Un tour du monde en famille pendant un an

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Une découverte partagée sur le blog : « Zigzag du monde ».

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         Dans une ambiance qui peut parfois nous apparaître comme morose, voir une famille en route pour un tour du monde est une source de dynamisme et d’encouragement. Et quand cette famille partage son expérience sur un blog remarquablement construit et entretenu, elle nous fait un beau cadeau. Cette expérience partagée attire la sympathie, suscite amitié et affection pour ses acteurs, petits et grands. Elle nous fait entrer dans des univers nouveaux. Et déjà, prendre la transsibérien de Moscou à Pékin, n’est-ce pas un rêve que nous voyons s’accomplir. Bien d’autres destinations sont presque mythiques. Ce tour du monde est bien organisé, bien préparé. Il peut s’appuyer sur un réseau d’amis chrétiens, mais c’est quand même une aventure. Alors, cette famille nous apprend la confiance.

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La famille Monet

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         La famille Monet se présente à nous : Trois enfants : Ophélie (5 ans), Lilian (7 ans), Solène (10 ans). Maman, Stéphanie, est professeur de français, langue étrangère, et Papa, Gabriel, est pasteur et professeur de théologie pratique. Ils nous en disent beaucoup sur leurs goûts et leurs intérêts, et, au jour le jour, ils nous donnent de partager le vécu de ce tour du monde. Ils font route avec confiance et ils communiquent avec nous dans cet état d’esprit. Nous les accompagnons.

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Pourquoi ce tour du monde ? Le projet.

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         Mais pourquoi entreprendre un tour du monde pendant un an ?

         « D’abord parce que c’est un rêve. Dès avant notre mariage, nous évoquions cette possibilité d’un jour partir à l’aventure un an pour découvrir le monde… Nous nous sommes dit que vivre cette expérience avec nos enfants pourrait être magnifique. Le temps est donc venu et ce rêve devient réalité.

         A l’occasion de ce tour du monde, notre désir est de mettre l’accent sur deux aspects que les mots visages et paysages peuvent résumer : rencontrer des gens partout où nous serons et découvrir les beautés naturelles de notre planète. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, nous serons au maximum chez l’habitant. C’est bien sûr plus économique et surtout cela nous permet d’entrer en contact avec les personnes, de tisser des liens humains. Notre parcours a d’ailleurs été pensé en fonction de certains lieux naturels et dans la majorité des endroits où nous serons, nous privilégierons la découverte de la nature.

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         Ce tour du monde, c’est donc aussi l’occasion de prendre une année sabbatique. Notre vie a été plutôt trépidante… Bref, même si nous ne serons pas inactifs au cours de cette année, l’ idée est bien de déconnecter, de nous ressourcer, de prendre le temps, de lâcher prise par rapport aux multiples engagements qui remplissent nos vies au point parfois de nous faire manquer l’essentiel.

         Enfin ce projet, c’est aussi une expérience familiale… Vivre ces temps ensemble et voyager ainsi tous les cinq est pour nous l’occasion de faire grandir les liens qui nous unissent…

         Un dernier mot pour expliquer le nom de ce blog : www.zigzagdumonde.com « Le blog du tour du monde de la famille Monet ». Au cours des mois de préparation de notre voyage, à une occasion où nous tracions notre itinéraire sur une carte du monde, Solène a spontanément déclaré : « Ce n’est pas un tour du monde que nous allons faire, c’est un zigzag du monde ». L’expression nous a plu.  Elle rend bien compte de notre parcours géographique (De Moscou à Pékin, de Tokyo à Bali, de Sydney à Nouméa, de Papeete à Lima, de Lima à Los Angeles et à New York), mais aussi de notre état d’esprit… Notre destination, ce n’est pas un point géographique, mais le fait d’être en marche, en voyage, existentiellement, spirituellement, relationnellement ».

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En route

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         La famille Monet est maintenant en route depuis le début du mois d’août 2013. Et chaque étape, chaque jour est l’objet d’une chronique qui partage avec nous visages et paysages, les rencontres et la beauté des lieux, mais aussi le vécu de chacun, et en particulier de chaque enfant qui a un espace pour s’exprimer personnellement. De belles photos accompagnent la narration.

         La famille Monet nous donne de vivre avec elle son expérience, mais aussi sa confiance. Quel cadeau pour les grands comme pour les petits ! Et quelle actualité de la pensée de Victor Hugo citée dans ce blog : « Lire, c’est voyager, voyager, c’est lire ». Bonne lecture !

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J. H.

Questions sur la bonne gouvernance

En passant par la Toscane au XIVème siècle

Les fresques d’Ambogio Lorenzetti sur le bon et le mauvais gouvernement

La Toscane est une province italienne dont on sait la beauté des paysages  et des œuvres d’art. Elle est jalonnée par des villes réputées : Florence, Sienne.  Des amis ayant récemment visité cette région, à leur retour, je leur ai demandé s’ils pouvaient nous communiquer des échos de cette beauté. Au cours d’une conversation  avec Etienne Augris, professeur d’histoire et géographie dans un lycée lorrain (1), j’ai découvert qu’il avait tout particulièrement apprécié une œuvre d’art qui se situe dans le « Palazzo Pubblico » de Sienne. Ce sont des fresques réalisées entre 1337 et 1340 par Ambrogio Lorenzetti pour représenter en allégories le bon et le mauvais gouvernement et, sur un registre réaliste, les effets qui s’en suivent (2).

#Si ces fresques sont considérées aujourd’hui comme un chef d’œuvre et commentées comme tel (3), leur sujet même nous paraît particulièrement original. Certes, il correspond aux questions qui se posaient dans des cités indépendantes  où le pouvoir émanait des notables, une situation qui ouvrait le champ des interrogations sur l’exercice de celui-ci. Dans un univers où les rivalités et les conflits abondaient, la paix et la guerre étaient étroitement liées aux décisions des dirigeants. Ainsi ces fresques mettent en évidence les effets du bon et du mauvais gouvernement . On peut se demander quel message ces figures artistiques peuvent nous apporter encore aujourd’hui. On se rappellera alors que le thème de la bonne gouvernance est toujours d’actualité. Des recherches récentes (4) ont montré que le développement économique des pays pauvres dépend largement de l’exercice du pouvoir politique.

 L’attention se portera ici sur les caractéristiques de la bonne gouvernance telle qu’elle nous est représentée par ces fresques. Qu’est-ce que les gens de cette époque ont à nous dire sur les valeurs, les attitudes et les comportements qui fondent une bonne gouvernance ? Comme historien, mais aussi comme citoyen, Etienne Augris  nous donne quelques pistes pour comprendre le message de ces fresques.

Rencontre avec les fresques d’Ambrogio Lorenzetti

Ressenti et réflexion d’un historien 

Interview d’Etienne Augris

Etienne, qu’as tu apprécié durant ton voyage en Toscane ?

J’ai apprécié une certaine douceur de vivre, une sérénité qu’on ressent notamment à la vue des paysages.  Et par ailleurs, je suis très sensible à la richesse historique et patrimoniale de cette région, en particulier dans les villes. Dans certaines villes, on a même l’impression que le temps s’est arrêté. Pour moi qui suis historien, j’apprécie le sentiment d’une présence du passé, aujourd’hui.

Pourquoi et en quoi, les fresques de Lorenzetti à Sienne t’ont-elles particulièrement impressionné ?

Ce qui frappe en premier, c’est la beauté de ces fresques dans le contexte même de leur création, un lieu très important puisqu’il était le siège d’un des principaux pouvoirs de la ville. Avant toute chose, ce qui a accroché mon regard, c’est la couleur, et, en particulier, la couleur bleue. Ce qui m’a plu aussi, c’est la dimension historique. C’est un véritable document.

Quelles sont les principales caractéristiques de ces fresques ?

Les fresques sont particulièrement répandues en Italie et le mot : fresque est lui-même issu de l’italien : « fresco ». Ces fresques sont une commande publique passée par les autorités de la ville à un artiste réputé : Ambrogio Lorenzetti. Et cet artiste est lui-même un citoyen engagé au service de la république. Ne disposant pas du contrat, on ne sait pas dans quelle mesure Lorenzetti était entièrement libre dans sa représentation. Ces fresques couvrent trois des quatre côtés d’une grande salle. Cette salle accueillait la réunion du conseil des 9, des notables désignés temporairement pour diriger la ville dans la première moitié du XIVème siècle.

Peux-tu nous décrire ces fresques telles que tu les vois ?

#Ces fresques s’étendent sur trois murs.

#Lorsqu’on rentre dans la salle, on voit d’abord l’allégorie et les effets du mauvais gouvernement. Sur ce mur, le personnage principal est une sorte de diable qui incarne la tyrannie. Il est entouré par la représentation de nombreux vices. Ces vices évoquent des travers sociaux et politiques plutôt que des péchés individuels : l’orgueil, l’avarice, la vanité. Au pied de la tyrannie, se trouve la justice ligotée. On retrouve ce thème omniprésent de la justice dans les autres fresques. Elle figure dans les inscriptions qui accompagnent les personnages, soit pour regretter son absence, soit pour louer sa présence, son règne. On voit également sur ce mur les effets du mauvais gouvernement dans une ville et une campagne entièrement dévastées sur lesquelles règne la peur.

Lorsqu’on poursuit dans le sens de la lecture, on trouve ensuite l’allégorie du bon gouvernement.

Et on commence par la représentation de la justice sur un trône. Elle est inspirée par un petit personnage au dessus de sa tête qui symbolise la sagesse. Chacune de ses mains tient les plateaux d’une balance. La justice punit. La justice rétribue.

En dessous de la justice, se trouve la concorde. Elle rassemble les fils qui viennent de la justice pour former une seule corde qui est transmise à la procession des notables qui représentent les habitants de Sienne, unis par ce lien de la concorde.

Cette corde remonte ensuite vers un personnage majestueux, aux couleurs de la ville et qui représente le bien commun. Ce fil est attaché à son poignet. Ce personnage est entouré de nombreuses allégories qui représentent des vertus. Il y a de nouveau la justice.  Et puis, il y a la paix : une femme semi allongée qui a l’air très sereine. Elle est au centre du mur, une de celles qui attirent le plus le regard par sa clarté et son rayonnement.  Au dessus de la tête du bien commun, il y a les trois vertus théologales : foi, charité, espérance. C’est une des seules références religieuses directes dans cette fresque. Parmi les vertus, il y a des vertus actives et des vertus passives. Et elles sont placées en alternance, par exemple : justice et tempérance.. C’est sur ce mur que figure la signature de Lorenzetti.

#Le troisième mur qui fait face à celui évoquant le mauvais gouvernement représente les effets du bon gouvernement comme en miroir. On y représente la ville de Sienne identifiée par la présence de la cathédrale et de symboles de la ville. La campagne environnante est également représentée. Sur cet espace, la ville et la campagne, règne l’allégorie de la sécurité qui permet une vie quotidienne paisible, animée et ponctuée de réjouissances : mariage, danses. C’est une ville dont la construction se poursuit. La campagne est pleine de richesses. Le paysage qui est décrit ressemble beaucoup au paysage actuel de la Toscane caractérisée par des collines où on cultive des céréales, la vigne et les oliviers.

Dans cette salle, Lorenzetti fait appel aux représentations de son époque. Mais il est un des seuls à en rassembler autant dans un tel agencement. Sur ces murs, on a à la fois des allégories et des représentations réalistes.

#Cette œuvre nous parle de gouvernance. Quel message cette œuvre envoie aux gens de cette époque ?

C’est un message destiné à ceux là même qui siègent dans la salle et plus généralement à la ville de Sienne et à sa population. La ville et la campagne qui subissent la tyrannie ne sont pas des espaces étrangers, mais pourraient eux-mêmes être la ville de Sienne et ses environs.  C’est donc un rappel permanent des risques qui guettent la cité. Le régime qui est mis en avant, est clairement républicain par opposition à la tyrannie. Mais cette république était comprise au sens de l’époque et non comme une démocratie au sens moderne du mot.  Rappelons que tous les habitants de la ville ne participent pas à la désignation des dirigeants réservée à une élite fortunée.

Cette république met en avant des principes et non des intérêts  individuels. Dans cette république, on craint la personnalisation du pouvoir. Les membres du Conseil des 9 eux-mêmes ne sont désignés que pour deux mois. Le fil conducteur de cette fresque, c’est la justice qui est représentée, à plusieurs reprises, et qui apparaît comme l’élément indispensable d’une bonne gouvernance. La concorde elle-même puise sa source dans la justice et permet aux citoyens de cette république de travailler ensemble pour le bien commun. Parce qu’il y a la justice et aussi la concorde, les intérêts individuels sont compatibles avec le bien commun.

Cette fresque est également complexe. Pour moi, elle témoigne de la complexité du gouvernement de cette république et de la fragilité de ses équilibres. Dans la réalité historique, on sait que les périodes de paix ont souvent été éphémères.  Quelques années après la réalisation de ces fresques, une nouvelle période de troubles politiques, de guerres, d’épidémies, s’est ouverte. Le gouvernement des 9 lui-même a disparu et a laissé place à une nouvelle forme de gouvernement. Si la situation est aussi fragile, c’est parce que les pouvoirs sont multiples. Ainsi, et à côté du pouvoir qui était exercé par le Conseil des 9, il y avait aussi le pouvoir de l’évêque et celui du représentant de l’empereur. L’équilibre était fragile, et, à cette époque, les rapports de force changeaient régulièrement.

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Qu’est ce que ce message peut nous apprendre aujourd’hui encore ?

La question de la gouvernance tourne aujourd’hui autour de l’idée de la démocratie et de son exercice. Ces fresques nous apprennent que le bon gouvernement est une réalité fragile qui peut être menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le problème ne vient pas en premier des ennemis extérieurs, mais des faiblesses internes.

La démocratie n’est pas nécessairement établie pour toujours, mais c’est un processus permanent et jamais achevé. La question de la justice est centrale. Elle conditionne l’adhésion des citoyens à cette démocratie. Un citoyen qui constate l’injustice dans un régime dit démocratique n’aura sans doute pas la volonté de s’engager en faveur de la démocratie.

         Dans la fresque, on commence par voir la situation qu’on ne veut pas pour arriver à celle qu’on souhaite. Et on propose effectivement un ensemble de principes positifs et aussi un état d’esprit.

         Les questions, que se posaient les habitants de Sienne autrefois, se posent aussi à nous aujourd’hui. Comment passer d’une indignation face à l’injustice et à la tyrannie à la mise en avant de principes et d’un état d’esprit permettant une bonne gouvernance ?

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Contribution d’Etienne Augris.

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Notes 

(1) Professeur d’histoire et géographie, Etienne Augris a créé un   blog concernant l’enseignement de ces disciplines : histoire-géographie terminales….. http://histoire-geo-remiremont.blogspot.fr/

(2) Sur wikipedia, « les effets du bon et du mauvais gouvernement » https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Effets_du_bon_et_du_mauvais_gouvernement  « The allegory of good and bad government » http://en.wikipedia.org/wiki/The_Allegory_of_Good_and_Bad_Government.  On trouvera des photos des fresques d’Ambrogio Lorenzetti sur la « Web gallery of art » : « Frescoes of the good and bad government »  http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/l/lorenzet/ambrogio/governme/index.html; Cette galerie apporte des ressources considérables en reproductions d’œuvres d’art. C’est la source des quelques photos illustrant cet article (parmi un ensemble de 19 auquel on pourra se reporter)

(3) Ces fresques sur le bon et le mauvais gouvernement sont remarquablement commentées en anglais dans une vidéo présentée sur YouTube parmi une série de productions réalisée par  « Smart history » en vue de développer l’éducation artistique. Les lecteurs pourront apprécier cette vidéo à laquelle nous donnons accès sur ce site. http://www.youtube.com/watch?v=jk3wNadYA7k

(4) Sur ce blog, voir : « Pour réformer la finance ». Dans cet article, James Featherby mentionne plusieurs livres qui mettent l’accent sur l’importance du rôle de l’état pour la promotion du bien commun . « Dans un livre intitulé : « Why nations fail » (Pourquoi des nations échouent), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent » https://vivreetesperer.com/?p=882

Une révolution de « l’être ensemble »

La société collaborative : un nouveau mode de vie.

 « Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative »

Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot

Dans  ces temps difficiles où tant de gens subissent les effets d’une crise économique et financière inégalée depuis plusieurs décennies et où l’Europe se débat dans un manque de vision et de détermination, les frustrations accumulées se traduisent en agressivité sociale. Pour certains, le pessimisme l’emporte et l’horizon paraît bouché. Et pourtant, on peut envisager la crise elle-même comme un temps passager correspondant à une période de profonde mutation. A cet égard, de Michel Serres  (1) à Jérémie Rifkin (2), plusieurs grands chercheurs nous aident à y voir plus clair. « Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible . Il faut inventer du nouveau », écrit Michel Serres en mettant en évidence les profondes transformations en cours. Ce sont des mouvements de grande amplitude. Car, si nous considérons les maux éprouvés par l’humanité dans son histoire, les souffrances endurées dans les siècles passés, des chemins nouveaux apparaissent aujourd’hui. Si les risques sont avérés, déclarés, ils peuvent aussi être affrontés. La crise elle-même induit des changements dans les mentalités. On prend conscience de la vanité de la consommation à outrance et des méfaits engendrés par un excès d’individualisme. De plus en plus de gens sont à la recherche d’un nouveau genre de vie.

Des chercheurs nous aident à percevoir les aspirations qui se font jour actuellement dans une évolution qui s’accomplit dans la durée. Ainsi, avec Jérémie Rifkin, nous percevons les progrès de l’empathie (3). Le changement dans les comportements est lié à une évolution de nos représentations. La vision nouvelle met en évidence l’importance de la relation, de l’interconnexion, de la prise en compte de la globalité, d’une approche holistique. Ces évolutions s’inscrivent dans la réalité socio-culturelle puisqu’on peut en percevoir l’apparition et le développement  dans de nouveaux courants comme « les créatifs culturels » (4) et une correspondance dans le domaine de la spiritualité comme le montre Frédéric Lenoir dans son livre : « La guérison du monde » (5). Ce changement de regard se manifeste dans tous les domaines. Ainsi la réflexion sociale et politique commence aujourd’hui à prendre en compte une vision nouvelle des relations humaines en terme de convivialité (6), au point qu’un « manifeste convivialiste » (7) vient d’être publié récemment.

« Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative »

Ce préliminaire nous a paru nécessaire pour présenter le livre récent intitulé : « Vive la co-révolution ! Pour une société collaborative » (8).  En effet, cette pratique de la collaboration est bien une nouveauté sociale. Le précédent exposé nous a permis d’en montrer toute l’originalitéen regard d’une histoire longue, mais aussi dans un présent assombri par la crise économique et également marqué  par une défiance  largement répandue dans la société française (9). Et, en même temps, cette émergence d’une société collaborative s’inscrit dans une transformation des mentalités qui a progressé dans le temps et qui s’est accélérée au cours des deux dernières décennies, particulièrement dans les jeunes générations.

 Aujourd’hui, Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot (10), deux

auteurs qui sont à la fois des chercheurs et des acteurs dans ces nouvelles pratiques, peuvent dresser un bilan déjà impressionnant des réalisations en cours, et, dans le même temps, communiquer la vision qui inspire la société collaborative.

Parce que l’idéal de la collaboration se répand dans des registres différents de la vie sociale et économique, le champ de ce livre est très vaste : « Cet ouvrage décrypte le phénomène du partage collaboratif. Il valorise différents exemples et cas d’école et illustre l’impact profond de ces nouvelles pratiques sur nos organisations (groupes humains, associations, collectivités, entreprises etc). Au moment où l’émergence du web participatif facilite la mise en réseau et encourage la transparence des échanges, cette logique imprègne peu à peu notre façon de penser,d’agir, de consommer (mouvement de « consommation collaborative » qui nous incite à covoiturer, cotravailler, « louer citoyen », « couch surfer »-préter son canapé, etc), mais aussi d’entreprendre (dépasser la logique de compétition), de militer et de manager (recours à l’intelligence collective et au management participatif) » (page de couverture).

Ce livre est un excellent vecteur d’information.  Il nous fait connaître ces nouvelles pratiques dans des contextes très variés (11). Il renvoie aux sites correspondants si bien qu’on peut entrer dans le vécu de ces réalisations. Et, bien souvent, on s’émerveille lorsqu’on en perçoit la portée comme la créativité et l’ingéniosité qui ont permis leur mise en œuvre. Dans une interview en vidéo (12), Anne-Sophie Novel présente l’apport de ce livre plus particulièrement pour un public travaillant en entreprise, tout en présentant l’approche dans sa généralité. Nous- même, dans cette mise en perspective, nous voudrions mettre l’accent sur la vision de la société collaborative qui nous est présentée dans ce livre par Anne-Marie Novel et Stéphane Riot.

Quelle démarche ? Quelle approche ?

Les deux auteurs nous expliquent leur  démarche. Alors qu’ils travaillent tous les deux dans le même champ, Stéphane dans le développement durable, et Anne-Sophie comme économiste et actrice sur le web, un déclic a eu lieu en 2009 lorsque Anne-Sophie lit un article sur le site américain : « Worldchanging » dans lequel est évoqué le concept de « collaboration radicale ». « Anne-Sophie fait le lien : la consommation collaborative, l’économie du partage, la coopportunité, l’économie du nous, la néo-économie, l’économie humaine, l’économie servicielle, le capitalisme partagé, etc sont autant de nouveaux termes qui s’ajoutent progressivement aux notions déjà répandue d’économie circulaire, d’économie de fonctionnalité, d’économie coopérative, de convivialisme, d’économie sociale et solidaire… ces notions sont proches et elles reflètent les différentes facettes d’un seul et même phénomène que nous avons baptisé co-révolution » (p 20).

Aujourd’hui, effectivement, dans le contexte d’une conscience écologique grandissante, les attentes des consommateurs sont en train de changer. « Ainsi croyons nous en l’émergence d’une économie… protectrice de l’homme et de la nature, une économie de la connaissance relocalisée et relocalisante. Ce changement de paradigme est en cours et l’espérance peut désormais être exprimée dans un autre langage que celui de l’anticapitalisme… » « La bonne nouvelle, c’est que le temps est venu : la révolution en laquelle nous croyons est une révolution du cœur. Une révolution de « l’être ensemble » qui peut rendre hommage à la société conviviale imaginée dans les années 1970 par le père de la pensée écologiste : Ivan Illich. Nous possédons aujourd’hui les outils qui nous permettent de nous affranchir du « toujours plus » pour aller vers les vraies richesses » (p 22).

Anne-Sophie Novel et Stéphane Riot déclinent ensuite les différents aspects de cette révolution : « Tous connectés avec une mentalité 2.0.  Tous concernés face aux enjeux du développement durable. Tous mobilisés, pour un autre possible. Tous reliés en mode « système D ». La corévolution sauvera le monde ». Cette introduction, en terme de manifeste,  met en scène des éclairages nouveaux. Et, par exemple, elle met en évidence, les changements de mentalité suscités par l’expansion du web participatif. Cette nouvelle façon d’être ainsi relié, « modifient en profondeur notre façon d’appréhender les autres et contribue à l’émergence d’une nouvelle façon de voir et d’être dans le monde ». Ainsi, « les liens que nous tissons par ce biais des technologies mobiles développent notre confiance envers les interlocuteurs avec lesquels nous échangeons régulièrement… ». « La révolution provoquée  par le « pair-à-pair » change nos relatons sociales, mais aussi nos modèles économiques, nos formes d’organisation et peut-être même notre paysage politique… » Les auteurs savent choisir des faits significatifs et s’appuient sur des penseurs qui ouvrent notre horizon.

 Quelle vision ?

La conclusion est, elle aussi, animée par un mouvement quasi-épique, qui s’appuie sur le innovations et les transformations en cours . « Au carrefour de la débrouille et de l’entraide, du « Do it yourself au « Do it with others », la consommation collaborative se situe à la croisée de l’économie domestique, solidaire et capitaliste , les modes d’échanges collaboratifs retricotent le lien social en insufflant à nos sociétés une forme de convivialité perdue dans nos sociétés occidentales en déclin.  Le « vivre-ensemble » et le « faire-société » n’ont jamais eu autant d’opportunités de s ‘exprimer à nouveau » (p 221).

Les auteurs sont bien conscients des obstacles et, par exemple, de la lenteur dans l’évolution de la perception officielle du monde. Mais rien  ne peut empêcher les émergences et les convergences. Un nouvel état d’esprit est en train d’apparaître. « Soyons plus à l’écoute de notre cœur, de notre biosphère, observons les additions et les contradictions de notre monde et améliorons, ensemble, tout ce qui peut servir l’Être et donc l’avenir de notre civilisation » (p 228).

Un nouvel horizon

Ce petit livre, accessible, convivial, enthousiasmant ouvre notre regard sur ce nouveau monde qui est entrain d’apparaître.

La conclusion est ouverte par une citation d’un chercheur américain : Charles Eisenstein. « La logique du cœur se réveille actuellement, nous incitant à rendre service aux autres. Cette évolution de la conscience qui inspire de belles choses est universelle et se réveille chez les gens de différentes manières.  L’amour, c’est l’expansion du moi pour inclure l’autre.  C’et une révolution d’un nouveau genre, il n’y a personne contre qui se battre » (p 220).

Pour nous, nous pouvons interpréter cette évolution dans les termes d’une œuvre de l’Esprit telle que Jürgen Moltmann l’exprime dans son livre : « Dieu dans la création. Traité écologique de la création » (13) : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber). 

Dans le puzzle de notre société, le livre d’Anne-Marie Novel et de Stéphane Riot, nous permet de découvrir une figure qui fait sens. Un nouveau mode de vie est en train d’émerger . Cette découverte est impressionnante. Elle suscite l’émerveillement. Et nous sommes en mouvement. Car, comme l’écrit Patrick Viveret, cité au début du livre : « Pour que progresse la qualité de conscience de l’humanité, il faut aussi que progresse sa qualité de confiance : un réseau pensant certes, mais aussi un réseau un peu plus… aimant ». Nous voici sur un chemin d’espérance.

J. H.

(1)            Serres (Michel). Temps des crises. Le Pommier, 2009. En sous-titre : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. il faut donc inventer du nouveau ».

(2)            Rifkin (Jérémie). La troisième Révolution Industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. Les Liens qui libèrent, 2012.  Mise en perspective sur ce blog : « Face à la crise,un avenir pour l’économie » https://vivreetesperer.com/?p=354

(3)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011.  Mise en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html  Sur ce blog : « La force de l’empathie » https://vivreetesperer.com/?p=137

(4)            « Voir : « Les créatifs culturels. Un courant émergent dans la société française » http://www.temoins.com/enqu-tes/les-creatifs-culturels-.-un-courant-emergent-dans-la-societe-francaise.html

(5)            Lenoir (Frédéric). La guérison du monde. Fayard, 2012 Mise en perspective sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité. La fin d’un monde. L’aube d’une renaissance ». https://vivreetesperer.com/?p=1048

(6)            « Emergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines » http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4  Une réflexion sur et pour le développement de la convivialité dans notre société : Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir.  La Découverte, 2011

(7)            Manifeste convivialiste. Sur le site : Reporterre : http://www.reporterre.net/spip.php?article4356

(8)            Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane). Vive la CO-révolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 (manifestô)

(9)            Algan (Yann), Cahuc (Piere), Zylberberg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Sur ce blog : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance. Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire. Les pistes ouvertes par Yann Algan » https://vivreetesperer.com/?p=1306

(10)      Anne-Sophie Novel est docteure en économie, journaliste et fondatrice du blog collectif : Ecoloinfo.com. Stéphane Riot, fondateur de Nova Terra est expert en accompagnement du changement par le facteur humain, conseiller en développement durable.

(11)      Le livre : « CO-révolution ! Pour une société collaborative » nous apporte une riche information sur les innovations actuelles  en nous permettant, à travers les liens correspondants, de nous informer plus avant. On pourra également consulter : Munier (Bénédicte). Un million de révolutions tranquilles. Travail/Argent/ Habitat/ Santé/ Environnement. Comment les citoyens changent le monde. Les Liens qui libèrent, 2012. Ce livre couvre les différents continents.

(12)      Interview de Anne-Sophie Novel auprès de l’Université Hommes-entreprises : http://universitehommesentreprises.com/cooperation/interview-danne-sophie-novel-co-auteur-de-vive-la-co-revolution

(13)            Moltmann  (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988 . Citation p 25. La pensée théologique de Jürgen Moltmann  est présentée à l’intention d’un vaste public, sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

Vivant dans un monde vivant

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Changer intérieurement pour vivre en collaboration.

Aparté avec Thomas d’Ansembourg recueilli par Michel de Kemmeter.

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         Dans la vie sociale et économique, nous ressentons la requête d’une plus grande collaboration entre les acteurs, entre les personnes. Mais cette requête elle-même appelle un changement dans nos attitudes et nos comportements, une transformation personnelle. Thomas d’Ansembourg est bien placé pour nous répondre. En effet, à partir d’une carrière d’avocat et, parallèlement, d’un engagement éducatif auprès de jeunes dans la rue. Il a choisi une nouvelle orientation en se formant à différentes approches psychothérapeutiques et particulièrement à la méthode de communication non violente. Il est devenu psychothérapeute, conférencier, animateur de sessions de formation. Au cours des dernières années, il a écrit trois livres qui ont été appréciés par une vaste audience (1).  Dans une récente vidéo (2), Thomas d’Ansembourg répond aux questions de Michel de Kemmeter, ingénieur et consultant engagé lui aussi dans une œuvre de recherche et de formation pour « un développement durable de l’humain (3).

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Une vie en transformation.

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« J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant ».

         Comment Thomas d’Ansembourg envisage-t-il son travail ?  Il « accompagne les personnes à travers les méandres de l’existence pour trouver plus de sens et de paix intérieure parce que c’est dans cet esprit qu’on est généreux et qu’on est créatif ». Et il rencontre une grande aspiration. « De plus en plus de personnes réalisent qu’ils ont besoin  de se sentir vivant dans un monde vivant, que c’est là l’essence de l’existence . J’ai besoin de me sentir vivant dans un monde vivant. La notion d’appartenance est fondamentale. Nous ne sommes pas tout seul. Nous aimons nous sentir reliés à la vie en nous, à la vie en l’autre, à quelque chose qui va très largement au delà de nous, que les religions appellent Dieu, mais que l’on peut appeler la vie, la présence, l’amour ».

 

         Une conscience nouvelle apparaît . La vision s’élargit. On ne se satisfait plus de vivre dans son petit monde à soi ». « Ce n’est pas comme cela qu’on est heureux. Nous serons heureux dans des rapports de collaboration, de synergie, de cocréation, dans le partage,dans la solidarité ».  Ce qui nous était enseigné autrefois comme une morale en terme d’obligations venant de l’extérieur apparaît de plus en plus comme une aspiration à une nouvelle manière d’être et de vivre. On recherche « les ingrédients, les clefs d’un bien-être ensemble ». « C’est à vivre de l’intérieur. C’est à instaurer ».

         Ainsi des vies se transforment. Thomas d’Ansembourg a vécu cette transformation. Déjà, parallèlement à une première carrière, celle d’avocat, il s’était engagé dans un engagement éducatif bénévole

auprès de jeunes de la rue. « je me suis vite rendu compte que, derrière la violence sur les autres, sur les choses, sur les gens, la violence retournée contre soi, il y a un magnifique élan de vie, l’élan d’appartenir, d’avoir sa place, l’élan de trouver un soutien, d’être utile, de faire quelque chose de sa vie. Quand cet élan est bridé, est empêché, alors la violence s’instaure. Aider les gens à trouver leur élan de vie, à déployer le meilleur d’eux-mêmes, cela a fait sens pour moi ». Cette aspiration au partage se manifeste dans des milieux différents et, par exemple, chez certains chefs d’entreprises qui souffrent de leur isolement. Ils ont besoin de vision partagée,de direction collégiale.

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Vivre pleinement. Accepter d’être heureux.

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« Nous avons à démanteler l’interdit d’être heureux »

         Il y a donc actuellement une évolution profonde dans les aspirations. C’est un enjeu d’ordre psycho-spirituel ». Cependant,face à ce mouvement, il y a aussi des résistances. Thomas d’Ansembourg diagnostique un empêchement dans une crainte intérieure, celle d’être heureux. « Être heureux est ressenti comme une menace ». Il y a comme « un sabotage de la capacité d’accès au bonheur ». « C’est le travail sur moi, notamment psychothérapeutique, qui m’a permis  de comprendre mon propre mécanisme d’auto-sabotage ».

         Thomas d’Ansembourg évoque l’expression : « On est pas là pour rigoler ». Il faut nous défaire de cette pensée. « Cette petite phrase, nous l’avons connu avec le lait maternel et, en tout cas, la culture ambiante.. il faut se battre dans la vie..La vie est une lutte. On a ce qu’on mérite..  Tous ces petits conditionnements génèrent inévitablement l’idée que la vie est un combat… » . Et ce qu’on voit à la télévision nous conforte dans ce sens. « Nous avons à démanteler l’interdit d’être heureux ». On est là pour rigoler ou plus largement, « On est là pour s’enchanter, pour s’émerveiller, pour goûter la jubilation du vivant ». C’est cela qui fait sens. On peut évoquer des joies collectives : une table d’amis, une fête.. « Nous sommes là pour goûter le plaisir d’être en vie. Et, à ce moment là, je n’ai plus le désir d’accaparer des richesses ».

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Un changement collectif. Une mutation en cours.

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« L’utopie n’est pas un égarement. C’est tendre vers un autre lieu ».

         Dans son dialogue avec Thomas d’Ansembourg, Michel de Kemmeter inscrit ces questions dans le va et vient entre le personnel et le collectif . Comment notre société évolue-t-elle ? Vers où va-t-on ? Ainsi passe-t-on actuellement de l’économie de nos parents centré sur l’accumulation et la croissance à une économie que nous imaginons plus collaborative et porteuse davantage de progrès humain. Si le changement commence par soi, comment est-ce que cela débouche sur le plan collectif ?

         La réponse de Thomas d’Ansembourg s’ouvre dans deux directions . Et tout d’abord, il envisage « un effet de masse critique, une bascule de la conscience, un effet d’entraînement ». Et, à l’appui de cette perspective, il évoque de nombreux exemples. Les gens d’aujourd’hui, et particulièrement les jeunes,  se familiarisent  plus rapidement qu’autrefois avec de nouvelles pratiques. La « Learning curve », le temps passé pour apprendre une chose nouvelle se raccourcit d’année en année. « Nous pouvons espérer cela pour le phénomène d’ouverture de cœur ».

         Et ensuite, pour favoriser le changement, il faut faire connaître la vision nouvelle qui est en train de se développer. Nous ne sommes pas sur terre pour être limités et dépressifs, mais pour « un joyeux déploiement de notre être dans une cohabitation heureuse avec les autres » . Et il est urgent de faire savoir qu’il existe des processus, des mécanismes, des apprentissages pour entrer dans cette nouvelle manière de voir et de sentir. Ainsi, face aux conditionnements individuels et collectifs, on peut envisager « une nouvelle façon d’être au monde ». « L’utopie n’est pas un égarement, c’est tendre vers un autre lieu ».

         En dialogue avec Michel de Kemetter, Thomas d’Ansembourg nous invite à oser en réalisant que nous ne sommes pas seul. Ainsi, à la suite de ses conférences, beaucoup de gens viennent le voir en lui disant : « Vous mettez des mots sur ce que je ressens ». Thomas d’Ansembourg a beaucoup travaillé sur la gestion non violente des conflits. Il cherche à promouvoir une communication non violente. Pour lui, pas de doute ! Elle va entrer progressivement dans les apprentissages fondamentaux. « C’est la réalité de demain ». Pouvait-on imaginer, il y a vingt cinq ans, la généralisation du téléphone portable ? « Toute la réalité d’aujourd’hui correspond au rêve d’hier ».

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Inspiration spirituelle et « intériorité citoyenne ».

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« Ouvrons un espace d’intériorité dans lequel « le souffle » puisse souffler »

         Face aux conditionnements actuels, le changement est contrarié par notre peur : « Peur de sortir des sentiers battus, peur d’entreprendre, peur de lâcher quelque chose ». Toute notre société est conditionnée par la peur. Comment faire bouger cela ? Quels sont les leviers ? demande Michel de Kemmeter.

          La réponse de Thomas d’Ansembourg entre ici sur le registre spirituel. « Pour moi, c’est le travail d’intériorité et d’ouverture spirituelle ». « Toute la peur vient dans la croyance que nous avons et sur l’illusion que nous sommes seul et que nous devons lutter pour défendre notre petite posture. Nous ne sommes pas tout seul. Ne serait-ce que génétiquement ! Nous ne sommes pas dans la nature. Nous sommes de la nature… ».

         Prenons « conscience de ce quelque chose qui va au delà de nous en ouvrant un espace d’intériorité, un espace de ressourcement dans lequel le souffle puisse souffler ».  Chacun mettra le mot qu’il veut sur le mot « souffle » : discernement de la conscience au sens laïc, de la grâce ou de l’esprit comme le proposent certaines religions, de la présence.. Puisons dans cet être ce qui semble effectivement nous inspirer, nous parler quelque soient les mots qu’on emploie. Nous avons là une ressource extraordinaire pour nous transformer dès que nos déployons cet espace intérieur ».

         Et dans cette perspective, il nous faut élargir notre culture. « Quittons la tentative évidemment désespérée de tout comprendre mentalement et de tout gérer mentalement La petite intelligence logico-mathématique qui nous a si bien servi, n’est pas le seul canal d’appréhension et de transformation du monde. Il est urgent de découvrir d’autres canaux ». Et il y a plus que les huit formes d’intelligence qui ont été récemment reconnues. « Je vois des transformations extraordinaires chez ceux qui entrent dans cet espace intérieur, qui acceptent de laisser à sa place, à sa juste place, la compréhension intellectuelle, mentale, logique, et entrent dans des compréhensions plus subtiles dans lesquelles le souffle peut s’instaurer ».

         « J’encourage profondément à un travail d’ouverture spirituelle qui peut se vivre de façon religieuse pour ceux qui trouvent un soutien dans la religion, mais qui peut, bien, sûr, se vivre dans bien d’autres formes. On parle de plus en plus de spiritualité laïque. Et je pense que cette notion peut encourager les gens qui n’ont pas trouvé de sens dans une pratique religieuse à retrouver un cheminement spirituel en sorte de pouvoir sentir ce soutien, cette inspiration… Je pense que c’est cela qui peut nous aider à transformer notre vie et à quitter la peur : sentir que nous sommes inspirés, que nous sommes portés, que nous sommes soutenus… ». Si je veux être en phase avec cet élan de vie, alors ma vie se transforme.

         Thomas d’Ansembourg a fait cette expérience. Et pour lui, ce message a une portée qui est à la fois individuelle et collective. Et c’est pour cela qu’il a créé le terme d’ « intériorité citoyenne ». Car « un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant » . La vie intérieure n’est pas déconnectée de l’action comme les exemples de Gandhi et de Mandela nous le montrent. En réponse à Michel de Kemetter,Thomas d’Ansembourg nous dit comment il intervient aujourd’hui pour permettre à cette expérience de se propager dans la vie des entreprises et dans les écoles qui forment les jeunes cadres. Peu à peu, cette vision commence à se répandre .

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Un nouvel horizon.

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         La vision et l’œuvre de Thomas d’Ansembourg s’inscrivent dan une société et une culture en mutation. C’est dans ce contexte qu’il peut exprimer une dynamique qui envisage le potentiel humain dans une perspective positive, voire optimiste. Ainsi affirme-t-il une nouvelle manière d’être et de vivre qui exprime le bonheur dans un mouvement de générosité. « Nous sommes là pour goûter le plaisir de la vie ».

         En entendant ces paroles dans une perspective historique, on a conscience qu’elles tranchent avec le pessimisme hérités de millénaires au cours desquels l’humanité a lutté pour survivre face aux famines, aux épidémies , aux massacres, aux guerres meurtrières.  Cette mémoire douloureuse s’est inscrite dans un état d’esprit. Elle a influé sur la tradition religieuse. Les empêchements qui font obstacles aujourd’hui à une nouvelle manière de vivre ne sont donc pas seulement psychologiques. Ils remontent à un passé collectif. Et, aujourd’hui encore, selon notre situation sociale ou géographique, nous sommes plus ou moins confrontés à des maux collectifs qui viennent assombrir notre horizon.

         C’est dire que l’option, non seulement déclarée, mais aussi expérimentée par Thomas d’Ansembourg, tire sa légitimité non seulement d’une expérience positive, mais aussi d’un climat nouveau qui résulte d’un changement en profondeur de notre société, de notre économie et de notre culture et ouvre de nouveaux possibles . Ce changement a commencé dans un tournant qui est apparu au XVIIIè siècle. On a pu dire que c’est le moment  où le bonheur est apparu comme « une idée neuve en Europe ». Et la Constitution américaine  a donné droit à « la poursuite du bonheur ». Cette évolution s’est poursuivie et elle s’est accélérée au cours des dernières décennies. Nous sommes entrés aujourd’hui dans une mutation sociale et culturelle qui n’est pas sans risques, mais qui est aussi très prometteuse.

         Conscient des dangers et des menaces , c’est en regardant le positif qu’on peut aller de l’avant. Dans son livre : « Une autre vie est possible » (4), Jean-Claude Guillebaud réfute le pessimisme systématique et nous invite au mouvement dans l’espérance. On peut percevoir aujourd’hui dans les mentalités une évolution qui rompt avec les séquelles du passé et se traduit dans des comportements nouveaux. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine »  (5) fonde « une psychologie positive ».  Jérémie Rifkin, dans une belle fresque historique, met en évidence une montée de l’empathie (6). Au titre de la spiritualité, dans son livre sur « la guérison du monde » (7). Frédéric Lenoir apporte une contribution très informée dans la même orientation.  En particulier, il met en évidence un phénomène récent : une conjonction croissante entre la spiritualité personnelle et l’engagement dans le monde. La notion d’ « intériorité citoyenne » mise en avant par Thomas d’Ansembourg s’inscrit dans cette conjonction. 

         Thomas d’Ansembourg invite les acteurs dans la société et l’économie à entrer dans une ouverture spirituelle. A cet égard, il rejette les exclusivismes et les querelles de chapelle. Il y a aujourd’hui  une aspiration profonde en ce domaine. Ainsi, sur ce blog, Jean-Claude Schwab met en évidence un besoin d’ancrage et propose une approche chrétienne de méditation (8).

         Si le christianisme a été marqué par un héritage du passé aujourd’hui contre productif, il a aussi souffert de la confusion avec le pouvoir impérial romain intervenu sous Constantin.  Auparavant,le message de l’Evangile avait porté, pendant des décennies, paix, libération, guérison. Les chrétiens étaient « le peuple de la Voie » (« The people of the way » (9).

         Cependant, malgré les détournements intervenus au cours des siècles, nous croyons, avec le théologien Jürgen Moltmann (10) que le christianisme se caractérise par une dynamique d’espérance : « Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi,pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint Esprit » (Romains 15, 13). « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu n’est lié à l’espérance humaine de l’avenir… Un Dieu de l’espérance qui marche « devant nous », en nous précédant dans le déroulement de l’histoire, voilà qui est nouveau. On ne trouve cette  notion que dans le message de la Bible. C’est le Dieu de l’exode d’Israël… Cest le Dieu de la résurrection de Jésus-Christ.. De son avenir, Dieu vient à la rencontre des hommes et leur ouvre de nouveaux horizons qui débouchent sur l’inconnu et les invite à un commencement nouveau » (11).

         Dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (12), Jürgen Moltmann nous rappelle, à la suite de l’expression hébraïque : « Ruah Yahweh » que l’Esprit de Dieu est présent à la fois dans la création et dans la rédemption. Lorsqu’il écrit : « L’expérience de la puissance de la résurrection et la relation à la puissance divine ne conduisent pas à une spiritualité qui exclut les sens,  qui est tournée vers l’intérieur, hostile au corps et séparée du monde, mais à une vitalité nouvelle de l’amour et de la vie « (12 a), il nous invite à une spiritualité engagée qui n’est pas en dissonance avec la perspective exprimée par Thomas d’Ansembourg.

         A une époque où on prend conscience de plus en plus des interconnections et des interrelations dans un monde où tout se tient, Moltmann nous apporte une vision théologique en phase avec cette prise de conscience. « Si l’Esprit Saint est répandu sur toute la création, il fait de la communauté de toutes les créatures avec Dieu et entre elles, cette communauté de la création dans laquelle toutes les créatures communiquent, chacune à sa manière et avec Dieu… Tout existe, vit et se meut dans l’autre, l’un dans l’autre, l’un pour l’autre, dans les structures cosmiques de l’Esprit Saint.. L’essence de la création dans l’Esprit est, par conséquent, la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font reconnaître l’ « accord général »  « Au commencement était la relation » (M Buber » (13) . Cette vision nous paraît propice à la compréhension de la grande mutation dans laquelle le monde est engagé et elle nous rappelle la pensée de Thomas d’Ansembourg lorsque celui-ci s’écrie : « J’ai besoin de me sentir vivanr dans un monde vivant… Nous ne sommes pas tout seuls. Nous aimons nous sentir reliés à la vie, en nous, en l’autre, à quelque chose qui va largement au delà de nous.. Nous ne sommes pas dans la nature.. Nous sommes de la nature ».

         Nous assistons aujourd’hui à une évolution profonde des mentalités. Malgré les obstacles hérités du passé (14), de nouvelles formes de convivialité émergent (15). Dans les différents registres de la vie sociale et économique, portés par internet, de nouveaux modes de collaboration apparaissent et se développent au point qu’on puisse déjà parler de « société collaborative » (16). L’aparté, recueilli par Michel de Kemmeter auprès de Thomas d’Ansembourg, s’inscrit dans la recherche qui se propose d’éclairer les changements en cours dans la société et dans l’économie pour baliser des voies nouvelles. Dans cette vidéo, Thomas d’Ausembourg s’inscrit dans  le mouvement actuel où les gens ressentent le besoin d’une manière nouvelle d’être et de vivre, et, à partir de sa culture, de sa recherche et de son expérience, il nous invite à entrer dans une démarche spirituelle. Ce dialogue animé et chaleureux entre Thomas d’Ausembourg et Michel de Kemetter   apportent des éclairages qui nous ouvrent à des compréhensions nouvelles. C’est une vidéo  suggestive et éclairante qui nous invite à une réflexion en profondeur tant en rapport avec notre existence personnelle qu’avec notre vie en société.

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J.H.

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(1)            On trouvera la biographie de Thomas Ausembourg sur son site : http://www.thomasdansembourg.com/fr/index.html  Il nous y propose aussi des ressources. Au cours de la dezrnière décennie, Thomas d’Ausembourg a écrit trois livres qui ont été lus par une vaste audience : « Cessez d’être gentil. Soyez vrai » (2001) ; « Etre heureux. Ce n’est pas nécessairement confortable » ( 2004) : « Qui fuis-je ? Où cours-tu ? A quoi servons-nous ? Vers l’intériorité citoyenne » (2008).

(2)            Aparté avec Thomas d’Ansembourg sur le développement humain et sociétal, recueilli par Michel de Kemmeter (Master in systemic economy. The systemic economy and you. UHDR Universe City) http://www.youtube.com/watch?v=X2Z_wzM9N2Q

(3)            Itinéraire de Michel de Kemmeter sur Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Michel_de_Kemmeter  Ingénieur, consultant, Michel de Kemmeter est devenu chercheur, formateur, conférencier pour la prise en compte de la réalité humaine dans l’économie. Il a publié un livre sur « la valeur du temps (Ed Racine, 2006) . Il a créé un réseau de réflexion et de recherche sur le développement humain et sociétal (Universal human development and research (UHDR) Dans ce cadre, il a réalisé un ensemble d’interviews sur vidéo qui peuvent être consultées sur le web. C’est une ressource précieuse.

(4)            Présentation du livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible ».  Sur ce blog : « Quel avenir pour le monde et pour la France »  https://vivreetesperer.com/?p=937

(5)            Présentation du livre de Jacques Lecomte : « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité ». Sur ce blog : « La bonté humaine. Est-ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674

(6)            Présentation du livre de Jérémie Rifkin : « Une conscience nouvelle pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie ». Sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie » http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html

(7)            Présentation du livre de Frédéric Lenoir : « La guérison du monde ». Sur ce blog : « Un chemin de guérison pour l’humanité » https://vivreetesperer.com/?p=1048

(8)            Propos de Jean-Claude Schwab : « Accéder au fondement de son existence ». Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1295

(9)            Présentation du livre de Harvey Cox : « The future of faith ». Sur le site de Témoins : « Quel horizon pour la foi chrétienne ? » http://www.temoins.com/publications/quel-horizon-pour-la-foi-chretienne-the-future-of-faith-par-harvey-cox.html

(10)      Présentation de la pensée théologique de Jürgen Moltmann   sur le blog à l’intention d’un large public : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/

(11)      Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012. Citation p. 109. Présentation du livre sur ce blog : « une dynamique de vie et d’espérance » https://vivreetesperer.com/?p=572

(12)      Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. 12a : p. 27

(13)      Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Citation p. 24-25

(14)      D’après les travaux de Yann Algan, la défiance est plus répandue en France que dans d’autres pays. Pourquoi ? Comment y remédier ?: « Promouvoir la confiance dans une société de défiance », sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(15)      « Émergence d’espaces conviviaux et aspirations contemporaines. Troisième lieu (« Third place » et nouveaux modes de vie », sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1012&catid=4  Comment envisager la montée de la convivialité et de la collaborativité dans une vision d’avenir ? la théologie de Jürgen Moltmann  nous aide à répondre à cette question : « Une vision de la liberté. Comment vivre ensemble entre êtres humains », sur le blog : Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/?p=1343

(16)      Deux livres récents viennent mettre en évidence le développement et la vitalité de cette nouvelle « société collaborative » : Novel (Anne-Sophie), Riot (Stéphane).Vive la corévolution ! Pour une société collaborative. Alternatives, 2012 ; Manier (Bénédicte). Un million de révolutions tranquilles. Les liens qui libèrent, 2012 . Sur RFI , « C’est pas du vent » animée par Anne-Cécile Bras, dimanche 23 juin 2013, une émission sur ce thème : « la vie Share. Le partage, c’est maintenant » : « Échanger nos biens, nos savoirs entre citoyens d’un même pays ou d’une même planète, le tout grâce à internet . La révolution collaborative, née il y a dix ans aux Etats-Unis, est en plein essor en Europe ».

Une vision de la liberté

Comment vivre ensemble entre êtres humains ?

Au sortir de la société hiérarchisée qui a prévalu pendant des siècles, l’aspiration à la liberté a grandi et s’est manifestée à travers des bouleversements sociaux comme les révolutions qui, à la suite de la Révolution Française, ont parsemé le XIXè siècle. Mais l’aspiration à la liberté ne se manifeste pas seulement au plan de la politique intérieure, mais aussi sur le registre des combats pour l’indépendance nationale par opposition à une domination étrangère et, dans le domaine social, en terme de luttes pour une libération face à l’exploitation d’un groupe dominant. Aujourd’hui encore, l’aspiration à la liberté figure dans l’actualité comme on l’a vu dans les « printemps arabes » et ce ferment est toujours actif.

Cependant, le mouvement pour la liberté n’est pas sans rencontrer des écueils. Il y a des avancées, mais aussi des reculs et des régressions. Le processus dépend pour une part de nos représentations de l’être humain et de la manière de concevoir la vie en société dans une perspective plus vaste. Quelle est notre vision de la nature humaine et de l’avenir de l’humanité ?

Pour répondre à ces interrogations, nous nous inspirons de la pensée de Jürgen Moltmann telle qu’elle s’exprime en quelques pages éclairantes dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1).

La liberté comme maîtrise.

Dans une rétrospective historique, on constate que la liberté s’est affirmée fréquemment en terme de lutte pour le pouvoir. Il y a des vainqueurs et des vaincus. Dans cette perspective conflictuelle, la liberté apparaît comme un privilège de ceux qui dominent. Cela a été le cas dans la société antique. La liberté apparaît alors comme une « maîtrise ». « Celui qui comprend la liberté comme maîtrise ne peut être libre qu’au détriment des autres hommes… Au fond, il ne connaît que lui-même et ce qu’il possède. Il ne voit pas les autres comme des personnes » (p 165). Si nous considérons principalement la liberté  comme la possibilité de faire ce qui nous plaît, nous avons l’impression d’être « notre propre maître ». Mais alors, c’est l’individualisme qui prévaut. Certes, on fixe pour règle de respecter la liberté des autres. Mais n’est-ce pas sous-entendre que « tout homme n’est qu’une limite à ma liberté ». « Chacun est libre pour ce qui le concerne lui-même, mais personne ne se soucie de l’autre…Dans le cas idéal, il s’agit d’une société d’individus libres et égaux, mais solitaires » (p 160). Mais est-ce bien là une situation qui puisse répondre aux aspirations profondes de l’être humain ?

La liberté comme participation.

On peut avoir un autre regard sur la vie sociale selon lequel la liberté s’exerce dans une relation caractérisée par un respect réciproque. « C’est le concept de la « liberté communicative »… C’est dans l’amour mutuel que la liberté humaine trouve sa réalité. Je suis libre et me sens libre lorsque je suis respecté et reconnu par les autres (2) et, lorsque, de mon côté, je respecte et reconnaît les autres » (p 166). Si je partage ma vie avec d’autres, « l’autre n’est plus la limite, mais le complément à ma liberté ». « La vie est communion dans la communication… Nous nous communiquons mutuellement de la vie… Dans la participation à la vie les uns avec les autres, chacun devient libre au-delà des limites de son individualité » (p 166). Ainsi la liberté s’exerce dans la relation sociale. Elle se manifeste dans l’amour ou la solidarité.

En comparant « la liberté comme maîtrise » et « la liberté comme communauté », Jürgen Moltmann éclaire notre interprétation de l’histoire. « Aussi longtemps que la liberté signifie maîtrise, il faut tout séparer, isoler, fractionner et distinguer pour pouvoir dominer. Mais si la liberté signifie communauté, alors on fait l’expérience de l’union de tout ce qui est séparé ». Ainsi deux conceptions s’opposent : d’un côté, une logique individualiste, et d’un autre côté, une vision holistique. Dans cette vision, « l’aliénation de l’homme par rapport à l’homme, la séparation de la société humaine et de la nature, la scission entre l’âme et le corps, enfin la crainte religieuse sont abolies ». « La liberté comme communauté est un mouvement qui va en sens contraire des luttes pour le pouvoir et des luttes des classes dans lesquelles la liberté ne pouvait être comprise que comme domination… La vérité de la liberté humaine consiste dans l’amour qui veut la vie. Elle conduit à des communautés sans entraves, solidaires et ouvertes… » (p 167)

La liberté comme avenir.

Mais, si on  conçoit la vie sociale sans pouvoir fonder sa dynamique dans une perspective d’avenir, sans horizon, alors un enfermement apparaît, un repli se manifeste. « La détermination de la liberté par la foi chrétienne conduit encore au delà de la liberté comme communauté. Nous avons caractérisé la foi chrétienne comme étant essentiellement espérance de la résurrection. A la lumière de cette espérance, la liberté est la passion créatrice pour le possible ». Pour s’exercer, la liberté ne peut se contenter de l’existant. « Elle est référée à l’avenir, à l’avenir du Dieu qui vient » (p 167). Ainsi nous regardons en avant, nous pensons en terme de projet, nous manifestons notre créativité. « Cette dimension de la liberté qui se réfère à l’avenir a été longtemps négligée parce qu’on ne comprenait pas la liberté de la foi chrétienne comme participation à l’agir créateur de Dieu. » (p 168). Dans cette perspective, « nous découvrons la liberté dans la relation de sujet à sujet en relation au projet commun.. ». Jürgen Moltmann nous appelle à entrer dans une vision. « Il est vrai que dans l’histoire dont nous faisons l’expérience, il nous est plus facile de désigner le négatif dont nous voulons nous libérer que d’exprimer le positif en  vue duquel nous espérons devenir libre. Mais c’est l’espérance d’un avenir plus grand qui, dans l’histoire, nous mène vers des expériences toujours nouvelles » (p 168).

Liberté, égalité, fraternité.

Dans cet éclairage, nous pouvons examiner la grande devise de la République française : liberté, égalité, fraternité. Lorsqu’on souffre de l’absence de liberté, on en perçoit le prix. Et l’égalité fait barrage aux privilèges qui entraînent et accompagnent la domination. Mais si l’on s’en tient à ces deux termes, on s’expose à retomber dans une situation où la recherche de maîtrise est sous-jacente et s’exprime dans un individualisme qui défait le lien social… C’est pourquoi, l’adjonction de la fraternité est essentielle. Et, si l’on se reporte à l’histoire, on sait que le terme s’est imposé au cours du processus qui a abouti à la Révolution de 1848 et que, par rapport à l’individualisme bourgeois, des chrétiens socialistes ont joué un rôle dans cette adjonction (3). Une inspiration chrétienne s’est manifestée dans l’émergence de la fraternité. La fraternité va de pair avec la solidarité et elle en est le ferment.

Dans un livre récent : « Le mystère français » (4), deux démographes, Hervé Le Bras et Olivier Todd, nous apportent un éclairage précieux sur la pluralité des cultures dans la société française. Cette réalité est mise en évidence à travers un ensemble de cartes particulièrement significatives. L’interprétation des auteurs peut naturellement être débattue. A notre sens, la notion de fraternité mériterait d’être davantage prise en compte. La crise de l’héritage révolutionnaire dans le grand bassin parisien, peut être perçue comme la résultante d’un déficit de fraternité. Le dynamisme qui se manifeste dans des régions autrefois marquées par un catholicisme hiérarchisé, peut être imputée à la fraternité qui se manifeste dans une inspiration évangélique autrefois contrôlée.

Aujourd’hui, dans la crise économique et sociale et le désarroi qui en résulte, la fraternité nourrit et soutient la vie en société. Elle s’exprime plus difficilement dans une vie politique marquée par la recherche du pouvoir. Mais, d’expérience, certains en savent l’importance. Ainsi, dans le récent livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage » (5), la fraternité est présente dans beaucoup de portraits. Et, à un moment, l’organisation  d’une fête annuelle de la fraternité a manifesté la prise en compte d’aspirations populaires au risque de susciter une réaction hostile chez les tenants de l’idéologie traditionnelle.

Pour une société conviviale

Et pourtant, aujourd’hui, dans la mutation en cours, la politique ne peut ignorer un mouvement profond qui s’exprime dans la reconnaissance de l’empathie (6) et dans l’aspiration à une autre manière de vivre où la dimension fraternelle va de pair avec un mouvement qui va de l’avant. Ainsi Jean-Claude Guillebaud a-t-il intitulé son dernier livre : « Une autre vie est possible » (7).

Dans la même inspiration, on parle aujourd’hui de convivialité. Ainsi, dans un recueil intitulé « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir » (8), Patrick Viveret met en cause la « démesure », ce que les grecs appelaient « l’hubris » comme une des causes de la crise actuelle. Et il conclut en posant la question du vivre ensemble entre les êtres humains. « Nous n’avons plus la facilité de contourner la question humaine en la reportant du côté des choses –passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses – et il nous faut affronter la question du gouvernement des hommes à l’échelle planétaire. C’est fondamentalement, et la question de la démocratie, et au sens le plus radical du terme, la question de la qualité relationnelle interhumaine, j’ose le mot : de la qualité d’amour de l’humanité qui est en jeu dans la suite de sa propre aventure » (p 40) . L’appel à la convivialité s’étend puisque, tout récemment, un « Manifeste convivialiste » (9) vient de paraître.

Comment vivre ensemble entre êtres humains ? Et selon quelle éthique de la liberté ? La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous aide à clarifier les termes du débat… Et, dans cette vision, s’il nous

J.H.

(1)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999.  La pensée théologique de Jürgen Moltman est présenté au public francophone sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/.  Vie et pensée de Jürgen Moltmann à travers son autobiographie : « Une théologie pour notre temps » : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695

(2)            La recherche en sciences sociales, notamment à travers les écrits  de Axel Honneth, met de plus en plus l’accent sur l’importance pour les gens de se sentir reconnu par autrui. Nous renvoyons à recueil de contributions sur ce sujet récemment publié : La reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi. Editions Sciences humaines, 2013. « C’est dans le regard des autres que l’individu trouve la confirmation de son existence, qu’il se sent à la fois semblable et différent. Et qu’il peut trouver les sources de l’amour et de l’estime de soi….Le besoin de reconnaissance touche aussi bien les individus que les groupes ».

(3)            Histoire des origines de la devise : liberté, égalité, fraternité sur Wikipedia francophone et anglophone. http://fr.wikipedia.org/wiki/Liberté,_Égalité,_Fraternité  et http://en.wikipedia.org/wiki/Liberté,_égalité,_fraternité

(4)            Le Bras (Hervé), Todd (Emmanuel). Le mystère français. Seuil, 2013 (La République des idées). Riche présentation et mise en perspective de ce livre sur le blog : « Des petits riens… Petits riens, mais parfois grands bonheurs » (Le Monde.fr) http://jmph.blog.lemonde.fr/2013/05/05/le-mystere-francais-herve-le-bras-emmanuel-todd-le-seuil/

(5)            Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013 Sur ce blog, mise en perspective : « Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres » : https://vivreetesperer.com/?p=1335

(6)            Rifkin (Jérémie). Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie. Les liens qui libèrent, 2011. Mise en perspective sur le site de Témoins : « Vers une civilisation de l’empathie. Apports, questionnements, enjeux » : http://www.temoins.com/etudes/vers-une-civilisation-de-l-empathie.-a-propos-du-livre-de-jeremie-rifkin.apports-questionnements-et-enjeux.html et, sur ce blog: « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137

(7)            Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance ? L’Iconoclaste, 2012.  Mise en perspective sur ce site : « Quel avenir pour le monde et pour la France » : https://vivreetesperer.com/?p=937

(8)            Caillé (Alain), Humbert (Marc), Latouche (Serge), Viveret (Patrick). De la convivialité. Dialogues sur la société conviviale à venir ». La Découverte, 2011.

(9)            Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance. Éditions Le Bord de l’eau, juin 2013 Présentation de ce manifeste «http://www.reporterre.net/spip.php?article4356