Une émotion à surmonter : la peur

Une approche psycho-spirituelle de Thomas d’Ansembourg

Si on compte sept émotions de base parmi lesquelles la peur, la colère, la tristesse, la joie, la peur est l’une de celles qui est la plus difficile à gérer. Dans une série de courtes vidéos interview chez les « dominicains de Belgique », Thomas d’Ansembourg dont on sait sur ce blog combien son apport (1) est innovant et encourageant, parle de plusieurs émotions et ici de la peur (2). Son enseignement est précieux.

La peur, un indicateur à prendre en compte

 « La peur est une des émotions les plus récurrentes. Elle indique bien sûr un besoin de sécurité. Lorsque nous avons peur, c’est que nous ne nous sentons pas en sécurité. Le besoin de sécurité est fondamental pour tout être vivant et, bien sur, particulièrement pour nous, êtres humains qui sommes assez fragiles et donc, nous avons besoin de savoir comment prendre soin de notre besoin de sécurité qui peut se vivre sur différents plans. Ce peut-être un besoin de sécurité physique, un besoin de sécurité matérielle ou un besoin de sécurité affective et relationnelle ».

Thomas d’Ansembourg envisage la peur comme un clignotant (un clignotant sur un tableau de bord), « un clignotant par rapport à un besoin qui n’est pas satisfait, le besoin de sécurité ». « Pour pouvoir dépasser la peur, cela nous demande de pouvoir l’écouter ». Thomas nous invite à visualiser cette attitude d’écoute par le geste de rapprocher une chaise, « pouvoir nous asseoir à coté de notre peur » et dialoguer avec elle. « Viens ici ma peur. Qu’est ce que tu as à me dire ? C’est quoi ton message ? ». « Et la plupart du temps, si j’écoute, je vais recevoir son message : j’aurais besoin de faire confiance dans la vie, de faire confiance dans les gens, de faire confiance à mon ‘enfant’, de faire confiance à moi ». Elargir notre champ de. discernement… « Assez souvent, la peur renseigne sur un besoin d’estime de soi. L’estime de soi, ce n’est pas un petit besoin. 90% de la population éprouve un besoin d’estime de soi. C’est un besoin que j’ai eu moi-même à travailler en entrant en thérapie : trouver une juste estime de moi. Pour ce qui est d’avoir peur de la pression sociale des jugements, des critiques et d’arriver à trouver sa façon, son autonomie, nous avons besoin d’apprendre ».

La peur peut être apprivoisée à travers des dialogues réguliers. « La peur est comme un chien de garde dans une maison. Elle nous avertit d’un danger. Peut-être que tu vas trop vite, peut-être trop lentement. Fais attention à ceci. Fais attention à cela. On va écouter le message du chien de garde. Cela, c’est le dialogue intérieur. Et ensuite, j’ai compris le message et alors je renvoie la peur parce que j’ai compris.

Ce qui est précieux, ce n’est pas de ne pas avoir peur. C’est ne pas avoir peur d’avoir peur. Nous pouvons acquérir une plus grande capacité de cohabiter avec cette émotion, à la dépasser. Le risque, c’est que le chien de garde prenne toute la place. Beaucoup de gens sont terrorisés par la peur. Ecouter le message, ajuster le comportement, reconnaître la peur pour sa fonction, cela ne tombe pas du ciel. Ce sont des apprentissages à faire petit à petit ».

 

Une confiance à développer

 Thomas d’Ansembourg nous propose une vision positive : « Dans mon expérience d’accompagnement des personnes… je réalise que l’enjeu est de taille : Nous avons à faire confiance dans la beauté et la bonté de la Vie. La maman qui a peur de tout, qui a peur que tout arrive, qui interdit aux enfants de sortir, est bien intentionnée, mais elle est tellement terrorisée qu’elle n’a pas confiance dans la vie. Elle pourrait étouffer ses enfants et casser leur confiance en soi. Elle a donc besoin, pour encourager leur confiance en soi, de retrouver elle-même la confiance en elle. J’ai besoin d’apprendre à faire confiance dans la Vie. La Vie ne veut pas du mal. La Vie veut du bien. Et donc, il y a une dimension spirituelle de la peur. Plus nous entrerons dans une connaissance profonde de nous-même, la dimension du souffle qui nous habite, la dimension d’appartenance à ce projet magnifique qui va bien au delà de nous et qu’on appelle la Vie, plus nous fréquenterons les régions qu’on appelle Dieu, mais qu’on peut appeler l’Infini ou le Tout,  plus nous sentirons que tout cela est soutenant, aimant et nous veut du bien. Inversement, en pensant à ma pratique, quand on n’a pas conscience de cela, quand nous nous sentons seuls, coupés, sans appartenance, alors nous commençons à avoir peur de tout. Il y a donc une dimension d’ouverture psycho-spirituelle qui nous permet… de tabler profondément de tout son être sur le fait que la vie nous veut du bien et d’entrer dans une voie d’expansion de nous-même ».

 

Des chemins différents

 L’interviewer pose alors une question à Thomas d’Ansembourg : « Certains d’entre nous ont plus peur que d’autres . Comment peut-on expliquer cela ? C’est notre histoire personnelle ? Ce sont nos blessures ? ». « Il y a tout un cocktail d’éléments dans ce genre de choses : notre histoire personnelle, la manière dont on a grandi. Il y a les modèles qu’ont donné les parents (plutôt inquiets ou plutôt confiants…). Cela est très impressionnant, cela fait impression ». Les parents peuvent se demander « quels modèles ils donnent à leurs enfants : modèles de peur ou modèles de confiance, d’expansion, d’ouverture »…

« Arrivons-nous complètement indemnes ?… Je trouve intéressant d’ouvrir cette possibilité. Peut-être que je peux observer cela pour le démanteler petit à petit. Nous avons un libre examen. Et si nous prenons conscience de nos peurs, nous pouvons les démanteler » . L’interviewer évoque la psychologie transgénérationnelle. « Effectivement, nous pouvons reproduire des scénarios qui ont été vécu par nos grands-parents, nos arrière grands-parents et même des grands oncles. Donc c’est intéressant de ne pas subir l’avenir, de ne pas dire : je suis comme cela, je ne changerai pas. Non, nous avons un pouvoir de transformation considérable si nous portons les choses à la conscience et c’est cela l’enjeu… »

 

Un message de confiance

« L’idée que je porte chèrement dans mon cœur, c’est que nous avons la capacité de traverser les défis qui nous gênent. J’en suis convaincu. L’image de l’oiseau sur la branche peut nous aider. L’oiseau sur la branche n’a pas tellement confiance dans la branche parce qu’elle pourrait casser à tout moment, car fragile, un peu pourrie… L’oiseau a surtout confiance dans sa capacité de reprendre son envol si jamais la branche tombe. C’est à cela que j’invite les personnes : prendre conscience dans notre capacité à reprendre notre envol, à rouvrir nos ailes à dépasser les risques, si jamais risque il y avait.

Là, il y a vraiment la capacité d’un citoyen beaucoup plus inspiré et donc inspirant, un citoyen beaucoup plus pacifié et donc pacifiant parce qu’il a acquis cette confiance en soi, qu’il n’est plus dans le stress, l’agitation qui génèrent tellement de confusion aujourd’hui. »

La peur s’exprime parfois collectivement. Ainsi l’interviewer évoque le racisme. N’est-ce pas la peur de l’altérité, de la différence ? « Oui, bien sur, c’est une forme de peur : racisme, intégrisme, radicalisme, retour à la lettre du texte, aux traditions du passé… Tout cela c’est la peur de l’ouverture, du cheminement, de l’éveil, de la transformation… C’est une difficulté à accepter la nouveauté, le changement, la vie telle qu’elle et non pas telle qu’on voudrait qu’elle soit, accepter le cours des choses, être joyeux de ce qui est plutôt que de ce qui n’est pas… Donc on voit bien qu’il y a un travail psycho-spirituel de connaissance de soi, d’élargissement du discernement, d’ancrage dans nos valeurs, d’ouverture à la vie spirituelle qui peut nous aider à dépasser la peur sans la nier, mais à la dépasser, pour mieux vivre, une vie plus valide, plus généreuse… ».

Cette interview de Thomas d’Ansembourg est une ressource qui vient nous aider à affronter nos ressentis de peur. Elle est accessible et ouverte à tous. Le message chrétien nous invite également à ne pas craindre et à faire confiance. « Ne crains pas » est un des appels les plus répandus dans la parole biblique. Il est très présent dans l’Évangile. Ainsi parle Jésus : « Ne crains pas. Crois seulement » (Marc 5.36)(3). Ici, le remède à la peur, c’est la confiance, cette dernière étant présente dans l’étymologie du mot croire (4). Sur ce blog, on trouvera un témoignage d’Odile Hassenforder qui raconte, combien, dans une épreuve de santé, elle a été encouragée par quelqu’un qui ne disait pas aux autres : « bon courage », mais « confiance », « Dame confiance »… (5). L’élan de vie dont parle Thomas d’Ansembourg rejoint cette inspiration. Cette interview sur la peur comme émotion nous entraine dans une démarche psycho-spirituelle.

J H

  1. Thomas d’Ansembourg, sur le blog : Vivre et espérer : « Face à la violence, apprendre la paix » (avec des liens aux autres interviews de Thomas d’Ansembourg sur ce blog) : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-apprendre-la-paix/
  2. Interview de Thomas d’Ansembourg sur la peur  chez les dominicains de Belgique : https://www.youtube.com/watch?v=ujFSylfXkJA
  3. « Ne crains pas. Crois seulement » Un commentaire : https://passlemot.topchretien.com/ne-crains-pas-crois-seulement-mc-536-la-foi-nechou/
  4. A propos du verbe croire : https://www.rabbin-daniel-farhi.com/ambiguite-du-verbe-croire/1021
  5. « Dame confiance » sur : Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/dame-confiance/ Un écho à cet article : « Un message qui passe à travers les rencontres » : https://vivreetesperer.com/odile-hassenforder-sa-presence-dans-ma-vie-un-temoignage-vivant/

Une pratique de la joie

Selon Thomas d’Ansembourg

Thomas d’Ansembourg, que nous rencontrons fréquemment sur ce blog (1), nous parle des émotions dans plusieurs interviews vidéos chez « les dominicains de Belgique ». Parmi les émotions, il y a la peur (2), la tristesse, la colère, mais il y a aussi la joie (3). Nous pouvons bien rejoindre Thomas d’Ansembourg lorsqu’il déclare qu’il y a « une énergie magnifique dans la joie », mais alors comment la cultiver ?

La joie, est-ce possible ?

A partir de son expérience d’accompagnement de nombreuses personnes, Thomas d’Ansembourg peut estimer que « nous sommes joyeux par nature ». Les enfants ne sont-ils pas naturellement joyeux ? « Pourquoi les adultes ont-ils souvent déserté cette joie là ? ».

Il y a certes des explications en rapport avec la culture. « Les difficultés d’accès à la joie, à la joie durable que l’on peut reproduire et que l’on peut utiliser pour orienter sa vie, cette difficulté d’accès à la joie tient à ce que j’appelle la culture du malheur ». Nous avons grandi dans « une culture ambiante qui est plutôt basée sur les rapports de force » et qui hérite d’une mémoire collective rappelant des guerres, des épidémies, la mortalité infantile… « Tout cela s’est encodé dans notre inconscient ». Thomas d’Ansembourg en voit l’expression dans une inquiétude latente qui implique un repli : « On n’est pas là pour rigoler ». Cela joue comme un « vaccin anti-bonheur ». « On a envie d’être joyeux, mais on n’y accède pas ». Si on est joyeux, ce n’est pas pour longtemps. Car « on a peur d’un retour de manivelle ». « On espère le bonheur, mais on n’y accède pas. On ne s’y autorise pas ». Comme nous avons peur que la joie nous échappe, instinctivement, c’est nous-même qui nous la retirons. Comme cela, nous avons l’impression d’avoir du pouvoir sur notre propre vie. C’est ce qu’on appelle un mécanisme d’auto-sabotage. C’est peu connu. Seulement, si nous savions cela, nous pourrions observer un mécanisme de désamorçage et le réamorcer avant qu’il ne s’enclenche.

J’en parle en connaissance de cause m’étant moi-même retrouvé dans des mécanismes d’auto-sabotage que je n’imaginais pas du tout. Vous m’auriez demandé : « Qu’est-ce que vous cherchez à vivre », j’aurais répondu : j’ai envie d’être joyeux. J’ai envie d’être heureux. Mais je n’avais pas vu que c’était moi qui était en cause. J’attribuais mon problème aux autres, à mon travail, à ma compagne… J’avais du mal à identifier  tout ce qui m’empêchait d’être joyeux ».

 

Apprendre à vivre davantage dans la joie.

Comment apprendre à être dans un état de joie de plus en plus régulier, ce qui n’empêche pas la traversée des difficultés, car nous ne vivons pas dans un monde idéal et nous devons faire face aux contrariétés. « Cependant, je crois que notre intention, notre sentiment profond, c’est de goûter de la joie malgré ces passages difficiles, de conserver de la joue à l’intérieur de soi. Comment apprendre cela ? Thomas d’Ansembourg reprend ici un petit exercice de dialogue avec un sentiment symbolisé par un fauteuil à côté de lui. « Apprendre à côtoyer la joie, à lui faire de la place. Je la goûte, je la savoure, je conjure la culture du malheur… ».

Thomas nous invite à observer les moments de la journée ou nous ressentons de la joie. « Si je suis heureux parce qu’il y a du soleil le matin, parce que le temps est beau, cela veut dire que j’aime la beauté, j’aime la douceur, j’aime la chaleur. Ce ne sont pas là des valeurs négligeables : beauté, douceur, chaleur. Qu’est-ce que je vais faire dans la journée pour reproduire et restaurer cela ?…. »

« Si j’ai partagé un repas avec quelques amis, je vais observer ce qui m’a rendu joyeux : l’amitié, la fidélité, la connivence, la rencontre authentique, la vulnérabilité que chacun accueille chez l’un, chez l’autre… Et j’aime cela. C’est comme cela que je veux vivre. Et donc dans mes rapports, je vais instaurer ou réinstaurer authenticité, intériorité, acceptation de la vulnérabilité, franchise… Je recrée parce que la joie me dit que c’est par là que je veux aller. Je l’instaure. »

Et si, pendant le week-end, j’ai promené les enfants dans la forêt et que je me suis enchanté, je vais décoder ce que me dit ma joie : nature, beauté, silence, présence des enfants… J’ai besoin de garder cela même quand je prends les transports en commun. J’ai besoin de garder le goût de l’émerveillement : regarder les gens, m’intéresser à leur vie… J’ai besoin de goûter le vivant partout où je suis et pas seulement dans une belle forêt, mais aussi dans le métro. Goûter le fait que je suis dans une communauté humaine qui est en marche, qui est en route… ». Ainsi, il est bon de décoder les moments de joie parce qu’ils nous indiquent notre fil rouge, comme une courbe croissante de cette joie que nous voudrions vivre.

« Accompagnant des personnes depuis vingt cinq ans, c’est ma conviction que nous cherchons à vivre cet état de joie profonde que j’appelle toujours un état de paix intérieure, de plus en plus stable, de plus en plus transportable dans les péripéties de la vie, un état de paix intérieure qui se révèle contagieux, généreux. Je pense que c’est notre véritable humanité d’apprendre à trouver cet état de paix intérieure qui permet d’être rayonnant, d’être contagieux dans notre état d’être. Cela ne nie pas les difficultés. Cela ne nie pas les tensions, les moments de désarroi. Mais plus je sais bien traiter ma colère, ma tristesse, ma peur, des parties de moi, pas tout moi, plus je sais écouter ces parties de moi, moins elles m’encombrent. Et plus mon espace qui est la joie prend de la place, s’installe, s’instaure, se stabilise. Pour moi, notre vraie nature, c’est d’être dans un état de plus en plus fréquent de joie intérieure. Et j’observe, dans mes lectures, que la plupart des traditions disent la même chose : être joyeux dans un monde vivant et être contagieux de notre joie ». A ce stade, l’interviewer rappelle la parole de Jésus : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».

 

Pourquoi un univers médiatique si peu propice à une expression de joie ?

Constatant une avalanche de mauvaises nouvelles dans les médias, une situation peu propice à une expression de joie, l’interviewer questionne Thomas d’Ansembourg sur cet état de chose. « On se plaint de cette offre de mauvaises nouvelles, mais je pense qu’il n’y aurait pas d’offre si il n’y avait pas de demande. Qu’est-ce qui fait qu’on demande cela ? Une des manières de l’expliquer, à partir de mon travail d’accompagnement, si la vie me paraît plate, ennuyeuse, si je ne fais pas les choses que j’aime, si je sens pas le tressaillement de la vie, si tout me paraît morose, quand je rentre le soir et que j’allume mon petit écran, il y a des catastrophes, il y a des éboulements, il y a des guerres, je me sens vivant parce que je ne suis pas mort. Il y a un effet de comparaison. Je ne me sens pas vivant par l’intérieur, mais par différence avec la mort, avec la tragédie. Nous avons besoin de nous rééduquer par rapport à ce phénomène d’être fasciné par l’horreur et d’attendre cela. Il y a ce phénomène de la culture du malheur. Nous savons ce qui ne va pas. Nous savons nous plaindre, nous lamenter, mais nous ne savons pas bien nous réjouir et nous réjouir durablement. C’est un système de pensée ». Thomas nous invite à imaginer des médias qui diffuseraient autant de bonnes nouvelles que de mauvaises, et cela, bien sûr, en rapport avec la réalité. Mais pour un avion qui s’écrase, des milliers et des milliers arrivent normalement à bon port… « Il y a des prodiges de technologie et de savoir faire humain et cela mériterait notre émerveillement, notre admiration » « Si les gens des médias réinstauraient un peu plus d’équité entre bonnes et mauvaises nouvelles, je pense que cela changerait significativement l’énergie du monde ». Et d’ailleurs, nous savons bien que lorsque nous entendons des bonnes nouvelles qui nous concernent, cela nous dynamise. Thomas rappelle les bienfaits de la gratitude (3). Il y a un rapport entre savoir vivre des moments de gratitude et une meilleure santé. « C’est citoyen que d’apprendre à se réjouir profondément pour pouvoir transformer les choses ».

Dans cet entretien, Thomas d’Ansembourg vient nous rejoindre dans les émotions qui abondent dans notre vie quotidienne. Et il y en a une, la joie qui est un tremplin pour une vie heureuse, tournée vers le bon et vers le beau. Cependant , dans le monde où nous vivons, les circonstances auxquelles nous devons faire face, la joie est souvent étouffée par d’autre émotions. Elle est également empêchée par une culture héritée d’un passé douloureux : une « culture du malheur » comme une culture du deuil et du sacrifice. Thomas d’Ansembourg vient nous aider à y voir clair, à lever les obstacles qui font opposition à la joie et à reconnaître celle-ci en désir d’émergence dans notre vie. Comme cet entretien fait référence à l’apport de traditions religieuses en faveur de la joie, rappelons l’appel de Jésus : « Je vous ai dit cela afin que ma joie soit en vous et votre joie soit complète » (Jean 15.11). Et, en 2013, le pape François publie un texte sur « la joie de l’Evangile » (4). Si l’on pense que l’être humain est fondamentalement un être en relation, avec lui même, avec les autres humains, avec la nature et avec Dieu, alors on imagine que la joie résulte de la qualité et de l’harmonie de ces relations. Dans les chemins où la joie se découvre, il y a cette levée des obstacles à laquelle nous invite Thomas d’Ansembourg.

 

  1. Face à la violence, apprendre la paix (avec des liens à d’autres articles rapportant sur ce blog la pensée de Thomas d’Ansembourg) : https://vivreetesperer.com/face-a-la-violence-apprendre-la-paix/
  2. Une émotion à surmonter : la peur
  3. Thomas d’Ansembourg : la joie : https://www.youtube.com/watch?v=B5vyHlEDU04
  4. Evangelii Gaudium : http://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium.html

 

Pour une vision holistique de l’Esprit

Avec Jürgen Moltmann et Kirsteen Kim

Selon les chemins que nous avons parcouru, le mot Esprit peut évoquer une résonance différente. Ce peut être l’évocation d’un groupe de prière où l’Esprit porte le désir de vivre en harmonie avec Jésus, avec Dieu et d’entrer dans un mouvement de louange. Pour d’autres, c’est ce qui est dit du Saint Esprit dans la vie d’une église. Et puis, pour ceux qui se disent « spirituels et pas religieux », ce peut être reconnaitre une présence au delà de la surface des choses, une expérience de vie. Quoiqu’il en soit, dans une perspective chrétienne, il y aujourd’hui une attention croissante portée à l’Esprit Saint. Et on sort des sentiers battus. L’Esprit Saint n’est plus seulement  observé dans l’Eglise. On le voit à l’œuvre dans l’humanité, dans la nature, dans toute la création.

Partager le mouvement actuel de la théologie qui dépasse les cloisonnements et les barrières et met en évidence l’œuvre de l’Esprit, c’est nous aider à reconnaître la présence divine dans le monde, dans l’univers, porteuse d’amour, de vie, de libération. Cette prise de conscience d’une présence active de l’Esprit, bien au delà des frontières des églises est relativement récente. Dans cette transformation du regard, un rôle majeur a été exercé par le théologien, Jürgen Moltmann, à travers la publication de son livre : « L’Esprit qui donne la vie » (1). Sa pensée est présente sur ce blog (2). Pourquoi donc revenir ici sur ce thème ? De fait, Moltmann ayant ouvert la porte d’une théologie de l’Esprit (3). Celle-ci se développe aujourd’hui à l’échelle mondiale. Un livre vient à nous informer à ce sujet en mettant en valeur des mouvements significatifs. Là aussi, c’est un dépassement des frontières. Ce livre : « Holy Spirit in the world. Global conversation » (4) est écrit par Kirsteen Kim ; une théologienne dont l’itinéraire est lui-même international puisqu’elle-même, anglaise, s’est mariée à un coréen, a enseigné en Corée et en Inde, et, de retour en Angleterre, a été invitée à enseigner à la faculté Fuller aux Etats-Unis.

Le livre de Moltmann sur l’Esprit est paru d’abord en allemand en 1991 : « Das Geist des lebens. Eine Ganzheiliche pneumatologie », puis en anglais : « Spirit of life. An universal affirmation » (1992), enfin en 1999 en français : « L’Esprit qui donne la vie. Une pneumatologie intégrale » (1). Le terme : pneumatologie, bizarre à priori pour le non spécialiste, est issu de « pneuma », en grec, esprit. Les différents titres, dans leur spécificité linguistique rendent compte du contenu de l’ouvrage. Nous retenons ici le terme : « ganzheitlich » qui peut être traduit en terme de : « holistique », une approche globale, unifiante. Cette démarche est mise en valeur par Kirsteen Kim lorsqu’elle écrit : « Moltmann élargit la théologie de l’Esprit lorsqu’il associe l’Esprit avec la vie, non pas « la vie contre le corps », mais « la vie qui apporte la libération et la transfiguration du corps » et en considérant le rôle de l’Esprit dans toutes ses dimensions de salut : libération, justification, renaissance, sanctification, puissance charismatique, expérience mystique et fraternité. En reliant tout ceci au politique aussi bien qu’au personnel, au matériel aussi bien qu’au spirituel, il essaie de montrer le caractère holistique de la théologie de l’Esprit, un point qui est mis en valeur par le sous-titre de l’édition allemande originale » (p 61).

 

L’Esprit qui donne la vie

https://m.media-amazon.com/images/I/41Y7SDSBMGL.jpg De fait, cette dimension holistique est également exprimée dans le descriptif du livre : « L’Esprit qui donne la vie ». La pensée de Moltmann est une pensée qui relie. « Se plaçant dans une perspective oecuménique, Moltmann intègre les apports de la théologie orthodoxe, mais également les expériences « pentecostales » des jeunes églises. Il entend honorer l’expérience du sujet et de son expérience à l’époque moderne ainsi que les préoccupations écologiques d’aujourd’hui… L’auteur cherche à élaborer une théologie de l’Esprit Saint susceptible de dépasser la fausse alternative souvent réitérée dans les Eglises, entre la Révélation divine qu’elles ont pour mission de sauvegarder et les expériences humaines de l’Esprit. Il entend mettre ainsi en valeur les dimensions cosmiques et corporelles de l’Esprit « créateur et recréateur » qui transgresse toutes les frontières préétablies ».

Déjà dans la « Théologie de l’espérance », Moltmann avait réalisé une œuvre pionnière en mettant en phase plusieurs courants de pensée. A nouveau, dans « L’Esprit qui donne la vie », il abaisse des frontières et permet de nouvelles synthèses. Ce mouvement est décrit et mis en valeur par D. Lyle Dabney dans un remarquable article : « L’avènement de l’Esprit. Le tournant vers la théologie de l’Esprit dans la Théologie de Jürgen Moltmann » (3). Lyle Dabney nous permet de comprendre le chemin de libération suivi par Moltmann. Jürgen Moltmann a pris progressivement conscience que la théologie occidentale, catholique et protestante, était dans une impasse historique par la méconnaissance de la personnalité propre de l’Esprit. Celui-ci était envisagé en situation de subordination par rapport au Père et au Fils. Dans son livre sur la Trinité et le Royaume (paru en 1980 dans sa version anglophone), Moltmann fait mouvement pour sortir de cette subordination. « Nous voyons une théologie qui s’éloigne de la subordination illégitime de la pneumatologie à la christologie qui a marqué la tradition occidentale » et il en résulte que, pour la première fois, la théologie peut sérieusement considérer l’Esprit comme « un sujet de l’activité divine à coté du Père et du Fils ce qui permet une compréhension nouvelle ». « L’histoire de Jésus est aussi incompréhensible sans l’action de l’Esprit qu’elle ne le serait sans le Dieu qu’il appelle mon Père ». On entre ainsi dans une vraie théologie trinitaire. Cinq ans plus tard dans « La théologie de la création », Moltmann parle de l’Esprit de Dieu présent dans toute la création. Il sort d’une théologie qui met en contradiction Dieu et le monde et oppose la rédemption et la création. « L’Esprit de Dieu n’est pas actif seulement dans la rédemption, mais dans la création ». « Si l’Esprit cosmique est l’Esprit de Dieu, alors l’univers ne peut être conçu comme un système fermé. Il doit être considéré comme un système ouvert, ouvert à Dieu et à son futur ». Dans son livre suivant, « Le chemin de Jésus-Christ », Moltmann met en évidence combien la vie de Jésus-Christ est interconnectée au Père et à l’Esprit. Finalement Moltmann écrit « L’Esprit qui donne la vie », consacrant ainsi un livre entier à la théologie de l’Esprit. C’est une exploration qui récapitule également tous les acquis de l’évolution antérieure.

 

Le Saint Esprit dans le monde

 Si Moltmann a ainsi ouvert la voie à la fin du XXe siècle, le livre de Kirsteen Kim : « The Holy Spirit in the world » (4) paru au début du XXIe témoigne d’une expansion rapide de la théologie de l’Esprit à travers une « conversation » internationale comme le suggère le sous-titre : « A global conversation ». Mais à quoi tient donc l’engagement de Kirsteen Kim ? Elle nous le dit dans sa préface. L’inspiration initiale provient de son expérience du renouveau charismatique dans sa jeunesse : « La première chose que j’ai compris de la théologie de l’Esprit a été celle-ci : quand Dieu nous appelle à suivre Jésus, il n’est pas seulement attendu de nous que nous reproduisions la conduite d’une figure historique lointaine en « étant bon », mais il nous est donné le pouvoir de devenir comme Jésus. L’Esprit me semblait une énergie invisible et un genre de moyen surnaturel qui me connectait à Dieu et à mes amis chrétiens » (p V). Cependant, son entourage a généralement été réfractaire à cette vision. Plus tard, Kirsteen a entendu différentes interprétations de l’Esprit. Puis elle s’est mariée à un coréen, et en Corée dans son église, elle a découvert une grande confiance dans la puissance de l’Esprit. Au cours de son séjour en Inde, elle a rencontré un grand intérêt pour la spiritualité et a pu se référer à des théologiens indiens dont la pensée sur l’Esprit est en phase avec la culture indienne. Puis, de retour en Angleterre, elle a constaté une ouverture nouvelle aux expériences spirituelles de tous genres. Mais, dans l’université, le monde semblait se réduire à la matière et à l’humain. « Ce livre est donc une conséquence de mon effort pour faire apparaître le sens de ces expériences variées de l’Esprit et la signification du concept correspondant. C’est aussi l’expression du désir que, dans l’Occident actuel, nous puissions être capables de porter le message de l’Evangile d’une façon plus significative en nous appuyant sur l’Esprit… N’est-ce pas le rôle de l’Esprit de préparer le monde pour recevoir Christ ?» (p VI).

Ce livre nous entraine donc dans une présentation de la théologie de l’Esprit et de son développement durant la précédente quinzaine d’années. Il expose les fondements exégétiques, la pensée des théologiens, la conversation sur l’Esprit dans le mouvement œcuménique, la manière d’envisager l’Esprit dans la Mission, la théologie de l’Esprit telle qu’elle s’est développée dans deux pays d’Asie, l’Inde et la Corée, en phase avec leur culture. Kirsteen Kim nous invite à une réflexion théologique internationale. A cet égard, la contribution de l’Inde et de la Corée est particulièrement instructive.

 

La théologie de l’Esprit en Corée : diversité et ouverture

 Lorsqu’on apprend à connaitre la théologie en Corée, on en perçoit une grande originalité. Elle apporte des réponses aux questions que nous pouvons nous poser sur la manière dont nous envisageons de rôle du Saint Esprit. Nous avons découvert la théologie coréenne à travers des publications de Kirsteen Kim accessibles sur internet, telle que : « Le passé, le présent, le futur de la théologie coréenne. Perspectives pneumatologiques » (5). Nous nous sommes ensuite reporté à son livre sur « le Saint Esprit dans le monde » et au chapitre correspondant sur la Corée. Ces textes très informés et très denses ne peuvent être résumés ici. Nous chercherons simplement à répondre aux questions suivantes : Quel est le contexte de cette théologie ? Quelle en est l’originalité ? En quoi, nous pouvons y trouver des enseignements fondamentaux ?

Le christianisme a commencé à prendre son essor en Corée au début du XXe siècle. Cependant, le paysage religieux coréen est marqué par des influences historiques. En arrière plan, il y a le chamanisme et sa relation avec les esprits. Venues à travers la Chine, il y a deux grandes civilisations religieuses : le bouddhisme et le confucianisme. On peut reconnaître des influences culturelles de ces pratiques religieuses dans des courants du christianisme coréen. Ainsi on pourra dire que tel courant a un mode paternel parce qu’il se meut socialement et culturellement dans une dimension patriarcale issue du confucianisme et que telle autre a un aspect maternel et féminin en y percevant un héritage du chamanisme. La théologie reflète également ces influences.

Le christianisme coréen s’inscrit dans l’histoire politique et économique de la Corée. Pendant les premières décennies du XXe siècle, la Corée a subi la tutelle dominatrice du Japon. Les chrétiens coréens ont participé activement à la lutte pour l’indépendance nationale. Ce fut le cas lors du « réveil », du mouvement dans l’Esprit en 1907. Aujourd’hui le grand problème est celui de la division entre les deux Corées, la Corée du Nord étant sous une domination communiste totalitaire. Les chrétiens coréens participent activement aux tentatives de dialogue et de réconciliation. Aujourd’hui, la Corée du sud est un des pays du monde les plus développés technologiquement et économiquement. Ce remarquable essor est intervenu dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout au long de ce dernier siècle, l’image des chrétiens a été associée à la modernisation.

Il y a eu également une participation importante des chrétiens dans les luttes pour le progrès social, ce dont témoigne la théologie Minjung.

En 2005, 30% de la population coréenne est chrétienne, dans une version protestante ou catholique, la version protestante étant quelque peu majoritaire. Au début du XXe siècle, les chrétiens étaient très peu nombreux. Cet essor rapide du christianisme, exceptionnel en Asie, est donc remarquable. Dans la première moitié du siècle, il s’est opéré à travers de grands mouvements dans l’Esprit, des « réveils ». L’histoire du christianisme coréen est marquée par l’inspiration de l’Esprit et une dimension pentecôtisante. Aujourd’hui, une des plus grandes églises en Corée se réclame directement du pentecôtisme : l’Église Yoido Full Gospel, dont la figure réputée est celle de David Yonggi Cho, une megachurch avec plusieurs centaines de milliers de membres. Mais ce n’est là qu’une des manifestations, dans une expression spécifique, du dynamisme suscité en Corée par l’inspiration de l’Esprit.

Dans ce contexte, la théologie témoigne d’une réflexion riche et diverse qui s’est développée tout au long du XXe siècle. En fonction du rôle joué par l’inspiration de l’Esprit dans la vie des églises en Corée, « la ‘ pneumatologie ’ est centrale dans la théologie coréenne ». C’est ce que nous décrit Kirsteen Kim : « C’est parce que le réveil coréen de 1907, qui est généralement considéré comme le point où le protestantisme est devenu une religion coréenne, est presque toujours interprété comme l’œuvre du Saint Esprit qui a été déversé sur la Corée, une Pentecôte coréenne. Le réveil a doté le protestantisme coréen d’un sens profond du mouvement dynamique de l’Esprit dans l’histoire et le monde matériel qui constitue une matrice pour la réflexion théologique en Corée. Bien plus, les théologiens coréens ont, dans beaucoup de cas, réfléchi au delà des restrictions portant sur l’œuvre de l’Esprit chez leurs homologues occidentaux. Ils ont vu l’importance du développement de la théologie de l’Esprit dans le contexte de la reconnaissance des nombreux esprits des différentes religions et de l’expérience de vivre dans le troisième âge de l’Esprit. Ils apprécient l’importance du discernement de l’Esprit et la pertinence de la pneumatologie dans la vie politique, la subsistance, la culture et le genre » (5) (p 9-10).

Kirsteen Kim nous expose les courants actuels de la théologie en Corée dans une description qui en montre la richesse et la profondeur ; Nous rapportons ici son exposé introductif. «A partir des années 1960, la théologie coréenne a commencé à s’épanouir comme une fleur de lotus et s’est développée en plusieurs courants. Cela incluait une aile conservatrice qui peut être considérée comme la continuation d’un évangélisme « mainstream ». Les nouveaux mouvements ont été une théologie progressiste mettant l’accent sur la libération politique et centrée sur les problèmes socio-historiques qui s’est fait connaître sous l’appellation de la théologie Minjung ; un courant pentecôtiste connu comme le mouvement du plein Évangile ; un courant libéral qui pense chercher à inculturer l’Évangile en Corée en dialogue avec les autres traditions religieuses de la nation ; et une combinaison radicale de théologie féministe et d’éco-théologie ». Kirsteen Kim nous montre comment ces différentes théologies sont fondamentalement pneumatologiques. Chacune d’elles s’appuient sur les différentes significations bibliques de l’Esprit dans la tradition coréenne. Suh a dans l’esprit « Ki », la force de vie (Genèse 1.2) ; Cho est centré sur « shin », Dieu, le Grand Esprit (Actes 2 ; Mathieu 12.28) ; Ryu pense à « ol », l’âme primordiale du peuple (Genèse 2.7) et Chung traite avec le monde de « kuishin », les esprits (Romains 8.19-23)(5) (p 12).

En regardant vers l’avenir, Kirsteen Kim s’interroge sur les apports potentiels de la théologie coréenne à la conversation théologique internationale. Elle identifie quatre domaines dans lesquels la contribution des théologiens coréens serait importante : « la réconciliation, la cyberthéologie, la théologie de la puissance et la théologie du pluralisme » (p 15). On se reportera à ses analyses. A partir de ce qu’on sait maintenant de l’œuvre de l’Esprit en Corée, on imagine combien l’expérience chrétienne coréenne dans une société plurielle et les tensions qu’elle comporte peut nous éclairer dans les voies de la réconciliation. Différents approches se manifestent : humanisation, guérison, harmonisation… C’est un esprit de paix qui se manifeste aussi dans le discernement des esprits, une reconnaissance de ceux-ci qui ne débouche pas sur les confrontations brutales qui sont, un moment, apparues en Occident, dans les proclamations de Peter Wagner et John Wimber. Ici le discernement s’allie à un esprit de paix et à une approche thérapeutique (5) (p 19-20).

Grace à la recherche et à la réflexion de Jürgen Moltmann dans « L’Esprit qui donne la vie », et de Kirsteen Kim dans ses nombreuses publications et particulièrement celles sur la Corée, nous avons maintenant accès à une théologie de l’Esprit. Cette théologie a le grand mérite de nous prémunir contre les tendances sectaires, les enfermements dans un individualisme spirituel, les idéologies fondamentalistes que l’on peut observer dans certains milieux. Mais, plus encore, elle nous ouvre un horizon non seulement par la confiance nourrie en nous par la présence active de l’Esprit, mais aussi par une vision holistique en phase avec une théologie de l’espérance.

J H

  1. Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Seuil, 1999
  2. « Un Esprit sans frontières » : https://vivreetesperer.com/un-esprit-sans-frontieres/
  3. « D Lyle Dabney. The advent of the Spirit. The turn to pneumatology in the theology of Jürgen Moltmann (The Ashbury theological journal. Spring 1993) : https://place.asburyseminary.edu/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://www.google.fr/&httpsredir=1&article=1474&context=asburyjournal
  4. Kirsteen Kim. The Holy Spirit in the world. A global conversation. SPCK, 2007. Kirsteen Kim est également l’auteure avec son mari, Sebastian Kim du livre : « Christianity as a world religion. Bloomsbury, 2016 (2e éd).
  5. Kitsteen Kim. The Past, Present and Future of Korean Theology. Pneumatological perspectives. 2010 (Kirsten Kim a été coordinatrice de la recherche à la conférence d’Edinbourg, en centième anniversaire de la première conférence mondiale missionnaire en 1910) : http://www.pcts.ac.kr/pctsrss/js_rss/zupload/학술발표3-커스틴김(영어).pdf

Au lever du jour

Au lever du jour, de l’aube à l’aurore, au petit matin, un commencement, ou plutôt un recommencement se manifeste. En contraste avec l’obscurité de la nuit, la lumière apparaît. La vie reprend. En ces moments, bien souvent, la beauté du ciel appelle l’émerveillement.  Alors ce premier épisode de la journée revêt une forte signification. Il est perçu en termes symboliques comme l’annonce d’un jour nouveau. La force de la Vie s ‘y exprime. Ainsi y monte également un désir profond. On trouve dans les Psaumes un appel à la prière matinale. «  Je veux te chanter et te célébrer de tout mon cœur. Levez-vous mon luth et ma harpe. Je me lèverai dès l’aurore » (Psaume 208.3). Emerveillement…. Pour évoquer le lever du  jour, nous présentons ici des photos issues des sites flickr  que nous fréquentons.

J H

« Aurore flamboyante »
Gérard et Françoise

Voir plus sur flickr.com

Lever du soleil en montagne
Michèle Carbone

Voir plus sur flickr.com

« Le jour se lève »
(Aravis Alpes)
Didier Héroux

Voir plus sur flickr.com

« Early Light »
Première lumière dans une campagne anglaise
Pete Quinn

Voir plus sur flickr.com

«Misty sunrise »
Lever de soleil dans la brume
Anthony White

Voir plus sur flickr.com

« Mine is the sunrise »
Un lever de soleil pour moi
Rita Eberle-Wessner

Voir plus sur flickr.com

« Dawn’s rosie fingers »
Les doigts roses de l’aube
Julie Falk (Michigan)

Voir plus sur flickr.com

« Automn sunrise »
Lever de soleil sur une plage en automne
Tony Armstrong-Sly

Voir plus sur flickr.com

« Winterton sunrise »
Lever de soleil sur la plage de Winterton
Lee Acaster

Voir plus sur flickr.com

« Even the darkest night will end and the sun will rise »
Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lévera
Pixelmama

Voir plus sur flickr.com

Canto al amenacer
Chant à l’aube
Gloria Castro (Espagne)

Voir plus sur flickr.com

Voir aussi :

Comme la beauté nous accompagne en hiver
https://vivreetesperer.com/comme-la-beaute-nous-accompagne-en-hiver/

Un regard lumineux dans un pays lumineux
https://vivreetesperer.com/comme-la-beaute-nous-accompagne-en-hiver/

J H

Face au ressentiment, un mal individuel et collectif aujourd’hui répandu

« Ci-git l’amer. Guérir du ressentiment » de Cynthia Fleury

Il nous arrive, il nous est arrivé de rencontrer des gens qui manifestent un profond ressentiment. Nous avons pu nous-même éprouver du ressentiment envers quelqu’un ou à notre égard. Nous savons combien il est précieux de pouvoir sortir de cette situation. Et, plus généralement dans la vie sociale, et tout particulièrement si nous fréquentons certains réseaux sociaux et parcourons certains commentaires sur internet, nous y percevons parfois des bouffées de haine, des violences verbales dont nous percevons le rapport avec un profond ressentiment. Le ressentiment est donc une réalité assez répandue qui ne nous est pas inconnue et que nous avons besoin de comprendre pour y faire face, car c’est une réalité pernicieuse.

Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, vient d’écrire à ce sujet un livre intitulé : « Ci-git l’amer »  avec pour sous-titre : « Guérir du ressentiment ». C’est un ouvrage conséquent de plus de 300 pages qui, en 54 chapitres, étudie le problème du ressentiment dans ses dimensions personnelles et collectives, à partir d’une culture psychanalytique, philosophique et littéraire qui mobilise de nombreuses références, ainsi, parmi d’autres : Scheler, Nietzche, Winnicott, Mallarmé, Montaigne, Fanon… La culture de Cynthia Fleury est très vaste et se manifeste sur de nombreux registres. Lorsqu’on ne dispose pas des mêmes outils de compréhension, on peut donc hésiter à entrer dans cette lecture et encore plus à s’engager dans la présentation du livre. Il nous paraît que ce serait fort dommage de se passer d’un tel apport, car l’écriture de Cynthia Fleury est claire, compréhensible et elle sait mettre les mots appropriés sur les différents aspects du ressentiment. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Cette qualité d’écriture nous paraît remarquable. Elle nous aide dans la compréhension du phénomène.

La pensée de Cynthia Fleury se déploie dans une grille d’analyse d’inspiration psychanalytique. « D’où vient l’amertume ? De la souffrance et de l’enfance disparue, dira-t-on d’emblée. Dès l’enfance, il se passe quelque chose avec l’amer et ce Réel qui explose dans un monde serein. Ci-git la mère. Ci-git la mer. Chacun fera son chemin, mais tous connaissent le lien entre la sublimation possible (la mer), la séparation parentale (la mère) et la douleur (l’amer), cette mélancolie qui ne relève pas d’elle-même… L’amer, la mère, la mer, tout se noue » (p 13). Et comment traiter avec l’amer ? Cynthia Fleury évoque son travail de psychanalyste et les ressources de la « rêverie océanique ». La mer n’est pas une affaire de navigation, mais de grand large existentiel, de la sublimation de la finitude et de la lassitude » (p 14). « Universelle amertume », tel est le titre du premier chapitre. Le livre s’intitule : « Ci-git l’amer ». Notre propos n’est pas de commenter la vision de la vie qui est celle de l’auteur, mais de nous instruire de son analyse du ressentiment. Nous voici donc à la découverte du ressentiment d’abord dans sa version individuelle, puis dans sa vision collective.

Le ressentiment

 Cynthia Fleury nous fait part de la définition du ressentiment telle que nous la communique Max Scheler dans un essai publié à ce sujet en 2012 : « L’expérience et la rumination d’une certaine réaction affective dirigée contre un autre qui donnent à ce sentiment de gagner en profondeur et de pénétrer, peu à peu, au cœur de la personne, tout en abandonnant le terrain de l’expression et de l’activité ». Cynthia Fleury commente en ces termes : « Le terme clé pour comprendre la dynamique du ressentiment est la rumination… Il s’agit de revivre une ré-action émotionnelle qui, au départ, pouvait être adressée à quelqu’un de particulier. Mais le ressentiment allant, l’indétermination de l’adresse va prendre de l’ampleur. La détestation se fera moins personnelle, plus globale… » (p 19). Il y a là un processus destructeur.

« Cela gronde, comme l’écrit Max Scheler à travers le mot allemand : groll. « Groll, c’est la rancœur, le fait d’ « en vouloir à » ; et l’on voit comment ce « en vouloir à » prend la place de la volonté, comment une énergie mauvaise se substitue à l’énergie vitale joyeuse… Le ressentiment allant, l’indétermination se fait plus grande… Tout est contaminé. Tout fait boomerang pour raviver le ressentiment ». L’effet est dévastateur. « Scheler évoque l’auto-empoisonnement pour décrire les « malfaits » du ressentiment »… « Le sens du jugement est vicié de l’intérieur. La pourriture est là » (p 22). Ainsi, le sens du jugement, « instrument possible de libération » est détourné vers « le maintien dans la servitude devant une pulsion mortifère ».

Si le ressentiment a un visage personnel, il débouche également sur une pulsion collective. Aujourd’hui, celle-ci s’exprime particulièrement sur les réseaux sociaux.

Guérir du ressentiment

 Confronté au ressentiment, Cynthia Fleury perçoit la difficulté d’en sortir pour ceux qui s’y emprisonnent. « Seule aptitude du ressentiment à laquelle il excelle : aigrir, aigrir la personnalité, aigrir la situation, aigrir le regard sur. Le ressentiment empêche l’ouverture. Il ferme, il forclôt, pas de sortie possible ; le sujet est peut-être hors de soi, mais en soi, rongeant le soi, et, dès lors, rongeant la seule médiation possible vers le monde » (p 24). D’autant que le ressentiment peut se radicaliser : « Je puis tout te pardonner sauf d’être ce que tu es, sauf que je ne suis pas toi. Cette envie porte sur l’existence même de l’autre » (p 25). Dès lors, dans la relation clinique, « l’extraction hors de cette emprise sera extrêmement compliquée. Il faut poser comme idée régulatrice que la guérison est possible, mais que la clinique est sans doute insuffisante dans son soin.  Il est impossible de dépasser le ressentiment sans que la volonté du sujet entre en action. C’est précisément cette volonté qui est manquante, enterrée chaque jour par le sujet lui-même » (p 25).

Cependant, quel est le chemin de guérison proposée par Cynthia Fleury ? « L’homme qui échappe au ressentiment n’y échappe pas d’emblée . C’est toujours le fruit d’un travail… la sublimation des instincts… Celle-ci est « un talent » de faire avec les pulsions autre chose que du pulsionnel régressif, de les tourner vers un au delà d’elles-mêmes, d’utiliser à bon escient l’énergie créatrice qui les parcourt » (p 65). C’est apprendre à bien utiliser son énergie. « La grande santé, c’est choisir l’avenir, choisir le numineux » (p 71). Cynthia Fleury prône l’accès à la création. « Choisir l’œuvre, c’est toujours choisir l’ouvert ». « L’œuvre crée l’air, l’ouverture, la fenêtre. Elle crée l’échappée » (p 73).

 

Le ressentiment collectif

Les ressentiments individuels peuvent s’exprimer collectivement, par exemple en empruntant la voie d’internet. En quelque sorte, ils s’agglutinent dans un déchainement de violence verbale. Cependant, le phénomène n’est pas nouveau parce que, dans l’histoire, on a pu observer des comportements analogues, par exemple dans un lien entre la passion de l’égalité et le ressentiment collectif. « La structure du ressentiment est égalitaire. Celui-ci surgit au moment où le sujet se ressent certes inégal, mais surtout lésé parce qu’égal… La frustration se développe sur un terreau de droit à… Je me crois lésé parce que je crois à mon dû ou à mon droit » (p 28). Il y a là un processus dangereux. « Dénigrer les autres ne suffit pas au ressentiment. Il faut  un pas de plus : la mise en accusation. Celle-ci étant toutefois sans objet réel, elle vire à la délation, à la désinformation… Dorénavant, l’autre sera coupable. Une forme de dépréciation universelle s’enclenche » (p 29). Cette fureur engendre évidemment la fin du discernement : « Ne plus faire le point des choses, viser la « tabula rasa » sans autre projet »… « Il se produit un « éthos renversé », une « disposition générale » à produire de l’hostilité comme d’autres produisent de l’accueil au monde » (p 30). C’est bien ce que l’on observe dans une violence répétitive qui marque certains commentaires politiques apparaissant sur internet.

Cynthia Fleury nous décrit « l’homme ressentimiste » qui se manifeste ainsi. « L’une des manifestations les plus explicites et audibles du ressentiment demeure l’utilisation ordurière du langage. L’homme du ressentiment… se lâche et vomit, par son langage, sa rancœur (p274-275). L’homme ressentimiste choisit délibérément de n’user du langage que pour dégrader l’autre, le monde, les rapports qu’il entretient avec lui ». C’est une manifestation de haine. « Cette haine dresse un cadre de vie et de pensée assez nauséeux, car du ressentiment au délire conspirationniste, il n’y a qu’un pas. Telle est la version collective du désir de persécution. (p 284). On assiste à une logique implacable où les valeurs s’inversent. « Si vous êtes riche et bien portant dans cet univers inique, c’est que vous êtes complice de cet univers inique. Le ressentiment est une idéologie, un rapport de force qui cherche à s’établir et à promouvoir les intérêts d’un nouveau groupe qui se trouve spolié » (p 286). Il y a donc un renversement de la mentalité. « La notion de « mundus inversus » est très importante pour comprendre le lien manifeste entre ressentiment et pensée conspirationniste. Elle correspond à une sorte de solution magique ayant réponse à tout, pouvant expliquer toutes les vexations narcissiques de l’individu ressentimiste et permet par ailleurs une merveilleuse dissolution de ses responsabilités… Le raisonnement conspirationniste est bien connu dans la psychiatrie, car il est l’apanage des structures paranoïaques » (p 288).

 

Réduire le ressentiment collectif

 Cependant, si ces processus de pensée sont malheureusement répandus, on peut s’interroger sur les conditions qui peuvent en favoriser le développement. Ainsi combien il est important de respecter les singularités, l’originalité de chacun. La question a été posée au niveau des institutions de soin, des asiles. « Il est intéressant de voir que cette analyse peut être élargie de nos jours au fonctionnement plus global de la société. Que faire de l’attention au petit, à l’infime, aux détails du singulier ? y a-t-il une place pour cela dans la politique ? » (p 262). C’est prendre garde à la « réification », à la chosification, à la normalisation qui s’opèrent dans les institutions publiques comme « si elles prenaient plaisir à détruire les positions de l’individu pour le mettre sous tutelle et enlever tout goût d’individuation » (p 261). Cynthia Fleury met en évidence des facteurs favorisant des dysfonctionnements individuels et des dysfonctionnements collectifs. « Il s’agit de comprendre que la santé psychique des individus produit un impact tout à fait indéniable sur le fonctionnement de la société… Dans « Les irremplaçables », j’avais cherché à démontrer ce lien à l’égard d’un individu réifié, se sentant remplaçable, interchangeable, non respecté par un environnement notamment institutionnel et professionnel, donc public au sens large. Comment cet individu, petit à petit, se clivait pour résister à cette maltraitance psychique » (p 271). « Nos institutions doivent produire assez de soin pour ne pas renforcer les vulnérabilités inhérentes à la condition humaine, à savoir ses conflits pulsionnels…  et prendre garde à ne pas produire de la réification qui après s’être retournée contre les individus, les avoir rendu malades, se retourne contre la démocratie elle-même en développant la traduction politique de ces troubles et notamment dudit ressentiment » (p 273).

Plus généralement, le ressentiment collectif se nourrit d’une angoisse sociale en lien avec un manque de relations humanisantes. Cynthia Fleury cite Michel Angenot dans une analyse qui s’inspire de Max Weber. « Les idéologies du ressentiment sont intimement liées aux vagues d’angoisse face à la modernité, à la rationalisation, à la déterritorialisation. La mentalité de la « gemeinshaft », homogène, chaude et stagnante a tendance à tourner à l’aigre dans les sociétés ouverts et froides, rationnelles et techniques. Le ressentiment qui recrée une solidarité entre pairs rancuniers et victimisés… apparaît comme un moyen de réactiver, à peu de frais, de la chaleur, de la communauté dans l’irrationnel chaleureux » (p 290). Ainsi, pour Cynthia Fleury, prévenir le ressentiment collectif autant que faire se peut, c’est veiller à ne pas renforcer les processus extrêmes de rationalisation et de déterritorialisation qui provoquent immanquablement un sentiment de réification et donc, par réaction, une résistance qui, très vite, préfère se soumettre à une passion victimaire » (p 291).

Cette présentation du livre de Cynthia Fleury nous fait comprendre l’importance du ressentiment et en éclaire les ressorts. Mais il est très loin de rendre compte de la richesse de cet ouvrage. Ainsi, l’auteure traite également des incidences de la colonisation et des processus du fascisme. Et aussi, on découvre des réflexions sur des sujets de grande importance comme le discernement (p 30-31) ou la pratique d’écriture en thérapie (p 257-258). Dans ce livre, Cynthia Fleury entre en dialogue avec ses pairs, analystes et psychologues. Si notre culture est différente, il reste que Cynthia Fleury ouvre au lecteur non expert des fenêtres de compréhension. Dans cette tâche, elle est servie par une écriture riche et précise autant que par sa vaste culture. A une époque où nous sommes confrontés au ressentiment, au moins dans sa forme collective, il serait dommage d’ignorer l’apport de ce livre.

Cynthia Fleury aborde la question à partir de sa culture et de sa pratique d’analyste. D’autres points de vue sont envisageables. Ainsi peut-on envisager la prévention du ressentiment à partir d’une culture spirituelle qui met en avant l’amour, la miséricorde, le pardon, d’une culture relationnelle de la fraternité et de la communauté. C’est l’enseignement de Jésus qui, dans la dynamique de l’Esprit, nous appelle à un amour universel et à un pardon inépuisable. Nous voici, aujourd’hui interpellé par les manifestations de ressentiment. Cynthia Fleury nous permet d’envisager les dimensions de ce phénomène, d’en comprendre les ressorts et de participer ainsi à la « guérison du ressentiment ». Voila un précieux éclairage.

J H

  1. Cynthia Fleury. Ci-git l’amer. Guérir du ressentiment. Gallimard, 2020. Cynthia Fleury est interviewée sur son livre dans plusieurs vidéos : France culture. Dépasser le ressentiment pour sauver la démocratie : https://www.youtube.com/watch?v=ElNNOOXQEv4

Voir aussi :

De la vulnérabilité à la sollicitude et au soin
https://vivreetesperer.com/de-la-vulnerabilite-a-la-sollicitude-et-au-soin/