par jean | Jan 10, 2024 | Vision et sens |
« Awe and amazement »
Un autre regard
Sur son site : “Center for action and contemplation”, Richard Rohr nous entraine dans une séquence sur les bienfaits de l’admiration et de l’émerveillement dans la vie spirituelle. Cette séquence est intitulée : « awe and amazement » (1)
Le sens du terme de « awe » a évolué dans le temps à partir d’un vocabulaire religieux où la révérence était accompagnée par une forme de crainte. Aujourd’hui, ce terme évoque admiration et émerveillement. Depuis le début de ce siècle, le phénomène correspondant est l’objet d’une recherche. Aujourd’hui, la « awe » attire l’attention des chercheurs en psychologie. Le ressenti de transcendance, qui s’est inscrit dans une histoire religieuse, est reconnu aujourd’hui dans le champ plus vaste de la quotidienneté. Ainsi, Dacher Keltner, professeur de psychologie à l’Université de Berkeley, a écrit un livre : « Awe. The new science of everyday wonder and how it can transform your life” (L’admiration. La nouvelle science du merveilleux au quotidien et comment elle peut transformer votre vie » (2).
Vouloir être surpris
« Willing to be amazed »
Richard Rohr se réfère à Abraham Joshua Heschel et il affirme que la « awe », l’admiration, l’émerveillement, l’’éblouissement sont des expériences spirituelles fondatrices. « Je crois que l’intuition religieuse fondatrice, première, basique est un moment de « awe » », un moment d’admiration et d’émerveillement. Nous disons : « O Dieu, que c’est beau ! ». Pourquoi évoquons si souvent Dieu lorsque nous avons de tels moments ? Je pense que c’est reconnaitre que c’est un moment divin. D’une certaine manière, nous avons conscience que c’est trop bon, trop beau… quand cette « awe », l’admiration éblouie, sont absents de notre vie, nous bâtissons notre religion sur des lois ou des rituels, essayant de fabriquer des moments de « awe ». Cela marche parfois… ».
Richard Rohr met ensuite en valeur les bienfaits de l’admiration et de l’émerveillement. « Les gens dont la vie est ouverte à l’admiration et l’émerveillement ont une « plus grande chance de rencontrer le saint , le sacré (« holy ») que quelqu’un qui va seulement à l’église, mais ne vit pas d’une manière ouverte. Nous avons presque domestiqué le sacré en le rendant si banal ». Richard Rohr marque sa crainte que cela se produise dans la manière dont nous ritualisons le culte. « Jour après jour, je vois des gens venir à l’église sans aucune ouverture à quelque chose de nouveau et de différent. Et si quelque chose de nouveau et de différent arrive, ils se replient dans leur vieille boite. Leur attitude semble être : « je ne serai pas impressionné par l’admiration et l’émerveillement ». Je ne pense pas que nous allions très loin avec cette résistance au nouveau, au Réel, au surprenant. C’est probablement pourquoi Dieu permet que nos plus belles relations commencent par un engouement pour une autre personne – et je n’entends pas seulement un engouement sexuel, mais une profonde admiration et considération. Cela nous permet de prendre notre place comme apprenant et étudiant. Si nous ne faisons pas cela, il ne va rien arriver ».
Plus largement, Richard Rohr évoque la pensée de l’écrivain russe, Alexandre Soljhenitsyne. « Il écrivait que le système occidental, dans son état actuel d’épuisement spirituel, ne paraissait pas attractif. C’est un jugement significatif. L’esprit occidental refuse presque à être encore en émerveillement. Il est seulement conscient de ce qui est mauvais et semble incapable de rejoindre ce qui est encore bon, vrai et beau. Le seul moyen de sortie se trouve dans une imagination nouvelle et une nouvelle cosmologie, suscitée par une expérience de Dieu positive. Finalement, l’éducation, la résolution de problèmes et une idéologie rigide sont toutes, en elles-mêmes, inadéquates pour créer une espérance et un sens cosmique. Seule « une grande religion » peut faire cela et c’est probablement pourquoi Jésus a passé une si grande partie de son ministère à essayer de réformer la religion ».
Richard Rohr peut ensuite évoquer ce qu’apporte une religion saine. « Elle nous donne un sens fondamental de « awe », un émerveillement éveillant la transcendance… Elle réenchante un univers autrement vide. Elle éveille chez les gens une révérence universelle envers toutes choses. C’est seulement dans une telle révérence que nous pouvons trouver confiance et cohérence. C’est seulement alors que le monde devient une maison « home » sure. Alors nous pouvons voir la réflexion de l’image divine dans l’humain, dans l’animal, dans le monde naturel entier, qui est alors devenu intrinsèquement surnaturel ».
Nous sommes ce que nous voyons
« We are what we see”
Selon Richard Rohr, la contemplation approfondit notre capacité à nous étonner, à être surpris. « Les moments d’admiration et d’émerveillement (awe and wonder) sont les seuls fondements solides pour notre sentiment et notre voyage religieux ». Le récit de l’Exode noue en apporte un bon exemple : « Ce récit commence avec l’histoire d’un meurtrier (Moïse) qui s‘enfuit des représailles de la loi et rencontre « un buisson paradoxal qui brule sans être consumé ». Touché par une crainte révérentielle (awe), Moïse enlève ses chaussures et la terre en dessous de ses pieds devient une terre sacrée » (holy ground » (Exode 3.2-6). Parce qu’il a rencontré « Celui qui est » (Being itself) (Exode 3.14). Ce récit manifeste un modèle classique répété sous des formes différentes dans des vies différentes et dans le vocabulaire de tous les mystiques du monde ».
Certes, il y a des obstacles. « Je dois reconnaitre que nous sommes généralement bloqués vis-à-vis d’une grand impression de « awe » comme nous le sommes vis-à-vis d’un grand amour ou d’une grande souffrance. La première étape de la contemplation porte largement sur l’identification et le relâchement de ces blocages en reconnaissant le réservoir d’attentes, de présuppositions, et de croyances dans lesquelles nous sommes déjà immergés. Si nous ne voyons pas ce qu’il y a dans notre réservoir, nous entendrons toutes les choses nouvelles de la même manière ancienne et rien de nouveau n’adviendra »… La contemplation remplit notre réservoir d’une eau pure et claire qui nous permet de réaliser des expériences en étant libérés de nos anciens schémas ».
De fait, ajoute Richard Rohr, nous ne nous rendons pas compte qu’au moins partiellement, notre réaction enthousiaste ou colérique , peureuse n’est pas entrainée uniquement par la personne ou la situation en face de nous. « Si la vue d’un beau ballon dans le ciel nous rend heureux, c’est que nous sommes déjà prédisposés au bonheur. Le ballon à air chaud nous fournit juste une occasion. Et presque n’importe quoi d’autre aurait produit la même impression. Comment nous voyons déterminera largement ce que nous voyons et si cela provoque en nous de la joie ou, au contraire, une attitude de repli émotionnel. Sans nier qu’il y ait une réalité extérieur objective, ce que nous sommes capable de voir dans le monde extérieur, et prédisposé en ce sens, est une réflexion en miroir de notre monde intérieur et état de conscience sur le moment. La plupart du temps, nous ne voyons pas du tout et opérons sur le mode d’un contrôle de croisière.
Il semble que nous, humains, sommes des miroirs à deux faces reflétant à la fois le monde intérieur et le monde extérieur. Nous nous projetons nous-mêmes sur les choses extérieures et ces mêmes choses nous renvoient au déploiement de notre propre identité. La mise en miroir est la manière dont les contemplatifs voient de sujet à sujet plutôt que de sujet à objet ».
Une « awe », émerveillement ébloui, qui connecte
« An awe that connects »
Richard Rohr fait appel à Judy Cannato qui met l’accent sur la surprise, l’ébahissement comme point de départ de la contemplation. « Dans son livre : « Le pleur silencieux », la théologienne allemande Dorothee Sölle écrit : « Je pense que chaque découverte du monde nous plonge dans la jubilation ; une surprise radicale qui déchire le voile de la trivialité ». Quand le voile est déchiré et que notre vision est claire, alors émerge la reconnaissance que toute vie est connectée – une vérité qui n’est pas seulement révélée par la science moderne, mais qui résonne avec les mystiques anciens. Nous sommes tous un, connectés et rassemblés dans un Saint Mystère, au sujet duquel, dans toute son ineffabilité, nous ne pouvons demeurer indifférents »
Or, d’après Sölle, la surprise, l’ébahissement est un point de départ. « Elle maintient qu’une surprise radicale est le point de départ pour la contemplation. Souvent, nous pensons que la contemplation appartient au domaine du religieux, à un stade ésotérique de prière avancée que seuls les gens spirituellement doués possèdent. Ce n’est pas le cas. La nature de la contemplation telle que je la décris ici est qu’elle demeure à l’intérieur de chacun de nous.
Pour utiliser une parole familière, la contemplation consiste à avoir un long regard amoureux vis-à-vis du réel. La posture contemplative qui découle d‘une surprise radicale, d’un ébahissement, nous attrape dans l’amour – l’Amour qui est le Créateur de tout ce qui est, le Saint Mystère qui ne cesse de surprendre, qui ne cesse de prodiguer l’amour en nous, sur nous, autour de nous ».
Mais comment reconnaitre et nous approcher du « réel » ? Judy Cannnato nous répond en ce sens. « La contemplation est un long regard d’amour sur ce qui est réel. Combien de fois ne sommes-nous pas trompés par ce qui imite le réel ? Vraiment nous vivons dans une culture qui affiche le faux et prospère dans une fabrication scintillante. Nous sommes tellement bombardés par le superficiel et le trivial que nous pouvons perdre nos appuis et nous abandonner à un genre de vie qui nous vide de notre humanité… Quand nous nous engageons dans une pratique de surprise radicale (« radical amazement »), nous commençons à distinguer ce qui est authentique de ce qui est frelaté.
Saisis par la conscience contemplative et enracinés dans l’amour, nous commençons à nous libérer de nos conditionnements culturels et à embrasser la vérité qui demeure au cœur de toute réalité : nous sommes un ».
Ainsi la contemplation n’est pas réservée à une élite religieuse ou spirituelle, elle donne à voir à tous. « Ce qui devient plus apparent aujourd’hui, c’est que nous devons devenir des contemplatifs, pas seulement dans la manière où nous réfléchissons ou prions, mais dans la manière où nous vivons éveillés, alertes, engagés, prêts à répondre aux gémissements de la création ».
La dignité de toutes choses
« The dignity of all things”
Le rabbin Abraham Joshua Heschel est connu pour son action prophétique et pour son engagement en faveur d’une surprise radicale. Le théologien Bruce Epperly explique :
« Au cœur de la vision mystique d’Heschel, il y a l’expérience d’une surprise radicale. La merveille est essentielle à la fois pour la spiritualité et la théologie. La « awe », émerveillement ébloui, donne le sens de la transcendance. Elle nous permet de percevoir les signes du divin dans le monde. La merveille mène à la surprise radicale dans l’univers de Dieu. Créé à l’image de Dieu, chacun de nous est surprenant. La merveille mène à la spiritualité et à l’éthique. Comme Heshel le déclare : « Simplement être est une bénédiction. Simplement vivre est saint. Le moment est la merveille ».
Comment cette sensibilité affecte-t ’elle notre vision du monde ? Elle fonde la vision du monde d’Heshel. « Le monde se présente à moi de deux manières : comme une chose que je possède ; comme un mystère qui se présente à moi. Ce que je possède est une bagatelle ; ce qui se présente à moi est sublime. Je prends soin de ne pas gaspiller ce que possède ; je dois apprendre à ne pas manquer ce qui se présente à moi.
Nous traitons ce qui est accessible à la surface du monde ; Nous devons également nous tenir en révérence (« awe ») vis-à-vis du mystère du monde »
Reprenons donc notre approche de la « awe », de l’émerveillement ébloui.
« La « awe » est plus qu’une émotion. C’est une manière de comprendre, une entrée dans un sens plus grand que nous. Le commencement de la « awe », c’est reconnaitre la merveille, s’émerveiller ». Et « le commencement de la sagesse est la « awe », cet émerveillement ébloui et révérenciel. « La « awe » est une intuition de la dignité de toutes choses. C’est réaliser que les choses ne sont pas seulement ce qu’elles sont, mais qu’elles se tiennent là, quelqu’en soit l’éloignement, pour signifier quelque chose de suprême.
L’« awe » est un sens du mystère au-delà de toute chose. Elle nous permet de sentir dans les petites choses le début d’un sens infini, de sentir l’ultime dans le commun et le simple ; de sentir le calme de l’éternel dans la précipitation de ce qui passe. Nous ne pouvons pas comprendre cela par l’analyse ; Nous en devenons conscient par la « awe ». Voilà aussi un éclairage pour la foi : « la foi n’est pas une croyance, l’adhésion à une proposition. La foi est un attachement à la transcendance, au sens au-delà du mystère… La « awe » précède la foi. Elle est à la racine de la foi… »
C’est dire combien la « awe » est fondamentale. « Si notre capacité de révérence diminue, l’univers devient pour nous un marché. Un retour à la révérence est le premier prérequis pour un réveil de la sagesse, pour la découverte du monde comme une allusion à Dieu ».
La pratique spirituelle de la « awe ».
« The spiritual practice of awe”
Comment pouvons-nous vivre dans un état d’esprit d’émerveillement porteur d’une pratique spirituelle ? La question est posée à Cole Arthur Riley, écrivain et liturgiste. Il nous décrit « la « awe » comme une pratique spirituelle ». « Je pense que la « awe » est un exercice à la fois dans le faire et l’être. C’est un muscle spirituel de l’humanité que nous pouvons empêcher de s’atrophier si nous l’exerçons habituellement. Je m’assois dans la clairière derrière ma maison écoutant le chant des hirondelles rustiques se mêlant au bruit des voitures accélérant. J’observe le courant de lait dans mon thé et les petites feuilles danser librement hors de leur enclos… Quand je parle de merveille, j’entends la pratique de contempler le beau. Contempler le majestueux – le sommet enneigé des Himalayas, le soleil se couchant sur la mer – mais aussi les petits spectacles du quotidien… Plus que dans les grandes beautés de nos vies, la merveille réside dans notre présence d’attention à l’ordinaire. On peut dire que trouver la beauté dans l’ordinaire est un exercice plus profond que grimper dans les montagnes… Rencontrer le saint, le sacré dans l’ordinaire, c’est trouver Dieu dans le liminal, la marge d’où nous pourrions inconsciemment l’exclure… »
Arthur Riley décrit comment l’émerveillement développe la capacité de nous aimer, d’aimer notre prochain, d’aimer l’étranger. « L’émerveillement inclut la capacité d’être en « awe », en émerveillement vis-à-vis de nous-même » Arthur Riley nous incite à être attentif à la vie quotidienne. « Qu’à chaque seconde, nos organes et nos os nous soutiennent est un miracle. Quand nos os guérissent, quand nos blessures se cicatrisent, c’est un appel à nous émerveiller de nos corps – leur régénération, leur stabilité et leur fragilité. Cela fait grandir notre sentiment de dignité. Être capable de s’émerveiller du visage de notre prochain, avec la même « awe », le même émerveillement que nous avons pour le sommet des montagne ou la réflexion du soleil, c’est une manière de voir qui nous empêche de nous détruire les uns les autres ». L’émerveillement, ce n’est pas nous dissoudre, mais nous sentir vivement dans notre connexion avec chaque créature. « Dans un saint émerveillement, nous faisons partie de l’histoire ».
Le privilège de la vie elle-même
« The privilege of life itself”
Ici Richard Rohr s’est adressé à Brian McLaren pour lequel l’émerveillement, la « awe » sont essentiel pour rencontrer la création. « Les premières pages de la Bible et les meilleures réflexions des scientifiques actuels sont en plein accord. Au commencement, tout a commencé quand l’espace et le temps, l’énergie et la matière, la gravité et la lumière sont apparus dans une soudaine expansion. A la lumière du récit de la Genèse, nous dirions que la possibilité de l’univers s’est épanchée dans l’actualité comme Dieu, l’Esprit créateur, prononçait l’invitation première, originale : Qu’il en soit ainsi ! (« Let it be »). Et, en réponse, qu’est-ce-qui est arrivé ? La lumière, le temps , l’espace, la matière, le mouvement, la mer, la pierre, le poisson, le moineau, vous, moi, nous réjouissant de ce don inexprimable, ce privilège d’être ici, d’être en vie », Brian McLaren évoque la beauté qu’on peut entrevoir dans la diversité des dons et des talents. Comme les autres auteurs présents dans cette séquence, il exprime son admiration pour la création. « Est-ce que nous ne nous sentons pas comme des poètes qui essaient d’exprimer la beauté et la merveille de cette création ? Est-ce que nous ne partageons pas une commune stupeur en envisageant notre voisinage cosmique et en nous éveillant au fait que nous sommes réellement là, réellement vivant, juste maintenant ? ». Brin McLaren nous entraine dans l’admiration et l’émerveillement vis-à-vis des merveilles de la montagne et de la mer jusqu’à « regarder avec délice un simple oiseau, un arbre, une feuille ou un ami et à sentir qu’ils murmurent au sujet du créateur, de la source de tout ce que nous partageons ».
En exprimant cette admiration, cette « awe » vis-à-vis de toutes les merveilles qu’on peut entrevoir, Brian McLaren, théologien engagé, ne perd pas de vue les maux de nos sociétés et la nécessité de nous y confronter (3). Mais, dans sa vision enthousiaste, il s’appuie sur un fondement biblique. « La Genèse » signifie : commencements. Elle parle à travers une poésie profonde, à plusieurs couches, et des histoires anciennes et sauvages. La poésie et les récits de la Genèse révèlent des vérités profondes qui nous aident à être plus pleinement vivants aujourd’hui. Elles osent proclamer que l’univers est l’expression de Dieu lui-même. La parole de Dieu agit. Cela signifie que toute chose, partout, est toujours sainte, spirituelle, ayant de la valeur, signifiante. Toute matière importe. La Genèse décrit la grande bonté qui apparait à la suite d’un long processus de création. Cet ensemble harmonieux est si bon que le Créateur prend un jour de congé, juste pour s’en réjouir. Ce jour de repos en réjouissance nous dit que le but de l’existence n’est pas l’argent ou le pouvoir ou la renommée, ou la sécurité ou quoique ce soit moins que ceci : participer à la bonté, à la beauté et à la vitalité de la création.
Un autre regard
Les représentations du monde sont multiples en étant influencées par de nombreux facteurs et, tout particulièrement par ce que nous entendons des évènements. Cette séquence inspirée par Richard Rohr est intitulée : « awe and amazement » ; elle nous apprend à nous émerveiller, tout éblouis par les merveilles qui se présentent à nous, à ciel ouvert, mais aussi au départ dissimulées, cachées à nos yeux parce que nous n’y prêtons pas attention. Ce mouvement d’émerveillement exprimé par le terme « awe », dont le sens s’est déplacé à travers l’histoire de « crainte révérentielle » dans un contexte religieux à un émerveillement ébloui accompagné par un sentiment d’ouverture à la transcendance, doit être aujourd’hui pleinement reconnu. Par-delà des apparences souvent trompeuses ou l’assujettissement à de sombres situations, nous sommes appelés à reconnaitre dans la contemplation une Réalité spirituelle, une présence divine. Cet éclairage, et parfois cette illumination peuvent nous surprendre. Cependant, ce sentiment d’admiration, cette « awe », ne sont pas réservés à des moments privilégiés. On peut les éprouver dans le quotidien et même en regardant de belles photos comme l’écrit le rabbin Hara Person dans un texte final : « une part de beauté » (« A slice of beauty »). Bref, au total, nous sommes conviés à un autre regard.
Sans expertise professionnelle de la traduction, rapporté par J H
- Awe and amazement. Avec la présentation et la référence des six textes constituant la séquence : https://cac.org/daily-meditations/awe-and-amazement-weekly-summary/
- Comment la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimée par le terme « awe » peut transformer nos vies : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
- Reconnaitre aujourd’hui un mouvement émergent pour la justice dans une inspiration de long cours : https://vivreetesperer.com/reconnaitre-aujourdhui-un-mouvement-emergent-pour-la-justice-dans-une-inspiration-de-long-cours/
On pourra lire aussi :
La participation des expériences spirituelles à la conscience écologique : https://vivreetesperer.com/la-participation-des-experiences-spirituelles-a-la-conscience-ecologique/
Avoir de la gratitude :
https://vivreetesperer.com/avoir-de-la-gratitude/
par jean | Jan 10, 2024 | Vision et sens |
Pour une vision du monde incarnationnelle.
Selon Richard Rohr (1)
Il y a plusieurs manières d’envisager le monde et de nous y situer. A cet égard, Richard Rohr distingue quatre grandes visions du monde que nous pouvons identifier en y regardant bien. Richard Rohr prend soin de nous dire qu’elles peuvent s’exprimer de bien des manières et qu’elles ne sont pas nécessairement séparées .
« Ceux qui ont une vision du monde matérielle croient que l’univers extérieur, visible est le monde ultime et « réel ». Les gens qui partagent cette vision du monde nous ont donné la science, la technologie, la médecine et beaucoup de ce que nous appelons aujourd’hui la civilisation. Une vision matérielle du monde tend à engendrer des cultures fortement orientées vers la consommation et vers la compétition et qui sont souvent préoccupées par le manque, puisque les biens matériels sont toujours limités ».
« La vision spirituelle du monde caractérise de nombreuses formes de religion et quelques philosophies idéalistes qui reconnaissent la primauté et la philosophie de l’esprit, la conscience, le monde invisible derrière toutes les manifestations. Cette vision du monde est en partie bonne aussi parce qu’elle maintient la réalité du monde spirituel, laquelle est déniée par de nombreux matérialistes. Mais, portée aux extrêmes, la vision du monde spirituel s’intéresse peu à la terre, au prochain, à la justice, parce qu’elle considère le monde pour une bonne part comme une illusion ».
Richard Rohr décrit ensuite une troisième vision. « Ceux qui adhèrent à ce que j’appellerai une vision du monde « sacerdotale » sont généralement des gens sophistiqués, qualifiés et expérimentés qui pensent que leur travail est de nous aider à mettre ensemble la matière et l’Esprit. Le mauvais côté est que cette vision du monde assume que ces deux mondes sont en fait séparés et ont besoin de quelqu’un pour les lier à nouveau ensemble ».
Richard Rohr fait ressortir une quatrième vision du monde. En contraste avec les trois visions précédentes, c’est une vision incarnationnelle selon laquelle la matière et l’Esprit sont envisagés comme n’avoir jamais été séparés. La matière et l’Esprit se révèlent et se manifestent l’un à l’autre. Cette vision du monde se fie davantage à l’éveil qu’à l’adhésion, davantage au voir qu’à l’obéissance, davantage à la croissance dans la conscience et l’amour qu’au clergé, aux experts, à la moralité, aux écritures ou à la prescription de rituels ».
Mais dans quels milieux les différentes visions du monde se manifestent-elles ? Dans l’histoire chrétienne, la vision incarnationnelle se manifester des plus fortement chez les premiers Pères de l’Eglise orientaux, dans la spiritualité celtique, chez beaucoup de mystiques associant la prière avec un intense engagement social, dans la spiritualité franciscaine en général, chez beaucoup de mystiques de la nature et dans l’éco-spiritualité contemporaine. Dans l’ensemble, une vision matérialiste est répandue dans le domaine technocratique et les domaines que ses adhérents colonisent. La vision du monde spirituelle est portée par toute une gamme de gens ardents et ésotériques et on trouve la vision du monde sacerdotale dans presque toutes les religions organisées ».
Richard Rohr nous introduit ensuite dans le vécu de cette vision incarnationnelle. « Une vision du monde incarnationnelle fonde la sainteté chrétienne dans une réalité objective et ontologique au lieu de seulement une conduite morale. C’est son grand bienfait. Cependant, c’est le saut important qu’un si grand nombre de gens n’ont pas fait. Ceux qui ont franchi le pas peuvent se sentit saint dans un lit d’hôpital ou un bistrot aussi bien que dans une chapelle. Ils peuvent voir Christ dans ce qui parait défiguré et brisé aussi bien que dans ce qui est appelé parfait ou attractif. Ils peuvent s’aimer et se pardonner eux-mêmes parce qu’ils portent également l’image de Dieu (« imago Dei »). La conscience du Christ incarné mènera normalement vers des implications immédiates, pratiques et sociales. Ce n’est jamais une abstraction ou une théorie. Ce n’est pas même une agréable idéologie.
Si c’est un christianisme vraiment incarné, alors c’est toujours une religion vécue comme expérience concrète et non pas seulement de l’ésotérisme, des systèmes de croyance ou une médiation sacerdotale
Pour mieux envisager cette vision du monde incarnationnelle, on se reportera au livre de Richard Rohr : « The divine dance », tel que nous l’avons présenté sur ce blog (2). Nous y voyons un univers sans frontière, interrelationnel, ou circule le flux divin. « Dieu est celui que nous avons nommé Trinité, le flux (« flow » qui passe à travers toute chose sans exception et qui fait cela depuis le début. Ainsi, toute chose est sainte pour ceux qui ont appris à le voir ainsi… Que nous le voulions ou pas… Ce n’est pas une invitation que nous puissions accepter ou refuser. C’est une description de ce qui est en train de se produire en Dieu et dans toute chose créée à l’image et à la ressemblance de Dieu » (p 37-38).
Texte de Richard Rohr rapporté par J H
- « An incarnational Worldview » (Une vision du monde incarnationnelle : https://cac.org/daily-meditations/an-incarnational-worldview/
- La danse divine : https://vivreetesperer.com/la-danse-divine-the-divine-dance-par-richard-rohr/
par jean | Déc 25, 2023 | Vision et sens |
« A spring within us » (1)
Selon Richard Rohr
C’est le titre d’un article de Richard Rohr autour de la source intérieure dont parle Jésus dans l’épisode de la femme samaritaine au chapitre 4 de l’Évangile de Jean. Il y voit le flux incessant de la grâce de Dieu envers nous.
« Dans les Écritures chrétiennes, nous lisons un texte au sujet de Jésus encourageant une femme samaritaine à puiser de l’eau d’un puit public et à lui en donner (Jean 4.7). A cet ancien puit, les rôles attendus sont renversés. Une vulnérabilité réciproque se révèle comme Jésus invite la femme à être à la fois la réceptrice et « la source », la donatrice de l’eau vive. Dans un genre de flux presque trinitarien, Jésus décrit ce transfert comme « l’eau que je vous donnerai sera comme une source à l ’intérieur de vous se déversant jusque dans la vie infinie » (Jean 4.14).
Une source à l’intérieur de nous
Richard Rohr nous invite à voir là une œuvre de personnalisation. « En d’autres mots, l’ancien puit spirituel est entièrement transféré à la personne individuelle. C’est maintenant une œuvre intérieure et elle a un effet de jaillissement qui est exactement l’image que des mystiques espagnols du XVIe siècle : Francisco de Osuna, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, aimaient tant. Ce thème est également répété quand Jésus dit que, de son cœur, jailliront des courants d’eau vive (Jean 7.38).
Richard Rohr met l’accent sur l’intériorité. Ce qui se joue est à l’intérieur, non à l’extérieur. « La plus merveilleuse métaphore de Jésus pour décrire cette expérience intérieure de grâce, c’est « une source à l’intérieur de vous ». La source n’est pas à l’extérieur de nous. Elle est à l’intérieur et elle bouillonne jusque dans la vie éternelle ».
Reconnaissons que le Ciel est déjà donné et le don délivré
A partir de là, Richard Rohr nous appelle à un travail de reconnaissance. « En réalité, la cognition et la connaissance spirituelles sont toujours re-cognition, reconnaissance. C’est la reconnaissance de ce que nous savons déjà être vrai à un niveau profond. Nous avons eu une intuition où nous avons soupçonné que nous pouvions être un enfant bien-aimé de Dieu, mais nous pensons souvent que c’est trop bon pour être imaginé ». Richard Rohr revient sur la réalité d’une présence divine déjà là. « Le Ciel est déjà donné et le don a déjà été délivré. Jésus le dit très directement à la femme au bord du puit. « Si vous saviez le don de Dieu, vous lui auriez demandé et il vous aurait donné de l’eau vive » (Jean 4. 10). A elle et à nous, Jésus dit que nous avons déjà le don de Dieu. L’Esprit a été déversé dans nos cœurs au moment de notre création. Nous sommes déjà des enfants de Dieu. L’eau bouillonne à l’intérieur de nous, mais souvent nous n’osons pas y croire ».
Arrêtons de chercher notre dignité et apprenons à jouir du don de Dieu
Richard Rohr comprend bien notre embarras. « La bonne nouvelle est juste trop bonne, trop impossible, trop éloignée. Nous disons : « Seigneur, je ne suis pas digne ». Mais la bonne nouvelle, c’est que cette dignité n’est pas même le problème. Qui, parmi nous, est digne ? Suis-je digne, est-ce que l’évêque est digne ? Est-ce que les prêtres sont dignes ? Je ne le pense pas. Nous sommes tous à des degrés divers d’indignité ou de faillibilité, mais quand nous commençons à nous rendre à cette réalité/identité/connaissance, la fontaine de grâce commence à couler et nous commençons à connaitre le don de Dieu. Nous arrêtons de chercher notre propre dignité et nous commençons à connaitre le don de Dieu. Nous commençons à réaliser que c’est tout don et que c’est tout gratuit, que nous l’avons déjà. Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’apprendre à en jouir. Cela change tout ».
D’après Richard Rohr, J H
- A spring within us : https://cac.org/daily-meditations/a-spring-within-us/
par jean | Nov 1, 2023 | Vision et sens |
Un livre de Frédéric de Coninck, bibliste et sociologue
Les paroles de Jésus dans les Béatitudes apparaissent comme majeures dans son enseignement et elles viennent donc inspirer la vie chrétienne, mais pour un grand public, il peut être utile d’en rapporter la présentation dans Wikipédia : « Les Béatitudes (du latin beatitudo : le bonheur) sont le nom donné à une partie du Sermon sur la montagne, rapporté dans l’Évangile selon Matthieu (5.3-12) et à une partie de Sermon dans la plaine de l’Évangile selon Luc (6.20-23) » (1).
Malgré l’importance de ces paroles dans l’enseignement de Jésus, leur réception ne va pas de soi comme en témoigne Frédéric de Coninck en racontant des étapes de son long cheminement dans son approche des Béatitudes jusqu’à la rédaction de son livre. Maintenant Frédéric peut nous dire ici combien ces paroles de Jésus sont là pour inspirer notre vie chrétienne tant personnelle que collective. Très tôt cependant, Frédéric avait été touché par la manière dont les sœurs protestantes de Pomeyrol proclamaient l’esprit des Béatitudes en termes de « joie, simplicité, miséricorde », en phase avec la galaxie spirituelle de « la Fraternité spirituelle des veilleurs », des sœurs de Grandchamp et de la communauté de Taizé (p 10-13).
Cependant, au terme de son long cheminement, Frédéric vient nous dire que ce message des Béatitudes est accessible à tous et qu’il est aussi indispensable pour tous, face aux aléas de la vie. « Je voudrais montrer la pertinence de ce message pour encourager les chrétiens à le prendre au sérieux et à se tourner vers Dieu pour lui demander son aide. Je le fais d’abord pour eux parce que la radicalité de l’évangile est libératrice et source de bonheur ».
« Je le fais ensuite pour le monde autour d’eux ». Jésus ne s’est pas adressé seulement aux disciples, mais à la foule qui l’entourait. « Il m’importe que ce peuple qui vit les Béatitudes ne soit pas limité à des petits cercles restreints dans l’espace et faciles à isoler. Il importe que « la foule » entende quelque chose de ce message. C’est cela qui donnera corps et chair à notre témoignage et qui pourra montrer au monde autour de nous que Dieu ne l’a pas oublié et qu’il a aujourd’hui encore quelque chose à lui dire, une bonne nouvelle à lui annoncer » (p 17).
Voici pourquoi Frédéric de Coninck a intitulé son livre : « Les Béatitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies » (2).
Quelques clés pour comprendre les béatitudes. La construction de ce livre
La lecture des Béatitudes n’est pas sans présenter quelques difficultés. Frédéric de Coninck nous présente quelques approches pour en faciliter la compréhension. « Il est très éclairant », nous dit-il, de rattacher les phrases des Béatitudes à l’ensemble de l’évangile de Matthieu ainsi qu’à d’autres livres de la Bible ». « Ce bref texte ne doit pas être extrait de l’évangile de Matthieu et regardé pour lui-même ». On doit le considérer en rapport avec ce qui précède (les tentations de Jésus) et ce qui suit. « Ce texte est un moment dans l’ensemble du ministère de Jésus, auxquels de nombreux autres moments font écho » (p 20).
Et, d’autre part, une bonne part des mots ont une histoire dans l’Ancien Testament. On tiendra compte également de la traduction dans le passage du lexique hébreu au lexique grec.
Frédéric de Coninck nous invite à entrer dans «la visée du texte : faire entrer dans une spiritualité plutôt que d’édicter des règles de conduite ».
« Les Béatitudes heurtent en effet, si on les prend comme des devoirs à accomplir. Plus même que heurter, elles écrasent. Naturellement, Jésus recommande certaines attitudes au travers de ce texte. Mais son propos est plutôt d’ouvrir l’accès à une vie libre et heureuse. C’est ainsi qu’il a vécu, lorsqu’il est venu parmi nous, et c’est ainsi qu’il nous invite à le rejoindre, au milieu de nos aliénations, de nos errances et de nos fausses pistes » (p 21).
L’auteur ouvre quelques orientations.
° Les Béatitudes ouvrent à une pratique. « Elles nous incitent à mettre en œuvre l’esprit de pauvreté, la construction de la paix, la recherche de la justice etc. à la mesure de nos forces ».
° Elles répondent à beaucoup d’énigmes et d’impasses qui taraudent le monde d’aujourd’hui.
° « Enfin, les Béatitudes ne sont pas seulement des poteaux indicateurs. Elles sont aussi une voie d’entrée pour construire une relation avec le Christ. Nous comprenons mieux qui est Dieu en nous, en nous mettant à l’écoute de ses paroles et cela modifie la relation que nous avons avec lui. Et qui dit relation transformée, dit vie transformée : nous nous approchons de l ’esprit des Béatitudes au fil de l’évolution de notre rapport avec Dieu ».
« Porter attention à la visée communautaire, voire collective, de ces aphorismes majeurs, éclaire leur sens et nous fournit une clé d’entrée majeure pour les actualiser ».
Frédéric de Coninck nous rappelle l’enfermement de l’individualisme prégnant dans la société contemporaine.
Or, « les Béatitudes sont écrites au pluriel ». « Elles concernent le peuple tout entier ». Ainsi, selon Frédéric, « les Béatitudes, à la fois nous rejoignent dans notre intimité, dans nos réactions les plus personnelles et les plus secrètes, et elles se projettent vers des formes collectives où elles peuvent se vivre ». On peut donc lire les Béatitudes comme le socle d’une spiritualité intime, aussi bien que communautaire, voire sociale. Et les trois lectures s’enchaînent l’une avec l’autre. Le bonheur qu’elles procurent s’approfondit si on suit le passage entre ces trois niveaux. Elles nous appellent à vivre les uns avec les autres d’une manière renouvelée et joyeuse et c’est ainsi qu’elles prennent corps et sortent de l’idéalisme dont on peut les soupçonner. Et c’est pour cela que je parle de contre-culture : ce ne sont pas seulement des choix ponctuels, ce ne sont pas seulement des choix individuels, c’est une autre manière de voir le monde et d’y vivre ».
C’est dans cette perspective que le livre a été conçu. Les chapitres portant successivement sur chaque Béatitude, sont coupés en deux parties ; d’abord l’étude du texte, en le rattachant au reste de l’Évangile de Mathieu et aux passages de l’Ancien Testament qui l’ont précédé, ensuite une actualisation que j’ai appelée : « au quotidien ». Cette actualisation montre les dégâts causés par le fait de tourner le dos, individuellement et collectivement, à l’esprit des Béatitudes. Elle trace ensuite la voie d’une spiritualité heureuse, à la suite du Christ et dans la lumière de l’Esprit au niveau individuel et intime d’abord. Ensuite j’examine les retentissements communautaires et potentiellement sociaux de cette spiritualité » (p 26-27). Il y a là un horizon potentiellement socio-politique. « Celui qui tente de suivre (sans même y parvenir complétement) la démarche proposée par les Béatitudes se retrouve à rebours des tendances dominantes, inscrit dans une contre-culture. Et il découvre que cette contre-culture est une contre-culture heureuse, au milieu de sociétés d’abondance, inquiètes, déboussolées et malheureuses » (p 27).
A titre d’exemple, nous présenterons maintenant un chapitre consacré à une des Béatitudes.
Heureux les doux, car ils hériteront la terre
L’auteur consacre le chapitre 5 à la béatitude : « Heureux les doux, car ils hériteront la terre », en donnant pour titre à ce chapitre : De la tragédie du pouvoir à une politique de la douceur. Une spiritualité de la grâce en action.
Son premier commentaire explicite ce titre. « Cette béatitude et les mentions (rares, mais décisives) de la douceur de Jésus lui-même dans l’évangile de Matthieu nous entrainent vers un sujet crucial : le pouvoir, ses tragédies et le moyen de traverser les espaces politiques (dans tous les sens du terme) d’une manière heureuse et pertinente. Autour du thème de la douceur, on peut parcourir toute la gamme qui va du choix individuel à une pratique communautaire, jusqu’à un contre-modèle de ce qui structure un bonne partie des pratiques sociales » (p 59)
Comme à l’habitude, Frédéric de Coninck éclaire la béatitude en rapportant l’inspiration de l’Ancien Testament, ici en se référant au Psaume 37. En effet, cette béatitude est une citation littérale de la version grecque du Psaume 37, qui traduit par « doux », un mot hébreu qui peut aussi vouloir dire « pauvre » ou « humble ». Dans le Psaume 37, c’est la formule : « Ils hériteront de la terre » qui sert de leitmotiv. Cependant, en hébreu, il n’y a qu’un mot pour dire ‘le pays’ ou ‘la terre’. Pour le Psalmiste, ce sont plutôt finalement les doux, les justes, ceux qui espèrent le Seigneur et qui gardent ses voies, qui posséderont le pays… Sur un mode apaisé et distancié, ce texte fait bien écho à la tragédie du pouvoir… Celui qui est en position de pouvoir a tendance à en abuser… A l’inverse, les prophètes et les psaumes ne cessent de souligner que l’on n’accède pas au pouvoir par le pouvoir » (p. 61)
L’auteur voit dans l’opposition entre Saul et David, « une illustration majuscule de la tragédie du pouvoir ». David n’est pas un doux au sens où nous l’entendons, mais il manifeste un respect du pouvoir royal (en tant qu’institution), une sensibilité aux autres, une écoute de la critique qui en fait un antitype de Saul. Il possède une forme d’humilité et d’ouverture aux autres qui tranche avec l’orgueil et l’enfermement de Saul ». Frédéric de Coninck commente cette histoire (p 62-66).
« Dans le psaume 37, Jésus sélectionne le verset le plus éloigné de la vengeance à savoir celui qui parle de la douceur. Le mot hébreu signifie plutôt ce qui est humble et respectueux. Jésus lui-même se dira : « doux et humble » (Mt 11-29). C’est le sens le plus proche. On est à l’opposé de la tragédie du pouvoir… ». D’autre part, Jésus n’envisage pas le succès d’une nation ou d’un parti. « La version grecque qui avait déjà élargi du « pays » à la « terre » est, dans le cas présent, pertinente » (p 67). Du côté de la tragédie du pouvoir, Jésus a refusé « tous les royaumes du monde et leur gloire » (Mat 4.8) que le diable lui proposait. « La douceur et l’humilité s’opposent trait pour trait à la violence ». Qu’entend donc Jésus par « hériter la terre » ? « En fait, la douceur (de même que la miséricorde et la fabrique de la paix) correspond à la grâce en action. C’est pour cela que cette béatitude décrit plus encore que les autres, Jésus lui-même. Et c’est pourquoi il dira explicitement : « Je suis doux et humble de cœur » (Mat 11.29)… La grâce et le mode d’être et d’agir de Jésus dans ce monde brutal et déchiré par la tragédie du pouvoir. Jésus fait grâce et cela se traduit par son accueil et sa douceur… Au-delà de la dénonciation du pouvoir, cela construit des espaces de vie plus vastes qu’on ne l’imagine souvent : des espaces de vie sociale heureuse qui vont jusqu’aux limites de la terre. C’est là l’héritage que Jésus nous promet. La « terre » est, si l’on veut, l’ici-bas, traversé par une logique contre-culturelle » (p 68-69).
Frédéric de Coninck cite la parole de Jésus : « Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mat 11.28-30). « Les mots de « joug » et de « fardeau », ne sont pas employés au hasard, nous dit l’auteur. « Il s’agissait, quasiment, pour les juifs qui écoutaient Jésus, de termes techniques qui désignaient les devoirs de la loi ». « Jésus appelle donc ceux qui souffrent une dure domination à venir vers lui pour desserrer l’étreinte. Et, il pense, en premier lieu, à la torture morale que les personnes subissent en s’efforçant d’observer la loi. C’est de ce fardeau qu’il entend en premier lieu les délivrer ». « Pour la plupart des habitants d’Israël, la religion était devenue un carcan difficile à porter. Jésus se pose en rupture. Il est celui qui vient alléger le poids du fardeau » (p 69-72).
En Jésus, la douceur s’est également manifestée dans sa recherche de proximité en contraste avec l’isolement du pouvoir. Jésus « cherche à rejoindre l’autre dans les difficultés et les pénibilités de la vie, à marcher avec lui. C’est ce que Kierkegaard a appelé « l’école du christianisme ». L’attitude de la grâce que Jésus enseigne à adopter dans cette école rejoint celui qui est prêt à répondre à un appel et non pas celui qui est contraint d’obéir à un ordre… La stratégie éducative de Jésus est en ligne avec sa stratégie politique. Il renonce là aussi à cadrer de trop près par la loi… » (p 72). « Quel est donc le territoire étrange que Jésus entend construire à travers cette école particulière ? Il ressemble sans doute plus à un réseau où les personnes se reconnaissent mutuellement proches les unes des autres, qu’à un espace délimité régi par un souverain » (p 72-73).
On retrouve mention de cette douceur dans le récit de la passion. Matthieu s’inspire du prophète Zacharie à propos de l’épisode du jour des Rameaux. « Voici que ton roi vient à toi, doux et monté sur une ânesse et sur un ânon (Mat 21.4-30). L’auteur constate que Matthieu s’inspire beaucoup du prophète Zacharie, mais « il y pioche dans les épisodes les plus opposés au triomphe militaire… On comprend indirectement que pour Matthieu, Jésus a pleinement accompli la prophétie de Zacharie en restant le roi doux monté sur un âne et sans avoir besoin de faire appel au versant sombre et violent des autres passages » (p 75).
Frédéric de Coninck s’interroge ensuite sur les effets de cette attitude « au quotidien ». Comment cet esprit s’est-il manifesté dans l’histoire ? Il nous entretient d’une longue « éclipse de la politique de la douceur », de la violence dominatrice qui s’est imposée lorsque la christianisme a pactisé avec l’empire, « jusqu’à la résurgence franciscaine, puis la Réforme radicale au XVIe siècle » (p 78).
Citant une personnalité de cette Réforme radicale, Pilgram Marpeck, Frédéric de Coninck distingue deux logiques d’action : Ou on parle beaucoup d’attention « à l’ordre social que produisent le droit et l’usage légitime de la force », ou on recherche un mode de vie inspiré par « la grâce, la pitié, l’amour de l’ennemi, la patience et la foi au Christ sans coercition ». Cette seconde approche engendre quelque chose plutôt de l’ordre de la thérapeutique. D’ailleurs, « la figure de Jésus thérapeute est fréquente chez Marpeck ». « Est-ce que cela a du sens de vivre l’amour dans un mode brutal ? C’est ce qu’annonce cette béatitude. Cela a du sens même individuellement. Et collectivement, cela produit un espace social particulier. Quand les chrétiens s’interrogent sur le rôle social qu’ils peuvent tenir dans la société, ils sous-estiment souvent la portée d’une attitude de douceur, d’accueil de l’autre, de compassion. Ils sous-estiment également la consistance du territoire qui se construit de cette manière » (p 78).
Qu’en est-il aujourd’hui ? « Quels territoires émergent, mettant en œuvre la grâce et la douceur ? On en a plusieurs exemples dans l’Église comme hors de l’Église. Les démarches coopératives ou associatives, par exemple, construisent des entités fragiles, bien plus fragiles que les états… Mais l’élan, la capacité à faire face à des situations critiques, l’invention de nouvelles manières de vivre ensemble, sont clairement du côté des espaces de vie où l’on s’accueille les uns les autres avec douceur et bienveillance » (p 79). Significativement, un des premiers sociologues des religions, Henri Desroche, s’est intéressé d’un coté à ce qu’on appelle ‘Les religions de contrebande’, et de l’autre aux mouvements coopératifs contemporains. Entre La société vue d’en bas par les contrebandiers de la religion et les coopératives, il y a des analogies et des familiarités » (p 79).
Il y a grand besoin de douceur « dans nos sociétés contemporaines qui sont malades de la faiblesse des relations de proximité et de la force des relations sociales formelles qui poussent à l’individualisme ». (p 80).
Le chapitre se conclut ainsi : « La douceur est un portail d’entrée dans la contre-culture heureuse à laquelle nous invite le Christ. Elle est même, peut-être, le trait qui se rapproche le plus de sa personne. C’est en tout cas le trait que souligne l’Évangile de Matthieu.
« Heureux les doux, car ils hériteront la terre » (p 80).
Une ouverture évangélique
Dans son livre, Frédéric nous aide à lire les Béatitudes dans leur contexte biblique. Comme dans ses nombreux livres parus depuis les années 1990 et souvent présentés sur le site de Témoins (3), Frédéric allie la compétence et une intelligence informée par une culture originale tant à travers son métier de sociologue qu’à travers les questions qu’il pose et auxquelles il cherche à répondre. C’est une recherche en évolution, car Frédéric est lui-même constamment en quête, comme il nous en décrit ici le cheminement.
En évoquant une contre-culture nourrie par les Béatitudes, Frédéric de Coninck nous parait bien inspiré. Car, on prend partout conscience que notre société fait fausse route. La prise de conscience écologique contribue à la mise en évidence de l’inadéquation d’une culture instrumentale et individualiste. Avec Corinne Pelluchon, comment entrer dans l’âge du vivant ? (4) Une aspiration spirituelle se développe.
Si le mal est, hélas très actif aujourd’hui, Il y a donc bien également un nouvel état d’esprit à même d’entendre le message des béatitudes. Ainsi avons-nous présenté le livre de Michel Serres : « Une philosophie de l’histoire » (5) : « Au sortir de massacres séculaires, vers un âge doux portant la vie contre la mort ». Des courants alternatifs apparaissent et se développent. Parmi ces mouvements, on peut noter la promotion de la sollicitude et du soin dans un culture et une société du « care ». (6). A la même époque, apparait également la promotion de la non-violence à travers le mouvement de la « communication non-violente ». (7) On peut voir ici une œuvre de l’Esprit de Dieu qui agit bien au-delà des Églises. L’inspiration des Béatitudes vient nous énoncer le dessein de Dieu à travers les paroles de Jésus. Si ce texte est répété à maintes reprises dans l’enseignement chrétien, le livre de Frédéric de Coninck vient renouveler et actualiser notre compréhension.
J H
- Les Béatitudes , dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Béatitudes
- Frédéric de Coninck. Les Béatitudes au quotidien. La contre-culture heureuse des Évangiles dans l’ordinaire de nos vies. Exelcis, 2023
- Frédéric de Coninck sur le site de Témoins : https://www.temoins.com/?s=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+de+Coninck&et_pb_searchform_submit=et_search_proccess&et_pb_include_posts=yes&et_pb_include_pages=yes
- Des Lumières à l’âge du vivant. Selon Corinne Pelluchon : https://vivreetesperer.com/des-lumieres-a-lage-du-vivant/
- Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/
- Une voix différente. Pour une société du care : https://vivreetesperer.com/une-voix-differente/
- Marshall Rosenberg et la communication non violente : https://vivreetesperer.com/vois-la-beaute-en-moi-un-appel-a-entendre/
par jean | Nov 1, 2023 | Vision et sens |
Tout se tient. Nous sommes reliés, interconnectés. Dès 2006, dans son livre : ‘Something there’ (1), David Hay évoque la spiritualité en terme de ‘Conscience relationnelle’. Ainsi, dans la part de cette recherche consacrée à la vie enfantine, l’analyse des conversations avec les enfants montrait combien ils se sentaient reliés à la nature, aux autre personnes, à eux-mêmes et à Dieu.
Depuis la fin du XXe siècle, la reconnaissance de cette reliance transparait dans la théologie chrétienne avec l’apparition de la nouvelle théologie trinitaire de Jürgen Moltmann. Dieu est communion (2). De même, Richard Rohr évoque constamment la réalité d’une interconnexion (3). Cette prise de conscience de l’importance de la relation est également un phénomène culturel : ‘Relions-nous !’ (4). Ce livre présente un mouvement de pensée. Et voici qu’un ‘Manuel de transition intérieure’, un livre qui vient nous introduire dans le changement personnel requis par l’entrée dans un nouvel âge, un âge écologique, un âge du vivant, s’affiche dans le titre de ‘Reliance’ (5). Pour répondre au dérèglement planétaire, un véritable ‘changement de paradigme’ s’impose et requiert ‘une transition tant intérieure qu’extérieure’. « Cette métamorphose de notre ‘être-au-monde’ appelle un réveil de l’imaginaire, un dépassement des dualismes, et une ouverture à la spiritualité ». Cet ouvrage a pour auteurs, Tylie Grosjean, Elie Wattelet et Michel Maxime Egger, souvent évoqué sur ce site (6). A l’intention du vaste public auquel ce livre est destiné, un chapitre est consacré à une ‘ouverture à la spiritualité’ et c’est dans ce chapitre que nous avons puisé les éléments d’une réflexion sur la ‘reliance’.
Reliance au plus grand que soi
Les auteurs mettent en évidence un « regain de spiritualité, en lien en particulier avec des engagements écologiques et sociétaux ». « Ce n’est pas qu’un effet de mode. Il constitue une tendance de fond dans le monde occidental. En toute rigueur intellectuelle, il convient de le prendre en compte dans une approche de la transition qui se veut holistique et dynamique » (p 102-103).
Mais qu’est-ce que la spiritualité ? Peut-on en approcher une définition ? En fait, « le mot renvoie à des expériences plurielles qui ressortent notamment dans une large enquête menée en 2013 auprès de personnes fréquentant le forum 104, carrefour parisien entre spiritualité et transition. A la question : qu’est-ce que la spiritualité ? on peut lire des réponses très diverses : la rencontre de l’être humain avec son âme ; la quête de la réalité de ce que nous sommes au-delà des apparences ; ce qui donne sens à ma vie ; être relié au divin qui est en chacun de nous… une réalité invisible, mais qui existe, porteuse de valeurs et d’idéaux pour l’humanité ; un chemin de connaissance de soi et un éveil à l’au-delà… ». Les auteurs avancent cette proposition : « la spiritualité désigne la relation à un autre plan du réel de la vie et de la conscience : ‘le plus grand que soi’ ». Comme l’étymologie du mot renvoie à ‘l’esprit’, « dans notre perspective, ce n’est pas seulement la vie de l’esprit (avec une minuscule), mais la vie de ou dans l’Esprit (avec une majuscule) comme expression justement du ‘plus grand que soi’ » (p 103). Différentes versions sont ensuite évoquées : immanence, transcendance, immanence et transcendance (panenthéisme ).
« Pour une spiritualité de la transition qui ne peut être que non dogmatique, ouverte et sans exclusive, le ‘plus grand que soi’ est un mystère ineffable qui nous dépasse et fait partie inhérente de la vie sur Terre. Or un mystère ne s’explique pas et ne se résout pas comme une énigme, il se vit et se célèbre. Ainsi qu’en témoignent les mystiques, on n’y accède qu’en participant à sa vie même. Il échappe à notre compréhension, excède tous les noms et images dont on l’affuble… Quelles que soient la forme et la dénomination, pour paraphraser le théologien Jean-Yves Leloup, il renvoie à l’Être, la Conscience, la Vie, la Relation et l’Amour qui est à la source de tout être, de toute conscience, de tout vie, de toute relation et de tout amour » (p 104). « On peut donc entendre la spiritualité comme une vie reliée au ‘plus grand que soi’, lequel est la source secrète, humble, puissante, et féconde du vivant ».
Cette approche est illustrée ici par un témoignage. « Pour Michel Maxime comme pour beaucoup d’autres, une telle expérience d’éveil a constitué un tournant radical dans sa vie, un moment fondateur et sans retour : « C’était en 1984, pendant l’année que j’ai passé en Inde ». Il raconte le contexte de son expérience : « Le corps limé et l’âme polie par la route, j’étais descendu au petit matin au bord d’un étang dans lequel se mirait un temple. Là, dans le silence et la solitude de l’aube, la transparence cristalline de l’eau, j’ai été soudain submergé par une vague de paix et de lumière. Les larmes abondantes coulaient san raison et sans fin. Entre le monde et moi, tout soudain était communion, amour, harmonie. Rien ne manquait plus, plus rien n’était à attendre et à espérer. Il y avait juste la vie dans son abondance et sa puissance, l’être dans sa plénitude et sa pureté. A partir de cet instant, rien n’était plus comme avant et ne le serait jamais plus ». Cette expérience de plénitude rejoint celles décrites par David Hay dans son livre ‘Something there’ (1). « Une autre dimension de la conscience s’était ouverte à moi », poursuit Michel Maxime. « Oui, il y a au plus profond de l’être et du monde un Esprit, un Souffle, une Présence infinie, au-delà du temps et de l’espace, qui transcende le réel et qui le fonde… ». Cette vision s’est précisée par la suite : « A cet instant là, ce Réel ultime était encore impersonnel ; il n’avait ni nom, ni visage, mais il était – il prendra plus tard la forme du Christ. Toute la suite de ma vie jusqu’à aujourd’hui, a été de cultiver les fruits de cette expérience… » (p 105).
Un sacré relationnel
« De la refondation spirituelle du cosmos découle un art de la reliance. Être et vivre, c’est être et vivre avec. Cela revient à créer des ‘écosystèmes de vie bien reliée’ à travers la culture d’un quadruple lien. A soi – au-delà de l’ego – dans une démarche de connaissance, d’accomplissement et d’alignement entre notre être profond, nos aspirations et ce que nous faisons. Aux autres – au-delà des frontières et des identités – dans la compassion et l’amour… Au vivant – au-delà de toutes les séparations – dans la conscience de nos interdépendances, la reconnexion profonde avec les autres formes de vie, humaines et autres qu’humaines. A « plus grand que soi » – au-delà de tous les dogmes – à travers l’accès à des états de conscience plus larges, plus profonds et élevés où nous répondons à l’appel de l’infini et accueillons le Souffle qui se donne » (p 111).
Ce sera la relation qui sera au cœur de notre existence tant pour réparer des liens que pour en établir de nouveaux. Ici les auteurs s’inspirent du philosophe juif Martin Buber. Selon lui, le but est d’établir des relations ‘je-tu’ plutôt que ‘je-cela’. « Ce dernier est superficiel, unilatéral, instrumental. L’autre… y devient un objet au service de l’ego séparé et séparant. Le ‘je-tu’ au contraire est profond, réciproque et dialogal… L’autre est rencontré, accueilli et reconnu sans jugement, dans sa liberté, sa singularité et sa dimension divine. La dualité devient communion d’amour, union sans fusion et confusion » (p 112). Le ‘je-tu’ est le fondement pour construire un ‘nous’ authentique – si important dans les collectifs de transition – qui permet de dépasser le culture du ‘moi-je’ dans le respect de l’unicité et de l’altérité de chaque personne. ‘Je suis parce que nous sommes’ affirme la sagesse traditionnelle bantoue. Et, estime Martin Buber, « à partir d’un certain degré de vérité et de profondeur, un espace s’ouvre dans le ‘je-tu’ où se manifeste un ‘Tu majuscule’ d’essence spirituelle : le ‘Tu éternel et divin’ qui par essence ne peut jamais devenir un ‘cela’ et constitue l’origine et la sève de l’amour inconditionnel ». « Cette métamorphose revient à réaliser ce que plusieurs traditions de sagesse considèrent comme la vocation de l’être humain : devenir un pont – à l’intérieur et l’extérieur de soi – entre la Terre et le Ciel, le matériel et le spirituel, le fini et l’infini, le temps et l’éternité ».
« Dans cette dynamique, nous passons alors de la connaissance sur à la connaissance de. Une connaissance qui est co-naissance (naissance avec), directe, intuitive, globale, paradoxale, au-delà de la dualité sujet-objet, dan une saisie immédiate par-delà les mots et les images. Le langage de cette connaissance est celui du mythe et du symbole, ses moteurs sont l’émerveillement et l’amour. » (p 112)
Nous entrons ici dans le royaume du sacré. « Forgé par l’anthropologie culturelle, le ‘sacré’ est une notion complexe, lourde d’héritages divers. Étymologiquement, il désigne ce qui est (mis) à part, séparé de l’impur et du profane. C’est traditionnellement le domaine du ‘Tout Autre’, tissé de règles et d’interdits ».
Aujourd’hui, le sacré change de visage, dans une nouvelle conscience et un nouveau type d’expérience spirituelle (7). Il n’est pas réductible au religieux institué qui n’en est qu’une des expressions. Il n’est plus assigné à un lieu, mais est potentiellement partout. Il ne sépare plus, mais relie. Il n’existe plus en soi, mais émerge à travers une relation « je-tu ». Cette expérience du sacré, personnelle et intime, croise souvent la mystique religieuse et la mystique sauvage. Elle peut survenir de manière circonstancielle, à la faveur d’une connexion profonde avec le vivant, d’une extase amoureuse, d’une lecture ou d’un rite. Elle peut aussi être le fruit d’un cheminement spirituel où l’on cultive un état intérieur d’alignement entre « plus grand que soi, le vivant et soi-même » (p 113).
Dans la foi chrétienne, une dimension personnelle vient s’inscrire dans la reliance. Elle se manifeste concrètement à travers la venue de Jésus, l’incarnation divine et la résurrection du Christ. Comme cela a été le cas dans le cheminement de Michel Maxime, ce message pourra être entendu dans le nouveau paysage spirituel qui se manifeste aujourd’hui, tel que ce livre vient le présenter à un vaste public en recherche de sens.
J H
- La vie spirituelle comme ‘une conscience relationnelle’. Une recherche de David Hay : https://www.temoins.com/la-vie-spirituelle-comme-une-l-conscience-relationnelle-r/
- Dieu, communion d’amour : https://lire-moltmann.com/dieu-communion-damour/
- La grande connexion : https://vivreetesperer.com/la-grande-connexion/
- Tout se tient. ‘Relions-nous’ : un livre et un mouvement de pensée. https://vivreetesperer.com/tout-se-tient/
- Michel Maxime Egger, Tylie Grosjean, Elie Wattelet. Reliance. Manuel de la transition intérieure. Actes Sud / Colibris (Domain du possible)
- Ecospiritualité : https://vivreetesperer.com/ecospiritualite/ Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/
- Comment la reconnaissance et la manifestation de l’admiration et de l’émerveillement exprimées par le terme : ‘awe’, peut transformer nos vies : https://vivreetesperer.com/comment-la-reconnaissance-et-la-manifestation-de-ladmiration-et-de-lemerveillement-exprimees-par-le-terme-awe-peut-transformer-nos-vies/
par jean | Juil 5, 2023 | ARTICLES, Vision et sens |
Pour une science post-matérialiste
Le terme matérialisme évoque des sens différents selon le contexte auquel on l’applique. Ainsi, dans la vie quotidienne, on peut désigner comme « matérialiste », « une personne qui cherche des jouissance et des biens matériels » (définition google). Ainsi, beaucoup de gens dans notre société ont pu être perçus à la fois comme individualistes et matérialistes. Aujourd’hui, on peut constater, au plan social, le développement d’attitudes et de comportements en réaction contre ce matérialisme pratique. En ce sens, le sociologue américain Ronald Inglehart désigne, en terme de post-matérialiste, une évolution culturelle dans les pays économiquement avancés dans laquelle les gens cherchent moins à satisfaire des besoins physiques élémentaires et davantage des besoins immatériels tels que l’estime, l’épanouissement de la personne ou les satisfactions esthétiques.
Cependant, sur un autre registre, le matérialisme désigne une philosophie d’après laquelle « il n’existe d’autre substance que la matière », « une doctrine qui rejetant l’existence d’un principe spirituel ramène toute la réalité à la matière et à ses modifications » (Google). L’origine de cette philosophie remonte à l’antiquité où elle figurait en regard d’autres écoles philosophiques. Cependant, dans la foulée du progrès scientifique, une métaphysique matérialiste a influé sur l’activité scientifique si bien qu’on peut évoquer un « matérialisme scientifique ». Dans le chapitre d’un livre qui œuvre en faveur du développement d’un paradigme post-matérialiste, ‘La nouvelle science de la conscience’ (1), Mario Beauregard répond à une question préalable : Qu’est-ce que le matérialisme scientifique aujourd’hui ? : « Peu de scientifiques sont conscients que ce que l’on appelle « la vision scientifique du monde » repose sur un certain nombre de postulats métaphysiques – c’est-à-dire des hypothèses sur la nature de la réalité – qui ont été proposées pour la première fois par certains philosophes présocratiques. Ces postulats comprennent le matérialisme – l’idée selon laquelle tout ce qui existe est constitué exclusivement de particules et de champs matériels / physiques (les termes « matérialisme » et « physicalisme » peuvent être utilisés de manière interchangeable dans ce chapitre) – et le réductionnisme, le concept selon lequel les choses complexes ne peuvent être appréhendées qu’en les réduisant aux interactions des parties qui les constituent, ou à des choses plus simples et plus fondamentales telles que de minuscules particules matérielles. Le « mécanisme », l’idée que le monde fonctionne comme une machine, représente un autre de ces postulats. Au cours du XXe siècle, ces postulats se sont durcis, puis transformés en dogmes et en un système de croyances connus sous le nom de « matérialisme scientifique » (p 18). Cette idéologie exerce une influence dans le domaine des neurosciences. « Selon ce système de croyances, l’esprit et la conscience – et tout ce que nous vivons subjectivement (par exemple, nos souvenirs, nos émotions, nos objectifs et nos épiphanies spirituelles)… ne sont rien de plus que des processus électriques et chimiques dans le cerveau : ces processus cérébraux étant en définitive réductibles à l’interaction entre des éléments physiques fondamentaux. Une autre implication de ce système de croyances est que nos pensées et nos intentions ne peuvent avoir aucun effet sur nos cerveaux et nos corps, sur nos actions et le monde physique, puisque l’esprit ne peut impacter directement les systèmes physiques et biologiques. En d’autres termes, nous les êtres humains, ne sommes rien d’autres que des machines biophysiques complexes. En conséquence, notre conscience et notre spiritualité disparaissent automatiquement lorsque nous mourrons » (p 18).
Cependant, aujourd’hui, de plus en plus de découvertes viennent contredire les théories matérialistes. On peut envisager « une vague d’éveil pour une science et une société post-matérialiste » (p 63). « La science connaît actuellement un changement fondamental. Le matérialisme sur lequel elle s’est appuyée pendant plusieurs siècles fait aujourd’hui place à un nouveau paradigme dans lequel la conscience est considérée comme étant causale et fondamentale » (page de couverture).
Un mouvement pour une science post-matérialiste
De nombreux scientifiques se conjuguent aujourd’hui pour promouvoir un paradigme post-matérialiste. « L’Académie pour l’avancement des sciences post-matérialistes » a organisé en février 2014 en Arizona, un « Sommet international sur la science, la spiritualité et la société post-matérialiste ». Des scientifiques couvrant des domaines d’expertise allant de la biologie et des neurosciences à la psychologie, la médecine et la recherche psi ont participé à cet événement déterminant. Il en est résulté « un manifeste pour une science post-matérialiste » (2) auquel plus de 300 scientifiques et philosophes du monde entier ont apporté leur soutien » (p 14). Pendant le sommet, plusieurs participants ont décidé de réaliser « une anthologie des perspectives et des preuves relative à la science post-matérialiste », ouvrage publié en français sous le titre : « La nouvelle science de la conscience » (1). « Coordonné par Mario Beauregard et Guy E Schwartz, cet ouvrage appréhende les concepts post-matérialistes relatifs à l’esprit, au corps et à la santé. En s’appuyant sur de nombreuses preuves, il aborde l’organisation et les fonctions spécifiques des phénomènes non physiques, ouvrant la voie à la possibilité de considérer leur nature et leur influence dans le cadre d’une future science globale » (page de couverture).
Une recherche pionnière : Mario Beauregard
Dans un premier chapitre, Mario Beauregard nous introduit à une « prochaine grande révolution scientifique ». Ce chercheur travaille depuis longtemps en ce sens et nous avions rapporté une de ses conférences dans un article : « Comment nos pensées influencent la réalité » (3) et présenté un de ses livres : « Brain wars » (4).
En s’inscrivant dans la perspective du changement des paradigmes énoncée par Thomas S Kuhn, Mario Beauregard écrit : « Les scientifiques qui travaillent actuellement dans le domaine de la recherche sur la conscience et qui s’intéressent au problème : « esprit-cerveau », se trouvent dans une situation similaire à celle des physiciens au début du XXe siècle. Ils sont indéniablement confrontés à une quantité croissante de preuves d’anomalies qui ne peuvent être élucidées par les théories de la pensée matérialiste » (p 21). Mario Beauregard nous présente ensuite quelques unes de ces preuves.
« Les différentes preuves examinées ici sont regroupées en deux catégories. La catégorie I comprend les preuves comme quoi une explication matérialiste, bien que couramment présentée, est moins appropriée qu’une explication post-matérialiste. Cette catégorie comprend les phénomènes suggérant que l’esprit ne soit limité ni par l’espace, ni par le temps. La catégorie II comprend des preuves qui sont rejetées d’emblée par les théories de la pensée matérialiste, mais qui viennent soutenir une perspective post-matérialiste, celle-ci étant incompatible avec la perspective matérialiste selon laquelle l’esprit et la conscience sont produits uniquement par le cerveau » (p 22). Ces différents éléments de preuve apparaissent dans la complexité de leur nature et de leur mise en œuvre, aussi notre compte-rendu sera sommaire en renvoyant le lecteur à la description formulée dans ce chapitre.
L’esprit au delà de l’espace et du temps
« L’un des éléments de preuve concerne les phénomènes dit « psi » qui comprennent la perception extra-sensorielle (PES), et la psychokinésie (PK). La perception extra-sensorielle désigne l’acquisition d’informations sur des événements ou des objets extérieurs par des moyens autres que la médiation d’un vecteur de communication sensorielle connu. Cela comprend la télépathie – l’accès aux pensées d’une autre personne sans l’utilisation d’aucun de nos vecteurs sensoriels connus, la clairvoyance – la perception d’évènements ou d’objets qui ne peuvent être perçus par les sens connus, et la précognition – la connaissance d’un événement futur qui ne peut être déduit à partir d’informations connues dans le présent. La psychokinésie (PK) se réfère à l’influence de l’esprit sur un système physique qui ne peut être totalement expliqué par la médiation d’un moyen physique connu » (p 22). Depuis plusieurs décennies, des expériences répétées à travers des dispositifs sophistiqués ont prouvé la réalité de ces phénomènes.
L’esprit au delà du cerveau
D’autres phénomènes concernent « l’esprit au delà du cerveau » : les expériences de la mort imminente pendant un arrêt cardiaque et la mort clinique ; recherches sur la réincarnation et les vies antérieures ; recherches sur la médiumnité ; communications sur le lit de mort ». « Les expériences de mort imminente (EMI) sont des expériences intenses et réalistes qui transforment généralement profondément la vie des personnes qui ont été proches de la mort psychologiquement et physiologiquement. Les principales caractéristiques des EMI sont un souvenir clair de l’expérience, une activité mentale décuplée, et la conviction que l’expérience vécue est plus réelle que celle de la conscience ordinaire à l’état de veille. L’expérience hors du corps (EHC) est une autre caractéristique typique des EMI ; la personne a l’impression réelle d’être sortie de son corps et d’observer les évènements qui se déroulent autour d’elle, ou parfois dans un lieu éloigné. Les EMI sont fréquemment évoquées lors d’un arrêt cardiaque… Étant donné que les structures cérébrales qui soutiennent l’expérience consciente et les fonctions mentales supérieures ( par exemple la perception, la mémoire et la conscience) sont gravement endommagées, on ne s’attend pas à ce que les survivants d’un arrêt cardiaque aient des expériences mentales claires et lucides dont ils se souviendront… Il convient de noter que les personnes ayant vécu une EMI déclarent avoir perçu des choses qui coïncident avec la réalité alors qu’elles étaient cliniquement mortes » (p 25). Un autre chapitre du livre, sous la plume de Pim Van Lommel, médecin cardiologue réputé, est consacré aux expériences de mort imminente, « une forte indication en faveur de la conscience non locale » (p 191-209).
L’auteur évoque également le cas de « jeunes enfants ayant rapporté des vies antérieures ». « Au cours des cinquante dernières années, plus de 2500 cas de ce genre ont été étudiés ». « La plupart de ces enfants ont des souvenirs de vie antérieure entre deux et cinq ans… Environ 80% des supposés souvenirs de vie antérieure des enfants évoquent des morts violentes… Beaucoup d’enfants ont des marques de naissance qui coïncident avec des blessures qui seraient associées à leur vie antérieure… il arrive souvent que l’on parvienne à identifier la personne à laquelle l’enfant fait référence… » (p 26-27). L’auteur propose des interprétations : « Il est possible que ces enfants se souviennent de vies antérieures qu’ils ont vécues comme ils le suggèrent ou qu’ils accèdent aux informations d’un individu décédé par des moyens inconnus (c’est-à-dire la théorie du super-psi appelée également « super ESP », la récupération d’informations par le canal psychique » (p 28).
Une autre approche de recherche est engagée auprès de médiums, « personnes déclarant pouvoir communiquer avec les personnes décédées », en présumant la bonne de foi de certains d’entre eux. Des protocoles sophistiqués ont été utilisés par certains chercheurs comme le Dr Gary E Schwartz, auteur d’un chapitre technique sur ce thème dans ce même livre. « Les résultats montrent qu’avec des essais réalisés en triple aveugle dans des conditions rigoureuse, certains médiums peuvent recevoir des informations justes et précises sur des personnes décédées. » (p 29).
Mario Beauregard mentionne également « les communications sur le lit de mort ou DBC (Deathbed communication) », une autre source de preuve suggérant que la conscience et la personnalité peuvent perdurer après la mort physique. Il s’agit de toute communication entre le patient et des amis ou des parents décédés… Ce type d’expériences a été rapporté dans diverses cultures à travers l’histoire. Les DBC incluent des aspects auditifs, visuels et kinesthésiques et se manifestent souvent pat des processus communicatifs non verbaux… Un type fréquent de DBC inclue des rencontre avec des présumés esprits de personnes décédées qui semblent accueillir l’expérienceur dans l’au-delà et converser avec lui/elle d’une façon interactive… Des recherches menées auprès d’infirmières et de médecins en soins palliatifs suggèrent que ces expériences sont relativement courantes… Il existe des cas de DBC qui ne peuvent être expliqués comme de simples hallucinations… : dans de tels cas, la personne mourante semble voir une personne qu’elle croyait vivante, mais qui est en fait décédée récemment, et exprime de la surprise » (p 30).
Une nouvelle vision postmatérialiste
« Prises ensemble, les différentes preuves empiriques montrent clairement que l’idée que l’esprit et la conscience sont produits par le cerveau est erronée et obsolète… Vers la fin du XIXe siècle, le psychologue américain, William James a suggéré que le cerveau pouvait jouer un rôle permissif et transmissif concernant les fonctions mentales et la conscience. Il a en outre émis l’hypothèse que le cerveau pouvait agir comme un filtre qui limite / contraint / restreint l’accès à des formes de conscience élargie. Cette hypothèse a également été défendue par les philosophes Ferdinand Schiller et Henri Bergson… » (p 31). « Cette hypothèse de la transmission apporte un cadre théorique utile… ».
« Le moment est venu de nous libérer des chaines et des œillères de l’ancien paradigme matérialiste et d’élargir notre vision de l’Univers et du vivant. Même si nous n’avons pas encore toutes les réponses, il est toutefois possible d’esquisser les grandes lignes d’un paradigme post-matérialiste » (p 31). Mario Beauregard nous présente, de son point de vue, quelques éléments clés de ce nouveau paradigme.
1° « L’esprit est irréductible et son statut ontologique est aussi primordial que celui de la matière, de l’énergie et de l’espace-temps. De plus, l’esprit ne peut être issu de la matière et réduit à quelque chose de plus élémentaire. A ce propos, le philosophe David Chalmers et le cosmologiste, Andrei Linde ont tous deux soutenu que la conscience est un constituant fondamental de l’univers. Il semble plausible que les processus / phénomènes mentaux, y compris l’intériorité subjective, existent à des degrés divers et à tous les niveaux d’organisation de l’univers… A ce sujet, le physicien Freeman Dyson suggère que puisque les atomes se comportent en laboratoire comme des agents actifs et non comme de la matière inanimée… ils doivent posséder la capacité réflexive de faire des choix… au niveau moléculaire, il est prouvé que les molécules composées de quelques protéines simples ont la capacité d’interagir de manière complexe, comme si elles possédaient leur propre intelligence… Dans cette perspective, chaque niveau d’organisation comprend un aspect physique (extérieur) et un aspect mental/ expérientiel (intérieur) (p 32-33).
2° « Comme le révèlent les phénomènes psi, il existe une profonde interaction entre le monde mental (psyché) et le monde physique (physis) qui ne sont pas vraiment séparés – ils ne le sont qu’en apparence. En fait, la psyché et la physis sont profondément interconnectées, car elles sont des aspects (ou des manifestations) complémentaires issus d’une base commune. On peut concevoir que cette base représente un niveau transcendant de l’esprit / conscience qui constitue le principe fondamental qui sous-tend l’ensemble de la réalité… » (p 33).
3° « L’esprit / volonté agit comme une force, c’est-à-dire qu’il peut impacter l’état du monde physique et agir de manière non locale. Cela implique qu’il n’est pas limité à des points spécifiques dans l’espace tels que les cerveaux et les corps, ni à des points spécifiques dans le temps comme le moment présent. Les preuves présentées dans ce chapitre de façon succincte indiquent également que les phénomènes mentaux exercent une influence sur le fonctionnement du cerveau et du corps ainsi que sur le comportement… » (p 34).
4° « Le cerveau agit comme un émetteur récepteur de l’activité mentale, c’est-à-dire que l’esprit fonctionne grâce au cerveau mais n’est pas produit par lui. Le fait que les fonctions mentales soient perturbées lorsque le cerveau est endommagé ne prouvent pas que l’esprit et la conscience soient produits par le cerveau… Dans l’idée que le cerveau puisse être une interface pour l’esprit, cet organe peut être comparé à un poste de télévision qui reçoit des signaux de diffusion et les convertit en images et en sons ». Si il est endommagé, il y a des perturbations dans la réception. « De même, une lésion dans une région spécifique du cerveau peut perturber les processus mentaux médiés par cette structure cérébrale, cependant cette perturbation n’implique pas que ces processus soient réductibles à l’activité neuronale dans cette région du cerveau » (p 34-35).
Pour une science post-matérialiste
Mario Beauregard a participé à la rédaction du manifeste pour une science post-matérialiste (2). Une bonne partie de son argumentation se retrouve dans ce manifeste. La perspective est vaste Elle s’inspire également de la révolution intervenue en physique dans le surgissement de la mécanique quantique : « A la fin du XIXe siècle, les physiciens découvrirent des phénomènes empiriques qui ne pouvaient être expliqués par la physique classique. Durant les années 1920 et au début des années 1930, cela a conduit au développement d’une nouvelle branche révolutionnaire de la physique, appelée : mécanique quantique. La mécanique quantique a mis en question les fondations matérielles de l’univers en montrant que les atomes et les particules subatomiques n’étaient pas des objets réellement solides – ils n’existent pas avec certitude à des emplacements spatiaux définis et à des moments définis. Plus important, la mécanique quantique a introduit notre esprit dans sa structure conceptuelle de base puisqu’il a été trouvé que les particules étant observées et l’observateur –le physicien et la méthode utilisée pour l’observation – sont liés. Suivant une interprétation de la mécanique quantique, ce phénomène implique que la conscience de l’observateur est décisive pour l’existence des évènements physiques observés et que les évènements mentaux peuvent affecter le monde physique. Les résultats d’expériences récentes soutiennent cette interprétation. Ces résultats suggèrent que le monde physique n’est plus la première ou la seule composante de la réalité et que celle-ci ne peut être pleinement comprise sans faire référence à l’esprit ». Le manifeste se poursuit en mettant l’accent sur l’influence que la pensée peut exercer sur le comportement et la santé. Et il poursuit l’argumentation apportée ici par Mario Beauregard. Au total, le manifeste proclame que l’adoption du paradigme post-matérialiste aura des effets bénéfiques pour l’ensemble de la civilisation humaine. C’est dans la même perspective que s’achève le chapitre de Mario Beauregard.
« Individuellement et collectivement, le paradigme post-matérialiste a des implications d’une portée considérable. Ce paradigme réenchante le monde et modifie profondément notre vision de nous-mêmes en nous rendant notre dignité et notre pouvoir en tant qu’êtres humains. Le paradigme post-matérialiste favorise également des valeurs positives telles que la compassion, le respect, la bienveillance, l’amour et la paix, car il nous fait prendre conscience que les frontières entre nous-mêmes et les autres sont perméables. Ce faisant, ce paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous au sens large, y compris tous les niveaux d’organisation de l’univers. Ces niveaux peuvent englober des domaines non physiques et spirituels. A ce sujet, il convient de rappeler que le paradigme post-matérialiste reconnaît les expériences spirituelles qui se réfèrent à une dimension fondamentale de l’expérience humaine et qui sont fréquemment rapportées dans toutes les cultures… Et enfin, ce paradigme favorise également une prise de conscience concernant les questions environnementales et la nécessité de préserver notre biosphère, en mettant l’accent sur le lien profond qui nous unit à la nature » (p 35).
Une ouverture
Ce livre nous présente différentes approches du nouveau paradigme scientifique post-matérialiste. Dans sa présentation des phénomènes qui permettent d’envisager l’esprit au delà du cerveau, on constate l’universalité de ces phénomènes répandus dans toutes les cultures. Il en découle une universalité de la réalité spirituelle dont ils témoignent. Cette universalité peut embarrasser certains groupes religieux voulant s’approprier un monopole de « la vie après la vie ». En regard, un récent livre de la théologienne chrétienne Lytta Basset nous offre une approche inclusive dans son livre : « Cet Au-delà qui nous fait signe ». (5). Cette approche de l’Au-delà apparaît comme une révolution spirituelle. Le paradigme post-matérialiste nous présente une réalité interconnectée. Ainsi, « il existe une profonde interaction entre le monde mental et le monde physique qui ne sont pas vraiment séparés ». « La conscience apparaît comme un constituant fondamental de l’univers ». « Le nouveau paradigme favorise une prise de conscience de la profonde interconnexion entre la nature et nous, au sens large, y compris tous le niveaux d’organisation de l’univers » « C’est dans une perspective analogue que, selon le théologien Jürgen Moltmann, nous envisageons l’œuvre de Dieu dans la création (6). Ici, la création apparaît comme une « communauté dans laquelle toutes les créatures communiquent chacune à sa manière entre elles et avec Dieu ». Mario Beauregard envisage les incidences considérables de l’approche scientifique post-matérialiste sur notre culture. Sur le plan conceptuel, le matérialisme scientifique s’opposait à l’approche religieuse et à la perspective du salut. Ici cet obstacle est levé. « Le paradigme post-matérialiste reconnait les expériences spirituelles qui se réfèrent à un dimension fondamentale de l’expérience humaine ». Le nouveau paradigme « réenchante le monde ». C’est une perspective dans laquelle peut s’inscrire Michel Maxime Egger dans son livre : « Réenchanter notre relation au vivant » (7). Ce livre nous apporte une grande ouverture
J H
- Mario Beauregard, Gary R Schwartz, Natalie L Dyer, Marjorie Woollacott. La nouvelle science de la conscience. Visions d’un paradigme, post-matérialiste. Guy Trédaniel, 2021
- Manifesto for a post-materialist science : https://opensciences.org/files/pdfs/Manifesto-for-a-Post-Materialist-Science.pdf
- Mario Beauregard . Comment nos pensées influencent la réalité : https://vivreetesperer.com/comment-nos-pensees-influencent-la-realite/
- Potentiel de l’esprit humain et dynamique de la conscience : https://vivreetesperer.com/potentiel-de-lesprit-humain-et-dynamique-de-la-conscience/
- Une révolution spirituelle. Une nouvelle approche de l’Au-delà : https://vivreetesperer.com/une-revolution-spirituelle-une-approche-nouvelle-de-lau-dela/
- Dieu dans la création : https://lire-moltmann.com/dieu-dans-la-creation/
- Réenchanter notre relation au vivant : https://vivreetesperer.com/reenchanter-notre-relation-au-vivant/