par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement, Vision et sens |
Un espoir pour l’avenir humain
Le Royaume de Dieu en train de venir.
Selon quel horizon vivons-nous ? Réduisons-nous plus ou moins notre vision à notre condition présente jusqu’à ce que nous passions à un autre état ? Ou nous sentons-nous en marche vers un univers nouveau où Dieu sera tout en tous ? En route dans le Royaume de Dieu, percevons-nous l’œuvre de l’Esprit en nous, autour de nous et dans le monde ? Comment faisons-nous la relation entre l’œuvre vivifiante de l’Esprit et notre présence dans le monde ? Vivons-nous plus ou moins sur la défensive dans un monde relativement clos ou, au contraire, avançons nous librement et avec empathie dans un espace ouvert en sachant que l’Esprit de Dieu nous conduit dans l’espérance ?
« Puisse le Dieu de l’Espérance vous remplir de toute joie et toute paix dans la foi, de telle manière que, par la puissance du Saint Esprit, vous puissiez abonder en espérance, écrit Paul aux Romains (Romains 15-13).
Jürgen Moltmann nous montre combien cet accent est original, unique parmi les différentes religions. « Nulle part ailleurs dans le monde des religions, Dieu est ainsi associé à un espoir humain pour l’avenir… Le futur est un élément essentiel de la foi, qui est spécifiquement chrétien. C’est la foi de Pâques.. La foi signifie vivre dans la présence de Christ ressuscité et nous mouvoir dans le Royaume de Dieu qui vient. Notre expérience de la vie quotidienne prend place dans une attente créative de Christ en train de venir. Nous attendons et nous avançons, nous espérons et nous endurons, nous prions et observons, nous sommes à la fois patients et curieux. » (p. 87-88).
La vision chrétienne de l’espérance nous parle de Jésus-Christ et de l’avenir qu’il nous ouvre. A ce point, il est important d’avoir une juste représentation. « Si nous parlons uniquement de la « seconde venue » du Christ, le présent est vide et tout ce qui nous est laissé est d’attendre quelque jugement final… Mais si nous parlons de Christ qui vient, il est déjà dans le processus de venir, et, dans la puissance de l’espérance, nous nous ouvrons nous-même aujourd’hui avec tous nos sens aux expériences qui marquent sa venue » (p. 89).
Ce sont des « paraboles du royaume de Dieu en train de venir » (p.92). Nous pouvons connaître déjà ici et maintenant quelque chose de la guérison et de la nouvelle création de toutes choses que nous attendons dans l’avenir. Dans son royaume, Dieu commence à se manifester sur la terre »
Et si nous partagions notre regard sur ce que nous percevons de l’œuvre de Dieu dans le monde d’aujourd’hui ?
J. H.
Source :
Jürgen Moltmann. In the end…the beginning. Fortress Press, 2004
Chapitre : The living power of hope. p. 87-95
Ce livre vient d’être traduit en français : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012
Le texte intégral : www.laparolequidonnelavie.com
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Pour réformer la finance, il faut changer les finalités et créer des institutions nouvelles incarnant le bien commun.
D’après le livre de James Featherby: « Of markets and men ».
Comment faire face aux dérives et aux ravages du système financier dominant ? Comment refonder la finance ?
Une voix britannique vient nous répondre. James Featherby, membre de l’équipe du « London Institute for Contemporary Christianity (LICC) » (Institut de Londres pour le Christianisme Contemporain), juriste pendant trente ans dans une grande firme de la « City » de Londres, vient d’écrire un livre passionnant à ce sujet : « Of markets and men. Reshaping finance for a new season » (1). (Des marchés et des hommes. Réorganiser la finance pour une nouvelle époque »). Et il nous fait part de son approche dans un article qui vient de paraître sur le site du LICC (2).
En passant en revue les travaux de plusieurs chercheurs, James Featherby met l’accent sur l’importance des institutions. Dans la série de conférences de Reith (Ecosse), en 2012, Niall Ferguson affirme que le plus grand danger pour l’Occident réside dans son autosatisfaction (« complacency ») vis à vis des institutions (3). Dans « The origins of political order » (Les origines de l’ordre politique) (4), Francis Fukuyama déclare que la soumission de l’état aux règles de droit est fondamentale. Dans un livre intitulé : « Why nations fall » (Pourquoi des nations échouent » (5), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent. Dans un ouvrage : « To change the world » (Changer le monde) (6), James Davison Hunter appelle les chrétiens à une « présence loyale » (« faithful presence ») dans les institutions civiques, en se consacrant en premier à l’accompagnement du changement culturel.
Face aux dérives actuelles, « la « bonté » (« goodness » a besoin de s’incarner dans des institutions si nous voulons que des cultures et conduites positives se maintiennent et grandissent. De bonnes institutions, me semble-t-il, peuvent à la fois conduire (« channel ») nos énergies positives et limiter nos excès. L’alternative est claire ».
James Featherby propose quatre démarches radicales pour institutionnaliser le bien (« goodness » dans l’économie et la finance :
° Changer le contrat social entre les grandes entreprises (« large business ») et la société en leur assignant un but civique autant qu’un but privé.
° Défaire le mécanisme par lequel une dette excessive a été créée dans la vie collective et personnelle.
° Réduire les opérations spéculatives dans les marchés financiers sans rapport avec l’économie réelle.
° Donner aux épargnants et aux retraités la capacité de mettre en oeuvre leur capital pour une fonction productive plutôt que d’avoir en vue seulement un rendement financier maximum.
« Si nous ne changeons pas les finalités des entreprises (« corporate objectives of the business ») qui contrôlent la manière dont nous vivons, incluant les structures bancaires, mais sans nous limiter à celles-ci, alors le volume de leurs budgets de publicité et la puissance de leurs plans continueront à accabler (« overwhelm ») à la fois ceux qui travaillent pour elles et le reste d’entre nous ».
Il est bon d’entendre cette voix qui, à partir d’une expérience professionnelle au sein même du système financier actuel, s’élève pour proclamer la nécessité d’un changement majeur dans les finalités et le fonctionnement du système financier et économique.
« Notre finance reflète notre philosophie. Nous avons besoin de penser et d’agir d’une manière qui soit plus relationnelle, holistique, en proximité, audacieuse, humble, inspirée par des finalités et des principes, tout cela en harmonie avec une vision biblique de la vie. Et puis, nous avons besoin de réorganiser nos institutions pour qu’elles reflètent notre nouvelle philosophie. Nous l’avons fait dans le passé. Nous pouvons le faire encore ».
Cette voix converge avec d’autres, entre autres, celles qui nous parlent aujourd’hui d’économie positive (7) ou d’économie solidaire (8) . Le chantier de la réforme est en train de se mettre en route.
J H
(1) Featherby (James). Of markets and men. Reshaping finance for a new season. Tomorrow company, 2012. http://www.licc.org.uk/shop/product/of-markets-and-men-reshaping-finance-for-a-new-season
(2) James Featherby. Reshaping finance for a new season. http://www.licc.org.uk/engaging-with-culture/connecting-with-culture/business/reshaping-finance-for-a-new-season-1389
(3) Niall Ferguson.The rule of law and its Enemies. Reith lectures, 2012 http://www.bbc.co.uk/podcasts/series/reith
(4) Francis Fukuyama. The origins of political order. From prehuman times to the French Revolution. Profile books, 2011. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846682575/
(5) Daron Acemoglu, James A. Robinson. Why nations fail. The origins of power, prosperity and poverty. Profile books, 2012. http://www.profilebooks.com/isbn/9781846684296/
(6) James Davison Hunter. To change the world. The irony, tragedy and possibility of Christianity in the late modern world. Oxford University Press, 2010 http://ukcatalogue.oup.com/product/9780199730803.do#.UFTcza7j5Zp
(7) Voir sur ce blog : « Changement dans les esprits. Nouvelles finalités, nouvelles approches. L’économie positive ».
Voir sur le site de Témoins : « L’économie sociale et solidaire. Ses valeurs et ses enjeux » http://www.temoins.com/en-bref/leconomie-sociale-et-solidaire-ses-valeurs-et-ses-enjeux.html
par jean | Sep 18, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Changement dans les esprits.
Nouvelles finalités, nouvelles approches.
La grande crise financière et économique, que nous traversons, est en train de susciter des remises en cause et des prises de consciences et aussi d’engendrer des attentes et des approches nouvelles. Comme l’écrit Michel Serres : « Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau » (1). Des représentations et des attitudes nouvelles sont en train d’apparaître et de se propager. De l’intérieur, la pratique économique commence à changer.
Parmi les premiers signes de transformation, figure le LHforum, premier forum international sur le thème de l’économie positive et responsable (2), organisé dans la ville du Havre, le 13 et 14 septembre 2012, à l’initiative du groupe PlaNet finance, fondé par Jacques Attali et Arnaud Lentura et devenu la première institution globale de microfinance dans le monde. Le forum a permis de mettre en évidence des initiatives très diverses. Abondamment commentée dans les médias, cette manifestation a fait connaître le courant de l’économie positive .
Dans une vidéo introductive (2 ), Jacques Attali nous introduit dans la dynamique de ce mouvement. Ses propos sont particulièrement éclairants .
Jacques Attali constate que le monde entier prend conscience aujourd’hui de sa fragilité. La précarité n’est plus le lot exclusif des pays pauvres. Elle apparaît comme une menace dans les pays développés. C’est « la prise de conscience d’une situation précaire pour tout le monde ». « Nos civilisations sont mortelles, nos statuts sont fragiles, nos vies sont précaires ». Quel avertissement !
La planète se transforme à vive allure. La mondialisation, en marche depuis 3000 ans, suscite une économie définitivement mondiale, à la fois « nécessaire et inévitable ». Mais si cette mondialisation n’est pas accompagnée par l’affirmation de la « règle de droit », et si possible d’une «règle de droit démocratique », « elle conduira au chaos »
Progressivement, des systèmes de protection sociale sont apparus dans de nombreux pays. Aujourd’hui, on a besoin d’un mouvement analogue à l’échelle mondiale. Il faut « transférer à l’échelle mondiale cette prise de conscience d’une solidarité qui a surgi dans les différents pays ».
L’économie positive est une nouvelle manière d’envisager l’économie. Et, en particulier, le profil y perd son caractère dominateur. « Le profil n’est plus une fin, mais un outil pour atteindre des valeurs plus élevées : altruisme, éthique, morale, qualité de vie… Les richesses créées ne sont plus une fin en soi, mais un moyen…L’argent doit être considéré comme le pinceau du peintre et non comme l’œuvre d’art … ».
C’est un changement de perspective qui est entrain de se produire et qui commence à se manifester avec vigueur dans des entreprises pionnières. « L’économie peut être retournée de façon positive si elle considère que sa finalité est éthique… »
La transformation du système économique ne se fera pas sans oppositions et sans conflits. Mais une vision nouvelle est en train d’apparaître comme le montre Jérémie Rifkin dans son livre sur la « Troisième Révolution industrielle » (3). Et, si on suit Jacques Lecomte dans son livre sur la bonté humaine (4), des évolutions dans les mentalités sont en cours. Face aux ravages engendrés par un système en crise , la réflexion des chercheurs (5 ) et la montée d’un nouvel état d’esprit vont appuyer les actions réformatrices. Une piste à suivre attentivement…
J H
(1) Serres (Michel). Le temps des crises . Le Pommier , 2009. Citation en page de couverture.
(2) Site sur le mouvement et présentation du forum : http://www.lhforum.com/
(3) Sur ce blog : « Face à la crise, un avenir pour l’économie : la troisième révolution industrielle » https://vivreetesperer.com/?p=354
(4) Sur ce blog : « La bonté humaine, est ce possible ? » https://vivreetesperer.com/?p=674
(5) Sur ce blog : « Pour réformer la finance… le livre de James Fatherley : « Of markets and men »
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
La grande mutation dans la transmission des savoirs
« Petite Poucette » de Michel Serres.
Chacun d’entre nous a bien conscience que les nouvelles technologies de la communication sont en train de transformer en profondeur notre mode de vie. Mais nous n’avons pas toujours le recul nécessaire pour mesurer l’ampleur et la portée de cette transformation.
Au carrefour des sciences, de l’histoire et de la philosophie, mais aussi de la culture française et de la culture américaine, Michel Serres est l’auteur de nombreux essais qui nous apportent une réflexion originale pour comprendre la grande mutation dans laquelle nous sommes engagés. Ainsi, dans un livre récent : « Petite Poucette » (1), qui évoque la jeune fille en train désormais de communiquer en écrivant des messages avec son pouce, Michel Serres nous explique comment nous entrons dans un monde en voie de réinvention sur tous les registres : « Une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître ».
Internet change les conditions de la communication et de la transformation des savoirs et met en question le fonctionnement des institutions traditionnelles scolaires, universitaires, religieuses et politiques. Parce qu’il a un regard historique qui lui permet de mesurer les maux qui ont affecté l’humanité pendant des siècles, Michel Serres sait prendre du recul. Parce qu’il vit dans une confiance qui lui permet de regarder en avant, en sympathie avec les jeunes générations, Michel Serres évite le soupçon et la critique vaine suscités par la crainte et il nous entraîne dans la découverte des changements en cours dans les représentations, les attitudes et les comportements. Nous entrons dans un univers nouveau. Parce que nous avons personnellement travaillé et milité pour la généralisation de l’accès aux documents à travers les bibliothèques et pour le développement d’une auto-formation et d’une éducation personnalisée, nous mesurons l’extraordinaire apport des nouveaux moyens de communication et accueillons avec enthousiasme le mouvement en cours vers la démocratisation du savoir. C’est dire combien nous goûtons les analyses de Michel Serres et pouvons en apprécier l’originalité, car il ouvre notre compréhension à des interprétations nouvelles dont nous n’avions pas encore conscience. Ainsi, ce livre nous paraît une clef essentielle pour comprendre la grande mutation qui est en train d’advenir. Voici une lecture prioritaire pour déchiffrer le changement encours.
Ce changement est quasiment une révolution mentale : « Sans que nous nous en apercevions, un nouvel horizon est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années 1970. Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace » (p 13). Et, nous voici aujourd’hui dans une société d’ individus. « Naguère, nous vivions d’appartenance. Inventé par Saint Paul, au début de notre ère, l’individu vient de naître aujourd’hui….Reste à inventer de nouveaux liens… » (p 15-16).
Tout change et même la langue. Ainsi le Dictionnaire de l’Académie Française, publié à peu près tous les vingt ans, s’enrichissaient jusqu’ici d’environ quatre à cinq mille mots. Mais aujourd’hui, entre la précédente et la prochaine édition, ce sera environ trente-cinq mille mots ! (p 14). Cependant, Michel Serres consacre ce livre à un thème majeur : la révolution en cours dans la transmission des savoirs et toutes les questions que cela implique tant pour l’école que pour les autres institutions sociales. « Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Voilà, c’est fait ! » (p 19). Cette mutation interpelle les rapports sociaux traditionnels. Mais elle entraîne également un changement profond dans les usages du savoir.
J H
(1) Serres (Michel). Petite Poucette. Le Pommier, 2012 (Manifestes)
Suite sur ce blog dans les trois prochaines contributions : Vers une société participative. Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Un regard nouveau pour un monde nouveau.
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Vers une société participative
« Petite Poucette » de Michel Serres.
Puisqu’à travers internet, le savoir est en voie de devenir accessible à tous, les conditions de l’enseignement s’en trouvent changées. Jusqu’ici, « un enseignant, dans sa classe ou son amphi, délivrait un savoir qui, en partie, gisait déjà dans les livres. Il oralisait de l’écrit… Sa chaire faisait entendre ce porte-voix. Pour cette émission orale, il demandait du silence. Il ne l’obtient plus… » (p 35). Et, ici, Michel Serres, lui même professeur dans l’enseignement supérieur, parle d’expérience. Aujourd’hui, « le bavardage vient d’atteindre le supérieur où les amphis débordés par lui, se remplissent, pour la première fois de l’histoire d’un brouhaha permanent… » ( p 35). Petite Poucette ne lit, ni ne désire ouir l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduite au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères, produisent en chœur désormais un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture… Pourquoi bavarde-t-elle ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà… En entier. A disposition. Sous la main.. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente » (p 36).
Et de fait, il y ainsi un changement majeur dans le rapport entre l’offre et la demande.
« Jadis et naguère, enseigner consistait en une offre. Exclusive, celle-ci n’eut jamais le souci d’écouter l’avis ou les choix de la demande… Fini. Par sa vague, le bavardage refuse cette offre pour annoncer, pour inventer, pour présenter une nouvelle demande, sans doute d’un autre savoir… L’offre sans demande est morte ce matin. L’offre énorme qui la suit et la remplace reflue devant la demande. Vrai de l’école, je vais dire que cela le devient de la politique. « (p 37).
Michel Serres nous invite à entendre une voix qui monte, la voix d’une multitude qui est en train de s’émanciper des formatages et des conduites imposées et cherche à s’exprimer. Dans le passé, « Tout le monde semblait croire que tout coule du haut vers le bas, de la chaire vers les bancs, des élus vers les électeurs, qu’en amont, l’offre se présente et que la demande, en aval, avalera tout… Peut-être, cette ère a-t-elle eu lieu. Elle se termine sous nos yeux, au travail, à l’hôpital, en route, en groupe, sur la place publique, partout… Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix » (p 52)
Michel Serres met en évidence les faits précurseurs. Il nous montre les faits significatifs. Il nous invite à voir au delà des pesanteurs qui nous affectent encore. Effectivement, l’expression est en train de se développer à toute allure. « Tout le monde veut parler. Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase. (p 59).
Il y a quelque part dans l’approche de Michel Serres, une démarche prophétique. Il nous montre les voies d’une émergence et il sait s’indigner face aux cynismes qui se réfèrent à un passé mortifère. « Petite Poucette apostrophe ses pères : Me reprochez-vous mon égoïsme, mais qui me l’enseigna ? Vous-même avez-vous su faire équipe ?… Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami »… Mais n’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? » (p 60). Et de rappeler les appartenances sanguinaires qui ont prévalu dans le passé : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie.. A ces appartenances nommées par des virtualités abstraites : armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille, marché, dont les livres d’histoire chantent la gloire sanglante, je préfère notre virtuel immanent qui ne demande la mort de personnes » (p 61-62).
Oui, une société nouvelle est en train de naître. Face à de grandes machines publiques ou privées qui imposent leur puissance géante au nom d’une prétendue compétence, les « Petits Poucets », les gens d’aujourd’hui ont désormais accès à une information qui leur permet d’en savoir plus ou autant que les puissants. « Le partage symétrise l’enseignement, les soins, le travail…Le « collectif » laisse la place au « connectif »… (p 65). Mais en même temps, Michel Serres dénonce les forces qui s’opposent à cette évolution, et notamment, les travers de la société du spectacle. N’y a-t-il pas là une forme d’intoxication collective qui distrait et endort les esprits à travers un étalage de superficiel, de clinquant, de spectaculaire, et parfois aussi une excitation des pulsions les plus négatives.
« Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude anonyme sur les élites dirigeants bien identifiées, du savoir discuté sur les doctrines enseignées, d’une société immatérielle, librement connectée sur la société du spectacle à sens unique » (couverture)
J.H
Suite de la précédente contribution : La grande mutation dans la transmission du savoir. Suite dans deux prochaine contributions : Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir. Regard nouveau pour un monde nouveau.
par jean | Sep 11, 2012 | ARTICLES, Expérience de vie et relation, Société et culture en mouvement |
Un regard nouveau pour un monde nouveau
« Petite Poucette » de Michel Serres.
On mesure, à la lecture de ce compte-rendu l’importance que nous accordons à ce livre. En effet, en présence d’une réalité qui change, il nous aide à changer notre regard. Mais il ne s’agit pas d’un changement limité. De fait, nous sommes engagé dans une mutation qui induit et requiert une révolution mentale. Michel Serres est un bon guide, car il n’est pas seulement un bon observateur, mais aussi un épistémologue, connaisseur des méthodes et des résultats de la science. Ce livre est aussi le fruit d’une aptitude à la sympathie. Il sait voir avec le cœur. Et c’est pourquoi, en communion avec Petite Poucette, il est capable de regarder vers l’avenir et donc d’en percevoir la venue. Certes, on peut s’interroger sur telle ou telle proposition, mais il y a dans ce livre une dimension épique qui suscite l’émerveillement. Aussi, cette pensée interpelle les acteurs dans différents champs d’activité.
Dans bien des domaines, nous sommes confrontés aux blocages et aux résistances des mentalités. Combien le monde de l’école est encore loin aujourd’hui de l’horizon qui s découvre à travers le livre de Michel Serres. En politique, il y a bien quelques figures pionnières qui évoquent la démocratie participative et l’intelligence collective. On pense, par exemple, à Ségolène Royal. Il y a un long chemin à parcourir.
Et, dans le domaine religieux, combien les institutions sont encore, pour la plupart, modelées par l’héritage du passé : hiérarchie descendante de haut en bas, sacralisation des formulations, communication asymétrique. La mentalité patriarcale est encore prégnante. Alors, là aussi des voix s’élèvent pour libérer le message de vie porté par l’Evangile, de la gangue religieuse dans lequel il est trop souvent enfermé. On entend bien Michel Serres lorsqu’il évoque : « l’intuition novatrice et efficace » (p 25) par delà l’encombrement des connaissances. Les formulations rigides, répétitives, impératives, sans lien avec la vie et enfermées sur elles-mêmes sont de plus en plus contestées. Un nouvel entendement apparaît et se répand. Ainsi, aux Etats-Unis, Diane Butler Bass vient de publier un livre sur « Le christianisme après la religion » (1). Elle met en évidence les effets pervers des dogmatismes et elle met en évidence le développement d’une « foi expérientielle » Cette valorisation de l’expérience ne rejoint elle pas celle de l’intuition ? On peut évoquer ici la démarche pionnière du théologien Jürgen Moltmann. Dès les années 1970, il a écrit un livre intitulé « Le Seigneur de la danse » (2). Ce livre nous parle de jeu et de liberté. Il évoque la Sagesse de Dieu qui déclare : « Je faisais ses délices, jour après jour et je jouais sans cesse devant lui » (Proverbes 8.30) . Moltmann mentionne le philosophe grec Héraclite : « La cours du monde est un enfant qui joue et qui place les pions ça et là. C’est un royaume de l’enfant ». Cet éloge du jeu rappelle une des intuitions de Michel Serres qui est rejoint par Moltmann dans sa critique des excès de la pensée analytique.
Théologien de l’espérance, Jürgen Moltmann nous permet de regarder vers l’avenir en voyant l’oeuvre de Dieu qui vient vers nous et nous invite à aller de l’avant (3). Dans son livre, « Petite Poucette », Michel Serres nous décrit l’émergence d’une « nouvelle manière d’être et de connaître » . C’est un phénomène nouveau et de grande ampleur. « Libérée des relations asymétriques, une circulation nouvelle fait entendre les notes, quasi musicales, de sa voix (p 52). Tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables. Ce tissu de voix s’accorde à celui de la Toile, les deux bruissent en phase » (p 59). La pensée de Jürgen Moltmann nous apporte en écho un éclairage théologique. « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elle font connaître « l’accord général »… Etre vivant, signifie exister en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion ». (4)
Bien sûr, il y a aujourd’hui des menaces, des tensions, des peurs. D’ailleurs, Michel Serres a écrit également un livre sur « Le Temps des crises » (5) : « Mais que révèle le séisme financier et boursier qui nous secoue aujourd’hui ? Si nous vivons une crise, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer de nouveau » (6). « Petite Poucette » nous montre un vieux monde en train de dépérir et un nouveau monde en train de naître. Comme les institutions censées nous apporter du sens sont elles-mêmes engoncées dans l’héritage du passé, c’est le message initial qui se rappelle à nous en écho à la révolution mentale en cours aujourd’hui. Et quel est ce message ? C’est la figure de la Pentecôte. « Ils furent tous remplis de l’Esprit et se mirent à parler dans différentes langues selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (Livre des Actes 2.4). Et leurs paroles furent entendues et comprises par des gens du monde entier. Pour nous, il y a une analogie entre cette expérience initiale de l’Esprit et l’effervescence qui se manifeste aujourd’hui et que Michel Serres décrit en ces termes : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l’espace et le temps » (p 58).
J H
(1) Christianity after religion. The end of the church and the birth of a new spiritual awakening. Harper One, 2012. Mise en perspective sur le site de Témoins : « La montée d’une nouvelle conscience spirituelle ». .http://www.temoins.com/etudes/la-montee-d-une-nouvelle-conscience-spirituelle.-d-apres-le-livre-de-diana-butler-bass-christianity-after-religion.html
(2) Moltmann (Jürgen). Le Seigneur de la danse. Essai sur la joie d’être libre. Le Cerf, 1972 (Foi Vivante). Réédité .
(3) Vie et œuvre de Jürgen Moltmann d’après son autobiographie : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » sur le site : « L’Esprit qui donne la vie » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=695
(4) Jürgen Moltmann est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le thème de cet article : « L’Esprit qui donne la vie » et « Dieu dans la création » (Editions du Cerf). Les citations sont empruntées au livre : Dieu dans la création (p 25 et p 15)
(5) Serres (Michel). Le temps des crises. Le Pommier, 2009. (Manifestes)
(6) Cette recherche de nouveauté est en cours selon les compétences des uns et des autres . Ainsi l’économiste, Daniel Cohen vient de publier un livre : « Homo economicus… », où il met l’accent sur les dégradations et les menaces, et notamment sur les incidences néfastes de la montée des inégalités au cours des dernières décennies. Son appréciation d’internet est mitigée (p 157-161). A raison, Daniel Cohen montre les conséquences fâcheuses de la prédominance du modèle de « l’homo economicus » : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde en réenchantant le travail, en remettant à plat les frontières du gratuit et du payant, en repensant la coopération internationale, à commencer par celle de l’Europe » (p 206): Cohen (Daniel). Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux. Albin Michel, 2012. Nous renvoyons également ici à la vision prospective et dynamique de Jérémie Rifkin dans son livre : « La Troisième Révolution industrielle » . Sur ce blog : https://vivreetesperer.com/?p=354 Michel Serres, bien au fait de la conjoncture actuelle, ne méconnaît pas les menaces actuelles, mais, dans la prise en compte à la fois d’une histoire de longue durée et de la mutation technologique et culturelle actuelle, il choisit de proposer une vision positive, prospective et mobilisatrice.
Suite et fin des trois contributions précédentes : La grande mutation dans la transmission des savoirs. Vers une société participative . Vers un nouvel usage et un nouveau visage du savoir.