par jean | Juil 1, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon la définition du dictionnaire Le Robert, la conscience est ‘la connaissance immédiate de sa propre activité psychique’. Selon une recherche google, ‘la conscience est la présence constante et immédiate de soi à soi’. Cette définition se poursuit ainsi : ‘C’est la faculté réflexive de l’esprit humain, c’est-à-dire la capacité de faire retour sur soi-même. C’est la conscience qui permet à l’homme de se prendre lui-même comme objet de se penser, au même titre que les objets extérieurs’. La conscience est ainsi au cœur de l’existence humaine. Mais n’est-ce pas la réduire que de la limiter à cette existence ? Depuis quelques décennies, un mouvement s’opère pour en élargir le champ. Nous le ressentons à travers de nombreuses découvertes. Le titre du nouveau livre de Patrice Van Eersel est à cet égard très significatif en se portant à l’extrême : ‘Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? Et les baobabs ? Et l’IA ? Et vous-même ?’ (1) Le bas de couverture explicite l’intention de l’auteur : « Elucider le mystère de la conscience ». On comprend que cet ouvrage est la résultante ultime d’une quête engagée depuis des décennies.
« Ecrivain à Libération et à Actuel, rédacteur-en-chef de Nouvelles Clés Patrick van Eersel a longuement enquêté sur différents sujets alternatifs qui ont débouché sur des livres : ‘La Source noire’ (1986) sur les Expériences de Mort Imminente ; ‘Le Cinquième Rêve’ (1993) pour les contacts avec les animaux et les dauphins.; ‘La Source blanche’ (1996) sur l’histoire des dialogues avec l’Ange ; ‘J’ai mal à mes ancêtres’ (2002) sur la psychogénéalogie ; ‘Mettre au monde’ (2008) sur de nouvelles façons d’envisager la naissance » (page de couverture). Plus récemment, en 2021, Patrice van Eersel a publié un livre intitulé ‘Noosphère’ qui présente le cheminement de la pensée de Teilhard de Chardin (2). Tous ces livres sont réalisés à partir d’interviews d’acteurs et d’experts. Au long de plusieurs décennies, Patrice van Eersel a fréquenté un grand nombre de découvreurs et c’est sur eux qu’il s’appuie pour écrire ce nouveau livre sur la conscience. Dans un entretien avec Anne Guesquière sur le site Métamorphoses, il raconte sa quête, de rencontre en rencontre, avec des personnalités remarquables (3). C’est un chemin de découverte relaté en page de couverture : « Cela parait fou, mais les faits sont là. La conscience parait habiter l’univers entier. Dans toutes les cultures anciennes, la conscience habite l’intégralité des êtres de l’univers. Les monothéismes puis les modernes l’ont progressivement réduite à une exclusivité humaine. D’universelle, elle est devenue le propre de nos cerveaux hyper-complexes. – et nous sommes supposés être ‘seuls dans l’immensité indifférente de l’univers d’où nous avons émergé par hasard’, comme dit le credo matérialiste. Or ce monopole glacé craque de tous les côtés » (page de couverture). A partir d’une immense culture qui s’est forgée dans la rencontre avec tous ceux qui mettaient en évidence des réalités et des compréhensions nouvelles, ‘une cinquantaine de scientifiques, thérapeutes, philosophes et témoins de l’extraordinaire’, Patrice van Eersel fait apparaitre des convergences, l’émergence d’un paysage nouveau. « C’est une révolution à double sens. D’une part descendant des sommets de la théorie, les découvertes de la physique quantique démontrent que la réalité intime de la matière présente des similarités troublantes avec ce que nous appelons ‘conscience’. D’autre part, remontant de la base, d’innombrables observations et expériences empiriques nous mettent en relation de résonance intelligente et sensible avec les animaux, mais aussi avec les végétaux, voire les minéraux, et peu à peu avec l’univers entier visible et invisible » (page de couverture). L’auteur entre alors dans une nouvelle vision : « Tout se passe avec une constante troublante comme si, à chaque niveau, la conscience ressemblait à une musique. Une musique issue d’un silence infiniment subtil » (page de couverture).
Nous trouvons dans ce livre la description de phénomènes déjà plus ou moins abordés au cours de notre parcours et exposés sur ce site https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/. Il y a dans ce livre de 450 pages une abondance d’informations et une piste de réflexion qui se poursuit dans un va-et-vient d’un interlocuteur à l’autre. C’est dire que nous ne pouvons pas le présenter selon notre manière habituelle. Nous nous bornerons à en présenter quelques extraits.
Aux origines de la quête
En 1981, l’auteur part enquêter en Californie au sujet des expériences de mort imminente appelé à cette époque ‘Near death experiences’ (NDE). Il reconnait l’impasse des chercheurs voulant expliquer le phénomène par la neurochimie. Il rencontre les pionniers qui mettent en évidence le caractère extraordinaire du phénomène, le psychiatre Raymond Moody et le psychosociologue Kenneth Ring. Pour l’auteur, c’est un point de départ de cette recherche sur la conscience. « Quelque fut leur fascination, ce n’était pas la mort que ces chercheurs s’acharnaient à élucider. Comment était-il possible qu’au moment où leur cœur avait cessé de battre, certaines personnes aient pu connaitre une lucidité extraordinaire, unique dans leur vie, doublée le plus souvent du souvenir d’un bonheur si ineffable que leur existence s’en était trouvée changée à jamais, la peur de mourir les ayant définitivement quittés » ? (p 21).
« Cette impression se trouvait renforcée par toutes sortes de témoignages. Ces témoins-là rapportaient des expériences en tous points semblables aux EMI (Expérience de mort imminente)… sauf qu’ils n’avaient jamais couru le risque de mourir… Pour certains, le décollage hors corps vers la grande lumière d’amour et de connaissance s’était effectuée depuis le quotidien le plus banal, à la terrasse d’un café ou lors d’une balade en forêt » (p 21) (4).
Une autre convergence se dessinait. « De grands professionnels de la méditation, venus notamment du yoga, du zazen ou du tantrisme apportaient une contribution inattendue. Selon eux, la description de l’EMI correspondait à s’y méprendre à ce que leurs disciplines respectives nommaient ‘pur éveil’ ou ‘conscience cosmique’ » (p 21).
A la même époque, Patrice rencontre le mouvement naissant des soins palliatifs. La confrontation avec la mort l’interroge. Il sort bouleversé de sa participation à un séminaire animé par cette personnalité pionnière que fut Elisabeth Kübler-Ross. Il s’était trouvé avec une centaine de personnes en extrême souffrance. La compassion transformait toute l’assemblée en chœur de pleurs… « Ce que j’allais découvrir, c’est qu’accompagnés par une praticienne aussi chevronnée qu’Elisabeth Kübler-Ross, qui avait tenu la main de milliers de mourants, mes compagnes et compagnons de grande infortune réussissaient à traverser cette vallée de larmes pour atteindre l’autre rive » (p 23). C’était un nouvel état d’esprit. « J’étais donc revenu de ce séminaire avec la conviction que, sans les femmes fondatrices des soins palliatifs, sans leur incroyable capacité à réveiller l’humain moderne de sa transe technicienne, la recherche des hommes qui ont mis en évidence le phénomène des expériences de mort imminente aurait paru si fantasque, si déracinée du réel… qu’à mon avis, elle n’aurait pu être intégrée au corpus commun » (p 24).
L’apparition d’une convergence
En remontant dans son passé, Patrice van Eersel y voit la manière dont sa quête et apparue et s’est affirmée, nourrie par des rencontres qui ont révélé une multitude de convergences.
« Presque un demi-siècle s’est écoulé depuis mes premières explorations américaines. Et, tout à coup, prenant du recul, cela s’est imposé à moi comme le nez au milieu de la figure : si tous mes reportages pour Actuel, et plus tard Nouvelles Clés, puis Clés n’ont pas exclusivement tourné autour de l’énigme de la conscience, je peux dire que ce fut bien le cas de ceux qui ont vraiment compté pour moi. Depuis le musicien Jim Nollman qui joue de la guitare dans un canoé en concert avec les orques du Pacifique, jusqu’à l’astronaute américain Edgar Mitchell revenant de la lune amoureux de la terre, en passant par la nageuse et dessinatrice Gitta Mallasz, dernier témoin de l’aventure prophétique des Dialogues avec l’ange, ou du pianiste Ray Lema, découvrant comment les villages de la forêt congolaise sont régulés par des ‘roues rythmiques’, j’ai eu la chance immense de pouvoir rencontrer des dizaines d’hommes et de femmes passionnants et géniaux dont l’essentiel de la quête tournait finalement autour de l’énigme de la conscience » (p 15).
Un nouveau regard scientifique sur le monde : la mécanique quantique
Plusieurs mouvements convergent pour entrainer un changement de notre vision du monde et donc de notre représentation de la conscience
« Je suggère que pour la plupart de nos contemporains, la façon de se figurer la conscience a fortement évoluée au cours du dernier siècle avec la double poussée d’un mouvement ‘top down’ et d’un mouvement ‘bottom up’. Peut-on dire ce qui s’est passé quand ces deux mouvements se ont rencontrés ? Se pourrait-il que cela ait profondément changé l’ADN de nos sociétés ? » (p 186). L’auteur envisage le mouvement ‘bottom up’ comme celui qui se manifeste dans de nouvelles expériences humaines comme les visions suscitées par les psychadéliques, la découverte des ‘gymnosophies d’orient’, un nouveau regard sur la mort engendré par les expériences de mort imminente. Et d’autre part, il envisage ce qu’il intitule le mouvement ‘top down’ comme la nouvelle représentation du monde qui nous est communiquée par des scientifiques : la mécanique quantique.
« Aujourd’hui, malgré sa grande complexité mathématique originelle, le concept de ‘quantique’ s’est répandu du sommet vers le bas dans un mouvement ‘top down’, une vulgarisation décomplexée que l’on retrouve propagée dans toutes sortes de réseaux… » (p 75). Selon l’auteur, ‘la mécanique quantique reconstruit notre vision du monde de A à Z’. L’auteur a, très tôt, rencontré un chercheur en ce domaine, le physicien David Bohm. Il rapporte son propos : « Au bout de la logique quantique, toute solitude s’avère désormais partielle, voire illusoire : il n’existe plus d’entité ni d’individu isolé, l’univers entier est relié et se comporte comme un seule gigantesque interconnexion, cachée derrière une mosaïque infiniment morcelée des apparences ». L’auteur va encore plus loin dans cette représentation révolutionnaire « Pris dans un ‘tissu supral’, comme l’a baptisé Emmanuel Ransford, toile d’araignée invisible qui relie les milliards de billiards de trilliards de particules cosmiques, chacun de nous peut, s’il sait donner à sa vigilance une densité et une sérénité suffisantes, non seulement communiquer avec les organes qui composent son propre corps – pour les connaitre, les harmoniser et les soigner en leur envoyant ‘des intentions bienveillantes’ – mais entrer en contact avec les autres éléments de l’univers, sans limite dans l’espace-temps » (p 77). Certes, ce bouleversement des représentations rencontre des résistances. En effet, les enjeux sont immenses. « Deux millénaires et demi après Aristote, les axiomes de base de la science occidentale ne demeurent désormais valides que dans un périmètre restreint. L’essentiel devient flou. La matière n’existe plus en tant que ‘chose’, mais laisse la place à un ‘tissu relationnel’ obéissant à de probabilités aléatoires, qui s’étendent à l’univers entier » (p 78). « Même au bout d’un siècle, comment notre système des pensée cartésien-newtonien, matérialiste, mécaniste, réductionniste et individualiste jusqu’au bout des ongles, pourrait avaler pareille métamorphose » (p 78). Une question se pose également, ‘comment peut-on passer du micro au macro ?’. Cette interrogation s’exerce dans le champ de la biologie. Selon l’auteur, la logique quantique se manifeste très largement. « Ce qui est vrai pour nos technologies de pointe l’est a fortiori pour les processus autrement sophistiqués qui meuvent les organismes vivants… De plus en plus de biologistes, de généticiens, de thérapeutes abondent en ce sens… Depuis vingt ans, les publications se multiplient. Sur l’essentiel, les arguments convergent : aucun phénomène biologique – en première ligne, citons l’olfaction, la photosynthèse, la machinerie génétique et toute l’activité neuronale – ne serait explicable sans faire appel aux lois quantiques, ne serait-ce que pour des raisons de temps et de vitesse » (p 81). « Selon Morvan Salez, ‘nos molécules communiquent les unes avec les autres. Elles chantent ensemble’. N’est-ce pas dans cet esprit qu’un biophysicien a eu (l’idée de faire pousser des légumes dans le désert en stimulant leur métabolisme, non avec de l’eau, mais avec des musiques, c’est-à-dire des résonances, processus éminemment quantique » (p 80).
Le post-matérialisme nait du croisement de deux révolutions
Patrice van Eersel nous décrit un puissant mouvement de transformation culturelle. « Il y a un siècle des calculs sophistiqués de la haute physique théorique, ce que je propose d’appeler le mouvement ‘top-down’, est peu à peu descendu jusque dans la société civile, où il suscite une multitude de pratiques de tous acabits, généralement qualifiées de ‘quantiques’. En sens inverse, le mouvement ‘bottom-up’, fonde une foule d’expériences subjectives, psychédéliques dans les cas extrêmes, mais aussi de vécus spirituels ou mystiques, parfois dits paranormaux (l’EMI étant la plus connue), et a progressivement informé la société entière de bas en haut, jusqu’à son sommet, obligeant les élites intellectuelles à le prendre en considération, avec beaucoup de réticence d’abord, mais de façon irréversible » (p 109). L’auteur nous rapporte un exemple de cette diffusion des nouvelles manières de voir. Ainsi, début 2019, est-il invité au colloque ‘Etats de conscience aux frontières de la mort’ à la Faculté de médecine de Paris. C’est donc une entrée de l’examen du phénomène des EMI dans l’espace même de l’Université française. L’organisatrice du colloque, Laurence Lucas Skalli, psychiatre et psychanalyste, veut « inciter la médecine française à s’ouvrir au champ immense de l’étude de la conscience et de son impact sur la guérison » (p 109). « Laurence Lucas Skalli ne visait rien de moins que la fondation d’une association internationale qui sera bientôt baptisée ‘Conscience sans frontières’. Pour lancer ce projet, elle a réussi à convaincre… d’éminents universitaires et chercheurs qui vont intervenir dans ce colloque. Ces personnalités reconnues dans leur domaine de compétence ont donc accepté ‘de réfléchir ensemble au fait que, aux frontières de la vie, la conscience s’avère décidément plus insaisissable que tout ce que la science avait supposé jusque là’ ». Patrice découvre en même temps d’innombrables initiatives du même acabit à travers le pays. Dès lors, à lui qui travaillait sur ces questions depuis longtemps, il apparait « que notre société s’ouvre à nouveau comme quand dans les années 1980, sous l’égide de François Mitterand et de son amie Marie de Hennezelle, s’ouvrirent en France les premières unités de soins palliatifs » (p 118).
« La conclusion de cette semaine passionnante porte le nom philosophique ‘phénoménologie’. La phénoménologie ouvre la voie à une foule d’actions pratiques, puisqu’elle signifie qu’on ne cherche plus les causes premières ni l’essence des choses, mais que l’on se concentre sur le ressenti, le subjectif, l’intériorité » (p 112). Cette séquence se poursuit par des interviews de Patrice avec des thérapeutes engagés autour de la compréhension et la mise en valeur des EMI. Elle débouche sur une rencontre avec le chercheur québécois Mario Beauregard (5). Et avec lui, nous allons pouvoir envisager le postmatérialisme en mouvement.
Patrice van Eersel fut invité à un atelier sur les synchronicités auquel Mario Beauregard participait. Il nous raconte la vie de celui-ci. « Né dans une ferme, Mario Beauregard a grandi très proche de la nature… Il est encore gamin quand il vit une expérience mystique de fusion avec la forêt (5) qu’il n’oubliera jamais et fait naitre en lui le rêve d’exercer un métier qui lui permettrait de comprendre ce qui lui est arrivé. Il vivra plusieurs autres expériences spirituelles très fortes dont ‘une sortie du corps’ d’autant plus marquante qu’il est alors atteint d’une maladie très inquiétante que personne ne sait soigner. Un ‘être de lumière’ lui apparait alors, qui le rassure en lui annonçant qu’il survivra à ce qu’il doit considérer comme une forme d’initiation. Son rêve d’enfance se trouve galvanisé – il veut absolument comprendre ce que tout cela signifie et donc étudier la nature de la conscience ». (p 120). Il devient docteur en neurologie et docteur en neurobiologie. Il parvient à utiliser les grosses machines à imagerie de sa faculté pour observer des états modifiés de conscience. En 2006, son étude sur les cerveaux d’une communauté de carmélites en prière le rend célèbre. « Il établit que les pratiques spirituelles peuvent à ce point influencer le cerveau que de vieilles religieuses censées être atteintes de maladies neurologiques graves – car leurs réseaux corticaux s’avèrent passablement délabrés – tiennent en fait vaillamment le coup. Comme si leur esprit pouvait avoir sur leur corps des effets plus qu’insoupçonnés » (p 121). Ses recherches dérangent les autorités de la faculté de Montréal. En 2013, il rejoint l’Université d’Arizona où il travaille sous la houlette de Gary Schwartz, directeur du Laboratoire de recherche sur la conscience et la santé à Tucson. Ils décident d’organiser une rencontre internationale entre des scientifiques non conformistes. « L’accord principal n’a pas été long à émerger : l’approche matérialiste réductionniste a apporté à l’humanité des découvertes prodigieuses, mais elle en a profité pour faire passer sa méthodologie au niveau ontologique, c’est-à-dire qu’elle prétend avoir le dernier mot sur la nature du réel, qu’elle réduit à la matière. Comme si, en dehors de celle-ci, rien n’existait » (p122) (6). Le paradigme dominant actuel ne parvient pas à prendre compte en grand nombre de phénomènes nouvellement identifiés. « C’est le cas avec des phénomènes comme la perception extrasensorielle, la psychokinésie, la télépathie, la clairvoyance, les VSCD (Vécus Subjectifs de Contact avec un Défunt), les EMI, les sorties du corps ou la lucidité terminale. Mais la liste ne s’arrête pas là. Comment expliquer plus généralement l’intuition, le processus de création, l’hypermnésie ou le génie des autistes Asperger… » (p 124). En regard, différentes hypothèses sont envisageables. « Pour tenter d’expliquer que la conscience n’émerge pas, mais qu’elle est comme une donnée primordiale qui transcende ce que nous croyons savoir de la matière-énergie et de l’espace-temps, Robert Sheldrake, par exemple, plaide pour une approche ‘panpsychique’ – un terme repris à Francesco Patrizi, philosophe italien du XVIe, qui suppose que dans l’univers, toute entité fondamentale ou organisée a une forme de conscience. D’autres chercheurs se réfèrent plutôt au ‘monime neutre’ qui, de Spinoza à Bertrand Russell, avance l’idée que la conscience et la matière sont deux aspects complémentaires et irréductibles l’un à l’autre, de la même mystérieuse réalité fondamentale… » (p 125).
Communiquer avec les animaux
Le changement de vision relaté dans ce livre s’étend aux animaux et aux plantes. Comme nous avons pu déjà nous en rendre compte, ce livre échappe à un résumé tant par son étendue que par son bouillonnement. Les différents chapitres ne peuvent être rapportés de la même manière. Certains s’écrivent à partir de vécus rapportés par des personnalités originales. Ainsi les récits de rencontres avec les grands animaux marins comme les dauphins et les orques nous surprennent en nous entrainant dans un univers féérique où la communication parfois intime avec des hommes et des femmes se réalise à travers des rêves ou à travers la télépathie. L’auteur aborde également la communication animale telle qu’elle s’exerce au plan terrestre. Il cite les livres sur la subjectivité animale écrits par Viviane Despret, psychologue éthologue (7), comme ‘Habiter en oiseau’ ou ‘Penser comme un rat’.
« Nous vivons une époque étrange où, d’une part, se multiplient les initiatives de communication animale inter espèces, et où, de l’autre, nous exterminons, sans même y penser des millions d’animaux » (p 180). C’est à travers des interviews que l’auteur nous décrit des initiatives de communication animale.
Ainsi nous entretient-il de Karine lou Matignon, auteur du livre ‘Sans les animaux, le monde ne serait pas humain’, et de beaucoup d’autres. « Grande amie des chevaux, Karine en a sauvé un certain nombre de l’abattoir. Cette femme ultrasensible a consacré sa vie à tenter de faire comprendre les animaux à ses congénères… ». Elle constate des progrès dans cette compréhension : « Depuis que j’ai commencé à creuser ma piste, même en France, le pays le plus conservateur et le plus matérialiste que je connaisse, les mentalités ont énormément évolué. Quand, avec des dizaines d’experts, nous avons rédigé ‘Révolutions animales’, qui est une sorte d’encyclopédie, je me suis rendu compte qu’en soixante-dix ans, notre regard sur les animaux avait franchi plusieurs paliers.
L’un des premiers acteurs du changement a été Konrad Lorenz quand, dans les années 1950, il a exigé de pouvoir étudier les animaux hors des labos dans leur milieu de vie. C’est lui qui a inspiré Jane Goodhall (7) et les autres grandes primatologues. Si aujourd’hui, on peut aller jusqu’à parler sérieusement de ‘l’individualité de la fourmi’, du ‘blues de l’araignée’ ou de la ‘conscience du poisson’, j’ai envie de dire que c’est grâce à lui » (p 183).
Karine Lou Matignon est également une soignante. L’auteur rapporte un de ses récits. « Elle avait recueilli un pauvre vieux chat de gouttière tout mité. Mais ce chat était farouche. Il ne fallut pas moins de huit mois pour que sa protectrice puisse enfin poser la main sur lui… ‘Je l’ai caressé et il a léché ma main pour la première fois. J’étais toute contente… Un mois plus tard, une nuit, j’ai fait un rêve où il me disait ‘Je meurs’… Le lendemain, une voisine l’a découvert gisant devant son portail. Il avait tenu à me dire au revoir comme pour me remercier’ » (p 184). « En soi, le fait de communiquer par rêve ou par télépathie avec autrui, humain ou animal, n’a pas étonné Karine. Elle a ce don depuis l’enfance ».
Dans cette riche séquence sur les animaux, l’auteur a également rassemblé « huit toutes petites histoires de chien, de chat, de chouette et de perroquet » (p 287). Nous y avons noté l’histoire de ce chien qui allait s’assoir devant la porte d’entrée pour attendre sa maitresse rentrant du travail. En observant, on s’aperçut que ce manège n’était pas lié à une ouïe très fine. De fait, il commençait « à l’instant précis où sa maitresse décidait de rentrer chez elle » (p 189).
Cette séquence se termine par une enquête émouvante : l’expérience terrifiante que l’écrivaine Isabelle Sorente a vécu dans un élevage industriel de porcs, un processus horrible décrit en ces quelques mots ‘calcul ultrarationnel qui métamorphose en coulée de matière organique des êtres vivants – des mammifères proches de nous à plus d’un titre’. Cependant, un jour, il se produisit un évènement remarquable. « Un après-midi quand l’écrivaine, dans sa combinaison, s’apprête à sortir de cet espace de mort, des centaines de truies, enserrées dans l’acier, le sentent aussitôt et braquent leurs regards sur cette visiteuse étrangère bien repérée depuis plusieurs jours. Alors, elle se mettent à crier toutes ensembles. Un hurlement insensé. Comme si elles appelaient au secours ». L’auteur va plus loin dans son commentaire ; « comme si elles suppliaient Isabelle de ne pas oublier la ‘magie de sympathie’ qui met les vivants en résonance les uns avec le autres ».
« La plongée d’Isabelle Sorente pourrait bien nous rappeler une vérité que les temps civilisés nous ont fait oublier : les animaux connaissent la ‘magie de sympathie’ de façon innée. Mieux que nous parce que c’est ainsi qu’ils communiquent » (p 193).
L’expression des végétaux
La nature n’est pas passive. Elle n’est pas indifférente. Elle n’est pas muette Tout communique. Pout le monde végétal, c’est une grande découverte et elle est récente. Patrice van Eersel consacre une séquence à cette prise de conscience.
On peut désormais reconnaitre, capter et diffuser la musique émise par les végétaux. L’auteur nous raconte sa rencontre avec deux pépiniéristes installés dans les Landes, Jean et Frédérique Thoby. « Leurs jardins et leurs terres sont des merveilles où s’entremêlent toutes sortes de végétaux aux couleurs, aux parfums et aux goûts les plus variés, des plus petits légumes aux plus grandes fleurs ». C’est dans ce lieu qu’au cours d’une conférence, l’auteur a pu entendre la musique jouée par ces plantes. Ce fut un enchantement. « Une musique des plus étonnante. A la fois, impressionniste dans sa douceur – on la dirait composée par des elfes ou des fées – et expressionniste dans son phrasé très accidenté. Quand ce sont plusieurs plantes qui jouent en même temps, vous vous dites que le jardin d’Eden ne pouvait pas déployer des jeux d’harmonie plus surprenants » Mais comment cela fonctionne-t-il techniquement ? « Spontanément, cette musique n’est pas audible pour nos oreilles. Pour que sa subtilité apparaisse dans la portion du spectre sonore que capte notre ouïe, il faut qu’on ait branché sur les feuilles et dans les racines de la plante, les électrodes d’un biodynamiseur, une machine inventée par des ingénieurs ayant suivi les directives du physicien Joël Sternheimer… » (p 197).
L’auteur commente ainsi cette réalisation. « Les plantes ne jouent pas de la musique au sens strict… Ce qui est certain, c’est que, comme tous les êtres vivants, leur vitalité s’exprime à chaque instant par des activités électriques. Captées par des sondes, ces impulsions peuvent être traduites de toutes sortes de manières ; cependant, cette traduction musicale correspond, bel et bien et subtilement, aux plantes elles-mêmes. Elles y réagissent en effet illico, en modifiant leurs mélodies et harmonies dans un mouvement de feed-back – si la traduction ne leur plait pas, elles se taisent ». Des chercheurs ont établi que les activités électriques des végétaux émettaient en fait des ultrasons (dont la gamme des fréquences correspondait à celles qu’émettent aussi les chauve-souris). Mais le plus fou est que ces sons influencent le métabolisme des autres espèces, végétales mais aussi animales. Cette influence inter-espèce et même inter-règne, constitue en soi une énigme colossale (p 198).
Cependant, nous découvrons ensuite que des exploitations agricoles utilisent avec succès des ‘protéodies’, c’est-à-dire, à la suite des recherches de Joël Sternheimer, une mélodie de protéine. Le conférencier écouté par l’auteur, Jean Thoby, raconte qu’un de ses voisins viticulteurs ne parvenant pas à se débarrasser de l’oïdium malgré un usage massif de produits phytosanitaires a réussi à s’en débarrasser grâce à l’utilisation de leur biodynamiseur pendant un an. Il assure que « nous disposons aujourd’hui de centaines d’expériences prouvant, à grande échelle, que notre mode de culture est efficace et même très efficace, puisque que dans certaines exploitations, les rendements ont augmenté de 30 ou 40%, et cela alors que les agriculteurs n’utilisent plus le moindre gramme d’intrants chimiques ! » (p 200).
L’auteur poursuit en racontant une expérience spectaculaire, ‘L’homme qui fait pousser des tomates dans le désert’. Un jeune ingénieur, Pedro Ferrandez, voulant contribuer à prouver l’efficacité de l’approche de Joël Sternheimer expérimente la technique correspondante dans une culture de tomates de ses parents. Plusieurs protéodies de tomate sont utilisées, notamment celle d’une protéine active dans la floraison et une autre dans la résistance à la sécheresse. Résultats renversants : en pleine chaleur estivale de 2004, les feuilles des plantes qui ont reçu de la musique… restent vertes alors que les autres sont sèches. D’abord menée en Suisse, l’expérience fut ensuite invitée à faire ses preuves, dans une exploitation horticole sénégalaise où Joël démontre que les protéidies permettent de résister aux insectes et que l’on peut obtenir de très belles tomates avec dix fois moins d’eau » (p 297).
Patrice en vient à s’interroger également aux ressentis des plantes. Ainsi, il nous raconte comment deux chevaux très différents ont été guéris par l’expression musicale de fougères, bien vivantes. Or on constata que les expressions furent différentes en s’adaptant à la condition de chaque cheval. « Tout s’était donc passé comme si chacune s’adaptait à son patient. Donc qu’une communication s’était établie entre l’animal malade et la plante thérapeute. Comme si une communication s‘était manifestée entre l’individu végétal et l’individu animal. Par quel mystérieux jeu de résonance ? (p 213).
En s’interrogeant sur ‘la compassion des végétaux’, un univers revint à la mémoire de l’auteur, celui des Kogis, « une ethnie précolombienne restée intacte, protégée par les montagnes, où elle s’est réfugiée de plus en plus haut pour échapper aux envahisseurs » (p 51). On pouvait retrouver dans cette ethnie une mentalité humaine en osmose avec la nature telle qu’elle avait émergée au début de l’humanité. Pour les Kogis, « les choses étaient claires : soit tu comprends que la nature constitue un vaste corps, vivant et conscient, que tu dois respecter avec le maximum d’humilité, et alors tu peux poursuivre ta route, soit tu ne comprends pas et tu es malheureusement fichu » (p 52).
En s’interrogeant sur ‘la compassion des végétaux’, Patrice van Eersel se rappelle que pour les habitants de la Serra Nevada de Santa Marta, tout notre malheur écologique et climatique actuel vient de ce que nous sommes devenus sourds aux innombrables communications (notamment musicales) que tous les êtres vivants tissent entre eux à chaque instant et que les cultures anciennes semblaient entendre, au moins en partie, les imitant par exemple dans leurs chants de guérison, comme en témoignent encore certaines communautés en Australie, en Amérique latine et en Afrique » (p214).
Une nouvelle vision du monde
Pour rapporter ce livre et contribuer à en faire connaitre l’apport décisif, nous avons présenté quelques-unes des fenêtres ouvertes par cet ouvrage. A la simple lecture de ces échappées, on comprend la richesse phénoménale de cette enquête tant par l’ampleur de son champ, la richesse de la documentation, les rencontres avec un grand nombre de découvreurs, la persévérance de la réflexion. Le sujet est immense. Si on relit le titre ‘Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? et les baobabs ? Et le cristal ? Et l’IA ? Et vous-même ?’, on se rend compte combien nos aperçus sont très loins d’avoir couvert ce grand continent. Ils encouragent seulement à lire cet ouvrage de bout en bout.
De même, la fin de l’ouvrage appelle une lecture réfléchie, pas à pas. L’auteur nous y propose des chemins d’interprétation et de discernement. Il y évoque, bien sûr, le péril actuel, « la mortelle mise en danger de notre biosphère » (p 318) et les moyens d’y faire face. Les dernières séquences ouvrent une voie.
« Pourquoi chanter relie la Terre au Ciel » (p 389). Ainsi Jill Purce, enseignante de méditation par le chant en Angleterre sait expliquer de quelle façon chanter pour ouvrir notre conscience sur les plus hautes sphères et nous faire accéder au cœur d’une guérison à la fois physique, émotionnelle et spirituelle » (p 398). Elle a exploré également de nombreuses voies spirituelles notamment auprès des Tibétains et des Amérindiens (p 381). « Le pouvoir absolu de la musique, c’est qu’elle est le dernier phénomène qui vient nous rassembler (religere en latin), ravivant le sentiment d’appartenance à un tout, que Spinoza nommait joie (p 401), conclut l’auteur.
La dernière séquence explore la dimension spirituelle et évoque la méditation et le silence : « Et si la conscience jaillissait d’un silence très subtil » (p 403). Ici, Patrice van Eersel interview, entre autres, son ami, Jean-Yves Leloup, ‘prêtre orthodoxe, théologien très suivi’. L’auteur retient l’idée que, dans différents contextes, « on puisse remonter à la même source d’inspiration, mais avec des niveaux de conscience étalés sur un immense éventail ». Et, « Quel que soit ‘le niveau de conscience’ d’une personne visitée ou non par une inspiration supérieure, la question est surtout de savoir quelle est l’origine, la source de sa conscience. Si je prends le prologue de Saint Jean, je lis que le commencement est un Logos qui nous échappe. C’est une pure lumière, une vacuité, un Silence. Et notre conscience nait de ce silence… Saint Jean précise aussi que ce Logos est créateur, habité d’Eros, de désir. C’est par lui que toute existence prend forme. La conscience est donc première » (p 429-420). Jean-Yves Leloup distingue la conscience des états de conscience qui s’étalent dans l’horizontalité alors que le retour à la conscience nous dresse dans une verticalité qui passe du Silence pour y retourner » (p 422). Il précise aussi que « la conscience n’est pas de l’ordre de la substance, mais de l’ordre de la relation… Le fond de l’Être, c’est une relation. Dans la tradition chrétienne, c’est ce que nous appelons la Trinité » (p 424).
La pensée de Jean-Yves Leloup prend en compte l’état du monde dans lequel nous vivons. « Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que peut-être, la seule chose que nous puissions faire pour être utiles à l’humanité – et au cosmos, puisque tout est inter-relié – c’est de nous asseoir et de méditer plutôt que de nous activer. L’Internationale des consciences créée par Catherine Arno et Jean-Yves Leloup avec l’aide d’ Ines Weber et Abdennour Bidar, de l’association Sésame, se veut liée à la Terre, aux cinq continents, parce que partout il y a des femmes et des hommes, de chair et d’os, qui prennent le temps de s’asseoir, de se tenir en silence, de tenter de se relier à ce qui est la Source à la fois de la vie, de la conscience, de l’intuition, de l’amour. Ces gens qui méditent sont de plus en plus nombreux dans le monde et ont envie d’être reliés les uns aux autres ». Et de rappeler que « des recherches scientifiques ont permis de constater que là où plusieurs personnes méditaient, la violence baissait » (p 425-426).
Ce livre nos parait quasiment incomparable, car, de tous côtés, il y converge de connaissances nouvelles à partir d’interviews avec un grand nombre de découvreurs et de penseurs. Et de plus, l’auteur nous présente ces découvertes avec pédagogie. Ici, Patrice van Eersel nous fait partager sa quête sur la manière d’envisager la conscience aujourd’hui et il débouche sur une vision : « Oui, décidément oui cette dimension mystérieuse que nous appelons ‘conscience’ habite l’univers entier et pas seulement le cerveau et le cœur d’ ‘Homo sapiens’ (p 435).
Une vision chrétienne en réception de la perspective du livre de Patrice van Eersel
Patrick van Eersel nous apporte une nouvelle vision du monde : l’affirmation de la conscience à partir de convergence d’un grand nombre de faits et de ressentis qui vienne s’ajuster comme dans un puzzle. C’est une vision qui rompt avec une conception matérialiste et individualiste longtemps dominante telle qu’elle s’est exprimée dans ‘Le hasard et la nécessité’ de Jacques Monod. Cependant, peut-on dire qu’elle vient également corriger une pensée théologique qui s’était enfermée dans l’humain et était sortie de la création. La vision nouvelle de la conscience généralisée vient rebattre les cartes. Elle peut être bien accueillie par les théologiens que nous consultons sur ce blog : Jürgen Moltmann, auteur du livre ‘Dieu dans la création’ paru dans les années 1980, Richard Rohr, animateur du Centre pour l’action et la contemplation et auteur du livre ‘La Danse divine’ qui met en évidence la présence dans le monde d’un Dieu trinitaire et donc communion, Michel Maxime Egger, dont la pensée théologique s’inscrit dans la révolution écologique. Quelques extraits de auteurs viendront résonner avec la perspective émergente de Patrice Van Eersel.
En 2019, dans son livre : ‘The Spirit of hope’ (9), Jürgen Moltmann reprend le fil d’une pensée qui s’est développée pendant plusieurs décennies :
« Une approche historique montre qu’à partir du XVIe siècle, une volonté de puissance s’est imposée à partir d’une approche scientifique et d’une interprétation biblique. L’humanité est devenue « le centre du monde ». Seul l’être humain a été reconnu comme ayant été créé à l’image de Dieu et supposé soumettre la terre et toutes les autres créatures. Il devint ‘le Seigneur de la Terre’ et dans ce mouvement, il se réalise comme le maitre de lui-même… La vision de la nature a été la conséquence d’une représentation de Dieu… ‘Dieu a été pensé comme sans le monde, de la façon à ce que le monde étant sans Dieu puisse être dominé et que le monde puisse vivre sans Dieu’. Et le monde étant compris comme une machine, l’humain est menacé d’être considéré également comme une machine.
Mais, aujourd’hui, une compréhension écologique de la création est à l’œuvre. « Le Créateur est lié à la création non seulement intérieurement, mais extérieurement. La création est en Dieu et Dieu dans la création. Selon la doctrine chrétienne originelle, l’acte de création est trinitaire. Le monde est une réalité non divine, mais il est interpénétré par Dieu… » Ce qui ressort d’une vision trinitaire, c’est l’importance et le rôle de l’Esprit. « Dans la puissance de l’Esprit, Dieu est en toute chose et toute chose est en Dieu… » Au total, « l’Esprit divin est la puissance créatrice de la vie. Le Christ ressuscité est le Christ cosmique et le Christ cosmique est ‘le secret du monde’… » Aujourd’hui, « l’essentiel est de percevoir en toutes choses et dans la complexité et les interactions de la vie, les forces motrices de l’Esprit de Dieu et de ressentir dans nos cœurs l’aspiration de l’Esprit vers la vie éternelle du monde futur ».
Dans son livre : ‘la danse divine’, Richard Rohr en revenant aux sources du christianisme affirme une vision relationnelle de Dieu. « Dieu est celui que nous avons nommé Trinité, le flux (flow) qui passe à travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le début. Toute impulsion vitale, toute force orientée vers le futur, tout élan vers la beauté, tout ce qui tend vers la vérité… est éternellement un flux du Dieu trinitaire… Maintenant, nous voyons bien que Dieu n’est pas, n’a pas besoin d’être ‘une substance’ dans le sens d’Aristote et de quelque chose d’indépendant de tout le reste. En fait, Dieu est lui-même relation. Comme la Trinité, nous vivons intrinsèquement dans la relation. Nous appelons cela l’amour. Nous sommes faits pour l’amour. En dehors de cela, nous mourrons très rapidement… » Le mystère trinitaire peut être également entrevu dans le code de la création. « Ce qu’à la fois les physiciens et les contemplatifs affirment, c’est que le fondement de la réalité est relationnel. Chaque chose est en relation avec une autre ».
Dans un de ses livres ‘Ecospiritualité’, Michel Maxime Egger nous appelle à ‘réenchanter notre relation à la nature’. L’envergure de cette réflexion se marque à travers six grandes parties : Relier écologie, science et religion ; réenchanter la nature ; redécouvrir la sacralité de la terre ; être un pont entre la terre et le ciel ; transforme son cosmos intérieur ; devenir un méditant militant. « La prise de conscience écologique appelle une nouvelle conscience spirituelle, mais aussi un renouvellement des héritages religieux… » « Le préfixe ‘trans’ est un mot latin qui signifie par-delà. Il sied bien à l’écospiritualité. Celle-ci est transcendante, transreligieuse, transdisciplinaire, transmoderne… ».
L’auteur note également le rapport avec une évolution scientifique et nous retrouvons là la recherche de Patrice van Eersel. « L’écospiritualité se nourrit également des apports de la science postmoderne vulgarisés par des figures comme Frank Capra et Rupert Sheldrake. Ce vaste chantier a été ouvert par de nouvelles approches qui se sont développées au XXe siècle entre l’infiniment grand et l’infiniment petit » Michel Maxime Egger évoque lui aussi les voies du ‘panenthéisme’. « Le panenthéisme est une voie du tout en Dieu et de Dieu en tout. C’est l’approche de Jürgen Moltmann. C’est aussi la voie des théologiens orthodoxes, mais aussi de nombreux théologiens très divers de Teilhard de Chardin à Léonardo Boff… Le panenthéisme unit le divin et la nature sans les confondre… Au total, quel que soit la forme du panenthéisme, la nature est plus qu’une réalité matérielle obéissant à des lois physiques et chimiques. Elle est un mystère habité d’une conscience et d’une présence ».
Voici donc quelques pistes théologiques en regard de la réflexion de Patrice van Eersel sur la vision nouvelle du monde qu’il nous propose. Manifestement, la lecture de son livre est un point de départ indispensable pour une réflexion commune en vue de compréhension de la réalité telle qu’elle nous apparait aujourd’hui.
J H
- Patrice van Eersel. Le soleil est-il conscient ? Et les dauphins ? Et les baobabs ? Et le cristal ? Et l’IA ? Et vous même ? Elucider le mystère de la conscience. Guy Trédaniel, 2025
- Un horizon pour l’humanité : la noosphère. Selon Patrice van Eersel : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
- Interview de Patrice van Eersel sur son livre au site : Métamorphoses : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=métamorphose+patrice+van+Eersel+you+tube&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:382bdaf7,vid:dbqjd70KuRI,st:0
- La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
- Comment nos pensées influencent la réalité ? : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
- Une nouvelle science de la conscience : https://vivreetesperer.com/la-nouvelle-science-de-la-conscience/
- Une vision nouvelle des animaux : https://vivreetesperer.com/une-vision-nouvelle-des-animaux/
- Jane Goodhall. Une recherche pionnière sur les chimpanzés : https://vivreetesperer.com/jane-goodall-une-recherche-pionniere-sur-les-chimpanzes-une-ouverture-spirituelle-un-engagement-ecologique/
- Un avenir écologique pour la théologie moderne : https://vivreetesperer.com/un-avenir-ecologique-pour-la-theologie-moderne/
- La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/
Voir aussi
Spiritualité et psychiatrie :
https://vivreetesperer.com/spiritualite-et-psychiatrie/
Lytta Basset. Une approche nouvelle de l’au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
par jean | Mai 13, 2025 | Vision et sens |
Reconnaitre les expériences de révélation en dehors de l’Eglise
Selon Robert K Johnston
En ce début du XXIè siècle, la recherche a commencé à mettre en évidence des expériences puissantes d’émerveillement en reprenant, pour les qualifier le terme de « awe », jadis employé pour exprimer une « crainte révérentielle » (1). Ces expériences sont vécues par des hommes et des femmes de toutes conditions, de pays différents, de convictions religieuses ou philosophiques variées. Ces expériences traduisent une reconnaissance de transcendance.
Elles pourraient et elles devraient être envisagées sous un angle théologique. A cet égard, la publication du livre de David Hay : « Something there » (2) ne faisait pas seulement apparaitre le phénomène à partir d’une collecte de données d’une grande ampleur, il en faisait ressortir la portée spirituelle. C’est un éclairage théologique sensible, documenté et argumenté que nous apporte à ce sujet le théologien Robert K Johnston dans un livre intitulé : « God’s wider présence. Reconsidering general revelation » avec un arrière-titre particulièrement significatif : « Finding God outside the church » ( Trouver Dieu en dehors de l’église ) (3). Il s’agit donc bien ici de ro-reconnaitre un phénomène souvent méconnu : la révélation divine dans de nombreuses expérience en dehors de tout cadre d’église. L’auteur : Robert K Johnston est professeur de théologie et de culture au Séminaire théologique Fuller, une faculté évangélique en Californie. Ces thèses innovantes reçoivent l’approbation d’un autre théologien évangélique enseignant dans la même faculté : Amos Yong :
« God’s wider presence » porte la dynamique de l’Esprit qui transfigure
les espaces et les temps à travers lesquelles toutes les créatures vivent, se déplacent, et ont leur existence. Un nouveau point de départ pour une réflexion théologique au XXIè siècle sur le domaine important concernant l‘expérience humaine et sa rencontre avec Dieu ». Voilà donc une importante avancée. Ce livre examine en profondeur tous les aspects de son objet .il met en évidence le phénomène, sa prise en compte ou sa méconnaissance par la théologie, la manière dont celle-ci interprète les textes bibliques à ce sujet, le renouvellement de la problématique par la théologie de l’Esprit (John V Taylor, Elizabeth Johnson, Jürgen Moltmann), la prise en compte de cette approche dans une théologie des religions. Nous nous bornerons ici à présenter la manière dont Robert K Johnston présente le phénomène et en dégage une interprétation théologique.
La plus grande révélation de Dieu
L’auteur met en évidence un travers de la théologie depuis l’époque des Lumières . Livre après livre, s’écrit comme un dialogue entre livres sur le même sujet. « Peu d’attention est prêtée à la source Originelle de leurs réflexions. Tout parait d’un second ordre…. Plutôt qu’envisager la théologie comme « connaissant Dieu », ce que quelques-uns appellent aujourd’hui « spiritualité », au cours des derniers siècles, nous avons, à la place, défini la théologie comme « une connaissance au sujet de Dieu ». Plutôt que de réfléchir sur notre expérience personnelle avec la Transcendance, nous nous sommes trop souvent dirigé vers une conviction intellectuelle fondée sur une argumentation philosophique » ( p 1-2) Cela a mené à une impasse dans le domaine de la théologie concernant la révélation générale. Aujourd’hui, le temps est venu de proposer une « théologie expérientielle, bibliquement fondée, concernant la plus grande présence de Dieu se révèlant » ( p 2).
Pour commencer, quelques histoires
« Comme la modernité touche à sa fin et que nous entrons toujours plus profondément dans la post-modernité, l’usage de témoignages de premier ordre devient de plus en plus important ». Il en va de même en théologie. Ainsi, si pour étudier la pensée théologique de Paul Tillich, beaucoup se réfèrent à sa méthode des corrélations comme une clé pour la comprendre, d’autres ont justement noté une expérience qu’il a eu étant jeune adulte et qui s’est révélée fondamentale pour sa théologie. Vivant dans l’horreur de la première guerre mondiale comme aumônier militaire sur le front, Tillich se vit accorder une permission. Retournant à Berlin, il entra pour une pause dans un musée d’art. Il vit là une peinture de Boticelli appelé : « Madone et enfant avec des anges qui chantent ».. Tillich compara l’évènement à un baptême. Il dit que l’expérience avait transformé son esprit. Il l’appela « presque une révélation ». l’ouvrant à une expérience humaine lui offrant « un analogique puissant » pour parler plus généralement de l’expérience religieuse. Il a dit que cela avait ouvert une percée. Tillich a appelé cette première expérience avec le tableau de Boticelli une « extase révélatrice » Il a écrit : « Un niveau de réalité « s’est ouvert à moi » (p 2). Robert K Johnston voit dans cette expérience primitive de la présence de Dieu par Paul Tillich une fondation pour ses réflexions théologiques ultérieures.
L’auteur nous apporte un autre exemple. On ne peut comprendre la théologie de CS Lewis sans lire son autobiographie : « Surprised by joy » (surpris par la joie). Dans ce livre, CS Lewis décrit une série d’expériences sporadiques qui sont advenues dans sa jeunesse » ( jeu, lecture, relation, écoute etc ). La lecture de « Phantasies » de George McDonald fut très importante pour lui. Ces expériences le surprirent de « joie ». Il évoque « une voix avec lui, dans ma chambre ou dans mon
corps ou derrière moi. Si elle m’avait échappé dans sa distance, elle m’échappait maintenant par sa proximité ». L’auteur commente : « Ce qui est à noter ici, c’est que ces rencontres avec le divin qui advinrent en dehors de l’Eglise et sans référence explicite à Jésus-Christ furent cruciales pour sa compréhension de la théologie » ( p 3).
Tiilich appela plus tard cette plus grande Présence de Dieu un « sentiment de préoccupation ultime »
(« feeling of ultimate concern ». Lewis parle de « joie ». L’auteur évoque également Friedrich Schleiermacher qui parle de « sentiment d’absolue dépendance « et Rudolf Otto qui décrit ses expériences comme « mysterium tremendum et fascinans » (un mytère qui est empli de crainte révérentielle et cependant attrayant »). Cependant Robert K Johnston montre que ces expériences fondatrices et transformantes ne concernent pas seulement des théologiens. Elles sont vécues aussi par des artistes.
Ces ressentis d’expériences de Révélation sont nombreux et importants
L’auteur cite de nouveaux exemples. Ainsi, « un des caractères du film d’ingmar Bergman : « Fanny and Alexander » (1982) parle des arts comme offrant des « frémissements surnaturels ». Einstein a dit à
un violoniste Yehudi Menuhim ; « Merci, monsieur Menuhim. Vous m’avez à nouveau prouvé qu’il y a un Dieu dans les cieux »…. A travers un sondage en 2000, on a trouvé que 20% des américains se tournaient vers les médias, les arts et la culture comme leur premier moyen d’expérience et d’expression spirituelles et le pourcentage a augmenté depuis » ( p 4). « Si la réalité des « médias, arts et culture » comme premier lieu de signification spirituelle dans la société occidentale est un stimulus pour reconsidérer notre théologie de le Présence révélatrice de Dieu en dehors de l’église et d’une référence directe à Jésus-Christ, nos rencontres de plus en plus fréquentes avec des adhérents d’autres religions en est un second. Qu’allons-nous faire des vues de foi et des expériences numineuses de ceux que nous rencontrons et qui ne sont pas chrétiens ? Le témoignage à une plus grande présence révélatrice de Dieu dans la vie est le témoignage de beaucoup, peut-être de la plupart des gens » ( p 4). C’est là que, pour appuyer son propos, Robert K Johnston puise dans la recherche de David Hay et Kate Hunt en Angleterre présentée depuis longtemps dans un article publié sur le site de Témoins (2). A partir d’un échantillon national en Angleterre, en 2000, tandis que seulement 10% des sondés allaient à l’église, 76% rapportaient avoir eu une expérience spirituelle de quelque manière et ces 76% rapportant une expérience spirituelle dépassait le nombre de ceux ayant une culture chrétienne. Hay et Hunt font observer que leurs résultats correspondent avec une évidence en religion comparative où on ne trouve, si il y en a, que très peu de limitations à la manière dont où et quand des moments d’éveil spirituel adviennent.
L’auteur confirme cette extrême diversité des modes d’expérience à partir de ses relations. Un tel s’est converti à Christ dans un temple bouddhiste. Tel autre a vécu une expérience de transcendance en regardant un film, tel autre en lisant Milton ( p 5)..
« Dans mon enseignement sur la théologie et les arts, c’était pour moi une expérience commune d’entendre des étudiants relater des expérience de transcendance qu’ils avaient eu regardant un film ou en lisant un livre » ( p 6).
Robert K Johnston récapitule ainsi : « Les expériences ne viennent pas seulement des arts, ni elles ne sont seulement une réponse à la rencontre de la nature, ou à la poursuite d’une bonne action. Ne pouvant être contraintes, elles viennent au hasard, mais, d’une façon persistante à travers la création, la conscience et la culture… Ce sont trois lieux de de la plus grande Présence de révélation divine » ( p 6). Q
Quelles questions à partir de ce phénomène,
Robert K Johnston, en théologien, énonce des questions soulevées par ce phénomène, auxquelles il répondra au long de son livre : « God’s wider presence ».
« Qu’allons-nous faire théologiquement des descriptions répétées de ces profondes expériences de vie qui sont comprises par les participants comme révélant Dieu ? Comment allons-nous comme chrétiens comprendre de tels moments divins qui semblent ne pas être premièrement destinés à notre salut… ( excepté, naturellement, dans le sens le plus large que toute activité de Dieu est ultimement interconnectée), mais plutôt centrés sur la grâce et la rencontre ? Comment allons-nous comprendre ces expériences théologiques de Dieu qui trouvent leurs racines trinitaires dans la pneumatologie (la théologie de l’Esprit) et non dans la christologie ? De telles expériences de révélation ne paraissent pas pouvoir être déduites par la raison humaine comme nous observons les empreintes (footprints) de Dieu dans la création bien qu’une telle déduction de trace, empreinte, vestige (que Luther appelait la connaissance naturelle) puisse avoir une validité très limitée. Non plus ces expériences sont-elles produites par un effort humain, bien qu’elles puissent être invitées et que certains aspects de la création, de la conscience et de la culture soient plus propices à leur réception ( un coucher de soleil plus qu’un parking en béton …). Non, les expériences que beaucoup considèrent comme une révélation sont plus que la réception d’un écho d’une activité passée de Dieu ou une projection humaine de ce qui est transcendanr à nous-même. Plutôt, ces rencontres avec la « awe », cette plus grande présence de la révélation divine sont toujours heureuses, quelque chose qui se tient au-delà d’un agenda ou d’une sagesse de l’homme, mais qui néanmoins a une valeur inhérente et, par moments, transformante pour ceux qui en font l’expérience » ( p 6)
Pourquoi méconnait-on la révélation de Dieu en dehors des églises ?
Autant il en a prouvé la réalité, Robert K Johnson nous montre la méconnaissance des expériences de la révélation divine. Reprenant l’expression selon laquelle « il y un pont entre le ciel et la terre, l’expérience humaine et le transcendant », Robert K Johnston écrit « Cependant les chrétiens ont largement ignoré ce pont quand il se manifestait en dehors de la communauté chrétienne et sans référence directe à Jésus-Christ. Ils ont trop souvent été méfiants vis-à-vis de la plus grande présence de la révélation divine » (7). L’auteur décrit quelques ressorts de cette attitude. Il dresse un bilan du petit nombre d’études publiées depuis cinquante ans au sujet de la « Révélation générale ».
Richard K Johnston va donc rechercher les raisons de silence : une définition trop étroite ; une compréhension biblique trop limitée ; une perception trop pessimiste de l’humanité.
« Plutôt que comprendre la Révélation générale comme toute rencontre avec le Transcendant qui advient en dehors de la communauté croyante et qui n’est pas directement en rapport avec la rédemption, beaucoup l’ont réduit à tort à un plus petit commun dénominateur, limitant la « Révélation générale » à ces vérités générales qui sont communiquées par Dieu à toutes les personnes, dans tous les temps et en tout lieu… C’est une révélation générée divinement, imposée à l’ensemble de l’humanité et impossible à éviter. Ainsi définie, la révélation général reste largement une abstraction – quelque chose que les déistes pourraient affirmer, mais qui est loin de la merveille qui est générée pour certains, par moments, à travers un coucher de soleil ou la réalité transformante d’une nouvelle naissance » ( p 9).
Une meilleure description de la révélation « générale » reconnaitrait que Dieu se révèle lui-même pas seulement à travers l’Ecriture et la communauté croyante, mais aussi à travers la création, la conscience et la culture. Voilà une meilleure manière de voir l’engagement gracieux et continu de Dieu dans et à travers l’Esprit…. Le contenu de cette révélation est bien plus qu’une simple connaissance. Plutôt que de communiquer une nouvelle information qui est ensuite ignorée, la révélation générale comprend une rencontre numineuse qui est souvent transformatrice » ( p 9).
Mieux reconnaitre l’amplitude de la présence de Dieu en dehors des cadres ecclésiaux requiert une compréhension de ka Bible plus large et plus ouverte. La lecture de ka Bible est souvent centrée exclusivement sur l’histoire du salut .
L’auteur se demande si nous ne négligeons pas certains éclairages et certains textes. « Qu’en est-il par exemple des textes de la Bible centrés sur la création ? « L’attention se porte sur certains textes, Romains 1 et 2 par exemple et moins sur d’autres comme Actes 17. « Que fait-on de certaines expériences rapportées dans les Ecritures, des expériences d’hommes et de femmes en dehors de la communauté de l’Alliance et qui ont cependant fait l’expérience de la Révélation de Dieu : Melchisedech ? Abimelech ? le roi Néco ? le roi Lémuel ? Balaam ?… Le biais de la théologie en faveur de la rédemption plus que de la création et plus vers la proposition que vers la narration est peut-être une seconde explication pour la relative pauvreté de la pensée théologique sur le révélation générale.
Une troisième cause de la méconnaissance de la révélation générale réside dans une vision pessimiste de l’humanité. « Le péché aurait tellement troubler et déformer la réceptivité humaine à la révélation divine que la révélation générale est de peu de valeur… Lorsque la révélation générale est reconnue, l’effet du péché est considéré si dévastateur jusqu’à exclure tout contribution positive de la présence continue de Dieu parmi nous…La grandeur et la gloire de Dieu ne serait plus observée par un humanité perdue… Mais est-ce que cela est vrai ? Qu’allons-nous faire du témoignage répété à la grandeur et à la gloire de Dieu que ceux en dehors de l’église rendent à Dieu, fondé sur leur expérience de la création, de la conscience et de la culture ? Comment comprendrons-nous le témoignage répété de l’humanité aux expériences de révélation d’un « mysterium » qui est simultanément « tremendum » et « fascinans » ? Comme chrétiens, comment allons-nous réconcilier notre théologie avec les expériences du numineux ou du sacré que chrétiens et non-chrétiens décrivent pareillement ?
En réponse, Robert K Johnston nous propose une approche herméneutique.
Une herméneutique théologique
Robert K Johnston rapporte « l’histoire de Galilée rapportée par Moltmann : Galilée désirait montrer les satellites de Jupiter à ses opposants. Mais ceux-ci refusèrent de les regarder à travers le télescope. Ils croyaien comme Berthold Brecht le met dans leurs bouches dans sa « vie de Galilée » qu’on ne peut pas trouver de vérité dans la nature – seulement dans la comparaison entre les textes. Et Moltmann écrit à cet égard : « Il n’y a pas de paroles de Dieu sans expérience humaine de l’Esprit de Dieu… ».
L’auteur explique que sa pensée rhéologique résulte d’un dialogue entre plusieurs sources. « Comme théologiens, nous lisons (1) le texte biblique faisant autorité, (2) de notre communauté croyante (3) à la lumière des siècles de la pensée et de la pratique chrétienne (4) comme quelqu’un nourri par une culture particulière (5) qui a un ensemble unique d’expériences. Un tel processus n’est pas linéaire comme la description peut le suggérer, mais en dialogue, avec de multiples perspectives et en continu » ( p 14). Et, récusant une herméneutique du soupçon, l’auteur appelle « une herméneutique qui inclut non seulement l’Ecriture et la tradition de l’église, mais aussi la réceptivité culturelle et nos expérience personnelles . Une conversation robuste, à double sens, est nécessaire ».
Et revenant sur le thème de sa réflexion, l’auteur précise : « C’est à travers la création, la conscience et la culture que nous pouvons observer comment Dieu agit et l’entendre parler Chaque domaine contient la possibilité d’être réellement le lieu d’une rencontre avec l’Esprit de Dieu . C’est, dans les mots de Jürgen Moltmann, une « Transcendance immanente ».
Robert K Johnston apporte un exemple de texte où deux perspectives coexistent. C’est le psaume 19. « Les cieux disent la gloire de Dieu.. » Il n’y a pas de parole, ni de mots… Cependant leur voix s’exprime à travers toute la terre Puis, à la louange de la gloire de Dieu dans la création succède la louange pour la révélation de Dieu dans la Parole, la loi ( Ps 19. 7-10) (Ps 19.1-6). Dans la première séquence, on se réfère à Elohim ; le nom générique pour le Dieu de l’univers. Dans la seconde séquence, on se réfère à Yahweh, le Dieu de la révélation à son peuple et de l’alliance avec lui. Dieu est loué à la fois comme Créateur et comme Rédempteur. ( p 16).
Une approche existentielle
Le psaume 19 s’appuie sur l’expérience. « C’est la même approche existentielle qui offre aujourd’hui le meilleur potentiel pour une théologie robuste de la Révélation générale ». Robert K Johnston va donc poursuivre sa démarche théologique dans les chapitres suivant de ce livre. Il y entendra notamment d’autres théologiens. Et c’est ainsi qu’au Chaotre 7, il consulte John V Taylor, Jürgen Moltmann et Elisabeth Johnson. « Ils l’aideront à explorer le rôle que l’Esprit joue dans la Révélation générale. C’est l’Esprit qui est la Présence révélatrice de Dieu dans le monde.. Ce n’est pas la Christologie, mais la pneumatologie ( la théologie de l’Esprit) qui inspire notre première démarche. Si nous sommes véritablement trinitarien dans notre théologie à l’égard de la révélation de Dieu au-delà des murs de l’église, sommes-nous ouvert aussi à nous mouvoir de l’Esprit à la Parole dans notre pèlerinage théologique, aussi bien que de la Parole à l’Esprit ? Et plus particulièrement, sommes-nous ouvert au témoignage de l’Esprit de Vie dans et à travers la création, la conscience et la culture aussi bien qu’à l’œuvre de l’Esprit du Christ dans la rédemption ? C’est le même Esprit » ( p 17).
C’est dans la même perspective théologique que Richard K Johnston pose la question : « Comment allons- nous comprendre la Présence révélatrice de Dieu ( God’s revelatory Presence) dans et à travers les traditions religieuses ? Ainsi esquisse-t-il, en fin de parcours, une approche de théologie des religions ( p 199-211)
Un nouvel horizon
En Grande-Bretagne, depuis plusieurs dizaines d’années, un Centre de recherche aborde les questions spirituelles à travers la recension et l’étude d’expériences spirituelles et religieuses spontanées, un soudain et passager ressenti d’unité et de reliance, d’amour et de lumière. C’est à partir de ces recherches que David Hay a pu écrite son livre pionner : « Something there » (2). Et encore récemment, un chercheur travaillant dans ce centre, Jack Hunter, a écrit un livre sur le rapport entre ces expériences et l’écologie (4). Nous sommes ici dans le champ de la création. D’autres auteurs abordent le champ de la culture. C’est le cas d’Alexandra Puppinck Bortoli dans son livre « Invitation à la spiritualité » (5) puisqu’elle s’y propose d’y aborder « les expériences sensibles que nous offrent. la poésie, la musique, la beauté, l’art, le sacré, le souffle, la lumière ». Si on voyait là l’œuvre de l ’Esprit, on pouvait s’interroger sur la manière dont ces phénomènes étaient interprétés par les théologiens. La découverte du livre de Richard K Johnston : « God’s wider presence » fut donc pour nous une belle ouverture. Il ne nous montre pas seulement la signification de ce phénomène, mais il nous apprend à y distinguer le mouvement de l’Esprit au grand large, au-delà des frontières des églises. Un de ses collègues à la Faculté Fuller, Richard Peace, résume bien l’apport du livre de Richard K Johnston : « Johnston a écrit là un livre pionnier (seminal book), un livre qui élargit grandement notre compréhension des multiples voies dans lesquelles Dieu est présent dans ce monde. « God’s Wider Presence » ouvre nos yeux nous menant aux espaces de la « awe » et nous aide à interpréter les rencontres porteuses de mystère. Il a le pouvoir de nous rendre conscient des voies jusque-là inaperçues dans lesquelles Dieu est présent dans nos propres vies » (page de couverture)
J H
- La reconnaissance de la « awe » : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
- La vie spirituelle comme conscience relationnelle. La recherche de David Hay : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
- Robert K Johnston. God’s wider presence. Reconsidering general revelation. Baker Academic. 2014 En présentant des extraits, notre traduction n’est pas professionnelle.
- La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
- Invitation à la spiritualité : https://vivreetesperer.com/invitation-a-la-spiritualite/
par jean | Avr 5, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon Ilia Delio
La réflexion sur la vie et la mort est au cœur de notre existence. Dans notre société, elle est ravivée au temps de Pâques. Dans un contexte chrétien, la résurrection de Jésus est proclamée, mais, dans certains milieux, des doctrines et des rites accordent beaucoup d’importance à l’empreinte de la mort. Cependant, c’est bien sur la victoire de la Vie que repose notre espérance. Dans son site : « Center for Christogenesis », Ilia Delio aborde cette question existentielle dans un essai intitulé : « Death anxiety and the cross » (1) (l’angoisse de la mort et la croix). Ilia Delio est une sœur franciscaine américaine, à la fois neuroscientifique et théologienne (2). Inspirée par la pensée de Teilhard de Chardin, en phase avec une culture émergente, elle exprime ici une dynamique spirituelle.
Angoisse de la mort
Selon Ilia Delio, l’angoisse de mort est propre à l’homme.
« La nature vit dans la radicalité de l’amour en étant simplement elle-même. Les arbres et les fleurs, le poisson et la volaille, et toutes les créatures vivantes de la terre existent dans leur unique statut de créature ». « Un arbre ne fait rien de plus que d’être un arbre, mais en étant un arbre, il rend gloire à Dieu », écrit Thomas Merton. La nature ne souffre pas d’angoisse de mort ou de peur de la mort comme les humains en souffrent. Plutôt, toute la nature cède à la mort dans un flux de vie. La vie jaillit à travers les restes carbonisés des arbres morts et dans les cendres de violentes explosions volcaniques. La vie trouve un chemin en poussant à nouveau miraculeusement, en émergeant triomphalement dans une vie nouvelle. Le dernier mot de la vie est la Vie elle-même – et c’est Dieu ».
Au contraire, l’angoisse de mort affecte l’humanité.
L’homme est confronté à la peur de la mort. « La violence délibérée de la nature commence avec l’évolution humaine et la montée d’une conscience auto-réflexive. Et ce que nous savons, c’est que nous mourrons ». On trouve des traces de cette conscience jusque dans l’art préhistorique puisque, entre autres, on trouve des symboles de mort dans la grotte de Lascaux. La mort est présente dans l’histoire d’Adam et Eve dans le livre de la Genèse. « L’angoisse de mort est un état psychologique qui a tourmenté les humains à travers les siècles ».
« Aujourd’hui, le monde moderne est tombé dans une nouvelle angoisse de mort à la pensée de la guerre nucléaire et de l’extinction de masse. Notre vie peut disparaitre en un instant. La pensée d’être personnellement effacé de l’univers par la mort a poussé la personne moderne à faire tout ce qui était en son pouvoir pour préserver son empreinte cosmique, depuis des actions héroïques de dévouement à l’accumulation de richesses pour bâtir des monuments, Nous désirons qu’on se rappelle de nous pour quelque chose de petit ou grand ».
Angoisse de mort et pensée religieuse. Péché originel et expiation
Ilia Delio se demande si l’angoisse de mort ne s’est pas incarnée dans une pensée religieuse mortifère. « Je me demande si l’angoisse de mort ne se tient pas derrière la construction de la doctrine du péché originel… Car il y a un écart logique entre le Nouveau Testament et la formulation tardive de la doctrine chrétienne. Le théologien Paul Tillich faisait remarquer que la doctrine du XIe siècle de Saint Anselme, connue comme la ‘théorie de la satisfaction’ (définition : ‘Christ ayant souffert en tant que substitut de l’humanité, satisfaisant par son infini mérite, les exigences requises par l’honneur de Dieu’) retenait l’attention parce qu’elle apaisait le fardeau de la culpabilité… D’autres théories de l’expiation, incluant la substitution pénale ont également été proposées pendant des siècles pour apaiser le fardeau de la culpabilité dans une humanité difforme qui craint le jugement final et la punition éternelle ».
Ilia Delio montre combien cette doctrine est contraire au message de Jésus. « La doctrine de l’expiation et les théories ultérieures de la substitution pénale sont des développements plutôt tardifs dans le christianisme. En d’autres mots, elles ne sont pas immédiatement associées à Jésus de Nazareth. Dans les quelques premiers siècles de l’Église, l’accent a été mis sur la Résurrection et la vie nouvelle en Dieu plutôt qu’une ‘satisfaction’ due au péché ». Ilia Delio explique comment la théorie de l’expiation a émergé après Augustin. « Comme Dieu s’éloignait de la puissance de la vie, vivante en Jésus-Christ, pour aller vers un Être parfait, immuable, intérieur, essentiel, de même ainsi, le péché originel formulé par Augustin, a commencé à forger une humanité déchue (3). L’omnipotence divine et la dépravation humaine devint corrélée. Le christianisme a été construit sur l’angoisse de mort et la menace existentielle du néant de telle façon que nous n’avons jamais pu parvenir à boire à la source de la vie ressuscitée, la vie spontanée, féconde de l’Esprit qui est créativement nouvelle, porteuse d’espérance et orientée vers le futur ».
En Jésus, la conscience divine
« Depuis le début de sa vie, il y a eu quelque chose de différent en Jésus. Elevé dans une famille juive et fidèle aux rituels et aux fêtes juives, Jésus a fait l’expérience du Dieu d’Abraham et de Moïse au cœur de sa propre vie. L’Esprit du Seigneur était sur lui de telle façon qu’il ressentait l’expérience de Dieu en lui. Il était un homme simple et probablement sans instruction, et il a travaillé comme charpentier jusqu’à il se soit senti poussé à parler au nom du royaume de Dieu, comme si quelque chose de nouveau faisait irruption à travers lui – ce que Larry Hurtado et d’autres ont appelé une mutation de conscience (4). La puissance de Dieu s’enflamma en lui, et de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine (Godly-person) émergea. La puissance de Dieu brûlait en lui, et de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine (Godly-person), a émergé. Jésus a changé les frontières humaines, se montrant être humain et divin à la fois. La puissance du Dieu d’Abraham s’exprimait maintenant dans une personne humaine.
L’ ‘incarnation’ était si contraire au sens commun qu’elle a déstabilisé des catégories chosifiées. Se montrant délibérément comme un humain avec une conscience divine, Jésus a révélé l’arbitraire et le caractère construit de ce que d’autres considéraient être la norme. Sa vie et son ministère ont déstabilisé des valeurs établies. La présence de Dieu ressentie profondément en lui, a poussé Jésus au-delà de la norme. Il devint un perturbateur, un dérangeur, celui qui choquait les autres en ne répondant pas à leurs attentes. ‘N’est-ce pas le fils du charpentier ?’ demandaient-ils ». Ilia Delio nous montre Jésus brouillant les frontières et les habitudes de pensée. « Jésus était incontrôlable parce qu’il était complétement libre. Il y avait en lui une puissance à l’œuvre, non pas une puissance de domination, mais une puissance d’amour, de pardon, de compassion, un pur désir de relever les déchus, d’aider les blessés et de soigner les malades. Jésus se sentait concerné par la personne humaine et par son inclusion dans la communauté. Il a déplacé la focalisation sur le Dieu d’en haut à celle sur le Dieu de l’intérieur… Il a vécu de l’énergie spontanée de l’amour qui vous propulse vers une relation créative ».
« Jésus est un formidable modèle quant à la manière d’être une personne humaine ouverte à et en relation avec la puissance de la vie elle-même, la puissance de Dieu. Jésus est Dieu vivant et aimant dans la chair. Nous ne pouvons pas nous détourner du fait que Dieu est le nom de la Vie elle-même, non un Être, mais le dynamisme d’un Être vivant, relationnel, actif, orienté vers davantage de vie. Prier Dieu, ce n’est pas simplement réaliser un acte d’adoration, mais plutôt prier est être conscient de la vitalité de Dieu en nous et autour de nous. Adorer requiert une vitalité nouvelle en célébration et en communauté, anticipant un nouveau futur ensemble et célébrant la vie nouvelle émergeant parmi nous ».
La croix et une vie invincible
« Il est important de porter attention aux derniers jours de la vie de Jésus telle qu’elle est racontée dans les Évangiles. Un homme innocent, trahi, humilié, injustement accusé de subversion politique, et puis jeté dans une foule en colère qui demande sa mort en échange de la libération d’un criminel. ‘Il a été conduit comme un agneau à l’abattage’ acceptant le destin de la mort sans résistance. Quel genre de personne accepterait volontairement la mort à un âge jeune à moins qu’il ne soit conduit par une croyance ou un engagement plus fort que la mort ? »
Ilia Delio apporte à cette occasion sa réflexion sur la mort : « La mort de Jésus était déjà inscrite le jour où il est né. De la même façon que notre mort est déjà une donnée quand nous ouvrons nos yeux dans l’univers. Nous vivons dans la perspective de mourir, parce que la mort est la forme finale de notre personnalité, l’empreinte que nous laissons dans le cosmos pour toute l’éternité. La mort n’est pas la fin, mais le premier acte plénier de notre personnalité. Comment nous vivons jusqu’à ce premier acte plénier de notre personnalité est le chemin de la vie elle-même. Le plus limité nous vivons, le plus égoïste nous sommes, moins nous contribuons à l’éternelle créativité cosmique de la vie ».
« Jésus a agi comme celui qui était subversif, mais cependant comme celui qui était sans ego séparé. Sa liberté radicale était la liberté de l’amour, compassion, pardon, miséricorde, guérison et espérance. Agir dans un amour subversif, c’est savoir que l’amour fait partie de la vie. Jésus commença son ministère sans avoir peur de mourir parce que la puissance de Dieu était si forte en lui que la vie elle-même ne pouvait être éteinte. L’amour radical vous demande de vivre dans la victoire ultime de la vie, qui est Dieu ».
Ilia Delio envisage la mort de Jésus dans la plénitude de l’amour. « Jésus est mort dans la plénitude de l’amour. ‘Tout est accompli’ a-t-il dit. L’amour est complet quand nous avons fait tout ce que nous pouvons pour réaliser l’amour dans les personnes que nous sommes. Jésus est mort dans une mort terrible parce qu’il croyait que Dieu ne pouvait être anéanti par la terreur d’un pouvoir humain. Et il avait raison ». Notre véritable ennemi, « c’est la distorsion du pouvoir, un pouvoir qui s’érige à partir d’un niveau de pensée enfermé dans nos propres peurs égoïstes ».
Ilia Delio fait le procès de l’intellectualisme : « Nous nous enorgueillissons du pouvoir des idées, nous pensons qu’elles peuvent nous sauver, mais nous oublions comment être nous-mêmes ».
Au moment des célébrations de Paques, Ilia Delio ne se reconnaît pas dans ‘des liturgies interminables ou des prières en termes de formules’. « Cela devait être une célébration tous azimuts de la vie ». Elle appelle des « cris exprimant que la vie ne peut être anéantie par la mort, un engagement dans tout ce nous avons et tout ce que nous sommes, envers la plénitude de vie, la conviction que Dieu est actif et vivant dans la personne humaine, dans les arbres, les plantes, les petits animaux, les créatures vivantes de la terre… ». « Si nous nous sentions nous-mêmes remplis par ce Dieu de vie, alors nous nous précipiterions dans les chemins où la vie est bloquée par l’injustice, la guerre, l’insouciance, l’avidité, la pauvreté ». Ilia Delio évoque le remue-ménage fécond qu’on peut observer dans la vie de Jésus. C’est le fruit d’ ‘une vie remplie de l’Esprit’.
Les compétences conjuguées d’Ilia Delia, sa référence à la pensée de Teilhard de Chardin, sa perception de l’évolution des mentalités lui permettent de fonder sa théologie dans un champ de vision très large. Certes, certains de ses points de vue peuvent être contestés comme comportant trop de distance avec une interprétation biblique classique, mais, comme dans ce texte, elle apporte des éclairages qui font sens. Ici, en effet, elle aborde une question existentielle : la manière dont la condition mortelle de l’homme engendre une angoisse profonde qui se manifeste tout au long l’histoire de l’humanité et qui nous concerne chacun. Il arrive que la religion amplifie cette angoisse, comme ce fut le cas avec la théorie de l’expiation. Ici, Ilia Delio nous apporte une réponse libératrice. En effet, elle sait nous présenter comment, à un tournant de l’histoire juive, Jésus a fait l’expérience du Dieu d’Abraham et de Moïse au cœur de sa propre vie. La puissance de Dieu se manifesta en lui et, de cette puissance, un nouveau genre de personne, une personne divine émergea. Dans une puissance d’amour, de pardon, de compassion, il bouscula les habitudes et les frontières. Ce mouvement se heurta à une violente opposition qui provoqua sa mort terrible sur la croix. Mais, au total, c’est la dynamique de la vie divine qui l’a emporté. Jésus avait commencé son ministère sans avoir peur de mourir parce que la puissance de Dieu était si forte en lui que la vie elle-même ne pouvait être éteinte. Il est mort dans une mort terrible parce qu’il croyait que Dieu ne pouvait être anéanti par la terreur d’un pouvoir humain. Jésus est mort dans la plénitude de l’amour. L’amour radical nous demande de vivre dans la victoire ultime de la vie, qui est Dieu. Le texte d’Ilia Delio se termine sur une affirmation de la victoire finale de la Vie.
J H
- Death anxiety and the cross (les extraits sont traduits à partir de la version anglaise (traduction personnelle non professionnelle). Il existe une traduction française automatique) https://christogenesis.org/death-anxiety-and-the-cross
- Une spiritualité de l’humanité en devenir : https://vivreetesperer.com/une-spiritualite-de-lhumanite-en-devenir/
- Lytta Basset. Oser la bienveillance : https://vivreetesperer.com/bienveillance-humaine-bienveillance-divine-une-harmonie-qui-se-repand/
- Comment la conscience de la divinité de Jésus est apparue : https://vivreetesperer.com/comment-la-conscience-de-la-divinite-de-jesus-est-apparue/
par jean | Fév 20, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
(Divine love in uncertain times)
Chacun éprouve des moments difficiles dans sa vie, des moments où l’inquiétude apparait. Mais ce qui se passe au plan personnel, advient également au plan collectif. Nous ressentons des menaces de tous ordres : écologique, politique, économique, social. Les médias bruissent de catastrophes… Vers quoi allons-nous ? Les temps sont incertains. Sommes-nous seuls et sans recours ? Et Dieu dans tout ça ? est-il bien là ? Nous aime-t-il intimement, constamment, vigoureusement ? Dans une vie chrétienne, les réponses sont là. Mais n’avons-nous pas besoin de nous les rappeler pour en vivre ? Et la vision de l’amour Divin n’est-elle pas à partager comme source de confiance et de paix pour tous les humains ? Dans les méditations quotidiennes (Daily meditations) du Center for action and meditation, Richard Rohr consacre une séquence d’une semaine (3-9 novembre 2024) à « l’amour divin en des temps incertains » (1).
Confiance dans l’amour
Nous sentons-nous aimés de Dieu ? Certes, il y a des obstacles à surmonter. Quelle attitude avons-nous envers nous-même ? Sommes-nous bienveillants à notre égard ou, quelque part, en sommes-nous empêchés ? Sommes-nous en disposition de recevoir ? Et puis, sommes-nous en mesure de percevoir une réalité autre que notre propre agitation mentale ou les schémas de pensées aveugles à une ouverture spirituelle ? Notre foi en Dieu, si foi il y a, est-elle vraiment éclairée ? Est-ce une croyance fondée sur l’obéissance et la peur ? Richard Rohr nous répond. « La foi en Dieu, ce n’est pas une foi juste pour croire en des idées spirituelles. C’est avoir confiance en l’amour lui-même. C’est avoir confiance dans la réalité elle-même. En son fond, la réalité est OK. Dieu est en elle. Dieu se révèle en toutes choses, même à travers du triste et du tragique, comme la doctrine révolutionnaire de la Croix le révèle ». Dieu serait-il lointain et indifférent ?
Richard Rohr nous rappelle que nous ne sommes jamais séparés de l’amour de Dieu et il nous montre comment nous pouvons en avoir conscience : nous ne pouvons atteindre la présence de Dieu parce que nous sommes déjà dans la présence de Dieu. « Combien peu nous réalisons que l’amour de Dieu nous maintient en existence à travers chaque respiration que nous prenons. Comme nous prenons une nouvelle respiration, cela signifie que Dieu nous choisit maintenant et maintenant et maintenant »
Mais « pour vivre cela, nous avons besoin de désapprendre certaines choses. Pour devenir conscient de la présence aimante de Dieu dans nos vies, nous devons accepter que la culture humaine soit dans une transe hypnotique collective. Nous sommes des somnambules. Tous les grands maitres religieux ont reconnu que, nous, les êtres humains, ne ‘voyons’ pas naturellement ; il nous faut apprendre comment le faire ; Jésus dit : ‘si ton œil est sain, tout ton corps est éclairé’ (Luc 11.34). La religion est conçue pour nous enseigner à témoigner et être présent à la réalité. C’est pourquoi Bouddha et Jésus nous disent de la même voix : ‘Sois éveillé’. Jésus nous parle de veiller et de rester en observation (Matthieu 25.16, Luc 12.37, Marc 13. 33-37) et Bouddha veut dire : ‘Je suis éveillé’ en sanscrit.
Toutes les disciplines spirituelles ont pour but de nous débarrasser des illusions de manière à ce que nous soyons complètement présents ‘à’. Ces disciplines existent aussi pour que nous puissions voir ce qui est, voir ce que nous sommes et voir ce qui arrive. Ce qui est, est amour, à tel point que même le tragique soit utilisé à des fins de transformation en amour. C’est Dieu qui est amour, nous offrant la réalité de Dieu à chaque moment, comme la réalité de notre vie. Ce que nous sommes est amour parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Ce qui arrive, c’est la vie de Dieu en nous, avec nous et à travers nous, comme notre manifestation unique de Dieu. Et chacun de nous est un peu différent parce que les formes de l’amour sont infinies ».
Cette méditation se traduit dans une prière dont nous reprenons la traduction en français sur internet. Elle nous aide à enter dans la conscience de l’amour de Dieu
« Dieu amoureux de la vie, amoureux de ces vies
Dieu, amoureux de nos âmes, amoureux de nos corps, amoureux de tout ce qui existe
C’est ton amour qui maintient tout en vie
Puissions-nous vivre dans cet amour
Puissions-nous ne jamais douter de cet amour
Puissions-nous savoir que nous sommes amour
Que nous avons été créé avec amour
Que nous sommes un reflet de toi
Que tu t’aimes en nous et que nous sommes donc parfaitement aimables
Puissions-nous ne jamais douter de cette bonté profonde, durable et parfaite
Nous sommes parce que tu es »
Un amour au-delà
Love beyond
La séquence se poursuit par deux contributions mettant l’accent sur le caractère révolutionnaire de la mise en œuvre de l’amour de Dieu, une contribution de Martin Luther King rapportant l’amour pardonnant de Jésus sur la croix et une contribution de Brian McLaren nous invitant à pratiquer un amour révolutionnaire.
Martin Luther King considère la puissance de l’amour en celui que Jésus a manifesté à sa mort.
« Peu de mots dans le Nouveau Testament expriment plus clairement et plus solennellement la magnanimité de l’esprit de Jésus que sa sublime expression de la croix : ‘Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’ (Luc 23.34). Voici l’amour au maximum. » il y a là une prise de position exemplaire par rapport au cours violent de l’histoire où se manifeste la loi du talion et le désir de revanche. « En dépit du fait que la loi de la revanche ne résout aucun problème social, les gens continuent à suivre cette voie désastreuse. De la croix Jésus affirme éloquemment une loi plus élevée. Il sait que la vieille philosophie du ‘œil-pour-œil’ laisserait chacun aveugle. Il ne cherche pas à surmonter le mal par le mal. Il a surmonté le mal par le bien. Bien que crucifié par la haine, il a répondu avec la force de l’amour ».
Brian McLaren nous invite à pratiquer un amour révolutionnaire. « Un amour révolutionnaire veut dire aimer come Jésus aimerait ; infiniment, gracieusement, avec extravagance. Pour le dire en des termes plus mystiques, cela veut dire aimer avec Dieu, laissant son amour divin me remplir et couler à travers moi, sans discrimination, ni limite, comme une expression du cœur de l’amoureux, non le mérite de l’aimé, incluant la correction de ses croyances. Dans le sermon sur la montagne, Jésus n’enseigne pas une liste de croyances à être mémorisées et récitées. A la place, il enseigne un genre de vie qui culmine dans un appel à un amour révolutionnaire. Cet amour va plus loin au-delà d’un amour conventionnel qui distingue entre nous et eux, frère et autre, ou ami et ennemi (Matthieu 5.43). A la place, nous avons besoin d’aimer comme Dieu aime avec un amour non-discriminatoire qui inclut même l’ennemi ». Brian Mclaren nous appelle en conséquence à ne pas nous distinguer par des étiquettes religieuses. « Sommes-nous un croyant qui met sa croyance distincte d’abord ou sommes-nous une personne de foi qui met l’amour d’abord ? ».
Faire confiance dans la paix du Christ
Trusting in Christ’s peace
Faire confiance dans la paix du Christ, voilà bien une attitude à laquelle, chacun, nous aspirons. Barbara Harris, évêque épiscopalienne nous invite à cette confiance à partir d’un texte évangélique bien connu : « Jésus se réveilla, menaça le vent et dit à la mer ‘Silence ! tais-toi !’. Le vent cessa et il y eut un calma plat. Jésus dit à ses disciples ‘Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ?’ (Marc 4.39-40) ». Dans la confusion actuelle, n’avons-nous pas besoin de bonne nouvelle ? En voici une, nous dit-elle. Et elle évoque les disciples paniqués, comme nous pouvons l’être. « Ce qu’ils ne comprenaient pas, et ce que beaucoup ne comprennent pas aujourd’hui, c’est que même si nous pouvons paniquer en période de stress, Dieu ne partage pas notre panique » et les conséquences de la panique sont elles-mêmes désastreuses. « Si le Christ est au centre de notre vie, nous n’avons pas à nous précipiter dans des actions irrationnelles ». « Non seulement le Christ est sur le navire, mais le Christ est aux commandes – même quand il semble endormi ». « Celui qui veille sur Israël ne sommeille, ni ne dort » (Psaume 121.3). Et quel réconfort de penser ainsi : « Son œil est sur le passereau et je sais qu’il me regarde » (Matthieu 10.20). « Jésus nous entend quand nous appelons, mais il refuse de se précipiter quand nous appuyons sur le bouton de panique ». Nous tendons alors « à voir seulement ce que nous pouvons voir, compter, toucher et sentir, nous oublions que de telles choses s’en vont. Nous avons besoin d’entendre les mots du vieux cantique qui nous invitent « à mettre nos espoirs dans les choses éternelles et nous tenir à la main constante de Dieu ».
Amour de Dieu, prière et politique
Richard Rohr associe action et contemplation
« Nous avons fondé le Centre pour l’action et la contemplation en 1987 pour être un lieu d’intégration entre l’action et la contemplation. J’envisageais un lieu où nous pourrions apprendre à prier aux activistes du mouvement social – et encourager les gens qui prient à vivre des vies de solidarité et de justice ».
La prière contemplative ouvre une autre dimension. « La prière contemplative nous permet de bâtir notre propre maison. Prier, c’est découvrir que Quelqu’un d’autre est à l’intérieur de notre maison, cependant, poursuivre la prière, c’est ne pas avoir une maison à protéger parce qu’il y a seulement Une maison. Et cette maison unique est la maison de chacun. En d’autres mots, ceux qui prient du cœur, vivent en fait dans un monde très différent. J’aime dire que c’est un monde imprégné par le Christ, un monde dans lequel la matière est vivifiée par l’Esprit et l’Esprit est incarné dans ce monde. Dans ce monde, chaque chose est sacrée et le mot ‘Réel’ prend un sens nouveau… Nous serons un genre très différent de citoyens et l’état ne pourra pas compter aussi facilement sur notre allégeance. C’est la politique de la prière. Et c’est probablement pourquoi les gens vraiment spirituels sont toujours une menace pour les politiciens de tous genres. Ils veulent notre allégeance et nous ne pouvons plus la leur donner. La maison est trop grande ».
Face aux grands défis actuels, un engagement social et politique est nécessaire, Ricard Rohr nous invite à nous mouvoir vers des vies de ‘sainteté politique’ (political holiness). Il nous communique sa vision. « Voici ma théologie et ma politique : il m’apparait que Dieu aime la vie. La création ne cesse pas. Nous aimerons, créerons et entretiendrons la vie. Il m’apparait que Dieu est amour – un amour patient et persévérant.
Nous chercherons et ferons confiance à l’amour dans toutes ses formes humanisantes (et donc divinisantes) ; Il m’apparait que Dieu aime la diversité dans ses multiples traits, visages et formes ; Nous n‘aurons pas peur de l’autre, du pas-moi, de l’étranger à la porte. Il m’apparait que Dieu aime – est – la beauté. Regardons à ce monde. Ceux qui prient savent déjà cela. Leur passion sera pour la beauté ».
« Prier, c’est se mettre en position d’une confiance radicale en la grâce de Dieu, et de participer à peut-être ce qui est le mouvement le plus radical de tous : le mouvement de l’amour de Dieu ».
La séquence se poursuit par un accent sur l’engagement. La dernière livraison nous appelle à accepter l’imperfection chez les autres et de reconnaitre notre propre imperfection. Cette acceptation ne va pas de soi. Mais « l’amour divin inclut l’imperfection, ce qui en est une caractéristique. Sans la grâce de Dieu, nous ne pouvons pas le faire ». Là aussi, nous avons besoin de reconnaitre « la vie et la grâce de Dieu qui coule à travers nous ».
Rapporté par J H
(Traduction non professionnelle)
- https://cac.org/daily-meditations/divine-love-in-uncertain-times-weekly-summary/
par jean | Jan 8, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
L’apport de femmes mystiques à la spiritualité contemporaine
Selon Shannon K Evans
Aujourd’hui, aux Etats-Unis, une partie du christianisme vit sous l’emprise d’une hiérarchie conservatrice qui maintient un esprit de domination qui s’exerce, entre autres, vis-à-vis des femmes. Soumises à cette pression, beaucoup de femmes s’interrogent dans leur for intérieur sur la voie à suivre, et s’engagent, en conséquence dans une quête spirituelle. Ainsi un livre vient de paraitre récemment : ‘The mystics would like a word. Six women who met God and found a spirituality for today’ (Les mystiques voudraient prendre la parole. Six femmes qui ont rencontré Dieu et ont trouvé une spiritualité pour aujourd’hui) (1).
Le cheminement de l’auteure : d’une emprise conservatrice à une quête spirituelle libératrice
L’auteure, Shannon K Evans nous fait part des raisons qui l’ont poussée à écrire ce livre. De fait, dans sa quête, Shannon K Evans s’est convertie au catholicisme. Cette jeune femme moderne qui se reconnait dans des aspirations féministes, se ressent de plus en plus mal à l’aise dans le milieu catholique dans lequel elle s’est inscrite. « Trop souvent, certains problèmes paraissent malvenus dans nos milieux religieux. Par exemple, quand je dis que je suis chrétienne et féministe, je trouve que le côté chrétien fait peur aux féministes et que le côté féministe fait peur aus chrétiens » (p 4).
Shannon raconte comment elle faisait partie d’un ministère catholique où ses écrits étaient appréciés au départ. Cependant, commençant à ressentir dans ce milieu, une tonalité conservatrice qui n’était pas la sienne, elle commença à s’autocensurer : « Je ne me sentais plus la permission de me faire confiance, de faire confiance à ma conscience et à la manière dont je comprenais l’Esprit au dedans de moi ». Shannon est parvenue à se détacher : « J’ai trouvé le courage de retourner à ma propre voie ». Elle nous raconte l’épreuve qu’elle a vécu. « Dans mes écrits, j’émettais de petites critiques vis-à-vis du patriarcat et je plaidais pour un leadership sérieux incluant l’ordination des femmes. Je critiquais le mélange entre l’église et l’état assurant des avantages aux politiciens. Je parlais ouvertement de mon amour pour le yoga et l’ennéagramme. Même si j’exprimais ces opinions uniquement sur mon blog personnel et des médias sociaux, mon statut à l’intérieur du ministère commença à s’‘écrouler. Des plaintes furent portées contre moi par des lecteurs de longue date. Un prêtre et un évêque travaillèrent pour me faire taire, ce qui m’ouvrit les yeux sur le mal du cléricalisme. Quand la direction du ministère me demanda de cacher entièrement mes convictions personnelles si je désirais rester dans le personnel, je démissionnais de la manière dont j’espérais qu’elle soit la plus amiable. Je ressentis un choc quand la grande majorité des femmes que je considérais comme des amies, ne me parlèrent plus. J’eus le sentiment d’avoir été utilisée puis abandonnée » (p 5).
Shannon a poursuivi sa quête spirituelle. Convertie depuis dix ans au catholicisme, elle nous raconte que les saintes y étaient toujours présentées comme ‘dociles’. Alors la lecture du livre de Mirabai Starr, ‘Wild mercy . Living the fierce and tender wisdom of women mystics’ (Miséricorde sauvage : vivre la sagesse intense et tendre des femmes mystiques), fut un évènement pour Shannon. Le livre présentait des femmes mystiques de différentes traditions religieuses et de différentes spiritualités. Cependant, un peu à sa surprise, les mystiques chrétiennes qu’elle y remarqua devinrent ses favorites. « Ces femmes étaient vraies, fascinantes, croyables ». Du coup, elle prit conscience des écueils de la présentation traditionnelle des saintes, conditionnée par le regard masculin. Alors, dans une relation d’amour spirituel avec ces femmes, elle se décida à écrire un livre à leur sujet. Ainsi, elle choisit : Thérèse d’Avila, puis Julian de Norwich, Hildegarde de Bingen, Margerie Kemp, Catherine de Sienne et enfin, après quelques hésitations, Thérèse de Lisieux.
On remarque qu’elles étaient en majorité des sœurs religieuses, les couvents à l’époque les libérant d’un certain nombre de contraintes familiales. Shannon précise le sens qu’elle attribue au terme de mystique. « Une mystique est juste quelqu’un qui a fait l’expérience de l’éternel et a choisi d’en connaitre plus. Le mysticisme n’est pas réservé à quelques privilégiés, mais chacun de nous y est invité. Il y a seulement une génération, le théologien jésuite Karl Rahner a dit : ‘Le chrétien du futur sera un mystique ou n’existera pas’ ». Dans ce livre, Shannon a découvert la sagesse de ces femmes mystiques comme un trésor : « Leurs visions demeurant pertinentes pour aujourd’hui ». « Je suis moi-même ébahie de voir combien leurs rêves allaient vers le progrès et combien elles semblent actuelles dans ce moment particulier de l’histoire » (introduction).
Thérèse d’Avila
« Avoir confiance en soi ne fait pas de vous une hérétique »
Ce chapitre sur Thérèse d’Avila commence par un rappel des expériences désagréables de pression que Shannon K Evans a vécu, une invitation de son environnement à la soumission. C’est aussi ce que beaucoup d’autres femmes éprouvent, nous dit-elle. « En vue de maintenir notre sens d’appartenance, nous nous disciplinons pour rester à l’intérieur des frontières de ce que nous sommes autorisées à penser, croire ou pratiquer plutôt que d’exprimer ce que nous pensons, croyons ou désirons pratiquer vraiment » (p 6). Mais Shannon précise « Cela ne signifie pas que nous voulions nous débarrasser de notre boussole intérieure. Si nous cherchons sincèrement à vivre en union avec l’Esprit, alors avoir confiance en nous-même comme portail de la vie divine peut être une voie pour nous mouvoir de l’enfance spirituelle à la maturité spirituelle. Jésus lui-même a dit que ‘le Royaume des Cieux n’est pas à votre gauche ou à votre droite, mais à l’intérieur de vous’ (Luc 17.21) » (p 6). Cela peut paraitre effrayant ; « Il peut paraitre plus sûr de chercher le Royaume des Cieux à l’extérieur de nous-mêmes, en regardant à des figures d’autorité, à la culture religieuse ou au filet de sécurité de l’orthodoxie. On ressent un certain sens de sécurité en croyant que quelqu’un d’autre sait mieux que nous ». En rappelant la parole de Jésus sur le Royaume des Cieux à l’intérieur de nous, Shannon évoque « une petite voix pour nous guider, une manière d’apprendre à écouter profondément ce que nous croyons déjà. C’est mettre l’accent sur une capacité d’avoir confiance en nous-même.
Shannon nous raconte la vie de Thérèse d’Avila. Elle est née en 1515. Sa lignée était juive, mais l’antisémitisme et la puissance impériale ont contraint son grand-père paternel à se convertir au catholicisme dans l’espoir d’un avenir meilleur pour ses enfants. Mais l’inquisition veillait. La famille fut suspectée et exposée à une vindicte populaire. Le père de Thérèse vécut enfant cette humiliation et jura de ne pas y retomber en adoptant un catholicisme rigide. Pourtant, dans la dernière moitié de sa vie, sa fille Thérèse fut elle aussi suspectée par l’inquisition. L’auteure nous raconte l’enfance et l’adolescence de Thérèse, une petite, puis jeune fille très douée : « charmante, imaginative, intense et charismatique ». « Elle était un leader naturel ». Avec son frère, elle s’est lancée dans des aventures pieuses. A l’adolescence, une certaine dissipation apparait. Ayant eu écho d’une relation amoureuse de sa fille, son père veuf et scrupuleux l’envoie vivre un moment dans un couvent. A la surprise de tous et à la sienne, elle s’y plait. « Après un temps de discernement, elle entre au monastère carmélite à 19 ans et prononça ses vœux, deux ans plus tard, prenant le nom de « Thérèse de Jésus » (p 9).
Durant sa vie consacré, Thérèse a énormément écrit. « C’était une femme qui avait quelque chose à dire et la confiance pour le dire. Chacune de ses quatre principales œuvres est considérée comme un apport inestimable pour l’évolution de la tradition mystique, mais c’est « Le Château intérieur » qu’elle écrivit vers la fin de sa vie, qui est généralement considéré comme son chef d’œuvre spirituel. Elle y décrit l’âme comme un château avec sept demeures ou maisons, dans une spirale interne. La première maison est le pas initial et sincère dans notre marche vers Dieu. La septième est celle où la personne vit l’expérience d’une pleine félicité dans l’union avec le divin. Et les cinq demeures entre ces deux états représentent des étapes progressives de maturité spirituelle et de conscience éveillée au long du voyage. Comme nous voyageons vers la maturité spirituelle, explique-t-elle, nous passons nécessairement par chaque demeure du château intérieur, avançant de plus en plus profondément en nous-même – et, en même temps – entrant en Dieu de plus en plus profondément ».
« Il ne peut être exagéré de souligner le caractère radical de cette idée venant d’une femme catholique espagnole au temps de l’inquisition ». A cette époque, la spiritualité de la plupart des gens consistait en une déférence vis-à-vis de l’autorité et une peur de la vie après la mort. « Les autorités ecclésiastiques prirent note de la radicalité des idées de Thérèse – et ils essayèrent de l’empêcher de parler ». Elle ne s’excusa pas et elle résista solidement aus hommes qui, dans leur pouvoir patriarcal, espéraient l’intimider en l’amenant à se soumettre.
Actualité de la spiritualité de Thérèse d’Avila
« Thérèse enseignait que l’unité avec Dieu ne se trouve pas en travaillant à monter à une échelle pour aller au ciel, mais plutôt en plongeant dans nos mines profondes à l’intérieur de nous-même. Non pas une ascension, dirait-elle, mais une descente. La distinction est importante. Beaucoup d’entre nous passent des années à recevoir le message religieux qui nous dit que nous devons nous transcender nous-mêmes pour être unie à Dieu, ce qui peut signifier : changer nos personnalités, ne pas penser à nous-mêmes, supprimer nos sexualités, nous obséder sur le péché, et toutes sortes d’autres choses… Thérèse nous dit que nous n’avons pas à monter au-dessus de nous-mêmes, pour rencontrer Dieu, mais plutôt, avec curiosité et vulnérabilité, nous devons plonger en nous-même… ‘Qu’est-ce qui serait pire que n’être pas chez soi (at home) dans notre propre maison’ dit-elle ». « Quel espoir avons-nous de trouver le repos en dehors de nous-même si nous ne pouvons pas être à l’aise à l’intérieur ? »
Cette vision doit être envisagée dans sa profondeur. Shannon K Evans raconte comment elle s’est fourvoyée, un moment, en cherchant dans quelle demeure elle pouvait se trouver. Elle a pu mieux se situer grâce à un écrivain versé en spiritualité, James Finley. Elle y a trouvé une mise en garde vis-à vis d’un désir de tout mesurer. « Nous essayons toujours d’évaluer si nous sommes en tête, derrière ou dans la moyenne. Nous cherchons désespérément à trouver une mesure pour savoir si nous sommes sur le bon chemin, si Dieu est satisfait de nous ou si nous devrions nous sentir fier ou honteux » (p 12). « Il y a une différence entre approcher la spiritualité sur le fondement de la production ou sur celui de la relation. A l’Ouest, nos structures religieuses reflètent presque toujours notre culture colonisatrice, où les victoires sont célébrées, où la compétition est une donnée, et ou le progrès est linéaire. Pourrions-nous élargir nos imaginations spirituelles ? Avec un fondement de relation – avec nous-même, avec les autres et avec Dieu – notre foi peut grandir dans un espace de connexion plutôt que dans un espace de performance et de conquête. Dans cette approche féminine plus traditionnelle, la santé et la plénitude des gens l’emportent sur le légalisme et sur les absolus immuables. La vie de Jésus est l’incarnation de ce qu’est un fondement spirituel relationnel. ‘Le sabbat a été fait pour les hommes et non les hommes pour le sabbat’, dit-il. Si notre formation spirituelle est enracinée dans la nourriture de la relation, alors notre croissance prend forme et est mesurée différemment » (p 12).
Selon Thérèse d’Avila, « la vie spirituelle n’est pas une ligne droite, mais une ondulation où nos pas semblent nous conduire loin de nos objectifs. Nous faire confiance. Faire confiance à l’Esprit qui nous conduit… On ne risque pas de perdre notre chemin, car c’est la Voie qui nous conduit » (p 13-14).
« Il est très important, mes amis, de ne pas penser à l’âme comme sombre. Nous sommes conditionnés pour ne voir que la lumière externe. Nous oublions qu’il y a la réalité de la lumière intérieure illuminant notre âme ». « Si ces paroles de Thérèse d’Avila étaient révolutionnaires au Moyen âge, d’une certaine manière, elles le paraissent encore aujourd’hui bien qu’un peu moins ». « Notre culture religieuse sélectionne des versets sur ‘mourir à soi-même’. Certains cercles critiquent des livres spirituels modernes en les assimilant à des livres d’auto-assistance (self-help) comme si la spiritualité et le fait de s’aider soi-même ne pouvaient pas aller de pair. »
Shannon K Evans rappelle ici que Thérèse d’Avila défendait la thèse que le soi (self) est digne de connaissance ; ses écrits se fondent sur l’assomption que votre soi, votre monde intérieur, chaque chose qui est communiquée en vous et à travers vous, est sainte et digne de découverte ; « Quelle honte qu’à travers notre inconscience, nous ne nous connaissions pas nous-mêmes », écrit-elle. « Thérèse d’Avila, une des maitresses de prière de l’histoire, est convaincue que nous ne pouvons pas connaitre Dieu en dehors de nous connaitre nous-même, que nous nous dirigeons vers l’union divine seulement quand nous cherchons à comprendre les secrets sacrés à l’intérieur de nous et les mystères sacrés qu’ils contiennent. Sachant combien elle est un ‘gourou’ mystique internationalement reconnu – ce que nous ne sommes pas ! – peut-être devrions-nous considérer sérieusement ce qu’elle dit » (p 15).
Shannon évoque sa maternité. Elle a donné naissance à quatre enfants. Elle nous raconte comment une de ses amies presse de baptiser le plus tôt possible les nouveau-nés. « L’urgence vient de l’accent sur le péché originel : la croyance que l’âme humaine est née intrinsèquement pécheresse et qu’elle doit être rachetée par le baptême aussi vite que possible » (p 15). Au contraire, l’expérience de la maternité a développé chez Shannon une autre croyance : « la conviction que l’âme humaine est premièrement marquée par ce que certains appellent ‘la bénédiction originelle’ (original blessing ) – ou selon Hildegarde de Bingen la ‘sagesse originale’ (original wisdom) – plutôt que par le péché originel » (p 16). Shannon n’ignore pas la réalité du péché, mais elle en refuse l’obsession. « En fait, le péché originel est un concept qu’on ne trouve pas du tout dans les écritures juives – dans ces écritures qu’on dit être le fondement de la foi chrétienne et que Jésus a étudiées et citées. L’idée du péché originel a été mise en œuvre pour la première fois par saint Augustin au Ve siècle » (p 16). On ne peut négliger la réflexion théologique. « Ce que nous croyons importe. La manière dont nous voyons notre état premier détermine ce que nous ressentons au sujet de nous-même, notre capacité à accepter l’amour de Dieu pour nous et la permission de faire confiance à l’Esprit » (p 16). C’est là que la pensée de Thérèse d’Avila parait libératoire. « Thérèse d’Avila mettait l’accent sur la ‘lumière intérieure’ (inner light) qui illumine notre âme. Shannon évoque la jeune femme du Cantique des Cantiques qui s’écrie : ‘Je suis sombre, mais belle’ (dark, but lovely). Et elle l’interprète ainsi : « Nous n’avons pas à prétendre que notre péché et notre faiblesse n’existent pas pour embrasser la lumière et la beauté de nos âmes. Nous résoudre à faire confiance à nos âmes ne signifie pas que nous croyons être parfaites. C’est simplement nous donner la dignité d’avoir confiance que quand nous provoquons du gâchis, quand nos ‘manquons le but’ (ce que le mot péché signifie littéralement), nous serons capables de rééquilibrer. La boussole à l’intérieur de nous est puissante et vraie, tenue solidement par l’Unique qui tient toutes choses ensemble. Nous pouvons être sombres, mais belles. Nous pouvons faire confiance à notre lumière intérieure pour nous guider parce que la réalité de ce que nous sommes est faite de bien plus que ce que nous pouvons voir ; la réalité de ce que nous sommes est que nous existons dans l’union Divine » (p 17).
« Thérèse d’Avila nous encourage à gouter l’immensité de l’âme, à la célébrer comme un éclat de Dieu, une part de l’étendue insondable de l’amour qui est le grand JE SUIS. Voilà en qui on peut faire confiance. Vous êtes dignes de confiance » (p 17).
Ce chapitre sur Thérèse d’Avila nous permet d’apprécier l’apport de Shannon k Evans dans son livre sur quelques femmes mystiques chrétiennes. De leur histoire, vient un souffle, le souffle de l’Esprit. Si ces femmes ont vécu des épreuves et rencontré des obstacles, la vie divine les a accompagnées et elles nous communiquent confiance et sagesse. Shannon nous montre combien leurs éclairages sont toujours actuels pour nous délivrer de nos enlisements à la manière dont elles-mêmes avaient répondu aux errements de leur époque à travers leur vécu de la vie divine. Et, comme le pouvoir patriarcal a été et est source de grandes déviations, leur expérience féminine de l’Esprit vient nous apporter un éclairage salutaire. Shannon K Evans nous montre concrètement en quoi cet éclairage est précieux pour tous les humains que nous sommes, mais aussi tout particulièrement pour les femmes, et donc pour les femmes qui conjuguent leur foi chrétienne et leur conscience féministe. Si Shannon K Evans nous parle à partir des Etats-Unis, il va de soi que son message est bienvenu dans toute la christianité. Elle nous propose une « spiritualité pour aujourd’hui ».
J H
- Shannon K. Evans. The mystics would like a word. Six women who met God and found a spirituality for today. Convergent, 2024
Voir aussi :
Julian of Norwich : une vision de l’amour divin et de l’union mystique :
https://vivreetesperer.com/une-vision-de-lamour-divin-et-de-lunion-mystique/
Hildegarde de Bingen : L’homme, la nature et Dieu : https://vivreetesperer.com/lhomme-la-nature-et-dieu/
par jean | Jan 8, 2025 | ARTICLES, Vision et sens |
L’inspiration de Bergson chez deux personnalités d’un nouveau monde : Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal selon le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne.
Si, au travers de deux œuvres marquantes, ‘L’évolution créatrice’ et ‘Les deux sources de la morale et de la religion’, le philosophe Henri Bergson a ouvert une nouvelle vision dans la première moitié du XXe siècle, son influence revient aujourd’hui après une éclipse dans les années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale comme en témoigne la parution d’un livre d’Emmanuel Kessler, ‘Bergson, notre contemporain’ (1). Il rappelle la novation ouverte par son livre ‘l’évolution créatrice’ paru en 2007 :
« L’objet de ‘l’évolution créatrice’ – titre qui porte en lui-même une ouverture et une marche en avant – consiste précisément à appliquer à la vie en général, celle des espèces dont l’homme bien sûr, ce qu’il avait mis à jour en explorant la vie psychique : la durée qui signifie à la fois continuité indivisée et création ». Tout n’est pas écrit et déployé à l’avance. « L’évolution répond à un mouvement dynamique et ouvert. Bergson va la nommer en utilisant une image : l’élan vital ». Emmanuel Kessler nous montre en Bergson un philosophe qui met en valeur la novation et le mouvement. « Alors qu’à première vue, la philosophie, depuis Platon, cherche les permanences solides au-delà des apparences trompeuses, bref ce qui demeure dans ce qui change, les idées éternelles, Bergson, lui renverse la table : le vrai, c’est justement ce qui change… Ce qui mérite notre attention n’est pas ce qui est figé, mais ce qui nait, car c’est ce qui vit… Essayons d’appréhender, d’accompagner et d’enclencher à notre échelle humaine et selon sa formule ‘la création continue d’imprévisibles nouveautés qui semblent se poursuivre dans l’univers’ ».
Certes, dans le monde d’aujourd’hui, en tension dans les transformations requises, des raidissements et des clôtures commencent à se manifester dans l’agressivité. Aussi, sommes-nous souvent désorientés et polarisés par l’immédiat. Nous perdons alors de vue le fil conducteur du changement auquel nous sommes appelés. La pensée de Bergson vient encourager et confirmer les tenants du mouvement, tant dans la recherche que dans l’action. C’est ainsi que Bergson dialogua avec deux scientifiques visionnaires : Pierre Teilhard de Chardin et Vladimir Vernadsky (2). Et nous découvrons aujourd’hui que son influence s’est étendue bien au-delà du monde européen en contribuant à éclairer d’autres civilisations engagées dans une dynamique d’émancipation.
Ainsi, le grand retour de Bergson à l’orée du XXIe siècle, s’est accompagné d’un regain d’intérêt pour son influence exercée en dehors de France jusqu’en Inde et en Afrique comme en témoignent deux figures majeures de la lutte anticoloniale, le musulman Mohamed Iqbal et le catholique Léopold Sédar Senghor. A la fois poètes, penseurs et hommes d‘état, tous deux ont joué un rôle intellectuel et politique essentiel dans l’indépendance de leur pays et trouvé dans le bergsonisme de quoi nourrir leur philosophie : celle d’une reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam pour le premier, de désaliénation de l’avenir africain pour le second. Cette analyse est proposée dans un livre intitulé ‘Bergson postcolonial’ (3), ce titre mettant l’accent sur le mouvement de décolonisation comme un aspect majeur de l’histoire contemporaine. L’importance du phénomène de la décolonisation est effectivement une conviction de l’auteur, le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne. Ainsi, dans un livre récent, ‘Universaliser’ (4), il montre combien la réduction du monopole de l’universalisme surplombant exercé par la pensée européenne, particulièrement française était nécessaire pour la construction d’un véritable universalisme comme une œuvre commune de toute l’humanité.
Le parcours de Souleymane Bachir Diagne est particulièrement évocateur de l’émergence d’une pensée nouvelle opérant une synthèse dynamique largement accueillie. « Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sénégalais né à Saint Louis en 1965, professeur de philosophie et de français à l’université Columbia à New York. C’est un spécialiste de l’histoire des sciences et de la philosophie islamique » (5). Après des études secondaires au Sénégal, S B Diagne a étudié la philosophie en France dans les années 1970, intégrant Normale Sup. Ses thèses de doctorat portent sur la philosophie des sciences. De retour au Sénégal, il enseigne l’histoire de la philosophie islamique. Il rejoint l’Université Columbia en 2008. « La démarche de Souleymane Bachir Diagne se développe autour de l’histoire de la logique et des mathématiques, de l’épistémologie, ainsi que des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique. Elle est imprégnée de culture islamique et sénégalaise, d’histoire de la philosophie occidentale, de littérature et de politique africaine. C’est le mélange – la mutualité – qui décrit le mieux sa philosophie » (Wikipédia).
Bergson, Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal
Si la pensée de Bergson engendre une philosophie nouvelle, la ‘révolution bergsonienne’ étend son influence bien au-delà de la France.
« Qu’il s’agisse de la défense des valeurs de la Négritude de Léopold Sédar Senghor (1906-2001) ou du projet de Mohamed Iqbal (1877-1938) d’une ‘reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam’ (c’est le titre de son principal ouvrage en prose), au cœur de ces projets se trouve la pensée du philosophe Henri Bergson (1859-1951). La révolution bergsonienne et les principaux concepts dans lesquels elle s’incarne – le vitalisme, le temps comme durée, l’intuition comme une autre approche du réel, celle qui s’exprime tout particulièrement dans l’art – auront donc une influence considérable sur la pensée de Léopold Sédar Senghor et de Mohamed Iqbal » (p 9).
Il y a là de quoi s’interroger. « Pourquoi ces deux personnalités du monde colonisé furent-ils des bergsoniens ? Pour quelles raisons des entreprises aussi différentes que la Négritude senghorienne ou le réformisme islamique iqbalien ont-elles trouvé à prendre appui sur le bergsonisme ? » (p 10). A l’époque de leur formation, ces personnalités ont rencontré la philosophie de Bergson en plein épanouissement. Et, selon le philosophe Philippe Worms, cette philosophie avait pour caractéristique de s’assigner la tâche « d’intervenir dans la vie pour la réformer ou la transformer » et faisait l’objet d’un véritable engouement (p 10). Senghor et Iqbal furent sensibles au concept de durée introduit par Bergson dans sa thèse soutenue en 1889 : ‘Essai sur les données immédiates de la conscience’. « La véritable durée ou temps non sériel se compose de moments intérieurs les uns aux autres. De cette durée, nous ne pouvons avoir une connaissance du type que produit notre intelligence analytique et mécanicienne, celle qui sépare le sujet de l’objet et décompose celui-ci en parties. Au contraire, elle nous est donnée dans la connaissance vitale que nous en avons, dans l’intuition qui nous installe d’emblée au cœur de l’objet saisi comme une totalité organique » (p 11).
Senghor suivra Bergson pour entreprendre la tâche de retrouver une approche compréhensive du réel hors du cours de la pensée philosophique tel qu’il a été orienté par Aristote et tel qu’il a culminé dans la pensée mécanicienne de Descartes. Cette approche non mécanicienne lui apparait être la signification même que porte l’art africain où il voit une compréhension du réel, qu’il entend comme un accès à la sous-réalité des choses visibles. Il le suivra également pour prolonger sa pensée avec cet autre bergsonien qu’est le père Teilhard de Chardin, en celle d’une cosmologie émergente, d’une cosmogénèse qui voit la vie se libérer des aliénations qui l’entravent. C’est sous un tel éclairage bergsonien et teilhardien que Senghor entreprend de lire Marx et de proposer une doctrine de ce qu’il appelle « socialisme africain » (p 12).
« Pour Mohamed Ibqal également, il s’agit, avec Bergson, de sortir du cadre où la tradition philosophique après les présocratiques a enfermé la pensée. Il s’agit de retrouver une philosophie du mouvement où, dans un univers qui est constamment en train de se renouveler, l’humain advient et devient par son action créatrice qui fait de lui le ‘collaborateur » de Dieu’. Selon Ibqal, si la philosophie grecque a enrichi la pensée musulmane, elle l’a également limitée. « D’une cosmologie dynamique et continument émergente du Coran où Dieu est toujours à l’œuvre dans sa création, on est passé à une cosmologie fixée une fois pour toute par un ‘fiat divin’ qui s’est ensuite retiré du monde. Pour Ibqal donc, la révolution de Bergson en philosophie aide à une reconstruction de la pensée islamique en lui rappelant que la vie est innovation et changement. Il faut le lui ‘rappeler’ afin qu’elle puisse surmonter sa peur de l’innovation… et sortir d’un immobilisme fataliste auquel elle est identifiée, par exemple par le philosophe Leibnitz… » (p 13-14).
Léopold Sédar Senghor et l’inspiration de Bergson
Souleymane Bachir Diagne rappelle combien la publication de la thèse de Bergson, ‘L’essai sur les données immédiates de la conscience’ en 1889, parut, à certains, une révolution intellectuelle. Léopold Sédar Senghor a trouvé là une grande inspiration.
« Ce qui, plus que tout autre aspect, fait, pour Léopold Sédar Senghor ‘la révolution de 1889’, c’est cette mise en évidence, sous l’intelligence analytique, c’est-à-dire celle qui pour connaitre analyse et sépare en paries extérieures les unes aux autres, d’une faculté de connaissance vitale au sens où elle saisit en un seul geste cognitif, instantané et immédiat, une composition, qui, parce qu’elle est vivante et non mécanique, ne saurait être décomposée… Sous l’intelligence qui analyse et calcule, il y a l’intelligence qui est synthèse toujours et qui toujours comprend » (p 19). Pour Senghor, « c’est en cette langue de l’intelligence qui comprend surtout (ce qui ne veut pas dire exclusivement) que s’expriment les pensées et les conceptions du monde africaines, celles qui pointent, en particulier, les œuvres d’art crées sur le continent » (p 20). Il nous est dit que « L’helléniste et aussi le catholique en Senghor ne manque jamais de rappeler qu’avant le tour pris par la pensée engagée dans la voie de l’analytique, qu’il voit comme étant celle de la « ratio », il y eut la réalité de ce qu’en poète il appelle un « logos » humide et vibratoire » (p 20). Et une autre distinction apparait, celle entre une « raison œil » et une « raison étreinte » (p 21).
Cette approche se retrouve dans l’appréciation de l’art africain par Léopold Sédar Senghor. Celui-ci, arrivant à Paris comme étudiant à la fin des année 1920, y a découvert les œuvres africaines au musée de la Place du Trocadéro. « A cette époque, la vogue de l’art nègre avait produit un effet certain sur l’art moderne » (p 33). La philosophie de Senghor vient éclairer et interpréter l’art africain. C’est la « raison-étreinte, celle qui ne sépare pas, qui peut créer, mais également goûter les formes géométriques si caractéristiques des sculptures et masques africains… ». « C’est la langue de cette ‘raison-étreinte’, du ‘logos humide et vibratoire’ qui est parlée par ces formes qui ne reproduisent, ni n’embellissent la réalité pour un regard qui la caresserait à distance. Au contraire, elles retiennent les forces ‘obscures’ mais explosives, dit Senghor, qui sont cachées sous l’écorce superficielle des choses » (p 34).
Sur un autre registre, l’auteur nous présente également le socialisme africain défendu et promu par Léopold Sédar Senghor. Là aussi, on perçoit l’inspiration de Bergson. En effet, « La philosophie politique de Senghor s’inscrit dans la continuité de sa pensée vitaliste, née de la rencontre qu’il organise, entre la philosophie de ‘l’Évolution créatrice’ et la vision du monde qu’il lit dans les religions africaines endogènes. Elle exprime ce que l’homme politique sénégalais a appelé ‘socialisme africain’ ou ‘voie africaine du socialisme’ ».
L’auteur résume en ces termes le parcours de Senghor : « rappeler l’engagement socialiste de Senghor dès ses premières années d’études en France à la fin des années 1920, examiner ce qu’est sa conception d’une lecture ‘africaine’ de Karl Marx qui exprime le socialisme spiritualiste lorsqu’en même temps il découvre la pensée de Pierre Teilhard de Chardin, envisager la manière dont cette philosophie a été articulée lorsqu’il a fallu, à l’aube des indépendances africaines et devant la tâche de construction de pays devenus souverains, penser les notions de fédéralisme, de nation, d’état, de planification » (p 37-38). L’engagement socialiste de Senghor débuta dans la France d’avant-guerre, mais « c’est après la seconde guerre mondiale que se met en place chez Senghor, la pensée politique qui sera développée au début des années 60 comme sa doctrine du socialisme africain ». « L’immédiat après-guerre, c’est le moment où, comme il dit, il ‘tombe en politique’ et devient député du Sénégal au parlement français. C’est le moment où avec beaucoup, il découvre les écrits du « jeune Marx » alors publiés sous le titre de « manuscrits de 1844 ». Ces manuscrits traitent de la notion d’aliénation sans structurer ce propos dans les termes d’un langage se voulant plus scientifique, mais qui reflète un positivisme scientiste ; Senghor retient la notion d’aliénation. « Il s’agit pour lui de celle de l ‘humain en général et celle de l’humanité colonisée en particulier » (p 45). Comment Senghor reçoit-il le message de Marx, dans ses premiers écrits ? « Définir l’aliénation, ainsi que le fait Marx, comme perte de substance vitale au profit d’un objet extérieur, étranger et qui se pose comme ‘hostile’ ne pouvait que parler à la philosophie vitaliste de Senghor » qui est, cela a été dit déjà, l’effet d’une rencontre entre une ontologie de forces qui est au principe de religions de différents terroirs africains et leur dénominateur commun pour ainsi dire, et la pensée bergsonienne de l’élan vital. Ainsi sont valides les principes suivants :
1 Être, c’est une force de vivre
2 Est bon pour l’être-force ce qui le renforce
3 Est mauvais pour lui ce qui le déforce (le néologisme est de Senghor)
4 Toute force tend naturellement à être plus forte, ou, en d’autres termes, la destination de l’être est de devenir plus être » (p 47). C’est là que Souleymane Bachir Diagne nous introduit plus avant dans la pensée de Léopold Sédar Senghor : « Ce quatrième principe, signalé par l’expression ‘plus-être’ fait écho à la cosmologie émergente ou cosmogénèse de Pierre Teilhard de Chardin. Si, à partir du moment où il découvre ce théologien philosophe, Senghor revient constamment à la lecture de ses ouvrages, c’est que Teilhard lui apparait comme le parachèvement de ce qu’il a trouvé chez Bergson comme philosophie de la poussée vitale et chez Marx comme philosophie d’une libération totale de l’humain de son état d’aliénation pour faire advenir un véritable humanisme ». « Cependant, Senghor n’a pas ressenti chez Marx une véritable attention aux peuples africains alors qu’il écrit à propos de Teilhard de Chardin que celui-ci était vraiment dégagé de l’eurocentrisme pour penser ce qu’il a appelé une ‘socialisation’ de la terre où il s’agit de ‘faire la terre totale’ en parachevant une ‘humanisation’ de toute la planète… C’est dans cette cosmologie de l’émergence continue que la poussée vers le plus-être s’effectue, l’horizon étant ce à quoi Senghor se réfère encore et toujours, en teilhardien qu’il est, comme étant la ‘civilisation de l’universel’ » (p 48-49). L’auteur explique en quoi Senghor garde un recul par rapport à Marx : « Senghor veut penser un humanisme qui se définirait comme accomplissement de Dieu dans l’achèvement de la création et non contre lui. C’est parce qu’il pense ainsi l’humanisme que Senghor a rencontré en celle de Mohamed Iqbal une pensée sœur, produite par ce qu’il appellera un ‘Teilhard musulman’. L’idée que l’humain est collaborateur de Dieu dans l’activité de création continue d’un monde ouvert est en effet au cœur de la pensée iqbalienne. Senghor la découvre probablement autour de 1955, date de la publication de la traduction de l’œuvre majeure du poète indien, ‘La reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam’.
L’auteur évoque ensuite le parcours politique de Senghor en Afrique où il devient premier président de la République du Sénégal en 1960 et où il cherche à éviter une balkanisation de l’Afrique par une approche fédérale.
En écrivant ce livre, Souleymane Bachir Diagne a mis en évidence le pouvoir des idées inattendues. L’œuvre de Bergson a fait irruption, s’est imposée et son influence s’est étendue au-delà de son berceau national, voire occidental. La manière dont la pensée de Bergson vient répondre à des esprits en recherche dans d’autres civilisations est non seulement éclairante, mais elle témoigne de convergences en humanité. De convergences, il y en a puisque la pensée de Bergson vient ici se rencontrer avec celle de Pierre Teilhard de Chardin, soutenir une pensée émancipatrice dans deux grandes civilisations, africaine et indienne ainsi que dans des traditions religieuses différentes, et enfin être rapportée par un philosophe sénégalais, lui-même au carrefour de différents univers intellectuels en témoignant en faveur d’un universel en construction. Cependant, puisque la philosophie de Bergson est au cœur de ce brassage et puisque l’élan vital en est une inspiration majeure, rappelons la recherche du théologien zambien : Teddy Chalwe Sakupapa (6) qui met en évidence l’importance de la force vitale dans la civilisation africaine : « La force vitale est une conception traditionnelle africaine dans laquelle Dieu, les ancêtres, les humains, les animaux, les plantes, les minéraux sont compris en terme de force ou d’énergie vitale ». Il énonce ensuite d’autres sociétés où ce concept apparait avec des nuances différentes. « En Europe, dans le premier XXe siècle, le philosophe français Henri Bergson a présenté la notion de force vitale comme un élan vital ». Nous nous reconnaissons dans la pensée de Teddy Chalwe Sakupapa lorsqu’il évoque à ce sujet la théologie de l’Esprit de Jürgen Moltmann.
Et il écrit : « Dans son accent sur la vie et la relationalité, la notion africaine de force vitale ouvre une avenue sur le souffle cosmique de l’Esprit ». En lisant le livre de Souleymane Bachir Diagne, nous y voyons convergence et émergence, un « levain dans la pâte ».
J H
- Comment, en son temps, le philosophe Henri Bergson a pu répondre à nos questions actuelles ? : https://vivreetesperer.com/comment-en-son-temps-le-philosophe-henri-bergson-a-repondu-a-nos-questions-actuelles/
- Un horizon pour l’humanité ? La Noosphère : https://vivreetesperer.com/un-horizon-pour-lhumanite-la-noosphere/
- Souleymane Bachir Diagne. Bergson postcolonial. CNRS Éditions, 2020
- Souleymane Bachir Diagne. Universaliser. « L ‘humanité par les moyens d’humanité ». Albin Michel,2024
- Souleymane Bachir Diagne. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Souleymane_Bachir_Diagne
- Esprit et écologie dans le contexte de la théologie africaine : https://www.temoins.com/esprit-et-ecologie-dans-le-contexte-de-la-theologie-africaine/