La rencontre de Habib Koité et Eric Bibb dans l’album : « Brothers in Bamako ».
Bamako : une ville africaine qui, peut être, passait inaperçue. La voici aujourd’hui, en ce début de l’année 2013, au centre de l’actualité. L’attention du monde se porte sur le Mali.
Certes, depuis un an, des groupes islamistes avaient conquis une partie du pays. Le fanatisme religieux se répandait en exactions et imposait sa loi. En regard, on voit maintenant le prix de la dignité humaine, du respect de l’homme, de la liberté, de la tolérance. On saisit la valeur concrète de ce qui, dans certains contextes, peut apparaître comme des banalités, voire de grands mots. Les populations de Gao et de Tombouctou, qui ont accueilli dans la liesse les armées françaises et maliennes, ont témoigné, par leur enthousiasme, de l’importance existentielle de ces valeurs. Pour des français, cet événement évoque la mémoire de la libération vécue en 1944.
Mais, on le sait, les batailles se gagnent dans les esprits et dans les cœurs. Comment une qualité de vie peut-elle s’exprimer, attirer, mobiliser ? Le Mali est un pays où les artistes sont nombreux et actifs. Quelques mois avant le paroxysme de la crise politique et militaire au Mali, un événement était intervenu dans le registre de la culture. C’était la production commune d’un CD par deux chanteurs- musiciens, l’un Malien, l’autre Afro-Américain. Habib Koité et Eric Bibb ont donné à cette expression, une portée symbolique en l’intitulant : « Brothers in Bamako » (1). « Frères à Bamako », ils témoignent ensemble de l’amitié, de la fraternité, de la beauté. A travers ces deux itinéraires, des courants culturels convergent et portent du sens. On trouvera sur internet toute l’information souhaitable concernant les chemins parcourus par Habib Koité et Eric Bibb (2). L’un et l’autre s’enracinent dans un riche héritage culturel. L’un et l’autre ont parcouru et parcourent aujourd’hui le monde. Ainsi, « Brothers in Bamako » témoigne à la fois d’une rencontre authentique, d’une harmonie entre deux courants musicaux, mais aussi d’un véritable universalisme. Nous recevons cet universalisme comme une victoire sur le clinquant et la superficialité d’une société tournée vers le paraître et sur la barbarie engendrée par le fanatisme religieux.
Ainsi pouvons nous lire le descriptif de cet album : « J’ai regardé mes parents et cela a déteint sur moi ». C’est ainsi qu’Habib Koité trace les origines de son métier mais aussi de son talent de griot du XXè siècle. Eric Bibb peut en dire autant, lui qui, non content d’avoir un père chanteur, est le filleul de Paul Robeson. Habib est héritier d’un savoir ancestral utilisé au profit d’une chanson qui le place parmi les voix les plus influentes de l’Afrique contemporaine. Eric s’est imposé dans la nouvelle génération des bluesmen sans pour autant renier les héritages du folk song et du gospel. Quoi de plus naturel alors pour ce Malien et cet Afro-Américain que de faire rimer leurs guitares et leurs voix pour partir dans un blues trans-Atlantique ? Deux chanteurs populaire, deux chanteurs enracinés dans une tradition ancienne et ce qu’elle transmet : un savoir-faire, un répertoire exemplaire, une manière d’utiliser la chanson pour jouer un rôle citoyen. Les deux ont acquis, humblement, le sens d’une chanson qui peut imprégner la société ».
Dans ce descriptif, Etienne Bours nous raconte également comment Habib et Eric se sont rencontré voici une dizaine d’années. ils ont sympathisé. Il sont restés en relation . L’amitié était là. Peu à peu, se revoir devint d’abord un rêve, puis un projet. Et récemment, les deux chanteurs se sont rencontrés. « Ils se sont assis, face à face, guitares en main pour aborder le répertoire possible ». Ensemble, ils ont produit cet album. « C’est sans directive précise que s’élabore alors le répertoire commun. Les langues se délient au rythme des guitares et c’est avec un naturel évident que le chemin se trace.. Habib regarde et chante l’Afrique, mais un Afrique affectée, transformée peut-être par le reste du monde. Eric est sensible à cette démarche dans laquelle il se retrouve ». Sensible aux aspirations sociales, il reprend une chanson de Bob Dylan des années 60 : « Blowin’ in the wind ». « Cette chanson mérite d’être chantée par un Africain et un Afro-Américain qu’aucun vent ne sépare ». « Tous deux regardent l’être humain dans un miroir : l’homme qui a l’habitude de se servir en premier en se moquant des conséquences, mais aussi l’homme inquiet qui a besoin de temps, de lumière,de foi, de solidarité, de respect. Puis les guitares partent ici ou là dans des évocations poétique et très personnelles d’airs anciens et immortels »
Eric Bibb et Habib Koité nous prouvent, avec beaucoup de talent, que la chanson la plus simple est souvent la plus efficace et que chanter comme ils le font est une nécessité universelle. Nous avons besoin de ce type de rencontre par delà les frontières, les modes, les dictats économiques » conclut Etienne Bours. « Parce que cette chanson est vivante, franche et profondément humaine »
En naviguant dans l’univers des médias, sans être expert dans le champ musical, on apprend et on fait des découvertes. Et ainsi, de fil en aiguille, nous avons rencontré cet album avant que l’actualité mette le Mali sur le devant de la scène.. Dans la conjoncture récente, cet album a pris toute sa dimension : non seulement un événement artistique dans « la retrouvaille de deux « songwriters » aux univers complémentaires : le blues de Memphis et le folk mandingue de Bamako, mais aussi un événement spirituel : une affirmation conjuguée du Bien et du Beau, l’expression d’une amitié et d’une harmonie, le plaisir joyeux d’être ensemble, un message de fraternité. Aujourd’hui, rétrospectivement, dans la foulée de la libération de Gao et de Tombouctou, nous pouvons voir aussi dans cet événement, une portée politique. Un moment dans l’histoire, un président américain, face à une menace d’invasion, avait proclamé sa solidarité avec les habitants de Berlin en proclamant : « Nous sommes tous des berlinois ». Nous savons bien que chaque situation est complexe. Les divisions et les fragilités qui existent à l’intérieur du Mali sont connues. Mais, selon le fil conducteur que nous venons de suivre, dans la reconnaissance des grandes valeurs africaines que sont l’hospitalité et la solidarité et dans la conscience de ce qui nous élève et nous unit face à la barbarie, nous pouvons dire, nous voulons dire, comme une affirmation universaliste : « Nous sommes tous frères à Bamako ! ».
J H
(1) Brothers in Bamako. Habib Koitè. Eric Bibb. Dixiefrog. Ecouter l’album en entier :
Susciter un espace de collaboration dans une entreprise hiérarchisée.
Ingénieur, Faubert travaille depuis quinze ans dans une entreprise de nouvelle technologie.
Quelles sont les caractéristiques de ce milieu professionnel ? « Tout d’abord, c’est un secteur en mouvement, en l’espèce la technologie de l’information. Comment pouvoir accéder à un contenu sous toutes les formes possibles ? Il y a différents médias. On doit pouvoir accéder aux contenus dans ces différents supports : téléphone mobile, télévision connectée, Ipad, PC portable, voiture connectée, maison connectée…
Pour répondre à ce besoin, nous devons développer de nouvelles technologies. Cela requiert de nouveaux types de compétences et nécessite une veille permanente sur les innovations. Le cycle de renouvellement de ces différents supports est assez bref. Dans ce domaine, la concurrence mondiale est très forte. Le mouvement est constant et rapide ».
Comment Faubert a-t-il commencé à travailler dans ce secteur d’activité ?
« J’étais passionné par les technologies. J’ai reçu une proposition pour un travail dans le domaine des technologies de l’information.
J’avais des idées claires sur les tendances des marchés. Mais tout était nouveau pour moi dans le métier où je m’engageais. Je découvrais qu’il y avait des contraintes industrielles qui limitaient ma capacité d’approfondissement. Passant du monde de la recherche au monde industriel, je ressentais des limitations et une certaine frustration. C’est un monde où on apprend différemment.
Et d’autre part, je découvrais l’importance des relations sociales : avec mes collègues, avec mes supérieurs, avec d’autres partenaires industriels ? C’est un éco système complexe. J’ai commencé à réaliser la distinction entre savoir-faire et savoir-être. Dans un secteur où les relations ont une grande importance, le savoir- être est très important.
Dans son travail, Faubert a vécu une expérience concernant l’organisation du travail. Il a pu jouer un rôle innovant.
« J’ai constaté que la structure des entreprises françaises est très hiérarchisée. En France, ceux qui dirigent, viennent de formations prestigieuses : Polytechnique, Normale Sup, ENA, HEC… Beaucoup d’entre eux n’ont pas cheminé comme la majorité des travailleurs. Ils ont peu d’expérience de terrain : une certaine durée dans le temps pour intégrer la réalité professionnelle. Certains paraissent parachutés. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment de tout savoir puisqu’ils sont les meilleurs. Pour eux, être intelligent, c’est réfléchir rapidement et trouver très vite des solutions. Mais si cela peut valoir dans les études, dans le monde professionnel, la réalité est différente. Car, dans cette réalité, les relations sociales sont très importantes. Dans ce système, tout vient d’en haut. Et il y a une sorte de mimétisme par lequel ce modèle se propage à tous les niveaux. Une évolution commence à se manifester. En marge de ce système dominant,apparaissent de nouvelles formes d’entreprise où le management est moins hiérarchisé : Google, Facebook… »
Comment faire évoluer la manière de travailler dans ce contexte très hiérarchisé ?
« A l’époque, accédant à une rôle de manager , j’espérais peser dans les décisions et pouvoir diriger librement mon équipe. J’ai été confronté rapidement à la réalité de ma direction et dans ce contexte, j’ai ressenti que j’étais seulement le porte-parole de celle-ci. J’avais très peu de marge de manœuvre. Aussi, j’étais déçu dans l’exercice de ma nouvelle fonction. En parallèle, je souhaitais quand même ouvrir un espace de liberté au sein de mon équipe.
J’ai agi en conséquence. J’ai formé un noyau de trois personnes pendant deux ou trois ans aussi bien sur le métier et sur le savoir-être. Je les ai aidé à bien comprendre le cycle de développement d’un produit. D’autre part, j’ai développé une relation confiante entre ce noyau et moi. J’ai voulu leur permettre d’avoir un sens critique. Qu’ils puissent me confier ce qui n’allait pas dans le service : cela pouvait être en rapport avec moi, avec l’équipe ou avec l’entreprise. C’était aussi leur donner la possibilité de faire des propositions et d’en parler ensemble. Pour moi, ce qui était important, c’est que chacun puisse s’exprimer. Certes, les propositions n’étaient pas toujours retenues, mais les choix, qui étaient faits en tenant compte des contraintes de l’entreprise, étaient expliqués. L’équipe a grandi dans ce mode de relation et cela a engendré un sens de la responsabilité beaucoup plus grand chez mes collègues, et parallèlement une vraie autonomie.
Cette période a été enthousiasmante, mais très difficile. Je voyais le fruit de ce travail de formation, mais je subissais de fortes pressions de ma direction. On m’imposait des décisions qui ne correspondaient pas à la réalité. Je devais m’adapter, essayer de trouver un compromis entre ces décisions imposées d’en haut et la réalité de l’équipe. Il n’y avait pas de possibilité de retourner un feedback vers la direction. Cela suscitait chez moi de la souffrance. Cela m’épuisait ».
Après cette période de recherche et d’innovation sociale, comment la situation a-t-elle évolué ?
« Tout simplement, il y a eu des résultats très positifs au sein de mon équipe qui ont permis à la direction de me donner plus d’autonomie. La direction a perçu une très forte implication de mon équipe. Petit à petit, j’ai gagné une marge de liberté. J’avais réussi à ce que mon équipe soit motivée et responsable. Cela se voyait à l’extérieur. Nous réalisions une activité beaucoup plus grande en volume et en qualité que celle qui advenait dans d’autres groupes de l’entreprise.
Plus on avançait dans le temps, plus l’ensemble de l’équipe prenait des responsabilités. Ce n’était plus seulement le noyau qui était particulièrement actif. Tous les collègues étaient également impliqués. Pour que cela se passe, il fallait partager l’information. Chaque collègue était informé sur l’ensemble des activités et des projets. Dans cette période de transition, le noyau a perdu son privilège, mais, en même temps, son périmètre s’est étendu, car les responsabilités de ses membres se sont accrues, par exemple à travers des délégations. Une confiance réciproque s’est instaurée.
Récemment, il y a eu un changement de direction dans mon entreprise. Le nouveau directeur a essayé de comprendre les manières de fonctionner. A ce moment là, il m’a fallu constamment expliquer, convaincre pour qu’il se fasse sa propre opinion. Dans ce travail d’explication, mon équipe a été en première ligne. L’aventure se poursuit ».
Où Faubert a-t-il puisé la force d’aller ainsi à contre-courant pour réaliser cet espace de liberté et ce climat de confiance ?
« Dans tout cet itinéraire, j’ai été inspiré par des valeurs chrétiennes. Face à la pression que j’ai rencontrée, face à la nécessité de gérer ce grand écart, j’avais le choix entre deux attitudes : soit démissionner, soit poursuivre l’approche que j’avais engagée. Au fond de moi-même, j’étais convaincu que l’approche, que j’avais adoptée, était juste, mais, à ce moment là, je ne pouvais pas l’expliciter. Je savais simplement au fond de moi-même que, dans les difficultés, je pouvais beaucoup apprendre et également grandir. En parallèle, j’ai senti en moi une force pour supporter les grandes pressions auxquelles j’étais confronté. Je subissais de grands stress avec quelques conséquences physiques, mais j’avais la force de continuer mon œuvre. S’il y avait ainsi en moi cette force de continuer, c’est parce que je pensais que le travail que je réalisais, était juste. Cette pensée me donnait de la force. Quand je repense aujourd’hui à cette période qui a duré plusieurs années, je me dis : comment ai-je pu faire ? Je me rend compte que Dieu a agi en moi et m’a transformé en me permettant de m’affirmer, par exemple en étant capable de dire non, le cas échéant.
J’ai vu les fruits de mon travail dans le développement d’un climat de confiance au sein de mon équipe. Aujourd’hui, je suis en meilleure position par rapport à la direction pour pouvoir faire passer des messages. M’exprimant en vérité, je me sens de plus en plus en paix.
D’un emploi salarié dans les prestations de presse à un métier dans la protection des personnes.
Au long des années, Pierre-Henri Chaix en est venu à s’intéresser de plus en plus à la condition des personnes adultes en difficulté.
Professionnellement, pendant vingt-cinq ans, il a travaillé dans le domaine de la presse et de l’édition, et, dans ces dernières années, à la réalisation de revues de presse numériques. Parallèlement, Pierre-Henri est très actif dans la communauté chrétienne locale, et là, il anime un groupe d’hommes pour la plupart isolés. Il suit également un groupe de personnes qui, présentent un handicap mental. Progressivement, Pierre-Henri s’est intéressé à la question des personnes vulnérables. Et, pour celles avec qui il est en contact, il les a accompagnées parfois chez leurs tuteurs.
On estime aujourd’hui aux alentours d’un million, le nombre de personnes sous protection judiciaire, qui, pour la moitié, sont prises en charge par des tuteurs ou curateurs appartenant à la famille, et, pour l’autre moitié, par des mandataires qui peuvent être, soit des associations, soit des personnes déléguées dans des établissements de santé (hôpitaux, maisons de retraite), soit des mandataires privés. L’encadrement juridique des personnes majeures vulnérables a été remanié par la loi de 2007. Cette loi a mis l’accent sur la protection des personnes alors que les lois antérieures étaient plutôt centrées sur la gestion des biens. « La loi française avant 2007 parlait d’incapables. La nouvelle loi parle d’adultes majeurs protégés » ».
La loi prévoit qu’on puisse mettre en place une mesure de protection judiciaire lorsqu’une personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté ou de la mettre en oeuvre conformément à ses intérêts.
« Par exemple, Clémentine, qui a vingt-neuf ans, réside dans une maison d’accueil spécialisée et elle a un handicap qui l’empêche de s’exprimer oralement. N’étant pas en mesure de travailler, elle perçoit une allocation d’adulte handicapé et bénéficie d’une aide au logement qui lui permettent d’assurer la prise en charge des frais de résidence spécialisée. La justice l’a placée sous tutelle auprès d’une association.
Pierre, qui a quatre-vingt ans, souffre de la maladie d’Alzheimer avec actuellement une dégradation des capacités cognitives. Au stade actuel, son épouse doit prévoir pour lui une situation d’hébergement spécialisé qui l’oblige à vendre sa maison pour faire face au coût. La réalisation de cette vente requiert une mise sous protection judiciaire qui, en l’espèce, sera confiée à l’épouse ».
Pierre-Henri était en transition sur le plan professionnel suite à un licenciement douloureux. Il a commencé à évaluer le marché du travail salarié pour se rendre compte rapidement à quarante-neuf ans de la quasi-impossibilité de retrouver un emploi comparable à celui qu’il avait auparavant : directeur de département. Assez vite, il a acquis la conviction qu’il fallait qu’il se mette à son compte. Assez spontanément, il a cherché à trouver une activité dans son domaine de compétence : la presse, mais cela n’a pas abouti dans des conditions raisonnables. Il a donc bifurqué vers la gestion de patrimoine, mais ces contacts professionnels l’entraînaient vers le grand ouest parisien, très loin de son environnement local. Dans un souci de trouver un bon équilibre sur le plan personnel et sur le plan économique, Pierre-Henri s’est concentré sur ses domaines de compétence. Et naturellement, à partir de l’expérience qu’il avait dans le domaine de l’accompagnement de personnes en difficulté, il a décidé d’en faire son métier. Il a suivi en conséquence une formation professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Il a eu aussi l’occasion de pratiquer le métier dans un hôpital psychiatrique pendant trois mois. « C’est un métier extrêmement prenant parce qu’on est souvent dans une logique d’urgence. Et d’autre part, c’est un métier passionnant parce qu’on est confronté à des personnes très diverses qui affrontent des problèmes très variés. Il y a dans ce métier un défi constant, que j’ai toujours apprécié dans le personnage de Zorro ( !), et on est constamment sur la brèche pour débrouiller des situations inextricables ». Pierre-Henri vient d’obtenir la certification professionnelle de mandataire judiciaire pour la protection des majeurs (MJPM) et met en place son activité professionnelle.
Dans cette profession, le rapport humain est essentiel. « L’écoute est fondamentale. Dans ce domaine, il y a une interaction très forte avec les pathologies. Par exemple, je me suis occupé d’une personne d’une quarantaine d’années qui, de fait, mentait tout le temps, et, pour autant, il fallait quand même arriver à savoir quelles étaient ses aspirations. J’ai déjà évoqué Clémentine qui n’est pas capable de parler, mais, avec de la pratique et de l’expérience, on arrive à comprendre ce qu’elle souhaite et à lui permettre de participer aux décisions qui la concernent. Il est également absolument essentiel, et c’est d’ailleurs devenu une obligation dans la loi de 2007, d’obtenir l’adhésion des personnes, de leur communiquer toutes les informations dès lors qu ‘elles peuvent les recevoir et de les faire participer à leurs mesures de protection ».
Sur le plan économique, ces métiers ne sont pas très rémunérateurs, mais, pour Pierre-Henri, il trouve là une voie qui correspond à ses aspirations. Il a très mal vécu ses dernières années en qualité de salarié, aussi lorsqu’il évoque son nouveau travail, un mot lui vient à l’esprit : « Libéré ! », malgré les difficultés économiques à surmonter.
Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible.
L’histoire du XXè siècle a été marquée par de grandes hécatombes qui assombrissent notre mémoire. La croyance au progrès s’est dissoute. Si, malgré les aléas, le développement économique a été sensible et a changé les conditions de vie, aujourd’hui la crise de l’économie associée à la montée des inégalités engendre inquiétude et pessimisme. Cette insécurité est accrue par une perte des points de repère, parce que les croyances religieuses d’autrefois ont besoin d’être reformulées dans les termes d’une culture nouvelle. Alors, on assiste aujourd’hui à des phénomènes de repli tant sur le plan individuel que collectif. Puisque l’avenir collectif paraît bouché, on recherche des accommodements individuels ou on se réfugie dans des satisfactions immédiates. Ces notations correspondent à ce que nous pouvons observer dans certains comportements et dans certaines expressions. Certes, il y a en regard d’autres représentations et d’autres comportements. Il n’empêche, face à l’inquiétude dominante, face à la morosité ambiante, on a besoin d’une vision. Car, comme le dit si bien un verset biblique : « Là où il n’y a pas de vision, le peuple périt » (Proverbes 29. 18). Alors on peut saluer la publication récente d’un livre de Jean-Claude Guillebaud : « Une autre vie estpossible » (1). Et le sous-titre en précise le sens : « Comment retrouver l’espérance ? ».
Cet auteur-là a une histoire de vie qui légitime ses propos. En effet, grand reporter au « Monde », il y a couvert de grands conflits. Dans ce métier, il a été confronté à la réalité de la misère humaine dans des catastrophes collectives. « Du Biafra (1969) à la Bosnie (1994), j’ai vu mourir et s’entretuer des hommes » (p 22). Son discours n’est pas abstrait. A partir de cette expérience, il sait ce dont il parle en terme de vécu humain. Jean-Claude Guillebaud est ensuite devenu éditeur au Seuil dans le domaine des sciences humaines. Et, là, il a découvert des clefs pour comprendre le changement social et culturel qui caractérise le monde d’aujourd’hui. Ainsi a-t-il pu fréquenter de grands penseurs engagés dans une réflexion transdisciplinaire et convaincus de l’imminence d’une mutation anthropologique : Edgar Morin, Henri Atlan, Michel Serres…(2). Jean-Claude Guillebaud a lui-même écrit de nombreux livres où il explore les grands enjeux sociaux et culturels de notre temps (3). Dans ses ouvrages, l’auteur fonde sa réflexion à la fois sur des savoirs recueillis en recourant à des sources variées et une recherche de sens qui s’est développée tout au long de cet itinéraire et a abouti à une redécouverte de la foi chrétienne (4).
Mais si Jean-Claude Guillebaud écrit beaucoup, c’est aussi un homme qui, dans la foulée de sa carrière de journaliste, continue à aller à la rencontre des gens à travers de multiples réunions et conférences. Et, de par cette capacité de dialogue, il est particulièrement attentif à ce qu’il entend, à ce qu’il perçoit de l’opinion ambiante. Et aujourd’hui, il écrit ce livre : « Une autre vie est possible » pour affirmer une espérance face à un pessimisme qui lui paraît omniprésent. « J’aimerais trouver des mots, le ton, la force afin de dire pourquoi m’afflige décidément la désespérance contemporaine. Elle est un gaz toxique que nous respirons chaque jour. Et, depuis longtemps, l’Europe en général et la France en particulier semblent devenues ses patries d’adoption. Elle est amplifiée, mécaniquement colportée par le barnum médiatique… L’optimisme n’est plus tendance depuis longtemps. On lui préfère le catastrophisme déclamatoire ou la dérision revenue de tout, ce qui est la même chose. Se réfugier dans la raillerie revient à capituler en essayant de sauver la face. Après moi, le déluge… » (p 13-14).
Quelles sont les origines de ce pessimisme ? Quelles sont nos raisons d’espérer ? Jean-Claude Guillebaud explore pour nous et avec nous les voies de l’espérance.
Jean Hassenforder
A suivre :
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 2 : La montée du pessimisme et de la négativité.
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3 : Des raisons d’espérer.
(1) Guillebaud (Jean-Claude). Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance. L’iconoclaste, 2012.
(2) Présentation de Jean-Claude Guillebaud et de son itinéraire : Karih Tager (Djénane) ; Jean-Claude Guillebaud. Le messager. Le Monde des religions, N° 13, sept-oct 2005, p 68-69.
Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible
Tout au long de ce livre et plus particulièrement dans certains chapitres, Jean-Claude Guillebaud nous aide à comprendre les évènements qui ont engendré le pessimisme actuel, à en analyser le contenu et en discerner les contours. Sa réflexion s’appuie sur des connaissances historiques ou sociologiques, mais elle fait appel aussi à son expérience et à son ressenti. Elle s’articule avec les engagements socio-politiques de l’auteur qu’on découvre ainsi au fur et à mesure. On peut diverger sur tel ou tel point, mais son réquisitoire vis-à-vis de la montée d’idées négatives nous paraît convaincant. Nous reprendrons ici quelques points en guise d’exemples.
Rétrospectivement, la grande guerre 1914-1918 apparaît comme un point d’inflexion majeur dans la conjoncture historique. « A ce moment-là, l’Europe a été « mise au tombeau », comme l’écrivait le philosophe Gershom Sholem, dans son journal intime en date du 1er août 1916. Le reste procède d’un enchaînement irrésistible des causes et des effets » (p 38). Cet immense massacre a engendré un scandale incommensurable. Il a brisé l’optimisme européen et assailli les valeurs qui l’accompagnaient. Et puis, la Grande Guerre a été « la matrice, la cellule souche d’un siècleensanglanté… A partir de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, événement déclencheur de la boucherie mondiale où s’abîmèrent trois empires, une série d’emboîtements historiques se succédèrent comme autant de répliques du séisme initial… Pendant soixante-quinze années, il y eut un enchaînement de causes et d’effets dont 1914-1918 fut le déclencheur. Au terme symbolique du XXè siècle, toutes les « valeurs » dont se prévalait l’Europe se retrouvèrent corrompues, tordues, salies, déconsidérées » (p 43-44).
On sait quelle a été l’emprise totalitaire du communisme et comment elle s’est finalement effondrée en 1989. Jean-Claude Guillebaud attire notre attention sur un point. Le communisme a compromis certaines valeurs dont il s’était emparé et qu’il avait travesties : l’aspiration égalitaire, un investissement dans le déroulement de l’histoire.Dans le trouble des valeurs, un capitalisme sauvage s’est engouffré. « Tétanisé par sa victoire, sur de lui-même, devenu vulgate à son tour, le capitalisme n’a plus rien de commun avec le capitalisme relativement civilisé de l’après-guerre ». Au « capitalisme rhénan » a succédé « un capitalisme du désastre » selon le mot de l’essayiste Naomi Klein » (p 62). L’auteur justifie ses propos par une analyse de l’idéologie qui a investi le capitalisme. « La dévastation axiologique est facile à comprendre. Si les marchés sont plus « efficients » que la délibération démocratique, alors la volonté qu’expriment les citoyens s’en trouve réévaluée à la baisse. Elle éveille même une méfiance de principe… Selon la nouvelle vulgate néolibérale, l’avenir ne sera plus « construit » par les citoyens, mais « produit » par le marché… L’économie mondiale devient, dans les faits, un « processus sans sujet » pour reprendre une expression de Louis Althusser… » (p 63). La grande crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis 2008 a révélé au grand jour la faillite de cette idéologie. Nous voici dans « le manque et l’austérité ». Mais, de fait, le reflux de l’économie date maintenant de plusieurs décennies, des deux chocs pétroliers de 1974 et 1978. « Voilà plus d’une génération que nous sommes entrés dans une société de la précarité, du chômage de masse et de la dureté sociale ». « On peut comprendre que notre représentation du futur ait changé de signe. De positive, elle est devenue négative. Les économistes, avec leur propre langage, parlent d’une « dépréciation de l’avenir ». (p 68).
Tout au long de ce livre, l’auteur nous fait entrer dans un débat intérieur où lui-même se trouve parfois tenté par le découragement. Mais, en même temps, il participe à la dynamique d’un courant associatif dont il nous montre l’étendue et la force. Souvent appelé à intervenir dans des réunions et des débats, il y trouve un encouragement et un réconfort. « Jamais, je dis bien jamais ! je n’ai regretté une seule de ces rencontres. J’en revenais avec la certitude d’avoir reçu, en matière d’idées et d’espérance, bien plus que je n’ai jamais donné » (p 86). Quel contraste avec la prétention de certains cercles parisiens, la superficialité et le cynisme qui transpirent dans certains médias. Il y a, nous dit Jean Claude Guillebaud, un préjugé collectif porté par l’air du temps, ce qu’il appelle une « subpolitique » : réflexes langagiers, minuscules conformismes, clichés médiatiques (p 178). Cette sous-idéologie rampante correspond au fameux « lâcher-prise ». L’expression est plus à la mode que jamais. Elle suggère que nous renoncions une fois pour toute à transformer le monde »… » (p 179).
« La même perte menace la vie culturelle, une perte d’autant plus insidieuse qu’elle se présente comme un assagissement… L’appétence nouvelle pour la philosophie gréco-romaine n’est pas sans rapport avec le désarroi contemporain. Message implicite : on a échoué à « réparer » le monde, occupons-nous de nous-mêmes, donnons la priorité à nos propres désirs… Stoïcisme ou épicurisme sont deux manières de consentir au réel sans volonté de le transformer… Aujourd’hui, la fascination pour lasagesse (passive) et le consentement résigné au « destin » trahissent le creusement d’un vide. Ils signalent un grand désenchantement collectif. J’allais dire « une exténuation très européenne » (p 182-184). Et, en effet, grand voyageur, l’auteur constate que le monde bouge, que « l’Asie entière vit dans le (ou les) projets alors que l’Europe met en ordre ses souvenirs » (p 185).
Jean Hassenforder
Suite de :
Quel espoir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.
A suivre :
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 3 : Des raisons d’espérer.
Jean-Claude Guillebaud : Une autre vie est possible
Ce livre commence par un témoignage qui porte. En effet, grand reporter au « Monde », Jean-Claude Guillebaud a été confronté à de grandes catastrophes. Mais il n’a pas succombé à la tentation du désespoir. Il n’a pas baissé les bras. « Du Biafra (1969) à la Bosnie (1994), j’ai vu mourir et s’entretuer les hommes. En toute logique, cet exil consenti dans les tragédies du lointain aurait du faire de moi un tourmenté sans illusion sur la nature humaine… On attend de moi des propos sombres, voire un dégoût de la vie… Ce n’est pas le cas… Mon optimisme n’a pas « survécu » aux famines éthiopiennes, aux assassinats libanais ou aux hécatombes du Vietnam. Tout au contraire, il leur doit d’exister. Quand je me remémore ces années là, c’est l’énergie des humains, l’opiniâtreté de leur espérance, l’ardeur de leurs recommencements qui me viennent en tête… Des hommes continuaient à penser qu’au delà des souffrances et des dévastations, un demain demeurait possible. A cette espérance droite et forte s’ajoutait une solidarité instinctive, un réflexe d’entraide qui en était à la fois la cause et la conséquence » (p 22-23). Présumons que si l’auteur a su voir cette face de la vie, c’est que son regard était bien disposé pour le reconnaître. Aujourd’hui, sa réflexion s’est approfondie et il évoque pour nous des raisons d’espérer.
La manière dont nous vivons dépend largement de nos représentations. L’auteur évoque le concept de « représentations collectives » formulé par Emile Durkheim. Et pour lui, ces représentations collectives consistent en des convictions. « Elles appartiennent au registre de la croyance dans une acception large du terme » (p 110). Et c’est pourquoi dans les raisons d’espérer, nous reprendrons ici en premier la pensée de l’auteur. Dans le chapitre consacré à la vision du futur telle qu’elle apparaît dans la Bible hébraïque et chez les prophètes juifs. « Souviens-toi du futur ! », cette injonction est empruntée au quatrième commandement (Deutéronome25. 17-19). « Se rappeler le futur, c’est ne pas oublier que nous sommes en chemin vers lui, en marche vers un avenir dont nous pensons qu’il sera meilleur » (p 165). « Ainsi l’espérance a une histoire. Et l’histoire elle-même a une histoire ». D’une certaine manière, elle se fonde sur la parole des prophètes juifs. « Le messianisme des prophètes a brisé net avec la représentation circulaire du temps des grecs et des orientaux… L’histoire des hommes ne doit plus se vivre comme calquée sur la circularité du cosmos. Elle s’enracine dans un passé, une mémoire, une tradition et se déploie vers un futur, un projet, un dessein individuel ou collectif » (p 166) ». De l’adaptation au monde postulée par les diverses formes de la sagesse grecque, on passe à une action volontaire pour réparer le monde. Ce dernier a une histoire. La méchanceté qu’il porte en lui n’est ni fatale, ni inguérissable. La tâche des humains est de ne plus abandonner le monde aux méchants, c’est à dire aux plus forts et aux plus riches » (p 167). Jésus déclare heureux ceux qui placent au centre de leur vie le souci de la justice ». L’espérance chrétienne s’inscrit dans le sillage de la Bible juive. Dans la religion instituée, elle a souvent été négligée sous l’influence de l’installation de l’Eglise dans l’empire terrestre ou d’une évasion de l’âme inspirée par la philosophie grecque. Ainsi, sans la citer, la pensée de Jean-Claude Guillebaud rencontre celle de JürgenMoltmann dans sa refondation d’une théologie de l’espérance (1). Jürgen Moltmann, comme l’auteur, se référent au « maître livre » du philosophe Ernst Bloch, « Le principe espérance » (p 16). Le concept laïque de progrès théorisé par Condorcet dans son « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1975) s’inscrit dans une conception de l’histoire qui va du passé à l’avenir. Par lasuite, une dérive est intervenue. « Le concept d’histoire a étéabsolutisé… Le messianisme originel a été travesti par le communisme qui a engendré la violence et les massacres qui en ont résulté ». Il y a bien une « tentation de l’impatience ». Au contraire, l’espérance chrétienne fait toute sa place à l’attente » (p173).
Cette attente implique un sens de l’écoute et de l’observation. Et aujourd’hui, cette disposition d’esprit nous permet de percevoir la grande mutation dans laquelle nous sommes engagés. « Un changement radical est bel et bien à l’oeuvre, un de ces basculements comme il s’en produit une ou deux fois par millénaire, et peut être moins souvent encore… » (p 121). Jean-Claude Guillebaud est bien placé pour nous en parler, car, au milieu des années 1980, quittant le journalisme pour devenir éditeur et s’occuper de sciences humaines, il a voulu analyser, l’une après l’autre, les mutations bien réelles qui nous « embarquent » (p 121). Ainsi a-t-il écrit huit livres à ce sujet. « De 1995 à 2012, ces dix sept années de travail, de lecture et d’écriture m’ont convaincu d’une chose : la métamorphose que nous vivons est prodigieuse » (p 121). Et, comme les transmutations en cours sont porteuses à la fois de menaces et de promesses, « notre devenir dépend de notre discernement, puis de notre détermination… L’avenir, en somme, a besoin de nous… Nous sommes appelés à une espérance engagée » (p 122).
Si les mutations en question se mêlent, et, invisiblement, se conjuguent, Jean-Claude Guillebaud en dénombre cinq : « Une mutation géopolitique : le décentrement du monde ; une mutation économique : la mondialisation ou globalisation ; une mutation qui touche à la biologie : le pouvoir d’agir directement sur les mécanismes de la vie ; une mutation induite par les technologies les plus avancées : la révolution numérique ou informatique ; et enfin la prise de conscience écologique. « Partout, autour de nous, un mondegerme » et comme l’auteur intitule ce chapitre, « cet autre monde respire déjà ».
C’est le moment de voir plus grand, plus loin, d’inscrire notre réflexion dans la longue durée. Nous pourrons alors percevoir des évolutions positives, et, à partir de là, adopter un regard nouveau et évaluer différemment les situations. Ainsi, nous dit l’auteur, contrairement à ce qu’on peut imaginer à partir du bruit médiatique, les historiens nous montrent que le niveau de violence n’a cessé de diminuer dans nos sociétés » (p 191).
Et les démentis apportés au « paradigme du pessimisme », à « l’inespoir dominant », ne viennent plus seulement des milieux « humanistes ». « Ils prennent source sur le terrain des sciences expérimentales ». « Quantité d’universitaires et de chercheurs s’intéressent aujourd’hui à des expériences qui remettent en cause la vision pessimiste des institutions humaines. Des réalités jamais prises en compte auparavant sont aujourd’hui examinées de près, y compris de manière scientifique ; plaisir de donner, préférence pour l’action bénévole, choix productif de la confiance, dispositions empathiques du cerveau, stratégies altruistes, importance du don dans le fonctionnement de l’économie… » (p 203). Nous rejoignons la pensée de Jean-Claude Guillebaud puisque ces recherches ont souvent été présentées dans ce blog : « Vivre et espérer » (2), notamment le livre de Jérémie Rifkin sur l’empathie et celui exprimant sa vision d’une nouvelle économie, le livre de JacquesLecomte sur la bonté humaine ou encore la réflexion de Michel Serres dans « Petite Poucette »… Et nous partageons la même vision que l’auteur lorsqu’il écrit : « A l’intérieur d’un groupe humain, la confiance partagée est plus productive que la défiance généralisée… Le meilleur atout dont puisse disposer une économie nationale, c’est la cohésion sociale. Or cette dernière est rendue possible grâce à deux ingrédients immatériels : un sentiment de justice et un degré minimal de confiance. L’un comme l’autre sont inatteignables des lors que prévaut une vision dépréciative de l’être humain » (p 206).
Jean-Claude Guillebaud se confronte aux réalités de notre temps. Il ne méconnaît pas les dangers. Mais il reprend en conclusion un vers de Friedrich Holderlin : « Quand croît le péril, croît aussi ce quisauve ». « Pour une communauté comme pour un individu, l’espérance n’est pas seulement reçue, elle est décidée » (p 214).
Une vision à partager
Plaidoyer passionné pour l’espérance, ce livre nous apporte également un éclairage visionnaire, car l’espérance n’est pas seulement mobilisatrice, elle ouvre le regard.
Jean-Claude Guillebaud nous propose un horizon pour notre devenir social. Pour nous, cette approche rejoint sur beaucoup de points celle du théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann auquel nous avons souvent recours sur ce blog : Vivre et espérer.
Jean-Claude Guillebaud évoque le pessimisme qui règne dans certains milieux. Cet état d’esprit traduit un désarroi collectif. Mais cette inquiétude est-elle seulement un effet de la crise du progrès ? Ne traduit-elle pas aussi un trouble existentiel, avoué ou non, en rapport avec une incertitude sur la destinée personnelle ? Quoiqu’il en soit, pour nous, pour d’autres, une espérance qui se limiterait à animer une démarche sociale et politique n’est pas suffisante.
Nous avons exprimé cette pensée dans une forme poétique :
« O temps de l’avenir, brillante cité terrestre
A quoi servirait-il que nous te construisions
Si nos yeux devaient à jamais mourir
Et dans les cimetières nos corps pourrir
Comme tous ceux qui sont morts avant nous…
A quoi serviraient-ils les lendemains qui chantent
Si tous vos cimetières recouvraient la terre… » (3)
Ainsi, pour nous, l’espérance requiert un fondement qui nous permette de la vivre à la fois sur un registre personnel et dans une vision collective. La théologie de l’espérance selon Jürgen Moltmann répond à ces questionnements en proclamant, en Christ ressuscité, la victoire de la vie sur la mort : « La théologie de la vie doit être le cœur du message chrétien en ce XXIè siècle. Jésus n’a pas fondé une nouvelle religion. Il a apporté une vie nouvelle dans le monde et aussi dans le monde moderne. Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte partagée pour la vie, la vie aimée et aimante, la vie qui se communique et est partagée, en bref la vie qui vaut d’être vécue dans cet espace vivant et fécond de la terre » (4).
Ainsi l’espérance nous permet d’envisager notre existence personnelle et celle des autres humains, comme une vie qui ne disparaît pas avec la mort (5) et donc qui peut être perçue aujourd’hui en terme « de commencements en recommencements (9). Et, dans le même mouvement, nous sommes appelés à participer dans l’espérance à la mutation sociale et culturelle dans laquelle nous sommes engagés. Nous suivons le fil conducteur de l’Esprit : « L’ « essence » de la création dans l’Esprit est la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles manifestent « l’accord général » (6).
C’est dans cette inspiration que nous lisons le livre de Jean-Claude Guillebaud. Il y a dans cet ouvrage un mouvement de vie, une dynamique où la réflexion et le vécu sont associés. « L’espérance est lucide, mais têtue. J’y repense chaque matin à l’aube, quand je vois rosir le ciel au dessus des toits de Paris ou monter la lumière derrière la forêt, chez moi, en Charente… L’espérance a partie liée avec cet infatigable recommencement du matin. Elle vise l’avenir, mais se vit aujourd’hui… » (p 15). Ce livre nous entraîne. Il éclaire notre chemin. Ensemble, nous pouvons partager cette vision : « Une autre vie est possible ».
Jean Hassenforder
Suite de :
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 1 : Choisir l’espérance, c’est choisir la vie.
Quel avenir pour le monde et pour la France ? / 2 : La montée du pessimisme et de la négativité.
(6) Citation (p 25) extraite du livre : Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création . Traité écologique de la création, Seuil, 1985. Sur ce blog : « Dieu suscite la communion ». https://vivreetesperer.com/?p=564.