Face à la violence, apprendre la paix

La communication non violente, avec Thomas d’Ansembourg 

Nous sommes confrontés à la violence. C’est une réalité qui nous environne : violence dans les rapports sociaux, mais aussi violence perçue dans les réactions de tel ou tel. Nous savons comment la violence peut être dévastatrice. Alors comment lui résister ?

Les approches non violentes dans des conflits politiques et sociaux telles que celles de Gandhi et de Martin Luther King sont aujourd’hui bien connues. Plus récemment, un psychologue américain, Marshall B Rosenberg a développé un ensemble de pratiques sous le terme de « Communication non violente ». « La communication non violente, c’est la combinaison d’un langage, d’une façon de penser, d’un savoir faire de communication et de moyens d’influence qui servent mon désir de faire trois choses : me libérer du conditionnement culturel qui est en discordance avec la manière de vivre ma vie ; acquérir le pouvoir de me mettre en lien avec moi-même et autrui d’une façon qui me permette de donner naturellement à partir de mon cœur ; acquérir le pouvoir de créer des structures qui entretiennent cette façon de donner » (1).

A plusieurs reprises sur ce blog (2), nous avons présenté l’enseignement de Thomas d’Ansembourg sur la relation et communication dans la vie sociale. A un moment de sa vie, Thomas a vécu comme animateur avec des jeunes de la rue. C’est à partir de cette expérience qu’il a décidé de se former à la communication non violente avec Marshall Rosenberg. Puis il a continué son parcours comme psychothérapeute. Ainsi est-il bien placé pour nous aider à comprendre la  violence et à la dépasser. Dans cette vidéo : « La paix, ça s’apprend ! » (3), Thomas d’Ansembourg nous raconte brièvement son parcours et répond aux questions qui lui sont posées. Il y a là des réponses à nos propres questionnements. Voici donc, en notes, quelques extraits de ses propos.

 

La paix, ça s’apprend !

La paix, ça s’apprend ! Oui, mais « curieusement, nous sommes tout à fait prêts à apprendre la guerre, et, depuis l’époque des romains, nous connaissons l’adage : « Si tu veux la paix, prépares la guerre ! ». Et forcément, comme on prépare la guerre, on a pour cela des budgets, de l’organisation, des responsables, des formations, des spécialisations. C’est extraordinaire comme on est habitué à préparer la guerre, à y consacrer du temps et de l’argent ». Et, en regard, il y a bien peu d’efforts pour engager notre énergie en faveur de la paix et nous former en ce sens. « Pour la paix, il n’y a pas de budgets, pas de formations, pas de responsables… Je me suis intéressé à faire le parallèle. Si nous mettions autant d’attention à préparer la paix, est-ce que nous n’aurions pas quelque chance d’en avoir davantage parce qu’on y serait davantage préparé ».

Un parcours de formation et d’action

Thomas nous raconte comment il a été amené à s’intéresser à cette question. « Quand j’ai commencé mon travail comme avocat, je me suis rendu compte que beaucoup de conflits étaient le fruit de malentendus. Si nous apprenions à mieux nous exprimer et à mieux écouter l’autre, il y aurait beaucoup moins de malentendus. Nous aurions intérêt à apprendre qui nous sommes, à gérer nos émotions, à nous aligner sur notre élan de vie, aussi apprendre à exprimer ce que nous sommes et nos ressentis d’une façon adéquate, sensible et, de même, à écouter ce que l’autre ressent ».

Puis, deuxième expérience, Thomas a commencé à s’occuper de jeunes de la rue. « Je me suis aperçu que la violence était souvent liée à un manque de discernement, de conscience, de capacité d’expression de ce que nous vivons. Un peu d’apprentissage de soi, de connaissance de soi, éviterait à beaucoup de ces jeunes d’entrer dans des mécanismes de violence ».

Thomas a ensuite décidé de suivre une psychothérapie qui a été également source de prise de conscience. « Quand je suis entré moi-même en thérapie, je me suis aperçu du temps que je mettais à démanteler des attitudes, des automatismes, des conditionnements. Il faut du temps pour défaire ce qui empêche, avant de construire.

« Quand je suis devenu moi-même thérapeute », poursuit Thomas, « j’ai fait moi-même la même constatation et combien nous manquions d’apprentissages de base ».

Au cours de son service militaire, Thomas d’Ansembourg s’est engagé comme officier dans l’arme des paracommandos. Dans ce cadre, il a été soumis à un entrainement particulièrement rigoureux et vigoureux. Cet apprentissage a été pour lui « une expérience humaine de rencontre avec soi, de confrontation avec les limites du corps, de la volonté, des émotions ». Il en est resté une découverte : ces limites peuvent être dépassées. « Nous avons un potentiel pour aller bien au delà des limites que nous connaissons. Nous avons des ressources exceptionnelles pour aller au delà de ce que nous croyons ».

Thomas d’Ansembourg a trouvé en Marshall Rosenberg un formateur et un accompagnateur qui lui a permis de s’engager dans la voie de la communication non violente. « C’est un apprentissage systématique pour entraîner notre esprit à écouter autrement, à regarder autrement ». Ce n’est « pas seulement un outil relationnel, mais aussi un outil de connaissance de soi ».

 

Outils pour la connaissance de soi

« Il y a aujourd’hui des outils de connaissance de soi extrêmement performant. Ils ont fait leur preuve pendant de nombreuses années. Ils sont généreux. Ils sont pertinents. Ils se vivent dans le respect de toutes les traditions. Il est grand temps que nous les fassions connaître. Ne pas les connaître serait comme une non assistance à personnes en danger ». Mais quels sont ces outils ? demande un auditeur. Il y a bien cette approche de la communication non violente qui a tant apporté et apporte tant à Thomas. Mais il y en a beaucoup d’autres. Thomas cite notamment la PNL, l’analyse transactionnelle, la gestalt, la sophrologie, des approches plus physiques : le yoga, le qi gong…

 

Autour de l’agacement

En réponse aux questions des auditeurs, Thomas d’Ansembourg ouvre pour nous des portes de compréhension, des approches pour un changement intérieur.

« Comment éviter d’être agacé ? Lui demande-t-on. « On ne l’évitera pas. Ce qui est important, c’est de savoir pourquoi nous sommes agacés, peut-être régulièrement agacés. Qu’est ce qui est récurrent là dedans ? Comment anticiper pour ne pas se retrouver dans une situation d’agacement ? Beaucoup de nos contemporains vivent de l’agacement à répétition sans jamais sonder pourquoi ils se trouvent agacés et sans savoir qu’est-ce qui est en leur pouvoir pour transformer cette situation. J’ai pu voir moi-même dans mes propres agacements et aussi dans l’accompagnement des personnes que nous sommes beaucoup plus puissants que nous croyons dans notre capacité non pas de changer l’autre ou les circonstances, mais dans celle de changer notre manière de vivre par rapport à l’autre et aux circonstances ». Il y a des pistes pour sortir de ces impasses. « Tu es peut-être agacé, énervé. Tu te sens seul. Qu’est-ce que cela dit de toi ? Qu’est-ce que tu as besoin de développer, de transformer ? Tu as peut-être besoin de demander de l’aide. Il est bon de pouvoir tirer parti d’une friction ou d’un agacement pour tenter d’éviter que cela ne se représente ».

 

Changer le monde ?

Quel peut être l’impact de cette approche dans la vie du monde ? Thomas d’Ansembourg répond prudemment. « On ne peut pas changer le monde. Mais on peut changer sa façon d’être au monde » et par suite influer sur le monde. « Imaginez que chaque citoyen sur la planète prenne du temps chaque jour pour se pacifier, réconcilier ses tensions, comprendre ce qu’elles veulent dire, vérifier qu’elles s’alignent sur son élan intérieur… » Thomas d’Ansembourg croit au pouvoir de la non violence. « Nous créons un nouveau climat et cela demande une vision à long terme… ». « C’est particulièrement précieux d’avoir ces clés de pacification aujourd’hui puisque des tensions considérables viennent autour de nous sur nos territoires en Europe et que cela nous demande une vigilance pour ne pas être dans l’action-réaction qui est toujours une façon de gérer ce genre de choses ».

 

Face au terrorisme 

Comment réagir devant l’horreur du terrorisme ? D’abord en accueillant bien sûr la colère, la tristesse, le dépit. Evidemment on ne peut pas être indifférent par rapport à ces évènements. En quoi cela nous subjugue par rapport à nos critères ? En même temps, manifestement, nous avons à faire aux symptômes tragiques d’une société extrêmement malade. Il me semble que nos gouvernants se préoccupent surtout des symptômes sans tenter de comprendre la cause. Certains l’ont bien identifiée. Elle vient d’un monde que nous avons créé qui se révèle un monde centrifuge. Ceux qui n’arrivent pas  à rester au centre, à s’accrocher à l’axe, sont jetés au dehors et forcément, ceux qui n’ont plus rien à gagner n’ont plus rien à perdre. Et ils nous le font cruellement sentir. Je souhaiterais qu’un peu plus de nos contemporains mesurent qu’il s’agit parallèlement de remettre en question notre système socio-économique. Notre système capitaliste patriarcal est à bout de souffle et il est grand temps d’inventer une autre façon de générer et de partager les biens et les ressources ». Thomas évoque une réflexion d’Albert Jacquard, un scientifique engagé. : « La présence d’une prison dans une ville est le signe qu’il y a un problème dans la société toute entière ». Les mesures de sécurité ne suffisent pas. « Je me dis qu’on oublie de s’intéresser aux problèmes qui affectent la société toute entière et qui continuent de générer des poches de frustration ».

 

Face à la violence

Mais d’où vient la violence ? Est-ce une fatalité biologique selon laquelle « l’homme serait un loup pour l’homme » ? « La violence n’est pas l’expression de notre nature. La violence est l’expression des frustrations de notre nature » répond Thomas. « C’est lorsque notre nature est frustrée que nous pouvons être violent. Un être humain qui a reçu de l’amour, de l’attention, de la valorisation de ses talents, de l’encouragement dans ses faiblesses, pourquoi cet individu utiliserait-il une stratégie violente pour se sentir vivre ? ».

Autre question : comment fait-on par rapport à la violence des autres ? La solution n’est-elle pas de développer notre paix, notre propre bienveillance ? Effectivement, Thomas nous invite à nous tourner vers nous-même. « Ce sera très difficile de comprendre la violence des autres si on refuse de voir la notre. Et beaucoup de nos contemporains refusent de voir la leur. La plupart des gens n’imaginent pas de quelle violence subtile il s’agit : le jugement sur soi, la condamnation, les systèmes de pensée qui nous forment, la culpabilité qui déchire. La plupart de nos contemporains n’imaginent pas la violence qu’ils exercent sur eux-mêmes et ils se trouvent encagés en tenant bien la clé en main pour ne pas se libérer. Nous avons besoin d’apprendre à démembrer cette violence sur nous-même. C’est la condition pour accueillir la violence de l’autre, sinon la violence de l’autre nous rappelle la violence que nous exerçons sur nous-même. Lorsque l’autre nous juge, cela interpelle la partie de nous-même qui nous juge aussi. Je ne puis pas écouter l’autre me traiter d’égoïste si il y a une partie de moi qui me dit : « Je suis un égoïste. Je ne pense qu’à moi. C’est inadmissible ».

 

Le pouvoir de l’empathie

Thomas nous appelle à reconnaître et à développer notre empathie. « Je suis de plus en plus surpris par le pouvoir de l’empathie. L’empathie, c’est la capacité de me relier à ce que l’autre ressent et à ce qu’il aimerait, même si on n’est pas d’accord. L’empathie ne veut pas dire qu’on est d’accord, qu’on souscrit, qu’on est prêt à faire ce que l’autre demande. L’empathie, c’est comprendre ce que l’autre ressent, mais sans être forcé d’y souscrire. Je suis impressionné par la puissance de l’empathie. Beaucoup de nos besoins de violence, d’agressivité viennent du besoin d’être compris, d’être rejoint, du désir que notre manière d’être soit entendue. Si nous arrivons à créer un climat d’écoute et d’empathie pendant un certain temps, j’ai la conviction qu’il y aura du changement ».

 

Pardon…réconciliation…

Un auditeur demande à Thomas d’Ansembourg ce qu’il pense du pardon. « J’ai grandi dans la tradition catholique. Comme enfant et jeune homme encore, on m’a beaucoup parlé du pardon. Intellectuellement ces paroles me paraissaient belles et nécessaires, mais je n’ai pas ressenti un déclic dans mon cœur. Par la suite, quand j’ai appris ce qu’était l’empathie, l’empathie pour soi et l’empathie pour l’autre, j’ai tout à coup ressenti ce « tilt » : aller jusqu’à comprendre l’autre même si on a souffert de lui. Or c’est un effet que je n’avais pas perçu en disant : « Je te pardonne. Ce n’est pas grave ». Je gardais quand même le souvenir d’une tristesse, d’un agacement. Maintenant, je sais qu’on peut appendre à se réconcilier et je préfère la démarche de réconciliation. Comprendre ce que l’autre a ressenti et le découvrir dans son humanité et dans son dénuement, cela demande que nous ayons accepté nous-même de nous voir dans notre humanité, dans notre pauvreté, dans notre dénuement, par moment dans notre impuissance. Plus nous porterons de l’humanité envers nous-même, plus nous développerons de l’humanité pour l’humain devant nous. C’est une démarche. C’est un travail. Si on comprend ainsi le mot pardon, j’y souscris.

 

Que penser des religions ?

Un auditeur pose une grande question à Thomas d’Ansembourg : « Que penses-tu des religions ? »

« J’ai de l’estime pour les religions qui aident les personnes à mieux vivre, qui leur donnent des outils de compassion pour les autres, d’entraide et d’éveil au meilleur de soi. Il se trouve que j’ai perçu des limites dans la façon dont la religion m’été enseignée. J’ai grandi dans une tradition catholique très pratiquante. J’ai exploré ces ressources et, à un moment, elles ne me servaient plus. Il a fallu que je cherche autre chose qui n’était pas en contradiction avec la pratique religieuse, mais qui ne s’y trouvait pas, notamment la connaissance de soi. Le fait d’entrer en thérapie n’était pas cautionné par la religion. Les religieux me disaient : « Mais priez ! Allez faire une retraite spirituelle et tout ira bien… » Et bien non ! Dans le climat que j’ai vécu, je sentais plutôt un étouffoir, une limite, un empêchement à me mettre moi-même dan une perspective d’expansion et de mettre ainsi le meilleur de moi-même au service des autres. Si la religion aide à grandir et à être plus joyeux et plus généreux, alors c’est une appartenance magnifique. Je serais toutefois vigilant en constatant qu’il peut arriver en thérapie beaucoup de personnes ayant été « obscurcies » par une pratique religieuse qui les empêche d’être elles-mêmes. Elles étaient juste des copies conformes de leurs parents, de leurs milieux. Or, on est sur terre pour transformer le monde et apporter de la nouveauté. Et la nouveauté vient lorsqu’on est créateur et quand on a appris à se connaître et à se confronter avec son ombre. Et pour se confronter avec son ombre, il faut l’avoir rencontrée. La plupart des religions disent : « N’allez pas voir votre ombre ! » Comment voulez-vous dépasser quelque chose que vous ne connaissez pas ? Cette religion me tirait hors de moi. Je n’avais pas un creuset d’intériorité transformante où je pouvais nettoyer mes tristesses, mes désarrois. Il me manquait ce petit laboratoire intérieur. J’ai pu voir par la suite qu’on peut vivre une religion très stricte sans espace d’intériorité, sans aucun recul. Je vous engage donc à développer une vie intérieure profonde qui peut bien se vivre dans un cadre religieux, mais aussi dans un autre cadre.

 

Une conscience de la respiration

A la fin de la session, un auditeur demande à Thomas d’Ansembourg, un exercice, « une petite pratique pour une éducation à la paix, un entrainement à la paix ». En réponse, Thomas propose un exercice simple et porteur de sens. « Vous pouvez commencer votre journée par 3 ou 4 minutes de présence. Vous posez votre main sur votre poitrine en constatant que vous respirez et vous prenez deux ou trois respirations dans cette conscience. Je respire. Cela respire en moi. Goutez cette conscience que c’est la Vie qui respire en vous. Il n’y a rien à faire.  Et puis, à côté de cette conscience de la Vie qui est en vous, qui est là constamment, ajoutez une petite visualisation de ce qui se passe. Entrez dans l’intime de vos poumons. Visualisez ce qui se passe à chaque instant dans vos poumons : un échange entre oxygène et gaz carbonique. La vie est échange. Sans échange, il n’y a pas de vie. Ajoutez un sentiment, ne serait-ce que de la gratitude pour cela. Mesurez l’âge que vous avez, le nombre de respirations que vous avez prises depuis la toute première à la sortie du sein maternel  et combien votre respiration est fidèle depuis tant d’années et elle le sera indéfectiblement jusqu’à votre dernier souffle. Fidélité de la vie. Portez de la gratitude, de la reconnaissance à la fois pour le souffle physique, et, pour ceux qui partagent cette perspective, pour le souffle de l’Esprit qui souffle à travers toute personne et tout être, quelque soient les mots que vous mettiez sur cette réalité. Un petit exercice de quelques secondes qui vous relie à la sensation d’être vivant, à la merveille de l’organisation biologique de la vie, à l’appartenance au souffle que ce soit simplement le souffle physique qui est le même pour tous les êtres vivants et nous relie au Cosmos et à la totalité, mais également au souffle qui nous relie à la dimension spirituelle, le souffle qui inspire notre humanité depuis des millénaires au delà de ce que nous voyons.

 

Interprétations

Comment ne pas nous interroger sur la violence qui nous environne ? La conférence questions-réponses de Thomas d’Ansembourg nous apporte un éclairage précieux. Cette approche nous aide à comprendre, mais elle nous ouvre aussi des pistes pour des prises de conscience débouchant sur un changement personnel. Et ce changement personnel contribue à une pacification collective : « Un citoyen pacifié est un citoyen pacifiant ». Cet enseignement est le fruit de l’expérience de Thomas qui nous fait le cadeau de nous la partager. Mais elle est donc également associée à un parcours personnel dans un contexte spécifique. Aussi, sur certains points, notre interprétation peut être différente. Nous ouvrons ici quelques pistes de réflexion complémentaires.

 

Pour une théologie de la vie

         Thomas d’Ansembourg a été apparemment confronté à un catholicisme traditionnel dont il s’est éloigné parce qu’il en percevait les limites et les empêchements qui en résultaient dans son évolution personnelle. Cependant, il y a aujourd’hui plusieurs manières d’envisager et de vivre la foi chrétienne. Dans son oeuvre théologique, Jürgen Moltmann nous montre l’influence que la philosophie platonicienne a exercée dans une part du christianisme associée à une société traditionnelle. La terre était perçue comme « une vallée de larmes ». Le salut était associé à un détachement du corps et une échappée de l’âme vers l’au delà. En réponse, Moltmann nous propose une théologie de la vie. Ainsi écrit-il, dans son tout récent livre : « The living God and the fullness of life » (4) : « Le christianisme naissant a conquis le monde ancien avec son message au sujet du Christ : « Il est la résurrection et la vie ». C’est le Christ qui vient en ce monde et c’est cette vie avant la mort qui est éternelle parce qu’elle est remplie de Dieu dans la joie. Car, en Christ, le Dieu vivant est venu sur cette terre pour « qu’ils puissent avoir la vie et l’avoir en abondance » (p IX)… Dans la résurrection du Christ, une vie entre dans le présent qui ne peut être qu’aimée et vécue joyeusement… Je désire présenter une transcendance qui ne supprime, ni n’aliène notre vie présente, mais qui libère et donne à la vie une transcendance dont nous n’ayons pas besoin de nous détourner, mais qui nous remplisse d’une joie de vivre » (p X). N’est-ce pas cette dynamique de vie qui manquait dans l’univers religieux que Thomas a rencontré dans son enfance et sa jeunesse ? Dans cette perspective, Moltmann accorde une grande importance à la présence et à l’œuvre de l’Esprit Saint, un Esprit créateur et qui donne la vie (5). Nous percevons cette présence de l’Esprit dans la dimension du Souffle à laquelle Thomas d’Ansembourg fait allusion en commentant l’exercice de la respiration.

 

Face à la peur : le témoignage de Barack Obama

L’approche développée à travers cette conférence peut aider des gens très différents. « Ces outils de connaissance de soi se vivent dans le respect de toutes les traditions ». Dans une perspective chrétienne, ils s’inscrivent dans une vision de foi qui engendre la confiance et donne la force. Elle apporte un soutien face à l’adversité. A cet égard, le récent témoignage (6) du Président des Etats-Unis, Barack Obama, nous paraît particulièrement éloquent. On imagine autant la responsabilité qu’il assume que les drames et les menaces auxquels il peut être confronté. Dans une rencontre nationale autour de la prière (« National prayer breakfast »), Barack Obama a choisi de commenter un verset biblique (2 Timothée 7) : « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse ».   Ainsi nous parle-t-il de la peur : « La peur peut nous amener à nous en prendre violemment à ceux qui sont différents de nous… Elle peut nous entrainer vers le désespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut susciter nos impulsions les plus égoïstes et briser les liens communautaires. La peur est une émotion primaire que nous éprouvons tous. Et elle peut être contagieuse se répandant à travers les sociétés et les nations.

Pour moi, et je le sais pour beaucoup d’entre vous, la foi est le grand remède à la peur. Jésus est un grand remède à la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour, la sagesse qui sont requis pour surmonter toute peur… La foi m’aide à faire face aux craintes quotidiennes auxquelles nous sommes tous confrontés… Elle m’aide à affronter quelques unes des tâches spécifiques de ma fonctionNelson Mandela a dit : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de peur, mais le fait de la surmonter… »… Et certainement, il y a des moments où je dois me répéter cela à moi-même dans ma  fonction… Et comme président, comme chaque leader, chaque personne, j’ai connu la peur, mais ma foi m’a dit que je n’avais pas à craindre la mort, que l’acceptation du Christ promet le vie éternelle… Dans la force de Dieu, je puis résister, faire face aux aléas, me préparer à l’action… ». Barack Obama ajoute longuement combien, dans ces épreuves, il a été encouragé par la foi des autres.

 

Face à la violence : compréhension et changement intérieur

A plusieurs reprises dans ses propos, Thomas d’Ansembourg indique le registre dans lequel il se situe : « Je vous engage à développer une vie intérieure profonde » qui peut se vivre dans différents cadres. Nous venons d’ajouter ici en regard quelques pistes de réflexions personnelles. A plusieurs reprises, nous avons présenté sur ce blog l’apport de Thomas d’Ansembourg qui nous paraît apporter un éclairage précieux pour nous situer personnellement dans le monde d’aujourd’hui et évoluer en conséquence. Le problème de la violence se pose à nous aujourd’hui avec acuité, mais il nous interroge aussi par rapport à certains comportements que nous rencontrons dans la vie quotidienne, et, comme Thomas l’a bien montré, par rapport à certaines de nos réactions. C’est pourquoi, rencontrant cette vidéo : « La paix, ça s’apprend » à un détour d’internet, nous avons immédiatement choisi de la mettre ici en évidence. Voici un éclairage qui ne nous apporte pas seulement une compréhension, mais qui nous ouvre un chemin.

J H

 

(1)            Voir : « Communication non violente » sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication_non-violente

(2)            « Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Femmes et hommes. Monde nouveau. Alliance nouvelle » https://vivreetesperer.com/?p=1791

« Vivant dans un monde vivant. Changer intérieurement pour vivre en collaboration » https://vivreetesperer.com/?p=1371

(3)            « La paix, ça s’apprend » par Thomas d’Ansembourg : vidéo sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=2rwhx8XyyYw

(4)             Moltmann (Jürgen). The living God and the fullness of life ». World Council of churches, 2016 Sur ce blog : voir aussi : « Dieu vivant. Dieu présent. Dieu avec nous dans un monde où tout se tient » : https://vivreetesperer.com/?p=2267

(5)            Moltmann (Jürgen). L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999. « l’Esprit de Dieu s’appelle l’Esprit Saint parce qu’Il vivifie notre vie présente et non parce qu’Il lui est étranger et en est éloigné. Il place cette vie dans la présence du Dieu vivant et dans le courant de l’amour éternel. Pour marquer l’unité entre expérience de Dieu et expérience vitale, je parle dans le présent ouvrage de « l’Esprit qui donne la vie ». Voir aussi une introduction à la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

(6)            Remarks of the President at National Prayer Breakfast : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/remarks-president-national-prayer-breakfast-0 Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

 

Sur ce blog, voir aussi :

« La force de l’empathie » : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

La prière dans la vie de Barack Obama

 

Un ancrage face à la peur

 

Dans bien des circonstances de notre vie, face aux menaces qui surgissent et font irruption dans notre existence, nous ressentons désarroi, peur, angoisse. C’est le moment de nous rappeler que nous ne sommes pas seul. Le croyant peut se confier à Celui qui est présence d’amour et puissance de vie.

A travers les médias, nous sommes confrontés aux souffrances et aux inquiétudes répandues dans le monde. Là aussi, nous avons besoin d’une inspiration qui puisse nous éclairer. Et combien cette inspiration est-elle nécessaire pour les dirigeants engagés dans la conduite des affaires du monde ! C’est là que le témoignage de Barack Obama comme président des Etats-Unis, est particulièrement précieux. Confronté à des situations parfois redoutables, il s’est récemment exprimé sur sa pratique de la prière, dans le cadre du « National Prayer Breakfast » (1). Il a ouvert son intervention en citant un verset biblique (2 Timothée 7), puis en le commentant à partir de son expérience personnelle : « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur, mais un esprit de puissance, d’amour et de sagesse » (« For God has not given us a spirit of fear, but of power and of love and of a sound mind ».

 

« La peur peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme »

 

« Nous vivons à une époque extraordinaire », nous dit Barack Obama. C’est une période où « le changement est extraordinaire » et il en mesure les avantages, mais aussi les menaces et les dangers. « Il y a un écart  qui donne le vertige entre les gens dans le besoin et ceux dans l’abondance. Nous pouvons craindre la possibilité non seulement que le progrès soit en perte de vitesse, mais que, peut-être, nous ayons davantage à perdre. Et la peur produit des choses étranges. La peur peut nous pousser à nous en prendre à ceux qui sont différents… Elle peut nous entrainer à tomber dans le désespoir, la paralysie ou le cynisme. La peur peut nourrir nos penchants les plus égoïstes et éroder les solidarités communautaires ». Et « la peur est une émotion primitive dont chacun de nous fait l’expérience. Elle peut être contagieuse, en se répandant à travers les sociétés et les nations. Et si nous nous laissons entrainer, les conséquences de cette peur peuvent être pires que toute menace extérieure ». Voici un diagnostic qui fait écho aux menaces que nous percevons aujourd’hui dans certaines attitudes politiques. Et cela vaut aussi pour les extrémismes religieux.

 

« Pour moi, la foi est un grand remède à la peur »

 

Sur ce blog, à travers la présentation d’un dialogue ente Barack Obama et le Pape François, nous avons pu dégager de grandes orientations communes qui s’inspirent des valeurs de l’Evangile (2). Aujourd’hui, Barack Obama nous fait part de la force intérieure qu’il trouve dans la prière et qui lui permet d’assumer des responsabilités considérables. C’est un homme authentique qui ose parler, non seulement de ses convictions, mais de ses émotions personnelles.

« Pour moi, la foi est le grand remède à la peur. Jésus est un bon remède à la peur. Dieu donne aux croyants la puissance, l’amour et la sagesse requises pour vaincre la peur… N’est-ce pas dans cette époque changeante et tumultueuse que nous avons besoin de sentir Jésus se tenir à coté de nous, affermissant nos esprits, purifiant nos cœurs et nous montrant ce qui importe vraiment… Son amour nous donne le pouvoir de résister à la tentation de la peur. Il nous donne le courage pour rejoindre les autres par delà ce qui divise plutôt que de les rejeter. Il nous donne le courage d’aller à l’encontre des conventions pour défendre ce qui est juste, même quand ce n’est pas populaire, le courage de résister non seulement à nos ennemis, mais parfois à nos amis. Il nous donne la force de nous sacrifier pour une cause qui nous dépasse… ou pour prendre des décisions ardues en sachant que nous pouvons seulement faire de notre mieux. Moins de moi, plus de Dieu. Et ensuite, d’avoir le courage d’admettre nos échecs et nos péchés tout en nous engageant à apprendre de nos fautes et en essayant de faire mieux… Certainement, durant le temps de cet immense privilège pour moi de servir comme président des Etats-Unis, c’est ce que la foi m’a apporté. Elle m’aide à faire face aux craintes quotidiennes que nous partageons tous ». Et le président de mentionner avec humour les inquiétudes liées au départ des grands enfants du foyer familial.

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(discours d’Obama à partir d’1h48)

 

« La foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction »

 

« Chaque jour, nous craignons de ne plus avoir une vue claire du dessein de Dieu. Nous cherchons à voir comment nous nous inscrivons dans son projet. Et puis la foi m’aide à traiter des affaires qui sont propres à ma fonction. Comme Nelson Mandela l’a une fois déclaré : « J’ai appris que le courage n’était pas l’absence de la peur, mais la victoire par rapport à celle-ci. L’homme brave n’est pas celui qui n’éprouve pas la peur, mais celui qui la surmonte ». Et certainement, il y a des moments où je dois me répéter cela dans l’exercice de mes fonctions ».

Barack Obama évoque quelques défis qu’il a du affronter. « Comme chaque président, comme chaque dirigeant, comme chaque personne, j’ai connu la peur. Mais ma foi me dit que je n’ai pas à craindre la mort, que l’acceptation du Christ me promet la vie éternelle et le pardon des péchés. Si l’Ecriture m’enseigne à « porter la pleine armure de Dieu » pour que je sois capable de résister lorsque vient la tourmente, alors certainement je peux faire face à des aléas temporaires, certainement je puis combattre les doutes, je puis me mettre en action ».

 

« Ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir »

 

Mais la foi de Barack Obama n’est pas une foi solitaire. Elle s’inscrit dans une communion. « Et si ma foi vacille, si je perd mon chemin, je puise ma force, non seulement chez ma remarquable épouse, non seulement chez des amis et des collègues exceptionnels, mais aussi de tous ceux dont je suis témoin et qui, à travers ce pays et à travers le monde, de bonnes gens de toutes  confessions, réalisent chaque jour le travail du Seigneur en s’appuyant sur sa puissance, son amour et sa sagesse pour nourrir ceux qui ont faim, guérir les malades, enseigner nos enfants et accueillir l’étranger ». Barack Obama évoque des exemples d’action humanitaire entreprises  par des croyants à travers le monde, cette « marche d’espérance vivante » (« This march of living hope », ainsi dénommées par le Pape François.

Et puis, « il y a encore davantage : l’effort moins spectaculaire, plus tranquille des communautés croyantes simplement pour aider les gens. Voir Dieu dans les autres. Et nous sommes poussés à faire cela parce que nous croyons à  ce que tant de nos confessions de foi nous enseignent : Je suis le gardien de mon frère, je suis le gardien de ma sœur. Comme chrétiens, nous sommes poussés par l’Evangile de Jésus : le commandement d’aimer Dieu et de nous aimer les uns les autres ». Ainsi, « oui, comme chacun d’entre nous, il y a des moments où j’ai peur. Mais, ma foi, et encore plus ce que j’ai vu chez tant d’entre vous, ce Dieu que je vois en vous, cela me rend confiant dans l’avenir. J’ai vu tant de gens qui savent que Dieu ne nous a pas donné un esprit de peur. Il nous a donné puissance, amour et sagesse ».

 

Deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage

 

Barack Obama achève son exhortation en racontant deux histoires qui nous parlent de foi, d’amour et de courage.

Il évoque ainsi un sergent fait prisonnier par l’armée allemande, avec d’autres soldats américains, pendant la dernière guerre mondiale. Les allemands voulaient identifier les soldats juifs. Au lieu de désigner ses camarades juifs, le sergent réunit tous les soldats et, malgré la menace de mort d’un officier nazi, il répéta : « Nous sommes tous juifs ». « Ainsi, à travers cette lumière morale, à travers un acte de foi, le sergent Edmonds a sauvé tous ses frères d’arme juifs ».

La seconde histoire est celle d’un musulman américain rencontré par Barack Obama lors de sa récente visite à la mosquée de Baltimore. Rami Nashashibi est travailleur social à Chicago où il collabore avec différentes communautés et églises. Il a raconté à Obama comment, se promenant dans un parc avec ses enfants, après la tuerie de San Bernardino commise par des terroristes islamistes, il avait hésité à prier publiquement selon le rite musulman des cinq prières quotidiennes. Sa fille lui avait demandé pourquoi il ne priait pas comme il le faisait habituellement. Alors, il s’était souvenu des nombreuses fois où il avait raconté à ses enfants la marche pour les droits humains et la justice, effectuée dans ce parc, par Martin Luther King et le rabbin Robert Marx. « Et alors, à ce moment, puisant du courage dans le souvenir de l’action de ces hommes de différentes religions, Rami a refuser d’enseigner la peur à ses enfants ». Il a déployé son tapis de prière et il a prié.

« Ces deux histoires », rapporte Barack Obama, « me donnent du courage et de l’espoir. Et elles m’édifient dans ma propre foi chrétienne ».

 

Ainsi, la prière de Barack Obama se déploie en communion avec tous ceux qui recherchent la paix, la justice, la bonté. C’est un état d’esprit qui fait écho à la parole d’une épitre : « Portez votre attention sur ce qui est bon et digne de louange, sur tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur, agréable et honorable » (Philippiens 4.8). C’est une prière qui  fortifie et qui porte une dynamique de vie. « Je prie pour que nos dirigeants agissent toujours avec humilité et générosité. Je prie pour que mes défaillances soient pardonnées. Je prie pour que nous remplissions notre devoir d’être de  bons serviteurs de la création de Dieu, cette belle planète. Je prie pour que nous voyons chaque enfant comme si c’était le nôtre, chacun digne d’amour et de compassion. Et je prie pour que nous répondions à l’appel de l’Ecriture à aider les gens  vulnérables à se relever, à tenir bon en faveur de la justice et à agir pour que chaque être humain vive dans la dignité ».

 

J H

 

(1)            Sur YouTube : President Obama speaks at the National Prayer Breakfast (intervention à la fin de cette rencontre) : https://www.youtube.com/watch?v=ifvN7JDpkXw

Texte de l’intervention : The White House. Remarks by the President at the National Prayer Breakfast : https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/remarks-president-national-prayer-breakfast-0 Pour faciliter l’accessibilité de ce texte aux francophones, nous proposons ici des extraits adaptés en français

(2)            Sur ce blog : « La rencontre entre le Président Obama et le Pape François » : https://vivreetesperer.com/?p=2192

 

Voir aussi :

«  Charleston : face aux fanatismes, un message qui s’adresse au monde entier » : https://vivreetesperer.com/?p=2117

« De Martin Luther King à Obama » : https://vivreetesperer.com/?p=2065

A l’écoute des voix de l’enfance

 

Une ressource spirituelle

 

Grâce à des recherches comme celles de Rebecca Nye (1), nous apprenons aujourd’hui à découvrir la spiritualité de l’enfant comme un univers original, original et merveilleux… Pour nous qui sommes devenus adultes, cette découverte nous invite à revisiter notre enfance comme une ressource qui peut nous éclairer et nous inspirer. C’est ce à quoi Rebecca Nye nous encourage lorsqu’elle écrit : « Nous avons vu que la spiritualité de l’enfant et celle de l’adulte ne sont pas complètement distinctes. Elles ont beaucoup en commun. Les enfants deviennent des adultes pour lesquels les expériences avec Dieu pendant l’enfance sont souvent très formatrices. Il serait précieux de vous interroger sur votre propre vie avec Dieu, celle que vous vivez aujourd’hui et celle que vous viviez étant enfant… Une des façons d’être à l’écoute de votre être et, en particulier de votre âme d’enfant est de faire l’inventaire de quelques moments marquants de votre enfance » (p 41).

 

Un moment d’enfance

 

Nous voici donc en train de nous remémorer un moment d’enfance. Dans cette enfance environnée par la guerre et finalement protégée, il y a eu bien des moments heureux. Cependant, dans la réévocation d’une histoire spirituelle, il y a un événement qui est toujours revenu à ma mémoire. C’est un moment où, dans le mouvement de ce qui était alors la « communion solennelle », sans doute au moment où on me prenait en photo, j’ai remis en pensée ma vie à Jésus. Mais quand je me remémore ce printemps 1942, il y a eu finalement une « période sensible » que je découvre comme une oasis à l’orée d’une adolescence inquiète. Mon père était médecin militaire. Fin 1941, on lui confie la direction de l’hôpital Bégin qui accueille des prisonniers de guerre rapatriés pour raison de santé. A Noël 1941, j’arrive donc avec ma mère habiter le grand appartement de fonction qui nous était destiné. Mon père était très bon. Ce fut une grande joie de le retrouver après la séparation de la guerre, puis de son poste à Chateauroux en « zone libre ». Enfant unique, j’étais aussi objet d’affection et d’attention pour mon père, et je me rappelle combien, dans ces mois là, j’ai cherché à l’initier à ma jeune culture, à mes lectures, à mes apprentissages scolaires. Je lui faisais partager mes découvertes avec mon intuition enfantine, source de bonheur pour l’un et pour l’autre. On avait finalement trouvé pour moi à Vincennes une petite école privée destinée à un public de filles, mais où on acceptait un petit groupe de garçons. Le climat était familial et j’en perçois rétrospectivement la douceur. L’hôpital se situait dans un grand parc où je me promenais librement. Dans les beaux jours lorsque des familles s’installaient sur la pelouse, j’aimais jouer avec les plus petits et participer à ce bonheur. Cependant, il me revient aussi la forte mémoire des rencontres que j’ai eu à cette période avec des prisonniers de guerre africains rapatriés pour raison de santé. Je les rencontrais au tournant d’une allée. J’allais vers eux, je leur manifestais ma sympathie, parfois en leur offrant des fleurs cueillis  au bord du chemin. Spontanéité et empathie de l’enfance…

Au printemps 1942, il y eut donc cette communion solennelle dans une grande église bondée. Avec papa, j’avais été acheter à Saint Sulpice des images de Jésus, de Marie, de saints et j’en avais tapissé le mur de ma chambre. Et sur la cheminée de ma chambre, initiative quelque peu singulière, j’avais disposé un Ancien et un Nouveau Testament illustrés par des grands dessins peut-être de Gustave Doré. Tous les soirs, j’invitais mon père à venir prier. Je ne me rappelle pas ce qui se disait, mais c’était un vrai élan de foi. Cependant, le point d’orgue de tout ceci, c’est la paix qui m’a imprégné pendant ces quelques semaines alors que j’étais un enfant très peureux, vivant dans la crainte des bombardements. C’est un souvenir très prégnant d’autant que j’ai vécu ensuite à nouveau dans la peur de cette menace. Ce fut donc une oasis par rapport aux craintes et aux tourments qui allaient monter par la suite. Je me souvenais de ce mouvement de mon cœur où j’avais confié ma vie à Jésus… En revisitant cette période, je me rends compte qu’il y a eu là une « période sensible » où amour,  confiance et foi se sont conjugués dans mon vécu, un moment de grâce.  Et puis les nuages sont arrivés. Le paysage intérieur s’est brouillé. Des années difficiles ont suivi.

 

Enfance : nos racines

 

A la suite de l’invitation de Rebecca Nye dans son livre sur « la spiritualité de l’enfant », nous nous sommes donc engagés dans cette exploration de la mémoire en faisant le choix de ce moment d’enfance. Certes, nous avons chacun une relation différente avec les différentes étapes de notre vie. Et de telle ou telle période, on peut garder des souvenirs qui, pour les uns, ont besoin d’être guéris (2), et qui, pour les autres, nous porteront. Pour moi, si l’adolescence a été souffrante, je puis entrer dans la vision d’Antoine de Saint-Exupéry lorsqu’il écrit dans « Pilote de guerre » (1942) : « D’où suis-je ? Je suis de mon enfance comme d’un pays ». Cette dynamique nous paraît correspondre à l’émerveillement que suscite le livre de Rebecca Nye.

A travers les expériences positives qui transparaissent dans nos vies, sachons apprécier l’œuvre de l’Esprit, et, par delà, sa puissance de guérison et de transformation dans l’immédiat et dans la durée (4).

 

J H

 

(1)            Nye (Rebecca). La spiritualité de l’enfant. Comprendre et accompagner. Empreinte Temps présent, 2015. Présentation sur le site de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1106:l’enfant-est-un-être-spirituel&catid=14:developpement-personnel&Itemid=84

Voir aussi sur ce blog : « L’enfant : un être spirituel » :

https://vivreetesperer.com/?p=340

(2)            Lecomte (Jacques). Guérir de mon enfance. Odile Jacob, 2004

(3)            Nous renvoyons ici à nouveau à la pensée théologique de Jûrgen Moltmann : Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte Temps présent, 2012. Sur ce blog : « Une dynamique de vie et d’espérance » : https://vivreetesperer.com/?p=572

Mise en perspective de la pensée théologique de Jürgen Moltmann sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : http://www.lespritquidonnelavie.com

D’un esprit de jugement à un esprit de bienveillance

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Bien connue, n’est-ce pas la  parole de Jésus,  rapportée dans l’évangile de Matthieu (7.1-5) : « Pourquoi regardes-tu la paille dans l’oeil de ton frère et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans le tien ? » C’est un appel à ne pas juger, à ne pas condamner l’autre. Mais dans quel esprit allons-nous entendre cette parole ? Avec quelle grille de lecture ? Dans un milieu porté lui-même à juger, à condamner, cette parole pourra  engendre un transfert : passer de la condamnation de l’autre à sa propre condamnation. Et, comment enlever soi-même la poutre de son œil ?

 

En écoutant le commentaire de Luc Olivier Bosset (1), la situation s’éclaire. Parce que cette parole est entendue dans un esprit d’amour et de bienveillance, elle nous ôte toute culpabilisation et nous engage dans une relation constructive. Ainsi, nous dit-il, ôter la poutre qui est dans notre œil, c’est sortir de ce qui nous pèse, de notre propre malaise : « Prend le temps de sortir de ton malaise, de ton agacement, alors tu seras dans de bonnes dispositions d’esprit pour aider l’autre à sortir de sa paille ». Et puis pour comprendre l’autre, n’a-t-on pas besoin d’être soi-même empli de bienveillance, une bienveillance  encouragée et nourrie par la bienveillance qui nous est portée et que l’on reçoit. « Lorsqu’on se sent aimé, nous sommes prêt à accueillir différemment les aspérités, les défauts du caractère de l’autre ».

Dans l’amour de Dieu, « remplis ton réservoir ! », nous dit Luc Olivier Bosset…

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J H

 

(1)            « Remplis ton réservoir ! » : https://www.youtube.com/watch?v=pVcrIOItUw0&feature=youtu.be

 

Voir aussi sur le blog : Vivre et espérer

« Se sentir aimé pour s’accepter » (Luc Olivier Bosset) : https://vivreetesperer.com/?p=2100

« Un citoyen pacifié devient un citoyen pacifiant » (Thomas d’Ansembourg) : https://vivreetesperer.com/?p=2156

« Voir, dire et recevoir le bien » (Cécile de Broissia) https://vivreetesperer.com/?p=1860

« Des petits rien de grande portée : la bienveillance au quotidien » (Odile Hassenforder » https://vivreetesperer.com/?p=1849

« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (Lytta Basset) https://vivreetesperer.com/?p=1849

 

Changer de regard

 

Nos comportements, nos actions dépendent de nos représentations, de notre manière de voir. Et de même, nos engagements dépendent de notre capacité d’avoir confiance et d’espérer, de voir le positif (1). Ainsi,  ce que nous vivons et ce que nous faisons dépendent pour une bonne part de notre regard. A cet égard, dans cette vidéo du CCFD-Terre Solidaire pour une collecte de dons à l’occasion de Noël (2), la courte méditation de Guy Aurenche : « Changer de regard » nous paraît particulièrement propice à la réflexion sur l’importance de notre manière de voir.

 

« L’humanité toute entière s’est-elle échouée sur une plage de Turquie ?

Dans l’information qui nous arrive, difficile de voir des lueurs d’espoir.

Cette information nous enferme dans la fatalité et nous aveugle.

 

Pourtant, changer de regard, c’est déjà changer le monde.

Voir que la misère et la faim ont des causes structurelles et qu’on peut donc les combattre

Voir pour rendre la dignité à ceux et à celles qui se battent et qui ne sont pas que des  victimes

Voir pour soutenir ceux et celles qui inventent leur moyen de vivre : une coopérative, une banque de semences, des formations pour les jeunes

 

Voir qu’un autre monde est possible, qu’il existe déjà…

Un monde où nous sommes tous humains contre la faim.

 

La parole de Guy Aurenche nous appelle à déplacer notre attention, à passer d’une focalisation sur les catastrophes et de l’accablement correspondant, à  une entrée dans un mouvement de solidarité et de libération

 

Ici, changer de regard, c’est entrer dans une vision nouvelle.  Cette vision n’est pas seulement mobilisatrice, elle est créatrice. Un nouveau monde apparaît.  « Changer de regard, c’est déjà changer le monde… Voir qu’un autre monde est possible, qu’il existe déjà… »

 

Capture

 

J H

 

(1)            Sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie » : « Agir et espérer. Espérer et agir ». L’espérance comme motivation et accompagnement de l’action : http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=900

(2)            Une vidéo du CCFD-Terre solidaire : « Noël contre la faim » : http://noelcontrelafaim.org/changerderegard/?url=player&utm_medium=EMAIL&utm_source=CCFD&utm_campaign=avent&utm_term=noel

Guy Aurenche est président du CCFD-Terre solidaire. Sur ce blog, une contribution de Guy Aurenche : « Briser la solitude » : https://vivreetesperer.com/?p=716               Voir aussi sur le site de Témoins : « la fraternité sauvera le monde » : http://www.temoins.com/societe/culture-et-societe/societe/la-fraternite-sauvera-le-monde.html

De rencontre en rencontre. L’histoire de la femme qui a fait lire des millions d’enfants

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51sadn30ieL._SX316_BO1,204,203,200_« Mais qu’est ce qui les fait lire comme ça ? ». Oui, il y a bien chez les enfants une puissance de vie qui s’exprime en terme d’exploration, de découverte et d’émerveillement. Et c’est pourquoi on doit tout simplement faciliter ce mouvement, laisser passer et encourager ce courant de vie. « Laissez les lire ! » (1) nous disait Geneviève Patte à travers le titre d’un livre précédent. Et, dans celui-ci, elle réitère ce message : « Mais qu’est-ce qui les fait lire comme ça ? » (2).

Comme Maria Montessori dans un autre contexte (3), c’est la reconnaissance de la puissance de vie qui s’exprime dans l’enfant. La communion intuitive et l’écoute nous permettent d’entrer dans cette réalité. L’observation et la réflexion nous aident à en saisir la pleine dimension. Et, pour tout cela, la relation est première. On peut redire ici les mots du philosophe Martin Buber : « Au commencement était la relation » (4). En toute chose, mais combien cela est vrai ici… Et cette dynamique relationnelle apparaît comme première dans l’histoire de vie de Geneviève Patte telle qu’elle nous la présente dans ce livre. Cette histoire se déroule de rencontre en rencontre.

 

Une famille ouverte aux autres, ouverte à l’étranger

 

Au départ, Geneviève nous parle de sa famille, une famille résistante durant l’occupation, une famille ouverte aux autres, ouverte à l’étranger. « J’étais bien petite, mais je me rappelle la période de l’Exode à Poitiers. La famille était accueillante. Tous les soirs, en mai-juin 1940, mes frères et sœurs ainés se rendaient à la gare pour offrir l’hospitalité à ceux qui ne savaient pas où passer la nuit. J’aimais alors les grandes tablées du matin où chacun se restaurait avant de reprendre la route… » (p 17)).

Ouverture aux autres, ouverture aux livres. Je suis née et j’ai grandi dans une maison remplie de livres. Mes parents lisaient beaucoup et prenaient le temps de nous lire et de nous raconter des histoires. Il me suffisait d’aller frapper à la porte du bureau de mon père pour qu’il interrompe ses recherches de paléontologie et m’accorde du temps. Il sortait alors du tiroir de sa table de travail quelques albums délicieux dont il me faisait lecture… Ces livres m’ont laissé une forte impression… » (p 13).

Au lycée, Geneviève a fréquenté « les classes nouvelles », crées à la Libération dans un état d’esprit pionnier. « On y privilégiait le travail en équipe, l’autodiscipline et les enquêtes dans la ville pour « l’étude du milieu » (p 21).

Bref, cet environnement familial et scolaire a été un point de départ privilégié pour l’itinéraire pionnier de Geneviève Patte dans la création de « la Joie par les Livres » et la promotion des bibliothèques pour enfants.

 

Des rencontres fondatrices, de « l’Heure Joyeuse » à « la Joie par les livres »

 

Mais cet avenir n’était pas écrit d’avance ! Il est advenu à travers des rencontres fondatrices.

La première a été la découverte de « l’Heure joyeuse », une bibliothèque d’avant garde créée à Paris dans l’entre deux guerres à la suite des innovations américaines dans le domaine de la lecture enfantine. « A travers les fenêtres éclairées, je voyais un spectacle qui m’enchantait. Des enfants circulaient librement dans un monde de livres. Certains semblaient accaparés par leurs lectures. D’autres consultaient les fichiers. J’avais remarqué aussi la présence discrète et attentive de deux femmes. Elles conversaient en tête-à-tête avec des enfants. Tout cela me paraissait inhabituel. J’étais émerveillée… » (p 23). Geneviève nous introduit ensuite dans la vie de cette bibliothèque exceptionnelle. Et c’est là qu’elle a pris la décision de devenir bibliothécaire.

Quelques années plus tard, ce fut le début d’une aventure internationale qui allait se poursuivre ensuite tout au long de cette histoire de vie. Geneviève Patte effectue un stage à la Bibliothèque Internationale pour la Jeunesse à Munich. Et puis, dans cette ouverture d’esprit qui est la sienne, elle se laisse interpeller par l’idée de se rendre aux Etats-Unis où les bibliothèques pour enfants sont florissantes. « C’est une décision difficile. A cette époque, New-York est une ville lointaine. On n’y va pas en quelques heures. Le voyage est une véritable aventure… Finalement, je me laisse convaincre. Par chance, à Poitiers, je rencontre un couple américain particulièrement ouvert… » (p 49). Ces amis vont l’aider à réaliser ce voyage. Geneviève obtient une bourse Fulbright et travaille  à la « New York Public Library ».

De retour en France, une autre rencontre va ouvrir à Geneviève un champ pionnier : la création et le développement de la bibliothèque : « La Joie par les Livres » à Clamart. C’est la rencontre avec Anne Schlumberger, la mécène de l’association, qui va permettre cette réalisation. « Qui donc est la femme généreuse qui permet cette aventure ? Elle s’appelle Anne Gruner Schlumberger. Elle appartient à une famille de grands industriels protestants d’Alsace, mais aussi d’hommes de lettres et de découvreurs de génie. Sa famille est bien connue dans le monde entier pour ses actions de mécénat exceptionnelles de générosité et d’intelligence… Cependant, sa volonté d’offrir une bibliothèque d’exception à l’intention des enfants et des familles suscite de fortes réticences en France, dans le monde des bibliothèques… Pourtant, pour Anne Schlumberger, il ne s’agit pas d’un coup de tête. C’est une décision longuement murie… » (p 68-69). Malgré les oppositions ambiantes, Geneviève et une petite équipe ont accepté d’entrer dans ce qui a été au départ une aventure, une manifestation extraordinaire de créativité. « Fallait-il donc que nous ayons un courage à toute épreuve ou une incroyable naïveté pour nous lancer dans l’aventure de Clamart ? Nous devinions en fait que ce que nous offrait Anne Schlumberger était unique : la confiance et la liberté pour innover et pour rechercher l’excellence… D’emblée, j’ai aimé l’exigence et l’enthousiasme de la petite équipe. Nous étions liées par une conviction commune et nous aimions travailler ensemble… Anne nous a donné toute liberté pour mettre en place un projet qui ainsi a pu se développer  de manière naturelle, à la fois cohérente et solide… Notre désir était clair : révéler aux enfants ce que peut leur apporter une bibliothèque pensée pour eux, un lieu qui leur permette de connaître la joie de lire et de vivre là une part de leur enfance, d’en être en quelque sorte les acteurs ; tout cela dans un contexte de relations simples et naturelles avec des adultes… » (p 74-76). Geneviève nous décrit cette bibliothèque pionnière qui est devenue un lieu attirant et rayonnant.

 

Ces hommes et ces femmes au cœur intelligent

 

L’influence de la « Joie par les livres » s’est manifestée tant en France qu’à l’étranger. Et là encore, des rencontres fécondes sont advenues. Geneviève nous raconte ainsi la visite de Joseph Wresinski qui a marqué le début d’une vraie collaboration avec ATD-Quart Monde (p 135-136). C’est aussi le dialogue heuristique qui s’engage avec le pédopsychiatre René Diatkine. « René Diatkine aimait rappeler l’apport des vraies rencontres. Ma rencontre avec lui a été déterminante… Nos intérêts  se sont rejoints autour d’un même souci : créer partout les conditions favorisant l’accès de tous à la lecture, en privilégiant ceux qui habituellement sont éloignés du monde de l’écrit… (p 180). Chercheur et thérapeute, René Diatkine a enrichi considérablement nos pratiques, parce que les séminaires qu’il a animé à notre intention ont renforcé chez nous le goût de l’observation… Observez, écrivez, ne négligez pas les détails. Ils sont porteurs de sens… L’observation éclaire nos pratiques. Elle met au cœur de notre métier ce qui est fondamental : la médiation » (p 185-186).

« Avec Serge Boimare, revenir aux histoires qui ont traversé les âges » : voici une autre rencontre impressionnante. « Serge Boimare raconte comment des enfants refusant volontairement tout apprentissage scolaire sont capables de se prendre de passion pour des œuvres classées parmi les grands livres de notre patrimoine littéraire : la Bible, l’Odyssée, les grands mythes classiques, les contes de Grimm ou les œuvres de Jack London et de Jules Verne… » (p 197).

Geneviève nous dit combien toutes ces rencontres ont été fécondes : « René Diatkine, Sarah Hirschman et Serge Boimare, ces hommes et ces femmes au cœur intelligent, pour reprendre l’expression de Hannah Arendt, m’ont, chacun à leur manière, beaucoup inspirée pour ce qui est au cœur même de mon métier… Ils partagent une même confiance : les rencontres que les bibliothèques proposent, peuvent contribuer à transformer les vies les plus difficiles en ouvrant par la lecture, des voies nouvelles… J’ai beaucoup reçu de ces personnes que j’admire pour leur humanité… Voilà ce qui a toujours animé mes interventions en France et dans le vaste monde, notamment dans les pays du Sud, là où des bibliothécaires souhaitent insuffler un esprit nouveau à leurs institutions (p 201-202).

 

Expériences dynamiques dans les pays du Sud

Au long de cet itinéraire, Geneviève s’est ainsi rendu dans de nombreux pays du Sud qui ont fait appel à elle. Ce livre nous décrit ces nombreuses missions à l’étranger. Ces missions ont été à l’origine de belles rencontres. Parce qu’elle est entrée en sympathie avec ses interlocuteurs, Geneviève a beaucoup appris des expériences en cours aujourd’hui en Amérique latine, en Afrique, en Asie.

Dans un contexte de pauvreté et souvent d’injustice, Geneviève nous décrit une multitude d’expériences de terrain, riches en générosité et en humanité.

« Ce qui me frappe, c’est l’imagination de ces passeurs, la diversité de ces petites unités de lecture parce qu’est prise en compte la diversité des personnes et des situations… Ainsi, à Guanajuato au Mexique, pour offrir le plaisir d’histoires racontées, Liliane n’hésite pas à utiliser les longs moments passés dans ces autocars brinquebalants qui font partie du paysage latino-américain. Et là elle raconte, elle montre des albums au fil des pages… A Mexico, une ou deux fois par semaine, en soirée, Nestor accueille chez lui parents, jeunes et enfants du quartier… L’espace de lecture, aménagé dans une pièce de sa maison, ouvre sur la rue…Ici, on raconte, on lit à haute voix des textes qui touchent, on échange des impressions. L’ambiance est joyeuse… Ailleurs encore, dans un jardin public de Jinotepe, au Nicaragua, entre balançoire et toboggan, il y a comme une sorte de petit abri, fait de bric et de broc, où des enfants s’arrêtent pour de longs moments de lecture. Ils peuvent s’installer à de petites tables. Le choix des livres est remarquable tout comme la concentration des enfants au milieu de l’agitation ambiante (p 248-250). « J’ai donc vu à l’œuvre ces modestes pionniers. J’ai admiré leur simplicité, leur goût de l’excellence, la rigueur de leur jugement. J’ai aimé  leur gaieté. Leur enthousiasme est contagieux. Ainsi naissent et se développent ici et là des initiatives qui font tache d’huile. Le travail en réseau est essentiel pour ces petites unités… » (p 250).

Geneviève cite le grand éducateur brésilien : Paolo Freire : « Les hommes s’éduquent en communion et de manière médiatisée à travers le monde ». « J’ai rencontré sur mon chemin des initiatives éclairées par le même esprit et dans des lieux pourtant différents. Les auteurs ont en commun le même désir de rejoindre les marges, de se rapprocher de ceux qui souvent ne sont pas reconnus par les instances éducatives et culturelles. Ils ont une haute idée de la lecture et des bibliothèques. Ils sont habités par un souci de justice qui les amène à porter beaucoup de leurs efforts sur les oubliés. Parce qu’ils s’en rapprochent et les écoutent, ils connaissent la richesse de ces personnes victimes d’exclusion et ils créent des espaces de rencontre où celles-ci peuvent pleinement trouver leur place et avoir voix au chapitre (p 214). Il y a ainsi, dans ces pays du Sud, une chaleur humaine et une vitalité que l’on découvre à travers des récits de rencontres avec des personnes exceptionnelles.

 

Ce livre se déroule en de courts chapitres, couvrant chacun un thème précis : un épisode de vie, une rencontre, une activité, un livre, une question… au total plus de 130 séquences, des unités de lecture facilement accessibles. On peut lire telle ou telle d’entre elles. On peut également entrer dans le déroulé du livre et le lire de bout en bout. On y découvre un mouvement de rencontre en rencontre, de découverte en découverte. Ce livre nous ouvre un horizon. « La bibliothèque est une terre d’envol. « Donnez-nous des livres, donnez-nous des ailes » selon la belle formule de Paul Hazard. Il y a là comme une source où l’on vient goûter cette eau vive de la lecture et de la rencontre, un lieu où chacun est reconnu et peut faire entendre sa voix, où l’on apprécie un vivre-ensemble singulier. Là, je suis témoin de l’éveil de l’enfant qui, à la faveur de ses découvertes, naît au monde et s’étonne, et j’ai le plaisir de partager cela avec ceux qui sont sensibles à l’esprit d’enfance » (p 262).

 

J H

 

(1)            Patte (Geneviève). Laissez-les lire ! Mission lecture. Gallimard, 2012. Mise en perspective sur ce blog : « Laissez-les lire. Une dynamique relationnelle et éducative » : https://vivreetesperer.com/?p=523

(2)            Patte (Geneviève). Mais qu’est-ce qui les fait lire comme ça ? L’histoire de la femme qui a fait lire des millions d’enfants. Les arènes. L’école des loisirs, 2015

(3)            Montessori (Maria). L’enfant. Desclée de Brouwer, 1936

Maria Montessori met en lumière le potentiel de l’enfant et elle le décrit en terme « d’embryon spirituel ». Sur ce blog, l’article : « L’enfant, un être spirituel » : https://vivreetesperer.com/?p=340

Maria Montessori est une des grandes figures pionnières du courant de l’éducation nouvelle qui se poursuit aujourd’hui  dans d’autres formes. Sur ce blog : « Et si nous éduquions nos enfants à la joie ? Pour un printemps de l’éducation ! » : https://vivreetesperer.com/?p=1872

(4)            « L’« essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font reconnaître l’« accord général ». « Au commencement était la relation (Martin Buber) » (Jürgen Moltmann, Dieu dans la création. Seuil, 1988 (p25).

 

Sur ce blog, voir aussi :

« Esprit d’enfance. Amour, humour, émerveillement. Les albums de Peter Spier » : https://vivreetesperer.com/?p=1651

« Papa arbre. Un album intime » : https://vivreetesperer.com/?p=1031