréciant notre prochain, nous participons à une réalité qui est vraiment sacrée ».

 

Fred Rogers, un homme qui, à la télévision, a su parler au cœur profond

 

Qui a exprimé aussi bien la grâce d’une appréciation positive de ce qui est bon et beau dans ceux que nous rencontrons ? C’est un homme mûr, pasteur américain qui, à un moment de sa vie, s’est engagé dans la participation à une émission de télévision à l’intention des enfants : « Mister Rogers Neiborhood » où il a apporté une présence authentique et chaleureuse. C’était un homme âgé qui aimait les enfants. Pour cette œuvre, Fred Rogers s’est vu décerné un prix en 1997. Après avoir été présenté « comme le meilleur des voisins que chacun de nous ait pu avoir », la parole fut donnée à cet homme humble et empathique qui en profita pour demander à l’assistance de prendre avec lui dix secondes pour « penser aux gens qui vous ont aidé à devenir ce que vous êtes, ceux qui ont pris soin de vous et ont voulu pour vous ce qui était le meilleur pour votre vie ». De fait, il en résulta un moment d’intense émotion.

L’article rappelle l’œuvre de Fred Rogers (1) et nous rapporte également dix paroles prononcées par lui. Ces paroles sont bien souvent émouvantes parce que nous ressentons personnellement leur profonde vérité. A partir de l’expression d’une vie en relation, elles font écho en nous. Nous en présentons ici quelques unes.

 

Des paroles qui touchent et éclairent

 

« Nous vivons dans un monde dont nous avons besoin de partager la responsabilité. Il est facile de dire : « Ce n’est pas mon enfant, ma communauté, mon univers. Ce n’est pas mon problème ». Et puis, il y a ceux qui voient le besoin et qui y répondent. Je considère ces gens comme mes héros ».

 

« Qu’est-ce qui pousse toujours plus des gens à vouloir davantage que ce qu’ils pourront utiliser ou avoir besoin ? Je pense tout bonnement que c’est l’insécurité. Comment faire connaître au monde que les signes extérieurs qui font fortune ne sont pas finalement ce qui est important pour être accepté ? »

 

« Comme être humain, notre rôle est d’aider les gens à réaliser combien chacun de nous est vraiment rare et précieux. A l’intérieur de nous, il y a quelque chose d’unique. C’est notre rôle de nous encourager les uns les autres à discerner cet apport original et à trouver les moyens d’en développer l’expression ».

 

« Je pense que chacun aspire à être aimé. Et, en conséquence, la plus grande chose que nous puissions faire est d’aider les gens à savoir qu’ils sont aimés et capables d’aimer ».

 

« Je crois qu’une appréciation positive appartient au registre de la sainteté et que, quand nous reconnaissons ce qui est le mieux dans une personne avec laquelle il nous arrive d’être à un certain moment, nous sommes en train de faire ce que Dieu fait. Ainsi, en appréciant notre prochain, nous participons à une réalité qui est vraiment sacrée ».

 

Chacune de ces réflexions éclaire le potentiel de notre manière d’être en relation . A certains moments, nous avons été encouragés et fortifiés par l’attention et l’affection qui nous ont été portées. Nous savons combien nos paroles peuvent elles aussi être porteuses d’encouragement et favoriser un processus de guérison et de libération. Fred Rogers nous permet d’aller à l’essentiel : un amour reçu et donné, une reconnaissance mutuelle, une appréciation de ce qui est bon et beau. C’est une harmonie à travers laquelle la présence de Dieu se manifeste.

 

J H

 

(1)            « 10 Mr Rogers quotes you need to read » : http://www.relevantmagazine.com/culture/10-mr-rogers-quotes-you-need-read

 

Sur ce blog, autres textes sur ce thème :

 

« Amitié ouverte » (Jürgen Moltmann) : https://vivreetesperer.com/?p=14

 

« La beauté de l’écoute » (Frère Roger) : https://vivreetesperer.com/?p=1219

 

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (Lytta Basset) : https://vivreetesperer.com/?p=1842

 

Dea petits riens de grande portée : la bienveillance au quotidien «  (Odile Hassenforder) : https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

« D’une religion enfermante à la vie » (Philippe Molla) : https://vivreetesperer.com/?p=1931

Un environnement pour la vie.

Comment la toxicomanie est liée à l’isolement social et peut trouver remède dans un environnement positif.

 Des études sociologiques ont montré combien la dégradation du tissu social engendrait des maux de tous ordres dans les populations concernées. Et, à l’inverse, tout ce qui relie a des effets positifs. Ce regard est confirmé par une étude récente sur la manière d’affronter la toxicomanie. Auteur d’un livre tout récemment publié : « Chasing the Scream. The first and last days of the war of drugs » (1), Johann Hari (2) nous expose la recherche qui lui a permis de démonter les conceptions dominantes orientant la lutte contre ce fléau social et de proposer un éclairage nouveau : une approche environnementale (3).

Qu’est-ce qui pousse des gens à se polariser sur la drogue et à développer une dépendance jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus s’arrêter ? Comment pouvons aider ces gens à revenir avec nous ?

Aux Etats-Unis, dans les années 80, une explication de la toxicomanie s’est développée dans une perspective individualiste. Ainsi, s’appuyait-on sur une expérience en psychologie animale : « Mettez un  rat seul dans une cage avec deux bouteilles d’eau. L’une est remplie seulement d’eau. L’autre contient de l’eau mélangée avec de l’héroïne ou de la cocaïne. Dans cette expérience, presque à chaque fois, le rat devient de plus en plus obsédé par l’eau mélangée avec de la drogue et en consomme de plus en plus jusqu’à ce qu’il en meure ».

Mais cette explication a complètement été remise en cause par une autre expérience mise en oeuvre par Bruce Alexander, professeur de psychologie à Vancouver. L’expérience précédente, a-t-il observé, se caractérise par la solitude du rat. Le rat est seul dans une cage et il n’a rien d’autre à faire qu’à s’adonner à la drogue. Qu’est ce qui arriverait si on procédait différemment ? Alors, le professeur Alexander a construit un parc pour des rats (« Rat park »). C’est une cage dans laquelle les rats ont à leur disposition des balles colorées, des tunnels, une bonne nourriture et plein d’amis. On y a placé les deux bouteilles : eau pure et eau droguée. Et bien, ces rats pouvant mener une bonne vie ne se sont pas précipité sur l’eau droguée. Pour la plupart, ils l’ont évitée. Aucun n’est mort comme ceux qui vivaient dans leur cage, seuls et malheureux.

« On peut en déduire que la dépendance est une adaptation. Ce n’est pas vous. C’est votre cage ». Le professeur Alexander avance que cette découverte « contredit à la fois la pensée de droite selon laquelle la toxicomanie est une faillite morale provoqué par un laxisme hédoniste et une pensée libérale selon laquelle cette dépendance à la drogue est une maladie se déroulant dans un cerveau chimiquement imprégné ». Et une autre expérience a confirmé sa thèse. Des rats drogués ayant séjourné seuls pendant des dizaines de jours dans la première cage, sont revenus progressivement à une vie normale dans le « parc des rats ».

Mais qu’en est-il dans la vie humaine ? Johann Hari a mené l’enquête. Il a mis en évidence que durant la guerre du Vietnam, un pourcentage important de soldats américains se droguait à l’héroïne. On se demandait ce qui allait arriver lorsqu’ils seraient de retour dans la vie civile. De fait, pour la plupart, ils ont repris une vie normale.

Autre exemple : les malades recevant à l’hôpital des médicaments comprenant de l’héroïne ne tombent pas dans une dépendance lorsqu’ils se retrouvent chez eux. Johann Harli évoque également l’exemple du Portugal qui, il y a quinze ans, a adopté une politique nouvelle en matière de lutte contre la drogue. Les dépenses ont été transférées de la répression à une action pour créer un environnement favorable en terme de logement et d’emploi. Cette politique a été évaluée positivement.

Ainsi, il y a des alternatives aux politiques traditionnelles. La réponse à la dépendance, c’est un milieu relationnel bienfaisant.

« Nous avons besoin d’aimer et d’être en relation » (« We need to connect and love »). Malheureusement, nous avons créé un environnement et une culture qui nous coupent de la connexion humaine ou qui offrent seulement une parodie de relation sur internetLa montée de la toxicomanie est un symptôme d’une maladie plus profonde  qui réside dans la manière dont nous vivons ».

Johann Hari rapporte les propos de Bruce Alexander : « Pendant trop longtemps, nous avons parlé exclusivement en terme d’une sortie individuelle de la toxicomanie. Nous avons besoin d’envisager le processus en terme de guérison collective ». Cependant, « cette vérité ne nous remet pas seulement en question sur le plan politique. Elle ne nous oblige pas seulement à changer notre manière de penser. Elle nous appelle aussi à changer nos cœurs ».

Cette étude nous invite à envisager la lutte contre la toxicomanie d’une façon nouvelle depuis une action de terrain jusqu’aux politiques publiques. Cependant, beaucoup plus généralement et d’une façon presque emblématique, elle met en évidence l’influence de l’environnement humain sur les comportements. Cet environnement dépend lui-même de la qualité des relations qui l’induisent. Manifestement, il y a là une réalité qu’on peut observer à différents niveaux et sur différents registres. C’est dire notre responsabilité. C’est dire aussi combien nous avons besoin  d’inspiration pour nous engager en ce sens (4).

Jean Hassenforder

(1)            Hari (Johann). Chasing the scream. The first and last days of the war on drugs. Bloomsberry Publishing, 2015  Ce livre est présenté et mis en perspective sur : Wikipedia. The free encyclopedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Chasing_the_Scream

(2)            Le parcours de Johann Hari a été aussi l’objet de critiques.  On pourra consulter sa biographie dans : Wikipedia.The free encyclopedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Johann_Hari

(3)            Ce texte prend pour source un article de Johann Hari paru sur un blog du Huffingtonpost : « The likely cause of addiction has been discovered and it is not what you think » : http://www.huffingtonpost.com/johann-hari/the-real-cause-of-addicti_b_6506936.html

(4)            Bien entendu, les inégalités et la domination socioéconomique entravent le développement d’un environnement positif. Cependant, on observe aujourd’hui une montée des aspirations en quête d’un environnement relationnel et en demande de convivialité. Voir : « Emergences d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines » : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/recherche-et-innovation/etudes/emergence-despaces-conviviaux-et-aspirations-contemporaines-troisieme-lieu-l-third-place-r-et-nouveaux-modes-de-vie     On rejoint par là le message d’amour de l’Evangile et une vision de l’œuvre de l’Esprit. C’est la recherche d’une communauté telle que l’exprime très bien le théologien Jürgen Moltmann : « L’expérience de la communauté est expérience de la vie, car toute vie consiste en échanges mutuels de moyens de subsistances et d’énergie et en des relations de réciprocité. Il n’y a pas de vie sans relations de communauté qui lui soient propres. Une vie isolée et sans relations, c’est à dire individuelle au sens littéral du terme… est une réalité contradictoire en elle-même. Elle n’est pas viable et elle meurt. Une absence totale de relations représente la mort totale. C’est pourquoi la « communion de l’Esprit Saint » n’est qu’une autre expression pour désigner « l’Esprit qui donne la vie ». La vie naît de la communauté, et là où naissent des communautés qui rendent la vie possible et la promeuvent, là l’Esprit de Dieu est à l’œuvre… Instaurer la communauté et la communion est manifestement le but de l’Esprit de Dieu qui donne la vie dans le monde de la nature et dans celui des hommes. Tous les êtres créés existent non par eux-mêmes, mais en d’autres, et ont besoin, pour cette raison, les uns des autres, et ils trouvent leur consistance les uns dans les autres » (Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999 (p 297-298) Ouverture à la pensée de Moltmann dans le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Sur ce blog : « Vivre en harmonie » : https://vivreetesperer.com/?p=43

Avaaz. Un mouvement international pour changer le monde

Transformation sociale et transformation personnelle vont de pair

 Le grand mouvement international Avaaz (1) vient de lancer une campagne pour la promotion de principes éthiques : « Faisons preuve de gentillesse et de respect. Tendons vers la sagesse. Pratiquons la reconnaissance ». Cette initiative nous paraît témoigner d’une évolution prometteuse dans un  changement de mentalités à l’échelle internationale. Transformation sociale et transformation personnelle vont de pair. Quel est le parcours du mouvement Avaaz ? Quels principes éthiques veut-il promouvoir ? Comment cette initiative s’inscrit-elle dans une transformation des mentalités où action sociale et spiritualité font alliance ?

 Avaaz . Un mouvement citoyen en ligne.

 « Avaaz – qui signifie « Voix » » dans plusieurs langues d’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est – a été lancée en janvier 2007 avec une mission démocratique simple : « fédérer les citoyens de toutes les nations pour réduire l’écart entre le monde que nous avons et le monde voulu par le plus grand nombre et partout.

Avaaz offre à des milliers de personnes venues de tous les horizons la possibilité d’agir sur les questions internationales les plus urgentes, de la pauvreté à la crise du Moyen Orient et au changement climatique. Le modèle de mobilisation par internet permet à des milliers d’efforts individuels, aussi petits soient-ils, de se combiner rapidement pour devenir une puissante force collective. Active dans 14 langues, et animée par une équipe professionnelle présente sur cinq continents et des bénévoles partout dans le monde, Avaaz agit, en signant des pétitions, en finançant des encarts dans les médias, en envoyant des messages et des appels téléphoniques aux dirigeants, en organisant des manifestations et des évènements pour faire en sorte que l’opinion et les valeurs des citoyens du monde influent sur les décisions qui nous concernent tous ».

En quelques années, Avaaz est devenu un mouvement d’envergure mondiale (1). En effet aujourd’hui, il affiche une participation de 40 millions de membres. Cependant il faut préciser que le degré d’implication de ces membres varient beaucoup ; Beaucoup d’entre eux ont simplement signé une pétition lancée par Avaaz sur internet. Le site d’Avaaz nous permet de savoir quelles sont les pétitions qui ont eu le plus d’impact et quels ont été les temps forts du mouvement. Nous avons nous-même signé plusieurs de ces pétitions. On peut voir en ligne les participants qui affluent de nombreux pays. Les causes défendues sont nombreuses et diverses : du soutien apportée à la production  indienne de médicaments génériques accessibles aux plus démunis jusqu’à la lutte contre les pesticides qui détruisent les abeilles en passant par la dénonciation des méfaits de Boko Haram.

Avaaz laisse libre ses membres des soutenir uniquement les causes avec lesquelles ils se sentent en affinité. « Chez Avaaz, nous reconnaissons que des gens de bonne foi seront souvent en désaccord sur des détails précis. Au lieu de s’échiner à obtenir le consensus, chacun d’entre nous décide de participer ou non à chacune des campagnes. Mais, sous chaque campagne d’Avaaz , se trouve un ensemble de valeurs,  la conviction que nous sommes avant tout des êtres humains dotés de responsabilités envers chacun, envers les générations futures et la planète ». Cependant, le terme de « membre » employé pour désigner celui qui participe aux activités d’Avaaz, nous paraît quelque peu excessif. Le terme de sympathisant,  associé ou partenaire pourrait être plus pertinent.

Mais Avaaz ne sollicite pas seulement ses membres pour développer des campagnes. Elle est également à leur écoute.

« Chaque année, Avaaz définit ses priorités générales à partir d’un sondage proposé à tous ses membres et les idées de campagne sont soumises par sondage et testées chaque semaine auprès de panels de 10000 membres choisis au hasard ». Avaaz suit ainsi le mouvement réformateur dans l’opinion mondiale. Ces campagnes sont mises en oeuvre à partir d’un travail avec des partenaires et des experts et d’une prise en compte de moments charnières entre crise et opportunité. « Dans la vie d’un enjeu ou d’une cause, il apparaît parfois un moment où une décision doit être prise et ou une mobilisation du public peut tout à coup faire bouger les choses »

Avaaz, par son origine, par ses dirigeants, par son organisation, témoigne du nouveau contexte international où une conscience mondiale est en train d’émerger. Certes des critiques peuvent être émises sur tel ou tel point, mais, dans l’ensemble, Avaaz a remporté des victoires dans la défense de causes positives et il apparaît, selon le journal « Guardian », comme le plus grand et le plus puissant mouvement citoyen mondial en ligne.

 

Promotion de principes de vie : comment être meilleur pour soi et pour les autres.

C’et pourquoi on peut accorder une attention toute particulière à une campagne qu’Avaaz vient d’entreprendre et qui vise à développer des comportement fondés sur une vision éthique et spirituelle (2). Cette campagne a pour but de favoriser une transformation personnelle. « Engagez-vous dans une aventure intérieure pour comprendre comment être meilleur pour soi et pour les autres. C’est une partie cruciale du changement qie nous souhaitons tous ». C’est dire que transformation sociale et transformation personnelle vont de pair.

Avaaz invite ses membres à vivre selon trois principes : gentillesse et respect, sagesse et reconnaissance. La formulation de  ces principes est elle-même instructive  et prometteuse.

Faire preuve de gentillesse et de respect.

Nous ferons preuve de gentillesse et de respect envers nous-même et les autres aussi souvent que possible : tout le monde livre au moins une bataille dont nous ne savons probablement rien.

Tendons vers la sagesse.

Nous ferons notre possible pour prendre les décisions justes en nous écoutant et en écoutant attentivement les autres. Nous chercherons l’équilibre entre notre raison, notre cœur et nos intuitions dans une harmonie qui sonne juste.

Pratiquons la reconnaissance

Nous prendrons régulièrement le temps de penser à toutes les personnes et choses pour lesquelles nous éprouvons de la reconnaissance, parce que cela met les choses en perspective, dissout la négativité et nous aide à nous concentrer sur ce qui compte vraiment.

Avaaz s’engage dans cette campagne avec détermination.    « Notre communauté soutient avec une écrasante majorité ces trois grands principes qui peuvent nous aider à changer le monde. Rejoignez les milliers de membres qui ont pris cette résolution envers eux-mêmes et partagez votre expérience et l’histoire de votre aventure intérieure  sur notre chat enligne ». Et, pour la suite, Avaaz ne manque pas d’ambition puisqu’elle se propose : « quand nous serons 500000 à avoir pris cet engagement, nous inviterons les dirigeants du monde entier à nous rejoindre ».

Et, dans un message aux membres d’Avaaz, Ricken Patel et toute l’équipe propose des suggestions pratiques. « A propos de la reconnaissance, si vous ne l’avez jamais fait, essayez de faire cet exercice : Fermez les yeux, respirez profondément et prenez trente secondes pour penser à ce pour quoi et pour qui vous vous sentez reconnaissant. Si vous faites cet exercice à deux ou à plusieurs, ce sera encore mieux. Vous pourrez alors partager ce que vous ressentez. Nous l’avons fait lors des réunions publiques de la Marche des citoyens pour le climat (et même pendant la Marche elle-même) et c’était vraiment extraordinaire ».

 

« Soyez le changement que vous voulez pour le monde »

Cette initiative d’Avaaz nous paraît s’inscrire dans un état d’esprit dont Gandhi a été un porte-parole emblématique lorsqu’il proclame : « Soyez le changement que vous voulez dans le monde » (3).

Dan les dernières décennies, à la suite des « groupes d’Oxford » fondé par le pasteur américain, Frank Buchman, le « Réarmement moral », à partir de 1938, a voulu s’opposer à la montée du nazisme, en développant un renouveau spirituel accessible à tous et fondé sur une pratique de l’écoute dans le silence (4). Dans l’après-guerre, ce mouvement a beaucoup travaillé en faveur de la résolution de conflits internationaux par la réconciliation et le pardon. Sa devise rejoint celle de Gandhi : « Changer soi-même pour que le monde change ». L’appellation : « Réarmement moral » a correspondu à une époque, mais elle n’était plus adaptée à la notre. Mais le mot d’ordre : « Changer soi-même pour que le monde change » a été repris aujourd’hui par le mouvement : Initiatives et changement » (5), lui-même héritier des valeurs du Réarmement moral. La conscience de notre responsabilité personnelle par rapport aux problèmes avec lesquels l’humanité est confrontée, nous paraît aller grandissant. C’est ainsi que le mouvement « Colibris », inspiré par Pierre Rahbi, se réfère à une légende amérindienne : face à un immense incendie de forêt, un petit colibri s’active en allant chercher quelques gouttes d’eau pour les jeter sur les flammes. Il sait bien que cette tentative de petit pompier est dérisoire, mais « il fait sa part ».

Dans son ouvrage : « La guérison du monde » (6), Frédéric Lenoir envisage le monde actuel dans une perspective historique, de « la fin d’un monde » à « l’aube de la renaissance », et ce livre se conclut par un chapitre intitulé : « Se transformer soi-même pour changer le monde ».  « C’est quand la pensée, le cœur, les attitudes auront changé que le monde changera ». « La modernité a mis l’individu au centre de tout. C’est donc aujourd’hui sur lui plus que sur les institutions et les superstructures que repose l’enjeu de la guérison du monde ». Bonne nouvelle ! Frédéric Lenoir perçoit une évolution  dans les attitudes. Il distingue trois phases successives dans la manifestation de l’autonomie : «  l’individu émancipé, l’individu narcissique et l’individu global ». « Dans cette troisième phase, nous assistons depuis une quinzaine d’années à la naissance d’une troisième révolution individualiste. Différents mouvements convergent : « besoin de redonner du sens à la vie commune à travers un regain des grands idéaux collectifs, besoin de donner du sens à sa vie personnelle à travers un travail sur soi et un questionnement existentiel » (p 289). Ici idéal social et conscience spirituelle se conjuguent. Dans ce contexte, on comprend mieux l’initiative d’Avaaz dans la promotion de trois principes de vie.

Si les menaces abondent dans notre monde tourmenté, on peut y voir un temps de crise qui est aussi un passage vers une civilisation nouvelle. Aujourd’hui, face aux épreuves, en lutte pour la la sauvegarde de la vie et pour la justice, en conscience de plus en plus universelle, les hommes ont besoin de changer dans leurs comportements dans le sens des principes formulés par Avaaz . C’est une requête et une aspiration qui nous appelle à puiser dans une inspiration qui se manifeste dans une diversité de traditions religieuses et philosophiques. Personnellement, nous entendons le message exprimé et  vécu par Jésus : « Tu aimeras le prochain comme toi-même ». (Matthieu 22.39). Et nous voyons  l’œuvre de l’Esprit dans une humanité en marche à la recherche de la justice et de la fraternité. Comme l’écrit le théologien Jürgen Moltmann : « A l’encontre de toutes les forces contraires, le projet de Dieu est l’harmonie entre les êtres » (7). En lutte contre ce qui défigure aujourd’hui l’humanité et la nature, Avaaz s’inspire de valeurs qui fondent son combat. A travers la promotion de principes de vie, elle s’engage dans une approche globale où transformation personnelle et transformation collective sont appelées à se conjuguer.

J H

 

(1)            Site d’Avaaz : http://www.avaaz.org/fr/ . Pour une information sur l’histoire et le fonctionnement d’Avaaz, voir Wikipedia francophone et anglophone.  Pour un éclairage sur le fonctionnement d’Avaaz et sur la personnalité et le rôle de son fondateur, Ricken Patel,  nous avons apprécié un article de Carole Cadwallade sur le site du Guardian : « Inside Avaaz. Can online activism really change the world ? » http://www.theguardian.com/technology/2013/nov/17/avaaz-online-activism-can-it-change-the-world

(2)            Trois principes de vie : https://secure.avaaz.org/fr/three_principles_loc/?pv=592&rc=fb

(3)            « Soyez le changement que vous voulez pour le monde » : Cette parole de Gandhi est rappelée par  Frédéric Lenoir  dans son livre : « La guérison du monde » et aussi dans un chapitre du livre :  « Nos voies d’espérance » : Sur ce blog : « Discerner les voies d’une société plus humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=1992

(4)            Témoignage sur le Réarmement moral : Philippe et Lisbeth Lasserre. La voix intérieure. Témoins, N° 120, mars 1996, p 10-11. Consultable sur le site de Témoins : http://temoins.com/about-joomla/la-memoire-de-temoins/les-43-magazines/temoins-nd-120.html

(5)            Site d’Initiatives et Changement : http://fr.iofc.org/. Sur ce blog : « Une jeunesse engagée pour une société plus humaine et plus durable. Interview de Myriam Bertrand, volontaire du service civique à Initiatives et changement (sept 2013-mars 2014) : https://vivreetesperer.com/?p=1780     « Construire une société où chacun aura sa place.  A propos de la relation France-Maghreb » : https://vivreetesperer.com/?p=1240

(6)            Frédéric Lenoir. La guérison du monde. Fayard, 2012. Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » : https://vivreetesperer.com/?p=1048   Commentaire : « Emergence d’une nouvelle sensibilié spirituelle et religieuse. En regard du livre de Frédéric Lenoir : La guérison du monde » : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/recherche-et-innovation/etudes/emergence-dune-nouvelle-sensibilite-spirituelle-et-religieuse-en-regard-du-livre-de-frederic-lenoir-l-la-guerison-du-monde-r

(7)            Introduction à la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/  Voir sur ce blog : « Vivre en harmonie » : https://vivreetesperer.com/?p=43 « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître l’ « accord général ».

BlaBlaCar. Un nouveau mode de vie

Le covoiturage : un lieu de rencontre et de solidarité, une respiration

 David habite Dreux. Il est souvent appelé à se déplacer. David nous raconte ici comment il a découvert et expérimenté BlaBlaCar.

« Une amie m’en avait parlé et proposé de limiter ainsi les frais de voyage des grandes vacances. Je n’ai pas accepté croyant ainsi préservé ma liberté. C’est, il y a quelques mois, que j’ai expérimenté BlablaCar, car, pour de bon, étant privé de voiture.

BlaBlaCar, c’est un site internet (1) qui propose des petits et longs trajets dans toute la France et même au delà. Il présente de petites annonces avec le nom, l’âge, des éléments biographiques des conducteurs comme des passagers. Il suffit de s’inscrire à une annonce proposant un trajet et comme conducteur, il suffit de proposer un trajet et d’attendre que des passagers s’inscrivent. Le trajet coûte au passager et rapporte au conducteur environ la moitié du coût réel pour une personne, ce qui fait moins d’un quart des prix des billets de train.

Le site modère lui même les prix en indiquant si les prix sont verts, oranges ou rouges, c’est-à-dire s’ils sont bon marché, moyens ou un peu chers. Lorsqu’on est passager, on paie par carte bleue auprès du site qui reverse la somme au conducteur en y ajoutant une commission.

 BlaBlaCar existe déjà depuis quelques années et, il y a quelque temps, le service de mise en relation et de gestion des trajets se faisait sans facturer des commissions. A cet âge d’or de BlaBlaCar selon les anciens utilisateurs de BlablaCar, appelés « ambassadeurs » ou « experts », il n’y avait pas au départ de frais de commission, et l’argent se donnait de la main à la main au début ou à la fin du trajet. Pour ceux qui débutent ou les habitués plus récents, la commission fait partie du système. Depuis quelques années, l’entreprise française BlaBlaCar a maintenant 60 salariés et a professionnalisé et sécurisé le système à la fois au niveau de la sécurité des membres du réseau en obligeant à l’identification complète, aussi en mettant en place une évaluation des conducteurs et des passagers les uns par les autres, en améliorant le système de réservation qui est opérationnel à 100%. Ce service est une partie de la commission facturée. L’autre partie de la commission, et c’est là un débat de société, sert à provisionner la TVA. C’est là où les chauffeurs de taxi, les voitures avec chauffeurs et la SNCF sont concernés et « indignés » parce que le trajet en BlaBlaCar, c’est un constat, sont de 2 à 6 fois moins chers, mais ne sont pas soumis à la même TVA. Il y a actuellement un vide juridique en France sur ce point de fiscalité. Donc, en attendant que l’état adopte une position fiscale par rapport à ce nouveau type d’entreprise, BlablaCar provisionne par cette commission un éventuel coup de frein qu’obtiendrait la SNCF par exemple contre ce nouveau concurrent qui lui prend un nombre de passagers suffisamment important pour qu’elle réagisse auprès de l’état d’une part, et que, d’autre part, elle crée sur son propre site de réservation et de billet un service de covoiturage. C’est dire si la tendance est d’actualité ».

Peut-on aller au travail en Blablacar ? « Personnellement j’y suis allé plusieurs fois avec des conducteurs qui allaient au travail eux aussi. Cela m’a permis de rencontrer un employé de la SNCF, une contrôleuse de la RATP, un restaurateur, un expert comptable, un informaticien du ministère de la défense qui se rendait à Balard, un professeur de mécanique, un chef d’entreprise, des étudiants en économie, en école vétérinaire. J’ai aussi rencontré des personnalité surprenantes comme cette retraitée de 80 ans repartant d’un colloque à Paris pour la Bretagne et conduisant d’une façon  hésitante dans l’agglomération et, bien sûr, avec une vieille voiture. Elle m’a parlé longuement de son colloque sur « le développement personnel et les neurosciences ». J’ajoute que j’ai été aussi covoituré par un quinquagénaire d’éducation protestante libérale qui m’a entretenu des bienfaits du chamanisme et des rites tantriques pendant une heure et demie.

Habitant Dreux, je constate que la liaison Bretagne, Normandie, Ile de France est particulièrement peuplée et animée. Plusieurs trajets par jour sont proposés. J’ai pu constater aussi cet été en allant en vacances dans le sud en BlaBlaCar qu’il était extrêmement facile et économique de décider en trois heures de monter dans une voiture pour Nice, Montpellier, Nîmes, Perpignan. J’ai même hésité à aller en Espagne.

Ce qui m’a le plus frappé, c’est que la plupart de temps passé dans ce covoiturage est l’occasion d’une vraie rencontre interpersonnelle, ce qui n’est pas rien, dans notre société et n’arrive pas dans les transports en commun. Quelques utilisateurs, dont moi parfois, sont dans le pragmatisme, mais la plupart du temps, et c’est indiqué dans l’annonce, des covoitureurs sont prêts à faire un détour de 15 à 30 minutes pour raccompagner le passager à son domicile ou à son lieu de travail, sont prêts à écouter de la musique ou pas, à parler un peu, beaucoup ou pas, et de fumer ou pas dans la voiture, tout cela étant précisé par de petites icônes appropriées sur le site. Il m’est arrivé cet été sur la route de retour des vacances, revenant du pont de Millau,  de faire route avec un couple qui circulait en deux voitures ; J’ai circulé avec le monsieur (kiné). Nous nous sommes arrêtés au restaurant avec sa compagne. Surpris que son compagnon discute autant avec son passager BlaBlaCar, elle m’a demandé si je voulais bien poursuivre le trajet dans sa voiture pour discuter avec elle après avoir discuté avec lui.  Et c’est comme cela qu’un couple donne du travail d’accompagnement pastoral et un magnifique retour de vacances à un pasteur heureux de reprendre son rôle d’encouragement en retournant à sa paroisse. Comme souvent on se demande les uns les autres « ce qu’on fait dans la vie » et que l’on en vient à parler de « ce que l’on fait dans la vie », lorsque je dis que je suis pasteur, il y a, en général , soit un mouvement d’évitement, soit un regain d’intérêt. Si c’est l’évitement, je reparle d’autre chose. Si c’est l’intérêt, la conversation s’engage. Le plus fréquent est un mélange des deux attitudes. C’est le même phénomène que lorsqu’on dit tout de go qu’on est chrétien. Ce que je trouve intéressant de mon côté, c’est de voir quelquefois les gens s’ouvrir d’eux-même d’une manière familière et simple sur ce qui est au cœur de leur vie, et c’est fou la liberté de parole et de questionnement lorsqu’on parle à un inconnu. C’est alors qu’on fait connaissance. Des gens m’ont parlé de Dieu, mais rarement. La grand-mère retraitée m’a parlé du besoin de libération de l’humain. Cependant, il ne m’est pas arrivé jusqu’ici de rencontrer des chrétiens engagés. Je trouve étonnant de n’avoir rencontré aucun chrétien, même sociologique, après une quarantaine de voyages. En tout cas, la réflexion éthique, la bonne réflexion morale est une constante sur ce réseau. Et les dialogues sont très respectueux.

Ayant le besoin de me déplacer, j’ai fait le constat  que BlaBlaCar est non seulement un moyen de faire des économies, mais aussi un lieu de solidarité. J’ai pris conscience de quelque chose que je voudrais mentionner presque comme une confession ou un aveu. Lorsque mon amie m’avait parlé la toute première fois de prendre des passagers dans ma voiture pour partir en vacances et alléger mes propres frais de route, j’avais dit non. Je n’ai découvert BlaBlaCar que 6 mois plus tard en n’ayant plus de voiture. Or, cette découverte de BlaBlaCar, le côté pratique, l’esprit de serviabilité du conducteur qui vous dépose jusqu’à chez vous, l’intérêt des échanges humains, les contacts pris et les voyages agréables à plusieurs m’ont amené à me dire que globalement ces six derniers mois en Blablacar ont été bien plus agréables que les six mois précédents tout seul dans ma voiture. J’avais voulu rester « tout seul dans ma voiture » croyant protéger mon confort, ma liberté et ma vie privée. Je me demande aujourd’hui tout en disposant à nouveau d’une voiture, si je ne vais pas continuer de pratiquer BlaBlaCar une fois sur deux, sinon plus souvent. Proposer une à trois places à bord ne prend que trois minutes, me rapporterait pour chaque passager de ¼ à la ½ du prix du trajet. Aller de Dreux à Paris  pour un prix entre 5 et 8 euros pour 100 km en étant déposé à une bouche de métro ou de RER, restera très pratique.

Si je pousse un peu plus loin ma réflexion, je me demande si je n’ai pas été victime d’un phénomène qui finalement n’existe pas qu’en Amérique : le phénomène du tout voiture. J’avais un peu oublié la marche à pied, le vélo et la possibilité de lire. L’expérience BlaBlaCar m’a permis un retour à ces fondamentaux pour la bonne santé et de constater qu’ils avaient disparu avec le tout voiture. Je conserverai de cette expérience ma discipline quotidienne de la marche à pied. Quant à la possibilité de partager un trajet en covoiturage, c’est une respiration. Des contraintes et un espace de convivialité sont partagés. J’ai bien peur que, sous couvert de confort et de liberté avec le tout voiture, on se choisisse en fait une situation d’isolement, de repli de soi dans une relation peut-être fusionnelle, voire idolâtre avec sa chère voiture. En passant, et ce n’est pas rien, BlaBlaCar, c’est un mode de vie écologique, plutôt responsable ».

 Contribution de David Gonzalez

(1) BlaBlaCar : http://www.covoiturage.fr/

Sur ce blog, autre contribution de David Gonzalez : « Chagall, Dieu et l’amour » : https://vivreetesperer.com/?p=1260

Sur ce blog, voir aussi :

« Une révolution de l’être ensemble »  Présentation du livre d’Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot : « Vive la co-révolution. Pour une société collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1394

« Pour une société collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1534

« Anne-Sophie Novel, militante écologiste et pionnière de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1975

« OuiShare, communauté leader dans le champ de l’économie collaborative » : https://vivreetesperer.com/?p=1866