Force et joie de vivre dans un engagement politique au service des autres

Le livre de Ségolène Royal : « Cette belle idée du courage ».

Si elle attire enthousiasme ou contradiction, Ségolène Royal a effectué en France un parcours politique qui ne peut être ignoré (1). Dans cette entrée en matière, nous n’avons donc pas à le rappeler. A la suite d’autres livres qui ont ponctué son itinéraire politique, elle vient d’écrire un nouvel ouvrage : « Cette belle idée du courage » (2).

Pourquoi ce livre ?

Et elle nous dit pourquoi : « L’idée de ce livre est née de la question qu’on m’ont tant de fois posée des proches comme des inconnus, des militants et des citoyens, en France et hors de France. « Comment faites-vous pour continuer malgré tout ? » (p 13). Ce  « malgré tout » nous rappelle les épreuves que Ségolène Royal a vécu au cours de ces dernières années : un déchirement dans sa vie privée et des déboires politiques qui se sont succédés, mais qui ne l’ont pas empêché de poursuivre son parcours comme présidente de la Région Poitou-Charentes (3), vice-présidente de l’Internationale Socialiste et aujourd’hui vice-présidente de la Banque publique d’investissement. Le titre même de son chapitre introductif est explicite : « Panser ses plaies et repartir ».

Oui, « pourquoi continuer ? » « La défaite est une violence dont on ne se relève pas par un déni… Accuser le coup n’oblige pas à en rester là. L’effet décapant d’une défaite peut éroder jusqu’aux raisons de se battre, ou, au contraire, les fortifier et aider à faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, permettre d’inscrire le moment douloureux dans une perspective plus large, en cherchant à faire primer le destin collectif sur la mésaventure personnelle et en regardant la part qui nous incombe (p 17).

Et, dans ce chemin, Ségolène Royal nous dit combien elle a été aidée par de grands témoins de pays divers et d’époques différentes. Elle s’est ainsi nourrie « de rencontres, de révoltes partagées et de combats menés » auxquels elle déclare « devoir une bonne part de l’endurance et de la persévérance dont on la crédite ». « Ce livre », nous dit-elle, « exprime une reconnaissance à l’égard des « passeurs de courage ». Leurs leçons sont universelles. Elles peuvent servir à d’autres qui pourront, je l’espère, y puiser, elles et eux aussi, des raisons de tenir bon face à l’adversité, car c’est ainsi qu’on se relève et qu’on avance » (p 18).

Les formes de courage sont multiples et elle en énumère quelques unes :

° « Le courage de dire non, cet acte inaugural dont tous les autre procèdent.

° Le courage de penser à rebours des conformismes ambiants.

° Le courage de vouloir la vérité et celui de briser, à ses risques et périls, les omertas tenaces.

° Le courage du quotidien aussi, le courage de tenir bon et de se tenir droit quand la vie est rude et nous malmène…

° Le courage de vaincre la peur.

° Le courage de se risquer sur des piste inédites et d’oser des réponses neuves » (p 18-19).

Quelles intentions ?

          Dans une interview à « Femme actuelle » (4), Ségolène Royal nous éclaire sur ses intentions.

         Oui, elle a choisi des « personnes capables d’agir et de se mettre en harmonie entre leur comportement et la recherche d’un idéal.

Et, quand on lui demande pourquoi elle apparaît « si sereine, presque hilare, les yeux fermés » sur la photo qui illustre la couverture, elle répond : « J’ai voulu un livre profond, mais aussi plein d’espoir et de gaîté. En effet, on ne peut qu’être frappé par un point commun, à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes, Que ce soit Nelson Mandela, Louise Michel ou Stéphane Hessel etc, ils ont conservé malgré de terribles épreuves, cette aptitude au bonheur, cette capacité à capter la sensibilité des gens,  à se régaler d’un paysage, d’une musique, d’un moment de paix. Ils y puisent aussi leurs forces.

Quels sont ses espoirs ? « Mon espoir, c’est que justement les gens retrouvent de l’espoir et ne cèdent pas au découragement. Le livre n’est pas une projection personnelle. C’est la transmission de leçons de vie enthousiasmantes ».

Ainsi, dans le climat de morosité qui est si répandu aujourd’hui, Ségolène Royal nous offre un livre qui transmet une expérience de vie positive et qui témoigne de valeurs.

Une vision politique.

Ségolène Royal nous présente ainsi une galerie de portraits. Ces personnalités sont certes exemplaires par leur courage, mais le choix qui en est fait, témoigne également d’une vision politique.

Dans cette période où l’unification du mode s’accélère, dans quelle mesure la France est-elle capable d’entrer pleinement dans ce mouvement ? Manifestement, ici, la vision est résolument internationale. La plupart des chapitres témoignent de cet horizon ; Des personnalités d’autres pays, d’autres continents : Nelson Mandela, Dilma Rousseff, Franklin Roosevelt y rayonnent, mais aussi les personnalités françaises citées sont, pour la plupart, très impliquées, à un titre ou un autre, dans la vie internationale. Jaurès n’est pas seulement un grand républicain engagé dans les luttes sociales, il est aussi l’homme de la paix, assassiné parce qu’il a lutté de toutes ses forces contre la guerre de 1914-1918 qui va plonger l’Europe dans le malheur et le chaos. François Mitterrand peut être rangé dans les constructeurs de l’Europe. Aimé Césaire, Stéphane Hessel, Sœur Emmanuel sont des acteurs à l’échelle internationale.

Le choix des personnalités témoigne également de leur engagement dans un mouvement qui, dans différents domaines, œuvre pour une libération, pour la reconnaissance de la dignité humaine et de la justice.

Un premier aspect est la lutte contre ce qui a été l’esclavage et la domination vis-à-vis des peuples d’autres couleurs : Nelson Mandela, André Césaire, Olympe de Gouges, Lincoln. 

Un deuxième aspect est la lutte pour la justice sociale couplée éventuellement avec une politique économique orientée dans le même sens : Lula, Dilma Rousseff, Franklin D Roosevelt, François Mitterrand, Jaurès. Et puis, il y a les actions menées par les ouvriers d’Heuliez et les ouvrières de la confection,  avec le soutien de la présidente de la Région Poitou-Charentes.

Enfin, la présence des femmes en politique et la lutte pour la reconnaissance de la place et de la dignité de la femme dans notre société est fortement représentées comme il se doit quand on pense à l’itinéraire de Ségolène Royal , très consciente des oppositions qu’elle a, elle-même, rencontrées : Leyla Zana, Dilma Rousseff, Sœur Emmanuel, Louise Michel, Olympe de Gouges, Jeanne d’Arc,  Ariane Mnouchkine.

Cette action politique est fondée sur des valeurs explicitées et assumées qui proclament la dignité et le respect de l’être humain dans toutes ses dimensions, à la fois personnelle et sociale. L’homme n’est pas un moyen, mais une fin. Il a droit à la considération,à la justice. Au Brésil, Lula émet un slogan : « Lula, paix et amour » (p 63). En Afrique du Sud, Nelson Mandela remportant la victoire après trente ans de pénible détention, ne cède pas à l’esprit de vengeance. « Il ose l’espoir d’un pays fraternel. Il y engage tout son prestige moral et tout son poids politique, tout son pouvoir de conviction » (p 27). « Etre libre », écrit-il, « ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes.  C’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » (p 21). Dans une dynamique de vie, il y a le geste de pardon. Affreusement torturée pendant la période de la dictature militaire, des années plus tard, lorsqu’elle accède à la présidence du Brésil, Dilma Rousseff écrit : « J’ai enduré les souffrances les plus extrêmes. Je ne garde aucun regret, aucune rancune ». Voilà un état d’esprit qui fait contraste avec l’engrenage de la vengeance et de la mort qui caractérise d’autres épisodes de l’histoire. Ce respect porté à l’être humain est une exigence qui s’inscrit dans la vie quotidienne. Comme Ministre de l’enseignement scolaire, Ségolène Royal a eu le courage d’engager la lutte contre le bizutage, une pratique dégradante implantée dans de nombreux établissements ou les bas instincts trouvaient à se manifester avec la complicité active ou passive des autorités. Face aux préjugés, aux habitudes, aux traditions, on imagine les résistances auxquelles Ségolène Royal s’est heurtée. Ainsi consacre-t-elle un chapitre à l’audience de la Cour de justice de la République, le 15 mai 2000, qui l’a lavée d’une accusation calomnieuse (p 281-304). Oui, déterminée, elle l’a été face à « des rituels répugnants d’avilissement et de domination infligés à des jeunes sous les prétextes fallacieux de la tradition et de l’intégration au groupe » (p 285).

Finalement, cette lutte partout engagée pour la libération des êtres humains par rapport au mal qui leur est infligé par des structures et des forces sociales dominatrices, trouve son fondement dans un sens de la justice  qui, lui-même, s’enracine dans une capacité d’empathie, dans une capacité d’amour. La conclusion du chapitre sur Jaurès nous le dit excellemment : « Jaurès était un ami du peuple, sincère, sans postures ni facilités. Les gens, les pauvres gens l’aimaient, car ils le sentaient du côté de ceux qui souffrent. Personne ne l’a mieux dit que Jacques Brel :

« Ils étaient usés à quinze ans

Ils finissaient en débutant

Les douze mois s’appelaient décembre

Quelle vie ont eue nos grands-parents…

Ils étaient vieux avant que d’être

Quinze heures par jour, le corps en laisse

Laissent au visage un teint de cendre.

Oui, notre monsieur, notre bon maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » (p 192).

La France en chemin

Ce livre ne traite pas de la conjoncture politique actuelle en France. Il témoigne d’un état d’esprit qui a pris de la hauteur en se situant dans la durée et dans le vaste espace du monde. La seule référence à des actions présentes concerne les luttes pour l’emploi entreprises par les ouvriers et les ouvrières d’Heuliez et d’Aubade en Poitou, soutenues par Ségolène Royal, présidente de la région. Mais celle-ci n’a pas oublié tous ceux qui l’ont accompagnée dans son itinéraire politique et particulièrement dans la campagne présidentielle de 2007. « Merci à toutes et à tous, correspondants amicaux, épistoliers fraternels. Ensemble, osons le courage. Voici l’urgence du temps présent… » (p 305-310).

Dans le cadre de ce blog, nous n’entrons pas dans les péripéties politiques. Comme dans ce livre, notre regard se porte sur les fondements et cherche à s’inscrire dans la durée. Mais il y a une relation profonde entre ressenti et compréhension. Et c’est pourquoi nous ne pouvons pas passer sous silence la manière dont nous avons vécu la campagne présidentielle de 2007. Des expressions comme « ordre juste, démocratie participative, intelligence collective, politique par la preuve… » continuent aujourd’hui à nous inspirer. L’appellation donnée à l’association qui a soutenu Ségolène Royal : « Désirs d’avenir » (5) a été pour nous extrêmement évocatrice. En effet, elle exprime bien ce qui monte dans les consciences, une aspiration à un avenir meilleur. Ce n’est pas une idéologie qui descend d’en haut, c’est une parole qui naît en chacun.  Et, de surcroît, cette approche a su s’appuyer sur les sciences humaines pour prendre en compte la réalité (6). Ainsi, nous avons perçu dans cette campagne un enthousiasme qui répondait à la capacité d’empathie de la candidate. Ce n’est pas un hasard si les quartiers populaires, où les cultures du Sud sont bien représentées, ont voté pour elle en masse. La fraternité, la convivialité,  des réalités humaines dont la France a bien besoin, s’éveillaient et devenaient tangibles. Des amis chers ont pu s’inquiéter de cette veine émotionnelle et s’en détourner, mais il y avait là une dynamique qui ne peut être oubliée. On pourrait formuler l’appel qui a été formulé à cette époque dans les termes suivants : Français, entrons ensemble dans le monde d’aujourd’hui dans un esprit de solidarité et de justice. Ségolène Royal regarde vers l’avenir, hors des réflexes sécuritaires.  Les avant-gardes ne sont pas toujours bien reçues, mais, dans la durée, la culture nouvelle parvient à se frayer un chemin.

Des sociologues, des économistes nous appellent aujourd’hui à prendre conscience d’un héritage du passé qui handicape notre pays. Michel Crozier a écrit autrefois un livre sur « La société bloquée » (7). Aujourd’hui, un économiste Yann Algan nous avertit en publiant un livre : « La fabrique de la défiance » (8). Il y a dans notre histoire et la manière dont elle pèse encore sur nos institutions, en particulier le système scolaire, une empreinte de hiérarchisation et d’uniformité. Les enquêtes internationales montrent combien la France est en retard en terme de confiance. Bien sûr, ce n’est pas une fatalité. Et c’est là que le message de ce livre peut exercer une influence. Car une vision originale contribue à modifier et à réorienter les représentations. Et il est possible d’agir à différents niveaux. En une décennie, grâce à des dirigeants hors pair, le Brésil est sorti du sous-développement pour entrer dans le concert des pays économiquement dynamiques. Et dans un plus lointain passé, Franklin D. Roosevelt, malgré un grave handicap physique, a permis aux Etats-Unis de faire face à une grande crise. Ces exemples témoignent de l’impact du politique. Ce livre porte une dynamique.

Un idéal de vie

Si ce livre s’applique surtout à l’expression du courage dans la vie publique, il n’oublie pas les épreuves de la vie privée : « Je comprends le courage qu’il faut pour surmonter les accidents de la vie, cette impression douloureuse d’amputation dans les ruptures affectives, la cassure due à la perte d’emploi ou encore ce sentiment de diminution sans retour causé par la maladie ou le décès d’un être cher, un toboggan sans fin. Tout cela appelle une résilience, une force à aller chercher pour repartir ». « Se sentir « haï par la vie sans haïr à son tour », continuer à « lutter et se défendre » sans devenir « sceptique ou destructeur » pour reprendre Rudyard Kipling (dont le texte : « Tu seras un homme, mon fils » est présenté en introduction) et, sans dire un seul mot, se mettre à rebâtir », si un peu de tout cela est transmis au lecteur qui souffre, alors cet ouvrage n’aura pas été inutile » (p 14-15).

Pour Ségolène Royal, le courage trouve son inspiration dans la participation à un mouvement qui nous dépasse. Elle l’exprime en ces termes : « Réussir sa vie d’homme ou de femme n’est pas le but ultime, il y a des idéaux qui nous transcendent, des luttes qu’on se doit de mener en mémoire de ceux qui crurent. Il faut avoir confiance dans l’homme, et ne pas le croire seulement rationnel, calculateur, court-termiste, car nous avons un labeur qui n’attend pas : le progrès, solidaire et fraternel de tous » (p 192).

Chez Ségolène Royal, cette conscience est si affirmée que les sacrifices consentis dans cette marche ne s’accompagnent pas d’une expression de tristesse, de mélancolie. Et, dans les personnalités qu’elle décrit, elle met l’accent sur leur goût de vivre et leur bonheur d’être. Quelque part, il y a tout au long de ce livre une forme de joie. Rappelons son interview à « Femme actuelle » : « On ne peut qu’être frappé par un point commun à ces différents portraits que je propose, cette capacité à être joyeux malgré des épreuves très fortes ».

Et, dans bien des cas, cette ouverture s’accompagne de bonté envers les autres. Ainsi, Nelson Mandela, depuis sa prison, écrit en 1981 : « C’est une vertu précieuse que de rendre les hommes heureux et de leur faire oublier leurs soucis ». Et ce conseil à retenir : « Prenez sur vous, ou que vous viviez, de donner de la joie et de l’espoir autour de vous » (p 29).

En chemin

Il y a dans ce livre, un souffle, un mouvement. C’est un ouvrage qui dissipe le pessimisme, un livre tonique. A cet égard, on peut le comparer au livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie est possible » (9). Les genres sont différents.  Mais, dans les deux cas, le lecteur est appelé à aller de l’avant. Dans son livre, Jean-Claude Guillebaud analyse les origines du pessimisme actuel. Et, à juste titre, il évoque les grands massacres qui ont accompagné les deux grandes guerres du XXè siècle. L’histoire nous rappelle ainsi de temps à autre la fragilité de la société humaine.

En s’adressant à un vaste public, Ségolène Royal s’exprime sur un registre de parole qu’elle souhaite pouvoir être reçu par tous les lecteurs. Elle prend même des précautions puisque, lorsqu’elle parle de Jeanne d’Arc, elle écrit sur le ton de l’humour : « Moi, je n’ai pas le droit de vous parler de Jeanne d’Arc, car, si je le fais, je sais bien qu’aussitôt on parlera de « religiosité », de « foi », d’évangélisme »…    Ségolène Royal nous invite au courage. Quand on sait les épreuves qu’elle a affrontées, on reçoit ses paroles avec humilité. Oui, ce sont là des paroles authentiques. Elle peut nous parler sur le registre de l’expérience, et ce qu’elle dit, porte. Chacun donc reçoit son message selon son itinéraire et en fonction de son cheminement. Pour nous, si nous recevons pleinement cette expérience communicative, nos questionnements nous appellent à aller plus loin dans la recherche de sens.

Sur ce blog, dans une contribution : « les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection » (10), un poème exprime ces interrogations.

« O, temps de l’avenir, brillante cité terrestre

A quoi te servirait-il que nous te connaissions

Si nos yeux devaient à jamais mourir

Et dans les cimetières, nos corps pourrir…

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous nos cimetières recouvraient la terre… »

Ainsi, pour nous, le courage, pour s’exercer sereinement a besoin de s’ancrer dans un espoir, dans une espérance. Il a besoin de s’inscrire dans la conviction que la mort n’a pas le dernier mot, c’est à dire l’anéantissement des êtres et des collectivités humaines, et qu’il y a,  par delà, une réussite ultime de la vie.

Dans de grands tourments, c’est plus que de courage que nous avons besoin, mais de confiance, comme l’écrit Odile Hassenforder dans son histoire de vie (11). Jürgen Moltmann, un théologien auquel nous avons souvent recours sur ce blog inscrit sa réflexion sur la dynamique de la libération dans une théologie de l’espérance, la vision d’une nouvelle création qui se prépare dans l’œuvre du Christ ressuscité et le souffle de l’Esprit (12). Ce n’est plus une religion statique qui s’adresse aux seuls individus et légitime un statu-quo social et politique. C’est une dynamique de vie et d’espérance qui concerne tout l’homme et tous les hommes et qui nous inspire en nous permettant d’aller « De commencements en recommencements » (13).

En confiant ainsi au lecteur ce cheminement de pensée, nous apportons notre contribution personnelle à la réflexion sur la vie et sur l’humanité, ou plutôt pour la vie et pour l’humanité à laquelle Ségolène Royal nous convie dans son beau livre sur le courage. Oui, il y a dans cet ouvrage, un souffle, une dynamique de vie pour la vie. Elle nous appelle à persévérer, à poursuivre notre action « dans des idéaux qui nous transcendent », et plus simplement dans cette empathie, cet amour en acte qui transparaît dans son message et qu’elle évoque si bien lorsqu’elle nous fait entrer dans la vie de personnalités comme Nelson Mandela, Louise Michel ou Jaurès. Avec Ségolène Royal, écoutons ces « passeurs de courage » qui sont aussi des « passeurs d’énergie ».

JH

(1)            On pourra s’informer sur le parcours politique de Ségolène Royal dans un article sur Wikipedia . Ce texte bien documenté nous montre l’ampleur et la fécondité de son parcours, tout en mentionnant les critiques et les reproches qui ont pu être exprimés vis-à-vis de cette personnalité. Une information récente montre que la rédaction de cet article cristallise les tensions  entre partisans et adversaires. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ségolène_Royal

(2)            Royal (Ségolène). Cette belle idée du courage. Grasset, 2013.

(3)            Présidente de la Région Poitou-Charentes, Ségolène Royal y a entrepris une action innovante dans de nombreux domaines, notamment la politique écologique et la transition énergétique. http://www.presidente.poitou-charentes.fr/

(4)            « Pourquoi ce livre ? » : Interview sur « Femme actuelle » http://www.femmeactuelle.fr/actu/dossiers-d-actualite/interview-segolene-royal-livre-cette-belle-idee-du-courage-02568

(5)            Site de Désirs d’avenir : http://www.desirsdavenir.org/

(6)            Ainsi a-t-elle dialogué avec de grands chercheurs comme Edgar Morin et Alain Touraine. Elle a même écrit un livre avec ce dernier : Royal (Ségolène), Touraine (Alain). Si la gauche veut des idées. Grasset, 2008

(7)            Michel Crozier est l’auteur d’une œuvre sociologique particulièrement éclairante pour comprendre la société française : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Crozier            On pourra lire notamment: Crozier (Michel) ; la société bloquée. Le Seuil, 1971

(8)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance, Grasset, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » https://vivreetesperer.com/?p=1306

(9)            Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible.Comment retrouver l’espérance ? L’iconoclaste, 2012. Voir sur ce blog une mise en perspective : « Quel avenir pour la France et pour le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=937

(10)      « Les malheurs de l’histoire. Mort et résurrection »  https://vivreetesperer.com/?p=744

(11)      Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte, 2011. Présentation sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html.  Le thème de la confiance est très présent dans ce livre : https://vivreetesperer.com/?p=1246

(12)      Un blog : « L’Esprit qui donne la vie » est destiné à faire connaître la pensée de Jürgen Moltmann aux lecteurs francophone. http://www.lespritquidonnelavie.com/  On y trouvera notamment une mise en perspective de son livre de synthèse : Moltmann (Jürgen.) Sun of rightneousness. Arise ! God’s future for humanity and earth. Fortress Press, 2010 : « L’avenir de Dieu pour l’humanité et la terre » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=798 . Une réflexion sur notre rôle dans l’histoire : « En marche. Dans le chemin de l’histoire, un processus de résurrection » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=848

(13)      Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. Voir : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=844  et https://vivreetesperer.com/?p=572

Promouvoir la confiance dans une société de défiance !

Transformer les mentalités et les institutions. Réformer le système scolaire.

Les pistes ouvertes par Yann Algan.

Comment dissiper la méfiance qui s’est installée dans une partie de la société française en perturbant les relations ?

Quel constat ? Quelle analyse ? Quels remèdes ?

Cette question nous concerne personnellement et collectivement. Comment vivons-nous la relation avec ceux qui nous entourent et dans quelles dispositions entrons-nous en contact avec eux ? Comment percevons-nous notre rapport avec les collectivités et les institutions ?

Professeur d’économie à Sciences-po, Yann Algan a écrit en 2007 un  premier livre sur « la société de défiance » (1). En 2008, il a reçu le prix du meilleur jeune économiste français décerné par « Le Monde » et le Cercle des économistes pour ses travaux sur les relations entre confiance et économie. En 2012, il cosigne « la fabrique de la défiance et comment s’en sortir », un livre où l’école tient une large place (Prix lycéen du meilleur livre d’économie) (2). Ses propos rapportés ici dans une interview sur « impact » en vidéo nous aident à y voir plus clair.

Une société de défiance : le diagnostic de Yann Algan.

 Un premier temps : le diagnostic ! Une société de défiance, c’est une société dans laquelle les citoyens se méfient les uns des autres. Et, dans le même mouvement, ils entretiennent beaucoup de défiance vis-à-vis de la direction des entreprises dans lesquelles ils travaillent, et parallèlement, vis à vis des institutions de l’état. La méfiance est ainsi un dénominateur commun.

« Lorsqu’on demande aux Français : « D’une manière générale peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? », ils apparaissent particulièrement méfiants… Au sein de l’OCDE, nous avons, avec le Portugal et la Turquie, la plus faible confiance. En revanche, dans les pays scandinaves, celle-ci est trois fois supérieure à la nôtre. Elle est également très inférieure à celle des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’Allemagne, et même de l’Espagne et de l’Italie » (« La Fabrique de la défiance », p16). La France se classe parallèlement parmi les pays où l’on ressent le plus de pessimisme et où on éprouve le plus de mal être.

Il y a un lien entre les différents champs d’activité où on peut observer des formes de défiance.

Le système scolaire français, très hiérarchisé, impose aux élèves des comportements qui ne leur permettent pas de grandir dans la confiance. La transmission des savoirs de haut en bas reste dominante. Et l’enseignement français se caractérise par une méthode de classement qui stigmatise certains élèves durant toute leur vie.

Ces comportements intériorisés se retrouvent ensuite dans la majorité des entreprises françaises (3) dirigées de haut en bas par une élite formée dans les grandes écoles, des managers qui ont peu appris à collaborer avec leur personnel. Les enquêtes internationales font apparaître que les entreprises françaises sont, avec leurs homologues japonaises, les entreprises qui sont dirigées le plus verticalement, avec un moindre degré de coopération et davantage de conflictualité.

La méfiance s’exerce également vis-à-vis des institutions de l’État. L’État apparaît en effet comme hiérarchisé, dirigé par une petite élite, peu transparent. Cette situation s’accompagne d’un ressenti des inégalités de statut. Les enquêtes internationales mettent en évidence une défiance des citoyens français vis-à-vis des institutions publiques plus grande que celle qui apparaît dans d’autres pays, même par rapport à des pays d’Europe continentale et jusqu’aux pays méditerranéens.

Si le degré de confiance est plus bas en France que dans la majorité des pays comparables, en fonction de la crise, il a encore baissé au cours des trois dernières années. Et, plus encore, il a baissé davantage que dans d’autres pays confrontés avec la même crise.

Cette situation a des effets extrêmement négatifs, non seulement dans la manière dont elle conditionne les relations personnelles, mais aussi par son impact à une échelle globale. Yann Algan estime que cette négativité engendre une perte de 1,5 à 2% du Produit Intérieur Brut. Dans les sociétés post-industrielles, l’innovation a une importance considérable. Or, pour se développer, l’innovation requiert un climat qui favorise la coopération et l’initiative.

Le bonheur des français selon Claudia Senik.

Signalons ici une autre recherche qui vient d’être diffusée et dont les résultats convergent avec les investigations de Yann Algan. Une économiste française, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Claudia Senik, a publié en 2011 une étude rédigée en anglais : « The French unhapiness puzzle : The cultural dimension of happiness » (le mystère du malheur français : la dimension culturelle du bonheur). Les résultats de cette recherche apparaissent aujourd’hui au grand jour (4).

Dans une interview sur Rue 89 (5), Claudia Senik nous indique le sens de sa recherche : « J’ai mené plusieurs travaux sur la relation entre revenu et bien être, et en faisant ces travaux, en utilisant des enquêtes internationales, je me suis rendu compte que la France était tout le temps, en dessous des autres pays en terme de bien être moyen. Les français transforment systématiquement un niveau de vie donné en un niveau de bonheur moindre que dans les autres pays en moyenne. Et cet écart est assez stable depuis qu’on a des données (les années 70). Quand on est en France, toutes choses égales par ailleurs, on a 20% de chances en moins d’être heureux, en tout cas de se dire très heureux ».

La poursuite de cette recherche a fait apparaître un lien entre ce ressenti et une orientation culturelle. Ainsi, l’auteur s’interroge beaucoup sur le rôle de la première instance de socialisation : l’école. Une observation accompagne cette réflexion : « Les immigrés qui sont passés par l’école en France depuis un très jeune âge sont moins heureux que ceux qui ne sont pas passés par l’école française. On peut penser que les institutions de socialisation primaire formatent assez lourdement ».

Dès lors, comme le rapporte un article paru dans « Le Monde » (6), sur le registre des hypothèses, Claudia Senik formule des recommandations pour l’enseignement français. « Comment être heureux dans un monde mondialisé, si l’on ne maîtrise pas l’outil de la mondialisation qu’est la connaissance des langues étrangères ? Le système français est trop unidimensionnel. Il classe les gens en les notant essentiellement sur les maths et le français et présente un niveau d’exigence trop élevé dans une seule dimension. Autrement dit, les enfants qui ne sont bons  ni en math, ni en français, mais qui peuvent avoir du talent pour d’autres disciplines s’habituent à se penser eux-mêmes en niveau d’échec, surtout dans un pays où l’on proclame l’égalité des chances ».

L’interpellation du système scolaire par Claudia Senik rejoint celle qui est formulée par Yann Algan sur le même sujet.

Promouvoir la confiance

Lorsqu’on revient au thème central : la défiance répandue en  France, comment, en regard, promouvoir le développement de la confiance ? On peut s’interroger sur les origines historiques de cette attitude. Elle remonterait à l’entre-deux guerres et se serait surtout développée à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, Yann Algan voit les causes de cette défiance principalement dans le dysfonctionnement des institutions. En réformant les institutions, il y a donc une possibilité d’y remédier. Yann Algan met en évidence un mauvais fonctionnement des institutions étatiques. Nous voudrions ici rapporter ses critiques sur le système scolaire et, en regard, les propositions de réforme.

Le système scolaire en France. Analyses et remèdes.

Ces analyses  se retrouvent dans différentes publications de Yann Algan. Il y revient dans un récent article paru récemment dans « Le Monde » (7) où il recommande à l’école, la mise en oeuvre d’un vivre ensemble plutôt que la mobilisation autour de l’enseignement d’une morale. « Quels grands principes « moraux » l’école doit-elle transmettre si ce n’est l’art de vivre ensemble ? »

Tout se tient. Le manque de confiance engendré par le système scolaire est lié aux modes de relation qui l’emportent aujourd’hui dans ce système. Toutes les mesures internationales montrent que l’écolier français se sent beaucoup moins bien à l’école que les enfants des autres pays développés. « A la question posée dans quarante pays différents : « Vous sentez-vous chez vous à l’école ? », plus d’un de nos enfants sur deux répond par la négative. C’est de loin la pire  situation de tous les pays. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de quatre élèves sur cinq déclarent se sentir chez eux à l’école, qu’ils habitent en Europe continentale, méditerranéenne ou dans les pays anglo-saxons ». (« La fabrique de la défiance », p 107). Notre école a beau rappeler les grands principes de vie ensemble, elle développe moins le goût de la coopération que celui de la compétition.

Et, d’autre part, la hiérarchie présente dans le système scolaire se manifeste très concrètement dans la prédominance de méthodes pédagogiques trop verticales. « Notre école insiste trop exclusivement sur les capacités cognitives sans se soucier des capacités sociales de coopération avec les autres. Selon des enquêtes internationales (Piris et Timss) sur les pratiques scolaires, 56% des élèves français de 14 ans déclarent consacrer l’intégralité de leurs cours à prendre des notes au tableau, en silence. C’est le taux le plus élevé de l’OCDE après le Japon et la Turquie. Où est l’échange, le partage, la relation ? D’autant qu’à contrario, 72% de nos jeunes déclarent ne jamais avoir appris à travailler en groupe avec des camarades ! ». Et, par ailleurs, il est nécessaire d’agir dès le plus jeune âge. « Les compétences sociales et plus généralement les capacités non cognitives comme la coopération avec les autres, l’estime de soi et la confiance dans autrui, se développent très tôt, dès 3-4 ans ».

Yann Algan met ainsi en évidence un dysfonctionnement profond de notre système scolaire qui s’enracine dans une longue histoire. Au long des années, des groupes militants ont cherché à corriger cette trajectoire en développant des formes nouvelles d’éducation. Nous avons nous-mêmes participé à cette entreprise en oeuvrant pour le développement des bibliothèques, des centres documentaires et pour l’innovation dans l’enseignement. La recherche de Yann Algan et de ses collègues montre combien le système scolaire français est resté traditionnel et l’ampleur du chemin qui reste à parcourir. Mais aujourd’hui, la mutation culturelle exige une transformation profonde de notre système scolaire et éducatif. Quoiqu’il en soit, les jeunes participent par ailleurs aux formes nouvelles qui induisent des changements de mentalité.

Les origines culturelles.

Yann Algan met en évidence les dysfonctionnements institutionnels qui engendrent une défiance et recommande des réformes en profondeur pour y remédier. Mais n’y a-t-il pas également des racines de la défiance dans la culture telle qu’elle influe sur les représentations. En traitant de la question des freins au bonheur dans les esprits, Claudia Senik évoque cette hypothèse. Mais, plus avant, si le système scolaire engendre des comportements de défiance, il est le produit d’une histoire qui remonte dans le passé et qui témoigne d’une culture marquée par une tradition hiérarchique. Si, comme on l’a vu, les élèves français ne se sentent pas chez eux à l’école, ne serait-ce pas parce que celle-ci est encore imposée de l’extérieur à la société et s’inscrit dans des formes bureaucratiques et corporatistes ? Dans son livre : « La Société de confiance » (8) qui fait suite au « Mal Français », Alain Peyrefitte met en évidence l’influence de l’inspiration protestante dans toute une gamme de pays où on peut observer aujourd’hui encore des comportements davantage empreints de confiance. A contrario, l’histoire de France est marquée par un conflit entre l’Ancien Régime et la Révolution, entre une Eglise catholique hiérarchisée et des forces contraires qui ont également imposé d’en haut leur idéologie (9). Ainsi, dans son livre : « La France imaginée » (10), Pierre Birnbaum montre comment, au XIXè siècle, la tradition centraliste et unitaire a prévalu, des passions rivales en faveur de l’uniformisation s’affrontant l’une contre l’autre. Et, de même, des milieux opposés étaient structurés par des mécanismes hiérarchiques. Cette tradition se dissipe peu à peu. Mais, dans les années d’après-guerre, un sociologue, Michel Crozier, pouvait encore parler de la France comme « une terre de commandement ». On voit bien en quoi la transformation des mentalités est appelée à se poursuivre.

La confiance comme réalité spirituelle.

Dans les aléas de l’histoire, il demeure que la confiance est une réalité spirituelle. Et si cette réalité se manifeste au plan personnel, elle prend aussi une forme sociale. Ce blog essaie de témoigner de cette réalité (11). On observe dans l’histoire des formes de coopération qui peuvent être considérées comme une avant garde. Dans la plupart des pays, la vie associative est de plus en plus répandue. Et aujourd’hui, à l’échelle internationale, on perçoit un mouvement croissant de convivialité. A travers certains milieux, la France y participe. Et par delà les obstacles locaux et les replis conjoncturels, une vision spirituelle de la confiance se dessine : « Être vivant signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion… L’ « essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’accord général » (12).

Dans la mutation actuelle de la culture et de la société, la confiance devient de plus en plus une requête sociale. Si faire confiance aux autres est l’expression d’un choix existentiel, c’est aussi une contribution à une dynamique sociale cherchant à réaliser un environnement plus positif.

J. H.

(1)            Algan (Yann), Cahuc (Pierre). La société de défiance. Ed Rue d’Ulm, 2007.

(2)            Algan (Yann) Cahuc (Pierre), Zylbergerg (André). La fabrique de la défiance. Grasset, 2012. Les auteurs, trois économistes réputés, montrent comment « la défiance est au cœur du pessimisme français… Elle n’est pourtant pas un héritage culturel immuable ». De fait, elle résulte d’un cercle vicieux où le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’état ». Ce livre propose une dynamique de réforme. « Il n’y a pas de fatalité au mal français. La confiance aussi se fabrique… ». Itinéraire de Yann Algan sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Algan Nous présentons une interview de Yann Algan recueillie par Impact et présentée sur You Tube : http://www.youtube.com/watch?v=aXCRkEAtE9U

(3)            Voir aussi : Philippon (Thomas. Le capitalisme d’héritier. La crise française du travail. Seuil, 2007. Présenté dans un article : « Défiance ou confiance » sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html

(4)            On peut entendre Claudia Senik exposer son approche sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/xzfq07_l-entretien-claudia-senik-auteur-de-l-etude-le-mystere-du-malheur-francais_news#.UY9XCK7j4Ss

(5)            Claudia Senik. « Le malheur français, c’est quelque chose qu’on emporte avec soi ». Rue 89. Le grand entretien 03/04/2013 http://www.rue89.com/2013/04/03/malheur-francais-cest-quelque-chose-quon-emporte-soi-241113

(6)            Claudia Senik. La France ne fait pas le bonheur (suite). Le Monde. 01.04.2013 http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(7)            Yann Algan. La morale laïque, culture commune nécessaire au ciment d’une société. Le Monde.fr. 21.04.2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/01/la-france-ne-fait-pas-le-bonheur-suite_3151441_3232.html

(8)            Peyrefitte (Alain). La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du développement. Odile Jacob, 1995. Ce livre est une thèse de doctorat qui marque l’aboutissement d’une longue recherche de l’auteur sur le thème de la confiance et met en évidence le rapport entre confiance et développement.

(9)            Sur le site de Témoins : Deux articles sur les antécédents historiques qui influent sur le rapport confiance-défiance en France : « Défiance ou confiance. Quel style de relation ? Quelle société ? » (mai 2007) http://www.temoins.com/societe/defiance-ou-confiance.html  « Les rapports entre le politique et le religieux »  (octobre 2004) http://www.temoins.com/etudes/les-rapports-entre-le-politique-et-le-religieux.html

(10)      Birnbaum (Pierre). La France imaginée. Déclin des rêves unitaires. Gallimard. 1998.

(11)      Ce blog accorde une importance majeure au thème de la confiance dans ses différents registres : personnel et collectif. Nous rappelons ici quelques uns de ces articles : « Vivre en harmonie » : https://vivreetesperer.com/?p=43  « Amitié ouverte » : https://vivreetesperer.com/?p=14 « Confiance ! Le message est passé. » : https://vivreetesperer.com/?p=1246 « La force de l’empathie » : https://vivreetesperer.com/?p=137 « Un chemin de bonheur. Les écrits de Marcelle Auclair » : https://vivreetesperer.com/?p=748 « Un chantier peut-il être convivial ? » : https://vivreetesperer.com/?p=133 « Se rencontrer à travers un jogging » : https://vivreetesperer.com/?p=246 « Apprendre à vivre ensemble » : https://vivreetesperer.com/?p=806 « La bonté humaine » : https://vivreetesperer.com/?p=674 « Laissez-les lire ! » : https://vivreetesperer.com/?p=523 « Travailler dans les nouvelles technologies : un itinéraire professionnel fondé sur la justice » : https://vivreetesperer.com/?p=1056 « Construire une société où chacun se sentira reconnu et aura sa place » : https://vivreetesperer.com/?p=1240 « Une nouvelle manière d’enseigner. Participer ensemble à une recherche de sens » : https://vivreetesperer.com/?p=1169

(12)       Nous nous référons ici à la pensée de Jürgen Moltmann, qui nous propose une théologie de l’espérance, qui est la source d’une dynamique de confiance. Introduction à la pensée de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com/ Vie et pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » : http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html Les citations mentionnées ici sont extraites de son livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Le Cerf, 1988 (citations p.12 et p. 25).

Barack Obama : un homme de bonne volonté

A la recherche d’une humanité plus solidaire.

 

Dans ce monde fragile et instable, le rôle des Etats-Unis d’Amérique, qui reste la première puissance mondiale, est évidemment considérable. Ainsi, dans une planète,  de plus en plus interdépendante, l’élection du président des Etats-Unis retient aujourd’hui l’attention de tous les habitants du monde, au moins de ceux qui ont conscience de cette interrelation. Ainsi, avions-nous vécu avec consternation la défaite d’Al Gore face à George W. Bush, il y a douze ans. Nous avions comme un  pressentiment que ce choix du peuple américain était dangereux. Hélas, la guerre d’Irak a suivi.

 

Ainsi, avons-nous salué la victoire de Barack Obama en 2008 avec d’autant plus d’enthousiasme qu’à notre sens ce choix ouvrait un nouvel horizon pour les Etats-Unis et pour notre planète. Dans cette « nation-monde » que sont devenus les Etats-Unis, microcosme de notre univers par la participation de cultures issues de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie, cette élection marquait en effet une grande victoire contre la discrimination raciale et ouvrait un chemin vers la « modernité métisse » dont nous parle Jean-Claude Guillebaud dans une belle analyse du monde nouveau qui s’annonce (1). Dans le même mouvement, la politique internationale des Etats-Unis retrouvait le sens du respect mutuel. C’était aussi une victoire de valeurs qui élargissent la vie démocratique en mettant l’accent sur la solidarité dans la lutte contre des inégalités qui engendrent le malheur de beaucoup de gens et le désordre dans la société et dans l’économie. C’était aussi une prise de conscience écologique, le souci d’assurer le respect de la nature et la survie de la planète. Nous nous sommes expliqué sur la manière dont nous avons perçu le grand tournant qu’a été l’élection de Barack Obama. (2)

 

Depuis, les années ont passé, avec tout un lot de désillusions. Les commentateurs ont mis en évidence les limites de l’action engagée par ce président. Mais celui-ci a du faire face à la grande crise économique et aux forces conservatrices qui ont fait barrage dans d’autres instances. On peut enregistrer des désaccords, constater un passif, mais la longue bataille pour un élargissement de la protection de la santé et la relative victoire qui a été remportée, ont manifesté la persévérance de ce président. Et lorsque, à l’occasion de cette campagne, on peut prendre du recul, il apparaît que Barack Obama a poursuivi un dessein dans un contexte difficile avec les erreurs humaines qui sont le lot de chacun.

 

Ainsi, sans parti pris et sans nous attacher au détail d’un programme sur lequel nous n’avons pas à nous prononcer, nous avons à nouveau considéré les enjeux. Un examen des forces en présence nous a rappelé le clivage qui existe dans ce pays entre un choix de solidarité sociale et un individualisme conservateur. Et dans une relation profonde avec le message de l’Evangile, nous ne pouvons approuver un socle de pensée que l’on pourrait exprimer dans les termes : « Chacun pour soi et Dieu pour tous » !

 

Lorsqu’on considère la motivation de  Barack Obama, on constate à travers son parcours et son expression qu’il est imprégné des paroles du Christ qui nous appelle à porter attention aux pauvres et aux déshérités (3). Bien sûr, en admettant que le message chrétien peut être interprété avec des accents différents, nous sommes néanmoins attristé que Barack Obama suscite tant d’allergie dans plusieurs milieux chrétiens américains (4). On peut entendre en partie cette méfiance comme l’expression d’une mentalité qui est attachée à l’ordre et à l’autorité. A propos de cette élection, un commentateur chrétien, Jay Butcher (5), rappelle les paroles de Jésus sur l’exercice du pouvoir : « Vous savez que les chefs de nations les tyrannisent et que les grands les asservissent. Il n’en sera pas de même parmi vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur » (Matthieu 20 . 25-26). Lorsque nous regardons la personne de Barack Obama, sa sensibilité (6), son empathie, son respect vis à vis des autres, son intelligence compréhensive, on se dit qu’à sa mesure et dans son contexte, il s’efforce de suivre une éthique caractérisée par une attention à l’autre et un esprit de service. Ainsi, dans l’humanité qui se révèle à travers son parcours, on peut dire de lui qu’il est « un homme de bonne volonté ».  C’est un encouragement dans la recherche d’un monde plus humain et plus solidaire.

 

J H

 

(1)            Guillebaud (Jean-Claude).  Le commencement d’un monde. Vers une modernité métisse . Seuil, 2008. Mise en perspective : «Vers une modernité métisse » http://www.temoins.com/societe/vers-une-modernite-metisse-le-commencement-d-un-monde-selon-jean-claude-guillebaud./toutes-les-pages.html

(2)            « Le phénomène Obama . Un signe des temps » http://www.temoins.com/societe/le-phenomene-obama.-un-signe-des-temps/toutes-les-pages.html

(3)            Pendant la campagne, un site : « People of faith for Obama » a exprimé l’inspiration spirituelle du candidat : « Le président Obama est un chrétien engagé (« committed christian ») qui sait que la foi et les valeurs ne sont pas seulement un ancrage personnel. Elles sont aussi une force puissante pour le bien commun ». Ce texte met l’accent sur la solidarité et l’attention pour les plus défavorisés.  Voir la vidéo… http://www.barackobama.com/people-of-faith/  Diana Butler Bass, historienne, sociologue et théologienne, décrit Barack Obama comme témoignant d’une foi chrétienne où convergent la conviction passionnée de l’église afro-américaine, l’ouverture oecuménique du protestantisme contemporain et le christianisme social qui remonte à la fin du XIXè siècle. C’est une synthèse originale. http://www.freerepublic.com/focus/f-news/2948039/posts

(4)            Un site : « Pew forum of religion and public life » est une source régulière d’information statistique et sociologique sur les attitudes religieuses et la vie publique. La répartition des votes n’a pas beaucoup changé depuis la dernière élection présidentielle. Le candidat républicain recueille une majorité substantielle de votes chez les évangéliques blancs et chez les pratiquants assidus. Obama recueille une majorité substantielle de votes chez les protestants noirs, les catholiques hispaniques, les juifs et les personnes sans affiliation religieuse. http://www.pewforum.org/Politics-and-Elections/How-the-Faithful-Voted-2012-Preliminary-Exit-Poll-Analysis.aspx

(5)            «The best is yet to come » par Jay Butcher, du « London Institute for Contemporary Christianity. http://us5.campaign-archive1.com/?u=2d890204e49f49d788e3a0b12&id=d46d3887bd&e=6d2a513188

Cette sensibilité se manifeste dans une vidéo émouvante où Obama, remerciant ses jeunes supporters, essuie quelques larmes : http://www.youtube.com/watch?v=6pB6vqb2fnY

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 2

La montée du pessimisme et de la négativité.

Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible

Tout au long de ce livre et plus particulièrement dans certains chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous aide à comprendre les évènements qui ont engendré le pessimisme actuel, à en analyser le contenu et en discerner les contours. Sa réflexion s’appuie sur des connaissances historiques ou sociologiques, mais elle fait appel aussi à son expérience et à son ressenti. Elle s’articule avec les engagements socio-politiques de l’auteur qu’on découvre ainsi au fur et à mesure. On peut diverger sur tel ou tel point, mais son réquisitoire vis-à-vis de la montée d’idées négatives nous  paraît convaincant. Nous reprendrons ici quelques points en guise d’exemples.

Rétrospectivement, la grande guerre 1914-1918 apparaît comme un point d’inflexion majeur dans la conjoncture historique. « A ce moment-là, l’Europe a été « mise au tombeau », comme l’écrivait le philosophe Gershom Sholem, dans son journal intime en date du 1er août 1916. Le reste procède d’un enchaînement irrésistible des causes et des effets » (p 38). Cet immense massacre a engendré un scandale incommensurable. Il a brisé l’optimisme européen et assailli les valeurs qui l’accompagnaient. Et puis, la Grande Guerre a été « la matrice, la cellule souche d’un siècle ensanglanté… A partir de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, événement déclencheur de la boucherie mondiale où s’abîmèrent trois empires, une série d’emboîtements historiques se succédèrent comme autant de répliques du séisme initial… Pendant soixante-quinze années, il y eut un enchaînement de causes et d’effets dont 1914-1918 fut le déclencheur. Au terme symbolique du XXè siècle, toutes les « valeurs » dont se prévalait l’Europe se retrouvèrent corrompues, tordues, salies, déconsidérées » (p 43-44).

On sait quelle a été l’emprise totalitaire du communisme et comment elle s’est finalement effondrée en 1989. Jean-Claude Guillebaud attire notre attention sur un point. Le communisme a compromis certaines valeurs dont il s’était emparé et qu’il avait travesties : l’aspiration égalitaire, un investissement dans le déroulement de l’histoire. Dans le trouble des valeurs, un capitalisme sauvage s’est engouffré. « Tétanisé par sa victoire, sur de lui-même, devenu vulgate à son tour, le capitalisme n’a plus rien de commun avec le capitalisme relativement civilisé de l’après-guerre ». Au « capitalisme rhénan » a succédé « un capitalisme du désastre » selon le mot de l’essayiste Naomi Klein » (p 62). L’auteur justifie ses propos par une analyse de l’idéologie qui a investi le capitalisme. « La dévastation axiologique est facile à comprendre. Si les marchés sont plus « efficients » que la délibération démocratique, alors la volonté qu’expriment les citoyens s’en trouve réévaluée à la baisse. Elle éveille même une méfiance de principe… Selon la nouvelle vulgate néolibérale, l’avenir ne sera plus  « construit » par les citoyens, mais « produit » par le marché… L’économie mondiale devient, dans les faits, un « processus  sans sujet » pour reprendre une expression de Louis Althusser… » (p 63). La grande crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis 2008 a révélé au grand jour la faillite de cette idéologie. Nous voici dans « le manque et l’austérité ». Mais, de fait, le reflux de l’économie date maintenant de plusieurs décennies, des deux chocs pétroliers de 1974 et 1978. « Voilà plus d’une génération que nous sommes entrés dans une société de la précarité, du chômage de masse et de la dureté sociale ». « On peut comprendre que notre représentation du futur ait changé de signe. De positive, elle est devenue négative. Les économistes, avec leur propre langage, parlent d’une « dépréciation de l’avenir ». (p 68).

Tout au long de ce livre, l’auteur nous fait entrer dans un débat intérieur où lui-même se trouve parfois tenté par le découragement. Mais, en même temps, il participe à la dynamique d’un courant associatif dont il nous montre l’étendue et la force. Souvent appelé à intervenir dans des réunions et des débats, il y trouve un encouragement et un réconfort. « Jamais, je dis bien jamais ! je n’ai regretté une seule de ces rencontres. J’en revenais avec la certitude d’avoir reçu, en matière d’idées et d’espérance, bien plus que je n’ai jamais donné » (p 86). Quel contraste avec la prétention de certains cercles parisiens, la superficialité et le cynisme qui transpirent dans certains médias. Il y a, nous dit Jean Claude Guillebaud, un préjugé collectif porté par l’air du temps, ce qu’il appelle une « subpolitique » : réflexes langagiers, minuscules conformismes, clichés médiatiques (p 178). Cette sous-idéologie rampante correspond au fameux « lâcher-prise ». L’expression est plus à la mode que jamais. Elle suggère que nous renoncions une fois pour toute à transformer le monde »… » (p 179).

« La même perte menace la vie culturelle, une perte d’autant plus insidieuse qu’elle se présente comme un assagissement… L’appétence nouvelle pour la philosophie gréco-romaine n’est pas sans rapport avec le désarroi contemporain. Message implicite : on a échoué à « réparer » le monde, occupons-nous de nous-mêmes, donnons la priorité à nos propres désirs… Stoïcisme ou épicurisme sont deux manières de consentir au réel sans volonté de le transformer… Aujourd’hui, la fascination pour la sagesse (passive) et le consentement résigné au « destin » trahissent le creusement d’un vide. Ils signalent un grand désenchantement collectif. J’allais dire « une exténuation très européenne » (p 182-184). Et, en effet, grand voyageur, l’auteur constate que le monde bouge, que « l’Asie entière vit dans le (ou les) projets alors que l’Europe met en ordre ses souvenirs » (p 185).

Jean Hassenforder

 

Suite de :

Quel espoir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.

A suivre :

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3 : Des raisons d’espérer.

 

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3

Des raisons d’espérer.

Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible

Ce livre commence par un témoignage qui porte. En effet, grand reporter au « Monde », Jean-Claude Guillebaud a été confronté à de grandes catastrophes. Mais il n’a pas succombé à la tentation du désespoir. Il n’a pas baissé les bras. « Du Biafra (1969) à la Bosnie (1994), j’ai vu mourir et s’entretuer les hommes. En toute logique, cet exil consenti dans les tragédies du lointain aurait du faire de moi un tourmenté sans illusion sur la nature humaine… On attend de moi des propos sombres, voire un dégoût de la vie… Ce n’est pas le cas… Mon optimisme n’a pas « survécu » aux famines éthiopiennes, aux assassinats libanais ou aux hécatombes du Vietnam. Tout au contraire, il leur doit d’exister. Quand je me remémore ces années là, c’est l’énergie des humains, l’opiniâtreté de leur espérance, l’ardeur de leurs recommencements qui me viennent en tête… Des hommes continuaient à penser qu’au delà des souffrances et des dévastations, un demain demeurait possible. A cette espérance droite et forte s’ajoutait une solidarité instinctive, un réflexe d’entraide qui en était à la fois la cause et la conséquence » (p 22-23). Présumons que si l’auteur a su voir cette face de la vie, c’est que son regard était bien disposé pour le reconnaître. Aujourd’hui, sa réflexion s’est approfondie et il évoque pour nous des raisons d’espérer.

La manière dont nous vivons dépend largement de nos représentations. L’auteur évoque le concept de « représentations collectives » formulé par Emile Durkheim. Et pour lui, ces représentations collectives consistent en des convictions. « Elles appartiennent au registre de la croyance dans une acception large du terme » (p 110). Et c’est pourquoi dans les raisons d’espérer, nous reprendrons ici en premier la pensée de l’auteur. Dans le chapitre consacré à la vision du futur telle qu’elle apparaît dans la Bible hébraïque et chez les prophètes juifs. « Souviens-toi du futur ! », cette injonction est empruntée au quatrième commandement (Deutéronome 25. 17-19). « Se rappeler le futur, c’est ne pas oublier que nous sommes en chemin vers lui, en marche vers un avenir dont nous pensons qu’il sera meilleur » (p 165). « Ainsi l’espérance a une histoire. Et l’histoire elle-même a une histoire ». D’une certaine manière, elle se fonde sur la parole des prophètes juifs. « Le messianisme des prophètes a brisé net avec la représentation circulaire du temps des grecs et des orientaux… L’histoire des hommes ne doit plus se vivre comme calquée sur la circularité du cosmos. Elle s’enracine dans un passé, une mémoire, une tradition et se déploie vers un futur, un projet, un dessein individuel ou collectif » (p 166) ». De l’adaptation au monde postulée par les diverses formes de la sagesse grecque, on passe à une action volontaire pour réparer le monde. Ce dernier a une histoire. La méchanceté qu’il porte en lui n’est ni fatale, ni inguérissable. La tâche des humains est de ne plus abandonner le monde aux méchants, c’est à dire aux plus forts et aux plus riches » (p 167). Jésus déclare heureux ceux qui placent au centre de leur vie le souci de la justice ». L’espérance chrétienne s’inscrit dans le sillage de la Bible juive. Dans la religion instituée, elle a souvent été négligée sous l’influence de l’installation de l’Eglise dans l’empire terrestre ou d’une évasion de l’âme inspirée par la philosophie grecque. Ainsi, sans la citer, la pensée de Jean-Claude Guillebaud rencontre celle de Jürgen Moltmann dans sa refondation d’une théologie de l’espérance (1). Jürgen Moltmann, comme l’auteur, se référent au « maître livre » du philosophe Ernst Bloch, « Le principe espérance » (p 16). Le concept laïque de progrès théorisé par Condorcet dans son « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1975) s’inscrit dans une conception de l’histoire qui va du passé à l’avenir. Par la suite, une dérive est intervenue. « Le concept d’histoire a été absolutisé… Le messianisme originel a été travesti par le communisme qui a engendré la violence et les massacres qui en ont résulté ». Il y a bien une « tentation de l’impatience ». Au contraire, l’espérance chrétienne fait toute sa place à l’attente » (p173).

Cette attente implique un sens de l’écoute et de l’observation. Et aujourd’hui, cette disposition d’esprit nous permet de percevoir la grande mutation dans laquelle nous sommes engagés. « Un changement radical est bel et bien à l’oeuvre, un de ces basculements comme il s’en produit une ou deux fois par millénaire, et peut être moins souvent encore… » (p 121). Jean-Claude Guillebaud est bien placé pour nous en parler, car, au milieu des années 1980, quittant le journalisme pour devenir éditeur et s’occuper de sciences humaines, il a voulu analyser, l’une après l’autre, les mutations bien réelles qui nous « embarquent » (p 121). Ainsi a-t-il écrit huit livres à ce sujet. « De 1995 à 2012, ces dix sept années de travail, de lecture et d’écriture m’ont convaincu d’une chose : la métamorphose que nous vivons est prodigieuse » (p 121). Et, comme les transmutations en cours sont porteuses à la fois de menaces et de promesses, « notre devenir dépend de notre discernement, puis de notre détermination… L’avenir, en somme, a besoin de nous… Nous sommes appelés à une espérance engagée » (p 122).

Si les mutations en question se mêlent, et, invisiblement, se conjuguent, Jean-Claude Guillebaud en dénombre cinq : « Une mutation géopolitique : le décentrement du monde ; une mutation économique : la mondialisation ou globalisation ; une mutation qui touche à la biologie : le pouvoir d’agir directement sur les mécanismes de la vie ; une mutation induite par les technologies  les plus avancées : la révolution numérique ou informatique ; et enfin la prise de conscience écologique. « Partout, autour de nous, un monde germe » et comme l’auteur intitule ce chapitre, « cet autre monde respire déjà ».

C’est le moment de voir plus grand, plus loin, d’inscrire notre réflexion dans la longue durée. Nous pourrons alors percevoir des évolutions positives, et, à partir de là, adopter un regard nouveau et évaluer différemment les situations. Ainsi, nous dit l’auteur, contrairement à ce qu’on peut imaginer à partir du bruit médiatique, les historiens nous montrent que le niveau de violence n’a cessé de diminuer dans nos sociétés » (p 191).

Et les démentis apportés au « paradigme du pessimisme », à « l’inespoir dominant », ne viennent plus seulement des milieux « humanistes ». « Ils prennent source sur le terrain des sciences expérimentales ». « Quantité d’universitaires et de chercheurs s’intéressent aujourd’hui à des expériences qui remettent en cause la vision pessimiste des institutions humaines. Des réalités jamais prises en compte auparavant sont aujourd’hui examinées de près, y compris de manière scientifique ; plaisir de donner, préférence pour l’action bénévole, choix productif de la confiance, dispositions empathiques du cerveau, stratégies altruistes, importance du don dans le fonctionnement de l’économie… » (p 203). Nous rejoignons la pensée de Jean-Claude Guillebaud puisque ces recherches ont souvent été présentées dans ce blog : « Vivre et espérer » (2), notamment le livre de Jérémie Rifkin sur l’empathie et celui exprimant sa vision d’une nouvelle économie, le livre de Jacques Lecomte sur la bonté humaine ou encore la réflexion de Michel Serres dans « Petite Poucette »… Et nous partageons la même vision que l’auteur lorsqu’il écrit : « A l’intérieur d’un groupe humain, la confiance partagée est plus productive que la défiance généralisée… Le meilleur atout dont puisse disposer une économie nationale, c’est la cohésion sociale. Or cette dernière est rendue possible grâce à deux ingrédients immatériels : un sentiment de justice et un degré minimal de confiance. L’un comme l’autre sont inatteignables des lors que prévaut une vision dépréciative de l’être humain » (p 206).

Jean-Claude Guillebaud se confronte aux réalités de notre temps. Il ne méconnaît pas les dangers. Mais il reprend en conclusion un vers de Friedrich Holderlin : « Quand croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». « Pour une communauté comme pour un individu, l’espérance n’est pas seulement reçue, elle est décidée » (p 214).

Une vision à partager

Plaidoyer passionné pour l’espérance, ce livre nous apporte également un éclairage visionnaire, car l’espérance n’est pas seulement mobilisatrice, elle ouvre le regard.

Jean-Claude Guillebaud nous propose un horizon pour notre devenir social. Pour nous, cette approche rejoint sur beaucoup de points celle du théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann auquel nous avons souvent recours sur ce blog : Vivre et espérer.

Jean-Claude Guillebaud évoque le pessimisme qui règne dans certains milieux. Cet état d’esprit traduit un désarroi collectif. Mais cette inquiétude est-elle seulement un effet de la crise du progrès ? Ne traduit-elle pas aussi un trouble existentiel, avoué ou non, en rapport avec une incertitude sur la destinée personnelle ? Quoiqu’il en soit, pour nous, pour d’autres, une espérance qui se limiterait à animer une démarche sociale et politique n’est pas suffisante.

Nous avons exprimé cette pensée dans une forme poétique :

« O temps de l’avenir, brillante cité terrestre

A quoi servirait-il que nous te construisions

Si nos yeux devaient à jamais mourir

Et dans les cimetières nos corps pourrir

Comme tous ceux qui sont morts avant nous…

A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent

Si tous vos cimetières recouvraient la terre… » (3)

Ainsi, pour nous, l’espérance requiert un fondement qui nous permette de la vivre à la fois sur un registre personnel et dans une vision collective. La théologie de l’espérance selon Jürgen Moltmann répond à ces questionnements en proclamant, en Christ ressuscité, la victoire de la vie sur la mort : « La théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde et aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante, la vie qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (4).

Ainsi l’espérance nous permet d’envisager notre existence personnelle et celle des autres humains, comme une vie qui ne disparaît pas avec la mort (5) et donc qui peut être perçue aujourd’hui en terme « de commencements en recommencements (9). Et, dans le même mouvement, nous sommes appelés à participer dans l’espérance à la mutation sociale et culturelle dans laquelle nous sommes engagés. Nous suivons le fil conducteur de l’Esprit : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles manifestent « l’accord général » (6).

C’est dans cette inspiration que nous lisons le livre de Jean-Claude Guillebaud. Il y a dans cet ouvrage un mouvement de vie, une dynamique où la réflexion et le vécu sont associés. « L’espérance est lucide, mais têtue. J’y repense chaque matin à l’aube, quand je vois rosir le ciel au dessus des toits de Paris ou monter la lumière derrière la forêt, chez moi, en Charente… L’espérance a partie liée avec cet infatigable recommencement du matin. Elle vise l’avenir, mais se vit aujourd’hui… » (p 15). Ce livre nous entraîne. Il éclaire notre chemin. Ensemble, nous pouvons partager cette vision : « Une autre vie est possible ».

Jean Hassenforder

Suite de :

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.

Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 2 : La montée du pessimisme et de la négativité.

 

(1)            La vie et la pensée de Jürgen Moltmann : « Une théologie pour notre temps » http://www.temoins.com/etudes/une-theologie-pour-notre-temps.-l-autobiographie-de-jurgen-moltmann/toutes-les-pages.html  La pensée théologique de Jürgen Moltmann est présenté sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/

(2)            Sur ce blog : « la force de l’empathie » https://vivreetesperer.com/?p=137 . « Face à l’avenir. Un avenir pour l’économie. La troisième révolution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354  « La bonté humaine » https://vivreetesperer.com/?p=674  « Une nouvelle manière d’être et de connaître . « Petite Poucette » de Michel Serres » https://vivreetesperer.com/?p=820. Le magazine : Sciences humaines a présenté la prise en compte des orientations positives dans les recherches actuelles. « Quel regard sur la société et sur le monde » https://vivreetesperer.com/?p=191

(3)            Sur ce blog : « les malheurs de l’histoire . Mort et résurrection » https://vivreetesperer.com/?p=744

(4)            « Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « la vie contre la mort » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=841

(5)            Sur ce blog : « Une vie qui ne disparaît pas » https://vivreetesperer.com/?p=336 « Sur la terre comme au ciel » https://vivreetesperer.com/?p=338

(6)            Citation (p 25) extraite du livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création . Traité écologique de la création, Seuil, 1985. Sur ce blog : « Dieu suscite la communion ». https://vivreetesperer.com/?p=564.