L’espérance comme motivation et accompagnement de l’action.
Nos activités, nos engagements dépendent de notre motivation. Et notre motivation elle-même requiert la capacité de regarder en avant, un horizon de vie, une dynamique d’espérance. Quel rapport entre espérance et action ? Cette question concerne tous les registres de notre existence. Jürgen Moltmann apporte une réponse théologique à cette question dans l’introduction à son dernier ouvrage qui porte sur l’éthique de l’espérance (Ethics of hope ») (1)
Qu’est-ce que nous pouvons espérer ? Que pouvons-nous faire ? Un espace pour l’action.
L’espérance, nous dit Moltmann, suscite notre motivation. Peut-on agir si nous avons l’impression de nous heurter à un mur ? A un certain point, le volontarisme trouve sa limite. Dans l’histoire, on a vu des groupes se déliter parce qu’ils avaient perdu une vision de l’avenir. Pour agir, nous avons besoin de croire que notre action peut s’exercer avec profit. « Nous devenons actif pour autant que nous espérions », écrit Moltmann. « Nous espérons pour autant que nous puissions entrevoir des possibilités futures. Nous entreprenons ce que nous pensons être possible ».
Ce regard inspire nos comportements sur différents registres, dans la vie quotidienne, mais aussi dans la vie en société. « Si, par exemple, nous espérons que le monde va continuer comme maintenant, nous garderons les choses telles qu’elles sont. Si, par contre, nous espérons en un avenir alternatif, alors nous essaierons dès maintenant de changer les choses autant que faire se peut ».
Que dois-je craindre ? Qu’est-ce que je peux faire ? L’action : une nécessité.
« Nous pensons à l’avenir, non seulement en fonction d’un monde meilleur, mais aussi, et peut-être plus encore, en fonction de nos anxiétés et de nos peurs ». Il est important et nécessaire de percevoir les dangers. Nos peurs interviennent alors comme une alerte.
La peur affecte également nos comportements. L’anxiété attire notre attention sur les menaces. Nous faisons face au danger avec d’autant plus d’énergie que nous percevons l’efficacité de notre action. « Une éthique de la crainte nous rend conscient des crises. Une éthique de l’espérance perçoit les chances dans les crises ».
Espérance chrétienne. D’un monde ancien à un monde nouveau.
Dans les textes apocalyptiques juifs et chrétiens, la fin des temps est évoquée dans des scénarios catastrophiques, « mais, en même temps, la délivrance à travers un nouveau commencement divin est proclamé avec d’autant plus de vigueur ». Ainsi, « rien de moins que l’Esprit de Dieu sera répandu pour que tout ce qui est mortel puisse vivre ». (Joël 2. 28-32. Actes 2 16-21). Porté par l’Esprit divin, la nouvelle création de toutes choses commence lorsque le monde ancien s’efface . Motmann cite le poète Friedrich Hölderlin : « Là où est le danger, la délivrance croit aussi ». « L’éthique chrétienne de l’espérance apparaît dans la mémoire de la résurrection du Christ crucifié et attend donc l’aube du nouveau monde suscité par Dieu dans l’effacement de l’ancien ». C’est une forme de métamorphose. La transformation est déjà en cours. « L’espérance chrétienne est fondée sur la résurrection du Christ et s’ouvre à une vie à la lumière du nouveau monde suscité par Dieu. L’éthique chrétienne anticipe, dans les potentialités de l’histoire, la venue (« coming » universelle de Dieu ».
Prier et observer.
Si l’on espère, la prière s’inscrit dans une attente et, en conséquence, elle s’accompagne d’une observation de ce qui se passe et va se passer : prier et observer. « En observant, nous ouvrons nos yeux et reconnaissons le Christ caché qui nous attend dans les pauvres et les malades (Matthieu 25. 37)… L’attention à l’éveil messianique se manifeste à travers les signes des temps dans lesquels le futur de Dieu est annoncé de telle façon que l’action chrétienne inspirée par l’espérance, devienne anticipation du royaume qui vient, dans lequel justice et paix s’embrassent mutuellement ».
Attendre et se hâter.
« Dans l’espérance de l’avenir divin, tous les théologiens de Coménius à Blumhardt ont mis l’accent sur ces deux attitudes : attendre et se hâter ». Attendre ne veut pas dire adopter une attitude passive, mais au contraire regarder en avant : « La nuit est avancée. Le jour est proche » (Romains 15.12). Attendre, c’est aussi s’attendre. « La venue de Dieu, Dieu qui vient, engendre une puissance de transformation dans le présent ». « Dans la tension de l’attente, nous nous préparons à l’avenir divin et cet avenir gagne en force dans notre présent ».
Et aussi, nous ne nous résignons pas à l’injustice et à la violence. Les gens qui attendent la justice de Dieu ne peuvent plus supporter la réalité actuelle comme un fait obligé « parce qu’ils savent qu’un monde meilleur est possible et que des changements sont aujourd’hui nécessaires ».
L’attente s’exerce dans une foi fidèle : « L’espérance ne donne pas seulement des ailes à la foi. Elle donne aussi à cette foi le pouvoir de tenir ferme et de persévérer jusqu’au bout ».
Il y a aussi un double mouvement : attendre et se hâter. « Se hâter dans le temps signifie traverser la frontière entre la réalité présente et la sphère de ce qui est possible dans l’avenir ». En traversant cette frontière, nous anticipons l’avenir que nous espérons. « Ne pas prendre les choses comme elles sont, mais les voir comme elles peuvent être dans l’avenir et amener dans le présent cette potentialité, ce pouvoir être, c’est nous ouvrir à l’avenir ». Le présent apparaît comme une transition entre ce qui a été et ce qui sera.
« Regarder en avant, percevoir les possibilités et anticiper ce que sera demain, tels sont les concepts fondamentaux d’une éthique de l’espérance. Aujourd’hui, attendre et se hâter dans la perspective du futur signifient résister et anticiper ».
Jean Hassenforder
(1) Moltmann (Jürgen). Ethics of Hope. Fortress Press, 2012. Ce livre a été traduit par Margaret Kohl à partir de la première édition publiée en allemand en 2010 : Ethik der Hoffnung. Dans cet ouvrage, Jürgen Moltmann fait le point sur sa pensée après plusieurs décennies de réflexion théologique. Ce texte est écrit à partir de l’introduction à laquelle les citations sont empruntées (p 3-8).
Sur ce blog , d’autres articles sur la pensée de Jürgen Moltmann :
Quel est notre regard sur l’homme, sur l’humanité ? Comment nous représentons-nous les êtres humains ? Plutôt négativement ou plutôt positivement, plutôt avec méfiance ou plutôt avec confiance ? L’orientation de nos représentations va influer sur nos comportements.
Pour certains, l’homme est plutôt mauvais. Le jugement est sévère. L’attention se porte principalement sur le mal qu’il engendre ou a engendré. Cette condamnation se manifeste dans des théories philosophiques ou religieuses, et jusque dans des approches qui se veulent scientifiques. Dans la vie quotidienne elle-même, une critique généralisée prévaut. Elle débouche sur le cynisme. La défiance l’emporte. Ce pessimisme engendre démobilisation et absence d’espoir.
Pourquoi ce livre,
Bien sûr, dans la réalité humaine, les opinions ne sont pas aussi tranchées, mais il y a bien des orientations dominantes. Le choix que nous faisons en la matière ne relève pas seulement de notre réflexion. Il a des implications majeures pour nous-même et pour les autres. Ainsi, le livre de Jacques Lecomte intitulé : « La bonté humaine » (1) nous concerne tous. Pour certains, un tel énoncé est presque une provocation. Ils n’y voient qu’idéalisme, voire une idéologie opposée. Pour d’autres, attentifs à voir la bonté autour d’eux, ce titre répond à une attente. De fait, l’auteur nous apporte un éclairage, car il s’appuie sur une approche scientifique pour mettre en lumière : « altruisme, empathie, générosité » dans les comportements humains.
Il nous explique comment il a été amené à écrire ce livre : « Lorsque j’ai parlé autour de moi de ce livre que j’étais en train d’écrire, cela n’a laissé personne indifférent. J’ai globalement suscité deux sortes de réactions. Certaines personnes étaient très enthousiastes… D’autres étaient nettement plus critiques ; « Ah oui, je vois… Vous êtes du genre rousseauiste. Vous ne croyez tout de même pas au mythe du bon sauvage… » (p 10). « Au départ, mon objectif, en écrivant cet ouvrage, était simplement de rééquilibrer la perspective négative souvent exprimée sur l’être humain, en montrant l’autre facette, plus positive. Plus j’avançais dans mes lectures, plus je constatais que le fond de bonté est davantage constitutif de notre être que la tendance à la violence et à l’égoïsme » (p 298).
Jacques Lecomte est docteur en psychologie, chercheur et universitaire, président de l’association francophone de psychologie positive. Son ouvrage repose sur des centaines d’études scientifiques et de très nombreux témoignages. En repoussant à la fois une conception exagérément pessimiste, et une conception exagérément optimiste, l’auteur plaide pour une conception « optiréaliste » : « L’individu ayant une propension fondamentale à la bonté, mais pouvant également se tourner vers la violence, par manque existentiel, il convient de faciliter les situations susceptibles de faire émerger le meilleur de chacun tout en étant lucide sur le fait qu’aucune société ne peut transformer radicalement les individus. Chacun a sa part de responsabilité : les individus comme les institutions » (p 299).
Quel cheminement ?
Le livre se développe en deux temps.
Dans la première partie, l’auteur décrit et explique des situations où l’on s’attendait à ce que la violence et le chacun pour soi dominent alors que c’est le contraire qui se produit : des personnes en sauvent d’autres au risque de leur vie ; des individus violents changent radicalement d’orientation après avoir rencontré des personnes qui ont su reconnaître leur fond de générosité ; d’autres pardonnent des actes de grande violence dont ils ont été victimes… Nous trouvons une description de réalités humaines que nous recevons avec admiration, comme la manière dont beaucoup de juifs ont été sauvés en France durant la seconde guerre mondiale ou encore un phénomène moins connu, mais tout aussi remarquable, comme la fraternisation qui s’est manifestée à certains moments entre les deux camps opposés dans les tranchées de la « grande guerre ». Nous avons lu avec émotion les récits et les témoignages qui abondent dans ces chapitres et qui permettent à l’auteur de nous proposer des réflexions de grande portée. L’une d’entre elles, par exemple, nous invite à considérer que non seulement le pardon est possible, mais que les criminels peuvent s’amender.
Dans la seconde partie, Jacques Lecomte aborde les fondements de ce qui constitue l’être humain à partir d’un ensemble de disciplines : la psychologie du bébé et du jeune enfant, mais aussi la primatologie (l’étude des singes primates) et l’anthropologie (tout particulièrement, l’étude des peuples premiers). D’autres données sont issues de deux disciplines en plein essor : la neurobiologie et l’économie expérimentale. « Une partie importante de ces recherches a été réalisée à partir des années 2000. Autrement dit, je n’aurais pas pu écrire un ouvrage aussi documenté, il y a seulement dix ans » (p 12).
Les nouvelles approches scientifiques.
Effectivement, plusieurs approches convergent dans la mise en évidence d’un potentiel humain.
La psychologie des bébés et des jeunes enfants est, à cet égard, tout à fait révélatrice. « Depuis les années 1980, et plus encore depuis les années 2000, une quantité impressionnante de recherches nous permettent de mieux connaître le fonctionnement relationnel du bébé. Il est génétiquement prédisposé à communiquer très tôt avec autrui et à manifester de l’empathie » (p 224). Ainsi, quelques heures après sa naissance, le bébé commence à entrer en connexion avec ceux qui l’entourent. « Dès sa toute petite enfance, le bébé n’est pas seulement réceptif à l’univers humain qui l’entoure, mais également capable d’amorcer la communication en « espérant » que les autres humains vont réagir à son comportement » (p 227). On peut parler d’ « intersubjectivité innée » selon laquelle le nourrisson naît avec une conscience réceptive aux états objectifs des autres personnes. D’autres observations montrent que les jeunes enfants sont naturellement altruistes. Ils aiment aider. Et de même, ils manifestent naturellement de l’empathie. En avance sur son temps, une grande éducatrice, Maria Montessori (2), avait perçu très tôt le potentiel de l’enfant. Aujourd’hui, la recherche appuie une vision positive de l’éducation. « On a longtemps cru que les pratiques éducatives destinées à développer la gentillesse avaient pour but d’inhiber les tendances égoïste de l’enfant et les remplacer par des attitudes altruistes. Mais les choses ne se passent pas du tout de cette manière. En fait, l’éducation s’appuie sur une prédisposition innée à l’altruisme chez l’enfant, elle développe l’altruisme (ou le réduit), elle ne le crée pas » (p 229).
Deux chapitres portent sur les origines de l’humanité. À chaque fois, l’auteur montre un changement majeur dans les représentations dominantes. Ainsi, dans le passé, certains anthropologues ont pu considérer les ancêtres de l’homme, les hominidés, comme des « bêtes de proie ». C’est la théorie du « grand singe tueur ». Or les recherches actuelles sur les singes montrent que « les relations sociales des primates sont essentiellement pacifiques et coopératives ». Dans ses recherches, le primatologue, Frans de Waal, a mis en évidence chez les primates un potentiel altruiste au point qu’il a pu écrire récemment à leur sujet un livre au titre éminemment significatif : « L’âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire » (3).
Parallèlement, il y a également un changement d’orientation dans l’anthropologie. Jacques Lecomte consacre un chapitre à cette évolution : « De l’accent sur un « peuple féroce » imaginaire à l’étude de peuples plutôt pacifiques ».
Un nouvel horizon s’est ouvert récemment à travers les découvertes de la neurobiologie : « Notre cerveau est prédisposé à l’amour, la coopération et l’empathie ». Ainsi, l’auteur rapporte le rôle d’une hormone, « l’ « ocytocine », qui favorise l’empathie et la générosité. Les centres de récompense mis en évidence dans le cerveau sont activés par le plaisir de souhaiter du bien aux autres au point que des équipes de chercheurs se sont « intéressées à une forme de méditation, appelée « méditation bonté » qui vise à augmenter le sentiment d’affection et d’attention envers soi et envers autrui. Assise dans une position relaxée, la personne pense positivement à quelqu’un qu’elle apprécie. Elle élargit ensuite ces sentiments. On observe en retour de multiples effets bénéfiques… Ses relations avec les autres s’améliorent ainsi que sa santé physique et psychique… » (p 255).
Il y a également la mise en évidence d’un potentiel d’empathie chez l’homme. Les observations psychologiques peuvent maintenant se fonder sur une découverte récente de la neurobiologie, celle des « neurones miroirs ». « Ces cellules nerveuses s’activent non seulement quand un individu accomplit une action, mais quand il voit un autre individu la réaliser… Elles nous permettent non seulement de reconnaître et de comprendre le sens des actions d’autrui (empathie cognitive), mais également ce que ce dernier ressent (empathie émotionnelle » (p 262).
Jacques Lecomte consacre enfin un chapitre à l’économie expérimentale. Les recherches actuelles menées dans cette discipline toute récente montrent qu’on ne peut fonder les sciences économiques sur une conception étroite de l’être humain appelé« homo oecomenicus » qui serait essentiellement individualiste, rationnel et égoïste. Pendant longtemps, la pensée économique dominante a été peu ouverte à l’expérimentation. « Mais, depuis une vingtaine d’années, l’économie expérimentale est en plein essor. Ce courant de recherche a clairement montré que les individus fondent leurs décisions sur la coopération, la confiance, le sentiment de justice et d’empathie plutôt que sur l’égoïsme intéressé. Ce qui est exactement à l’opposé des prédictions des théories économiques officielles » (p 277). Malheureusement, « les convictions des économistes néoclasssiques fonctionnent souvent comme des « prophéties autoréalisatrices ». Elles deviennent « vraies » par le simple fait de se diffuser dans la population » (p 290). En regard de cette idéologie, l’auteur se propose de montrer dans un prochain ouvrage « qu’une économie fondée sur la confiance en autrui et sur la coopération fonctionne plus efficacement qu’une économie fondée sur la compétition et la cupidité ». En réhabilitant « les valeurs fondamentales », il ouvre ainsi pour nous un horizon.
Un nouvel horizon.
La manière de percevoir l’orientation de l’être humain vers le bon ou le mauvais est une représentation qui s’inscrit dans l’histoire des mentalités et dans l’évolution des cultures. On constate autour de nous des perceptions très différentes à ce sujet. « Pourquoi certains croient-ils si fort à la méchanceté humaine ? ». L’auteur examine successivement le rôle des média, notre propre fonctionnement psychologique, la culture, l’imprégnation idéologique. Le lecteur trouvera dans ce chapitre des éléments de réponse.
La perception de la positivité et de la négativité de la personne humaine s’inscrit elle-même dans un climat social et culturel. Ainsi d’après les enquêtes internationales, le pessimisme est plus fort en France que dans d’autres pays comparables. La défiance est présente. À la question : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on n’est jamais assez méfiants », 21 % des français estiment que l’on peut faire confiance, contre 66 % en Norvège et en Suède. Sur 26 pays étudiés, la France se trouve au 24è rang » (p 325) (4).
Si la réponse à la question d’une prédisposition de l’homme au bien ou au mal est influencée par la manière de percevoir la vie sociale, elle s’inscrit également dans le temps. Ainsi, on peut émettre l’hypothèse d’une relation entre l’agressivité, la violence, la répression correspondante d’autre part, les frustrations engendrées par la faim, la maladie, la misère d’autre part. Si le bonheur apparaît comme une idée neuve en Europe au XVIIIè siècle, il y a bien un rapport avec une amélioration des conditions de vie.
Il y a une influence réciproque entre les mentalités et les visions du monde. Ainsi, en théologie, « la conception du péché originel, qui signifie que chaque être humain naît avec un penchant fondamental au mal », apparaît dans le contexte d’une Eglise qui reprend et poursuit le règne impérial. Elle se répand à partir des écrits d’Augustin d’Hippone (saint Augustin) et elle va conditionner les mentalités tout au long de la chrétienté. Or, selon Georges Minois, auteur d’un ouvrage de référence sur ce sujet, « l’idée d’une chute primordiale dont tous les hommes partageraient la culpabilité est absente de l’Ancien Testament et des Evangiles. C’est une création tardive de théologiens qui voulaient renforcer l’édifice doctrinal » (p 327). Il y a donc des interrelations entre les idéologies et les représentations. Ainsi, au XXè siècle, les sciences humaines ont elles-mêmes été imprégnées par des idées selon lesquelles l’homme se caractérise par l’égoïsme et une propension à la violence. Dans ces chapitres sur l’anthropologie, la primatologie, la psychologie, Jacques Lecomte montre combien certains auteurs ont écrit dans ce sens au point que leurs conclusions apparaissent aujourd’hui comme caricaturales. À cet égard, l’idéologie matérialiste de Freud a projeté sur l’enfant des représentations extrêmement négatives. « L’enfant est absolument égoïste. Il ressent intensément ses besoins et aspire sans aucun égard à leur satisfaction, en particulier face à ses rivaux, les autres enfants » (p 230). À cet égard, on se reportera également à l’analyse circonstanciée de Jérémie Rifkin dans son livre « Vers une civilisation de l’empathie » , il montre comment pendant plusieurs décennies, la pensée de Freud a handicapé le développement de la psychologie de l’enfant.
Vers un nouveau paradigme…
Aujourd’hui, dans la crise que nous traversons, on perçoit, en arrière plan, une grande mutation. Mais si les menaces sont bien présentes, il y a aussi des prises de conscience qui suscitent des actions. Et ces prises de conscience peuvent s’inscrire dans une transformation de la vision du monde comme c’est le cas dans le domaine de l’écologie. On peut aller plus loin dans l’interprétation ; au delà de la réaction à la menace, n’y aurait-il pas une émergence, l’anticipation d’un autre avenir ?
La revue « Sciences humaines » a publié récemment un dossier sur « le retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide ». La responsable de ce dossier, Martine Fournier, note un changement dans les préoccupations et les orientations (5). Cette évolution est internationale comme en témoigne l’ouvrage de Jérémie Rifkin : « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie » (6).
Le livre de Jacques Lecomte sur « la bonté humaine » s’inscrit dans le même mouvement. Ainsi peut-il évoquer : « Un changement de paradigme porteur d’implications sociales et politiques » (p 295). « Ce nouveau millénaire voit se réaliser sous nos yeux ce que Thomas Kuhn appelle une révolution scientifique, c’est-à-dire une période historique exceptionnelle au cours de laquelle se modifient les convictions des spécialistes. » Le changement s’accélère. « Une partie importante des découvertes citées dans ce livre ont été faites depuis les années 2000. Conclusion : les théoriciens de l’homme égoïste et violent sont des gens du passé, du siècle et même du millénaire passé » (p 297). Une vision nouvelle est en train d’apparaître.
En commentaire : une esquisse de réflexion spirituelle.
On observe parallèlement des transformations profondes dans la vie spirituelle et religieuse.
Un chercheur britannique, David Hay, a pu définir la spiritualité comme « une conscience relationnelle » avec Dieu, la nature, les êtres humains et soi-même (7). Dans le même mouvement, des recherches récentes ont mis en évidence la spiritualité des enfants (8). Tout ceci est en cohérence avec les études que nous venons de mentionner.
Par rapport aux séquelles d’un héritage, celui d’une théologie répressive centrée sur le péché originel, dont on mesure aujourd’hui les conséquences négatives, nous sommes appelés à revenir tout simplement à l’enseignement de Jésus au cœur duquel se trouve l’amour, le pardon, le non jugement. « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mat 5. 16). Cette parole de Jésus ne signifie-elle pas que non seulement ceux qui le suivent sont appelés à être bons, mais qu’il y a chez les hommes une capacité de reconnaître ce qui est bon parce que, à leur mesure, ils ont déjà une expérience de ce que cela signifie, et que dans le même mouvement, ils peuvent entrer dans ce courant de vie jusque dans la louange et la reconnaissance de la bonté de Dieu. Ainsi, les disciples de Jésus sont appelés à permettre la reconnaissance de ce qui est bon : prédisposition à la bonté ou manifestation de celle-ci.
Des théologiens comme Jürgen Moltmann nous aident à percevoir aujourd’hui l’œuvre de l’Esprit de Dieu à la fois dans la transcendance et dans l’immanence, ce qui germe et grandit dans la création. En Christ mort et ressuscité, une nouvelle création est en marche et Dieu nous appelle à l’espérance. Par rapport à la théorie classique de l’évolution qui procède à partir des seuls évènements du passé, Moltmann montre une dynamique où nous anticipons un avenir qui se manifeste déjà. Il a exprimé cette pensée dans plusieurs livres, mais il y revient, en termes très accessibles, dans un ouvrage tout récent paru en 2012 : « Ethics of hope » (Une éthique de l’espérance) (9). Ainsi écrit-il : « Le concept de l’évolution nous permet de comprendre comment ce qui existe aujourd’hui s’est réalisé, mais non comment cela aurait pu être et peut aujourd’hui devenir possible » (p 125). Et il met en évidence les théories nouvelles de l’émergence. « Il y a dans l’histoire de la nature des processus dans lesquels de nouveaux ensembles, de nouvelles formes émergent… Dans le jeu du hasard et de la nécessité, il y a une tendance vers des formes de plus en plus complexes… » (p 126). Cette tendance a été désignée comme une auto organisation de l’univers (self-organisation) ou « une auto organisation de la vie »… L’interprétation théologique ne contredit pas cette perspective. Au contraire. Elle donne à cette idée une profondeur nouvelle à travers l’idée d’une « auto transcendance » (Karl Rahner) sur la base de l’immanence et de la transcendance de l’Esprit Divin » (p 126). Dans ce grand mouvement, « l’Esprit de Dieu libère et unit en anticipant la nouvelle création ». Puisque l’humanité participe à cette dynamique, elle ne va pas s’aligner sur la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence, mais au contraire mettre en avant le principe de la coopération. Ainsi Moltmann met en évidence les recherches qui se développent aujourd’hui, comme par exemple la découverte des neurones miroirs. Déjà, dans son livre : « Dieu dans la création (10), Moltmann avait écrit : « L’essence de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration » et les structures manifestent la présence de l’Esprit dans la mesure où elles font connaître « l’accord général » (p 25). « Etre vivant signifie entrer en relation avec les autres. Vivre, c’est la communication dans la communion » (p 15).
On pourrait reprendre ici la pensée de Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte, converge ». Ici, une théologie innovante entre en phase avec les transformations qui se manifestent dans un courant de pensée et qui inspirent Jacques Lecomte lorsqu’il évoque un nouveau paradigme. Son ouvrage sur « la bonté humaine » nous introduit dans une vision en plein devenir. Ce livre est passionnant, émouvant. Il ouvre des voies nouvelles qui vont au delà des relations interpersonnelles puisqu’elles tracent également un chemin pour des transformations sociales à travers le projet de l’auteur d’écrire un livre pour une nouvelle manière d’envisager l’économie. Cette lecture éveille espoir et dynamisme.
(5) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier, p 32-51, in : Sciences Humaines, N° 223, février 2011. Voir sur ce blog : « Quel regard sur la société et sur le monde ? » https://vivreetesperer.com/?p=191
(9) Moltmann (Jürgen). Ethics of hope. Fortress Pres, 2012
(10) Moltmann (Jürgen). Dieu dans la création. Traité écologique de la création. Cerf, 1988. Voir sur le blog : « L’Esprit qui donne la vie : « Dieu dans la création » http://www.lespritquidonnelavie.com/?p=766
Et si nous reconnaissions aujourd’hui tout ce que nous avons reçu des autres et qui fait que nous sommes là, vivant, tout ce qui nous a permis de grandir en amour, en joie, en compréhension, en confiance (1). Et si nous exprimions cette reconnaissance dans un mouvement de vie bienfaisant à la fois pour ceux à qui nous l’exprimons, mais aussi pour nous-même. Car au cœur de ce mouvement, il y a une dynamique à la fois personnelle et collective où nous pouvons percevoir l’inspiration de l’Esprit. C’est dire combien il est bon d’entendre parler de gratitude, d’en découvrir la portée et les effets. C’est pourquoi l’intervention de Florence Servan-Schreiber à Ted X Paris sur « le pouvoir de la gratitude », accessible en vidéo sur internet (2) est particulièrement bienvenue. Cet exposé est remarquable parce qu’il allie une compétence de psychologie ayant accès aux meilleures sources et une démarche personnelle exprimée dans un esprit de recherche, de dialogue, de conviction et d’authenticité. Cousine de David Servan-Schreiber (3), un médecin particulièrement innovant, dont en sait l’intelligence et le courage dans sa lutte contre la maladie, Florence s’est formée à la psychologie transpersonnelle en Californie et elle s’inscrit aujourd’hui dans le courant de la psychologie positive à la fois par sa pratique et par ses écrits qui en diffuse les apports auprès du grand public (4). Cependant, dans cet exposé, Florence Servan-Schreiber s’implique personnellement et elle nous décrit comment elle a vécu la découverte de la gratitude, une dimension bien souvent méconnue dans certains contextes culturels.
Florence commence son « talk » en nous parlant de son cousin, David Servan-Schreiber, un jeune psychiatre, qui, à 30 ans, menacé par un cancer au cerveau, « a mobilisé toutes les connaissances, toute son énergie pour essayer de voir comment, dans ces circonstances, il pouvait vivre, non seulement le plus longtemps possible, mais surtout le mieux possible ». On sait qu’en conséquence, il a adopté de nouvelles pratiques de vie. « Mais ce que l’on sait moins, parce qu’il ne l’a pas publié, c’est l’attention qu’il a porté aux détails et aux petites choses de la vie. Jusqu’à son dernier souffle, David a été un phénomène de gratitude ». Ainsi, la gratitude, c’est une disposition extrêmement concrète. « La gratitude, c’est un sentiment de reconnaissance lorsque nous réalisons la saveur ce que nous vivons. C’est, par exemple, un rayon de soleil sur la joue. C’est l’odeur d’un bébé surtout quand c’est le sien… C’est le fait de se déplacer pour vous apprendre des choses… ». Pourquoi David m’a-t-il mis sur la voie de tout cela ? Parce que nous parlions beaucoup de psychologie ensemble. Parce que, aux Etats-Unis, il existe des laboratoires entiers qui étudient les circonstances et les conséquences de la gratitude ».
Ainsi, depuis douze ans, au centre de recherche « Greatergood » de l’Université de Berkeley, Robert Emmons (5) travaille dans le courant de la psychologie positive pour essayer de comprendre, le processus de la gratitude et les effets que cela peut avoir sur nous. Florence nous rapporte les conclusions de ses recherches. « D’abord, sur le plan psychologique, quand nous savons nous émerveiller des petites choses… ne serait-ce que la température qu’il fait dans cette salle, le fait que nous ayons pu arriver à l’heure… ne serait-ce que cela… Et bien, nous nous sentons plus heureux, plus relié aux autres, plus vivants. Ensuite, les bénéfices sur le plan relationnel, sont, en tout premier, de nous sentir beaucoup moins seul parce que la gratitude provient toujours de quelque chose ou de quelqu’un qui est à l’extérieur de nous.C’est un sentiment qui nous rend humble, qui nous donne envie de donner à notre tour ».
Et puis, il y a aussi des conséquences positives sur le plan physiologique. Florence évoque une recherche menée depuis 1986 dans un centre universitaire au Minnesota (USA). Un chercheur a émis l’hypothèse d’un lien entre le fait d’éprouver de la gratitude, de savoir s’émerveiller et la longévité. Mais comment trouver deux populations comparables en tous points, excepté l’attitude à tester ? « Ils ont trouvé dans un couvent où on conserve 150 ans d’archives. La première chose qu’on demande aux jeunes femmes entrant au couvent à l’âge de 20 ans, c’est d’écrire une lettre qui les présente, qui raconte leur vie. Elles refont la même chose à 40 ans et à 70 ans. Et parallèlement, les dossiers médicaux ont été archivés. On a remis ces lettres à des sémanticiens qui étudient la teneur du vocabulaire et on leur a demandé de quantifier la nature des mots qui expriment de l’émerveillement, de l’optimisme et de la gratitude. Et ensuite on a corrélé la densité de gratification de ces femmes avec leur état de santé et la durée de leur vie. On s’est aperçu que plus il y avait de termes qui expriment de la gratitude et de l’émerveillement, plus elles ont vécu longtemps. Et ainsi, on a trouvé un écart de sept ans entre les deux groupes contrastés. Dans des enquêtes menés dans d’autres milieux, on a obtenu les mêmes résultats ».
Cette valorisation du positif n’est pas toujours bien reçue dans certaines formes de culture, en particulier en France. « Moi, je suis née à Paris. J’ai grandi à Paris. Ici, cela ne va pas de soi de parler de ce qui va bien, de ce qui nous émerveille. Mais à force d’avoir fréquenté David, d’avoir lu toute cette documentation, j’ai quand même voulu essayer. Chercheur à l’Université de Pennsylvanie (et leader dans le courant de la psychologie positive), Martin Seligman (6) nous propose une méthode adaptée. Il suffit de repérer dans sa journée trois situations : moments, interactions, goûts, sensations qui vous ont fait du bien et pour lesquelles vous avez envie de dire : « Alors là, merci ! », pour faire progresser son niveau de bonheur d’une façon durable ».
Florence nous raconte comment, rentrée à la maison, elle parle de tout cela à table avec son mari et ses trois enfants qui, à ce moment là, ont entre 8 et 14 ans. « Si on sait repérer 3 kifs (7) dans sa journée, on vivra plus longtemps, on vivra en meilleure santé, on sera plus heureux. On s’est lancé. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Notre rapport avec la gratitude est un peu différent. Pour Léon, le plus jeune, c’était très difficile. Mais une des plus grande fierté de maman, c’est qu’aujourd’hui, Léon a 14 ans et qu’il a adopté cette pratique. Il peut vous dire les 3 kifs de sa journée. Quand on fait cela avec les gens qu’on connaît, avec les gens avec lesquels on travaille, il se passe quelque chose de particulier, parce que ce n’est pas un sujet courant de conversation. Si cela vous touche, cela me touche. Il y a une règle. Un kif, cela ne se commande pas, cela ne se critique pas si on le fait publiquement. On écoute les autres et, éventuellement, on peut y ajouter le sien ».
Mais on peut aller plus loin. Si on n’a pas envie de parler, on peut avoir, sur sa table de nuit, un carnet de kifs, un journal degratitude qui permet de tout noter avant de se coucher. Robert Emmons s’est aperçu que si c’est la dernière chose que je fais dans la journée, le sommeil est plus profond, le sommeil est plus long et,
si on souffre de douleurs chroniques, les douleurs se dissipent.
Et ensuite, il y a le niveau suivant. C’est « la lettre de gratitude ». Quand nous sommes habités par un sentiment de reconnaissance, le cerceau ne peut pas éprouver en même temps du ressentiment et de la colère. Pendant un an, je n’ai fait aucun cadeau. Le seul cadeau que j’ai fait pour l’anniversaire de mes amis, c’est de leur écrire une lettre de gratitude. J’ai donc revisité mes relations et je me suis rendu compte de la chance que j’avais. « Si tu n’étais pas dans ma vie, voilà ce que je ne serais pas ». Cela permet de mesurer la profondeur de la relation avec les amis ». On peut aller plus loin encore. « Martin Seligman a suggéré des visites de gratitude. Vous préparez la lettre, vous prenez rendez-vous et vous lisez votre lettre. J’ai écrit une lettre de gratitude à mon mari. Nous sommes ensemble depuis 25 ans. En 25 ans de vie commune, ma liste des reproches est facile à faire. Mais là, il ne s’agit pas de cela. « Si tu n’étais pas dans ma vie, si je ne t’avais pas rencontré ce jour là, voilà ce que je ne serais pas devenu, tout ce qui m’aurait manqué… ».
« Voilà ce quoi cela sert la gratitude. C’est simplement vivre exactement la même vie, mais en mieux. Je ne change pas les personnages. Je ne change pas le décor. Et cela devient extraordinairement utile lorsque cela ne va pas, lorsque la vie ne vous donne pas ce que vous voulez, vous donne le contraire de ce que vous voulez, lorsque le temps que vous avez à passer avec quelqu’un que vous aimez est compté, alors, en appliquant ce filtre là, on réalise, malgré tout cela, la chance que l’on a ».
Le message que nous communique Florence sur « le pouvoir de la gratitude » passe d’autant mieux qu’il est le fruit d’une expérience personnelle et qu’il nous est communiqué avec beaucoup de convivialité, de simplicité et d’authenticité. Ce message parle à notre intelligence, mais il parle aussi à notre cœur.
Les sources citées par Florence Servan-Schreiber s’inscrivent dans le courant de la psychologie positive. Et lorsqu’on va à la rencontre de ces sources sur internet, à travers les personnalités de Roger Emmons (5) et de Martin Seligman (6) et des centres de recherche où ils travaillent, on découvre une approche de recherche qui porte un véritable changement de paradigme en psychologie. Comme le déclare Martin Seligman (6), il s’agit de ne plus se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas, mais de prendre en compte également ce qui va pour le mettre en valeur et en tirer des enseignements. Ce développement de la psychologie positive (8), témoigne d’une évolution actuelle dans les mentalités qui rend possible un changement de regard. C’est le passage d’un regard pessimiste sur la nature humaine et peu sensible au potentiel humain à un regard qui met en valeur un processus reconnaissant et développant le positif dans l’existence humaine. Ce mouvement est profond. Dans son livre : « Vers une civilisation de l’empathie » (9), Jérémie Rifkin nous montre comment nous sortons d’une idéologie qui a assombri la psychologie à la prise de conscience d’un potentiel jusque là méconnu. Et ce mouvement commence à se faire sentir en France dans le champ des sciences humaines (10).
Ce changement nous paraît se manifester également dans une transformation profonde qui est en train de s’opérer dans le champ religieux. Comme le fait remarquer la théologienne Lytta Basset, la conception du péché originel, telle que l’a développé Saint Augustin, a assombri le christianisme occidental pendant des siècles en induisant la culpabilisation et la peur. Lytta Basset nous invite à sortir de cette emprise dans un livre : « Oser la bienveillance » (11) qui montre combien celle-ci est au cœur d’un message évangélique bien entendu.
Avec du recul, on comprend mieux ce qui a été et est contesté dans l’héritage religieux traditionnel. Cependant, les idéologies adverses qui ont prospéré, sont, elles aussi, en perte de vitesse. Ainsi, un nouveau regard sur le monde est en train d’apparaître dans une vision holistique. On a pu définir la spiritualité comme « une consciencerelationnelle » qui s’exerce dans le rapport ave soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu (12). En christianisme, JürgenMoltmann ouvre des pistes nouvelles dans une théologie de l’Esprit attentive à l’émergence et la présence de Dieu dans l’immanence et une théologie de l’espérance ouverte aux potentialités de l’avenir (13).
Dans un contexte où les anciennes barrières s’affaissent et où une interconnexion s’opère, Martin Seligman s’inspire des valeurs fondamentales ancrées dans les traditions religieuses et spirituelles de l’humanité (6). Parler de la gratitude, c’est s’inscrire dans une inspiration spirituelle qui irrigue les siècles. En termes chrétiens, la gratitude et l’émerveillement se rejoignent à travers les psaumes dans l’expression de notre relation à Dieu. C’est une reconnaissance continuelle. « Mon âme bénis l’Eternel ! N’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps 103.2). Il y a des vies qui sont animées par un mouvement de gratitude et d’émerveillement. C’est ce qui apparaît dans le témoignage d’Odile Hassenforder dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (14). A travers les épreuves, ce mouvement apparaît constamment comme une présence de vie. « Que c’est bon d’exister, pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. Je n’ai qu’à recevoir, en profiter, goûter sans culpabilité, sans besoin de me justifier (Justifier quoi ? de vivre ?). D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration au créateur de l’univers dont je fais partie, au Dieu qui veut le bonheur de ses créatures… Comme il est écrit dans un psaume : Cette journée est pour moi un sujet de joie. Une joie pleine en sa présence, un plaisir éternel auprès de toi, mon Dieu… Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (Ps 16.118). La vie est vraiment trop belle pour être triste. Alleluia » (p 174).
Notre commentaire vient témoigner en faveur de l’importance du thème de la gratitude. A travers son expérience personnelle et sa compétence psychologique, Florence Servan-Schreiber nous invite à une découverte, celle d’un mouvement du cœur et de l’esprit qui se révèle bienfaisant pour chacun en nous reliant les uns aux autres.
Jean Hassenforder
(1) Sur ce blog, un poème : « Nos vies dépendent l’une de l’autre » : «… Je tisse le lange de l’être qui naît. Sans lui, rien ne serait… Si tu ne m’avais dit : « avance ». D’autres attendent que tu crées. Rien ne serait… » https://vivreetesperer.com/?p=12
(3) Le parcours de David Servan-Screiber est impressionnant. Une formation originale et créative en psychiatrie et dans le domaine des neurosciences, principalement aux Etats-Unis. Atteint d’un cancer au cerveau au début des années 90, il va expérimenter un ensemble de pratiques innovantes qui vont lui permettre de résister à la maladie pendant 20 ans et qu’il va mettre au service de tous dans un ensemble d’écrits. Une créativité qui se manifeste également à travers des avancées comme l’EMDR. Un article dans Wikipedia rend bien compte de cette exceptionnelle contribution. https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Servan-Schreiber
(4) Formée à la psychologie transpersonnelle aux Etats-Unis, Florence Servan-Schreiber développe en France des pratiques innovantes et, par ses activités et ses écrits, elle participe à la diffusion des idées nouvelles. Au cours des dernières années, elle met en valeur les apports de la psychologie positive, notamment à travers plusieurs livres. https://fr.wikipedia.org/wiki/Florence_Servan-Schreiber Voir aussi « L’hyper pouvoir de l’amour. Florence Servan-Schreiber. Vidéo TED X Lille 2015) https://www.youtube.com/watch?v=ES0qIGoXtCA
(5) Robert Emmons est professeur de psychologie à l’Université de Californie et expert mondial dans le domaine de la gratitude. Il travaille au Centre de recherche : « Greater Good The science of a meaningful life ». Ce centre travaille, entre autres, sur des sujets comme l’empathie, la compassion, le pardon, l’émerveillement. Une excellente communication avec de nombreuses vidéos. Une ressource où l’on viendra puiser. http://greatergood.berkeley.edu/topic/empathy
(6) Professeur à l’Université de Pennsylvanie, psychologue éminent, Martin Seligman est pionnier de la psychologie positive. Cette approche scientifique s’appuie notamment sur des « valeurs millénaires dans toutes les traditions du monde : sagesse/connaissance, courage, humanité, justice, tempérance, transcendance ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Seligman Sur Ted, une interview de Martin Seligman sur la psychologie positive : https://www.ted.com/talks/martin_seligman_on_the_state_of_psychology?language=fr
(7) Kif est un mot qui s’est introduit récemment dans le langage courant. « Un « kif » ou « kiff » est une passion, un plaisir personnel ou simplement un moment de bonheur ». Wikipedia nous rapporte l’origine et la popularisation de ce thème. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiffer
(8) Le courant de la psychologie positive est bien présent aujourd’hui en France. On pourra consulter le site : « Psychologie positive » animé par Jacques Lecomte : http://www.psychologie-positive.net
(11) « Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand » (« Oser la bienveillance » par Lytta Basset) https://vivreetesperer.com/?p=1842
Ainsi, une attitude de gratitude et d’émerveillement dans les petites choses : « De petits riens de grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849
La gratitude et le bonheur sous un autre aspect :
« Une boite à soleil. Reconnaître les petits bonheurs comme un flux de vie. De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources, par Jeannne Siaud Fachin » (TED X Paris Vaugirard Road) : https://vivreetesperer.com/?p=2002
…son existence, de son rapport au monde, est la promesses d’accéder à d’autres univers : prendre soin, c’est d’abord reconnaître l’autre dans son altérité, pour pouvoir le protéger, respecter son…
Une entraide spirituelle. Accompagner dans l’amitié, l’écoute et la prière
J’ai commencé tout naturellement à prier avec telle ou telle personne que je voyais en difficulté.
Je ne me contentais pas de dire devant sa détresse « bon courage » ou « allez, ça ira mieux demain ». C’est immédiatement que je proposais de prier en disant : « J’ai découvert que Dieu s’intéresse à chacun de nous. Jésus est venu guérir et libère. Il est ressuscité, toujours vivant. Il agit encore aujourd’hui par l’Esprit-Saint ».
J’ai été encouragée à continuer grâce à ceux et celles qui ont eu la bonté de me dire qu’ils ont reçu une réponse positive à notre prière commune. J’aurais dû noter toutes ces réponses, les petites comme les grandes, car on oublie vite que Dieu est beaucoup plus agissant que l’on ne le croit.
S’il arrive qu’il n’y ait pas d’exaucement direct à la prière, il est alors bon de chercher où se situe l’obstacle. Je me refuse de laisser tomber l’intéressé dans un désarroi encore plus grand car, en plus de son problème, il est maintenant affecté par la culpabilité de ne pas avoir la faveur de son Dieu.
Ainsi, j’ai été appelée à faire de plus en plus souvent un bout de chemin avec la personne blessée qui se trouvait sur ma route. L’aide au prochain est aussi nécessaire spirituellement que physiquement. Qui n’aidera pas l’accidenté à côté de lui ?
Hyperactivité… et mal au dos.
Je me suis rendue compte que le physique et le psychologique interféraient avec le spirituel.
Je me rappelle cette mère de famille « stressée » qui espérait la guérison de son dos. Elle se sentait soulagée après la prière, puis ses douleurs revenaient. Très dévouée, elle se croyait dans l’obligation de faire tant de choses pour sa famille, pour son quartier.
Après plusieurs entretiens, dans la confiance acquise que Dieu l’aimait pour elle-même, elle a découvert le pourquoi de son hyperactivité : justifier son existence vis à vis des autres parce qu’elle n’avait pas de diplômes. Accepter d’être elle-même a été une libération.
Après quelque temps, elle n’avait plus mal au dos bien sûr. Elle est même devenue joyeuse, s’émerveillant de toutes les bonnes choses qui se passaient autour d’elle.
Elle est aussi devenue reconnaissante pour le changement d’attitude des siens à qui elle n’imposait plus ce qu’elle croyait bon pour eux.
Je pratiquais déjà la psychologie dans l’esprit de Carl Rogers. J’au eu l’occasion de me former en rééducation psycho-sensorielle, et lorsque j’ai obtenu le diplôme professionnel correspondant, j’ai eu conscience qu’un outil m’était donné pour compléter l’accompagnement spirituel. Dans ce domaine-là aussi, j’ai saisi les occasions de formation qui se présentaient à moi.
On me pose parfois la question : « quelle méthode emploies-tu ? » Il m’est difficile de répondre. En fait, je mets mes différentes ressources à la disposition de celui qui a besoin d’une aide. Si je ne peux l’aider, je lui conseille de voir quelqu’un de compétent dans tel ou tel domaine.
J’ai aidé une jeune fille qui avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, à entreprendre une psychothérapie alors que son milieu familial y était allergique. En même temps, selon son désir, je l’ai soutenue dans sa marche spirituelle.
L’Esprit dirige l’entretien.
Je propose presque toujours de prier, généralement en fin d’entretien, car je connais l’efficacité d’une demande directe à Dieu. Du reste pour moi, nous sommes trois lors d’un entretien, car Jésus a dit : « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Ev. Matthieu ch. 18, 20). C’est vraiment l’Esprit de Jésus qui dirige l’entretien par l’inspiration qu’il me donne et qu’il donne aussi à l’autre. Je dis toujours à mon interlocuteur que seul l’Esprit-Saint peut lui attester ce qui est vrai, juste et bon pour lui.
Ainsi , cette jeune femme qui était malade d’aimer un homme marié, ne pouvait dominer sa passion. Elle craignait que je lui fasse la morale et que je lui recommande la rupture dont elle était évidemment incapable. Guérie de son déséquilibre affectif en recevant l’amour de Dieu, elle a été fortifiée dans sa personnalité. Elle a pu alors rompre cette relation qu’elle reconnaissait néfaste pour elle.
Ce jeune homme que je suis allé voir en clinique psychiatrique, était absolument prostré. Je n’arrivais pas engager la conversation.
J’ai prié intérieurement l’Esprit saint de m’éclairer. Et j’ai eu l’intuition qu’il fallait lui parler de l’amour de Dieu et de son pardon pour nos actes et nos pensées. Alors, il m’a dit l’angoisse, la culpabilité qui l’assaillaient, car une pensée de meurtre l’obsédait malgré tous ses efforts pour la rejeter. Savoir qu’il n’était pas condamné pour une telle pensée a été une libération. Il a pu entreprendre un traitement psychologique. Aujourd’hui, il a repris une vie tout à fait normale.
Il n’y a pas que des cas dramatiques, quoique tout problème est vite un drame pour celui qui le vit s’il n’a pas l’habitude de mettre sa confiance en Dieu et de s’attendre à être éclairé sur la solution toujours possible.
Faire une pause-vérité.
Être toujours célibataire à trente ou quarante ans sans l’avoir choisi est forcément un problème. Prier pour rencontrer un futur conjoint n’est pas interdit bien sûr, mais cela demande bien souvent une pause-vérité : « Suis-je vraiment moi-même ? La vie ne m’a-t-elle pas amené à me construire un personnage ? Des blessures affectives ne doivent-elles pas guérir ?
C’est souvent avec beaucoup d’humilité et d’émerveillement que j’écoute l’histoire d’une vie dans sa recherche de vérité envers Dieu. C’est vraiment beau : Dieu bénit la sincérité, libère et guérit.
Je me souviens de la métamorphose rapide de cette jeune fille si sophistiquée dans sa présentation d’elle-même lors de notre première rencontre. Se savoir reconnue, accueillie, aimée de Dieu, à travers moi et par l’Esprit,la toucha si fort qu’elle devint toute joyeuse et rayonnante.
Pardonner est vite dit, mais cet acte ne devient une réalité que lorsque l’amour de Dieu remplit le cœur blessé et le transforme.
Cette jeune femme, qui gardait de son père une image difficile, était perturbée par toute autorité, surtout d’origine masculine. Pourtant elle avait pardonné depuis longtemps tout ce qu’elle avait subi dans la relation avec son père qui avait été blessante pour elle. Elle a changé tout naturellement d’attitude lorsqu’elle a accepté d’être guérie en Jésus-Christ de ses blessures d’enfance. De plus, elle n’a plus exigé de son père ce qu’il n’avait pu lui donner et a accepté de voir en lui un être humain avec ses propres défaillances.
Bien des prières restent inexaucées parce qu’elles sont inadéquates. La demande est superficielle et ne correspond pas à une vérité profonde.
Périodes de chômage, d’intérim et de remplacement se succédaient pour cette jeune fille qui ne trouvait pas le travail qui lui convenait malgré ses compétences professionnelles. Je lui suggère de prendre un moment de calme et, dans sa prière personnelle, de laisser monter en elle ses désirs et ses aspirations.
Quelques jours après, je la revis toute joyeuse me disant : « J’ai envie de faire un travail social. Jeune, je rêvais de ce genre de profession, mais après mon bac, je suis allée en « fac » comme toutes mes camarades ». Elle a entrepris une formation. Elle a réalisé ainsi son appel intérieur et réussi sa nouvelle profession dans la paix.
Un don à développer.
Faire de l’accompagnement spirituel est un don qui est à développer comme tout don : écouter sans se projeter dans l’histoire de l’autre s’apprend : pour faire référence à la Parole de Dieu, il faut la connaître et en vivre. Comme dit Paul aux Romains au début du chapitre 12 :
« Que chacun exerce au mieux le don qu’il a reçu :
Que celui qui a le don d’enseigner enseigne, que celui qui a le don d’encourager les autres les encourage, que celui qui donne ses biens le fasse avec générosité, que celui qui dirige le fasse avec zèle, que celui qui aide le malheureux le fasse avec joie…
N’ayez pas une opinion de vous-même plus haute qu’il ne faut. Ayez au contraire des pensées modestes.
Que chacun s’estime d’après la part de foi que Dieu lui a donnée ».
Prier pour le prochain est une exigence de l’amour fraternel. Chacun peut se laisser conduire par l’Esprit-Saint pour venir en aide à son prochain, et aussi demander de l’aide quand il est lui-même en difficulté.