Dedans… Dehors ! : Face à l’exclusion, vivre une commune humanité

 

Avons-nous tendance à nous installer dans un groupe en ignorant ou en rejetant ceux  qui sont à l’extérieur ? Sommes-nous enclins à catégoriser les gens en termes contraires jusqu’à la position extrême : les bons et les méchants ? Ou bien, à l’inverse, sommes-nous disposés à la bienveillance vis à vis de ceux qui nous entourent en reconnaissant la diversité des comportements. Notre attitude dans la vie sociale dépend évidemment de nos mouvements intérieurs qui s’inscrivent dans les dimensions psychologique et spirituelle de notre être. Comment gérons-nous l’agressivité et l’angoisse ? Y a-t-il en nous un courant de vie positive qui s’exprime dans l’empathie et la sympathie ?

Cependant, quelque soit notre attitude personnelle, nous sommes confrontés au climat des groupes sociaux dans lesquels nous vivons. Cette ambiance exerce sur nous une influence dont nous avons plus ou moins conscience et face à laquelle nous ne sommes pas toujours en mesure d’opposer une réflexion critique ? Et pourtant, lorsqu’on y réfléchit, la manière de vivre dans un groupe en opposant plus ou moins consciemment les gens qui sont dedans à ceux qui sont dehors, en termes positifs pour les uns, négatifs pour les autres, est beaucoup plus répandue qu’on ne l’imagine.

 

L’exclusion : une question sociale très actuelle .

 

Les historiens nous décrivent le mépris orgueilleux affichés par la classe dominante vis à vis des pauvres et des exclus dans différents contextes de notre passé. Le livre de Guillaume Le Blanc : « Que faire de notre vulnérabilité ? » (1) nous montre combien le phénomène de l’exclusion est encore très présent aujourd’hui en décrivant et analysant les processus correspondants. « Aujourd’hui nombreux sont ceux qui ont le sentiment d’être exclus, d’être rejetés du mauvais côté de la frontière. Nombreux sont ceux également qui redoutent de l’être… La crainte de l’exclusion ne porte pas seulement sur ce qu’elle entraîne dans les conditions d’existence, mais aussi sur une perte d’humanité… Dans l’effroi de l’exclusion, le sentiment même d’une communauté des vies humaines est potentiellement annulé.. . Exclure ne revient pas seulement, de ce fait, à tracer une ligne entre dedans et dehors, mais à contester le caractère pleinement humain de celles et ceux qui sont perçus, à tort ou à raison, comme étant dehors » (p 26-27). Une frontière est érigée. « L’exclusion précipite l’exclus au delà de la frontière et crée un fossé entre celles et ceux qui sont dedans et celles et ceux qui sont dehors » ( p 26). Si, comme « sujets travailleurs, raisonnables, citoyens, cherchant, dans le centre de nos ville, plaisir de vie », nous nous protégeons par un sentiment de supériorité vis à vis des exclus, le remède n’et-il pas dans une conception de l’homme qui accepte de reconnaître sa propre vulnérabilité. « Contre la suffisance d’une communauté qui se proclame invulnérable, l’accueil de l’exclu fait advenir une autre humanité, vulnérable tout autant qu’imprévisible » (p.211).

 

Hors de l’Eglise, point de salut… !?

 

Dedans. Dehors. Un autre exemple se présente à nous. Il est emprunté au domaine religieux.

Au long des siècles, l’Eglise a été le berceau d’œuvres charitables. Mais il y a aussi la mémoire d’une puissance qui imposait sa loi. Un historien, Jean Delumeau, nous rapporte la présence d’une culture de la peur fondée sur la menace de l’enfer, une exclusion éternelle. Certes, on doit éviter de généraliser et de caricaturer, mais il y a bien eu des théologiens qui ont transposé la violence de leur époque, violence du pouvoir et violence des mœurs, dans leur conception de Dieu et de la destinée humaine (2). On se rappelle l’adage : « Hors de l’Eglise, point de salut ». Bien sûr, les mentalités ont considérablement évolué, mais la croyance en une division entre « sauvés et perdus » persiste encore dans certains cercles chrétiens. Là ou elle est latente, les non croyants ne sont pas perçus comme des personnes à part entière où l’Esprit est à l’œuvre, mais, plus ou moins, comme des gens à convertir. Alors l’Eglise se vit en terme de dedans par rapport au dehors. Quelle différence avec l’attitude de Jésus qui s’en va à la rencontre des « pécheurs et des publicains ».

 

Jésus en lutte contre les forces d’exclusion

 

Jürgen Moltmann nous aide à sortir d’une catégorisation qui engendre l’exclusion. Théologien, il rejoint l’analyse du philosophe, Guillaume Le Blanc, lorsqu’il écrit  dans un livre : « Jésus, le messie de Dieu » (3) : « Dans toute les sociétés, il existe les catégories alpha qui déterminent ce qui doit être considéré comme bon et ce qui doit être considéré comme mauvais. Et il existe les catégories oméga dont la bonne société doit se démarquer parce qu’elle représente ce qui est mal . Lorsque cette dualité conduit à la formation de classes commence alors une lutte sans pitié des « bons » contre  les « mauvais ». (p166) Dans les récits des Evangiles, le concept de pécheur a une signification sociale comme le montrent les couples de concepts : bien portants-malades, justes-pécheurs, pharisiens-publicains ». De fait, les pécheurs sont des juifs qui ne sont pas en mesure d’observer la Torah.

Or Jésus déclare qu’il est venu appeler non pas des justes, mais des pécheurs (Marc 2.17). « En entrant dans la compagnie des pécheurs et des publicains, Jésus s’engage dans un conflit social à connotation religieuse qui creuse un  abîme entre justes et injustes, entre bons et mauvais… Les justes revendiquent pour eux-mêmes la justice de Dieu et imposent socialement leur système de valeurs. De même que la « possession de la richesse » fait que les pauvres restent pauvres, de même, la « possession du bien » creuse le fossé entre les bons et les mauvais, et fait que les mauvais restent mauvais ».

Jésus prend parti en faveur des discriminés. « En faisant cela personnellement, il leur révèle, à eux et à ceux qui les oppriment, la justice messianique de Dieu qui, par le droit de la grâce, rend juste ceux qui sont injustes, bons ceux qui sont mauvais et beaux ceux qui sont laids. Il s’agit là d’une attaque en règle contre la morale religieuse et bourgeoise ».

Jésus va à la rencontre des exclus, partage la table des pécheurs et des publicains. « Jésus anticipe le festin des justes dans le royaume de Dieu et fait ainsi lui même la démonstration de ce que signifient l’accueil  par le Dieu de miséricorde et le pardon des péchés.  Etre invité au grand festin du Royaume de Dieu… Jésus célèbre le repas des temps messianiques avec les discriminés de son temps. S’il est le Fils de Dieu messianique, il représente ainsi le comportement de Dieu lui-même » (p166).

L’attitude à laquelle Jésus nous invite dans les Béatitudes (Matthieu 5.1-11) va dans le même sens. Il s’adresse à un peuple divers confronté à de nombreuses difficultés. Il aide chacun à reconnaître ses vulnérabilités, mais aussi les dons qu’il a reçus. Il répand un courant de vie.

 

Pour une commune humanité, accepter nos vulnérabilités

 

Dedans. Dehors. Nous sommes fréquemment confrontés en nous même et dans les groupes sociaux où nous vivons à des tentations de repli, à des attitudes d’exclusion. Nous observons les mêmes tendances à une échelle plus vaste dans le champ politique. C’est le cas, par exemple, dans la manière de considérer les étrangers .

En regard, l’Evangile nous apporte un souffle d’universalité. C’est la source d’une dimension fraternelle.

En analysant les processus d’exclusion et les dispositions d’esprit qui les favorisent, Guillaume Le Blanc apporte une compréhension qui est aussi un horizon de vie et d’action : « L’angoisse d’être exclus, la hantise d’être débarqué, la peur de tomber, n’ont jamais imprimé aussi fortement nos vies. D’où vient ce sentiment de vulnérabilité et que peut-on en faire ? Au moment même où il semble nous priver de tout pouvoir, il nous faut reconnaître notre commune fragilité et l’irréductible humanité de ceux qui ont déjà été rejetés » (en couverture). Et il nous invite à un nouveau regard : « C’est seulement en reconnaissant que nous sommes vulnérables que nous pourrons affronter l’exclusion et la comprendre malgré tout comme une possibilité humaine et aussi comme une possibilité de vie humaine «  (p22).

Il y a bien des exemples où cet esprit est à l’œuvre. C’est le cas par exemple dans les « communautés de l’Arche », mais aussi dans de nombreuses associations. Dans un livre récent : « le grain de sable et la perle », Laurent de Cherisey, bien connu pour l’œuvre remarquable qu’il a accompli pour faire connaître des pionniers du développement social et environnemental à travers le monde, « les passeurs d’espoir », nous raconte comment, à partir d’un accident intervenu dans sa famille, il a été amené à s’engager dans la réalisation d’un lieu de vie pour accueillir des handicapés à la suite d’un traumatisme cranien. Son témoignage rejoint la réflexion de Guillaume Le Blanc : « Les personnes handicapées m’on fait le merveilleux cadeau de découvrir que nos fragilités ne sont pas un mal honteux à dissimuler, mais des opportunités de fécondité. Dans l’alliance de nos vulnérabilités se tissent les liens de fraternité les plus solides. La force de notre société dépend de leur qualité » (p145).

 

Des questions à se poser

 

En quoi cette réflexion peut-elle nous concerner personnellement ? Je suis attristé lorsque j’approche un milieu dont je sens qu’il est plus ou moins fermé vis à vis du monde extérieur. Je ressens la violence des attitudes d’exclusion. Quelle perte par rapport au potentiel qu’engendre l’ouverture ! Et puis, dans certaines circonstances, comme une moindre forme physique, un temps de maladie, l’impact d’un deuil, je puis ressentir l’indifférence de certains comme pouvant entraîner mon exclusion de certains circuits. Pour une part, nous avons l’habitude de communiquer dans une expression de nos capacités.  On peut appréhender le devenir de cette communication si ces capacités se trouvent quelque part limitées. Des relations équilibrées impliquent le partage non seulement des produits de notre créativité, mais aussi une expression partagée de nos manques et de nos besoins.  Les Béatitudes exprimées par Jésus : bienheureux les pauvres, bienheureux les doux, bienheureux ceux qui suscitent la paix décrivent un style de communication qui s’opposent à la violence de ceux qui se croient forts et permettent à leur agressivité de se manifester en terme d’exclusion. Elles impliquent une reconnaissance de nos manques. Lorsque Guillaume le Blanc nous invite à accepter nos vulnérabilités , de fait à nous accepter tel que nous sommes avec nos dons et nos manques, il  nous montre les incidences de cette attitude non seulement pour nous même, mais pour la vie sociale. C’est ainsi que se manifeste une vraie humanité. Voilà de bonnes questions à nous poser. Parlons en !

 

JH

 

(1)            Le Blanc (Guillaume). Que faire de notre vulnérabilité ? Bayard, 2011. Guillaume Le Blanc est professeur de philosophie à l’université de Bordeaux III Il est notamment l’auteur de « Dedans, dehors. La condition d’étranger (Seuil). Nous avons découvert ce livre à travers un commentaire de Ségolène Royal.

(2)            A travers son œuvre, le théologien Jürgen Moltmann nous aide à comprendre comment les  conditions du pouvoir et l’état des mentalités ont influencé les doctrines émises par certains théologiens menant ainsi à une pensée d’exclusion. Voir le blog sur la pensée de Moltmann : L’Esprit qui donne la vie. http://www.lespritquidonnelavie.com/

(3)            Moltmann (Jürgen). Jésus, le messie de Dieu. Cerf,1993

(4)            Cherisey (Laurent de). Le Grain de sable et la Perle. Quand les personnes handicapées nous redonnent le goût du bonheur. Presses de la Renaissance, 2011. Du même auteur : Passeurs d’espoir (2 vol.), 2005-2006.  Recherche volontaire pour changer le monde, 2008. Laurent de Cherisey est cofondateur de l’association Simon de Cyrène.

Alexandre Gérard : chef d’entreprise, pionnier d’une « entreprise libérée »

 Le travail est bien une composante majeure de notre vie. Ainsi, les conditions dans lequel il s’effectue, influent sur notre état d’âme,  sur toute notre existence. En héritage des siècles passés, le travail est souvent ressenti comme une charge et, au sein de la majorité des entreprises, il est généralement vécu dans un encadrement hiérarchique. Cependant, dans la culture actuelle où les employés, particulièrement les jeunes générations (1) désirent communiquer et s’exprimer et sont en quête de sens, le système hiérarchique paraît de plus en plus inapproprié et en porte à faux. Face à ce malaise, des entreprises pionnières apparaissent et s’organisent en terme de collaboration. Ce mouvement est bien décrit par Jacques Lecomte dans son livre sur « les entreprises humanistes » (2). Il s’expérimente également dans le courant des « entreprises libérées » (3). Dans ces entreprises, les salariés ne sont plus assujettis à un contrôle hiérarchique. Ainsi ils peuvent réaliser leurs tâches dans un esprit d’initiative et de travail d’équipe. Dans un exposé à Ted X Saclay (4), un chef d’entreprise, Alexandre Gérard, nous dit pourquoi et comment il a engagé son entreprise dans cette voie nouvelle.

 

 

Une entreprise témoin : Chronoflex

 On sait qu’un climat nouveau commence à apparaître dans les entreprises investies dans la culture digitale. Mais ce nouvel état d’esprit est également en train d’émerger dans des entreprises plus classiques. Effectivement, Alexandre Gérard est PDG de Chronoflex, une entreprise qui est consacrée au dépannage et à la réparation des flexibles hydrauliques sur site. Alexandre Gérard a créé cette entreprise en 1995 et elle compte aujourd’hui 300 salariés. En 2009, cette entreprise est frappée par la crise de plein fouet et contrainte à de nombreux licenciements économiques. En 2010, Alexandre Gérard décide de reprendre les choses en main et d’adopter un management libérateur. Cette aventure est relatée sur le site : « Oser entreprendre. Agir pour libérer les hommes et les organisations » (5). La rencontre avec Isaac Getz et JF Zobriot, respectivement théoricien et praticien de l’entreprise libérée a inspiré Alexandre Gérard. « Même si cet échange l’a déstabilisé, il y a trouvé les moyens et l’énergie pour instaurer un modèle similaire chez Chronoflex ». « Dans un premier temps, Chronoflex a arrêté de manager en fonction des 3% qui ne respectaient pas les règles. On part du constat que la plupart des règles sont établies dans l’organisation par rapport aux 3% des salariés qui auraient tendance à enfreindre la règle (vol, dégradation) contraignant les 97% autres. Il décide alors de donner la parole à ses salariés, de coopter l’action collective, de laisser faire et surtout de faire confiance à l’autre. « Avant, j’utilisais un seul cerveau pour prendre des décisions, le mien, maintenant, j’en utilise 300 et ça va mieux ». Après un bref chaos dans son organisation, de nouvelles règles ont été définies et les effectifs dits « perturbateurs » sont partis d’eux-mêmes. Et une autre organisation est apparue.

° Les équipes se sont regroupées pour construire une vision commune et des valeurs partagées : assurer la performance par le bonheur, cultiver l’amour des clients, constituer des équipes respectueuses et responsables et enfin conjuguer esprit d’ouverture et ouverture d’esprit.

° Les managers ont pratiqué la stratégie des petits cailloux. Ils ont demandé aux collaborateurs de rapporter tous problèmes liés à l’exercice de leurs fonctions pour les en délivrer.

° Enfin ils ont supprimé tous les signes de pouvoir au sein de l’organisation pour un meilleur sentiment d’équilibre, d’équité et d’égalité. Plus de bureau fixe, plus de place de parking. Comme tous ses salariés, Alexandre Gérard se gare sur le parking là où il y a de la place ».

 

Entreprise libérée. Pourquoi ? Comment ?

Dans son intervention à Ted x Saclay, Alexandre Gérard nous communique sa vision et les fondements de son inspiration.

« Durant quinze ans, j’ai été le patron d’une entreprise classique. En 2010, ma vie entière a changé. Je venais de rencontrer le chemin des entreprises libérées. Entreprises libérées, organiques, humanistes… Ce n’est pas l’appellation qui importe. Ce qui est important, c’est ce que nous tentons d’en faire. Conjuguer de notre mieux la confiance et la liberté. A la clef, des personnes plus engagées, mieux dans leur peau et une organisation plus performante. Bien sûr, le manager est le manager, mais son rôle est différent. A la manière du jardinier, il est là pour créer un environnement favorable à la créativité des personnes. Les managers sont là pour permettre aux équipes de grandir, de se réaliser. Ce mouvement fédère actuellement des centaines d’entreprises ».

Cette nouvelle approche requiert une transformation des croyances. Alexandre Gérard nous propose trois clés de lecture.

La première s’inscrit dans la psychologie sociale. C’est la prophétie auto-réalisatrice, bien connue sous le nom d’effet Pygmalion. « Robert Rosenthal (6), psychologue américain, confie des rats à ses élèves. L’objectif : faire traverser un labyrinthe le plus rapidement possible. La première équipe reçoit des rats dits exceptionnels ; la seconde équipe, des rats dits peu agiles. Ils les entrainent et les résultats arrivent. Ce sont les rats exceptionnels qui vont gagner l’épreuve très haut la main. En réalité, les rats ont été affectés de façon totalement aléatoire. On constate ainsi que le regard de la société, du manager sur une équipe influe directement sur le résultat de l’équipe ». Et il en va de même dans une seconde expérience. Des enfants réputés très doués alors qu’ils sont dans la moyenne sont remarqués et encouragés bien davantage par les professeurs si bien qu’ils réussissent beaucoup mieux. « Bienvenue dans le monde des prophéties auto-réalisatrices. Notre regard sur les autres les change ».

La seconde clé de l’histoire nous est donné par Douglas McGregor, professeur au MIT dans les années 50 (7). Dans son livre sur la dimension humaine de l’entreprise, « McGregor nous explique que, derrière le modèle de l’organisation dominante, c’est à dire l’organisation pyramidale, il y a une croyance. Cette croyance, c’est que les gens n’aiment pas travailler, c’est qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour l’éviter. Et c’est pour cela que l’on va mettre des managers pour expliquer aux gens ce qu’ils doivent faire. Et si le boulot est bien fait, carotte, récompense. Et si il est mal fait, bâton, sanction. McGregor nous révèle qu’il existe d’autres types d’entreprise fondés sur d’autres croyances. On y croit que le travail est aussi naturel que le loisir. Ces entreprises vont mettre l’humain en leur cœur et faire place à la performance collective. Ces entreprises deviennent plus agiles et, sur le long terme, plus performantes ».

Mais, dans le modèle dominant actuellement, comment se répartissent les attitudes vis à vis du travail ? C’est la troisième clé de lecture. Alexandre Gérard rapporte une enquête de Gallup. Les gens au travail se répartissent en trois catégories. Les engagés sont enthousiastes, heureux de travailler. Mais ils ne représentent que 13% de l’échantillon. Les désengagés ne s’impliquent pas. Pour eux, la vraie vie commence en dehors du travail. Ils constituent la grande majorité des sondés : 63%. Enfin, il y a un autre groupe : les « activement désengagés », ceux qu’on pourrait considérer comme toxiques pour l’organisation. Ils constituent 24% de l’échantillon.  « Imaginez un bateau avec des rameurs qui se comporteraient de la même manière… Les organisations pyramidales peuvent s’interroger ».

Alors comment créer une entreprise alternative ?

« Isaac Getz, l’auteur de « Liberté et compagnie » (8), aujourd’hui un best-seller, a théorisé le leadership libérateur. Dans ces organisations, le rôle du patron est au fond celui du jardinier. Et comme le jardinier doit garantir l’accès à l’eau, à la lumière et aux nutriments pour ses plantes, le patron doit garantit trois choses : La première, c’est l’égalité intrinsèque… Je ne parle pas d’égalitarisme surtout à la française. Simplement, c’est une philosophie du management. Le second ingrédient, c’est la possibilité donnée à tous de se réaliser, par exemple de se former, de construire son parcours de vie au sein de cette organisation. Le troisième ingrédient : faire que chacun, quelque soit son rôle, puisse prendre toutes les décisions nécessaires au projet de l’entreprise, sans avoir besoin de l’autorisation d’un chef ou de la procédure 414. Voilà : c’est ce regard positif que nous allons poser sur  chacun de nos équipiers qui, parfois, va lui permettre de se réaliser, parfois même de se révéler ».

 

Changer soi-même pour que l’organisation change

 « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » déclarait Gandhi. La conviction qu’il y a un lien étroit entre changement personnel et changement collectif s’est répandue dans un vaste courant de pensée et d’action. « Changer soi-même pour que le monde change », inspire encore aujourd’hui un mouvement comme Initiatives et changement » (9). Cette prise de conscience s’étend et elle apparaît maintenant à certains non seulement comme une évidence existentielle, mais comme une nécessité pratique.  Alexandre Gérard nous le dit : Si le regard porte le changement autour de soi, comment changer son regard ? « Il a fallu d’abord que j’aille regarder à l’intérieur de moi. Grâce à mon coach Jean-Luc et à de nombreux mois de travail, j’ai pu travailler mon lâcher-prise. Je croyais, par exemple, que si je n’étais pas au cœur de la bataille à prendre toutes les décisions dans l’entreprise, il ne pouvait rien se passer de bien. Imaginez ce que j’ai pu ressentir quand, après un an de voyage en famille autour du monde, je reviens et je me rends compte que l’entreprise marche mieux que quand j’étais là. J’ai pu apprivoiser ma vulnérabilité. Quand je suis dans le doute, je mets inconsciemment en place des mécanismes de contrôle très puissants qui découragent mes équipiers. J’arrive aujourd’hui en partie à partager avec eux ces difficultés. J’ai pu aussi découvrir ma part d’ombre, vous savez cette partie de chacun d’entre nous qu’on passe une partie de notre temps à essayer de masquer aux autres. Chez moi, cette partie pourrait être moins humble que je le voudrais, avoir envie de convaincre et de convaincre à tout prix… Nous avons besoin de nous aligner, cerveau, cœur et tripes.

 

Un mouvement significatif

Avec Alexandre Gérard, nous découvrons une entreprise différente de la représentation que beaucoup lui attribuent : un lieu nécessaire, mais contraignant et parfois opprimant. Cette représentation procède d’une expérience encore largement répandue, mais dans sa puissance d’évocation, plus encore peut-être, elle est issue d’un héritage historique. Dans une certaine tradition religieuse, le travail était perçu comme une punition. Et, par la suite, l’entreprise a été vécue comme un lieu d’exploitation. Certes, la réalité historique est beaucoup plus complexe. Mais la représentation de l’entreprise  puise à la fois dans le passé et dans le présent. Et aujourd’hui, on le sait, nous vivons en France dans une société où, à l’inverse de la situation dans beaucoup de pays étrangers, la confiance peine à s’affirmer (10). Il y a quelque part une agressivité latente. Cependant une évolution est en cours. Ainsi perçoit-on aujourd’hui le rôle des entreprises comme force de développement économique. Le progrès des « entreprises humanistes » (2), l’apparition des « entreprises libérées » (3) s’inscrivent dans un changement profond de mentalités.

L’intervention d’Alexandre Gérard s’appuie sur une expérience vécue : le passage de l’entreprise Chronoflex d’une forme classique à une dynamique fondée sur la collaboration et la créativité. Beaucoup, parmi nous travaillent encore dans des structures traditionnelles, en ressentent les contraintes et expriment leur morosité. Alors, c’est une bonne nouvelle d’apprendre qu’on peut travailler autrement, qu’une autre forme d’entreprise est possible. Oui, c’est possible et le témoignage d’Alexandre Gérard nous dit pourquoi et comment.

Cependant, l’aspiration au changement ne se limite pas au travail dans les entreprises. Elle se manifeste dans toutes les organisations. C’est la recherche d’un nouveau modèle privilégiant la participation, la collaboration, l’intelligence collective. Cet état d’esprit germe dans les administrations (11). Et on peut observer les mêmes attentes confrontées aux mêmes résistances dans beaucoup d’institutions.

Alexandre Gérard met en évidence l’importance du regard que nous portons sur les humains. Ainsi, tout dépend de notre attitude ! Quelle responsabilité ! Quel potentiel ! Quel appel au changement personnel et à la transformation intérieure ! Or voici qu’on observe aujourd’hui un courant en faveur de l’empathie, de la bienveillance, de la psychologie positive (12). Les sciences humaines s’allient à la spiritualité. Et, certaines composantes religieuses apportent leur contribution (13). Car, ce qui est en cause nous concerne tous. C’est le choix du respect, de la sympathie, de la confiance en l’autre. Cette confiance en l’autre ne requiert-elle pas plus généralement une adhésion implicite ou explicite à une vision positive de notre destinée commune dans le monde et à une dynamique relationnelle ? (14)

J H

 

(1)            « Génération Y : une nouvelle vague pour une nouvelle manière de vivre » : https://vivreetesperer.com/?p=2652

(2)            « Vers un nouveau climat de travail dans des entreprises humanistes et conviviales. Un parcours de recherche avec Jacques Lecomte » : https://vivreetesperer.com/?p=2318

(3)            Wikipedia : entreprise libérée : https://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise_libérée

(4)            TED x Saclay : au service du vivant : jeudi 30 novembre 2017 : Alexandre Gérard : Entreprise libérée : la patron qui a osé changer son regard sur les autres » :

https://www.youtube.com/watch?v=EW2xjH2Py2s

Autre vidéo sur TED x Rennes : https://www.youtube.com/watch?v=VebUucpwAZc

Par ailleurs, Alexandre Gérard est auteur d’un livre : « Le patron qui ne voulait plus être chef ».

(5)            « Alexandre Gérard a libéré l’entreprise Chronoflex et ses 300 salariés » sur le site : « Oser entreprendre. Agir pour libérer les hommes et les organisations » : http://www.oser-entreprendre.fr/alexandre-gerard-a-libere-lentreprise-chronoflex-et-ses-300-salaries/

(6)            Wikipedia : « Robert Rosenthal » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Rosenthal

(7)            Wikipedia : « Douglas McGregor » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Douglas_McGregor

(8)            Wikipedia : « Isaac Getz » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Getz

(9)            « Interview de Myriam Bertrand, volontaire du service civique, à « Initiatives et changement » : https://vivreetesperer.com/?p=1780

(10)      « Promouvoir la confiance dans une société de défiance » : https://vivreetesperer.com/?p=1306

(11)      Des initiatives personnelles témoignent du changement d’esprit. « Pour un processus de dialogue en collectivité. Un chemin vers l’intelligence collective » : https://vivreetesperer.com/?p=2631

(12)      « Empathie et bienveillance. Révolution ou effet de mode » https://vivreetesperer.com/?p=2639

(13)      « Lytta Basset : Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842

Non-violence : une démarche spirituelle et politique » : https://vivreetesperer.com/?p=2739

« La rencontre entre le président Obama et le pape François » : https://vivreetesperer.com/?p=2192

(14)      Voir le monde qui se construit en terme de relations : « L’« essence » de la création dans l’Esprit est par conséquent la « collaboration », et les structures manifestent la présence de l’Esprit, dans la mesure où elles font connaître l’« accord général ». « Au commencement était la relation » (M Buber). (Jürgen Moltmann. Dieu dans la création. Cerf, 1988). Pouvoir, dans l’espérance, nous inscrire dans la dynamique d’un nouveau monde en préparation, pour le chrétien, en Christ ressuscité, la venue d’un monde réconcilié où Dieu sera tout en  tous (Jürgen Moltmann. La théologie de l’espérance).

Questions sur la bonne gouvernance

En passant par la Toscane au XIVème siècle

Les fresques d’Ambogio Lorenzetti sur le bon et le mauvais gouvernement

La Toscane est une province italienne dont on sait la beauté des paysages  et des œuvres d’art. Elle est jalonnée par des villes réputées : Florence, Sienne.  Des amis ayant récemment visité cette région, à leur retour, je leur ai demandé s’ils pouvaient nous communiquer des échos de cette beauté. Au cours d’une conversation  avec Etienne Augris, professeur d’histoire et géographie dans un lycée lorrain (1), j’ai découvert qu’il avait tout particulièrement apprécié une œuvre d’art qui se situe dans le « Palazzo Pubblico » de Sienne. Ce sont des fresques réalisées entre 1337 et 1340 par Ambrogio Lorenzetti pour représenter en allégories le bon et le mauvais gouvernement et, sur un registre réaliste, les effets qui s’en suivent (2).

#Si ces fresques sont considérées aujourd’hui comme un chef d’œuvre et commentées comme tel (3), leur sujet même nous paraît particulièrement original. Certes, il correspond aux questions qui se posaient dans des cités indépendantes  où le pouvoir émanait des notables, une situation qui ouvrait le champ des interrogations sur l’exercice de celui-ci. Dans un univers où les rivalités et les conflits abondaient, la paix et la guerre étaient étroitement liées aux décisions des dirigeants. Ainsi ces fresques mettent en évidence les effets du bon et du mauvais gouvernement . On peut se demander quel message ces figures artistiques peuvent nous apporter encore aujourd’hui. On se rappellera alors que le thème de la bonne gouvernance est toujours d’actualité. Des recherches récentes (4) ont montré que le développement économique des pays pauvres dépend largement de l’exercice du pouvoir politique.

 L’attention se portera ici sur les caractéristiques de la bonne gouvernance telle qu’elle nous est représentée par ces fresques. Qu’est-ce que les gens de cette époque ont à nous dire sur les valeurs, les attitudes et les comportements qui fondent une bonne gouvernance ? Comme historien, mais aussi comme citoyen, Etienne Augris  nous donne quelques pistes pour comprendre le message de ces fresques.

Rencontre avec les fresques d’Ambrogio Lorenzetti

Ressenti et réflexion d’un historien 

Interview d’Etienne Augris

Etienne, qu’as tu apprécié durant ton voyage en Toscane ?

J’ai apprécié une certaine douceur de vivre, une sérénité qu’on ressent notamment à la vue des paysages.  Et par ailleurs, je suis très sensible à la richesse historique et patrimoniale de cette région, en particulier dans les villes. Dans certaines villes, on a même l’impression que le temps s’est arrêté. Pour moi qui suis historien, j’apprécie le sentiment d’une présence du passé, aujourd’hui.

Pourquoi et en quoi, les fresques de Lorenzetti à Sienne t’ont-elles particulièrement impressionné ?

Ce qui frappe en premier, c’est la beauté de ces fresques dans le contexte même de leur création, un lieu très important puisqu’il était le siège d’un des principaux pouvoirs de la ville. Avant toute chose, ce qui a accroché mon regard, c’est la couleur, et, en particulier, la couleur bleue. Ce qui m’a plu aussi, c’est la dimension historique. C’est un véritable document.

Quelles sont les principales caractéristiques de ces fresques ?

Les fresques sont particulièrement répandues en Italie et le mot : fresque est lui-même issu de l’italien : « fresco ». Ces fresques sont une commande publique passée par les autorités de la ville à un artiste réputé : Ambrogio Lorenzetti. Et cet artiste est lui-même un citoyen engagé au service de la république. Ne disposant pas du contrat, on ne sait pas dans quelle mesure Lorenzetti était entièrement libre dans sa représentation. Ces fresques couvrent trois des quatre côtés d’une grande salle. Cette salle accueillait la réunion du conseil des 9, des notables désignés temporairement pour diriger la ville dans la première moitié du XIVème siècle.

Peux-tu nous décrire ces fresques telles que tu les vois ?

#Ces fresques s’étendent sur trois murs.

#Lorsqu’on rentre dans la salle, on voit d’abord l’allégorie et les effets du mauvais gouvernement. Sur ce mur, le personnage principal est une sorte de diable qui incarne la tyrannie. Il est entouré par la représentation de nombreux vices. Ces vices évoquent des travers sociaux et politiques plutôt que des péchés individuels : l’orgueil, l’avarice, la vanité. Au pied de la tyrannie, se trouve la justice ligotée. On retrouve ce thème omniprésent de la justice dans les autres fresques. Elle figure dans les inscriptions qui accompagnent les personnages, soit pour regretter son absence, soit pour louer sa présence, son règne. On voit également sur ce mur les effets du mauvais gouvernement dans une ville et une campagne entièrement dévastées sur lesquelles règne la peur.

Lorsqu’on poursuit dans le sens de la lecture, on trouve ensuite l’allégorie du bon gouvernement.

Et on commence par la représentation de la justice sur un trône. Elle est inspirée par un petit personnage au dessus de sa tête qui symbolise la sagesse. Chacune de ses mains tient les plateaux d’une balance. La justice punit. La justice rétribue.

En dessous de la justice, se trouve la concorde. Elle rassemble les fils qui viennent de la justice pour former une seule corde qui est transmise à la procession des notables qui représentent les habitants de Sienne, unis par ce lien de la concorde.

Cette corde remonte ensuite vers un personnage majestueux, aux couleurs de la ville et qui représente le bien commun. Ce fil est attaché à son poignet. Ce personnage est entouré de nombreuses allégories qui représentent des vertus. Il y a de nouveau la justice.  Et puis, il y a la paix : une femme semi allongée qui a l’air très sereine. Elle est au centre du mur, une de celles qui attirent le plus le regard par sa clarté et son rayonnement.  Au dessus de la tête du bien commun, il y a les trois vertus théologales : foi, charité, espérance. C’est une des seules références religieuses directes dans cette fresque. Parmi les vertus, il y a des vertus actives et des vertus passives. Et elles sont placées en alternance, par exemple : justice et tempérance.. C’est sur ce mur que figure la signature de Lorenzetti.

#Le troisième mur qui fait face à celui évoquant le mauvais gouvernement représente les effets du bon gouvernement comme en miroir. On y représente la ville de Sienne identifiée par la présence de la cathédrale et de symboles de la ville. La campagne environnante est également représentée. Sur cet espace, la ville et la campagne, règne l’allégorie de la sécurité qui permet une vie quotidienne paisible, animée et ponctuée de réjouissances : mariage, danses. C’est une ville dont la construction se poursuit. La campagne est pleine de richesses. Le paysage qui est décrit ressemble beaucoup au paysage actuel de la Toscane caractérisée par des collines où on cultive des céréales, la vigne et les oliviers.

Dans cette salle, Lorenzetti fait appel aux représentations de son époque. Mais il est un des seuls à en rassembler autant dans un tel agencement. Sur ces murs, on a à la fois des allégories et des représentations réalistes.

#Cette œuvre nous parle de gouvernance. Quel message cette œuvre envoie aux gens de cette époque ?

C’est un message destiné à ceux là même qui siègent dans la salle et plus généralement à la ville de Sienne et à sa population. La ville et la campagne qui subissent la tyrannie ne sont pas des espaces étrangers, mais pourraient eux-mêmes être la ville de Sienne et ses environs.  C’est donc un rappel permanent des risques qui guettent la cité. Le régime qui est mis en avant, est clairement républicain par opposition à la tyrannie. Mais cette république était comprise au sens de l’époque et non comme une démocratie au sens moderne du mot.  Rappelons que tous les habitants de la ville ne participent pas à la désignation des dirigeants réservée à une élite fortunée.

Cette république met en avant des principes et non des intérêts  individuels. Dans cette république, on craint la personnalisation du pouvoir. Les membres du Conseil des 9 eux-mêmes ne sont désignés que pour deux mois. Le fil conducteur de cette fresque, c’est la justice qui est représentée, à plusieurs reprises, et qui apparaît comme l’élément indispensable d’une bonne gouvernance. La concorde elle-même puise sa source dans la justice et permet aux citoyens de cette république de travailler ensemble pour le bien commun. Parce qu’il y a la justice et aussi la concorde, les intérêts individuels sont compatibles avec le bien commun.

Cette fresque est également complexe. Pour moi, elle témoigne de la complexité du gouvernement de cette république et de la fragilité de ses équilibres. Dans la réalité historique, on sait que les périodes de paix ont souvent été éphémères.  Quelques années après la réalisation de ces fresques, une nouvelle période de troubles politiques, de guerres, d’épidémies, s’est ouverte. Le gouvernement des 9 lui-même a disparu et a laissé place à une nouvelle forme de gouvernement. Si la situation est aussi fragile, c’est parce que les pouvoirs sont multiples. Ainsi, et à côté du pouvoir qui était exercé par le Conseil des 9, il y avait aussi le pouvoir de l’évêque et celui du représentant de l’empereur. L’équilibre était fragile, et, à cette époque, les rapports de force changeaient régulièrement.

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Qu’est ce que ce message peut nous apprendre aujourd’hui encore ?

La question de la gouvernance tourne aujourd’hui autour de l’idée de la démocratie et de son exercice. Ces fresques nous apprennent que le bon gouvernement est une réalité fragile qui peut être menacée de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le problème ne vient pas en premier des ennemis extérieurs, mais des faiblesses internes.

La démocratie n’est pas nécessairement établie pour toujours, mais c’est un processus permanent et jamais achevé. La question de la justice est centrale. Elle conditionne l’adhésion des citoyens à cette démocratie. Un citoyen qui constate l’injustice dans un régime dit démocratique n’aura sans doute pas la volonté de s’engager en faveur de la démocratie.

         Dans la fresque, on commence par voir la situation qu’on ne veut pas pour arriver à celle qu’on souhaite. Et on propose effectivement un ensemble de principes positifs et aussi un état d’esprit.

         Les questions, que se posaient les habitants de Sienne autrefois, se posent aussi à nous aujourd’hui. Comment passer d’une indignation face à l’injustice et à la tyrannie à la mise en avant de principes et d’un état d’esprit permettant une bonne gouvernance ?

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Contribution d’Etienne Augris.

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Notes 

(1) Professeur d’histoire et géographie, Etienne Augris a créé un   blog concernant l’enseignement de ces disciplines : histoire-géographie terminales….. http://histoire-geo-remiremont.blogspot.fr/

(2) Sur wikipedia, « les effets du bon et du mauvais gouvernement » https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Effets_du_bon_et_du_mauvais_gouvernement  « The allegory of good and bad government » http://en.wikipedia.org/wiki/The_Allegory_of_Good_and_Bad_Government.  On trouvera des photos des fresques d’Ambrogio Lorenzetti sur la « Web gallery of art » : « Frescoes of the good and bad government »  http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/l/lorenzet/ambrogio/governme/index.html; Cette galerie apporte des ressources considérables en reproductions d’œuvres d’art. C’est la source des quelques photos illustrant cet article (parmi un ensemble de 19 auquel on pourra se reporter)

(3) Ces fresques sur le bon et le mauvais gouvernement sont remarquablement commentées en anglais dans une vidéo présentée sur YouTube parmi une série de productions réalisée par  « Smart history » en vue de développer l’éducation artistique. Les lecteurs pourront apprécier cette vidéo à laquelle nous donnons accès sur ce site. http://www.youtube.com/watch?v=jk3wNadYA7k

(4) Sur ce blog, voir : « Pour réformer la finance ». Dans cet article, James Featherby mentionne plusieurs livres qui mettent l’accent sur l’importance du rôle de l’état pour la promotion du bien commun . « Dans un livre intitulé : « Why nations fail » (Pourquoi des nations échouent), Daron Acemoglu et James Robinson nous disent que l’existence d’institutions destinées à servir l’intérêt public plutôt que l’exploitation privée, explique pourquoi certains pays réussissent et d’autres s’effondrent » https://vivreetesperer.com/?p=882

Récits de vie et gouvernance participative

A travers un service du courrier, Obama, président, dialogue avec les citoyens américains.

pour répondre aux besoins, encore faut-il écouter leur expression. Cette écoute est nécessaire pour identifier les besoins dans toute la complexité humaine dans laquelle elle se manifeste. C’est bien là la tache essentielle des élus et évidemment du premier d’entre eux, le président. Certes, il y a différentes manières d’identifier et d’analyser les besoins, par exemple une enquête, une expression des média, mais rien ne remplace une écoute directe des gens. Et plus généralement, la participation appelle le dialogue. Cette expression des citoyens peut prendre différentes formes. Un livre récent (1) vient aujourd’hui nous présenter une expérience : le service du courrier qui recevait des milliers de lettres adressées au président Obama par des  citoyens américains.

Le service du courrier

 Tout au long de l’histoire américaine, il y a toujours eu des citoyens qui ont écrit au président . Mais cette correspondance s’est considérablement amplifiée au cours du temps. Et le service a pris un importance majeure avec l’arrivée d’Obama à la présidence . Ce développement s’inscrit dans la vague militante qui a porté et accompagné l’élection. Ainsi, la participation à cette entreprise témoigne d’une forte mobilisation, d’un engagement comme celui de Fiona devenue responsable de ce service.

« Au total, le service de la correspondance présidentielle ou OPC comme tout le monde l’appelait, requérait l’action coordonnée de 50 employés, de 36 stagiaires et d’une armée de 300 volontaires se relayant pour faire face à la dizaine de millier de lettres et de messages quotidiens. Il appartenait à Fiona en tant que directrice de l’opération de faire tourner la boutique » (p 86). Ces lettres parlent des réalités de la vie qui interpellent le président. Ces messages sont lus attentivement et cotés selon le sujet choisi en vue d’y apporter une réponse. Cependant la grande affaire, c’est de choisir chaque jour dix lettres auxquelles le président répondra.

Si la création du service a été précédée par une lente évolution, si elle est advenue dans un grand moment politique, elle est d’abord la résultante d’une volonté personnelle, celle du président Barack Obama. Le service a été organisé par des hommes qui l’ont accompagné dans sa démarche politique. Et sa décision de lire chaque jour dix lettres et d’y répondre, a été emblématique.

Barack Obama

Barack Obama a surgi dans l’histoire américaine comme la réponse à une espérance que puissent hommes et femmes être respectés dans leur originalité personnelle et leur existence sociale et politique. Dans son accession à la présidence, Barack Obama a apporté une réponse : « Yes, we can ». Oui , nous pouvons. Son élection nous est apparue comme un tournant dans l’histoire des Etats-Unis (2), une ouverture pour le monde. Aussi, à plusieurs reprises, avons-nous évoqué, sur ce blog, les activités et les expressions de ce président (3). L’attention qu’Obama a porté au courrier lors de sa présidence est une manifestation de son empathie et de son engagement au service de l’humain. C’est une faculté d’écoute permettant une meilleure identification des besoins et, donc, une capacité d’y répondre. Ainsi, nous dit-il, « Ce serait un exercice intéressant d’identifier le nombre d’initiatives… dont la plupart étaient de portée limitée…. qui aboutirent à une modification ou qui provoquèrent au moins une discussion sur la manière dont nous fonctionnons. Un nombre non négligeable , je pense » (p 196). Certaines lettres ont suscité des réactions visibles. « Je me rappelle une rencontre. Une merveilleuse famille. Un père et une mère relativement jeunes avec deux enfants, et, au moment où je suis arrivé, la mère a fondu en larmes. Elle m’a serré dans ses bras et dit : « Si on est ici, c’est grâce à vous ». J’ai répondu : « Comment ça ? ». « Mon mari ici présent a servi dans l’armée et souffrait d’un syndrome post-traumatique assez grave et je craignais qu’il n’en sorte pas, mais vous avez demandé à l’administration des vétérans de nous appeler directement et c’est ce qui l’a conduit à se faire soigner ». C’est le genre d’occasions qui nous rappelle que cette fonction a quelque chose de spécial » (p 196). « Quand les gens reçoivent une réponse, ils ont le sentiment que leurs vies et leurs préoccupations ont de l’importance. Et ça, ça peut changer dans une faible mesure, et parfois plus largement, le regard qu’ils portent sur la vie » (p 196). Parce qu’Obama portent un profond respect aux gens, les gens le ressentent, et lui expriment une considération qui va jusqu’à lui faire part de leur évolution personnelle. « Parfois les gens me font part  d’une forme de transformation qu’ils ont vécu. Il y a plusieurs lettres de personnes me confiant avoir grandi dans des familles se méfiant des personnes d’une origine différente, d’un autre milieu. Les lettres me relatent l’évolution que leurs auteurs ou leurs proches ont connue après avoir constaté que l’image d’eux qu’on leur renvoyait n’était pas celle qu’ils imaginaient » (p197).

Parce qu’Obama respecte profondément les gens et que ceux-ci peuvent lui manifester du respect en retour, il peut se créer une forme de communauté en retour. Ainsi écrit Obama : « Les lettres qui me tiennent à cœur sont, je crois, celles qui opèrent des liens, qui parlent de la vie des gens, de leurs valeurs, de ce qui leur importe » (p 197). Cette attention témoigne d’une confiance et d’une bienveillance dont fait preuve le président : « Ces lettres disent que les gens sont pleins de bonté et de sagesse. Il suffit d’y faire attention. Ce qui est parfois difficile de faire quand on est à l’intérieur d’une bulle, mais cette petite porte me l’aura rappelé chaque jour » (p 207).

 

Les lettres : une expression de la vie américaine dans toute sa diversité

Ce livre publie ainsi un grand nombre de lettres par périodes chronologiques. Si elles comportent telle interprétation ou telle louange, elles s’appuient généralement sur une expression de la vie de ceux qui écrivent. C’est un recueil de récits de vie qui témoignent de la diversité des situations. Certes, il y a des inflexions dans les contenus. Lorsque Obama accède à la présidence, il doit faire face à une grave récession. Il y a du chômage. Beaucoup de gens souffrent dans leurs conditions de vie. Et comme le redressement ne peut être immédiat, on entend une plainte et parfois une déception.

Cependant, il y a aussi ds demandes plus classiques. « Il y a des lettres récurrents comme celles des anciens combattants demandant de l’aide, celles des jeunes accablés par des dettes récurrentes essayant de savoir s’ils sont éligibles à une aide ou une autre, des militaires ou des familles de militaires aux prises avec une décision du département de la défense… » (p 195). « La loi sur la protection de patients et des soins abordables » surnommée « Obamacare », a suscité un courrier abondant. Des vies ont été sauvées.

Bien souvent, ces lettres témoignent d’une expérience de vie originale. Elles expriment des prises de conscience auxquelles le président est associé parce qu’elles soutiennent des causes qu’il soutient ou des pistes qu’il ouvre . Ces lettres couvrent un champ très vaste. Des valeurs s’y expriment, le meilleur de l’idéal américain tel que Barack Obama en témoigne. En voici quelques exemples.

 

Des récits de vie

Ces lettres en grand nombre portent toutes un message. Et, pour chacune d’elle, l’auteure nous permet de la situer dans son contexte et de percevoir le dialogue qui s’établit entre les personnes et le président. Ce livre nous apporte un ensemble de récits de vie qui nous rapportent les problèmes, économiques, sociaux er culturels vécus par des américains et les idéaux qui les animent.

Marnie Hazelton

Marnie Hazelton, mère célibataire, quinquagénaire, a derrière elle une tradition familiale qui l’engage dans « une vie de service », des parents et des grands-parents afro-américains, « Elle était la dernière représentante d’une histoire marquée par le courage et la lutte » (p 165). Puis, elle devient enseignante dans des écoles défavorisées à New-York. C’est un idéal qui la pousse. En 2011, elle écoute attentivement le dernier discours d’Obama sur l’état de l’Union : «  Ce qui aura le plus d’impact sur la réussite d’un enfant, c’est l’homme ou la femme qui se tient devant lui dans la salle de classe. A l’attention de tous les jeunes gens qui écoutent ce soir et qui  hésitent pour leur carrière professionnelle, si vous voulez influer sur la vie d’un enfant, devenez enseignant. Votre pays a besoin de vous » (p 164). « Une bâtisseuse de nation, une patriote, voilà ce qu’elle était » (p 164). Hélas la récession avait frappé les Etats-Unis et il fallait du temps pour que la politique d’Obama porte tous ses fruits. A l’échelon local, il y a encore des coupes budgétaires. Elle perd son emploi et entre alors dans une période difficile .

C’est alors qu’elle décide d’écrire au Président Obama.

« Cher monsieur le Président

Mes parents représentent le meilleur de l’Amérique .

Mon père a servi. Ma mère a répondu à l’appel de John F Kennedy à servir ». Plusieurs des mes aïeux ont combattu pour les Etats-Unis. « J’ai marché dans les pas de ma mère et suis devenu enseignante. « Une bâtisseuse de nation ».

Monsieur le Président, vous devez recevoir des milliers de lettres narrant les malheurs des chômeurs et il n’y a pas grand chose que vous puissiez faire à l’échelle individuelle. J’ai perdu mon emploi parce que les fonds de relance attribués aux écoles sont épuisés.

J’aimerais que vous me disiez ce que je dois faire maintenant pour subvenir aux besoins de ma famille alors que le marché de l’emploi dans l’éducation est inondé de milliers d’enseignants licenciés à cause des coupes budgétaires et que j’ai  consacré les onze dernières années de ma vie à bâtir la nation et à éduquer les enfants de l’Amérique » (p 167). Elle fut très surprise de recevoir une réponse personnelle du président : « Merci de votre dévouement à l’éducation. Je sais que la situation actuelle peut paraître décourageante, mais la demande pour des enseignantes et des personnes avec vos compétences grandira au fur et à mesure que la conjoncture et le financement des états rebondiront. En attendant, je suis de tout cœur avec vous » (p 170).

Cette phrase : « je suis de tout cœur avec vous » alla droit au coeur de Marnie. La lettre du président lui redonna courage et l’accompagna dans les épisodes qui ont suivi jusqu’à la présenter dans un jeu télévisé. Treize mois après avoir été congédiée, elle reçut la demande d’un district scolaire dans lequel elle avait déjà travaillé. « Revigorée, réinventée, quand elle revint dans la salle de classe, elle montra à ses élèves le mot du président Obama. C’était une occasion de leur apprendre quelque chose. Elle dit aux enfants : « Je suis de tout coeur avec vous ». Et elle l’a répété à tout le monde autour d’elle. Finalement, elle devint directrice du district qui l’avait autrefois mise à pied.

Marjorie McKinney

Marié à un géologue de l’Université de Caroline du Nord, Marjorie avait aidé son mari pendant toute sa carrière. Cette association avait toujours reposé sur un consentement mutuel.

« Ce jour, elle s’était rendu à Albany pour collecter des images de fossile à la demande de Ken ». Pour regagner sa voiture, elle commença à s’engager dans une immense place devant le musée. « Il y avait une personne au loin qui se dirigea vers elle. Il avait l’air jeune. Il était noir. Il portait un sweat à capuche . D’un geste brusque, il rabattit la capuche masquant son visage ». Marjorie eut très peur avec une immense envie de fuir » . En arrivant en même temps à la cage d’escalier, il la regarda. « Désagréable le vent, hein ! » dit-il, avant d’ajouter qu’il y avait un passage souterrain pour piétons qui reliait le musée au parking au cas où elle ne le saurait pas. La prochaine fois qu’il ferait froid, elle gagnerait peut-être à le prendre, suggéra-t-il. C’était  tout. Il était parti. Un truc qui pouvait sembler anodin. Un truc banal ». Mais pour Marjorie, cela marqua une rupture dans sa représentation d’elle-même. « Pourquoi avais-je eu peur de ce charmant jeune homme ? ». Tout simplement parce qu’il était noir . Je n’avais aucune raison d’avoir peur de lui. J’étais atterrée. Ce n’était pas quelque chose que j’aurais cru ressentir un jour. Ce fut un tournant dans ma vie parce que je me suis rendu compte que j’étais raciste. Et il fallait que je trouve le moyen de m’en débarrasser » (p 209).

Une bonne partie du problème pour Marjorie, c’est qu’elle pensait s’en être débarrassée (p 210). Et elle avait déjà parcouru un chemin en ce sens. En effet, elle avait vécu son enfance dans le sud profond, Birmingham à une époque où le monde était divisé en deux : blanc ou noir. Cela paraissait naturel. Elle prit conscience de l’injustice en rencontrant à l’université un ami, un étudiant allemand beaucoup plus âgé qu’elle. Elle venait d’une ville où régnait une ségrégation très dure. Son ami allemand lui expliqua le racisme, l’intolérance, la haine, lui parla de son pays, de sa vie, des jeunesses hitlériennes… « Elle le remercia pour tout ce qu’il lui avait expliqué à la cantine ce jour-là et pour avoir donné une nouvelle orientation à sa vie. « Tu en avais besoin » lui dit-il » (p 218). Dès lors, « Marjorie s’engagea dans le mouvement des droits civiques. Toute sa vie, elle chercha à voir au delà de la race. Et, parmi ses enfants adoptés, deux d’entre eux étaient métis (p 212). « Imaginez un peu. Avec tout ce bagage, tout ce chemin parcouru avec Ken et les enfants. Et puis, elle est à Albany. Il fait froid. Et elle a découvert ce puits de laideur installé en en elle, tel un vers qui s’éveille à la vie ». à la suite d’un fait divers mettant en évidence la persistance des sentiments racistes et d’un discours très digne d’Obama à ce sujet. Elle décida de lui écrire. Elle lui raconta son parcours et l’incident qu’elle avait vécu.

Monsieur le Président. J’espère que d’autres personnes qui auront entendu vos paroles auront davantage conscience de la peur qui se tapit chez beaucoup d’entre nous. Elle est irrationnelle, mais elle est là. J’espère que j’aurais oublié cette course à Albany et le jeune homme rencontré par cette froide journée. Vos franches paroles de la semaine dernière comptent beaucoup pour moi. Merci » (p 215).

La réponse d’Obama vint en ces termes : « Merci pour cette lettre murement réfléchie. Votre histoire illustre ce qui me rend optimiste pour le pays ».

 

Yolanda

Aider les gens en détresse à revenir dans une vie vivable et sociable, tel peut être un objectif bienfaisant de l’action politique. Et il peut en résulter une expression de gratitude. Yolanda fait partie de ceux qui ont lutté pour vivre et savent reconnaître l’aide qu’ils ont reçue .

Yolanda « avait déjà écrit il y a quelques années pour parler au président de sa situation d’ancienne combattante handicapée du fait qu’elle vivait dans sa voiture et qu’elle faisait constamment des cauchemars liés aux traumatismes sexuels subis pendant qu’elle était dans la marine. « Monsieur le président, vous et votre cabinet avez fait une déclaration nationale pour que les états travaillent à mettre fin au problème des sans-abris. Je vous avais fait part de ma prière silencieuse de vouloir devenir un membre productif de notre société, d’être capable de vivre, d’y payer un loyer, bref d’y prendre part » (p 236). Or ce désir a été exaucé. « C’est avec des larmes de reconnaissance que je peux vous dire que j’ai signé aujourd’hui un bail au Veteran’s village pour deux pièces….Aujourd’hui j’ai pleuré des larmes de joie. J’étais si fière de pouvoir leur donner le mandat postal pour le loyer… Tout ça, c’est grâce à vous et à votre administration. Je ne suis pas un numéro. Je ne suis pas une saleté sur laquelle des gens crachent. Je ne suis pas oubliée…. J’ai maintenant un endroit où vivre, un chez moi. Je vais me montrer à la hauteur de ce don gracieux qui m’a été fait. Merci ! » (p 236). Une expression de dignité dans la gratitude et la confiance.

« Barack Obama et les citoyens américains en toutes lettres » (1), ce livre de Jeanne Marie Laskas, nous permet de partager à travers la publication de cette vaste correspondance, des centaines de lettres, une expression constructive et encourageante.

Si Obama rencontre des oppositions, il est en général respecté. Ces lettres manifestent un grand respect . Ainsi s’établit une confiance réciproque . Courage, dignité et confiance se manifestent dans ces récits de vie. Cette lecture n’est pas seulement agréable. Elle communique la bienveillance qui s’y exprime.

J H

 

 

 

L’amour divin en des temps incertains

L’amour divin en des temps incertains

(Divine love in uncertain times)

Chacun éprouve des moments difficiles dans sa vie, des moments où l’inquiétude apparait. Mais ce qui se passe au plan personnel, advient également au plan collectif. Nous ressentons des menaces de tous ordres : écologique, politique, économique, social. Les médias bruissent de catastrophes… Vers quoi allons-nous ? Les temps sont incertains. Sommes-nous seuls et sans recours ? Et Dieu dans tout ça ? est-il bien là ? Nous aime-t-il intimement, constamment, vigoureusement ? Dans une vie chrétienne, les réponses sont là. Mais n’avons-nous pas besoin de nous les rappeler pour en vivre ? Et la vision de l’amour Divin n’est-elle pas à partager comme source de confiance et de paix pour tous les humains ? Dans les méditations quotidiennes (Daily meditations) du Center for action and meditation, Richard Rohr consacre une séquence d’une semaine (3-9 novembre 2024) à « l’amour divin en des temps incertains » (1).

 

Confiance dans l’amour

Nous sentons-nous aimés de Dieu ? Certes, il y a des obstacles à surmonter. Quelle attitude avons-nous envers nous-même ? Sommes-nous bienveillants à notre égard ou, quelque part, en sommes-nous empêchés ? Sommes-nous en disposition de recevoir ? Et puis, sommes-nous en mesure de percevoir une réalité autre que notre propre agitation mentale ou les schémas de pensées aveugles à une ouverture spirituelle ? Notre foi en Dieu, si foi il y a, est-elle vraiment éclairée ? Est-ce une croyance fondée sur l’obéissance et la peur ? Richard Rohr nous répond. « La foi en Dieu, ce n’est pas une foi juste pour croire en des idées spirituelles. C’est avoir confiance en l’amour lui-même. C’est avoir confiance dans la réalité elle-même. En son fond, la réalité est OK. Dieu est en elle. Dieu se révèle en toutes choses, même à travers du triste et du tragique, comme la doctrine révolutionnaire de la Croix le révèle ». Dieu serait-il lointain et indifférent ?

Richard Rohr nous rappelle que nous ne sommes jamais séparés de l’amour de Dieu et il nous montre comment nous pouvons en avoir conscience : nous ne pouvons atteindre la présence de Dieu parce que nous sommes déjà dans la présence de Dieu. « Combien peu nous réalisons que l’amour de Dieu nous maintient en existence à travers chaque respiration que nous prenons. Comme nous prenons une nouvelle respiration, cela signifie que Dieu nous choisit maintenant et maintenant et maintenant »

Mais « pour vivre cela, nous avons besoin de désapprendre certaines choses. Pour devenir conscient de la présence aimante de Dieu dans nos vies, nous devons accepter que la culture humaine soit dans une transe hypnotique collective. Nous sommes des somnambules. Tous les grands maitres religieux ont reconnu que, nous, les êtres humains, ne ‘voyons’ pas naturellement ; il nous faut apprendre comment le faire ; Jésus dit : ‘si ton œil est sain, tout ton corps est éclairé’ (Luc 11.34). La religion est conçue pour nous enseigner à témoigner et être présent à la réalité. C’est pourquoi Bouddha et Jésus nous disent de la même voix : ‘Sois éveillé’. Jésus nous parle de veiller et de rester en observation (Matthieu 25.16, Luc 12.37, Marc 13. 33-37) et Bouddha veut dire : ‘Je suis éveillé’ en sanscrit.

Toutes les disciplines spirituelles ont pour but de nous débarrasser des illusions de manière à ce que nous soyons complètement présents ‘à’. Ces disciplines existent aussi pour que nous puissions voir ce qui est, voir ce que nous sommes et voir ce qui arrive. Ce qui est, est amour, à tel point que même le tragique soit utilisé à des fins de transformation en amour. C’est Dieu qui est amour, nous offrant la réalité de Dieu à chaque moment, comme la réalité de notre vie. Ce que nous sommes est amour parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Ce qui arrive, c’est la vie de Dieu en nous, avec nous et à travers nous, comme notre manifestation unique de Dieu. Et chacun de nous est un peu différent parce que les formes de l’amour sont infinies ».

Cette méditation se traduit dans une prière dont nous reprenons la traduction en français sur internet. Elle nous aide à enter dans la conscience de l’amour de Dieu

« Dieu amoureux de la vie, amoureux de ces vies
Dieu, amoureux de nos âmes, amoureux de nos corps, amoureux de tout ce qui existe
C’est ton amour qui maintient tout en vie
Puissions-nous vivre dans cet amour
Puissions-nous ne jamais douter de cet amour
Puissions-nous savoir que nous sommes amour
Que nous avons été créé avec amour
Que nous sommes un reflet de toi
Que tu t’aimes en nous et que nous sommes donc parfaitement aimables
Puissions-nous ne jamais douter de cette bonté profonde, durable et parfaite
Nous sommes parce que tu es »

Un amour au-delà
Love beyond

La séquence se poursuit par deux contributions mettant l’accent sur le caractère révolutionnaire de la mise en œuvre de l’amour de Dieu, une contribution de Martin Luther King rapportant l’amour pardonnant de Jésus sur la croix et une contribution de Brian McLaren nous invitant à pratiquer un amour révolutionnaire.

Martin Luther King considère la puissance de l’amour en celui que Jésus a manifesté à sa mort.

« Peu de mots dans le Nouveau Testament expriment plus clairement et plus solennellement la magnanimité de l’esprit de Jésus que sa sublime expression de la croix : ‘Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’ (Luc 23.34). Voici l’amour au maximum. » il y a là une prise de position exemplaire par rapport au cours violent de l’histoire où se manifeste la loi du talion et le désir de revanche. « En dépit du fait que la loi de la revanche ne résout aucun problème social, les gens continuent à suivre cette voie désastreuse. De la croix Jésus affirme éloquemment une loi plus élevée. Il sait que la vieille philosophie du ‘œil-pour-œil’ laisserait chacun aveugle. Il ne cherche pas à surmonter le mal par le mal. Il a surmonté le mal par le bien. Bien que crucifié par la haine, il a répondu avec la force de l’amour ».

Brian McLaren nous invite à pratiquer un amour révolutionnaire. « Un amour révolutionnaire veut dire aimer come Jésus aimerait ; infiniment, gracieusement, avec extravagance. Pour le dire en des termes plus mystiques, cela veut dire aimer avec Dieu, laissant son amour divin me remplir et couler à travers moi, sans discrimination, ni limite, comme une expression du cœur de l’amoureux, non le mérite de l’aimé, incluant la correction de ses croyances. Dans le sermon sur la montagne, Jésus n’enseigne pas une liste de croyances à être mémorisées et récitées. A la place, il enseigne un genre de vie qui culmine dans un appel à un amour révolutionnaire. Cet amour va plus loin au-delà d’un amour conventionnel qui distingue entre nous et eux, frère et autre, ou ami et ennemi (Matthieu 5.43). A la place, nous avons besoin d’aimer comme Dieu aime avec un amour non-discriminatoire qui inclut même l’ennemi ». Brian Mclaren nous appelle en conséquence à ne pas nous distinguer par des étiquettes religieuses. « Sommes-nous un croyant qui met sa croyance distincte d’abord ou sommes-nous une personne de foi qui met l’amour d’abord ? ».

 

Faire confiance dans la paix du Christ
Trusting in Christ’s peace

Faire confiance dans la paix du Christ, voilà bien une attitude à laquelle, chacun, nous aspirons. Barbara Harris, évêque épiscopalienne nous invite à cette confiance à partir d’un texte évangélique bien connu : « Jésus se réveilla, menaça le vent et dit à la mer ‘Silence ! tais-toi !’. Le vent cessa et il y eut un calma plat. Jésus dit à ses disciples ‘Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ?’ (Marc 4.39-40) ». Dans la confusion actuelle, n’avons-nous pas besoin de bonne nouvelle ? En voici une, nous dit-elle. Et elle évoque les disciples paniqués, comme nous pouvons l’être. « Ce qu’ils ne comprenaient pas, et ce que beaucoup ne comprennent pas aujourd’hui, c’est que même si nous pouvons paniquer en période de stress, Dieu ne partage pas notre panique » et les conséquences de la panique sont elles-mêmes désastreuses. « Si le Christ est au centre de notre vie, nous n’avons pas à nous précipiter dans des actions irrationnelles ». « Non seulement le Christ est sur le navire, mais le Christ est aux commandes – même quand il semble endormi ». « Celui qui veille sur Israël ne sommeille, ni ne dort » (Psaume 121.3). Et quel réconfort de penser ainsi : « Son œil est sur le passereau et je sais qu’il me regarde » (Matthieu 10.20). « Jésus nous entend quand nous appelons, mais il refuse de se précipiter quand nous appuyons sur le bouton de panique ». Nous tendons alors « à voir seulement ce que nous pouvons voir, compter, toucher et sentir, nous oublions que de telles choses s’en vont. Nous avons besoin d’entendre les mots du vieux cantique qui nous invitent « à mettre nos espoirs dans les choses éternelles et nous tenir à la main constante de Dieu ».

 

Amour de Dieu, prière et politique
Richard Rohr associe action et contemplation

« Nous avons fondé le Centre pour l’action et la contemplation en 1987 pour être un lieu d’intégration entre l’action et la contemplation. J’envisageais un lieu où nous pourrions apprendre à prier aux activistes du mouvement social – et encourager les gens qui prient à vivre des vies de solidarité et de justice ».

La prière contemplative ouvre une autre dimension. « La prière contemplative nous permet de bâtir notre propre maison. Prier, c’est découvrir que Quelqu’un d’autre est à l’intérieur de notre maison, cependant, poursuivre la prière, c’est ne pas avoir une maison à protéger parce qu’il y a seulement Une maison. Et cette maison unique est la maison de chacun. En d’autres mots, ceux qui prient du cœur, vivent en fait dans un monde très différent. J’aime dire que c’est un monde imprégné par le Christ, un monde dans lequel la matière est vivifiée par l’Esprit et l’Esprit est incarné dans ce monde. Dans ce monde, chaque chose est sacrée et le mot ‘Réel’ prend un sens nouveau… Nous serons un genre très différent de citoyens et l’état ne pourra pas compter aussi facilement sur notre allégeance. C’est la politique de la prière. Et c’est probablement pourquoi les gens vraiment spirituels sont toujours une menace pour les politiciens de tous genres. Ils veulent notre allégeance et nous ne pouvons plus la leur donner. La maison est trop grande ».

Face aux grands défis actuels, un engagement social et politique est nécessaire, Ricard Rohr nous invite à nous mouvoir vers des vies de ‘sainteté politique’ (political holiness). Il nous communique sa vision. « Voici ma théologie et ma politique : il m’apparait que Dieu aime la vie. La création ne cesse pas. Nous aimerons, créerons et entretiendrons la vie. Il m’apparait que Dieu est amour – un amour patient et persévérant.

Nous chercherons et ferons confiance à l’amour dans toutes ses formes humanisantes (et donc divinisantes) ; Il m’apparait que Dieu aime la diversité dans ses multiples traits, visages et formes ; Nous n‘aurons pas peur de l’autre, du pas-moi, de l’étranger à la porte. Il m’apparait que Dieu aime – est – la beauté. Regardons à ce monde. Ceux qui prient savent déjà cela. Leur passion sera pour la beauté ».

« Prier, c’est se mettre en position d’une confiance radicale en la grâce de Dieu, et de participer à peut-être ce qui est le mouvement le plus radical de tous : le mouvement de l’amour de Dieu ».

La séquence se poursuit par un accent sur l’engagement. La dernière livraison nous appelle à accepter l’imperfection chez les autres et de reconnaitre notre propre imperfection. Cette acceptation ne va pas de soi. Mais « l’amour divin inclut l’imperfection, ce qui en est une caractéristique. Sans la grâce de Dieu, nous ne pouvons pas le faire ». Là aussi, nous avons besoin de reconnaitre « la vie et la grâce de Dieu qui coule à travers nous ».

Rapporté par J H
(Traduction non professionnelle)

 

  1. https://cac.org/daily-meditations/divine-love-in-uncertain-times-weekly-summary/