Quelles visions du monde ?

Quelles visions du monde ?

Pour une vision du monde incarnationnelle.
 Selon Richard Rohr (1)

Il y a plusieurs manières d’envisager le monde et de nous y situer. A cet égard, Richard Rohr distingue quatre grandes visions du monde que nous pouvons identifier en y regardant bien. Richard Rohr prend soin de nous dire qu’elles peuvent s’exprimer de bien des manières et qu’elles ne sont pas nécessairement séparées .

« Ceux qui ont une vision du monde matérielle croient que l’univers extérieur, visible est le monde ultime et « réel ». Les gens qui partagent cette vision du monde nous ont donné la science, la technologie, la médecine et beaucoup de ce que nous appelons aujourd’hui la civilisation. Une vision matérielle du monde tend à engendrer des cultures fortement orientées vers la consommation et vers la compétition et qui sont souvent préoccupées par le manque, puisque les biens matériels sont toujours limités ».

« La vision spirituelle du monde caractérise de nombreuses formes de religion et quelques philosophies idéalistes qui reconnaissent la primauté et la philosophie de l’esprit, la conscience, le monde invisible derrière toutes les manifestations. Cette vision du monde est en partie bonne aussi parce qu’elle maintient la réalité du monde spirituel, laquelle est déniée par de nombreux matérialistes. Mais, portée aux extrêmes, la vision du monde spirituel s’intéresse peu à la terre, au prochain, à la justice, parce qu’elle considère le monde pour une bonne part comme une illusion ».

Richard Rohr décrit ensuite une troisième vision. « Ceux qui adhèrent à ce que j’appellerai une vision du monde « sacerdotale » sont généralement des gens sophistiqués, qualifiés et expérimentés qui pensent que leur travail est de nous aider à mettre ensemble la matière et l’Esprit. Le mauvais côté est que cette vision du monde assume que ces deux mondes sont en fait séparés et ont besoin de quelqu’un pour les lier à nouveau ensemble ».

Richard Rohr fait ressortir une quatrième vision du monde. En contraste avec les trois visions précédentes, c’est une vision incarnationnelle selon laquelle la matière et l’Esprit sont envisagés comme n’avoir jamais été séparés. La matière et l’Esprit se révèlent et se manifestent l’un à l’autre. Cette vision du monde se fie davantage à l’éveil qu’à l’adhésion, davantage au voir qu’à l’obéissance, davantage à la croissance dans la conscience et l’amour qu’au clergé, aux experts, à la moralité, aux écritures ou à la prescription de rituels ».

Mais dans quels milieux les différentes visions du monde se manifestent-elles ? Dans l’histoire chrétienne, la vision incarnationnelle se manifester des plus fortement chez les premiers Pères de l’Eglise orientaux, dans la spiritualité celtique, chez beaucoup de mystiques associant la prière avec un intense engagement social, dans  la spiritualité franciscaine en général, chez beaucoup de mystiques de la nature et dans l’éco-spiritualité contemporaine. Dans l’ensemble, une vision matérialiste est répandue dans le domaine technocratique et les domaines que ses adhérents colonisent. La vision du monde spirituelle est portée par toute une gamme de gens ardents et ésotériques et on trouve la vision du monde sacerdotale dans presque toutes les religions organisées ».

Richard Rohr nous introduit ensuite dans le vécu de cette vision incarnationnelle. « Une vision du monde incarnationnelle fonde la sainteté chrétienne dans une réalité objective et ontologique au lieu de seulement une conduite morale. C’est son grand bienfait. Cependant, c’est le saut important qu’un si grand nombre de gens n’ont pas fait. Ceux qui ont franchi le pas peuvent se sentit saint dans un lit d’hôpital ou un bistrot aussi bien que dans une chapelle. Ils peuvent voir Christ dans ce qui parait défiguré et brisé aussi bien que dans ce qui est appelé parfait ou attractif. Ils peuvent s’aimer et se pardonner eux-mêmes parce qu’ils portent également l’image de Dieu (« imago Dei »). La conscience du Christ incarné mènera normalement vers des implications immédiates, pratiques et sociales. Ce n’est jamais une abstraction ou une théorie. Ce n’est pas même une agréable idéologie.

Si c’est un christianisme vraiment incarné, alors c’est toujours une religion vécue comme expérience concrète et non pas seulement de l’ésotérisme, des systèmes de croyance ou une médiation sacerdotale

Pour mieux envisager cette vision du monde incarnationnelle, on se reportera au livre de Richard Rohr : « The divine dance », tel que nous l’avons présenté sur ce blog (2).  Nous y voyons un univers sans frontière, interrelationnel, ou circule le flux divin. « Dieu est celui que nous avons nommé Trinité, le flux (« flow » qui passe à travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le début. Ainsi, toute chose est sainte pour ceux qui ont appris à le voir ainsi… Que nous le voulions ou pas… Ce n’est pas une invitation que nous puissions accepter ou refuser. C’est une description de ce qui est en train de se produire en Dieu et dans toute chose créée à l’image et à la ressemblance de Dieu » (p 37-38).

Texte de Richard Rohr rapporté  par J H

  1. « An incarnational Worldview » (Une vision du monde incarnationnelle : https://cac.org/daily-meditations/an-incarnational-worldview/
  2. La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/

 

 

 

Comment la puissance technologique n’engendre pas nécessairement le progrès

Comment la puissance technologique n’engendre pas nécessairement le progrès

Des exemples de l’histoire aux menaces actuelles.

 Power and progress
Par Daron Acemoglu et Simon Johnson

Il n’y a pas très longtemps, tout ce qui paraissait un progrès technologique excitait l’enthousiasme comme la promesse d’une abondance dans une société prospère d’où disparaitrait la pauvreté et la misère. Aujourd’hui, on se rend compte qu’au cours des quatre dernières décennies, les sociétés occidentales et particulièrement la société américaine, ont pris le chemin inverse, en devenant beaucoup plus inégalitaires. Et on prend également conscience que la course au développement économique bouleverse notre écosystème planétaire et dérégule le climat par un usage forcené des énergies fossiles. Aujourd’hui, la conscience écologique suscite une réaction à l’échelle planétaire. Face à des ambitions démesurées, la prudence s’impose et on en appelle même aux mérites de la sobriété.

Deux chercheurs américains au MIT, Daron Acemoglu et Simon Johnson, directement confrontés à la course effrénée à l’automatisation qui bouleverse les équilibres de l’économie américaine, viennent d’écrire un livre qui situe nos problèmes actuels dans une histoire longue où l’on constate qu’en maintes périodes, les acquis du progrès technologique ont été confisqués par un groupe dominant aux dépens des travailleurs ayant porté cette innovation. Les auteurs nous apportent cependant une bonne nouvelle : à d’autres périodes, des forces sociales se sont élevées dans la société et ont permis un développement équilibré au bénéfice de tous. Ce livre : « Power and Progress. Our Thousand-year struggle over technology and prosperity” (1) nous montre comment garder notre autonomie par rapport aux dévoiements de processus économiques contrôlés à leur profit par des élites égoïstes ». « Le progrès n’est pas automatique, mais il dépend des choix que nous faisons en matière de technologie. De nouvelles manières d’organiser la production et la communication peuvent, soit servir les intérêts étroits d’une élite, soit devenir le fondement d’une prospérité étendue ». Ce problème est d’actualité « à un époque où les technologies digitales et l’intelligence artificielle accroissent l’inégalité et minent la démocratie à travers une automatisation excessive, une collecte massive des données et une surveillance intrusive ». « Il n’est pas obligé qu’il en soit ainsi. ‘Power and Progress’ démontre que la voie de la technologie peut être mise sous contrôle. Les formidables avancées informatique du dernier demi-siècle peuvent devenir des outils d’autonomisation et de démocratisation, mais pas si les décisions majeures demeurent dans les mains de quelques leaders technologiques animés par une hubris » (page de couverture). Ce livre, jusqu’à présent non traduit en français, est présenté en cette langue par un expert. On pourra se reporter à son article : « La chaire» a lu pour vous : https://www.chaireeconomieduclimat.org/points-de-vue/la-chaire-a-lu-pour-vous-power-and-progress-our-thousand-year-struggle-over-technology-and-prosperity-de-daron-acemoglu-et-simon-johnson/

Aussi, nous nous bornerons ici à présenter quelques aperçus significatifs de ce livre.

 

Comment des bénéfices de progrès technologiques substantiels ont été captés par une élite politique ou religieuse

Les auteurs remontent loin dans le passé pour mettre en évidence, la manière dont des progrès technologiques majeurs ont été captés par des élites politiques ou religieuses. Il y a environ douze mille ans, est apparu un processus menant à une agriculture installée, permanente, fondée sur des plantes et des espèces domestiquées. Des genres différents de société apparurent. Mais il y a 7000 ans, un régime particulier se développa dans le Croissant fertile. Le fondement était une agriculture avec une seule récolte. Les inégalités économiques s’intensifièrent et une haute hiérarchie sociale apparut, consommant beaucoup. En Égypte, pyramides et tombes se développèrent dans le cadre d’une élite comparable. C’est là que les auteurs mettent en évidence l’introduction des grains de céréales comme « un exemple d’innovation technologique ». Or, sous les auspices d’états centralisés, la condition des paysans semble avoir été pire que celle de leurs ancêtres. De fait, « les choix technologiques dans les premières civilisations ont favorisé les élites et appauvri la plupart des gens ». Les auteurs décriront une situation comparable au Moyen âge anglais. « Dans les deux cas, le système politique plaçait un pouvoir disproportionné dans les mains d’une élite. La coercition jouait un rôle bien sûr, mais le pouvoir de persuasion de la religion et les leaders politiques étaient souvent un facteur décisif » (p 115-120).

« Cependant, ni la monoculture du grain, ni l’organisation hautement hiérarchisée qui extorquait le surplus aux fermiers, n’a été ordonnée ou dictée par la nature des récoltes correspondantes. Même la culture de céréales n’a pas toujours produit l’inégalité et la hiérarchie comme l’illustrent les plus égalitaires vallées de l’Indus et la civilisation mésoaméricaine. La culture du riz dans l’Asie du Sud-est a pris place dans le contexte de sociétés moins hiérarchiques… (p 122).

« Contrairement à une opinion répandue, il y a eu un changement et une amélioration technologique significative dans la productivité économique de l’Europe au Moyen Age… Cependant, il y a quelque chose de tout à fait sombre à cette époque. La vie des gens travaillant la terre resta dure et le niveau de vie des paysans peut même avoir décliné dans certaines parties de l’Europe. La technologie et l’économie ont progressé d’une manière qui s‘est révélée nuisible pour la plus grande part de la population » (p 100-101). En Angleterre, le développement des moulins a été une innovation décisive. A la fin du XIe siècle, il y a environ 6000 moulins à eau en Angleterre et ce nombre a doublé durant les deux siècles suivants et leur productivité s’est accrue. La productivité agricole s’est également accrue. Malheureusement, il n’y a pas eu une élévation correspondante des revenus chez les paysans. Le surplus a été, de fait, majoritairement consommé par « la hiérarchie religieuse qui a construit des cathédrales, des monastères et des églises » (p 103). Cette construction a été couteuse. Le contrôle féodal a exercé une coercition : « Comme les nouvelles machines se déployaient et que la productivité augmentait, les seigneurs féodaux ont exploité plus intensément la paysannerie ».

Les auteurs nous rapportent ensuite comment s’est déroulée, au XVIIIe siècle en Angleterre, la pression en faveur de la clôture des terres, les « enclosures ». « Cette histoire a montré clairement que cette réorganisation technologique de la production, même lorsqu’elle était proclamée dans l’intérêt du progrès et du bien commun, avait pour conséquence de mettre davantage à bas ceux qui étaient déjà dépourvus de pouvoir ».

Les auteurs envisagent ensuite deux moments de l’histoire très différents où le progrès technologique n’a pas profité aux travailleurs, mais a participé à leur asservissement : l’introduction de l’égraineuse de grains de coton dans les plantations américaines à la fin du XVIIIe siècle ; le développement du machinisme agricole dans les années 1920 en Union soviétique. « Le secteur cotonnier a fleuri Etats-Unis grâce aux nouvelles connaissances comme l’égraineuse de coton et d’autres innovations aux dépens des esclaves noirs travaillant dans les grandes plantations. L’économie soviétique a grandi rapidement dans les années 1920 en utilisant le machinisme, tel que les tracteurs et les moissonneuses batteuses, appliqué aux champs de céréales. Cependant, la croissance s’est produite au détriment de millions de petits paysans » (p 133).

 

Lorsque la prospérité accompagne le progrès technologique

Les auteurs nous présentent dans ce livre une histoire du progrès technologique. Ils consacrent ainsi le chapitre 5 à la grande révolution industrielle qui a métamorphosé le visage économique de la Grande-Bretagne au XVIIIe et XIXe siècle. Ce fut l’invention bouleversante de la machine à vapeur. Ce livre nous rapporte cette épopée industrielle, le développement des mines de charbon, la fulgurante expansion des chemins de fer et une dynamique d’invention et de réalisation de nouvelles machines.

Un changement technologique et économique aussi conséquent et radical apparait dans l’histoire comme un phénomène original. Les auteurs s’interrogent donc sur les facteurs originaux de cette irruption. Ils mettent l’accent sur un facteur « souvent sous-estimé » : « l’émergence d’une classe moyenne nouvellement enhardis : entrepreneurs et hommes d’affaires. Leurs vies et leurs aspirations étaient enracinés dans les changements institutionnels qui avaient commencé à donner du pouvoir à ce milieu social depuis le XVIe et le XVIIe siècle. La Révolution industrielle peut avoir été propulsée par les ambitions de gens nouveaux essayant d’améliorer leur richesse et leur standing social, ce qui était loin d’une vision inclusive » (p 45-46).

En effet, au début de la Révolution industrielle, si des hommes ont participé à un enthousiasme innovant, « la première phase de cette Révolution a été appauvrissante et affaiblissante pour la plupart des gens. C’était la conséquence d’un fort parti pris d’automatisation et dans le manque de voix ouvrière en regard de la fixation des salaires. Ce ne sont pas seulement les moyens de subsistance qui ont été affectés négativement par l’industrialisation mais aussi la santé et l’autonomie d’une bonne part de la population.

Cette affreuse image a commencé à changer dans la seconde partie du XIXe siècle quand des gens ordinaires se sont organisés et ont provoqué des réformes politiques et économiques. Les changements sociaux ont modifié l’orientation de la technologie et fait monter les salaires. Ce fut seulement une petite victoire pour une prospérité partagée et les pays occidentaux auront à cheminer plus longuement sur un chemin contesté, technologique et institutionnel, pour réaliser une prospérité partagée » (p 56).

Selon les auteurs, l’emploi dépend des modes d‘industrialisation. Au début de la révolution industrielle, l’automatisation de la filature et du tissage a nui à l’emploi. Au contraire, dans la période ultérieure, le développement des chemins de fer a suscité toute une gamme d’emploi.

« Les avancées dans les chemins de fer suscitèrent beaucoup de nouvelles tâches dans l’industrie des transports et les emplois requéraient toute une gamme de capacités de la construction à la vente de tickets, maintenance, ingénierie, et management » (p 196). Des contrepoids sont apparus permettant le partage des bénéfices du progrès technologique. « Un machinisme et des méthodes de production se sont développés et ont accru la productivité de l’industrie britannique, en même qu’elle étendait aussi la gamme de tâches et d’opportunités pour les travailleurs. Mais le progrès technologique n’est jamais suffisant en lui-même pour élever les salaires. Les travailleurs ont besoin de développer un plus grand pouvoir de négociation vis-à-vis des employeurs ». C’est en 1871 que les syndicats devinrent pleinement légaux en Grande-Bretagne (p 202).

Il y a d’autres périodes où le progrès technologique a contribué à une diversification et à une multiplication des emplois. Les auteurs étudient en ce sens le développement de l’électrification et celui de la production d’automobiles aux EtatsUnis. Ils envisagent la grande période de progrès technologique, de croissance économique et de bien-être social qu’ont été les trois décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. « Les Etats-Unis et les nations industrielles ont fait l’expérience d’une croissance économique rapide qui a été largement partagée par la plupart des groupes démographiques. Ces tendances économiques ont été de pair avec d’autres améliorations sociales, incluant l’expansion de l’éducation, les soins de santé et l’augmentation de l’espérance de vie. Ce changement technologique n’a pas seulement automatisé le travail mais il a aussi créé de nouvelles opportunités pour les travailleurs et ceci s’est inscrit dans un cadre institutionnel qui a renforcé les contre-pouvoirs » (p 36).

« Quelle a été la sauce secrète de la prospérité partagée dans les décennies ayant suivi la seconde guerre mondiale ? La réponse réside en deux éléments : une direction de la technologie qui a créé de nouvelles tâches et emplois pour des travailleurs de tous les niveaux de qualification et un cadre institutionnel permettant aux travailleurs de partager les gains de productivité entre employés et employeurs » (p 240). Les auteurs traitent de cette histoire aux Etats-Unis en montrant comment elle a notamment bénéficié des réformes du New Deal et il aborde cette histoire équivalente de progrès en Europe dans le contexte de la reconstruction après la guerre et un esprit social tel qu’il a été exprimé en Angleterre dans le Rapport Beveridge qui proclame « l’abolition du besoin » (p 249).

 

Faire face aujourd’hui à la nouvelle crise économique qui est venue s’inscrire dans la révolution digitale à travers un accroissement des inégalités et la menace d’une automatisation dévastatrice.

Née aux Etats-Unis et portant d’extraordinaires promesses, la révolution digitale y a été détournée à la fin du XXe siècle. « Les technologies digitales sont devenues le cimetière de la prospérité collective. L’augmentation des salaires a baissé, la part du travail dans le revenu national a diminué fortement et l’inégalité des salaires a surgi autour de 1980. Bien que de nombreux facteurs, incluant la globalisation et l’affaiblissement du mouvement syndical, aient contribué à cette transformation, le changement opéré dans la technologie est le plus important. Les technologies digitales ont automatisé le travail et désavantagé le travail par rapport au capital et les travailleurs peu qualifiés par rapport aux diplômés universitaires » (p 257). Dans la plupart des économies industrialisées, la part du travail a diminué. Aux Etats-Unis, la régression a pris un tour particulièrement défavorable. Un fossé s’est à nouveau accru entre les salaires des blancs et des noirs. L’inégalité s’est considérablement accrue.

Les auteurs en imputent la cause principale à un automatisation massive. Dans les décennies précédant la seconde guerre mondiale, l’automatisation est également rapide, « mais elle était contrebalancée par d’autres changements technologiques qui augmentaient la demande de travail.

La recherche récente montre que depuis 1980, l’automatisation s’est accélérée significativement et qu’il y a moins de tâches et de technologies nouvelles qui créent des opportunités pour les gens. Ces changements entrent pour beaucoup dans la détérioration de la position des travailleurs dans l’économie…

L’automatisation a été aussi un accélérateur majeur de l’inégalité en affectant des tâches remplies particulièrement par des travailleurs peu ou moyennement qualifiés » (p 261).

Les auteurs soulignent qu’il n’y a pas là une fatalité. « La technologie a accru les inégalités à cause des choix que des entreprises ou de puissants acteurs ont effectué. La globalisation n’est pas séparée de cette question… De fait, il y a eu une synergie entre automatisation et globalisation avec le même souci de réduire les coûts du travail et le nombre de travailleurs moins qualifiés. Ce processus a été facilité à la fois par le manque de contre-pouvoirs dans le milieu du travail et par l’évolution politique depuis 1980 (p 263). Les auteurs dressent un tableau des pressions exercées par les grandes entreprises et les milieux d’affaire et ils mettent en évidence les idéologies correspondantes telles que la « doctrine Friedman ». Dans d’autres pays, les dérives ont été moins marquées. Les auteurs mentionnent les cas de l’Allemagne et du Japon où on a combiné l’automatisation et la création de tâches nouvelles (p 286).

Les auteurs critiquent une nouvelle ‘utopie digitale’ : « la transformation de l’éthique des hackers en une utopie digitale corporative est largement liée à une poursuite de l’argent et du pouvoir social » (p 289). C’est une idéologie de la ‘disruption’, une forme sauvage d’innovation qui détruit les anciens équilibres. « Ce biais technologique est très largement un choix, et un choix construit socialement. Alors les choses ont commencé à devenir bien pires économiquement, politiquement et socialement, alors que les nouveaux visionnaires trouvent un nouvel outil pour refaire la société : l’intelligence artificielle » (p 296).

 

Pourquoi considérer l’intelligence artificielle avec réserve et avec prudence

Dans la perspective de l’histoire récente de l’usage d’internet, l’emballement de certains vis-à-vis de la promotion de l’intelligence artificielle parait suspect.

Les auteurs consacrent un chapitre à l’intelligence artificielle en en montrant les usages potentiels, les apports, les risques et aussi les limites. Nous renvoyons à ce chapitre écrit avec maitrise et expertise ; ‘Artificial struggle’ (p 297-338). Nous en rendrons compte ici par une courte présentation des auteurs. « Ce chapitre explique que la vision d’internet post-1980 qui nous a égarés, en est venue aussi à définir comment concevoir la nouvelle phase des technologies digitales, ‘l’intelligence artificielle’ et comment l’intelligence artificielle exacerbe les tendances vers l’inégalité économique.

En contraste des proclamations effectuées par beaucoup de leaders de la tech, nous verrons aussi que dans la plupart des tâches humaines, les technologies actuelles de l’intelligence artificielle apportent seulement des bénéfices limités. De plus, l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la surveillance au lieu de travail ne propulse pas seulement l’inégalité, mais elle prive également les travailleurs de leur pouvoir d’action (disempower). Pire, un usage courant de l’intelligence artificielle risque de renverser des décennies de gain économique dans les pays en développement en exportant globalement l’automatisation. De tout cela, rien n’est inévitable. Ce chapitre développe une argumentation selon laquelle l’intelligence artificielle, et même l’accent sur l’intelligence de la machine, reflète une approche très spécifique du développement des technologies digitales, une approche qui a de profonds effets dans la répartition des richesses, en bénéficiant à quelques personnes et en laissant le reste derrière.

Plutôt que de se focaliser sur l’intelligence des machines, il serait plus profitable de lutter pour une utilité des machines (‘machine usefulness’) en envisageant combien les machines peuvent être très utiles aux humains, par exemple en complétant les capacités des travailleurs. Comme elle s’est mise en œuvre dans le passé, l’utilité des machines conduit à quelques-unes des applications les plus importantes et les plus productives des technologies digitales, mais qui ont été de plus en plus mises de côté par l’intelligence de la machine et l’automatisation » (p 37).

Cependant l’intelligence artificielle se déploie à un autre niveau, au niveau de la société elle-même. Et elle y pose problème, car « la collecte et la moisson massive de données utilisant l’intelligence artificielle sont en voie d’intensifier la surveillance des citoyens par les gouvernements et les entreprises. En même temps, les modèles d’affaire fondés sur la publicité s’appuyant sur la puissance de l’intelligence artificielle propagent la désinformation et amplifient l’extrémisme ». Les auteurs nous mettent ainsi en garde vis-à-vis de l’intelligence artificielle. « Son utilisation courante n’est bonne ni pour l’économie, ni pour la démocratie et ces deux problèmes malheureusement se renforcent l’un l’autre ». (p 37)

 

Dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, comment réorienter la technologie ?

Les auteurs ne se bornent pas à un diagnostic critique de la situation. Déjà, à travers l’examen de l’histoire longue auquel ils ont procédé, nous avons compris que le progrès technologique n’est pas une panacée, que ses effets dépendent d’un contexte plus général, des orientations qui sont prises, d’un choix de société. Bref, le progrès technologique n’est pas la réponse à tous nos problèmes. Et on peut, on doit ne pas considérer son orientation présente comme une fatalité.

Dans le dernier chapitre du livre, les auteurs nous apprennent et nous invitent à rediriger le changement technologique (‘redirecting technology’).

Aujourd’hui rediriger le changement technologique, c’est en premier, faire face à la menace existentielle du changement climatique. Or, à cet égard, il y a eu « de remarquables avancées dans les technologies de l’énergie renouvelable ».

Finalement, « Aujourd’hui, les énergies du soleil et du vent sont produites à meilleur marché que les énergies fossiles » (p 389). La différence est devenue significative. Comment ce changement a-t-il pu intervenir ? Les auteurs mettent l’accent sur le rôle du ‘changement de narratif’ ; du développement du mouvement écologique qui s’en est suivi et l’a accompagné, et des mesures qui en sont résultées.

« Du point de vue du défi posé par les technologies digitales, on peut apprendre beaucoup de la manière dont la technologie est redirigée dans le secteur de l’énergie. La même combinaison – changer le narratif, développer des pouvoirs faisant contrepoids et développer et mettre en œuvre des politiques spécifiques – voilà ce qui peut également marcher pour rediriger la technologie digitale» (p 392). Les auteurs posent les problèmes de la technologie digitale en ces termes : « La puissance concentrée des entreprises digitales nuit à la prospérité parce qu’elle limite le partage des gains réalisés grâce au changement technologique. Mais son effet le plus pernicieux se manifeste dans l’orientation de la technologie qui se dirige excessivement vers l’automatisation, la surveillance, la collecte des données et la publicité. Pour regagner une prospérité partagée, nous devons rediriger la technologie et cela signifie une version de la même approche que celle qui a fonctionné pour les progressistes, il y a plus d’un siècle » (p 393). « Cela doit commencer par changer le narratif et les normes ». On retrouve dans ce chapitre les mises en garde et les orientations qui parcourent cet ouvrage avec comme grandes recommandations : changer le narratif, bâtir des pouvoirs faisant contre-poids et développer des techniques, des régulations et des politiques pour traiter des aspects spécifiques du biais social de la technologie » (p 38). Voilà un ouvrage auquel nous pouvons nous référer pour mieux comprendre les enjeux actuels de la technologie digitale et faire face aux menaces présentes.

J H

  1. Daron Acemoglu, Simon Johnson. Power and Progress. One thousand-year struggle over technology and prosperity. London, Basic Books, 2023.
Une source à l’intérieur de nous

Une source à l’intérieur de nous

« A spring within us » (1)

Selon Richard Rohr

C’est le titre d’un article de Richard Rohr autour de la source intérieure dont parle Jésus dans l’épisode de la femme samaritaine au chapitre 4 de l’Évangile de Jean. Il y voit le flux incessant de la grâce de Dieu envers nous.

« Dans les Écritures chrétiennes, nous lisons un texte au sujet de Jésus encourageant une femme samaritaine à puiser de l’eau d’un puit public et à lui en donner (Jean 4.7). A cet ancien puit, les rôles attendus sont renversés. Une vulnérabilité réciproque se révèle comme Jésus invite la femme à être à la fois la réceptrice et « la source », la donatrice de l’eau vive. Dans un genre de flux presque trinitarien, Jésus décrit ce transfert comme « l’eau que je vous donnerai sera comme une source à l ’intérieur de vous se déversant jusque dans la vie infinie » (Jean 4.14).

 

Une source à l’intérieur de nous

Richard Rohr nous invite à voir là une œuvre de personnalisation. « En d’autres mots, l’ancien puit spirituel est entièrement transféré à la personne individuelle. C’est maintenant une œuvre intérieure et elle a un effet de jaillissement qui est exactement l’image que des mystiques espagnols du XVIe siècle : Francisco de Osuna, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, aimaient tant. Ce thème est également répété quand Jésus dit que, de son cœur, jailliront des courants d’eau vive (Jean 7.38).

Richard Rohr met l’accent sur l’intériorité. Ce qui se joue est à l’intérieur, non à l’extérieur. « La plus merveilleuse métaphore de Jésus pour décrire cette expérience intérieure de grâce, c’est « une source à l’intérieur de vous ». La source n’est pas à l’extérieur de nous. Elle est à l’intérieur et elle bouillonne jusque dans la vie éternelle ».

 

Reconnaissons que le Ciel est déjà donné et le don délivré

A partir de là, Richard Rohr nous appelle à un travail de reconnaissance. « En réalité, la cognition et la connaissance spirituelles sont toujours re-cognition, reconnaissance. C’est la reconnaissance de ce que nous savons déjà être vrai à un niveau profond. Nous avons eu une intuition où nous avons soupçonné que nous pouvions être un enfant bien-aimé de Dieu, mais nous pensons souvent que c’est trop bon pour être imaginé ». Richard Rohr revient sur la réalité d’une présence divine déjà là. « Le Ciel est déjà donné et le don a déjà été délivré. Jésus le dit très directement à la femme au bord du puit. « Si vous saviez le don de Dieu, vous lui auriez demandé et il vous aurait donné de l’eau vive » (Jean 4. 10). A elle et à nous, Jésus dit que nous avons déjà le don de Dieu. L’Esprit a été déversé dans nos cœurs au moment de notre création. Nous sommes déjà des enfants de Dieu. L’eau bouillonne à l’intérieur de nous, mais souvent nous n’osons pas y croire ».

 

Arrêtons de chercher notre dignité et apprenons à jouir du don de Dieu

Richard Rohr comprend bien notre embarras. « La bonne nouvelle est juste trop bonne, trop impossible, trop éloignée. Nous disons : « Seigneur, je ne suis pas digne ». Mais la bonne nouvelle, c’est que cette dignité n’est pas même le problème. Qui, parmi nous, est digne ? Suis-je digne, est-ce que l’évêque est digne ? Est-ce que les prêtres sont dignes ? Je ne le pense pas. Nous sommes tous à des degrés divers d’indignité ou de faillibilité, mais quand nous commençons à nous rendre à cette réalité/identité/connaissance, la fontaine de grâce commence à couler et nous commençons à connaitre le don de Dieu. Nous arrêtons de chercher notre propre dignité et nous commençons à connaitre le don de Dieu. Nous commençons à réaliser que c’est tout don et que c’est tout gratuit, que nous l’avons déjà. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’apprendre à en jouir. Cela change tout ».

D’après Richard Rohr, J H

  1. A spring within us : https://cac.org/daily-meditations/a-spring-within-us/
L’humanité peut-elle faire face au dérèglement des équilibres naturels ?

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L’effondrement est-il fatal, ou bien, au contraire, rien n’est joué.
La science contre les théories de l’effondrement.

Aujourd’hui, face aux menaces du dérèglement des équilibres naturels engendré par un accroissement effréné de la production industrielle, la prise de conscience écologique se développe et elle s’accompagne de la mise en évidence des dangers encourus. Certes, une mobilisation est en cours pour développer de nouvelles pratiques économiques et un nouveau genre de vie. Cependant, autant l’alarme est nécessaire pour favoriser cette mobilisation, autant elle peut se prêter à des excès qui engendrent la peur au point que celle-ci débouche sur le désespoir, le fatalisme, la résignation. C’est ainsi qu’au cours des dernières années, s’est développé un courant de pensée influant qui envisage l’avenir en terme d’effondrement. Dans un livre : « « Comment tout peut s’effondrer », des chercheurs, par ailleurs reconnus, Pablo Servigne et Raphaël Stevens se proposent d’aborder dans une perspective scientifique l’effondrement systémique global de la civilisation industrielle et des grands équilibres des écosytèmes, en désignant cette approche sous le vocable de « collapsologie ». Si l’alarme nécessaire vis-à-vis des menaces de dérèglement des équilibres naturels, peut susciter une eco-anxiété et, en réponse, un nouveau mode de pensée (1), elle peut dégénérer en se focalisant sur la crainte d’un effondrement, car une telle fascination engendre le fatalisme. C’est pourquoi, un chercheur, bien connu sur ce blog, Jacques Lecomte, vient d’écrire un livre où il s’élève contre ‘l’effondrisme’ : « La science contre les théories de l’effondrement ». Le titre principal, ‘Rien n’est joué’ (2) manifeste son refus du fatalisme. Expert français en psychologie positive, Jacques Lecomte a appris comment la focalisation sur le négatif entrainait un enfermement dans ce registre. Et à l’inverse, il y a une dynamique du bien. C’est pourquoi Jacques Lecomte a écrit un beau livre sur « la bonté humaine » (3). Par la suite, il a mis en évidence les expériences positives des « entreprises humanistes » (4 ). Et enfin, désirant encourager la confiance, il a publié en 2017,un livre visant à enrayer le pessimisme collectif : ‘Le monde va beaucoup mieux que vous ne croyez’ (5). On comprend donc pourquoi aujourd’hui Jacques Lecomte s’attelle à la tâche de réfuter les thèses de « l’effondrisme ».

Jacques Lecomte partage notre souci de sauvegarder la Terre. Il n’est pas climatosceptique. Au contraire, « c’est précisément parce que l’état de notre environnement me préoccupe fortement que je m’intéresse aux solutions déjà existantes. Car il y a urgence face au réchauffement climatique d’origine humaine, à la destruction de la nature et à de nouvelles formes de pollution ». Mais, selon l’auteur, « les effondristes contemporains affirment au contraire qu’il n’y a pas de solutions aux problèmes, que les seules actions envisageables consiste à s’adapter à une situation environnementale insoluble » (p 10). « L’objectif de ce livre est d’évaluer la qualité scientifique de ce courant de pensée ». Pour Jacques Lecomte, cette intervention n’allait pas de soi. « J’ai pour habitude, dans mes écrits, conférences et formations de valoriser des informations positives, non de critiquer. De plus, en commençant l’écriture de ce livre, j’étais embarrassé de contester les propos de personnes dont je partage la préoccupation environnementale et l’aspiration à une société plus fraternelle. Mes lectures m’ont cependant amené progressivement à cette conviction : le discours effondriste est non seulement scientifiquement faux, mais il a de plus des effets néfastes psychologiques, politiquement et environnementalement. Comprendre cela a été pour moi l’argument décisif. S’il pouvait limiter la vague actuelle d’éco-anxiété et redonner de l’espoir et l’envie d’agir fortement pour améliorer notre monde, j’en serais ravi. La première raison d’être de ce livre est donc de montrer à celles et ceux qui le liront que rien n’est joué, qu’il est encore possible d’agir efficacement » (p 11).

Jacques Lecomte a donc entrepris un travail considérable d’analyse des textes en les confrontant avec d’autres recherches et avec les données pouvant être mises en évidence. Et par exemple, la prédiction de telle pénurie de matières premières à telle date s’est-elle réalisée ?

Le livre se compose de deux parties : la critique des points fondamentaux de l’approche effondriste ; une analyse des modes de pensée entrainant des dérives dans les conclusions. Nous nous limiterons ici à une courte présentation de la remise en cause de conclusions effondristes.

 

Les pionniers de l’effondrisme. Prophéties ratées et cruauté politique
Quels sont les auteurs  auxquels les penseurs de l’effondrisme se référent et dont ils s’inspirent ? En quoi leurs théories sont-elles profondément critiquables ?

« Nous ne pouvons comprendre les effondristes contemporains que si nous analysons en premier lieu les pensées et les actes des précurseurs dont ils se disent héritiers. Ces auteurs sont généralement présentés par les effondristes comme des sources scientifiquement et moralement fiables. Il s’agit principalement de Thomas Malthus, Paul Ehrlich, Garrett Hardin, Denis Meadow et ses collègues, Jared Diamond » (p 21). Jacques Lecomte nous montre à travers des citations de personnalités effondristes combien ils sont influencés par la pensée Malthusienne. Le livre majeur de Malthus, publié en 1798, est intitulé : « Essai sur le principe de population ». L’idée centrale de ce livre est que « la population humaine augmente à un rythme bien plus rapide que notre capacité à produire l’alimentation nécessaire ». Jacques Lecomte rappelle les incidences cruelles de la pensée malthusienne qui impute leur sort aux pauvres et n’hésite pas à considérer la mortalité comme un moyen de limiter la population. Sa théorie a inspiré des mesures grossièrement antisociales dans l’Angleterre du XIXe siècle. A partir des données existantes, Jacques Lecomte réfute les thèses de Malthus : « Il n’y a pas augmentation exponentielle de la population… La production alimentaire suffit à nourrir la population mondiale… Les famines ne résultent pas des pénuries alimentaires, mais de choix politiques… C’est la pauvreté qui entraine la croissance démographique, non l’inverse… L’aide sociale n’incite pas les pauvres à se reproduire… » (p 26-28). L’auteur décrit « les terribles conséquences des pratiques malthusiennes » comme la grand famine en Irlande (1845-1850) et la grande famine en Inde (1876-1875) (p 30-31).

Ce tableau est si sombre qu’on peut se demander comment des auteurs peuvent aujourd’hui évoquer son inspiration « Malthus a été le premier auteur à introduire la notion de rareté en économie. C’est surtout à ce titre qu’il est suivi par des auteurs contemporains qui s’affirment malthusiens ou néo-malthusiens… » Les emprunts à sa pensée varient également. « Malthus se préoccupait surtout de la production alimentaire tandis que les continuateurs actuels soulignent que les ressources naturelles sont limitées. C’est l’interprétations que soulignent Pablo Servigne et Raphaël Stevens… en nous rappelant que nous ne pouvons pas croître indéfiniment dans un monde fini ». Mais, nous dit Jacques Lecomte : « On ne peut présenter Malthus comme un écologiste avant l’heure, alors que sa préoccupation était toute autre, et ses propositions particulièrement brutales » (p 24).

Lorsqu’on s’oppose à une croissance sans frein génératrice du désordre naturel, on considère souvent le rapport Meadows, le rapport du Club de Rome publié en 1972 ; les ‘limites de la croissance’ comme un avertissement précurseur. Jacques Lecomte nous montre en quoi le rapport Meadows est cependant critiquable. « Certes les auteurs du rapport Meadows décrivent des impacts néfastes de l’action humaine (déchets nucléaires, pollution de l’eau et de l’air, pesticides), mais cela reste secondaire dans l’ouvrage. L’alerte environnementale constitue moins d’un dixième du propos. Comme beaucoup d’autres écrits effondristes contemporains, ce document met essentiellement en garde contre le risque de proche effondrement de notre société industrielle par manque de matières premières… » (p 47). Cependant, on constate maintenant que les prévisions du rapport ne se sont pas réalisées. « Les dates prévues de pénurie de matières premières devant conduire à l’effondrement se sont toutes révélées fausses » (p 49). De fait, on peut voir de ‘multiples biais méthodologiques’ dans ce rapport (p 60-55). Les erreurs de prévision ne sont pas sans conséquences. « Le fondement malthusien du rapport conduisait à dire qu’il y a sur terre trop de personnes, comparé aux ressources restreintes de la planète ». Un chercheur chinois a propagé cette vision en Chine et « la politique de l’enfant unique » en a été une « tragique application » (p 62-63).

Jacques Lecomte évoque un autre auteur qui est maintenant renommé et exerce une influence auprès des auteurs effondristes. Jared Diamond est devenu célèbre en publiant en 2005 un ouvrage intitulé ‘Effondrement’ dans lequel il affirme que « plusieurs facteurs expliquent la disparition ou la fragilisation de certaines civilisations telles que les Incas, les habitants de l’Ile de Pâques, les Vikings… Ces causes sont principalement des dommages environnementaux, des changements climatiques, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux et les réponses apportées par chaque société à ces problèmes. Le sous-titre ‘Comment les société décident de leur disparition  ou de leur survie’ précise bien les intentions de l’auteur » (p 64). Ce livre a rencontré un grand succès. « Il est devenu un best-seller mondial très souvent cité par les auteurs catastrophistes qui insistent sur les dommages environnementaux comme source d’effondrement ». Or, ces explications sont maintenant contestées. « Des dizaines d’experts, des centaines de pages ont remis en question l’ensemble de l’édifice élaboré par Diamond. En 2010, un groupe d‘universitaires s’est réuni à l’université de Cambridge pour analyser le concept d’effondrement en histoire et en archéologie. Un consensus a émergé selon lequel l’effondrement sociétal est un concept fuyant qui résiste à tout tentative de définition simple et les vrais effondrements sociaux sont rares. Ce que constatent les spécialistes, ce sont plus des déclins et des transformations que des chutes brusques. Certes, ces chercheurs ne nient pas que des désastres surviennent, mais ils notent une considérable résilience des peuples en réponse à toutes sortes de difficultés et changements environnementaux » (p 64). « La résilience est la règle plutôt que l’exception lorsque ces sociétés ont dû faire face à des problèmes extrêmes » (p 65). Jacques Lecomte étudie ensuite le cas emblématique de l’Ile de Pâques dans le Pacifique. « Diamond affirme que les habitants de l’île ont pratiqué un « écocide » en détruisant leur forêt ce qui a conduit à leur propre destruction » (p 66). Or, d’autres chercheurs ont contesté les arguments de Diamond. Ainsi, ce n’est pas le transport des grandes statues de l’Ile de Pâques qui a nécessité et entrainé la déforestation. Et l’effondrement de la population n’a pas eu lieu avant l’arrivée des européens. Ces critiques sont trop souvent ignorées par les medias qui continuent à faire l’apologie du livre de Diamond (p 66-70).

En conclusion de ce chapitre, Jacques Lecomte réitère sa critique du rapport Meadows en s’inspirant d’un autre modèle, celui du rapport Bariloche, qui, à l’encontre d‘une croissance zéro, met en évidence les besoins des pays non occidentaux. « Les problèmes les plus importants que le monde moderne doit affronter ne sont pas d’ordre physique, mais sociopolitique et proviennent d‘une distribution inégale du pouvoir tant sur le plan international qu’au sein des pays eux-mêmes » (p 72). « Une autre vision – humaniste – du monde est possible » conclut Jacques Lecomte (p 71).

 

Une autre composante de l’effondrisme :  une annonce de la pénurie de matières premières

Jacques Lecomte consacre un chapitre à réfuter la thèse d’une pénurie imminente de matières premières : « La pénurie imminente de matières premières constitue la pièce maîtresse de l’effondrisme. Enlevez pétrole, charbon, gaz, métaux et minerais, et notre civilisation moderne s’effondre… Le pic de matières premières, c’est-à-dire le moment où la production mondiale atteint son maximum, puis décline, est donc au cœur de ce discours. Or affirmer que nous sommes au bord d’une pénurie mondiale de matières premières résulte d’une lecture biaisée des données scientifiques existantes ». L’auteur peut ainsi relever un grand nombre de prédictions alarmistes qui se sont révélées fausses. « Depuis 1860, on observe de multiples alertes sans fondement ». Bien plus, Jacques Lecomte renverse cette perspective : une gestion économe des ressources est un moyen de lutter contre une croissance effrénée. « Le vrai problème n’est pas que nous allons manquer de pétrole et de minerais, mais que nous en avons beaucoup trop à disposition. L’enjeu majeur n’est dons pas l’imminence de la pénurie de matières premières, mais la décision de laisser dans le sol des quantités considérables de ces produits » (p 75-76). Les nombreuses analyses de ce chapitre se fondent sur des études de cas particulièrement documentées. L’approche est logique : «  Croire ou se faire croire à la pénurie imminente de matières premières, c’est perpétuer le système actuel. Un monde reposant essentiellement sur une énergie carbonée et c’est inacceptable d’un point de vue environnemental » (p 102). « La transition énergétique par contrainte liée au pic des matières premières est un mythe. En revanche, l’essor de cette transition par décision est possible… » (p 103).

 

Le climat. « Comment les effondristes maltraitent les rapports du GIEC et se trompent sur les peuples du sud ».

Nous voici en présence du problème majeur : la menace d’un bouleversement climatique. Sur ce point, nous avons tous besoin d’un éclairage objectif et porteur d’un espoir mobilisateur. L’apport de Jacque Lecomte va se révéler précieux.

« Le changement climatique est le problème environnemental majeur. Nous sommes alertés depuis plus de trente ans par les rapports successifs du CIEC (groupe intergouvernemental sur l’évolution de climat), ce réseau international d’experts, dont la mission est d’évaluer et de diffuser l’état des connaissances sur le réchauffement climatique et ses conséquences » (p 105). Les travaux du GIEC sont devenus de plus en plus précis et assurés. « Le consensus scientifique sur l’origine humaine du réchauffement climatique est aujourd’hui impressionnant ». On peut constater que la plupart de ses prédictions climatiques se révèlent exactes (p 106). Jacques Lecomte remarque alors que les messages du GIEC peuvent être déformés aussi bien par les effondristes que par les climatosceptiques. Il sait critiquer certains articles envisageant «une terre bientôt inhabitable » (p 111-117) en montrant combien leurs références sont peu fiables et en mentionnant les oppositions qui leur sont faites. Dans certains cas, Jacques Lecomte redresse quelques images catastrophiques qui viennent alimenter notre eco-anxiété telles qu’un probable engloutissement du Bangladesh ou des îles des océans Indien et Pacifique sous les eaux.

« Le Bangladesh est l’un des pays les plus sujets aux catastrophes naturelles, indépendamment même du changement climatique. Environ 80% du Bangladesh est composé de l’immense delta du Bengale alimenté par trois fleuves… Chaque année, entre un cinquième et un tiers du pays est inondé et ce taux peut s’élever jusqu’à 70%. Il s’agit d’inondations temporaires. La plus grande partie du pays est située à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer et les vastes zones côtières à moins de 1 mètre… » (p 118). Toutefois, ces inondations sont à la fois destructrices et productrices en dépôt d’alluvions. Selon le GIEC, la mer s’élèvera de 26 cm à 98 cm en 2100. Mais les conséquences sont évaluées différemment selon les auteurs. Jacques Lecomte réfute un scénario dramatique. Il se réfère à un géographe anglais expert du Bengale, Hugh Brammer. « Selon lui, la géographie physique et la zone côtière du Bangladesh sont plus diverses et dynamiques qu’on ne le pense généralement. C’est une erreur de penser que cette élévation va submerger la côte » (p 119). Et, en raison des alluvions apportés par les fleuves, on note même des gains de terre au long des années. Par ailleurs, les habitants de ce pays ne sont pas passifs. On peut constater de nombreuses innovations. Et, par exemple, « de vastes bâtiments sur pilotis en béton ont été construits ». Ils servent de refuge en cas d’inondation. En même temps, les services d’alerte sont perfectionnés. On observe dans ce pays une grande ingéniosité. On y compte, par exemple, de multiples innovations agricoles comme des variétés de riz résistantes à la salinité… Una attention particulière est portée aux « charlands », ces iles qui se forment grâce à l’accumulation des sédiments. « Lorsque le « charland » est stabilisé, l’État met en place un système permettant à des familles de devenir propriétaires du lieu qu’elles occupent. La gestion des ressources naturelles est communautaire ». A la lecture de cette description, notre représentation change. « En parlant de 60 millions de Bangladais privés de terre, les effondristes nous les présentent comme une masse indifférenciée et impuissante, alors qu’il s’agit de personnes actives et efficaces, généralement structurées en communautés solidaires. Confrontés à l’adversité depuis toujours, les Bangladais ont su faire preuve de créativité et obtiennent de remarquables résultats » (p 124).

Jacques Lecomte nous permet également de reconnaitre le potentiel de résistance des îles du Pacifique menacées par la montée du niveau de la mer. De fait, les phénomènes naturels ne comportent pas uniquement des aspects négatifs. Ainsi « les vagues transportent, puis déposent sur la côte du sable, du gravier, et des parties de coraux… ». D’autre part, les coraux sont des organismes réactifs. Un expert peut écrire : « L’accumulation de données scientifiques montre que les îles réagissent à l’élévation du niveau de la mer. De nombreuses possibilités d’adaptation permettent aux habitants des îles de continuer à mener une bonne vie. Le défi est de savoir comment y arriver, ce qui est politique… » (p 128). « On ne doit pas minimiser l’importance de la résilience et des actions des communautés locales » souligne Jacques Lecomte.

Au total, ce chapitre nous parait analyser en profondeur les problèmes en recherchant, en même temps, les voies de solution. Ainsi, intitule-t-il son dernier texte ‘Face aux mythes déprimants et stigmatisants, une réalité porteuse d’espérance’. Là encore, il apporte un exemple positif. Face aux tensions et aux conflits suscités par le problème du partage de l’eau, il nous décrit « les fréquents exemples de diplomatie de l’eau ». C’est par la négociation et la coopération que les problèmes partagés ont le plus de probabilités d’être réglés » (p 150).

 

La biodiversité. Dramatiser la crise est aussi néfaste que la nier

« La nature est en danger. C’est incontestable ». « Une partie de la biodiversité est clairement en grande difficulté ». L’auteur en donne quelques exemples : « la réduction des écosystèmes sauvages » ; « l’effondrement de nombreuses espèces d’amphibiens » ; « le déclin des insectes » ; « le déclin des oiseaux communs d’Europe et d’Amérique du Nord ». Comment Jacques Lecomte envisage-t-il la situation ? « Tout cela est préoccupant. Il n’y a donc nul besoin de noircir le tableau pour en percevoir la gravité. C’est malheureusement ce qui est souvent fait, que ce soit par des experts, des militants, ou des journalistes. J’analyse dans les pages qui suivent des arguments fréquemment mis en avant par des partisans d’une vision catastrophique. L’information objective sur les problèmes diffère nettement de l’extrémisme catastrophique » (p 165). L’auteur critique notamment la prédiction d’une prochaine « extinction ce masse ». Il y a un immense écart entre les prédictions catastrophiques d’espèces devant s’éteindre (jusqu’à un million) et la réalité (quelques centaines en plusieurs siècles) (p 166). De fait il y a des espèces perdantes, mais aussi des gagnantes grâce à l’action militante » (p 169). Ainsi, si il y a une perte massive de certains oiseaux familiers en Europe ( alouette, étourneau, moineau domestique), il y aussi des espèces rares et menacées qui se portent mieux. « Par exemple, la population des grues cendrées a été multipliée par 5. Les oiseaux rares européens sont en pleine renaissance. De forts progrès qui consacrent des années d’efforts des naturalistes et des politiques de protection » (p 171). Au total, « il n’y a donc pas un effondrement généralisé de la biodiversité, mais plutôt trois situations. Une majorité d’espèces sont stables. Il y a le groupe minoritaire des espèces perdantes et les espèces gagnantes » (p 170). L’auteur fait apparaitre des biais dans l’examen des espèces menacées. Ainsi, « lorsqu’une espèce entre dans la catégorie ‘préoccupation mineure’, elle ne peut plus jamais s’améliorer, même si sa population augmente considérablement » (p 184). En France, de nombreux mammifères sont en grande augmentation, tels les chevreuils, les cerfs, les chamois, les castors, les sangliers. Les castors se sont multipliés par 100 en un siècle (p 185). Sur de nombreuses pages, l’auteur procède à un examen détaillé des informations sur des pertes jugées catastrophiques. Par un travail minutieux, la confrontation de recensements, il met en évidence des abus de dramatisation. Il montre notamment les réussites des législations protectrices, par exemple dans le cas des rhinocéros d’Afrique et des loutres de mer (p 204-208).

Ainsi apparait un tableau moins sombre que celui qui nous est présenté par les médias.

On peut se demander si cette moindre dramatisation ne risque pas d’engendrer une démobilisation. Jacques Lecomte s’est posé cette question et il y répond. « Pour ma part, en écrivant ce chapitre, ne serais-je pas en train de tirer contre mon propre camp, celui des amoureux de la nature ? Je ne le pense pas pour trois raisons ; d’objectivité et de crédibilité, d’efficacité ; de vision existentielle. » (p 211). « Si on nous donne l’impression que la situation est désespérée, on pensera qu’il est trop tard pour changer de cours. Ce qui est faux. Quand on prend des mesures énergiques, on obtient des résultats… Les recherches en sciences humaines montrent que la communication par les expériences positives et l’espoir est plus efficace que la communication par la catastrophe. Informer prioritairement sur la baisse de la biodiversité, voire sur les risques d’extinction d’espèces, était certainement utile, il y a une cinquantaine d’années, et cette démarche a conduit à prendre des mesures, dont certaines se sont révélées très efficaces. Mais la situation n’est plus la même aujourd’hui, car, à côté des menaces pesant sur la nature, nous disposons d’une histoire riche de multiples succès, qu’il est nécessaire de faire connaitre pour les multiplier » (p 211). « Une dernière raison pour laquelle j’assume pleinement l’orientation de ce chapitre est existentielle. Je considère que s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens à la vie bien plus puissante que d’être obnubilé par sa destruction » (p 213). Le chapitre se conclut par une réflexion stratégique. Comment améliorer la conservation de la nature et la protection de la biodiversité ? De plus en plus, en partageant les expériences de réussite des actions entreprises.

 

Comment se produisent les déformations dans l’appréhension du réel qui abondent dans la pensée effondriste ?

Jacques Lecomte consacre la seconde partie de son livre à une confrontation avec la pensée effondriste et, en d’autres termes, avec la collapsologie. On se reportera particulièrement au chapitre sur les biais cognitifs. Une citation de Karl Popper exprime bien les intentions qui instruisent ce chapitre : « Si nous ne prenons pas une attitude critique, nous trouverons toujours ce que nous désirons ; nous rechercherons, et nous trouverons la confirmation ; nous éviterons et nous ne verrons pas tout ce qui peut être dangereux pour nos théories favorites. De cette façon, il n’est que trop aisé d’obtenir ce qui semble une preuve irrésistible en faveur d’une théorie qui, si on l’avait approché d’une façon critique, aurait été réfutée ».

Ce livre porte sur des questions fondamentales. Comment faire face aux menaces vis-à-vis de la poursuite de notre humanité dans son environnement naturel ? Et donc comment évaluer cette menace et développer de bonnes stratégies ? Dans cette recherche, ce livre est très original dans sa quête d’objectivité et son approche positive. En s’affrontant à la collapsologie et à la pensée effondriste, il nous prémunit vis-à-vis de la tentation du défaitisme, il vient nous encourager dans l’espérance. Oui, « s’émerveiller de la renaissance de la nature est une source de sens à la vie ».

Cependant, ce livre se caractérise par un travail considérable dans la confrontation des données et la recherche des sources. il nous apprend à évaluer l’information dans un monde où cette démarche est difficile. Et, à cette intention, il mobilise une immense documentation. A cet égard, c’est un outil de travail pour tous ceux qui travaillent dans les médias. Il y a trop d’idées toutes faites dans une fascination de la dramatisation. Cet ouvrage est donc un livre de référence. Ici, Jacques Lecomte poursuit son œuvre qui est de nous éclairer dans une approche positive.

J H

 

  1. L’espérance en mouvement : https://vivreetesperer.com/lesperance-en-mouvement/
  2. Jacques Lecomte. Rien n’est joué ; La science contre les théories de l’effondrement. Les Arènes, 2023
  3. La bonté humaine : https://vivreetesperer.com/la-bonte-humaine/
  4. Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
  5. En 2017, Jacques Lecomte avait déjà publié un livre visant à introduire un regard positif dans l’observation des réalités contemporaines : « Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez » : https://vivreetesperer.com/et-si-tout-nallait-pas-si-mal/

Comment les Béatitudes viennent éclairer nos parcours personnels et contribuer au développement d’une contre-culture

Un livre de Frédéric de Coninck, bibliste et sociologue

Les paroles de Jésus dans les Béatitudes apparaissent comme majeures dans son enseignement et elles viennent donc inspirer la vie chrétienne, mais pour un grand public, il peut être utile d’en rapporter la présentation dans Wikipédia : « Les Béatitudes (du latin beatitudo : le bonheur) sont le nom donné à une partie du Sermon sur la montagne, rapporté dans l’Évangile selon Matthieu (5.3-12) et à une partie de Sermon dans la plaine de l’Évangile selon Luc (6.20-23) » (1).

Malgré l’importance de ces paroles dans l’enseignement de Jésus, leur réception ne va pas de soi comme en témoigne Frédéric de Coninck en racontant des étapes de son long cheminement dans son approche des Béatitudes jusqu’à la rédaction de son livre. Maintenant Frédéric peut nous dire ici combien ces paroles de Jésus sont là pour inspirer notre vie chrétienne tant personnelle que collective. Très tôt cependant, Frédéric avait été touché par la manière dont les sœurs protestantes de Pomeyrol proclamaient l’esprit des Béatitudes en termes de « joie, simplicité, miséricorde », en phase avec la galaxie spirituelle de « la Fraternité spirituelle des veilleurs », des sœurs de Grandchamp et de la communauté de Taizé (p 10-13).

Cependant, au terme de son long cheminement, Frédéric vient nous dire que ce message des Béatitudes est accessible à tous et qu’il est aussi indispensable pour tous, face aux aléas de la vie. « Je voudrais montrer la pertinence de ce message pour encourager les chrétiens à le prendre au sérieux et à se tourner vers Dieu pour lui demander son aide. Je le fais d’abord pour eux parce que la radicalité de l’évangile est libératrice et source de bonheur ».

« Je le fais ensuite pour le monde autour d’eux ». Jésus ne s’est pas adressé seulement aux disciples, mais à la foule qui l’entourait. « Il m’importe que ce peuple qui vit les Béatitudes ne soit pas limité à des petits cercles restreints dans l’espace et faciles à isoler. Il importe que « la foule » entende quelque chose de ce message. C’est cela qui donnera corps et chair à notre témoignage et qui pourra montrer au monde autour de nous que Dieu ne l’a pas oublié et qu’il a aujourd’hui encore quelque chose à lui dire, une bonne nouvelle à lui annoncer » (p 17).

Voici pourquoi Frédéric de Coninck a intitulé son livre : « Les Béatitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies » (2).

 

Quelques clés pour comprendre les béatitudes. La construction de ce livre

La lecture des Béatitudes n’est pas sans présenter quelques difficultés. Frédéric de Coninck nous présente quelques approches pour en faciliter la compréhension. « Il est très éclairant », nous dit-il, de rattacher les phrases des Béatitudes à l’ensemble de l’évangile de Matthieu ainsi qu’à d’autres livres de la Bible ». « Ce bref texte ne doit pas être extrait de l’évangile de Matthieu et regardé pour lui-même ». On doit le considérer en rapport avec ce qui précède (les tentations de Jésus) et ce qui suit. « Ce texte est un moment dans l’ensemble du ministère de Jésus, auxquels de nombreux autres moments font écho » (p 20).

Et, d’autre part, une bonne part des mots ont une histoire dans l’Ancien Testament. On tiendra compte également de la traduction dans le passage du lexique hébreu au lexique grec.

Frédéric de Coninck nous invite à entrer dans «la visée du texte : faire entrer dans une spiritualité plutôt que d’édicter des règles de conduite ».

« Les Béatitudes heurtent en effet, si on les prend comme des devoirs à accomplir. Plus même que heurter, elles écrasent. Naturellement, Jésus recommande certaines attitudes au travers de ce texte. Mais son propos est plutôt d’ouvrir l’accès à une vie libre et heureuse. C’est ainsi qu’il a vécu, lorsqu’il est venu parmi nous, et c’est ainsi qu’il nous invite à le rejoindre, au milieu de nos aliénations, de nos errances et de nos fausses pistes » (p 21).

L’auteur ouvre quelques orientations.

° Les Béatitudes ouvrent à une pratique. « Elles nous incitent à mettre en œuvre l’esprit de pauvreté, la construction de la paix, la recherche de la justice etc. à la mesure de nos forces ».

° Elles répondent à beaucoup d’énigmes et d’impasses qui taraudent le monde d’aujourd’hui.

° « Enfin, les Béatitudes ne sont pas seulement des poteaux indicateurs. Elles sont aussi une voie d’entrée pour construire une relation avec le Christ. Nous comprenons mieux qui est Dieu en nous, en nous mettant à l’écoute de ses paroles et cela modifie la relation que nous avons avec lui. Et qui dit relation transformée, dit vie transformée : nous nous approchons de l ’esprit des Béatitudes au fil de l’évolution de notre rapport avec Dieu ».

« Porter attention à la visée communautaire, voire collective, de ces aphorismes majeurs, éclaire leur sens et nous fournit une clé d’entrée majeure pour les actualiser ».

Frédéric de Coninck nous rappelle l’enfermement de l’individualisme prégnant dans la société contemporaine.

Or, « les Béatitudes sont écrites au pluriel ». « Elles concernent le peuple tout entier ». Ainsi, selon Frédéric, « les Béatitudes, à la fois nous rejoignent dans notre intimité, dans nos réactions les plus personnelles et les plus secrètes, et elles se projettent vers des formes collectives où elles peuvent se vivre ». On peut donc lire les Béatitudes comme le socle d’une spiritualité intime, aussi bien que communautaire, voire sociale. Et les trois lectures s’enchaînent l’une avec l’autre. Le bonheur qu’elles procurent s’approfondit si on suit le passage entre ces trois niveaux. Elles nous appellent à vivre les uns avec les autres d’une manière renouvelée et joyeuse et c’est ainsi qu’elles prennent corps et sortent de l’idéalisme dont on peut les soupçonner. Et c’est pour cela que je parle de contre-culture : ce ne sont pas seulement des choix ponctuels, ce ne sont pas seulement des choix individuels, c’est une autre manière de voir le monde et d’y vivre ».

C’est dans cette perspective que le livre a été conçu. Les chapitres portant successivement sur chaque Béatitude, sont coupés en deux parties ; d’abord l’étude du texte, en le rattachant au reste de l’Évangile de Mathieu et aux passages de l’Ancien Testament qui l’ont précédé, ensuite une actualisation que j’ai appelée : « au quotidien ». Cette actualisation montre les dégâts causés par le fait de tourner le dos, individuellement et collectivement,  à l’esprit des Béatitudes. Elle trace ensuite la voie d’une spiritualité heureuse, à la suite du Christ et dans la lumière de l’Esprit au niveau individuel et intime d’abord. Ensuite j’examine les retentissements communautaires et potentiellement sociaux de cette spiritualité » (p 26-27). Il y a là un horizon potentiellement socio-politique. « Celui qui tente de suivre (sans même y parvenir complétement) la démarche proposée par les Béatitudes se retrouve à rebours des tendances dominantes, inscrit dans une contre-culture. Et il découvre que cette contre-culture est une contre-culture heureuse, au milieu de sociétés d’abondance, inquiètes, déboussolées et malheureuses » (p 27).

A titre d’exemple, nous présenterons maintenant un chapitre consacré à une des Béatitudes.

 

Heureux les doux, car ils hériteront la terre

L’auteur consacre le chapitre 5 à la béatitude : « Heureux les doux, car ils hériteront la terre », en donnant pour titre à ce chapitre : De la tragédie du pouvoir à une politique de la douceur. Une spiritualité de la grâce en action.

Son premier commentaire explicite ce titre. « Cette béatitude et les mentions (rares, mais décisives) de la douceur de Jésus lui-même dans l’évangile de Matthieu nous entrainent vers un sujet crucial : le pouvoir, ses tragédies et le moyen de traverser les espaces politiques (dans tous les sens du terme) d’une manière heureuse et pertinente. Autour du thème de la douceur, on peut parcourir toute la gamme qui va du choix individuel à une pratique communautaire, jusqu’à un contre-modèle de ce qui structure un bonne partie des pratiques sociales » (p 59)

Comme à l’habitude, Frédéric de Coninck éclaire la béatitude en rapportant l’inspiration de l’Ancien Testament, ici en se référant au Psaume 37. En effet, cette béatitude est une citation littérale de la version grecque du Psaume 37, qui traduit par « doux », un mot hébreu qui peut aussi vouloir dire « pauvre » ou « humble ». Dans le Psaume 37, c’est la formule : « Ils hériteront de la terre » qui sert de leitmotiv. Cependant, en hébreu, il n’y a qu’un mot pour dire ‘le pays’ ou ‘la terre’. Pour le Psalmiste, ce sont plutôt finalement les doux, les justes, ceux qui espèrent le Seigneur et qui gardent ses voies, qui posséderont le pays… Sur un mode apaisé et distancié, ce texte fait bien écho à la tragédie du pouvoir… Celui qui est en position de pouvoir a tendance à en abuser… A l’inverse, les prophètes et les psaumes ne cessent de souligner que l’on n’accède pas au pouvoir par le pouvoir » (p. 61)

L’auteur voit dans l’opposition entre Saul et David, « une illustration majuscule de la tragédie du pouvoir ». David n’est pas un doux au sens où nous l’entendons, mais il manifeste un respect du pouvoir royal (en tant qu’institution), une sensibilité aux autres, une écoute de la critique qui en fait un antitype de Saul. Il possède une forme d’humilité et d’ouverture aux autres qui tranche avec l’orgueil et l’enfermement de Saul ». Frédéric de Coninck commente cette histoire (p 62-66).

« Dans le psaume 37, Jésus sélectionne le verset le plus éloigné de la vengeance à savoir celui qui parle de la douceur. Le mot hébreu signifie plutôt ce qui est humble et respectueux. Jésus lui-même se dira : « doux et humble » (Mt 11-29). C’est le sens le plus proche. On est à l’opposé de la tragédie du pouvoir… ». D’autre part, Jésus n’envisage pas le succès d’une nation ou d’un parti. « La version grecque qui avait déjà élargi du « pays » à la « terre » est, dans le cas présent, pertinente » (p 67). Du côté de la tragédie du pouvoir, Jésus a refusé « tous les royaumes du monde et leur gloire » (Mat 4.8) que le diable lui proposait. « La douceur et l’humilité s’opposent trait pour trait à la violence ». Qu’entend donc Jésus par « hériter la terre » ? « En fait, la douceur (de même que la miséricorde et la fabrique de la paix) correspond à la grâce en action. C’est pour cela que cette béatitude décrit plus encore que les autres, Jésus lui-même. Et c’est pourquoi il dira explicitement : « Je suis doux et humble de cœur » (Mat 11.29)… La grâce et le mode d’être et d’agir de Jésus dans ce monde brutal et déchiré par la tragédie du pouvoir. Jésus fait grâce et cela se traduit par son accueil et sa douceur… Au-delà de la dénonciation du pouvoir, cela construit des espaces de vie plus vastes qu’on ne l’imagine souvent : des espaces de vie sociale heureuse qui vont jusqu’aux limites de la terre. C’est là l’héritage que Jésus nous promet. La « terre » est, si l’on veut, l’ici-bas, traversé par une logique contre-culturelle » (p 68-69).

Frédéric de Coninck cite la parole de Jésus : « Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mat 11.28-30). « Les mots de « joug » et de « fardeau », ne sont pas employés au hasard, nous dit l’auteur. « Il s’agissait, quasiment, pour les juifs qui écoutaient Jésus, de termes techniques qui désignaient les devoirs de la loi ». « Jésus appelle donc ceux qui souffrent une dure domination à venir vers lui pour desserrer l’étreinte. Et, il pense, en premier lieu, à la torture morale que les personnes subissent en s’efforçant d’observer la loi. C’est de ce fardeau qu’il entend en premier lieu les délivrer ». « Pour la plupart des habitants d’Israël, la religion était devenue un carcan difficile à porter. Jésus se pose en rupture. Il est celui qui vient alléger le poids du fardeau » (p 69-72).

En Jésus, la douceur s’est également manifestée dans sa recherche de proximité en contraste avec l’isolement du pouvoir. Jésus « cherche à rejoindre l’autre dans les difficultés et les pénibilités de la vie, à marcher avec lui. C’est ce que Kierkegaard a appelé « l’école du christianisme ». L’attitude de la grâce que Jésus enseigne à adopter dans cette école rejoint celui qui est prêt à répondre à un appel et non pas celui qui est contraint d’obéir à un ordre… La stratégie éducative de Jésus est en ligne avec sa stratégie politique. Il renonce là aussi à cadrer de trop près par la loi… » (p 72). « Quel est donc le territoire étrange que Jésus entend construire à travers cette école particulière ? Il ressemble sans doute plus à un réseau où les personnes se reconnaissent mutuellement proches les unes des autres, qu’à un espace délimité régi par un souverain » (p 72-73).

On retrouve mention de cette douceur dans le récit de la passion. Matthieu s’inspire du prophète Zacharie à propos de l’épisode du jour des Rameaux. « Voici que ton roi vient à toi, doux et monté sur une ânesse et sur un ânon (Mat 21.4-30). L’auteur constate que Matthieu s’inspire beaucoup du prophète Zacharie, mais « il y pioche dans les épisodes les plus opposés au triomphe militaire… On comprend indirectement que pour Matthieu, Jésus a pleinement accompli la prophétie de Zacharie en restant le roi doux monté sur un âne et sans avoir besoin de faire appel au versant sombre et violent des autres passages » (p 75).

Frédéric de Coninck s’interroge ensuite sur les effets de cette attitude « au quotidien ». Comment cet esprit s’est-il manifesté dans l’histoire ? Il nous entretient d’une longue « éclipse de la politique de la douceur », de la violence dominatrice qui s’est imposée lorsque la christianisme a pactisé avec l’empire, « jusqu’à la résurgence franciscaine, puis la Réforme radicale au XVIe siècle » (p 78).

Citant une personnalité de cette Réforme radicale, Pilgram Marpeck, Frédéric de Coninck distingue deux logiques d’action : Ou on parle beaucoup d’attention « à l’ordre social que produisent le droit et l’usage légitime de la force », ou on recherche un mode de vie inspiré par « la grâce, la pitié, l’amour de l’ennemi, la patience et la foi au Christ sans coercition ». Cette seconde approche engendre quelque chose plutôt de l’ordre de la thérapeutique. D’ailleurs, « la figure de Jésus thérapeute est fréquente chez Marpeck ». « Est-ce que cela a du sens de vivre l’amour dans un mode brutal ? C’est ce qu’annonce cette béatitude. Cela a du sens même individuellement. Et collectivement, cela produit un espace social particulier. Quand les chrétiens s’interrogent sur le rôle social qu’ils peuvent tenir dans la société, ils sous-estiment souvent la portée d’une attitude de douceur, d’accueil de l’autre, de compassion. Ils sous-estiment également la consistance du territoire qui se construit de cette manière » (p 78).

Qu’en est-il aujourd’hui ? « Quels territoires émergent, mettant en œuvre la grâce et la douceur ? On en a plusieurs exemples dans l’Église comme hors de l’Église. Les démarches coopératives ou associatives, par exemple, construisent des entités fragiles, bien plus fragiles que les états… Mais l’élan, la capacité à faire face à des situations critiques, l’invention de nouvelles manières de vivre ensemble, sont clairement du côté des espaces de vie où l’on s’accueille les uns les autres avec douceur et bienveillance » (p 79). Significativement, un des premiers sociologues des religions, Henri Desroche, s’est intéressé d’un coté à ce qu’on appelle ‘Les religions de contrebande’, et de l’autre aux mouvements coopératifs contemporains. Entre La société vue d’en bas par les contrebandiers de la religion et les coopératives, il y a des analogies et des familiarités » (p 79).

Il y a grand besoin de douceur « dans nos sociétés contemporaines qui sont malades de la faiblesse des relations de proximité et de la force des relations sociales formelles qui poussent à l’individualisme ». (p 80).

Le chapitre se conclut ainsi : « La douceur est un portail d’entrée dans la contre-culture heureuse à laquelle nous invite le Christ. Elle est même, peut-être, le trait qui se rapproche le plus de sa personne. C’est en tout cas le trait que souligne l’Évangile de Matthieu.

« Heureux les doux, car ils hériteront la terre » (p 80).

 

Une ouverture évangélique

Dans son livre, Frédéric nous aide à lire les Béatitudes dans leur contexte biblique. Comme dans ses nombreux livres parus depuis les années 1990 et souvent présentés sur le site de Témoins (3), Frédéric allie la compétence et une intelligence informée par une culture originale tant à travers son métier de sociologue qu’à travers les questions qu’il pose et auxquelles il cherche à répondre. C’est une recherche en évolution, car Frédéric est lui-même constamment en quête, comme il nous en décrit ici le cheminement.

En évoquant une contre-culture nourrie par les Béatitudes, Frédéric de Coninck nous parait bien inspiré. Car, on prend partout conscience que notre société fait fausse route. La prise de conscience écologique contribue à la mise en évidence de l’inadéquation d’une culture instrumentale et individualiste. Avec Corinne Pelluchon, comment entrer dans l’âge du vivant ? (4) Une aspiration spirituelle se développe.

Si le mal est, hélas très actif aujourd’hui, Il y a donc bien également un nouvel état d’esprit à même d’entendre le message des béatitudes. Ainsi avons-nous présenté le livre de Michel Serres : « Une philosophie de l’histoire » (5) : « Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort ». Des courants alternatifs apparaissent et se développent. Parmi ces mouvements, on peut noter la promotion de la sollicitude et du soin dans un culture et une société du « care ». (6). A la même époque, apparait également la promotion de la non-violence à travers le mouvement de la « communication non-violente ». (7) On peut voir ici une œuvre de l’Esprit de Dieu qui agit bien au-delà des Églises. L’inspiration des Béatitudes vient nous énoncer le dessein de Dieu à travers les paroles de Jésus. Si ce texte est répété à maintes reprises dans l’enseignement chrétien, le livre de Frédéric de Coninck vient renouveler et actualiser notre compréhension.

J H

 

  1. Les Béatitudes , dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Béatitudes
  2. Frédéric de Coninck. Les Béatitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies. Exelcis, 2023
  3. Frédéric de Coninck sur le site de Témoins : https://www.temoins.com/?s=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+de+Coninck&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
  4. Des Lumières à l’âge du vivant. Selon Corinne Pelluchon : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
  5. Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
  6. Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
  7. Marshall Rosenberg et la communication non violente : https://vivreetesperer.com/vois-la-beaute-en-moi-un-appel-a-entendre/