par jean | Fév 15, 2012 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Le microcrédit à la portée de tous : Babyloan
Aujourd’hui en Europe, nous sommes entré dans un temps de crise économique et financière qui affecte les conditions d’existence de beaucoup de gens et suscite en conséquence des craintes et des agressivités. Le monde change. Des économies émergentes apparaissent et modifient le paysage international. Cependant, si la pauvreté qui régnait autrefois dans la majorité des pays du monde a régressé, elle est toujours là et pèse encore sur une multitude d’existences. La lutte pour une vie meilleure continue et un grand nombre d’organisations non gouvernementales sont mobilisées à cette fin. Cependant on perçoit de plus en plus l’implication des « pauvres » eux-mêmes dans les efforts engagés pour améliorer leurs conditions de vie. Une des formes de cet engagement est la multiplication des initiatives soutenues par le microcrédit. Tout récemment, un « appel de Paris pour une microfinance responsable » témoigne du caractère international de ce mouvement dont l’initiateur, Mohammad Yunus a reçu en 2006 le prix Nobel de la paix.
Aujourd’hui, grâce à internet, nous sommes tous concernés. Notre « prochain » n’est plus seulement celui qui vit dans notre environnement immédiat. À travers le web, nous rejoignons les hommes et les femmes de la terre entière. Connaissez-vous le site : « Sept milliards d’autres » ? http://www.6milliardsdautres.org/index.php
C’est un site particulièrement impressionnant, car, à travers 6 000 portraits vidéos, nous y rencontrons l’humanité dans toute sa diversité, du pêcheur brésilien à l’avocate australienne, de l’artiste allemand à l’agriculteur afghan, et pouvons y entendre les préoccupations, les aspirations, les questionnements des êtres humains en réponses à des questions simples comme : « Qu’avez vous appris de vos parents ? Que souhaitez-vous transmettre à vos enfants ? Quelles épreuves avez-vous traversé ? Que représente pour vous l’amour ?… ».
Aujourd’hui, on le sait, l’attention à l’autre peut s’exercer de bien des manières. C’est le cas dans les sites qui nous permettent de connaître les conditions d’existence et les besoins de beaucoup de gens qui font appel au microcrédit et à qui on peut apporter ainsi « un coup de main ». Comment ne pas nous rendre compte que, dans nos sociétés occidentales, nous sommes, malgré tout, relativement privilégiés et ne pas participer à un moyen très simple et accessible à tous : « Parce que notre prêt solidaire permet à un micro entrepreneur de développer ses activités, prêtez ! ».
J’ai découvert les sites de microcrédit : Babyloan et Microworld http://www.microworld.org/fr (1) en écoutant la radio, en l’occurrence BFM, et c’est vraiment une satisfaction de participer à cette activité.
Quelques mots sur le site : Babyloan qui met l’accent dans son fonctionnement sur la convivialité : http://www.babyloan.org/fr/
Toute une équipe est à l’œuvre. Fondateur et président de Babyloan, Arnaud Poissonnier, témoigne d’un itinéraire qui caractérise bien ce mouvement. De banquier de gestion de fortune, il est devenu le responsable d’une « entreprise sociale ». Babyloan n’est pas une association, mais une des premières entreprises sociales françaises, créée en février 2008. L’entreprise sociale a une caractéristique commune avec les autres entreprises : elle doit atteindre l’équilibre économique. Mais elle s’en distingue en se consacrant à la résolution d’un problème, par exemple l’amélioration du sort de plus démunis, et ne cherchant pas le profit pour ses actionnaires.
Entrons donc dans le site deBabyloan. Nous y découvrons une grande diversité de projets qui font appel au microcrédit. Ces projets sont présentés dans le contexte humain de ceux qui font appel à nous : leur existence familiale, leurs conditions de vie, leurs motivations. On entre ainsi en contact virtuel avec des personnes et on peut devenir leur « prochain », celui qui va à la rencontre de l’autre dans un mouvement de sympathie.
Et ensuite le processus est très simple : « Je choisis un projet. Je fais un prêt solidaire à partir de 20 euros qui participe au financement du microcrédit de l’entrepreneur choisi. Celui-ci développe son activité et me rembourse sans intérêt »… C’est un acte de solidarité : « En proposant de prêter et non de donner, Babyloan représente une nouvelle forme de solidarité respectueuse de la dignité du bénéficiaire et qui rompt avec la logique le l’assistanat ».
Babyloan est devenu leader européen dans ce secteur. Aujourd’hui, plus de 13 000 personnes participent à son activité : « En 2011, vous avez prêté 1 500 000 euros à plus de 3 500 projets. Vous avez soutenu ainsi 20 000 personnes ».
Et voici, comme exemples, quelques projets auxquels nous nous intéressons :
« Les uniformes de Carmen » à Lima. Pérou
Sanchez Carmen, âgée de 62 ans, mère de 6 enfants, passionnée de couture, fait appel au microcrédit pour développer un atelier de confection qui fabrique des uniformes et des tenues de sport pour plusieurs écoles.
http://www.babyloan.org/fr/projects/carmen-sanchez-erazo-de-espinoza/les-uniformes-de-carmen/6107
« Les agrumes d’Amani ». Gaza
Amani, 31 ans, mère de 5 enfants, cultive une parcelle de terre et vend ses oranges pour gagner sa vie ; elle fait appel au microcrédit pour louer une autre terre et y installer une serre pour cultiver des légumes. http://www.babyloan.org/fr/projects/amani-hamduna/les-agrumes-damani/8558
« Les canards d’Essi ». Togo
Essi, agée de 53 ans, mère de 3 enfants, participe à un petit groupe de quatre femmes solidaires. Elle fait appel au microcrédit pour développer un élevage de canards ;
http://www.babyloan.org/fr/projects/essi-novissi-kitikpo/groupe-les-canards-dessi/8385
« Têtê. Elevage de poules ». Togo
Marié et père de 2 enfants, 30 ans, Tété élève des poules pondeuses et vend les œufs. Il sollicite un prêt pour acheter 300 poussins et de la nourriture pour ses poules. http://www.babyloan.org/fr/projects/tete-mensah/tete-elevage-de-poules/8207
« Les cacaoyers et le maïs d’Agustina ». Equateur
Agustina, 72 ans, travaille avec passion dans ses plantations de cacaoyers et de maïs. Elle vit avec son époux dans une modeste maison. Elle fait appel au microcrédit pour un achat d’engrais et de graines. http://www.babyloan.org/fr/projects/agustina-de-la-cruz-mora-mendoza-/les-cacaoyers-et-le-mais-dagustina/8528
La solidarité dans la convivialité ! Participer ainsi au microcrédit, c’est un bonheur !
JH
(1) Microworld , autre site de microcrédit, est un projet du groupe Planet Finance, organisation de grande envergure dont la compétence et l’efficacité sont signifiées notamment par la personnalité de son président Jacques Attali.
par jean | Août 2, 2019 | ARTICLES, Société et culture en mouvement |
Une inspiration motrice pour l’avènement d’une société post- capitaliste.
Un processus en développement selon Jean Staune
Avec le changement des modes de communication suscités par le développement d’internet, nous entrons dans une mutation de la société et de l’économie. Les conséquences se manifestent dans tous les domaines. Ainsi, à travers internet, les intelligences humaines sont en situation de pouvoir converger. Au début de ce nouveau siècle, dans son livre : « World philosophie » (1), Pierre Lévy voit là le départ d’une intelligence collective. Quelques années plus tard, en 2004, aux Etats-Unis, paraît un livre de James Surowieki : « The wisdom of crowds » (2), traduit par la suite sous le titre : «La sagesse des foules » (3). Si les foules peuvent s’égarer, il y a aussi une avancée possible dans une prise en compte avisée du collectif. Bien gérée, une expression d’avis multiples peut se révéler beaucoup plus pertinente dans l’observation et la prévision que des expertises isolées. Un groupe d’individus multiples, variés est en mesure de prendre de meilleures décisions et de faire de meilleures prédictions que des individus isolés et même des experts. Certaines conditions doivent être réunies comme la diversité des participants, l’indépendance dans leur expression et un mode efficient d’agrégation des opinions.
La recherche sur l’intelligence collective se poursuit, notamment au MIT (Massachusetts Institute of technology) et elle a mis en évidence des résultats spectaculaires. Dans un livre récent, Emile Servan-Schreiber nous montre « la nouvelle puissance de nos intelligences » en terme marqué : « Supercollectif » (4). Il y a bien « Une force de l’intelligence collective » (5). Et nous en découvrons aujourd’hui toute l’originalité.
Ainsi, « l’intelligence d’un groupe n’est pas d’abord déterminé par le degré d’intelligence de ses membres, mais par la sensibilité aux autres (communication non verbale) et par l’équité du temps de parole qui tient un rôle capital. Les femmes enregistrent dans ce domaine, un score supérieur aux hommes. C’est dans les groupes où le nombre de femmes est le plus représenté que les scores sont les meilleurs » (6). Il y a là une leçon plus générale puisqu’elle met en valeur l’importance de la qualité des relations.
Emile Servan-Scheiber rappelle les fondamentaux du processus de l’intelligence collective. « Il y faut beaucoup de diversité ». Les biais individuels de chacun vont s’annuler à travers la confrontation en permettant ainsi au meilleur d’émerger. « Il faut beaucoup d’indépendance d’esprit ». « Il faut récolter beaucoup d’information. Il faut agréger tout cela de façon objective… ». L’intelligence collective peut ainsi amener des transformations importantes. Ainsi, « il est établi que les entreprises les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus d’employés dans l’effort d’idéation pour trouver de nouvelles idées ».
Dans son nouveau livre : « L’intelligence collective, clé du monde de demain » (7), Jean Staune rapporte comment, dans une approche d’intelligence collective, de nouvelles entreprises sont en train d’apparaître et de grandir, prémices d’une économie et d’une société post-capitaliste. Jean Staune est un pionnier et un découvreur (8). A travers la création de l’Université interdisciplinaire de Paris et la publication de plusieurs livres, il a ouvert une relation féconde entre sciences, religions et spiritualités. Mais enseignant et expert dans le domaine du management, et aussi penseur interdisciplinaire, il développe également une pensée prospective dans le champ de la vie économique et sociale. Ainsi, en 2015, son livre : « les clés du futur » (9) nous a permis d’entrer dans la compréhension de la mutation de la vie économique et sociale. Ce nouveau livre sur la mise en œuvre de l’intelligence collective dans des entreprises innovantes, se focalise dans un champ plus précis, le terrain où une nouvelle approche économique est en train de voir le jour et d’induire l’apparition d’une économie « post-capitaliste ». Au travers d’un livre de Jacques Lecomte (10), nous savions déjà comment des entreprises humanistes et conviviales se développent aujourd’hui et témoignent d’un état d’esprit nouveau. Ce livre de Jean Staune nous montre également qu’une nouvelle économie est en train de naître à travers des entreprises innovantes.
« Libérées », « conscientes », « apprenantes », inclusives », « hybrides », de nouvelles entreprises voient le jour, qui permettent de se réaliser en favorisant la créativité et en développant l’intelligence collective. Elles tiennent compte de toutes les parties prenantes concernées par leurs activités, et non des seuls actionnaires, et créent une triple valeur ajoutée : humaine, économique et environnementale… Une autre forme de capitalisme, d’organisation du travail, d’économie de marché est donc plausible » (couverture).
Face à un monde incertain, un monde « VUCA »
Jean Staune évoque d’abord le contexte dans lequel ces entreprises apparaissent. C’est une société en pleine mutation qui se caractérise par une complexité croissante. Grâce à sa culture scientifique, Jean Staune nous apporte des connaissances qui nous permettent d’analyser les situations auxquelles les entreprises et nous-mêmes, sommes aujourd’hui confrontés, ce qui, face à une complexité croissante, requiert d’autant plus une intelligence collective.
Jean Staune nous parle ainsi d’un « monde VUCA » (p 62) . « VUCA est un acronyme pour volatility (« volatilité »), uncertain (« incertitude »), complexity (« complexité ») et ambiguity (« ambiguité »). Ce terme rend compte d’un ensemble de caractéristiques du monde d’aujourd’hui qui peuvent être envisagés à partir de concepts appartenant à la nouvelle vision scientifique, celle qui s’est substituée à une approche déterministe, envisageant l’univers « comme une grande mécanique réglée par des lois immuables où n’existait aucun espace de liberté » (p 49).
° « Volatilité : notre monde est beaucoup plus sensible que le monde d’hier aux effets papillon, aux disruptions, aux ruptures brutales que constituent les bifurcations.
° Incertitude : la physique quantique nous montre qu’il existe une incertitude irrémédiable à la base de notre compréhension du réel. Le théorème de Gödel introduit une forme d’incertitude dans la logique mathématique en montrant son incomplétude. Cela nous permet de mieux comprendre et percevoir l’incertitude du monde que si nous avions gardé nos « lunettes » classiques.
° Complexité : nous avons montré comment la complexité du monde s’était fortement accrue, comment se multiplient autour de nous les boucles de rétroaction et les phénomènes d’auto-organisation qui rendent certains processus de décision purement et simplement impossibles à décrire.
° Ambiguïté : la physique quantique nous montre que quelque chose peut occuper deux états contradictoires en même temps. Elle met fin aux catégories classiques où les états de chose étaient bien séparés… Cette ambiguïté est partout… » (p 62-63).
« La complexité du monde actuel accroit l’incertitude. Nous participons à une mutation mondiale au moins équivalente à celle du passage du monde agraire au monde industriel, mais qui se déroule sur un rythme beaucoup plus rapide. Bien entendu, cette situation ne peut manquer d’engendrer de la crainte et du stress… Mais il faut bien comprendre qu’il n’y a jamais eu autant d’opportunités dans l’histoire humaine, car les bifurcations et les effets papillon peuvent se produire à la hausse comme à la baisse… » (p 64).
L’entreprise, un levier pour la transformation du système économique.
Si l’économie capitaliste a remporté un certain nombre de succès, on en perçoit aujourd’hui les limites et les travers. Dans la mutation actuelle, des dangers redoutables apparaissent tant sur le plan social que sur le plan écologique. « Une véritable refonte du système économique » est indispensable. Ne peut-elle pas advenir à partir même d’une transformation des unités qui assurent la production, des entreprises ? Jean Staune prône la mise en place d’une nouvelle forme de capitalisme « qui intègre l’intérêt de toutes les parties prenantes (stakeholders) et non seulement l’intérêt des actionnaires, des salariés, des clients et des fournisseurs de la firme » (p 27). « Hier, l’entreprise devait faire des profits pour ses actionnaires tout en fabricant de bons produits pour satisfaire ses clients. Demain, on ne demandera pas seulement à l’entreprise de respecter l’intérêt des différents parties prenantes concernées par son activité et de respecter l’environnement, mais aussi d’avoir une contribution sociale positive » (p 27).
« Ces exigences sont fortes, mais face à la pression du changement, c’est l’entreprise qui est la plus capable de réagir » (p 27). Aujourd’hui, l’horizon s’étend. C’est bien le cas à travers la Révolution numérique qui relie des centaines de millions, aujourd’hui des milliards d’internautes. Aujourd’hui, 3,5 milliards de requêtes sont adressées quotidiennement au navigateur Google. 4 milliards de vidéos sont consultées chaque jour sur You Tube » (p 16). Ainsi, les barrières s’abaissent, les cloisonnements s’effacent. On prend conscience de la globalité. C’est bien en ce sens qu’apparaît l’intelligence collective. Et, dans le même mouvement, les systèmes pyramidaux s’effondrent. « Il faut donc mettre en place la subsidiarité, c’est à dire permettre aux salariés à tous les niveaux hiérarchiques de prendre eux-mêmes des décisions sur un certain nombre de questions les concernant directement. Le rôle du dirigeant devient celui d’un chef d’orchestre » (p 30). « L’entreprise de demain se doit de développer son intelligence collective en interne pour augmenter son agilité, sa réactivité, son adaptabilité à un monde de plus en plus mouvant tout en développant en externe un véritable écosystème, qui, par son existence même, soutiendra le développement harmonieux de l’entreprise et assurera la fidélité, voire, osons le mot, l’amour de tous les acteurs du système envers elle » (p 20). Dans cet ouvrage, Jean Staune se focalise donc sur un domaine précis : « celui de la réforme de l’économie de marché et du capitalisme grâce à l’action et au développement d’un nouveau type d’entreprise » (p 34). Et, pour cela, il nous montre que des démarches crédibles existent déjà partout autour de nous et qu’elles peuvent apporter des résultats parfois extraordinaires ».
Les pionniers d’une nouvelle économie
Tout au long de son livre, Jean Staune égraine des portraits d’entrepreneur qui ont inventé de nouvelles manières de faire entreprise. En vendant des glaces, l’entreprise Ben and Jerry’s innove dans les approvisionnements et les relations humaines. « Ben and Jerry’s a ainsi posé les bases concrètes de la fameuse « théorie des parties prenantes » selon laquelle l’entreprise doit prendre en compte son impact global sur la société et essayer de le positiver au maximum pour toutes les parties prenantes et pas seulement ses clients, ses salariés, ses actionnaires » (p 69). De même, un militant écologiste, John MacKay, en créant les magasins bio : « Whole Foods Market » va aider l’agriculture biologique à se développer, et, contrairement à la gestion décentralisée généralement adoptée, il donne à ses équipes une grande autonomie tant pour les achats que pour les ventes (p 69-71).
On peut développer un capitalisme qui cherche autre chose que le profit. Jean Staune cite l’exemple du commerce équitable. Il met en évidence l’approche de Mohammed Yunus, prix Nobel de la paix, promoteur du microcrédit pour les pauvres et aussi du « social business ». En France, voici la manière dont Bertrand Martin redresse l’entreprise Sulzer Diésel France en permettant au personnel d’entrer dans une approche commune de réflexion et de proposition. La mise en œuvre de cette intelligence collective a non seulement sauvé l’entreprise, mais lui a donné une grande impulsion (p 78-80). Dans une autre entreprise, une fonderie du nom de Favi, le nouveau directeur, François Zabrist, a libéré les travailleurs d’une tutelle tatillonne. « Le coût du contrôle est supérieur au coût du non contrôle » Il a donné aux équipe une autonomie leur permettant de répondre rapidement aux besoins des clients dans un secteur, celui de la sous-traitance automobile où le « juste à temps » est une exigence des constructeurs (p 81-84).
Dans toutes ces entreprises, il y a un esprit commun que Jean Staune rapporte en ces termes : « Ainsi se dessine le profil de l’entreprise capable d’être anti-fragile et de surfer sur la complexité. Une telle entreprise tient compte de toutes les parties prenantes impactées par son activité. Elle développe à tous les niveaux l’intelligence collective et la subsidiarité. Elle met en place des logiques d’économie circulaire, d’économie de la fonctionnalité, d’écologie positive. Elle ne se contente pas de polluer moins, mais veut restaurer son environnement tout en fonctionnant. Elle est toujours en mouvement, capable d’être là où personne ne l’attend, capable de se réinventer » (p 209).
Une transformation qui se répand jusque dans une grande entreprise traditionnelle : l’Office Chérifien des Phosphates
Ainsi, on peut entrevoir une transformation en train de s’opérer dans certaines entreprises. C’est un changement d’état d’esprit et ce changement commence à se répandre. Il gagne parfois des lieux où l’on ne l’y attendrait pas. Et c’est ainsi que Jean Staune nous fait connaître le changement en train de se réaliser dans une grande entreprise d’état marocaine : l’Office chérifien des phosphates.
Le phosphate est un des composants les plus importants des engrais. C’est donc une ressource majeure et le Maroc possède les plus grandes ressources mondiales prouvées de phosphates.
C’est dire la place considérable que l’Office Chérifien des phosphates a pris dans la vie du Maroc. Or, l’Office Chérifien des Phosphates était une structure hiérarchique, « une organisation quasi militaire » (p 115). « L’entreprise souffrait d’un double manque de communication, à la fois transversale et verticale… Focalisée sur les ventes et non sur les marges, l’entreprise était en bien mauvaise situation financière » (p116-117). C’est alors, en 2006, qu’un entrepreneur novateur, Mostafa Terrab est arrivé et a engagé un processus de transformation globale de l’entreprise. Dans ce livre, Jean Staune consacre plus de cent pages à une étude de cas de cette innovation.
Qu’est-ce qui rend ce cas si intéressant ? Tout d’abord, l’ampleur de la transition qui se déroule au sein de cette entreprise. Il y a seulement une dizaine d’années, son organisation et son management en étaient à un stade pré-moderne, et elle a du effectuer une transition (qui est toujours en cours) vers le monde moderne, tout en se lançant d’une façon particulièrement intense dans une transition vers le monde post-moderne… Ensuite, parce que cette entreprise, qui est le premier exportateur du Maroc, joue un rôle social important. Mais la façon dont s’effectue cette redistribution est en train de changer radicalement. Selon la fameuse formule, elle évolue de « donner du poisson à quelqu’un » à « lui apprendre à pécher ». Enfin, ces deux grandes branches d’activité : l’extraction des minerais d’un côté, la production industrielle d’engrais de l’autre, ont un impact très important sur l’environnement. Or l’entreprise vise désormais, malgré le caractère chimique d’une grande partie de ses activités, à être exemplaire dans ce domaine. Ainsi, l’entreprise « coche toutes les cases » que nous avons mentionnées comme étant les caractéristiques de l’entreprise de demain : prendre en compte toutes les parties prenantes, libérer l’intelligence collective, développer le « bonheur au travail » en interne, intégrer les questions environnementales et l’économie circulaire » (p 112)
Jean Staune va donc nous raconter les multiples facettes de cette transformation, les innovations qui s’y succèdent, la libération de l’intelligence collective à travers un nouvel espace où les énergies peuvent se déployer : « le Mouvement » apparu en 2016 (p 121). Les intentions : « être de plus en plus une entreprise apprenante (ou plus exactement une entreprise d’apprenants), être une entreprise digitale, enfin être une entreprise mondiale. Les deux premières intentions poussent clairement à une très forte transformation culturelle de l’entreprise ». L’entité de base du mouvement s’appelle « la Situation ». « La Situation est un groupe d’étude et de proposition qui se saisit lui-même d’un sujet pour faire une proposition concrète, et ce, dans n’importe quel domaine qui concerne l’entreprise » (p 122-123). Les groupes élaborent des propositions –
A travers cette étude de cas, qui occupe une place majeure dans ce livre, Jean Staune nous entraine dans la compréhension d’un processus riche en inventions, en transformations. Pour notre compréhension, il y ajoute des outils d’analyse. Ainsi, il nous apprend à voir dans cette grosse entreprise, l’existence de différents niveaux de réalité qui se côtoient :
« ° Le niveau de l’entreprise pré-moderne et bureaucratique
° Le niveau de l’entreprise moderne et la recherche de l’information, du big data et du contrôle en temps réel
° L’entreprise post-moderne basée sur la créativité : le Mouvement, l’autre organisation…
° L’université qui se situe dans une dimension totalement différente de l’entreprise, tout en interagissant en permanence avec elle, comme les différents niveaux de la réalité (par exemple : quantique, mécanique et virtuel) interagissent entre eux
° Les fondations et associations comme l’école 1337 ou encore un Think Tank comme le « Policy Center » (p 208-209)
Le potentiel de l’intelligence collective
Face aux enjeux des mutations économiques, politiques et sociales en cours, Jean Staune met en valeur le potentiel de l’intelligence collective. Il intervient ici dans une conjoncture marquée par l’actualité, notamment par les revendications des gilets jaunes concernant le référendum d’initiative citoyenne et le débat entre philosophes sur l’évolution de la société. Toute conjoncture comporte des aspects immédiats et passagers qui peuvent susciter des humeurs.
Nous nous bornerons ici à mettre en valeur les grandes orientations qui se dégagent de ce livre.
En abordant la question de l’intelligence collective, Jean Staune en rappelle les conditions permettant d’éviter les dérives possibles à partir d’un livre de Patrick Scharnitzky : « Comment rendre le collectif (vraiment) intelligent » (p 237). On peut y ajouter que le bon fonctionnement de l’intelligence collective dans certaines entreprises est lié au climat qui règne dans celles-ci. Alors que dans un contexte social plus global, les passions sont beaucoup plus vives et dérégulantes. Des dispositions particulières sont nécessaires.
Dans ce chapitre, Jean Staune présente trois études de cas d’entreprises françaises où les performances en matière d’intelligence collective sont remarquables : le groupe Innov on et la société Chronoflex dirigés par Alexandre Gérard, Clinitex dirigé par Thierry Pick, et la Camif dirigé par Emery Jacquillat (p 242-267).
La société Chronoflex intervient dans un marché de niche : la réparation de flexibles hydrauliques sur des chantiers. En 2009, à la suite de la crise, l’entreprise se retrouve dans une situation difficile. Son directeur, Alexandre Gérard, s’interroge, entend parler des entreprises libérées, et s’engage dans un processus de consultation qui débouche sur une réorganisation de l’entreprise : autonomie des équipes, conception nouvelle des responsables vers une approche d’animation, multiplication et diversification des responsables, processus de décision collective dans la conduite de l’entreprise et la définition des stratégies. Un tel changement passe aussi par une transformation du dirigeant de l’entreprise : Alexandre Gérard (11)
A Clinitex, Thierry Pick a développé son entreprise en se fondant à la fois sur une relation de proximité avec le client et un grand respect pour la personne humaine. Les collaborateurs participent à une procédure d’autoévaluation partagée et interviennent dans le recrutement. Les agences ont une grande autonomie. La rémunération n’est pas basée sur les résultats, mais sur la responsabilité. L’écart maximum de salaire est de 1 à 12 entre le « balayeur de base » et le dirigeant. Clinitex démontre qu’on peut être une entreprise à taille humaine avec plusieurs milliers de personnes.
En 2009, Emery Jacquillat « s’est lancé dans un pari énorme : reprendre la CAMIF, l’ancienne centrale d’achat de la mutuelle des instituteurs qui venait de faire une faillite retentissante ». « Il s’agissait d’une grosse structure bureaucratique à l’ancienne . Emery Jacquillat n’avait aucune légitimité particulière à agir dans ce milieu. Il savait qu’il ne pouvait réussir sans l’existence d’un microsystème autour de l’entreprise. Il met en place un blog pour expliquer qui était la nouvelle équipe et surtout demander : « Qu’est-ce que les clients et le fournisseurs veulent que soit cette entreprise ? » C’est comme ça qu’a émergé, à une époque où elle était encore beaucoup moins à la une des médias, l’idée du « made in France ». Aujourd’hui, 73% du chiffre d’affaires provient des produits fabriqués en France, un chiffre absolument unique dans un secteur comme celui de l’ameublement, de la literie et des fournitures de maison » (p 259-266). Pour réussir, la CAMIF a mis en place graduellement toute une série de mécanismes pour co-construire ses produits. A tous les niveaux, on cherche à « créer du lien entre les hommes » Les collaborateurs comme les clients sont engagés dans une démarche participative. Et, par exemple en 2015, l’entreprise a décidé que le budget 2016 serait établi par un groupe de salariés bénévoles. L’exercice a réussi et suscité une grande motivation.
L’intelligence collective n’est pas un rêve. Ce n’est pas une idéologie. « Les extraordinaires aventures économiques et humaines que représentent Innov on, Clinitex, La CAMIF, les propos d’Alexandre Gérard, de Thierry Pick et Emery Jacquillat nous fournissent les réponses principales aux critiques des démarches d’entreprises libérées et d’intelligence collective. L’intelligence collective, ça marche ».
Vers une société nouvelle
Ce livre nous montre comment le système économique peut changer de l’intérieur. Il y a une évolution des mentalités. L’angle de la vision s’élargit. Les barrières s’affaissent. De plus en plus, on pense globalement. Des lors, peuvent apparaitre des entreprises « inclusives ». Ces entreprises ouvrent la voie à une société post-capitaliste. Si les expérimentations sont encore peu nombreuses, elles sont concluantes et participent à un mouvement qui s’amplifie.
Alors, dans un monde inquiet, menacé par le dérèglement climatique, traversé par des crispations et des tumultes politiques, Jean Staune nous ouvre une piste : l’émergence d’une intelligence collective dans une société participative.
A l’heure ou certains envisagent l’effondrement de nos sociétés, Jean Staune trace une voie. « Pourquoi je ne suis pas collapsologue ? Ce n’est pas par un optimisme béat. Tout ce que nous avons vu au cours de ce livre soutient avec force cette affirmation. Oui, il y a une énergie incroyable au fond de nous, l’énergie de l’intelligence collective qui a été, pour l’instant, si peu employée dans l’histoire humaine que nous pouvons justement être certain qu’elle recèle un potentiel incroyable… Tous les exemples que nous avons développés dans ce livre le montrent : il est possible d’effectuer des progrès inimaginables aux yeux des experts quand de simples personnes sans formation, mais avec une bonne connaissance de terrain, mettent leur intelligence en commun » (p 298).
Dans une nouvelle étape, on peut envisager que les réseaux sociaux démultiplient l’exercice de cette intelligence collective. « Les réseaux permettent de créer des outils fondamentaux pour le monde de demain, comme le montre déjà l’exemple de Wikipedia… Comme le dit Vincent Lenhardt, grâce à nos réseaux sociaux, cette capacité d’intelligence collective est en train de réaliser « un véritable saut quantique ». Cette « Noosphère » envisagée par Teilhard de Chardin, cette « éruption » d’intelligence et de créativité, rendue possible par la connexion de tous les esprits de la planète, est aujourd’hui « à la portée de la main » (p 399). Oui, dans les remous actuels, Jean Staune sait voir ce qui est en train de se construire. « Face à toute cette montée du populisme, de toutes ces démonstrations de bêtise collective, à ces rumeurs qui se répandent », il voit « ces fragiles petites flammes qui s’élèvent ici et là et qui sont constituées de toutes les expériences que nous avons décrites ici » (p 301). C’est un commencement.
Emergence
Au fil de son œuvre intellectuelle et militante, Jean Staune nous apparaît comme un pionnier, un défricheur, un visionnaire. Dans son livre précédent : « les clés du futur (9), il réalisait une grande synthèse à partir de laquelle il mettait en évidence une voie de transformation économique et sociale. Ce nouveau livre sur l’intelligence collective a été écrit plus rapidement dans une période où l’actualité était agitée par les manifestations des gilets jaunes. L’auteur commente cette actualité. Il prend part au débat. On peut ne pas le suivre dans telle ou telle opinion. Mais, toujours, on se réjouit de voir qu’il apporte un fil conducteur pour voir plus grand, plus loin.
L’intelligence collective, c’est aussi une voie nouvelle à explorer dans le domaine politique. Et, justement, nous venons d’apprendre qu’une grande innovation est en train de se mettre en place aujourd’hui en ce domaine : la création d’une « assemblée citoyenne pour le climat » fondée sur une mise en œuvre d’intelligence collective (12). C’est un évènement majeur. Cependant, nous avons centré notre analyse de ce livre sur la transformation du système économique.
Au terme de son livre, Jean Staune évoque Teilhard de Chardin dans sa vision annonciatrice de la « noosphère ». Comment ne pas y associer aujourd’hui la pensée théologique de Jürgen Moltmann dans sa vision d’un Esprit créateur partout à l’œuvre (13). C’est un éclairage qui nous parait en phase avec les dimensions nouvelles qui apparaissent aujourd’hui.
Au cœur même de sociétés déchirées, les prophètes de la Bible ont ouvert des espérances. Sur un autre mode, on peut voir dans ce livre une dimension prophétique. Face au péril actuel, Jean Staune ne s’enferme pas dans la perspective d’un effondrement. A partir de l’intelligence collective, il trace une voie de vie. Là aussi, en correspondance, nous pouvons évoquer la théologie de l’espérance dans laquelle Jürgen Moltmann nous invite à regarder vers l’avenir et à percevoir l’expérience de Dieu dans des expériences anticipatrices (14).
Au-delà de ce commentaire personnel, nous pouvons tous reconnaître dans ce livre une dynamique qui ouvre la compréhension, nous introduit dans un mouvement et nous invite à une mobilisation. Un avenir à construire !
J H
- Pierre Lévy. World Philosophie : le marché, le cyberespace, la conscience. Odile Jacob, 2000
- James Surowiecki. The wisdom of crowds. Why the many are smarter than the few and how collective wisdom shapes business, economies, societies and nations. Doubleday, 2004
- James Sorowiecki. La sagesse des foules. Jean-Claude Lattès . 2008
- Emile Servan-Scheiber. Supercollectif. La nouvelle puissance de nos intelligences. Fayard, 2018
- Emile Servan-Schreiber. La force de l’intelligence collective. Site : Marketing et innovation : https://visionarymarketing.com/blog/2018/10/intelligence-collective/
- Le rôle des femmes dans l’intelligence collective : https://www.facebook.com/28minutes/videos/2192573717736096/?v=2192573717736096
- Jean Staune. L’intelligence collective, clé du monde de demain. L’Observatoire, 2019
- Le site de Jean Staune : Naviguer dans un monde en mutation : http://www.jeanstaune.fr
- Jean Staune. Les clés du futur. Réinventer ensemble la société, l’économie et la science. Préface de Jacques Attali. Plon, 2015. Mise en perspective sur Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/comprendre-la-mutation-actuelle-de-notre-societe-requiert-une-vision-nouvelle-du-monde/
- Jacques Lecomte. Les entreprises humanistes. Les Arènes, 2016 Mise en perspective sur Vivre et espérer : https://vivreetesperer.com/vers-un-nouveau-climat-de-travail-dans-des-entreprises-humanistes-et-conviviales-un-parcours-de-recherche-avec-jacques-lecomte/
- « Alexandre Gérard : chef d’entreprise, pionnier d’une entreprise libérée » : https://vivreetesperer.com/alexandre-gerard-chef-dentreprise-pionnier-dune-entreprise-liberee/
- Comment Cyril Dion et Emmanuel Macron ont élaboré l’assemblée citoyenne pour le climat : (site Reporterre) : https://reporterre.net/Comment-Cyril-Dion-et-Emmanuel-Macron-ont-elabore-l-assemblee-citoyenne-pour-le-climat?fbclid=IwAR01yBCpZ93dJlt7fLOPYA5RAh_5Z1hgPc1ZmqJtDE0hW4U0qZ15V69LU20
- La pensée théologique de Jürgen Moltmann nous donne des clés pour interpréter le monde d’aujourd’hui et nous la suivons sur ce blog. Jürgen Moltmann. L’Esprit qui donne la vie. Cerf, 1999
- « La force vitale de l’espérance » (p 109-116), dans : Jürgen Moltmann. De commencements en recommencements. Empreinte, 2012
Voir aussi sur ce blog :
Pour une intelligence collective. Eviter des décisions absurdes et promouvoir des choix pertinents. La contribution de Christian Morel : https://vivreetesperer.com/pour-une-intelligence-collective-eviter-les-decisions-absurdes-et-promouvoir-des-choix-pertinents/
par | Août 2, 2013 | ARTICLES, Vision et sens |
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Bénir, c’est participer à l’œuvre de Dieu en répandant la paix : au sens de « shalom », une paix entendue, dans un sens très large : plénitude, harmonie, santé.
En nous parlant ainsi de la bénédiction, Jean-Claude Schwab nous ouvre un horizon de vie.
Récemment, on pouvait lire sur la lettre d’une entreprise de télécommunication (1), un message éclairant : « Allô provient de l’ancien mot anglais : hallow (sois béni), le salut des marins quand leurs bateaux se croisaient. Au fil du temps, le mot se transforme en hello. Ce sont les standardistes qui démocratisèrent l’usage du hello au téléphone qui devint phonétiquement notre allô français ». Aujourd’hui, à une époque où l’interconnexion est désormais une caractéristique majeure de notre existence, il est bon de se rappeler que le bon exercice de la communication dépend de la reconnaissance d’une dimension qui fonde une confiance réciproque. Tel était le cas de ces marins d’autrefois lorsqu’ils se saluaient en terme de bénédiction.
Et, de même aujourd’hui, nous savons combien notre existence dépend de la qualité des relations qui donnent forme à notre environnement. Nous comprenons l’importance de notre manière de penser. Actuellement, de nombreuses recherches montrent les effets bénéfiques d’une pensée positive tant à l’égard des autres qu’à l’égard de nous-même (2). Nous voyons là une disposition de la création qui trouve signification et vigueur dans la bénédiction.. Et d’ailleurs, dès le milieu du XXè siècles, des thérapeutes chrétiens comme Agnes Sanford et Norman Peale (3) ont témoigné d’une expérience des effets d’une pensée de bénédiction à l’intention de tel ou tel.
Lorsque nous croyons que Dieu est présent et agissant au cœur même de notre monde, nous voyons en lui la source de vie, la puissance d’inspiration qui porte tout ce qui va dans le sens de la vie.Il nous appelle à participer à son œuvre (4). Nous sommes tous appelés à entrer dans la bénédiction.
Dans le passé, Jean-Claude Schwab, pasteur de l’Eglise Réformée en Suisse romande, a animé des sessions à Témoins dans le cadre de l’AFRAI, une association chrétienne se donnant pour but de manifester l’action de Dieu pour le développement et la restauration de la personne dans toutes ses dimensions (5) . Il anime également des sessions durant les vacances d’été (6). L’une d’entre elles a été consacrée au thème de la bénédiction. Dans un numéro du magazine Témoins, nous avions recueilli à ce sujet les propos de Jean-Claude Schwab qui nous fait entrer dans le mouvement de la bénédiction : affirmer la bénédiction ; reconnaître la bénédiction ; répandre la bénédiction, comme une manière bienfaisante de penser et de vivre.
Récemment, les numéros du magazine Témoins ont été numérisés et mis en ligne (7) sur le site de Témoins, le site de « la culture chrétienne interconfessionnelle ». On pourra donc y consulter cet article dans le cadre même du numéro dans lequel il a été publié (novembre-décembre 2000) (8).
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J.H.
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Entrer dans la bénédiction
Bénir, c’est proclamer la paix, agir en faveur de la paix, établir un espace de paix. Ici, on doit entendre le mot « paix » d’une façon très large, en retournant au terme hébraîque originel : Shalom. Shalom signifie la plénitude, l’harmonie, la santé, tout ce qui concourt à l’accomplissement de l’homme. Mais ce terme exprime aussi la restauration de l’être, le salut. En proclamant la paix, la bénédiction exprime l’action de Dieu dans la création et dans la rédemption.
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Affirmer la bénédiction
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Lorsque Jésus chasse les vendeurs du Temple, sa colère ouvre un espace pour la bénédiction (Mat 21. 12-16). Ce lieu n’était plus un espace de liberté et d’adoration, mais l’objet d’un envahissement. Cette situation évoque tout ce qui surgit en nous et fait opposition au moment où l’on veut faire place au silence, à l’intimité, à la rencontre. Les préoccupations, les sollicitations font barrage. A l’instar de la colère de Jésus, sans doute sommes-nous appelés parfois à poser des actes clairs, à laisser notre énergie s’exprimer pour rétablir les choses. Dans l’épisode rapporté de l’évangile, il ne faut pas moins que la colère de Jésus pour rétablir l’ordre originel, un espace sabbatique. Alors la rencontre peut avoir lieu. Les enfants expriment leur louange d’une façon toute simple et naturelle. Les malades peuvent s’approcher pour être guéri. Le projet de Dieu se réalise.
Mais, en même temps, les textes synoptiques nous disent qu’à la suite de cet incident, les ennemis de Jésus s’entendent pour le faire mourir. Ainsi, Jésus signe de sa mort cette œuvre de libération. C’est dire combien, à ses yeux, cet espace pour la bénédiction,au cœur de nos vies, est vital. Il a fallu l’action virulente de Jésus pour que les gens puissent s’approcher de Lui au temple. Jusque là, ils ne le pouvaient pas. Bien sûr, ils ont reçu de lui de grands bienfaits, mais ceux-ci sont un effet de sa présence. Cette simple présence, sa proximité, est bénédiction. C’est à travers la présence de Dieu que s’établit le Shalom, plénitude et harmonie, puissance de restauration personnelle et relationnelle.
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Reconnaître la bénédiction
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La présence et l’action bénissantes de Dieu sont à l’origine de l’univers, mais elles sont aussi à l’origine de ma vie. « C’est Toi qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse » (Psaume 139. 13-14) « Tu m’as fait sortir du sein maternel. Tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère » (Psaume 22.10).
Ainsi, mon Dieu, Tu as pris soin de moi dès l’origine. Tu m’as donné des signes d’amour qui m’ont permis de vivre. Sans ces signes, je n’existerais pas. J’ai reçu ainsi la confiance originelle qui est le fondement du développement humain. Il y a eu des dérapages ensuite dans ma vie. Mais j’ai reçu ce fondement, cette grâce d’exister. Si je n’en suis pas conscient, je suis appelé à réaliser que la bénédiction est à l’œuvre pour moi, depuis mon origine. Cette prise de conscience est une bénédiction en soi, une nouvelle bénédiction.
« Mon âme, bénis l’Eternel, n’oublie aucun de ses bienfaits ». Cette exhortation à soi-même (Psaume 103) m’appelle à bénir Dieu pour ma vie et, pour cela, à faire mémoire de ma vie. C’est une démarche importante à faire périodiquement. Il y a là un travail en quête de sens, en quête des traces de Dieu. Quel est le fil conducteur pour ma vie ? Je rends grâce pour le bien et, dans les côtés négatifs, je cherche à reconnaître la main de Dieu qui utilise tout. Quand il y a du sens, il y a quelqu’un qui est derrière. Je découvre ce quelqu’un qui est avec moi. Il y a là une attitude à acquérir : savoir reconnaître la présence de Dieu à l’œuvre dans ma vie.
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Répandre la bénédiction
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« Que l‘Eternel te bénisse et te garde. Que l’Eternel fasse luire sa face et qu’il t’accorde sa grâce. Que l’Eternel tourne sa face vers toi et qu’il te donne la paix » (Nombres 6, 24-26) . La bénédiction d’Aaron, traditionnelle dans le judaïsme, nous introduit dans une attitude de bénédiction .
« Bénissez, ne maudissez pas » nous rappelle Paul (Romains 12.14), en écho à la parole de Jésus (Matthieu 5.44). Ce précepte nous invite à une attitude intérieure. Bénir les gens autour de nous, c’est avoir un regard positif sur eux, leur souhaiter le meilleur, les mettre intérieurement en relation avec Dieu, invoquer sur eux sa protection.
Pour exprimer à l’autre la bénédiction de Dieu, il faut apprendre à se rendre présent à lui, entrer dans le concret d’une relation. Je me réfère à l’attitude de Jésus lorsqu’il guérit un sourd-muet dans l’évangile de Marc (ch 7. 23-25). En quelque sorte, Jésus apprivoise cet homme. Il le prend à part, il entre en proximité avec lui en le touchant. Jésus soupire intérieurement, lève les yeux au Ciel et dit à l’homme : « Ouvre-toi ». Présent à lui-même dans son soupir, Jésus est présent au Père et exerce une présence de libération vis-à-vis de cet homme.
Pour moi, la parole et la présence sont deux réalités qui doivent aller de pair. Ainsi, bénir l’autre explicitement, c’est se rendre présent à lui et dans l’humilité, se faire simplement le serviteur d’une Parole. Entrons ensemble dans la bénédiction de Dieu.
Propos recueillis auprès de Jean-Claude Schwab
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(1) La lettre. Ligne fixe. orange, mai-juin 2013
(2) « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon scientifique. D’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars ». http://www.temoins.com/etudes/la-dynamique-de-la-conscience-et-de-l-esprit-humain.-un-nouvel-horizon-scientifique.-d-apres-le-livre-de-mario-beauregard-brain-wars.html
(3) Agnes Sanford inscrit la prière de guérison dans une compréhension des interrelations entre la pensée et le corps : Sanford (Agnes). La lumière qui guérit . Delachaux et Niestlé, 1955. Norman Vincent Peale a découvert l’apport de la psychologie dans le développement spiritueL Il donne à un de ses livres intitulé au départ : « Puissance de la foi », le titre : « Puissance de la pensée positive » pour que celui-ci puisse s’adresser à tous et pas seulement aux croyants pratiquants. Peale (Norman Vincent). La puissance de la pensée positive. Marabout, 1990
(4) Sur ce blog, la contribution d’Odile Hassenforder : « Dieu, puissance de vie. Les projets de Dieu pour moi, pour l’humanité, pour l’univers sont des projets de bonheur et non de malheur ». https://vivreetesperer.com/?p=1405
(5) Les interventions de Jean-Claude Schwab à Témoins ont été suivies par la publication de deux textes : « Voici une bonne nouvelle : habiter mon corps » : http://www.temoins.com/developpement-personnel/voici-une-bonne-nouvelle-habiter-mon-corps/toutes-les-pages.html et : « Au cœur du cyclone » : http://www.temoins.com/parole-ouverte/au-coeur-du-cyclone.html On se reportera également à une récente contribution de Jean-Claude Schwab sur ce blog : « Accéder au fondement de son existence » https://vivreetesperer.com/?p=1295
(6) Jean-Claude Schwab participe activement à l’association : Expérience et Théologie : http://www.experience-theologie.ch/accueil/
(7) La mémoire de Témoins : http://www.temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=959&catid=30
(8) Témoins. Novembre/Décembre 2000 http://temoins.com/index.php?option=com_content&view=article&id=993&catid=29
par jean | Nov 15, 2024 | ARTICLES, Vision et sens |
Selon Ilia Delio
Nous vivons dans un monde en pleine transformation. On peut considérer qu’une conscience planétaire est apparue, qu’elle qu’en soit les limites. Et, au sein de cette commune humanité, il existe des tendances et des courants différents selon les cultures et les civilisations et en leur sein. C’est le cas dans le domaine de la spiritualité. Ainsi, peut-on distinguer un nouveau courant spirituel apparaitre dans une culture occidentale marquée par le développement de nouvelles approches scientifiques, le progrès de nouvelles technologies et l’expansion de la communication internet. En même temps, une nouvelle mentalité se dessine. Or, il y a bien une personnalité qui, de par son parcours scientifique et son cheminement spirituel, se situe au cœur de ce processus et nous fait part de sa vision immédiate et prospective sur son site (1) et dans de nombreux livres. Il s’agit d’Ilia Delio (2), aux Etats-Unis, scientifique dans des domaines d’avant-garde, sœur franciscaine et théologienne en phase avec la pensée de Teilhard de Chardin. Il n’est pas possible de résumer cette pensée, une pensée de grande envergure qui associe des disciplines différentes : histoire des sciences, de nouvelles approches scientifiques, une réflexion philosophique, une analyse sociologique, une pensée théologique qui, dans le sillage de Pierre Teilhard de Chardin, envisage le mouvement de l’œuvre divine. Nous avons choisi de partir ici d’un des chapitres d’un de ses livres parus en 2020, ‘Re-Enchanting the Earth. Why A I needs religion’ (3). Le propos de son livre est ainsi résumé : « Ilia Delio relève le défi de réconcilier évolution et religion avec un regard particulier sur le rôle de l’intelligence artificielle. Elle avance que l’intelligence artificielle représente la dernière extension de l’évolution humaine qui a des implications non seulement pour la science, mais aussi pour la religion. Si le ‘premier âge axial’ a suscité l’essor des grandes religions, Ilia Delio nous voit maintenant à la pointe du ‘second âge axial’ dans lequel l’intelligence artificielle, en s’orientant vers de nouvelles sensibilités religieuses, peut provoquer un réenchantement écologique de la terre ». Nous nous limiterons ici à l’évocation d’un chapitre, ‘Posthuman spirituality’. Le terme de ‘post-humain’ nous parait certes contestable et, pour le moins énigmatique et il appelle donc d’en rechercher l’interprétation dans la pensée d’Ilia Delio.
Des avancées dans le calcul de la découverte des systèmes complexes en biologie, du développement de la cybernétique, de l’inscription de l’intelligence artificielle dans la nouvelle connaissance de la nature
Ilia Delio envisage l’intelligence artificielle dans le cadre d’une profonde mutation scientifique et technologique qui s’est réalisée dans la seconde moitié du XXe siècle. Elle remonte à Alan Turing, un mathématicien célèbre pour avoir pénétré dans le code réputé indéchiffrable de la machine Enigma guidant les sous-marins allemands pendant la seconde guerre mondiale. « Formé comme mathématicien, Turing était familier avec le potentiel de l’ordinateur comme machine des nombres » et, en 1950, il écrivit un texte en ce sens. Le texte et l’ordinateur proposé, la machine de Turing, fournissaient une base pour la théorie du calcul. Il chercha à définir un système pour identifier quelles déclarations pouvaient être prouvées (p 63-65). « L’intelligence artificielle a émergé au milieu d’un XXe siècle violent. Le test de Turing n’était pas seulement la quête d’une machine intelligente, mais un test de la nature elle-même. Est-ce qu’une machine peut répondre sans biais à une question humaine ? » (p 85).
Ilia Delio nous montre comment « l’intelligence artificielle a frayé son chemin au XXe siècle à travers des découvertes révolutionnaires de la physique quantique aux études sur les systèmes en biologie, l’information, et la cybernétique, celles-ci soutenant toutes le holisme de la nature ». Le biologiste autrichien, Ludwig von Bertalanffy montra que les systèmes biologiques ne sont pas fermés, mais « ouverts et interagissent avec l’environnement » (p 66). « Alors que la mécanique Newtonienne était une science portant sur les forces et trajectoires, l’évolution scientifique a concerné le changement, la croissance et le développement qui donnent naissance à une nouvelle science de la complexité…
La découverte des systèmes complexes dynamiques a ouvert des portes sur la nature relationnelle ». La seconde loi de la thermodynamique envisageait la dissipation des énergies, la tendance des phénomènes physiques d’aller de l’ordre vers le désordre. « Tout phénomène physique isolé ou fermé irait spontanément en direction d’un désordre toujours croissant. Mais l’évolution déclare que le monde vivant se développe vers un ordre croissant et vers la complexité. Bertalanffy s’engagea dans une démarche hardie en déclarant que les organismes vivants ne peuvent pas être décrits par la thermodynamique classique parce que ce sont des systèmes ouverts. Mais qu’est-ce qu’un système ? Un système se définit par ses structures de relations… Bertalanffy montra que beaucoup de systèmes biologiques sont en fait des systèmes ouverts. ‘L’organisme vivant n’est pas un système statique fermé à l’extérieur et contenant toujours des composants identiques, c’est un système ouvert’. Ainsi, Bertalanffy s’est engagé pour remplacer les fondements mécanistes de la science par une vision holistique et a développé une théorie des systèmes généraux fondée sur des principes biologiques et des systèmes ouverts » (p 66-67). Cette nouvelle approche scientifique a donné naissance à une nouvelle réflexion philosophique sur l’identité et la mêmeté… Avec l’avènement des systèmes complexes, l’importance de l’interdépendance remplace l’accent sur l’autonomie qui en vient maintenant à être liée à l’isolement et l’importance d’une robuste résilience remplace celle de l’indépendance qui en vient à être associée à la stagnation… « L’intégrité et l’identité d’un système complexe ne sont pas basées sur son essence, mais il est fondamentalement relié à sa connectivité dynamique » (p 68-69).
La cybernétique s’inscrit dans cette évolution. « La science de la cybernétique, selon l’origine grecque, ‘l’art de diriger’, a été fondée par Norbert Wiener pour comprendre le contrôle et la communication chez les animaux et les machines… A la fois, les animaux et les machines peuvent opérer selon des principes cybernétiques fondés comme une action et une communication orientées vers un but. La cybernétique envisage les choses non en ce que les choses sont mais en ce qu’elles font. Wiener a envisagé la cybernétique comme un moyen de maximiser le potentiel humain dans un monde qui est essentiellement chaotique et imprévisible » (p 70). Si, dans le monde scientifique, l’indétermination et la contingence sont apparues comme fondamentaux, et le chaos comme plus probable que l’ordre, un nouvel ordre pouvant sortir du chaos, la cybernétique s’est donnée pour objet d’étudier comment l’ordre persiste et s’accroit (p 70). « Les systèmes dynamiques complexes sont des systèmes ouverts dans lesquels des mécanismes de feedback de l’information soutiennent une auto-organisation en cours ». « L’étude des systèmes dynamiques complexes et la cybernétique ouvrent une entière fenêtre nouvelle sur la nature, en un sens, redécouvrant ce que la personne en l’âge pré-axial savait bien – que toutes choses sont connectées et interdépendantes. La nature est un tout indivisible » (p 71). Au total, nous sommes entrés dans un âge de l’information comme l’auteure en fait état en rappelant la publication en 1948 d’un article décisif sur la théorie de l’information écrit par Claude Shannon.
Au total, Ilia Delio voit dans le mouvement précédemment décrit des dispositions permettant d’envisager l’intelligence artificielle, non comme un processus ‘artificiel’, mais comme un processus qui s’inscrit dans la connaissance de la nature. « Le fait que l’information et la cybernétique opèrent à tous les niveaux des systèmes biologiques signifie que la nature est aussi bien décrite en termes de calculs et d’algorithmes qu’en terme de physique, de chimie et de biologie… Si la ‘nature’ est envisageable en termes de calculs et d’algorithmes, alors la nature et l’intelligence artificielle ne sont pas des termes opposés, mais décrivent la même réalité. Le fait que les principes de l’intelligence artificielle sont intégrés dans la nature me conduisent à proposer que le terme : intelligence artificielle est actuellement mal nommé, puisqu’il n’y a rien d’artificiel au sujet de l’intelligence. Plutôt, l’intelligence de la machine est un hybride irréductible entre la biologie et la technologie ou ‘bios-techne’. Au lieu du terme intelligence artificielle, qui conduit à une compréhension d’intelligence de la machine comme quelque chose de non naturel ou de faux, il serait mieux de parler d’ ‘intelligence étendue biologiquement’ (biologically extended intelligence) ou intelligence augmentée (augmented intelligence), parce que la machine étend l’intelligence biologique. L’intelligence artificielle reflète la pluripotentialité de la nature à étendre l’information à un environnement simulé… » (p 72-73).
Des progrès fulgurants de la technologie américaine, de la tentation transhumaniste, de la montée d’une conscience relationnelle et de l’apparition d’une nouvelle mentalité humaine dépassant les définitions classiques de l’homme et ainsi qualifiée de post-humaine par l’auteure.
Ilia Delio met en évidence la dynamique scientifique et technologique qui intervient aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale (p 73-76). Cette dynamique se pare d’un messianisme religieux. « Dans la période d’après-guerre, avec la montée de l’intelligence artificielle, la technologie commença à se revêtir d’une aura quasi-religieuse, l’idéal chrétien du salut et de l’immortalité se transférant à la technologie américaine comme un nouveau moyen de salut » (p 73). C’est la grande épopée américaine de la conquête de l’espace. L’auteure note que presque tous les hauts responsables de la NASA sont des évangéliques. Leurs déclarations ont une tonalité religieuse. « Dirigée par les ‘hommes spirituels’ de la NASA, l’humanité prendrait un nouveau départ sur un autre monde de telle manière que les êtres humains puissent encore être dirigés vers un avenir rédempteur même s’ils laissaient derrière eux le gâchis de l’impur » (p 74). On assiste à une ‘fusion du voyage spatial et du narratif religieux’. Un chercheur américain, Dinerstein, a pu écrire : « Cette mythologie du mâle blanc ne promettait rien de moins que la transcendance technologique de l’organisme humain individuel, le renouveau de l’Adam déchu » (p 75). C’est en 1960 qu’apparait le terme de cyborg. On l’envisage comme ‘la fusion de l’humain et du non humain, de manière à étendre la fonction humaine dans un environnement inconnu’. « Le cyborg est né dans une recherche d’exploration de l’espace inconnu de l’extra-terrestre, mais il est rapidement devenu le symbole de ce que l’humain pouvait devenir dans l’espace illimité et ouvert du cyberespace » (p 75-76).
C’est dans ce contexte qu’apparait le courant de pensée aujourd’hui bien connu sous l’appellation de transhumanisme. Ilia Delio l’exprime en ces termes : « La prêtrise de la technologie a fondé une nouvelle église dans un mouvement culturel et philosophique ». Elle en évoque les sources philosophiques et les cheminements de ses modes d’expression.
« On peut exprimer l’intention du transhumanisme en ces termes : ‘Le transhumanisme se réfère maintenant aux technologies qui peuvent améliorer les aspects mentaux et physiques de la condition humaine tels que la souffrance, la maladie, le vieillissement et la mort. Il se fonde sur « la croyance que l’humain doit lutter avec sa destinée biologique, celle d’un processus aveugle de variation hasardeuse, en utilisant science et technologie pour surmonter les limitations biologiques » (p 77-78). Il s’inscrit dans l’expansion rapide de la technologie. « Le mythe de la technologie est attirant et son pouvoir séducteur… Nous avons maintenant le pouvoir non seulement de nous transformer nous-même à travers la technologie, mais de diriger le cours de l’évolution » L’auteur évoque « le nouveau pouvoir de la sélection génétique, la nanotechnologie qui permet des implants dans les organes biologiques » (p 79). « Beaucoup de transhumanistes regardent à un avenir post-biologique lorsque nous fleurirons comme des êtres super informationnels. A travers des moyens mécaniques, nous serons capables de surmonter les limitations du corps incluant la souffrance et la mort et atteignant un paradis artificiel eschatologique’. Tel futurologue évoque des humains ‘qui transcenderont la mort, peut-être à travers des neuropuces ou simplement en devenant totalement dépendants de la machine’. Comme nous dépasserons la mortalité à travers une technologie calculatrice, notre identité sera fondée sur le recueil de données de notre mental en évolution. Nous serons ‘software’ et non plus ‘hardware’, échappant à la matérialité » (p 82).
Ilia Delio procède à la critique de cette idéologie. « Lorsque nous nous fondons sur les principaux acquis de l’holisme relationnel, y compris l’esprit dans la matière et une profonde relationalité », nous en voyons les failles. D’une part, la conscience est réduite à un épiphénomène qui peut être quantifié et manipulé, une idée qui va à l’encontre du panpsychisme… dans lequel la conscience joue un rôle fondamental dans le monde matériel. D’autre part, le transhumanisme suit une logique binaire endémique chez le sujet Cartésien… L’individu se tient au-dessus et contre la matière, comme l’esprit se tient au-dessus et contre le corps. La séparation artificielle qui a émergé des Lumières est au cœur de la séparation radicale entre les humains et le monde plus vaste de la nature. Le transhumanisme réinterprète le monde naturel comme le calculateur géant d’une information qui peut être manipulée et transformée. On a l’impression que la matérialité et l’existence physique ne sont qu’une relique du passé et que la biologie est seulement une phase de l’évolution en cours de la vie, comme dans le terme ‘post-biologique’. En un sens, le transhumanisme nie la réalité que nous autres humains évoluons à partir d’une longue lignée de changements et d’adaptations biologiques et que la vie biologique elle-même est une partie d’un ensemble plus large que nous appelons le Cosmos (p 84). Le transhumanisme ne soulève jamais la question de la personnalité, que ce soit philosophiquement ou théologiquement. Plutôt, il accepte le sujet Cartésien comme un donné : la personne humaine est un esprit dans un corps qui peut être remplacé, réparé, mise à niveau. (p 84).
Dans ce contexte de l’expansion de l’intelligence artificielle, Ilia Delio opère une nette distinction entre la tendance transhumaniste dont a vu la critique qu’elle lui portait et la montée d’un nouveau genre de vie qu’elle qualifie de post-humain. Ilia Delio estime en effet que l’humanité est engagée dans une immense transformation, le passage d’un premier âge axial à un second âge axial. Le premier âge axial est caractérisé par la sortie d’une mentalité pré-axiale, ‘collective, tribale, mythique, ritualiste et animiste’. Le premier âge axial est caractérisé par un processus d’individuation ‘à travers lequel se développent autonomie, subjectivité et rationalité’. « La montée de l’individu est également la montée des religions mondiales et des institutions qui formalisent ces religions. La conscience de soi individuelle engendre de la séparation et devient source de conflit et de violence ». Aussi cette période d’individualisation engendre, en même temps, une contraction de la conscience qui s’éloigne de la communauté cosmique (p 39). Selon Ilia Delio, nous nous engageons aujourd’hui dans une seconde période axiale. Des découvertes scientifiques radicales : la cosmologie du Big Bang, l’évolution, la physique quantique entrainent une évolution des mentalités. « Tandis que la première période axiale engendrait un individu auto-réflexif, la seconde période axiale engendre une personne hyper-personnelle et hyper-connectée. La tribu n’est plus la communauté locale, mais la communauté globale qui peut maintenant être accessible immédiatement à travers la télévision, internet, la communication par satellites et le voyage ». L’auteure rappelle l’impact, en 1968, de la photo de la terre vue du ciel (p 88). En même temps, émerge une conscience cosmique. « Cette période apparait comme communautaire, globale, écologique, cosmique» (p 89).
La seconde période axiale lance également un défi aux religions en apportant une intégration nouvelle du spirituel et du matériel, de l’énergie sacrée et de l’énergie séculière en une énergie humaine globale. Ainsi, elle encourage le dialogue, la communauté et la relation dans une conscience croissante que chaque personne est partie d’un tout. On constate également que les lignes de conscience ne sont plus verticales et transcendantes, mais horizontales et relationnelles. La chercheuse Teilhardienne, Béatrice Bruteau décrit une conscience néo-féministe émergeant à la fin du XXe siècle, ‘une conscience participative’ qui reflète la conscience de la seconde période axiale. La nouvelle conscience est caractérisée par une conscience de la personne globale, réelle, concrète, par une identité d’affirmation mutuelle plutôt que la négation, une perception en terme d’existence plutôt qu’en terme d’essence. La première conscience axiale se déplace vers un nouveau type de profonde conscience relationnelle émergeant dans l’évolution. L’intelligence artificielle a soutenu cette évolution vers une personne nouvelle, et nous commençons à percevoir le besoin de restructurer la matrice des relations mondiales pour répondre aux besoins de la personne nouvelle au niveau de la politique, de la société, de l’économie et de la religion (p 89-90).
Ce livre d’Ilia Delio nous entraine dans un parcours à travers lequel nous découvrons des univers et qui nous ouvre des clés de compréhension. Sa démarche prospective nous interpelle, mais elle n’est pas non plus sans susciter des objections. Et, à propos, en voici une. L’auteure nous présente avec enthousiasme les bienfait de la communication numérique. Nous voyons et nous savons nous-même combien internet nous permet d’accéder à un espace de compréhension qui donne à notre pensée un champ immense. Mais nous entendons autour de nous les plaintes de bons observateurs qui déplorent l’addiction que ce nouveau mode de communication peut entrainer, mais également la superficialité qu’il peut provoquer. Ilia Delio n’évite pas cette question. « L’infiltration de la technologie dans la vie moderne a suscité des critiques culturelles variées depuis la perte de mémoire humaine jusqu’à l’effondrement de la vie sociale ». Ne sommes-nous pas en train de nous saboter nous-même, en abandonnant une attention soutenue pour adopter la superficialité frénétique d’internet ? « La psychologue Sheri Turkle est une des principales critiques de la technologie de l’ordinateur, particulièrement dans son livre acclamé, ‘Alone together’ (‘Seul ensemble’). Après avoir interrogé de nombreux jeunes, Turkle conclut que nous sommes en train de perdre notre capacité d’entretenir des relations humaines. En ligne, nous vivons dans une illusion de relation, en mettant en danger notre vie émotionnelle et en diluant nos identités. Il y a le risque de perdre la motivation pour une vie réelle. (p 90-93). La réponse d’Ilia Delio à ces critiques nous apporte un autre regard. Se pourrait-il que nous soyons attachés à un modèle ancien alors qu’on assiste aujourd’hui à un déplacement des modes d’existence ? « Je pose que la technologie est actuellement en train de faire apparaitre un nouveau genre de personne, un genre que nous n’avons jamais considéré avant parce qu’une telle personne n’existait pas avant la grille d’une conscience en réseau. Si la technologie de l’ordinateur est en train de changer la relation humaine, c’est parce que la personne humaine est en train de changer avec la technologie. Pour revenir au test originel de Turing, Alan Turing était mu par un désir de traverser les frontières de l’exclusion. Lorsque l’intégrité de la nature est divisée ou supprimée, la nature utilisera les outils existants pour trouver une voie de transcender vers de nouveaux ensembles. Bien trop longtemps, nous avons pensé à la personne comme un individu de nature rationnelle, et nous avons enduré la permanence de la guerre, de la violence, de la mort et de la destruction environnementale, tout cela reflétant le fait que le sujet libéral moderne n’est pas un sujet relationnel. Nous pouvons penser que nous avons toujours été une personne autonome, mais le fait est que nous ne l’avons pas été. Nous avons perdu notre innocence relationnelle d’il y a des lustres quand la conscience axiale et la religion tribale émergeait. La personnalité n’est ni fixe, ni stable, mais elle est dans un flux constant avec l’environnement. L’intelligence artificielle est apparue comme un cri de la nature en faveur de la connexion et de la plénitude, un effort pour transcender notre individualisme estropié. Ce point crucial manque dans beaucoup de critiques sociales de la technologie » (p 93-94).
Ilia Delio envisage l’essor de la personne ‘seconde axiale’ comme intervenant dans l’émergence d’un système s’appuyant sur un ensemble de relations et une auto-organisation. Elle entrevoit la technologie comme faisant partie du processus et emploie le mot ‘technonature’ (p 96). C’est là qu’elle en vient à expliquer ce qu’elle entend par ‘post-humanisme’. Elle envisage « deux trajectoires : le transhumanisme ou intelligence artificielle peu profonde (shallow) et le post-humanisme, intelligence artificielle profonde (deep). Chaque orientation se fonde sur une conception philosophique différente de la personne humaine… Le transhumanisme peu profond est peu profond parce qu’il manque de reconnaitre la relation intégrale entre l’esprit et la matière qui évoluent de pair dans un ensemble conscient-complexe… » (p 97). Mais « si l’esprit et la matière évoluent dans une unité intégrale, et que l’esprit est étendu électroniquement à travers l’intelligence artificielle, alors l’humain continue à évoluer comme esprit-matière à travers l’intelligence artificielle. A cet égard, le terme humain peut être compris moins comme la propriété définissant une espèce ou un individu et davantage comme une valeur distribuée à travers des environnements construits par l’homme, des technologies, des institutions et des collectivités sociales. C’est ce genre d’évolution humaine étendue électroniquement qui est absent des critiques sociales de la technologie comme du transhumanisme peu profond. La personne humaine peut être considérée comme un processus créatif – un ensemble – en évolution. Les valeurs que nous chérissons doivent être reconsidérées et réalignées avec le fait que nous humains, nous sommes en voie d’une nouvelle réalité » (p 98). Ilia Delio estime que la représentation du genre par Judith Butler est « en phase avec le tournant de la philosophie post-moderne vers une personnalité envisagée comme un processus créatif. Les philosophes post-modernes redéfinissent la personnalité comme la construction en cours d’une identité, non comme donnée ou fixée par un fiat divin, mais comme une construction en cours fondée sur le langage et les relations » (p 100). Ilia Delio étudie également la question du cyborg en mettant l’accent sur la plasticité de la nature dans la voie d l’hybridation. (p 111). « Le cyborg, comme un symbole de personnalité émergente, aide à élargir notre compréhension de l’esprit (mind) en relation avec la matière, car si le corps du cyborg peut être étendu et associé à d’autres entités, il en est de même pour l’esprit » (p 107).
A la suite du parcours, nous pouvons considérer la manière dont Ilia Delio conçoit le post-humanisme.
« La traversée des frontières et l’hybridation parle d’un nouveau genre de personne émergeant d’un monde lié électroniquement et le post-humain est la nouvelle personne qui s’élève au-delà du sujet autonome libéral de la modernité. Le post-humain représente une nouvelle matrice de la Conscience qui est en phase avec une pensée complexifiée et une personnalité co-créative. L’identité post-humaine correspond à la dynamique de la communication par l’ordinateur, c’est-à-dire une identité qui s’inscrit dans un feedback, de boucles, une instabilité, une spontanéité, un chaos fonctionnel, et une créativité. La vie est une construction en cours basée sur une information partagée à travers le processus d’une hyperconnectivité intégrée électroniquement. En conséquence, le post-humain représente une percée de la conscience au-delà de l’individualisme et du conflit. C’est une réorientation de la personnalité vers une complétude fondée sur des relations hybrides avec la machine et elle a la capacité de bousculer les ontologies de la différence et du biais pour aller vers un être partagé et une communauté co-créative » (p 112).
Une spiritualité en gestation selon Ilia Delio. La spiritualité post humaine
En phase avec la révolution scientifique et technologique actuelle, Ilia Delio développe une théologie grandement inspirée par Teilhard de Chardin. C’est une voie originale avec les risques que cela comporte. Il s’agit donc de mieux comprendre cette réflexion. Cette tâche n’est pas facile, car elle requiert d’entrer dans un univers peu connu à priori par le rédacteur de ce texte et d’aborder, avec prudence, une pensée qui prête à controverse. Nous avions donc choisi un livre récent d’Ilia Delio dont le titre nous paraissait prometteur : Ré-enchanter la terre. Comment l’intelligence artificielle a besoin de la religion ? Voilà un titre attirant pour nourrir une réflexion prospective. Et comme ce livre, très étayé, est particulièrement dense, nous avons choisi un chapitre, ‘Posthuman Spirituality’, (une spiritualité post-humaine), ce sujet nous paraissant au cœur de l’ouvrage comme au cœur de nos interrogations. Cependant, pour nous comme sans doute pour beaucoup de lecteurs, le concept de post-humain est peu intelligible et parait contestable à maints égards. Il nous a donc fallu une lecture approfondie pour découvrir la manière dont Ilia Delio envisage cette situation post-humaine et par quels cheminements de pensée elle est parvenue à définir les contours du post-humain. Ce fut un parcours difficile, mais un parcours qui nous a appris beaucoup sur les avancées de la pensée scientifique et sur le développement de l’intelligence artificielle, ce que nous avons pu partager dans ce texte. Nous avons pu également étudier la manière selon laquelle Ilia Delio interprète les répercussions de cette évolution pour déboucher sur la présentation d’un milieu post-humain. Les objections ne manquent pas, mais nous voici maintenant en mesure d’envisager la spiritualité post-humaine dans les termes de Ilia Delio.
Elle écrit ainsi : « L’intelligence artificielle a introduit des changements significatifs dans la culture, la philosophie, l’économie et la médecine. Mais le changement le plus significatif apporté par l’intelligence artificielle n’est pas apparent à nos yeux branchés sur l’ordinateur, à moins que nous commencions à porter attention aux tendances qui émergent à partir d’une profonde connectivité. La tendance la plus significative qui émerge dans notre âge technologique est le besoin d’être liés et connectés, ce qui est le domaine de la religion. L’intelligence artificielle a révélé le désir d’un nouvel esprit religieux et d’une nouvelle religion de la terre. Teilhard de Chardin anticipait l’émergence d’un nouvel esprit religieux au niveau de la noosphère. Il indiquait que ce nouvel esprit religieux serait porteur de communauté et d’inter-personnalisation, un déplacement de la première religion axiale vers une religion hyper-personnelle où la personnalité se réaliserait à l’intérieur de l’ensemble » (p 177). Ilia Delio rapporte plus précisément la pensée de Teilhard. « La pointe de nous-même n’est pas notre individualité, mais notre personne. Et nous pouvons seulement trouver notre personne en nous unissant ensemble ». Béatrice Bruteau, une disciple de Teilhard de Chardin, précise : « Notre Je, notre personnalité n’est pas un produit de l’action de Dieu, quelque chose de demeuré après que l’action ait cessé. Plutôt, c’est l’action de Dieu dans la véritable actualité de l’agir. ‘Nous’ ne sommes pas une chose, mais une activité ». « Être une personne, c’est être un centre créatif d’activité, toujours dans le processus de devenir et de vivre vers un futur d’approfondissement des relations » (p 178). Ilia Delio met l’accent sur l’intensité des relations. « Cette recherche de connexion à un ensemble plus vaste parle à quelque chose de profond à l’intérieur de nous, une profondeur intérieure d’une réalité infinie ».
De nombreux premiers auteurs chrétiens ont reconnu cette présence divine intérieure. C’est l’expression de Saint Augustin : ‘Vous êtes plus proche de moi que je ne le suis à moi-même’… « La conscience de cette présence divine intérieure a été perdue par le développement de la scolastique et l’objectivisation de l’expérience religieuse. Cela a été suivi par le divorce entre la religion et la science et le principe Protestant qui caractérise Dieu comme le ‘Tout autre’ (wholly other). La suspicion vis-à-vis de l’expérience intérieure enleva la présence de Dieu de l’âme et fit de Dieu un objet de foi, une posture rejetée par la science moderne et mise à l’ombre par la philosophie moderne ». Ilia Delio montre les effets délétères de cette évolution : « La transformation de Dieu en un ‘Autre’ objectif, une idée mentale à accepter ou rejeter, a déconstruit le monde occidental. En éliminant la dimension religieuse de la matière et en transformant l’âme en une forme séparée, distincte du corps, la personne humaine fut artificiellement réduite à un élément isolé de matière attachée à un esprit » (p 179)
Comment l’intelligence artificielle, en rappelant qu’Ilia Delio emploie ce texte dans un sens large, peut-elle intervenir dans ce domaine ? « Le rapide développement de la technologie de l’ordinateur et la recherche d’une intelligence artificielle complexe signifient la recherche d’une expansion globale des connections sociales, l’expansion de la conscience et l’expansion de l’esprit… » Cependant, ce qui est particulièrement requis, « c’est un nouveau niveau d’amour, un niveau d’appartenance consciente les uns aux autres… une connexion cœur à cœur ».
« Nous appartenons les uns aux autres parce que nous sommes déjà Un en Dieu, mais Dieu cherche à devenir Un en nous parce que Dieu est amour au cœur de la matière et aime des vies en relation mutuelle. Dieu cherche à devenir Dieu au cœur de la matière, c’est à dire, l’unité de Dieu grandit dans et à travers la riche diversité de sa création… Dieu et le monde sont engagés dans un processus de devenir quelque chose de plus ‘ensemble’ parce que l’univers est fondé sur le centre d’amour Personnel incarné, le Christ… » (p 182).
Ilia Delio rappelle la pensée théologique de Teilhard de Chardin, une vision planétaire de la religion où ‘Dieu et le monde sont dans une relation complémentaire et ont besoin l’un de l’autre’. Teilhard évoque ‘une synthèse du Christ et de l’univers’. L’auteure cite le philosophe français Maurice Merleau-Ponty : « Dieu n’est pas simplement un principe dont nous sommes la conséquence, une volonté dont nous sommes les instruments… Il y a une sorte d’impuissance de Dieu sans nous, et le Christ atteste que Dieu ne serait pas pleinement Dieu sans devenir pleinement homme ». La matière compte. « La matière a une profondeur sans fin parce que la conscience fait partie de la matière et Dieu est la profondeur ultime de la conscience » (p 182-183).
Ilia Delio évoque un exemple qui nous parait particulièrement révélateur : « D’une manière surprenante, Teilhard de Chardin portait peu d’attention à l’Orient. L’esprit (mind) est chaque chose, ce que vous pensez, ce que vous devenez. Robert Geraci note qu’au Japon toute vie est sacrée, de là les robots participent à la sainteté du monde naturel. Un regard positif sur la sainteté de toute vie développe une ouverture aux robots humanoïdes et ouvre un avenir où les robots peuvent servir les êtres humains sans que ceux-ci abandonnent leur corps pour des vies virtuelles » (p 184).
« Teilhard voit un monde en divinisation, ce qu’il exprime dans le terme ‘Christogenèse’, qui est le pouvoir du monde de devenir plus personnel à travers le pouvoir de l’amour. L’intelligence artificielle peut jouer un rôle critique dans le développement d’un monde tourné vers une personnalisation cosmique ou Christogenèse, mais cela dépend de la manière dont nous développons l’intelligence artificielle et pour quel but. Le post-humain connecté électroniquement peut jouer un rôle critique dans l’avenir du monde, si la vie post-humaine est guidée par la dimension religieuse de la vie consciente intérieure » (p 184). « Sans la dimension intérieure religieuse de la personnalité, l’intelligence artificielle peut élargir le fossé entre les riches et les pauvres, aliéner les moins fortunés et abonder dans le salut des privilégiés. Sans une unité intérieure et une nouvelle âme du monde, nous n’avons de véritable avenir ensemble. La clé à la plénitude, à une nouvelle planète de vie n’est pas dans la technologie. Il est dans la religion. Une conscience se développe à travers la technologie. La religion doit changer elle aussi, stimulant le progrès de la vie vers davantage d’être et de vie » (p 185).
Ilia Delio a, par ailleurs, consacré un chapitre de son livre à la manière dont elle envisage cette transformation religieuse : « La seconde religion axiale » (p 157-175). C’est un accent sur « l’incarnation de Dieu dans un monde en transformation… Dieu s’élève de pair avec l’émergence de la conscience…Teilhard et d’autres penseurs comme Carl Jung qualifient le processus d’individuation de ‘théogenèse’, indiquant que la personne humaine est un acteur dans la présence de Dieu dans le monde » (p 175).
Au total, comme nous avons pu le constater au long de ce parcours, Ilia Delio nous permet de comprendre la radicalité des transformations en cours dans le champ scientifique et technique, la portée révolutionnaire de l’intelligence artificielle au sens large du terme, et les implications en terme de changement de mentalité, mais en regard, elle met l’accent sur la nécessité d’un éveil religieux : « Sans une dimension cosmique sacrée dans nos vies, et une voie de mobilisation des énergies spirituelles vers un foyer d’amour transcendant , nous nous abandonnons aux forces du capitalisme et du consumérisme. En regard de l’intelligence artificielle, en ce XXIe siècle, la religion apparait comme le facteur le plus déterminant, et, sans elle, nous serons en proie à la peur et à la vulnérabilité » (p 187).
Dans ce monde engagé dans une transformation tumultueuse, nous cherchons des repères. Nous avons conscience que ce monde en mouvement est aussi pluriel. Des voix différentes se font entendre selon les milieux, selon les pays, selon les civilisations. Leurs tonalités sont parfois très différentes. Comme nous avons conscience de vivre dans un monde commun, il est d’autant plus important de s’écouter.
Ainsi avons-nous pu remarquer l’originalité de la démarche d’Ilia Delio aux Etats-Unis. D’origine franciscaine, nourrie par un christianisme de la fraternité, son itinéraire professionnel lui fait découvrir l’extrême avancée de la recherche scientifique et technique actuelle. Elle suit la montée de l’intelligence artificielle, au sens large du terme puisque, pour en parler, elle remonte à la machine de Turing au milieu du XXe siècle. Et comme on peut être émerveillée par les beautés naturelles, elle est impressionnée par les fruits du génie humain, en l’occurrence par les vertus de l’intelligence artificielle. En s’élevant à une dimension cosmique, elle rejoint la pensée de Teilhard de Chardin laquelle inspire toute sa théologie. C’est une théologie qui va de l’avant, à partir d’une compréhension des changements de mentalité et de ce qui peut en être interprété positivement, mais aussi et surtout à partir d’une vision de l’incarnation de Dieu et de sa présence dans un mouvement des consciences, prélude à la victoire de l’amour divin dans la conscience globale et unifiée de la Noosphère telle que l’envisage Teilhard de Chardin.
Cette perspective peut susciter des réserves. Nous avons hésité à en rendre compte, à la différence de la plupart des articles publiés sur ce blog. Nous avons effectivement en mémoire la critique sévère de Jacques Ellul vis-à-vis des techniques et ses mises en garde à l’encontre des sociétés techniciennes (4). La crise écologique à laquelle nous assistons aujourd’hui comme une menace inégalée pour l’humanité et pour la biosphère résulte bien d’un usage effréné des techniques manifestant l’hubris d’une caste dirigeante. On pourrait évoquer également l’enfer des guerres technologiques. Et si la misère endémique demeure dans certains pays du monde, on peut constater que des pays, dits avancés, sont en proie à de nouveaux maux pouvant être imputés au régime capitaliste. Les Etats-Unis connaissent aujourd’hui une poussée de violence dominatrice.
Ce sont là des réalités qui n’apparaissent pas ou peu dans l’évocation de l’épopée scientifique et technique qui est advenue, un temps au moins, aux Etats-Unis et que nous décrit Ilia Delio. L’accent est mis sur l’intelligence artificielle, un phénomène qui, de son lieu d’origine, s’est répandu à l’échelle mondiale et est devenu une réalité majeure, un processus incontournable qui appelle la réflexion et au sujet duquel la recherche d’Ilia Delio apporte une contribution particulièrement éclairante. Cependant, après le tour d’horizon sur cette dynamique, le terme post-humain parait décalé, et aussi inquiétant. Cette contribution d’Ilia Delio n’en reste pas moins éclairante. En montrant comment la récente avancée de la recherche fait tomber les séparations et les catégorisations indues d’un vieux monde et combien la nouvelle communication numérique, adossée à une nouvelle intelligence, permet une interrelation inégalée qui peut entrainer, en certains cas, des effets de communion, Ilia Delio nous parait apporter une contribution majeure à la réflexion collective.
Cependant, cette étude peut aussi nous amener au constat que dans le même monde d’aujourd’hui, déjà un à certains titres, des réalités différentes se côtoient, différentes en fonction de la culture et de l’histoire, peut-être même en fonction des différents âges de l’humanité. Puisque Elia Delio étudie l’histoire de l’humanité selon la grille des périodes axiales, ne peut-on se dire que leurs apports ne s’excluent pas entièrement et peuvent se côtoyer et peut-être s’enrichir mutuellement. Ainsi, la reconnaissance des peuples autochtones nous rappelle la présence de l’invisible. La défense des droits humains est un héritage d’une partie de la première période axiale. Et si Elia Delio met en avant une avancée scientifique et technique, l’usage de cette avancée peut varier selon les civilisations et ne se résume pas à la forme américaine.
La contribution d’Elia Delio se déploie et se reçoit également sur un registre religieux et spirituel. Et c’est d’abord à ce titre que nous avons d’abord relevé son apport. Certes, le fil biblique ne semble pas apparaitre au premier plan de sa réflexion. Cependant, c’est bien sur le fondement évangélique de l’incarnation qu’elle se fonde et son regard sur l’avenir, en évoquant la Noosphère imaginée par Teilhard de Chardin, nous parait correspondre à la vision chrétienne d’une communion finale en terme de Nouvelle Terre.
Cette présentation d’une partie de l’approche d’Ilia Delio, puisque ce texte n’en aborde qu’une portion limitée, pourra donc ouvrir notre réflexion dans différents domaines en permettant des compréhensions nouvelles, en induisant des interrogations et des critiques, en générant une imagination constructive, un cheminement spirituel. Cependant, à l’heure où, comme le fait remarquer Brian McLaren dans son livre ‘Life after Doom’ (5), dans une crise conjointement écologique et sociale, l’humanité est aujourd’hui menacée par différentes formes d’effondrement, les dérèglements actuels sont bien imputables à un hubris de l’humain et des signes de cette démesure apparaissent dans l’expansion scientifique et technologique qui constitue le fer de lance de l’évolution vers ce qu’Ilia Delio appelle le post-humain. On pourrait également mettre en évidence la crise de la civilisation américaine dans laquelle s’inscrit cette évolution. Cette crise est illustrée par la récente et dangereuse élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Et, dans cette circonstance, l’historien, Yuval Noah Harari met en lumière les risques de la promotion de l’intelligence artificielle par son entourage (6). Certes, Ilia Delio met l’accent sur la nécessité d’un éveil religieux pour éclairer l’expansion de l’intelligence artificielle, ce qu’elle appelle ‘la mobilisation des énergies spirituelles vers un foyer d’amour transcendant’. S’il y a bien un potentiel en ce sens, encore faudrait-il qu’il prenne corps rapidement. La thèse d’Ilia Delio ne nous parait pas dépourvue d’ambiguïtés. Mais, dans son originalité, elle mérite d’être connue pour enrichir le débat.
J H
- Center for Christogenesis https://christogenesis.org/
- Ilia Delio, Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Ilia_Delio
- Ilia Delio. Re-enchanting the earth. Why AI needs religion. Orbis books, 2020
- Jacques Ellul Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ellul
- Brian McLaren. Life after Doom. Wisdom and courage for a world falling apart. Hodder and Stoughton, 2024
- Les risques de l’intelligence artificielle, selon Yuval Noah Harari : https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/l-election-de-donald-trump-pourrait-signifier-la-chute-de-l-ordre-mondial-analyse-yuval-noah-harari-historien-aux-45-millions-de-livres-vendus_6883823.html
par jean | Déc 22, 2014 | ARTICLES, Expérience de vie et relation |
De l’archéologie de la souffrance à une psychologie des ressources
Par Jeanne Siaud Facchin
Dans notre existence quotidienne, savons-nous reconnaître les petits bonheurs qui se présentent à nous comme des épisodes qui nous réjouissent le cœur, nous fortifient et peuvent nous construire dans une vision positive ? Dans un talk à la conférence TEDx Vaugirard Road, Jeanne Siaud Facchin nous invite à reconnaître les « petits bonheurs » et à les mémoriser dans tout notre être en développant ainsi un comportement positif au lieu de vouloir arracher à tout prix les mauvaises herbes de notre passé. Et c’est pourquoi comme psychologue, elle intitule la vidéo correspondante : « En finir avec l’archéologie de la souffrance » (1). Jeanne Siaud Facchin nous entraine ainsi avec délicatesse de cœur et enthousiasme dans un parcours où nous découvrons le potentiel des petits bonheurs.
Jeanne Siaud Facchin commence par nous raconter une belle histoire, celle d’une petite fille qui voulait offrir un cadeau d’anniversaire à son grand frère. C’est l’histoire particulièrement symbolique de la « boîte à soleil ». Elle a trouvé une boîte et toute la journée, elle a cherché à y capturer du soleil. Et le soir, la boîte est éclairée, car il se trouve, nous rapporte la conteuse à la fin de l’histoire, qu’un vers luisant est venu s’y loger ! « Quelquefois dans la vie, c’est comme ça. On croit que ce n’est pas possible. Et pourtant ! ».
La vision que nous apporte Jeanne Siaud Facchin n’est pas un rêve. Elle est bien connectée avec la réalité. Et c’est ainsi qu’elle introduit son exhortation par un récit émouvant. Comme psychologue, elle reçoit un jour un petit garçon qui vient de perdre son papa. Elle nous rapporte son désarroi face à cette situation tragique. Les savoirs théoriques ne sont d’aucun secours. Alors, elle se fie à son intuition : « Je prend une grande respiration : je me relie à ce que je ressens au plus profond de moi. Je m’entends lui dire : « Tu sais, au fond de toi, il y a un trésor. C’est tout l’amour que tu as partagé avec ton papa, les moments de bonheur que tu as passés avec lui. Et ce trésor, la mort ne l’a pas emporté. Tu l’auras toujours au fond de toi. Et tu pourras y puiser tout au long de la vie. C’est ta boîte à soleil ». Elle a rencontré, par la suite, ce petit garçon devenu grand qui se souvenait du réconfort qu’elle lui avait ainsi apporté : « Il avait ressenti quelque chose de chaud. Ça l’avait beaucoup aidé ».
A partir de cet exemple émouvant, Jeanne Siaud Facchin peut nous interpeller : « C’est pourquoi c’est si important d’avoir une boite à soleil, d’avoir cette attention de la remplir à chaque instant de sa vie. Tout le monde peut capturer du soleil, capturer ces micromoments de vie qui sont doux, agréables, qui nous font chaud au cœur, mais auxquels il faut être attentifs, car ils sont éphémères. Souvent on passe à côté. Et pour graver ces petits bonheurs, il faut faire très attention… On passe beaucoup de temps de notre vie à attendre le Bonheur ou à courir après lui. Comme si un jour le Bonheur arrivait : « Bonjour, je suis le Bonheur »… Ce sont les petits bonheurs, les bonheurs ordinaires qui fabriquent le bonheur extraordinaire ».
Mais comment y prêter attention ? Comment nous en imprégner ? Comment le mémoriser pour nous en inspirer ? « Pour graver en soi les petits bonheurs, la seule chose dont nous ayons besoin, c’est notre corps. Le bonheur, ça s’attrape en ressentant, en ressentant vraiment. Le bonheur, ça se sent. Je m’arrête un instant, je me relie à moi, aux émotions qui sont là et je les ancre aux plus profond de moi ».
Trop souvent, nous vivons en marge de notre être profond. Alors Jeanne Siaud Facchin nous propose un exercice : « Et si on ramenait tous notre attention sur nos sensations… Et puis tranquillement, je puis fermer les yeux, puis focaliser mon attention sur certains points de mon corps, tout ce que je peux sentir. Et juste là, juste maintenant, est-ce que je me relie avec mes sensations ? Je dirige mon attention pour être mieux relié à moi-même et aux autres. Est-ce que je peux sentir que je suis là, vraiment là ? Souvent, on le sait, mais dans notre tête, on est ailleurs ».
Cette attention positive reliée à la sensation nous permet d’être vraiment présent avec tout notre corps. Nous pouvons graver nos petits bonheurs dans une boîte à soleil. « Et qu’est ce qui se passe dans notre cerveau quand on est totalement relié à ce qu’on vient de vivre. Ce sont les neurosciences qui nous le disent. Notre cerveau déclanche la sécrétion d’un cocktail d’hormones qui nous font du bien, qui nous apaisent. Bien sûr, la boîte à soleil n’empêche pas les malheurs de l’existence. Elle ne peut pas empêcher les souffrances. Mais elle permet de les amortir. Elle permet d’avoir des ressources pour aller y puiser, pour ne pas être « vidé » au sens propre, pour ne pas se laisser engloutir ».
« Et si c’était ça le chemin pour vivre mieux ! Si c’était cela la psychologie d’aujourd’hui ! C’est comme une bascule. On passe de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources qu’on pourrait appeler une psychologie préventive qui nous donne des clés pour notre vie, une psychologie qui nous apprend à nourrir et cultiver des champs fertiles plutôt que de s’épuiser à tenter d’arracher de mauvaises herbes ».
« Parce que ce qui est hallucinant, c’est qu’on continue à fonctionner comme à la préhistoire. Notre cerveau est génétiquement programmé comme celui des hommes des cavernes. Notre amygdale, cette petite zone au fin fond de notre cerveau archaïque et dont la fonction est de décoder les émotions, se déclanche tout le temps face à ce qui est perçu comme une menace, comme un danger, comme si notre vie en dépendait. Et alors, des milliers d’années après, on continue à vivre dans un état d’alerte permanent. On est polarisé sur ce qui ne va pas. C’est ce qu’on voit en premier, en grand, c’est ce qui attire immédiatement notre attention. C’est pour cela qu’il est tellement important, urgent de modifier le câblage, la programmation. Il faut s’entraîner. Et la bonne nouvelle, c’est que notre cerveau est plastique, malléable ; ça s’appelle la neuro plasticité. Et grâce à la capture des petits bonheurs, on va restructurer notre cerveau, on va créer de nouvelles connexions, on va tracer de nouveaux chemins et c’est ça qui change tout. Entraîner notre cerveau à se focaliser automatiquement sur ce qui va bien et comme cela, on remplit notre boîte à soleil sans y penser ».
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Ce discours nous touche parce qu’on le sent bienfaisant et parce qu’il ouvre une voie. Il y a dans ce parler une force de conviction parce qu’il fait écho à des expériences et des aspirations en nous, même lorsque nous ne pouvons pas encore les exprimer comme cela.
Pour nous, nous sentons bien combien nous sommes fortifiés par les épisodes où nous vivons un moment de bonheur et d’harmonie si nous savons l’inscrire dans notre parcours de vie. Et nous savons aussi combien il peut être réconfortant de revisiter des souvenirs heureux. Tout cela se développe d’autant mieux si nous sommes imprégnés de bienveillance et si notre attention est tournée vers le bon et le beau.
Ici, sur ce blog, nous évoquons souvent la vie et la pensée d’Odile Hassenforder telle qu’elle nous en fait part dans son livre : « Sa présence dans ma vie » (2). Dans son chemin spirituel, elle a reçu une inspiration qui l’a portée à valoriser toutes les expériences positives. Certes, cette inspiration va au delà d’une attention aux moments heureux, mais elle l’inclut. Face à la maladie, elle nous parle de la joie d’exister. « Au fond de mon lit, en pleine aphasie due à une chimio trop forte, j’ai reçu la joie de l’existence, un cadeau gratuit donné à tout humain par Dieu. En réalisant cela, je découvre le jaillissement de l’être divin qui nous partage ce qu’il est puisque nous sommes créés à son image pour évoluer à sa ressemblance (p 172). C’est l’accueil de la vie : « Que c’est bon d’exister pour admirer, m’émerveiller, adorer. C’est gratuit. D’un sentiment de reconnaissance jaillit une louange joyeuse, une adoration du Créateur de l’univers dont je fais partie, un Dieu qui veut le bonheur de ses créatures. Alors, mon « ego » n’est plus au centre de ma vie. Il tient tout simplement sa place, relié à un tout sans prétention (Psaume 131). Je respire le courant de la vie qui me traverse et poursuit mon chemin comme il est écrit dans un psaume : « Cette journée est pour moi un sujet de joie… une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel auprès de toi. Louez l’Eternel, car il est bon. Son amour est infini » (psaume 16.115) (p 180).
Et tout au long de ce parcours, Odile nous dit combien elle apprécie les petits bonheurs et s’en nourrit. De sa fenêtre, elle admire le paysage mouvant de la nature. « Mon fauteuil de méditation matinale est orienté à l’est. J’aime admirer le lever du soleil, ces nuages qui s’élèvent, se colorent, passent du gris au rose, avancent plus ou moins vite selon le vent… Pour ma part, de tels spectacles de la nature, de la simple pâquerette au coucher de soleil m’émeuvent. Je sens mon cœur se dilater. J’appartiens à cet univers visible, mais aussi invisible… » (p 213) Et un des chapitres du livre est consacré à l’importance des rencontres ordinaires : « Des petits riens d’une grande portée » (p 183-184).
Chacun de nous peut répondre à sa manière à l’évocation des petits bonheurs que nous décrit Jeanne Siaud Facchin. Mais qui n’apprendrait pas de son entretien un plus pour sa vie ? A partir d’une expérience toute simple : savoir apprécier et se nourrir de petits bonheurs, elle ouvre une approche nouvelle dans la démarche psychologique : « Passer de l’archéologie de la souffrance à la psychologie des ressources ». Et d’expérience, on comprend bien ce qu’elle nous rapporte des effets du fonctionnement du cerveau archaïque : la perception excessive de la menace et du danger. Alors, comment ne pas l’écouter lorsqu’elle nous invite à la « capture des petits bonheurs pour créer de nouvelles connexions et tracer de nouveaux chemins, ce qui change tout ».
J H
(1) Sur le site TEDx Vaugirard Road (Bouger les lignes 12 juin 2014), Talk en vidéo de Jeanne Siaud Facchin : « En finir avec l’archéologie de la souffrance » : http://www.tedxvaugirardroad.com/videos-2014/ On pourra consulter aussi le site de Jeanne Siaud Facchin : http://www.jeannesiaudfacchin.com/index.php?lang=fr
(2) Hassenforder (Odile). Sa Présence dans ma vie. Parcours spirituel. Empreinte Temps présent, 2011. Sur ce blog, articles en rapport avec ce livre : https://vivreetesperer.com/?tag=odile-hassenforder
Sur ce blog, voir aussi :
« Vivant dans un monde vivant… Aparté avec Thomas d’Ansembourg » : https://vivreetesperer.com/?p=1371
« Bienveillance humaine. Bienveillance divine. Une harmonie qui se répand : Lytta Basset. Oser la bienveillance » : https://vivreetesperer.com/?p=1842
« Développer la bonté en nous. Un habitus de bonté » : https://vivreetesperer.com/?p=1838
« Des petits riens d’une grande portée. La bienveillance au quotidien » : https://vivreetesperer.com/?p=1849
« Comme les petits enfants : Accueil, confiance et émerveillement » : https://vivreetesperer.com/?p=1640