par | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Vision et sens |
Face à un danger d’accident, une expérience rapportée par Odile Hassenforder (« Sa présence dans ma vie »).
Quelques années après la transformation engendrée par le vécu d’une guérison dans l’Esprit et accompagnée par une lecture régulière et inspirée de la parole biblique, Odile nous rapporte l’expérience d’un risque d’accident et les sentiments et les pensées que cet incident a suscité en elle.
En Christ, son être intérieur est désormais en sûreté, dans un ressenti d’intégrité et de confiance. Elle constate également les effets de sa fréquentation des textes bibliques dans l’inspiration de l’Esprit. «La Bible n’est pas une simple histoire à comprendre intellectuellement ou à adopter comme modèle de conduite. C’est beaucoup plus que cela et autre chose… J’ai découvert qu’elle est semence. Je demande à L’Esprit de faire germer cette semence en moi. Je n’en vois les fruits que lorsqu’il y a corrélation avec la réalité concrète… Je réalise l’importance pour moi de me laisser imprégner par les Ecritures pour devenir ce sarment accroché à la vigne dont Jésus est le cep… ».
La nuit est noire. Il pleuvait…
La nuit est noire. Il pleuvait. Un chapelet de feux rouges devant moi. Je suis emportée dans le flot des voitures. Il est tard et l’étape est encore loin.
Je regarde le compteur : 140. J’ai un coup au cœur. Une angoisse m’assaille. Un moindre incident, un petit coup de volant pour éviter une pierre ou une voiture qui change de file et j’envoie la famille dans les décors. En un éclair, j’envisage le pire : un enfant qui peut rester orphelin. Tout en prenant instinctivement une allure plus raisonnable, une conviction intérieure m’apaise. J’ai confié mon fils au Seigneur, j’ai confiance : il ne sera pas « cassé ». Cette expression voulait dire pour moi qu’il ne connaîtrait pas, comme je l’avais connue, la destruction de l’être, car Dieu est en lui. Même orphelin, il aurait cette vie intérieure qui le ferait rebondir.
Plus rien ne peut m’atteindre. Le Seigneur ne m’abandonne pas…
Cette conviction m’a tellement imprégnée qu’elle fait partie de mon être : la vie, qui, malgré les apparences visibles, ressurgit pour demeurer éternellement. Je reconnais là que la Parole de Dieu est bien une semence qui a poussé sans que j’y prenne garde, jour et nuit, et qui, à cet instant, porte ses fruits. Au moment de l’événement, il ne m’est pas revenu à l’esprit telle ou telle parole de Jésus en tels versets bibliques, mais une réalité intérieure imprégnée en moi. J’étais dans l’état d’esprit du salut éternel apporté par Jésus. Plus rien ne peut m’atteindre. Le Seigneur ne m’abandonne pas moi et ma maison.
La Bible est une semence. Je demande à l’Esprit de faire germer cette semence en moi…
Ainsi la Bible n’est pas une simple histoire à comprendre intellectuellement ou à s’imprégner comme modèle de conduite. C’est beaucoup plus que cela et autre chose. Avant d’avoir découvert l’action de l’Esprit en moi, je cherchais dans les évangiles, que j’avais lus en entier, une conduite à suivre. Je m’appliquais à suivre une morale qui me paraissait supérieure aux conduites humaines. C’était une nourriture extérieure à moi que j’essayais de digérer au mieux. J’ai découvert depuis qu’elle est semence. Je ne comprends pas toujours, mais avant de lire les Ecritures, je me mets en état de réceptivité. Je demande à l’Esprit de faire germer cette semence en moi. Je n’en vois les fruits que lorsqu’il y a une corrélation avec la réalité concrète que je vois. Il y a alors expérience de la vie de Dieu en moi. Il peut se passer des mois, des années entre telle lecture et la réalisation de sa signification. Elle devient signifiante pour moi à l’expérience. Dans ce laps de temps, la graine a germé sans que je m’en aperçoive. Elle devient un arbre qui peut porter ainsi beaucoup de fruits. C’est pourquoi je réalise l’importance pour moi de me laisser imprégner par les Ecritures pour devenir ce sarment rattaché à la vigne dont Jésus se dit la plante. « Je suis la plante de vigne, vous êtes les branches. Celui qui demeure uni à moi et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruit (le fruit de l’Esprit), car vous ne pouvez rien faire sans moi » (Jean 15.5). Cette union à Jésus, pour moi aujourd’hui, se réalise dans la lecture des Ecritures qui deviennent signifiantes à l’événement vécu antérieurement ou ultérieurement, dans la prière qui est don de soi, réceptivité et louange, et enfin dans la vie qui est parfois interrogation, attente de signification, parfois vision du sens vital.
Odile Hassenforder
Ce texte est extrait d’un chapitre du livre : « Sa présence dans ma vie » (p 47-48) : Hassenforder (Odile). Sa présence dans ma vie. Empreinte, 2011. Ce livre a été présenté sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/evenements-et-actualites/sa-presence-dans-ma-vie.html. Le témoignage et la pensée d’Odile Hassenforder apparaissent dans plusieurs articles de ce blog.
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Pour réformer la finance, il faut changer les finalités et créer des institutions nouvelles incarnant le bien commun.
D’après le livre de James Featherby: « Of markets and men ».
Comment faire face aux dérives et aux ravages du système financier dominant ? Comment refonder la finance ?
Une voix britannique vient nous répondre. James Featherby, membre de l’équipe du « London Institute for Contemporary Christianity (LICC) » (Institut de Londres pour le Christianisme Contemporain), juriste pendant trente ans dans une grande firme de la « City » de Londres, vient d’écrire un livre passionnant à ce sujet : « Of markets and men. Reshaping finance for a new season » (1). (Des marchés et des hommes. Réorganiser la finance pour une nouvelle époque »). Et il nous fait part de son approche dans un article qui vient de paraître sur le site du LICC (2).
En passant en revue les travaux de plusieurs chercheurs, James Featherby met l’accent sur l’importance des institutions. Dans la série de conférences de Reith (Ecosse), en 2012, Niall Ferguson affirme que le plus grand danger pour l’Occident réside dans son autosatisfaction (« complacency ») vis à vis des institutions (3). Dans « The origins of political order » (Les origines de l’ordre politique) (4), Francis Fukuyama déclare que la soumission de l’état aux règles de droit est fondamentale. Dans un livre intitulé : « Why nations fall » (Pourquoi des nations échouent » (5), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent. Dans un ouvrage : « To change the world » (Changer le monde) (6), James Davison Hunter appelle les chrétiens à une « présence loyale » (« faithful presence ») dans les institutions civiques, en se consacrant en premier à l’accompagnement du changement culturel.
Face aux dérives actuelles, « la « bonté » (« goodness » a besoin de s’incarner dans des institutions si nous voulons que des cultures et conduites positives se maintiennent et grandissent. De bonnes institutions, me semble-t-il, peuvent à la fois conduire (« channel ») nos énergies positives et limiter nos excès. L’alternative est claire ».
James Featherby propose quatre démarches radicales pour institutionnaliser le bien (« goodness » dans l’économie et la finance :
° Changer le contrat social entre les grandes entreprises (« large business ») et la société en leur assignant un but civique autant qu’un but privé.
° Défaire le mécanisme par lequel une dette excessive a été créée dans la vie collective et personnelle.
° Réduire les opérations spéculatives dans les marchés financiers sans rapport avec l’économie réelle.
° Donner aux épargnants et aux retraités la capacité de mettre en oeuvre leur capital pour une fonction productive plutôt que d’avoir en vue seulement un rendement financier maximum.
« Si nous ne changeons pas les finalités des entreprises (« corporate objectives of the business ») qui contrôlent la manière dont nous vivons, incluant les structures bancaires, mais sans nous limiter à celles-ci, alors le volume de leurs budgets de publicité et la puissance de leurs plans continueront à accabler (« overwhelm ») à la fois ceux qui travaillent pour elles et le reste d’entre nous ».
Il est bon d’entendre cette voix qui, à partir d’une expérience professionnelle au sein même du système financier actuel, s’élève pour proclamer la nécessité d’un changement majeur dans les finalités et le fonctionnement du système financier et économique.
« Notre finance reflète notre philosophie. Nous avons besoin de penser et d’agir d’une manière qui soit plus relationnelle, holistique, en proximité, audacieuse, humble, inspirée par des finalités et des principes, tout cela en harmonie avec une vision biblique de la vie. Et puis, nous avons besoin de réorganiser nos institutions pour qu’elles reflètent notre nouvelle philosophie. Nous l’avons fait dans le passé. Nous pouvons le faire encore ».
Cette voix converge avec d’autres, entre autres, celles qui nous parlent aujourd’hui d’économie positive (7) ou d’économie solidaire (8) . Le chantier de la réforme est en train de se mettre en route.
J H
(1) Featherby (James). Of markets and men. Reshaping finance for a new season. Tomorrow company, 2012. http://www.licc.org.uk/shop/product/of-markets-and-men-reshaping-finance-for-a-new-season
(2) James Featherby. Reshaping finance for a new season. http://www.licc.org.uk/engaging-with-culture/connecting-with-culture/business/reshaping-finance-for-a-new-season-1389
(3) Niall Ferguson.The rule of law and its Enemies. Reith lectures, 2012 http://www.bbc.co.uk/podcasts/series/reith
(4) Francis Fukuyama. The origins of political order. From prehuman times to the French Revolution. Profile books, 2011. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846682575/
(5) Daron Acemoglu, James A. Robinson. Why nations fail. The origins of power, prosperity and poverty. Profile books, 2012. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846684296/
(6) James Davison Hunter. To change the world. The irony, tragedy and possibility of Christianity in the late modern world. Oxford University Press, 2010 http://ukcatalogue.oup.com/product/9780199730803.do#.UFTcza7j5Zp
(7) Voir sur ce blog : « Changement dans les esprits. Nouvelles finalités, nouvelles approches. L’économie positive ».
Voir sur le site de Témoins : « L’économie sociale et solidaire. Ses valeurs et ses enjeux » http://www.temoins.com/en-bref/leconomie-sociale-et-solidaire-ses-valeurs-et-ses-enjeux.html
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Changement dans les esprits.
Nouvelles finalités, nouvelles approches.
La grande crise financière et économique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi d’engendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme l’écrit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des représentations et des attitudes nouvelles sont en train d’apparaître et de se propager. De l’intérieur, la pratique économique commence à changer.
Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thème de l’économie positive et responsable (2), organisé dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, à l’initiative du groupe PlaNet finance, fondé par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la première institution globale de microfinance dans le monde. Le forum a permis de mettre en évidence des initiatives très diverses. Abondamment commentée dans les médias, cette manifestation a fait connaître le courant de l’économie positive .
Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particulièrement éclairants .
Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourd’hui de sa fragilité. La précarité n’est plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaît comme une menace dans les pays développés. C’est « la prise de conscience d’une situation précaire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont précaires ». Quel avertissement !
La planète se transforme à vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une économie définitivement mondiale, à la fois « nécessaire et inévitable ». Mais si cette mondialisation n’est pas accompagnée par l’affirmation de la « règle de droit », et si possible d’une «règle de droit démocratique », « elle conduira au chaos »
Progressivement, des systèmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on a besoin d’un mouvement analogue à l’échelle mondiale. Il faut « transférer à l’échelle mondiale cette prise de conscience d’une solidarité qui a surgi dans les différents pays ».
L’économie positive est une nouvelle manière d’envisager l’économie. Et, en particulier, le profil y perd son caractère dominateur. « Le profil n’est plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus élevées : altruisme, éthique, morale, qualité de vie… Les richesses créées ne sont plus une fin en soi, mais un moyen…L’argent doit être considéré comme le pinceau du peintre et non comme l’œuvre d’art … ».
C’est un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence à se manifester avec vigueur dans des entreprises pionnières. « L’économie peut être retournée de façon positive si elle considère que sa finalité est éthique… »
La transformation du système économique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train d’apparaître comme le montre Jérémie Rifkin dans son livre sur la « Troisième Révolution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bonté humaine (4), des évolutions dans les mentalités sont en cours. Face aux ravages engendrés par un système en crise , la réflexion des chercheurs (5 ) et la montée d’un nouvel état d’esprit vont appuyer les actions réformatrices. Une piste à suivre attentivement…
J H
(1) Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009. Citation en page de couverture.
(2) Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/
(3) Sur ce blog : « Face à la crise, un avenir pour l’économie : la troisième révolution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354
(4) Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674
(5) Sur ce blog : « Pour réformer la finance… le livre de James Fatherley : « Of markets and men »
par | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Vision et sens |
Dans un temps où l’on a souvent du mal à trouver des raisons d’espérer, ceux qui mettent leur confiance dans le Dieu de la Bible ont plus que jamais le devoir de « justifier leur espérance devant ceux qui (leur) en demande compte » (1 Pierre 3,15). A eux de saisir ce que l’espérance de la foi contient de spécifique, pour pouvoir en vivre.
Or, même si, par définition, l’espérance vise l’avenir, pour la Bible elle s’enracine dans l’aujourd’hui de Dieu. Dans la Lettre 2003, frère Roger le rappelle : « (La source de l’espérance) est en Dieu qui ne peut qu’aimer et qui nous cherche inlassablement » (1)
Dans les Ecritures hébraïques, cette Source mystérieuse de la vie que nous appelons Dieu se fait connaître parce qu’il appelle les humains à entrer dans une relation avec lui : il établit une alliance avec eux. La Bible définit les caractéristiques du Dieu de l’alliance par deux mots hébreux : hased et emet (par ex : Exode 34,6 ; Psaume 25,10 ; 40, 11-12 ; 85, 11). En général, on les traduit par « amour » et « fidélité ». Ils nous disent, d’abord, que Dieu est bonté et bienveillance débordantes pour prendre soin des siens et, en deuxième lieu, que Dieu n’abandonnera jamais ceux qu’il a appelés à entrer dans sa communion.
Voilà la source de l’espérance biblique. Si Dieu est bon et s’il ne change jamais son attitude ni ne nous délaisse jamais, alors, quelles que soient les difficultés –si le monde tel que nous le voyons est tellement loin de la justice, de la paix, de la solidarité et de la compassion- pour les croyants, ce n’est pas une situation définitive ; dans leur foi en Dieu, les croyants puisent l’attente d’un monde selon la volonté de Dieu ou, autrement dit, selon son amour.
Dans la Bible, cette espérance est souvent exprimée par la notion de promesse. Quand Dieu entre en rapport avec les humains, cela va de pair en général avec la promesse d’une vie plus grande. Cela commence déjà avec l’histoire d’Abraham : « Je te bénirai, dit Dieu à Abraham. Et par toi se béniront toutes les familles de la terre » (Genèse 12, 2-3).
Une promesse est une réalité dynamique qui ouvre des possibilités nouvelles dans la vie humaine. Cette promesse regarde vers l’avenir, mais elle s’enracine dans une relation avec Dieu qui me parle ici et maintenant, qui m’appelle à faire des choix concrets dans ma vie. Les semences de l’avenir se trouvent dans une relation présente avec Dieu.
Cet enracinement dans le présent devient encore plus fort avec la venue de Jésus le Christ. En lui, dit Saint Paul, toutes les promesses de Dieu sont déjà une réalité (2 Corinthiens 1,20). Bien sûr, cela ne se réfère pas uniquement à un homme qui a vécu en Palestine il y a deux mille ans. Pour les chrétiens, Jésus est le Ressuscité qui est avec nous dans notre aujourd’hui . « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin de l’âge » (Matthieu 28.20.
Un autre texte de saint Paul est encore plus clair.
« L’espérance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné » (Romains 5, 5). Loin d’être un simple souhait pour l’avenir sans garantie de réalisation, l’espérance chrétienne est la présence de l’amour divin en personne, l’Esprit Saint courant de vie qui nous porte vers l’océan d’une communion en plénitude.
Texte publié sur le site de Taizé
(1) Cette réflexion sur l’espérance chrétienne est la première partie d’un texte sur l’espérance publié sur le site de Taizé : http://www.taize.fr/fr_article1080.html . Nous avons pensé la comuniquer sur ce blog, car elle est formulé en termes très accessibles, et nous y trouvons une consonance avec certains accents de la théologie de l’espérance qui est proposée par Jürgen Moltmann et appréciée dans ce blog . Les accentuations en gras ont été ajoutées par l’animateur de ce blog.
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
La grande mutation dans la transmission des savoirs
« Petite Poucette » de Michel Serres.
Chacun d’entre nous a bien conscience que les nouvelles technologies de la communication sont en train de transformer en profondeur notre mode de vie. Mais nous n’avons pas toujours le recul nécessaire pour mesurer l’ampleur et la portée de cette transformation.
Au carrefour des sciences, de l’histoire et de la philosophie, mais aussi de la culture française et de la culture américaine, Michel Serres est l’auteur de nombreux essais qui nous apportent une réflexion originale pour comprendre la grande mutation dans laquelle nous sommes engagés. Ainsi, dans un livre récent : « Petite Poucette » (1), qui évoque la jeune fille en train désormais de communiquer en écrivant des messages avec son pouce, Michel Serres nous explique comment nous entrons dans un monde en voie de réinvention sur tous les registres : « Une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître ».
Internet change les conditions de la communication et de la transformation des savoirs et met en question le fonctionnement des institutions traditionnelles scolaires, universitaires, religieuses et politiques. Parce qu’il a un regard historique qui lui permet de mesurer les maux qui ont affecté l’humanité pendant des siècles, Michel Serres sait prendre du recul. Parce qu’il vit dans une confiance qui lui permet de regarder en avant, en sympathie avec les jeunes générations, Michel Serres évite le soupçon et la critique vaine suscités par la crainte et il nous entraîne dans la découverte des changements en cours dans les représentations, les attitudes et les comportements. Nous entrons dans un univers nouveau. Parce que nous avons personnellement travaillé et milité pour la généralisation de l’accès aux documents à travers les bibliothèques et pour le développement d’une auto-formation et d’une éducation personnalisée, nous mesurons l’extraordinaire apport des nouveaux moyens de communication et accueillons avec enthousiasme le mouvement en cours vers la démocratisation du savoir. C’est dire combien nous goûtons les analyses de Michel Serres et pouvons en apprécier l’originalité, car il ouvre notre compréhension à des interprétations nouvelles dont nous n’avions pas encore conscience. Ainsi, ce livre nous paraît une clef essentielle pour comprendre la grande mutation qui est en train d’advenir. Voici une lecture prioritaire pour déchiffrer le changement encours.
Ce changement est quasiment une révolution mentale : « Sans que nous nous en apercevions, un nouvel horizon est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 1970. Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace » (p 13). Et, nous voici aujourd’hui dans une société d’ individus. « Naguère, nous vivions d’appartenance. Inventé par Saint Paul, au début de notre ère, l’individu vient de naître aujourd’hui….Reste à inventer de nouveaux liens… » (p 15-16).
Tout change et même la langue. Ainsi le Dictionnaire de l’Académie Française, publié à peu près tous les vingt ans, s’enrichissaient jusqu’ici d’environ quatre à cinq mille mots. Mais aujourd’hui, entre la précédente et la prochaine édition, ce sera environ trente-cinq mille mots ! (p 14). Cependant, Michel Serres consacre ce livre à un thème majeur : la révolution en cours dans la transmission des savoirs et toutes les questions que cela implique tant pour l’école que pour les autres institutions sociales. « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Voilà, c’est fait ! » (p 19). Cette mutation interpelle les rapports sociaux traditionnels. Mais elle entraîne également un changement profond dans les usages du savoir.
J H
(1) Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes)
Suite sur ce blog dans les trois prochaines contributions : Vers une société participative. Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Un regard nouveau pour un monde nouveau.
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Vers une société participative
« Petite Poucette » de Michel Serres.
Puisqu’à travers internet, le savoir est en voie de devenir accessible à tous, les conditions de l’enseignement s’en trouvent changées. Jusqu’ici, « un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l’écrit… Sa chaire faisait entendre ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait du silence. Il ne l’obtient plus… » (p 35). Et, ici, Michel Serres, lui même professeur dans l’enseignement supérieur, parle d’expérience. Aujourd’hui, « le bavardage vient d’atteindre le supérieur où les amphis débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire d’un brouhaha permanent… » ( p 35). Petite Poucette ne lit, ni ne désire ouir l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduite au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères, produisent en chœur désormais un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture… Pourquoi bavarde-t-elle ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà… En entier. A disposition. Sous la main.. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente » (p 36).
Et de fait, il y ainsi un changement majeur dans le rapport entre l’offre et la demande.
« Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, celle-ci n’eut jamais le souci d’écouter l’avis ou les choix de la demande… Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d’un autre savoir… L’offre sans demande est morte ce matin. L’offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l’école, je vais dire que cela le devient de la politique. « (p 37).
Michel Serres nous invite à entendre une voix qui monte, la voix d’une multitude qui est en train de s’émanciper des formatages et des conduites imposées et cherche à s’exprimer. Dans le passé, « Tout le monde semblait croire que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs, qu’en amont, l’offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout… Peut-être, cette ère a-t-elle eu lieu. Elle se termine sous nos yeux, au travail, à l’hôpital, en route, en groupe, sur la place publique, partout… Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix » (p 52)
Michel Serres met en évidence les faits précurseurs. Il nous montre les faits significatifs. Il nous invite à voir au delà des pesanteurs qui nous affectent encore. Effectivement, l’expression est en train de se développer à toute allure. « Tout le monde veut parler. Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase. (p 59).
Il y a quelque part dans l’approche de Michel Serres, une démarche prophétique. Il nous montre les voies d’une émergence et il sait s’indigner face aux cynismes qui se réfèrent à un passé mortifère. « Petite Poucette apostrophe ses pères : Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me l’enseigna ? Vous-même avez-vous su faire équipe ?… Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami »… Mais n’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? » (p 60). Et de rappeler les appartenances sanguinaires qui ont prévalu dans le passé : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie.. A ces appartenances nommées par des virtualités abstraites : armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille, marché, dont les livres d’histoire chantent la gloire sanglante, je préfère notre virtuel immanent qui ne demande la mort de personnes » (p 61-62).
Oui, une société nouvelle est en train de naître. Face à de grandes machines publiques ou privées qui imposent leur puissance géante au nom d’une prétendue compétence, les « Petits Poucets », les gens d’aujourd’hui ont désormais accès à une information qui leur permet d’en savoir plus ou autant que les puissants. « Le partage symétrise l’enseignement, les soins, le travail…Le « collectif » laisse la place au « connectif »… (p 65). Mais en même temps, Michel Serres dénonce les forces qui s’opposent à cette évolution, et notamment, les travers de la société du spectacle. N’y a-t-il pas là une forme d’intoxication collective qui distrait et endort les esprits à travers un étalage de superficiel, de clinquant, de spectaculaire, et parfois aussi une excitation des pulsions les plus négatives.
« Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude anonyme sur les élites dirigeants bien identifiées, du savoir discuté sur les doctrines enseignées, d’une société immatérielle, librement connectée sur la société du spectacle à sens unique » (couverture)
J.H
Suite de la précédente contribution : La grande mutation dans la transmission du savoir. Suite dans deux prochaine contributions : Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Regard nouveau pour un monde nouveau.